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Qu’est-ce que l’auto-organisation ?

vendredi 4 septembre 2009, par Faber Sperber, Robert Paris

Le nuage, le cerveau, la ville, la cellule, l’étoile, la galaxie, la terre, la civilisation sont des structures complexes auto-organisées. Leur existence, leur transformation ne sont pas pilotées de l’extérieur par un concepteur et un artisan. Elles sont elles-mêmes, en cours de route, leur propre concepteur et leur propre artisan, y compris le concepteur et l’artisan de leur propre mort. Elles sont le produit des multiples rétroactions qui les habitent ainsi que des interactions avec le milieu. Leur ordre est le produit d’un désordre ambiant autant que des lois qui s’imposent à leur niveau.

Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « La nouvelle alliance » :

« La thermodynamique des processus irréversibles a découvert que les flux qui traversent certains systèmes physico-chimiques et les éloignent de l’équilibre, peuvent nourrir des phénomènes d’auto-organisation spontanée, des ruptures de symétrie, des évolutions vers une complexité et une diversité croissantes. »

« On a découvert que quand vous allez loin de l’équilibre, par exemple, en considérant une réaction chimique, que vous empêchez d’arriver à l’équilibre, se produisent des phénomènes extraordinaires que personne n’aurait cru possibles ; par exemple, des horloges chimiques. Une horloge chimique, qu’est-ce que c’est ? Prenons un exemple : vous avez des molécules qui de rouges peuvent devenir bleues. Comment imaginez-vous voir ce phénomène ? Si vous pensez que les molécules vont au hasard, vous allez voir des flashes de bleu, puis de flashes de rouge. Mais il se produit, loin de l’équilibre, dans d’importantes classes de réactions chimiques, des phénomènes rythmiques. Tout devient bleu, puis tout devient rouge, puis tout devient bleu, c’est-à-dire qu’une cohérence naît, qui n’existe que loin de l’équilibre. (…) Donc, loin de l’équilibre, se produisent des phénomènes ordonnés qui n’existent pas près de l’équilibre. Si vous chauffez un liquide par en-dessous, il se produit des tourbillons dans lesquels des milliards de milliards de molécules se suivent l’une l’autre. De même, un être vivant, vous le savez bien, est un ensemble de rythmes, tels le rythme cardiaque, le rythme hormonal, le rythme des ondes cérébrales, de division cellulaire, etc. Tous ces rythmes ne sont possibles que parce que l’être vivant est loin de l’équilibre. Le non-équilibre, ce n’est pas du tout les tasses qui se cassent ; le non-équilibre, c’est la voie la plus extraordinaire que la nature ait inventée pour coordonner les phénomènes, pour rendre possibles des phénomènes complexes.

Donc, loin d’être simplement un effet du hasard, les phénomènes de non-équilibre sont notre accès vers la complexité. Et des concepts comme l’auto-organisation loin de l’équilibre, ou de structure dissipative, sont aujourd’hui des lieux communs qui sont appliqués dans des domaines nombreux, non seulement de la physique, mais de la sociologie, de l’économie, et jusqu’à l’anthropologie et la linguistique. »

Ilya Prigogine dans « Temps à devenir »

Auto-organisation

Résonance sur plaque vibrante

Structures auto-organisées dans les systèmes loin de l’équilibre, le film

Stuart Kauffman écrit dans « La complexité, vertiges et promesses » :

« J’ai volontairement écrit mon premier livre sur les origines de l’ordre (intitulé « Auto-organisation et sélection dans l’Evolution des espèces ») sans jamais définir l’auto-organisation. (...) J’étais beaucoup plus préoccupé de montrer des cas concrets d’auto-organisation. (...) L’autocatalyse est un cas concret d’auto-organisation. Lorsque vous augmentez la diversité moléculaire des espèces dans un système, la diversité des réactions qu’elle peut engendrer augmente plus rapidement que la diversité des espèces. (...) On peut démontrer mathématiquement qu’une transition de phase survient lorsque la diversité moléculaire augmente. Ce qui qualifie un phénomène émergent, c’est une propriété collective qui n’est présente dans aucune des molécules individuelles. Les lois qui gouvernent les systèmes émergents sont en relation avec les lois mathématiques des transition de phase survenant dans de tels systèmes, et plus généralement dans tout ce qui se passe à un niveau supérieur à celui des molécules individuelles. »

La reconnaissance de l’existence de multiples processus d’auto-organisation dans la nature, vivante et non vivante, est d’origine relativement récente. Autrefois, on en était restés à l’idée de la tendance naturelle au désordre. Se fondant sur le mélange des gaz, l’établissement d’une température et d’une pression moyennes, sur l’étude des machines thermiques et des moteurs, la thermodynamique appelait entropie cette "tendance au désordre maximum".
Aujourd’hui, nous reconnaissons la capacité spontanée de la nature à produire de l’ordre : formation d’une étoile, d’un nuage, d’un flocon de neige, d’un cristal. L’exemple le plus éclatant est celui de la vie. En permanence, des cellules se spécialisent, se distribuent des rôles, interagissent.

LA CONVECTION ET L’AUTO-ORGANISATION

Motifs convectifs auto-organisés se formant dans de l’eau très chaude

L’AUTO-ORGANISATION DU FLOCON DE NEIGE
Le flocon de neige est une structure complexe (une très grande variété de types de flocons) qui est produite par auto-organisation. Des procédures simples d’agrégation dendritique permettent de construire progressivement le flocon en fonction de la température, de la pression et de la densité. Il n’y a pas de modèle préétabli du résultat final qui se construit petit à petit en mêlant progression aléatoire et lois physique et géométrique d’agrégation. Il n’y pas deux flocons identiques. Chaque pas de construction est irréversible et est une bifurcation du schéma.

Formation de la neige et de la glace

EXEMPLE DE STRUCTURE DISSIPATIVE AUTO-ORGANISÉE
Une plaque métallique est reliée à un générateur de fréquences sonores. Un sable très fin est disposé sur le dessus. Pour certaines fréquences bien précises, des structures géométriques apparaissent.

Transition de phase dans une croissance/diffusion auto-organisée

Petit film sur l’auto-organisation

SITE : Matière et Révolution

Contribution au débat sur la philosophie dialectique
du mode de formation et de transformation
de la matière, de la vie, de l’homme et de la société

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L’auto-organisation vise à comprendre comment de l’ordre peut apparaître spontanément au sein du désordre. Des niveaux de structuration peuvent ainsi apparaître sans intervention d’une quelconque volonté et du fait des propriétés des lois naturelles. Ainsi, un nuage de gaz et de poussière donne une étoile. Le désordre des dépôts de molécules donne la structure du cristal. Le désordre des interactions moléculaires donne le processus vivant, etc....

Le terme d’auto-organisation fait donc référence à un processus dans lequel l’organisation interne d’un système, habituellement un système hors équilibre, augmente automatiquement sans être dirigée par une source extérieure. Typiquement, les systèmes auto-organisées ont des propriétés émergentes.

L’auto-organisation désigne l’émergence spontanée et dynamique d’une structure spatiale, d’un rythme ou d’une structure spatiotemporelle (se développant dans l’espace et le temps) sous l’effet conjoint d’un apport extérieur d’énergie et des interactions à l’oeuvre entre les éléments du système considéré. De nombreux exemples biologiques répondent à cette définition. Le plus emblématique est l’établissement du fuseau mitotique, structure transitoire qui réalise la ségrégation des chromosomes lors de la division cellulaire. Il a été montré que ce fuseau, ancré sur les parois de la cellule-mère, est un assemblage dynamique de filaments, les microtubules, et de moteurs moléculaires (protéines capables de se mouvoir et d’exercer des forces sur ces filaments). Les exemples abondent aussi aux échelles supérieures : développement de colonies de bactéries, variation périodique des populations dans un système prédateur-proie, déplacement cohérent d’un banc de poissons, fourmilières. La notion n’est pas spécifique au vivant : elle s’applique à la synchronisation d’oscillateurs couplés, aux ondes observées dans certains systèmes chimiques alimentés en continu, à l’apparition de motifs périodiques dans un liquide chauffé par le dessous (cellules de convection), à la formation des dunes, des rivages, ou même des galaxies.

Le physicien-chimiste Ilya Prigogine : « En plus de leurs propriétés d’auto-organisation, certains systèmes hors équilibre possèdent des propriétés dites de bifurcation. Tôt dans le processus, il existe un moment critique où le système devient instable. »

Simon Diner
Extrait de « Les voies du chaos dans l’école russe », tiré de l’ouvrage collectif « Chaos et déterminisme » :

« NON LINEARITE DES RYTHMES AUTO-ORGANISES (DISSIPATIFS ET ENTRETENUS)

« L’école de Mandelstham-Andronov et le paradigme des auto-oscillations

« Parmi tous les mouvements mécaniques et physiques, les oscillations occupent une place à part Ce sont les mouvements ou les changements d’état qui présentent un certain degré de répétitivité ou de périodicité. Dans le cas le plus simple, celui des petits mouvements d’un pendule balançoire, ou d’un ressort, la force responsable du mouvement reste simplement proportionnelle aux déplacements du système. Ce sont les oscillations linéaires dont l’oscillateur harmonique est le modèle universel. A vrai dire, toutes les oscillations qui existent réellement dans la nature sont plus ou moins non linéaires. Les oscillations linéaires ne sont qu’un modèle mathématique approché dont l’importance est liée au rôle mathématique joué par les fonctions périodiques (analyse de Fourier). Au 19ème siècle, le modèle de l’oscillateur linéaire s’est imposé à travers le développement de l’étude des ondes en optique, en acoustique et en électromagnétisme. Ce caractère universel du modèle d’oscillateur linéaire triomphe dans le célèbre livre de Lord Rayleigh : « The theory of sound » (1877).
L’oscillateur linéaire va aussi sous-tendre et structurer toute la physique quantique. De par l’utilisation qu’elle fait de la théorie des opérateurs linéaires dans l’espace vectoriel des états (espace de Hilbert), la mécanique quantique est comme l’apothéose d’un paradigme en développement depuis deux siècles. (…) En fait, le modèle d’oscillateur linéaire convient parfaitement aux phénomènes stationnaires, ceux dont l’évolution présente l’harmonie et la régularité d’un équilibre mobile. Mais dès qu’il s’agit d’évolutions temporelles dramatiques, en particulier de phénomènes de transition d’un état d’équilibre à un autre, de phénomène de création ou de disparition de mouvements, la non-linéarité devient une propriété organique essentielle. C’est précisément le cas lorsqu’on engendre et entretient des oscillations à partir de phénomènes non oscillatoires : chute d’un poids dans une horloge, frottement de l’archet dans un violon, souffle de l’instrumentaliste dans une flûte, émission de la voix humaine.
L’horlogerie est le domaine privilégié des oscillations non linéaires. (…) Lord Rayleigh est le premier à distinguer les traits caractéristiques des systèmes susceptibles d’engendrer des oscillations non amorties, en particulier la non-linéarité des équations du mouvement.
En fait, l’intérêt pour les études théoriques des oscillations non linéaires ne va pas venir de l’horlogerie mais de deux autres domaines techniques. Dans la seconde moitié du 19ème siècle, la construction de régulateurs pour les machines devient un problème technologique essentiel. L’enjeu est d’empêcher l’apparitions d’oscillations. Worms et Romilly (1872) et L.A. Vichnegradski (1876) reconnaissent la nécessité du frottement pour la stabilisation des régulateurs. H. Léauté (1885) montre le rôle essentiel joué par la non-linéarité dans certains types de régulateurs que l’on ne peut étudier par linéarisation comme le faisaient I.A. Vichnegradski et A. Stodola (1893).
Au début du 20ème siècle, commence la réalisation de dispositifs radiotechniques, pour l’émission et la réception des ondes électromagnétiques. Il s’agit là d’engendrer des oscillations. Dans les dispositifs radiotechniques, tenir compte de la non-linéarité s’avère essentiel, mais les approches restèrent longtemps ad hoc. C’est dans cet esprit que s’effectuèrent en particulier les travaux fondamentaux du radiophysicien hollandais B. Van der Pol. (…)
Au moment même où naît la mécanique quantique, A.A Andronov (élève de l’école russe de L.I. Mandelstham, qui a choisi comme domaine de recherche l’étude des vibrations non linéaires contrairement à la physique quantique) participe à l’émergence d’un nouveau paradigme dont l’acte fondateur, son travail de diplôme, paraît en français dans les « Comptes rendus de l’Académie des sciences » du 14 octobre 1929 : « Les cycles-limites de Poincaré et la théorie des oscillations auto-entretenues ». Andronov y reconnaît pour la première fois que dans un oscillateur de la radiophysique comme celui de Van der Pol, système non-conservatif (dissipatif), dont les oscillations sont entretenues en puisant de l’énergie à des sources non vibratoires, le mouvement dans l’espace des phases est du type « cycle limite », notion introduite par Poincaré en 1880, dans un contexte purement mathématique. Il reconnaît d’emblée la caractère très général de ces « auto-oscillations » comme il les nomme, les voyant intervenir en acoustique, en radiophysique, en chimie (réactions périodiques) et en biologie.
Les auto-oscillations ont des caractéristiques spécifiques :
  amplitude et fréquence indépendantes des conditions initiales
  apparition en l’absence d’excitation périodique extérieure
  contrôle par rétroaction, de la source d’énergie pour compenser la dissipation, sans influer sur l’amplitude et la fréquence (…)

L’auto-oscilateur reçoit une définition très générale : système engendrant des oscillations non amorties, entretenue par une source d’énergie extérieure, dans un dispositif non-linéaire dissipatif, et dont l’aspect et les propriétés sont déterminés par le système lui-même sans dépendre des conditions initiales. Dans ces conditions, les auto-oscillations peuvent être non seulement périodiques mais quasi périodiques et même stochastiques. Andronov a eu en effet le mérite de montrer pour la prmeière fois l’existence physique d’un attracteur qui ne soit pas un point d’équilibre. Le cycle limite est en effet un attracteur périodique. Par la suite, la notion d’attracteur sera élargie, jusqu’à l’apparition du concept d’ »attracteur étrange », forme mathématique des auto-oscillations stochastiques.
On attribue souvent à E. Lorentz la découverte en 1963 du premier « mouvement chaotique sur un attracteur étrange ». Découverte qui passa inaperçue et ne commença à être reconnue que dans la seconde moitié des années 70. On ne sait pas que dans les années 50, les travaux de l’école de Gorki, sous la direction d’un élève d’Andronov, Yu. I. Neimark, ont mis en évidence l’existence d’auto-oscillations schochastiques , par l’application de la méthode des transformations ponctuelles. (…) Avec les systèmes auto-oscillants comme cible favorite, Andronov et ses élèves vont baliser tout le champ des vibrations non linéaires et créer les outils et les concepts fondamentaux de la physique non linéaire. Dès 1933, dans son rapport à la première conférence soviétique sur les vibrations, Andronov développe le thème de la théorie des bifurcations, c’est-à-dire du changement de caractère qualitatif du portrait de phase d’un système dynamique, lors de la variation des paramètres du système. (…) En 1937 paraît la bible des vibrations non-linéaires : « La théorie des vibrations » de A. A. Andronov, A. A. Vitt et S. E. Khaïkir. La signature de A. A. Vitt en a disparu dans la seconde édition, car il a été assassiné lors des grandes purges staliniennes.
(…) Dès le début des années quarante, Kolmogorov s’intéresse en probabiliste à la turbulence. (…) Dans les années cinquante, il passe à l’étude des systèmes dynamiques. (…) Dans son exposé au congrès international de mathématiques d’Amsterdam de 1954, il présente une splendide synthèse des résultats obtenus depuis H. Poincaré. (…) Et Kolmogorov formule la première version du résultat fondamental qui va devenir, quelques années plus tard, le théorème de Kolmogorov, Arnold et Moser (théorème KAM) sur la préservation des mouvements quasi périodiques dans les systèmes hamiltoniens. »

Simon Diner dans « Les voies du chaos dans l’école russe », tiré de l’ouvrage collectif « Chaos et déterminisme », travail dirigé par Dahan Dalmedico :

« Dans les oscillations non-linéaires, l’ordre et le désordre se côtoient, se relaient, se confortent, voilà la surprise. (…) C’est l’instauration d’une véritable conception dialectique de l’ordre et du désordre qui n’a pas fini de nous étonner. »
Ce que prolonge Dahan Dalmedico dans « Retour sur l’histoire de la philosophie » du même ouvrage :
« L’étude des systèmes dynamiques chaotiques exige une véritable dialectique entre l’instabilité d’un système dynamique chaotique et sa stabilité structurelle. »

Le chaos déterministe : un faux désordre, obéissant à des lois mais d’apparence erratique et imprédictible

« Un système dynamique non linéaire oscillant sur trois fréquences incommensurables peut devenir instable et avoir un comportement chaotique. »
D. Ruelle et F. Takens, étude sur la turbulence, 1971

Marie Farge

Extraits de « Evolution des théories sur la turbulence développée », article de l’ouvrage collectif « Chaos et déterminisme » :

« La mécanique hamiltonienne ne traite que des états stables, ou au voisinage de l’équilibre, et ne décrit que des phénomènes conservatifs donc réversibles, alors que les écoulements turbulents sont hautement instables et dissipatifs, donc irréversibles ; de plus, la dynamique classique a toujours raisonné à partir de systèmes composés de peu d’éléments en interaction et non d’un très grand nombre de degrés de liberté comme c’est le cas en turbulence développée.
Si on regarde du côté des mathématiques, alors que la résolution d’équations différentielles linéaires ne pose guère de problèmes, elles n’ont pas le moyen de résoudre analytiquement les équations aux dérivées partielles non linéaires décrivant l’évolution des écoulements turbulents, ni même en général celui de prouver l’existence et l’unicité de leurs solutions.
Enfin, pour comprendre les phénomènes physiques, la méthode suivie jusqu’à présent est le plus souvent réductionniste, tandis que l’étude de la turbulence développée demande probablement une vision plus globale, dans la mesure où l’on ne peut plus dans ce cas isoler le comportement d’une partie de celui de l’ensemble. (…)
Si l’écoulement est laminaire, c’est-à-dire non turbulent, son évolution est prévisible et l’information décrivant l’état du système au temps t est en principe suffisante pour connaître l’état de celui-ci pour tout temps. Le seul problème reste alors le fait que pour connaître l’état de l’écoulement au temps t, c’est-à-dire la position et la vitesse de tous les éléments fluides qui le composent, la quantité d’information est énorme et hors d’atteinte de nos appareils de mesure. Cette limitation de nos facultés d’observation n’a cependant pas de conséquence sur la prédictibilité de l’écoulement si celui-ci est laminaire. En effet, dans ce cas, si au temps t, on fait une erreur quant à la description de l’état du système, cette erreur reste la même pour tout temps, ou n’évolue que très lentement, car la dynamique d’un écoulement laminaire est stable. Elle n’amplifie pas exponentiellement l’erreur initiale et n’est donc pas « sensible aux conditions initiales ». Si, par contre, l’écoulement est turbulent, il en va tout autrement : le système est devenu très instable et sensible aux conditions initiales. »

Sur l’auto-organisation critique

L’auto-organisation sur wikipedia

Structures dissipatives loin de l’équilibre

Ilya Prigogine

« Loin de l’équilibre, les processus irréversibles sont source de cohérence. L’apparition de cette activité cohérente de la matière – des « structures dissipatives » - nous impose un nouveau regard, une nouvelle manière de nous situer par rapport au système que nous définissons et manipulons. Alors qu’à l’équilibre et près de l’équilibre, le comportement du système est, pour des temps suffisamment longs, entièrement déterminé par les conditions aux limites, nous devrons désormais lui reconnaître une certaine autonomie qui permet de parler des structures loin de l’équilibre comme de phénomènes d’ « auto-organisation ». (…)
Un système physico-chimique peut donc devenir sensible, loin de l’équilibre, à des facteurs négligeables près de l’équilibre. (…) La notion de « sensibilité » lie ce que les physiciens avaient l’habitude de séparer : la définition du système et son activité. (…) C’est l’activité intrinsèque du système qui détermine comment nous devons décrire son rapport à l’environnement, qui engendre donc le type d’intelligibilité qui sera pertinente pour comprendre ses histoires possibles. (…) On retrouve la notion de sensibilité associée à celle d’instabilité, puisqu’il s’agit, dans ce cas, de la sensibilité du système à lui-même, aux fluctuations de sa propre activité. (…) Nous pouvons décrire un système à l’équilibre à partir des seules valeurs moyennes des grandeurs qui le caractérisent, parce que l’état d’équilibre est stable par rapport aux incessantes fluctuations qui perturbent ces valeurs, parce que ces fluctuations sont vouées à la régression. (…) Le fait que tel ou tel événement puisse « prendre sens », cesser d’être un simple bruit dans le tumulte insensé de l’activité microscopique, introduit en physique cet élément narratif dont nous avons dit qu’il était indispensable à une véritable conception de l’évolution. (…) ces questions ne renvoient ne renvoient pas à une ignorance contingente et surmontable, mais définissent la singularité des points de bifurcation. En ces points, le comportement du système devient instable et peut évoluer vers plusieurs régimes de fonctionnement stables. En de tels points, une « meilleure connaissance » ne nous permettrait pas de déduire ce qui arrivera, de substituer la certitude aux probabilités. (…) La physique des phénomènes loin de l’équilibre a démontré le rôle constructif des phénomènes irréversibles. Nous pouvons désormais affirmer que le message de l’entropie n’a pas pour objet les limites de nos connaissances, ou des impératifs pratiques. (…) Il définit les contraintes intrinsèques à partir desquelles se renouvellent le sens et la portée des questions que ce monde nous autorise à poser. (…)
Nous avons surtout souligné les dimensions négatives du chaos dynamique, la nécessité qu’il implique d’abandonner les notions de trajectoire et de déterminisme. Mais l’étude des systèmes chaotiques est également une ouverture ; elle crée la nécessité de construire de nouveaux concepts, de nouveaux langages théoriques. Le langage classique de la dynamique implique les notions de points et de trajectoires, et, jusqu’à présent, nous-mêmes y avons eu recours alors même que nous montrions l’idéalisation – dans ce cas illégitime – dont elles procèdent. Le problème est maintenant de transformer ce langage, de sorte qu’il intègre de manière rigoureuse et cohérente les contraintes que nous venons de reconnaître.
Il ne suffit pas, en effet, d’exprimer le caractère fini de la définition d’un système dynamique en décrivant l’état initial de ce système par une région de l’espace des phases, et non par un point. Car une telle région, soumise à l’évolution que définit la dynamique classique, aura beau se fragmenter au cours du temps, elle conservera son volume dans l’espace des phases. C’est ce qu’exprime un théorème général de la dynamique, le théorème de Liouville. Toutes les tentatives de construire une fonction entropie, décrivant l’évolution d’un ensemble de trajectoires dans l’espace des phases, se sont heurtées au théorème de Liouville, au fait que l’évolution d’un tel ensemble ne peut être décrite par une fonction qui croîtrait au cours du temps.
Or, un argument simple permet de montrer l’incompatibilité, dans le cas d’un système chaotique, entre le théorème de Liouville et la contrainte selon laquelle toute description définit le « pouvoir de résolution » de nos descriptions ; il existera toujours une distance r telle que nous ne pourrons faire de différence entre des points plus proches l’un de l’autre (…) La nouvelle description des systèmes dynamiques chaotiques substitue au point un ensemble correspondant à un fragment de fibre contractante. Il s’agit d’une description non locale, qui tient compte de la contrainte d’indiscernabilité que nous avons définie. Mais cette description n’est pas relative à notre ignorance. Elle donne un sens intrinsèque au caractère fini de nos descriptions : dans le cas où le système n’est pas chaotique, où l’exposant de Lyapounov est de valeur nulle, nous retrouvons la représentation classique, ponctuelle, et les limites mises à la précision de nos mesures n’affectent plus la représentation du système dynamique.
Cette nouvelle représentation brise également la symétrie temporelle. (…) Là où une seule équation d’évolution permettait de calculer l’évolution vers le passé ou vers le futur de points eux-mêmes indifférents à cette distinction, nous avons maintenant deux équations d’évolution différentes. L’une décrirait l’évolution d’un système vers un équilibre situé dans le futur, l’autre décrirait l’évolution d’un système vers un équilibre situé dans le passé.
L’un des grands problèmes de l’interprétation probabiliste de l’évolution vers l’équilibre était que la représentation probabiliste ne donne pas sens à la distinction entre passé et futur. (…) La nouvelle description dynamique que nous avons construite incorpore, en revanche, la flèche du temps (…) Les comportements dynamiques chaotiques permettent de construire ce pont, que Boltzmann n’avait pu créer, entre la dynamique et le monde des processus irréversibles. La nouvelle représentation de l’objet dynamique, non locale et à symétrie temporelle brisée, n’est pas une description approximative, plus pauvre que la représentation classique. Elle définit au contraire cette représentation classique comme relative à un cas particulier. (…) Nous savons aujourd’hui que ces derniers (les systèmes non-chaotiques), qui dominèrent si longtemps l’imagination des physiciens, forment en fait une classe très particulière. (…) C’est en 1892, avec la découverte d’un théorème fondamental par Poincaré ( la loi des trois corps), que se brisa l’image homogène du comportement dynamique : la plupart des systèmes dynamiques, à commencer par le simple système « à trois corps » ne sont pas intégrables.
Comment comprendre cet énoncé ? Depuis les travaux de Hamilton, on sait qu’un même système dynamique peut être représenté de différentes manières équivalentes par une transformation dite canonique (ou unitaire) (…) L’hamiltonien du système est la grandeur qui détermine son évolution temporelle.
Parmi toutes les transformations unitaires, il en existe une qui permet d’aboutir à une représentation privilégiée du système. C’est celle qui fait de l’énergie, c’est-à-dire de l’hamiltonien, une fonction des seuls moments, et non plus des positions. Dans une telle représentation, les mouvements des différentes particules du système sont décrits comme s’ils ne dépendaient plus des positions relatives des particules, c’est-à-dire comme si elles n’étaient plus en interaction. (…) Les mouvements possibles de tels systèmes ont donc la simplicité des mouvements libres. (…)
Or, en 1892, Poincaré montra qu’en général il est impossible de définir la transformation unitaire qui ferait des « actions » des invariants du système. La plupart des systèmes dynamiques n’admettent pas d’invariants en dehors de l’énergie et de la quantité de mouvement, et dès lors ne sont pas intégrables.
La raison de l’impossibilité de définir les invariants du mouvement qui correspondent à la représentation d’un système dynamique intégrable tient à un mécanisme de résonance. (…) Le mécanisme de résonance peut être caractérisé comme un transfert d’énergie entre deux mouvements périodiques couplés dont les fréquences sont entre elles dans un rapport simple.
Ce sont ces phénomènes de résonance – mais, cette fois, entre les différents degrés de liberté qui caractérisent un même système dynamique – qui empêchent que ce système soit mis sous une forme intégrable. La résonance la plus simple entre les fréquences se produit quand ces fréquences sont égales, mais elle se produit aussi à chaque fois que les fréquences sont commensurables, c’est-à-dire chaque fois qu’elles ont entre elles un rapport rationnel. Le problème se complique du fait que de manière générale les fréquences ne sont pas constantes. (…) Ce qui fait que, dans l’espace des phases d’un système dynamique, il y aura des points caractérisés par une résonance, alors que d’autres ne le seront pas. L’existence des points de résonance interdit en général la représentation en termes de variables cycliques, c’est-à-dire une décomposition du mouvement en mouvements périodiques indépendants.
Les points de résonance, c’est-à-dire les points auxquels les fréquences ont entre elles un rapport rationnel, sont rares, comme sont rares les nombres rationnels par rapport aux nombres irrationnels. Dès lors, presque partout dans l’espace des phases, nous aurons des comportements périodiques de type habituel. Néanmoins, les points de résonance existent dans tout le volume fini de l’espace des phases. D’où le caractère effroyablement compliqué de l’image des systèmes dynamiques telle qu’elle nous a été révélée par la dynamique moderne initiée par Poincaré et poursuivie par les travaux de Kolmogoroff, Arnold et Moser.
Si les systèmes dynamiques étaient intégrables, la dynamique ne pourrait nous livrer qu’une image statique du monde, image dont le mouvement du pendule ou de la planète sur sa trajectoire képlérienne constituerait le prototype. Cependant l’existence des résonances dans les systèmes dynamiques à plus de deux corps ne suffit pas pour transformer cette image et la rendre cohérente avec les processus évolutifs étudiés précédemment. Lorsque le volume reste petit, ce sont toujours les comportements périodiques qui dominent. (…)
Cependant, pour les grands systèmes, la situation s’inverse. Les résonances s’accumulent dans l’espace des phases, elles se produisent désormais non plus en tout point rationnel, mais en tout point réel. (…) Dès lors, les comportements non périodiques dominent, comme c’est le cas dans les systèmes chaotiques. (…)
Dans le cas d’un système de sphères dures en collision, Sinaï a pu démontrer l’identité entre comportement cinétique et chaotique, et définir la relation entre une grandeur cinétique comme le temps de relaxation (temps moyen entre deux collisions) et le temps de Lyapounov qui caractérise l’horizon temporel des systèmes chaotiques. (…)
Or, l’atome en interaction avec son champ constitue un « grand système quantique » auquel, nous l’avons démontré, le théorème de Poincaré peut être étendu. (…) La « catastrophe » de Poincaré se répète dans ce cas : contrairement à ce que présupposait la représentation quantique usuelle, les systèmes caractérisés par l’existence de telles résonances ne peuvent être décrits en termes de superposition de fonctions propres de l’opérateur hamiltonien, c’est-à-dire d’invariants du mouvement. Les systèmes quantiques caractérisés par des temps de vie moyens, ou par des comportements correspondants à des « collisions », constituent donc la forme quantique des systèmes dynamiques au comportement chaotique (…)
L’abandon du modèle des systèmes intégrables a des conséquences aussi radicales en mécanique quantique qu’en mécanique classique. Dans ce dernier cas, il impliquait l’abandon de la notion de point et de loi d’évolution réversible qui lui correspond. Dans le second, il implique l’abandon de la fonction d’onde et de son évolution réversible dans l’espace de Hilbert. Dans les deux cas, cet abandon a la même signification : il nous permet de déchiffrer le message de l’entropie. (…)
La collision, transfert de quantité de mouvement et d’énergie cinétique entre deux particules, constitue, du point de vue dynamique, un exemple de résonance. Or, c’est l’existence des points de résonance qui, on le sait depuis Poincaré, empêche de définir la plupart des systèmes dynamiques comme intégrables. La théorie cinétique, qui correspond au cas d’un grand système dynamique ayant des points de résonance « presque partout » dans l’espace des phases , marque donc la transformation de la notion de résonance : celle-ci cesse d’être un obstacle à la description en termes de trajectoires déterministes et prédictibles, pour devenir un nouveau principe de description, intrinsèquement irréversible et probabiliste.
C’est cette notion de résonance que nous avons retrouvée au cœur de la mécanique quantique, puisque c’est elle qu’utilisa Dirac pour expliquer les événements qui ouvrent un accès expérimental à l’atome, l’émission et l’absorption de photons d’énergie spécifique, dont le spectre constitue la véritable signature de chaque type d’atome. (…) Le temps de vie, qui caractérise de manière intrinsèque un niveau excité, dépend, dans le formalisme actuel de la mécanique quantique, d’une approximation et perd son sens si le calcul est poussé plus loin. Dès lors, la mécanique quantique a dû reconnaître l’événement sans pouvoir lui donner de sens objectif. C’est pourquoi elle a pu paraître mettre en question la réalité même du monde observable qu’elle devait rendre intelligible. (…)
Pour expliquer les transitions électroniques spontanées qui confèrent à tout état excité un temps de vie fini, Dirac avait dû faire l’hypothèse d’un champ induit par l’atome et entrant en résonance avec lui. Le système fini que représente l’atome isolé n’est donc qu’une abstraction. L’atome en interaction avec son champ est, lui, un « grand système quantique », et c’est à son niveau que se produit la « catastrophe de Poincaré ».
L’atome en interaction avec le champ qu’il induit ne constitue pas, en effet, un système intégrable et ne peut donc pas plus être représenté par l’évolution de fonction d’onde qu’un système classique caractérisé par des points de résonance ne peut être caractérisé par une trajectoire. C’est là la faille que recélait l’édifice impressionnant de la mécanique quantique. (…) Il est significatif que, partout, nous ayons rencontré la notion de « brisement de symétrie ». Cette notion implique une référence apparemment indépassable à la symétrie affirmée par les lois fondamentales qui constituent l’héritage de la physique. Et, en effet, dans un premier temps, ce sont ces lois qui ont guidé notre recherche. (…) La description à symétrie temporelle brisée permet de comprendre la symétrie elle-même comme relative à la particularité des objets autrefois privilégiés par la physique, c’est-à-dire de situer leur particularité au sein d’une théorie plus générale. »

Extrait de « Le temps et l’éternité » d’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers

L’auto-organisation

Sur l’auto-organisation

MOTS CLEFS :

dialectique
discontinuitéfractales -
physique quantiquerelativité
chaos déterministeatome
système dynamiquestructures dissipativespercolationirréversibilité
non-linéaritéquanta
émergence
inhibition
boucle de rétroactionrupture de symétrie - turbulencemouvement brownien
le temps -
contradictions
crise
transition de phasecriticalité - attracteur étrangerésonancepsychanalyse -
auto-organisationvide - révolution permanente - Zénon d’Elée - Antiquité -
Blanqui -
Lénine -
TrotskyRosa Luxemburg
Prigogine -
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L’oscillateur Van der Pol

Messages

  • salutation fraternelle à tous les lectures du site, c’est toujours S de bamako.j’ai lu le texte de l’auto-organisation mais en fait j’ai un problème par rapport au contenu du texte,donc je voulais savoir:Qu’est-ce que l’auto-organisation ?quels sont les domaines dans lesquels nous pouvons parler de l’auto-organisation ?

    Voir en ligne : http://http://www.matierevolution.f...

    • L’auto-organisation semble un terme illogique puisque l’on a tendance à penser que seuls des ^tres doués de volonté et de conscience pourraient s’organiser. Ce n’est pas exact.la vie est certainement fondée sur l’auto-organisation des molécules de la biologie et de la génétique. cela signifie que des propriétés du vivant que ces molécules ne possédaient pas ont mis en palce un phénomène possédant ces propriétés.

  • Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « La nouvelle alliance » :

    Donc, loin d’être simplement un effet du hasard, les phénomènes de non-équilibre sont notre accès vers la complexité. Et des concepts comme l’auto-organisation loin de l’équilibre, ou de structure dissipative, sont aujourd’hui des lieux communs qui sont appliqués dans des domaines nombreux, non seulement de la physique, mais de la sociologie, de l’économie, et jusqu’à l’anthropologie et la linguistique. »

    Ilya Prigogine dans « Temps à devenir »

  • "Le chemin qui se construit lui-même est le mouvement de la conscience comme de toute vie naturelle et spirituelle."

    Hegel dans "Science de la Logique"

  • Qu’est-ce que l’auto-organisation a à voir avec la politique ?

  • Léon Trotsky y répondait à propos de la vague de grèves ouvrières en France dans « L’étape décisive » (5 juin 1936)

    « La principale conquête de la première vague de grève réside dans le fait que des chefs ouvriers sont apparus dans les ateliers et les usines. (…) La grève a secoué, ranimé, renouvelé dans son ensemble le gigantesque organisme de la classe. (…) L’organisation de combat ne coïnciderait pas avec le parti, même s’il existait en France un parti révolutionnaire de masse, car le mouvement est incomparablement plus large qu’un parti. L’organisation de combat ne peut pas non plus coïncider avec les syndicats, qui n’embrassent qu’une partie insignifiante de la classe et sont soumis à une bureaucratie archi-réactionnaire. La nouvelle organisation doit répondre à la nature du mouvement lui-même, refléter la masse en lutte, exprimer sa volonté la plus arrêtée. Il s’agit d’un gouvernement direct de la classe révolutionnaire. Il n’est pas besoin ici d’inventer des formes nouvelles : il y a des précédents historiques. Les ateliers et les usines élisent leurs députés, qui se réunissent pour élaborer en commun les plans de la lutte et pour la diriger. Il n’y a même pas à inventer de nom pour une telle organisation : ce sont les « soviets de députés ouvriers ». (...) Le mot d’ordre de comités ne peut être abordé que par une véritable organisation révolutionnaire, absolument dévouée aux masses, à leur cause, à leur lutte. Les ouvriers français viennent de montrer de nouveau qu’ils sont dignes de leur réputation historique. Il faut leur faire confiance. Les soviets sont toujours nés des grèves. La grève de masse est l’élément naturel de la révolution prolétarienne. D’atelier en atelier, d’usine en usine, de quartier en quartier, de ville en ville, les comités d’action doivent établir entre eux une liaison étroite, se réunir en conférences par villes, par branches de production, par arrondissements, afin de couronner le tout par un congrès de tous les comités d’action de France. "

  • Le physicien Robert B. Laughlin expose dans « Un univers différent » sa thèse opposée à celle du réductionnisme : comment la matière peut spontanément bâtir un ordre à partir du désordre sur la base des multiples interactions désordonnées, par émergence de structure. Cette conception, loin d’opposer agitation et lois, montre que les constantes découlent de processus de coopération collectifs par lesquels de nombreuses réactions successives en tous sens produisent un sens bien précis.

    « Les lois de la nature qui sont importantes pour nous émergent par un processus collectif d’auto-organisation (…) « Le tout n’est plus la somme de ses parties » n’est pas seulement une idée, mais aussi un phénomène physique : voilà le message que nous adresse la science physique : voilà le message que nous adresse la science physique. La nature n’est pas uniquement régie par une règle fondamentale microscopique, mais aussi par de puissants principes généraux d’organisation. Si certains de ces principes sont connus, l’immense majorité ne l’est pas. (…) Les éléments fondamentaux de ce message sont formulés dans les très nombreux écrits d’Ilya Prigogine (…) Je suis de plus en plus persuadé que toutes les lois physiques que nous connaissons – pas seulement certaines – sont d’origine collective. La distinction entre lois fondamentales et lois qui en découlent est un mythe, de même que l’idée de maîtriser l’univers par les seules mathématiques. La loi physique ne peut pas être anticipée par la pensée pure, il faut la découvrir expérimentalement, car on ne parvient à contrôler la nature que lorsque la nature le permet, à travers un principe d’organisation. On pourrait baptiser cette thèse « la fin du réductionnisme » (réductionnisme c’est-à-dire le principe « divisons en composantes de plus en plus petites et nous finirons forcément par comprendre »). (…) Puisque le principe d’organisation – ou plus exactement leurs conséquences – peuvent être des lois, celles-ci peuvent elles-mêmes s’organiser en lois nouvelles, et ces dernières en lois encore plus neuves, etc. Les lois du mouvement des électrons engendrent des lois de la thermodynamique et de la chimie, qui engendrent les lois de la cristallisation, qui engendrent les lois de la rigidité et de la plasticité, qui engendrent les lois des sciences de l’ingénieur. Le monde naturel est donc une hiérarchie de descendance interdépendante (…) »

    « Le tout petit groupe d’expériences qui sont d’une extrême exactitude a en physique une importance considérablement supérieure à sa taille. (…) Il y a la constante de Rydberg, le nombre qui définit la quantification des longueurs d’onde de la lumière émise par des gaz atomiques dilués et responsable de la fiabilité stupéfiante des horloges atomiques : on la connaît au cent millième de milliardième près. Autre exemple, la constante de Josephson, le nombre qui indique le rapport entre la tension qu’on applique à un type précis de « sandwich » métallique et la fréquence des ondes radio qu’il émet : on la connaît à un degré d’exactitude d’un cent millionième. Ou encore la résistance de Von Klitzing, le nombre qui indique le rapport entre le courant électrique qu’on fait passer à travers un semi-conducteur de conception spéciale et la tension induite perpendiculairement au moyen d’un aimant : on la connaît à un degré d’exactitude d’un dix milliardième. Paradoxalement, l’existence de ces expériences très reproductibles nous inspire deux points de vue incompatibles sur ce qui est fondamental. Selon le premier, cette exactitude nous fait toucher du doigt certains des éléments primitifs les plus simples dont est fait notre monde complexe et incertain. Nous disons que la vitesse de la lumière est constante parce qu’elle l’est vraiment, et parce que la lumière n’est pas constituée de composantes plus élémentaires. Avec ce mode de pensée, nous réduisons ces expériences extrêmement précises à une poignée de constantes dites « fondamentales ». L’autre point de vue, c’est que l’exactitude est un effet collectif, qui se produit en raison d’un principe d’organisation. (…) Un bel exemple d’effet collectif déguisé en effet réductionniste est la quantification des spectres atomiques. (…) Donc même la constance du spectre atomique a en réalité des origines collectives – le phénomène collectif, en l’occurrence, étant l’univers lui-même.
    Autre cas de « collectivisme », bien plus immédiat et troublant : la détermination de la charge de l’électron et de la constance de Planck par des mesures macroscopiques. La charge de l’électron est l’unité indivisible de l’électricité. La constance de Planck est la relation universelle entre le moment et la longueur qui définit la nature ondulatoire de la matière. Il s’agit de deux concepts résolument réductionnistes et, pour déterminer leur valeur, on recourt traditionnellement à de gigantesques machines qui mesurent les propriétés d’électrons individuels arrachés à des atomes. Or, il s’avère que le chiffre le plus précis ne vient pas de ces machines, mais simplement d’une combinaison des constantes de Josephson et de Von Klitzing, dont la mesure n’exige rien de plus compliqué qu’un cryoréfrigérateur et un voltmère. Cette découverte a été une immense surprise, car les échantillons sur lesquels on mesure les effets Josephson et Von Klitzing sont extrêmement imparfaits : ils regorgent d’impuretés chimiques, d’atomes déplacés et de structures atomiques complexes comme les frontières des grains et les morphologies de surface, autant de facteurs qui auraient dû perturber les mesures au niveau d’exactitude rapporté. Le fait même qu’ils ne le font pas prouve que de puissants principes d’organisation sont à l’œuvre. (…) Nous avons pris l’habitude de penser l’électron (et sa charge) comme un élément de base, un « cube de construction » de la nature, qui n’exige aucun contexte collectif pour avoir un sens. (…) L’énigme de la charge de l’électron, en fait, n’est pas unique. Toutes les constantes fondamentales exigent un contexte environnemental pour faire sens. (…) Il s’avère que les légendaires lois de Newton sont émergentes. Elles n’ont rien de fondamental, mais résultent de l’agrégation de la matière quantique en fluides et en solides macroscopiques – un phénomène organisationnel collectif. (…) Le comportement supraconducteur nous révèle, par son exactitude, que la réalité quotidienne est un phénomène d’organisation collective. (…) Les états de la matière – dont les plus connus sont le liquide, le gazeux et le solide – sont des phénomènes organisationnels. Beaucoup sont surpris de l’apprendre puisqu’ils apparaissent si fondamentaux et familiers, mais c’est la pure vérité. (…) Les états sont un cas d’émergence élémentaire et bien étudié, qui démontre de façon convaincante que la nature a des murs d’échelle : les règles microscopiques peuvent être parfaitement vraies mais sans aucune pertinence pour les phénomènes macroscopiques, car ce que nous mesurons leur est insensible ou au contraire trop sensible. (…) Enfin, nous savons que les lois élémentaires ont en principe la capacité d’engendrer des états et des transitions d’états en tant que phénomènes organisationnels. (…) L’aspect le plus stupéfiant de l’ordre cristallin, c’est qu’il reste exact quand la température monte. (…) L’exactitude du réseau sur longue distance explique la soudaineté de la fonte. (…) La forme et l’élasticité ne peuvent être perdues que sur le mode de la « catastrophe ». (…) Les transitions de la glace, fonte et sublimation, signalent la destruction de l’ordre cristallin et son remplacement par un autre ensemble de comportements exacts collectivement baptisé « hydrodynamique ». (…) L’émergence de la loi hydrodynamique aux longueurs d’onde élevées explique pourquoi l’onde de compression du son se propage universellement dans les fluides, et pourquoi la force de cisaillement d’un fluide est presque exactement de zéro. (…) le phénomène émergent qui distingue les états liquide et gazeux n’est donc pas le développement de l’ordre (…) Les états cristallins et superfluides, et les comportements exacts qui leur sont propres, sont des exemples particuliers d’une idée abstraite importante en physique, qu’on appelle la brisure de symétrie spontanée. (…) L’idée de brisure de symétrie est simple : la matière acquiert collectivement et spontanément une propriété ou une préférence qui n’existait pas dans les règles antérieures. Par exemple, lorsque des atomes s’ordonnent en cristal, ils acquièrent des positions privilégiées, mais ces positions n’avaient rien de privilégié avant la constitution du cristal. Quand un morceau de fer devient aimanté, le magnétisme choisit spontanément une direction dans laquelle il va orienter.(…) Nous disons que la matière décide « au hasard » (…) mais cette formule ne saisit pas vraiment ce qui se passe. (…)
    L’émergence des principes traditionnels de protection prend un tour intéressant quand le système se trouve à l’équilibre, à une transition d’état, car il a du mal à décider comment s’auto-organiser. Il peut alors arriver que tout soit non pertinent sauf une seule quantité caractéristique qui grandit sans limite quand la taille de l’échantillon augmente, par exemple la quantité de magnétisme dans un matériau magnétique. (…) La protection équilibrée se produit couramment dans la nature, mais moins qu’on pourrait s’y attendre, car la plupart des transitions d’état, l’évaporation de l’eau par exemple, ont une chaleur latente qui force les états à coexister. »

  • « Nous pouvons prouver, dans des cas simples, que l’organisation peut acquérir un sens et une vie bien à elle, et commencer à transcender les éléments dont elle est faite. »

    Le physicien Robert Laughlin

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