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Qui était Barta ?

mardi 1er juillet 2008, par Robert Paris

Textes de Barta

Qui a assassiné Matieu Bucholz ?

DAVID KORNER DIT BARTA

Né à Buhusi en Roumanie dans une famille de petits commerçants juifs, David Korner [19 octobre 1914-6 septembre 1976], le futur Barta (Albert ou A. Mathieu), suit le parcours de ceux des intellectuels de cette génération qui, à peine sortis de l’adolescence, se consacrent à la lutte révolutionnaire.

"Création du Traité de Versailles", dominée par le capital français, la Roumanie semi-féodale, semi-coloniale de l’entre deux guerres vivait la répression policière, l’antisémitisme, la misère et l’analphabétisme, la chasse aux communistes. Le "cordon sanitaire" l’isolait à l’est de l’URSS, mais les idées d’Octobre exerçaient une forte attraction sur l’élite intellectuelle et sur une petite minorité du prolétariat" .

En 1931-1932, vers la fin de ses études secondaires, le jeune David Korner commence à militer avec le Parti communiste roumain, à Bucarest.

Même s’il ne vit en Roumanie que jusqu’en 1936 -Barta a alors 22 ans-, ses origines et les conditions dans lesquelles il a commencé à militer ont eu, de son propre aveu, une influence sur sa formation et sur ses conceptions ultérieures : "Je suis le produit de deux pays. J’ai eu cet avantage énorme d’être né dans un pays où des révolutionnaires peuvent exister psychologiquement. Une société qui était précapitaliste à l’époque. Il y avait des rapports humains qui seuls peuvent donner à quelqu’un la détermination, une haine véritable des possédants".

En outre, l’intransigeante fidélité à l’internationalisme qui marque son action s’enracine peut-être dans le souvenir des ravages que le racisme, le nationalisme et les micro-nationalismes occasionnaient dans son pays natal.

Enfin, le fait d’être "le produit de deux pays", la Roumanie et la France -dont l’un vassalisait l’autre- a peut-être contribué à lui rendre plus naturelle la perception de la dimension internationale des événements.

Barta fait son premier séjour à Paris en novembre 1933, sous le prétexte de s’inscrire à l’université et c’est là, selon toute vraisemblance, qu’il devient trotskyste.

Pendant trois ans, de novembre 1933 à octobre 1936, date de son établissement définitif en France, son temps et son activité se partagent entre Bucarest et Paris. On ne connaît guère de son activité roumaine que ce qu’il en dit dans un rapport intitulé "Comment s’est formé le groupe B.L. de Roumanie" publié à Paris dans le Bulletin intérieur de la Ligue des Communistes Internationalistes de novembre 1935 et dans deux lettres qu’il adresse à Trotsky en 1936.

"Les conditions dans lesquelles doit militer notre groupe sont très dures : aux persécutions policières il faut ajouter celles des sociaux-démocrates et des stalinistes" écrit-il en 1935. Il précise à l’adresse de Trotsky en janvier 1936 : "Si du point de vue conspiratif nous avons une éducation parfaite, (vous l’avez vu d’après nos publications), au point de vue politique, nous avons besoin de votre aide soutenue. Sans elle, notre chemin sera extrêmement difficile, nous sommes tous des jeunes".

Elargissement de l’audience du groupe, recrutement et éducation de militants, traduction et diffusion de brochures paraissent avoir été l’essentiel de l’activité des B.L. roumains. On ne peut cependant pas ne pas être frappé au travers de ce que mentionne Barta, à la fois de son attention à l’éducation politique et de son souci des "liaisons avec des couches ouvrières" Affirmées à l’aube de son action politique, ces préoccupations imprègnent toute sa vie politique.

A Paris, Barta mène l’existence des militants révolutionnaires. Il participe aux journées de février 1934, vit la montée ouvrière qui les suit. Ces événements le marquent profondément ainsi qu’il l’écrit en 1976 (parlant de lui à la troisième personne, en réponse à une question qui appelait cette forme). Si Barta "s’est formé quant aux méthodes d’organisation, en Roumanie dans la clandestinité (1932-33), politiquement il a eu la plus grande école possible pendant une longue période avant la guerre : la lutte des travailleurs en France, anti-fasciste donc politique d’abord, en 1934 et 35, économique ensuite, de 1935 à 1939 (naturellement ces deux aspects s’entremêlent !). Il a participé directement à la lutte anti-fasciste non seulement au quartier Latin, mais aussi dans les meetings des quartiers populaires (13°, 14° et 15° arrondissements) où il lui est même arrivé de prendre la parole à côté de militants communistes et socialistes sans parler de sa participation aux immenses manifestations de masses !" .

En mai 1936, Barta est en Roumanie. Les nouvelles l’y atteignent. D’abord celles de la grève générale de juin 1936 en France. Puis, surtout, l’écho de la riposte révolutionnaire de la classe ouvrière espagnole à la tentative de coup d’Etat de Franco en juillet 1936. "On sentait l’air vibrer jusqu’à Bucarest" dit Louise. La décision de rejoindre la révolution espagnole est prise.

Au nombre des trotskystes sur le départ figure Louise, 16 ans. Née en 1920, fille d’un militant socialiste juif autrichien, elle a suivi le même parcours que Barta. Proche du PC roumain, elle rompt en août 1936, révoltée par les premiers procès de Moscou. Présentée à un militant trotskyste par une camarade de classe, elle décide aussitôt de les accompagner en Espagne. Sous le nom d’Irène, elle sera de toute l’aventure de l’Union communiste. "Sans elle notre organisation n’aurait pas existé" dit Barta.

Pourtant, en octobre 1936, date à laquelle les quatre jeunes trotskystes roumains (Barta, Louise, Marcoux et sa compagne) arrivent à Paris, Trotsky fonde des espoirs sur l’évolution de la situation en France où le mouvement trotskyste à une force relative. Les Roumains y demeurent, militant au POI, la tendance restée fidèle à Léon Trotsky après la scission provoquée par Raymond Molinier et Pierre Frank qui créent le PCI.

Malgré l’envergure de nombre de ses militants (Pierre Naville, Jean Rous, Marcel Hic, Yvan Craipeau, David Rousset), le POI souffre de ce que Trotsky appelle le "mal français", son incapacité à mener une activité organisée et suivie. Barta et Louise le ressentent.

"Autant le mouvement ouvrier français, de 1934 à 1938 m’a impressionné profondément, j’ai vu ce que ça pouvait être une révolution, autant les militants qui se réclamaient du trotskysme m’ont paru quelque chose d’absolument bizarre. Cela aboutissait à ceci, que normalement une organisation ça veut dire qu’on est dix, et ça donne cent, mille. Comme résultat ça multiplie les forces. Mais ici, c’était exactement l’inverse" déplore Barta.

Outre leur participation aux activités du POI, Barta et Louise passent des heures en bibliothèque. "Il y avait aussi la nourriture quotidienne, riche et irremplaçable, des écrits du Vieux, l’apprentissage théorique et politique, les heures consacrées à l’étude" se souvient-elle.

Malgré les conseils et les exhortations répétés de Trotsky l’organisation française ne parvient ni à s’implanter parmi les travailleurs, ni à corriger son mode de fonctionnement, ni à surmonter ses divisions. Elle demeure marginale alors que la guerre approche.

Une dernière occasion de gagner de l’influence parait s’offrir avec la création du PSOP, après que la SFIO, préparant l’Union sacrée dans ses rangs, ait, en 1938, exclu Marceau Pivert et ses camarades de la Gauche révolutionnaire. Trotsky encourage ses partisans en France à rejoindre le nouveau parti qui compte plusieurs milliers de membres et au sein duquel la tendance de Daniel Guérin défend des positions internationalistes. Ils ne le font qu’avec des mois de retard et en ordre dispersé.

Barta, associé à la direction de la fraction trotskyste du PSOP collabore à sa revue La Voie de Lénine.

Mais, sans laisser le temps à l’activité des militants trotskystes de produire ses fruits si tant est que la possibilité en ait existé, les événements se précipitent.

Le Pacte germano-soviétique est signé le 23 août, la presse communiste interdite le 26. La Pologne est attaquée le 1er septembre et la guerre déclarée le 3 septembre.

Les diverses tendances trotskystes, sans parler du PSOP, ne résistent pas au choc politique et à la répression policière puis à la mobilisation qui suivent la déclaration de guerre. Les groupes sont dispersés. Le 1er septembre 1939, à la suite d’un incident (dont Barta lui-même dit qu’il "n’était pas du tout politique" ) lors d’une réunion de leur Comité central, il coupe les ponts avec les Comités pour la IVe internationale (la fraction internationaliste du PSOP), dont les moeurs illustrent à ses yeux le manque de sérieux. La dispersion générale du mouvement trotskyste fait que la question de recontacter tel ou tel débris de l’organisation ne se pose même pas.

Coupés des trotskystes "officiels", Barta et Louise entreprennent, grâce aux liens que cette dernière a conservé avec des jeunes JSOP, la publication d’un petit journal internationaliste intitulél’Ouvrier, organe "de lutte contre le daladiérisme, la guerre et le rôle des social-démocrates dans la destruction des syndicats" selon les termes d’une lettre de Barta à Natalia Sedova en 1947. Trois numéros paraissent fin 1939 et début 1940. Si la diffusion de cette feuille est faible, elle permet à Barta une expression publique de ses conceptions politiques dont il est intéressant de remarquer la concordance avec celles de Trotsky à la même époque (alors que, depuis le début de la guerre, ses écrits ne sont pas connus en France).

Cette publication est interrompue par l’arrestation de Louise sur qui reposait l’essentiel de la diffusion du journal. Elle est emprisonnée trois mois à la Petite Roquette, en compagnie de Fanny, la future Lucienne de l’Union communiste. Toutes deux sont libérées à la veille de la débâcle.
La déroute de l’armée française de juin 1940 et l’exode ayant jeté sur les routes des millions de gens, Barta et Louise n’ont plus rien à faire dans une ville déserte. Ils traversent tout le pays, puis, l’armistice signé, ils remontent en passant par l’Isère où un cousin de Barta est médecin. Ils y retrouvent un ancien JC écoeuré par le nationalisme du PC, Jacques Ramboz, (le futur responsable légal de toutes les publications de l’UC), qu’ils avaient connu dans les Auberges de jeunesse avant la guerre. Tous trois décident de rentrer à Paris où ils sont de retour en octobre 1940.

Barta découvre les positions des trotskystes "officiels" vis-à-vis de la guerre. Pour les Comités pour la IVe Internationale, issus du POI, l’occupation militaire du pays place la France dans une situation d’oppression nationale comparable à celle des pays coloniaux et ouvre la possibilité d’alliance entre la classe ouvrière et les fractions de la bourgeoisie "pensant français". Pour d’autres, proches de l’ancien PCI moliniériste, Hitler sera peut-être l’unificateur de l’Europe. Face à ces positions, qui constituent des reniements de l’internationalisme et la négation des perspectives révolutionnaires, Barta entreprend la rédaction d’une brochure "La Lutte contre la deuxième Guerre impérialiste mondiale" , réaffirmant les positions trotskystes face à la guerre.

Même si Barta ne le sait pas encore, ce texte constitue, en même temps que le seul manifeste authentiquement internationaliste de l’époque, le véritable acte de fondation de sa tendance. Ajoutons, mais ce n’est peut-être qu’un sous-produit de sa fidélité aux analyses de Trotsky, qu’il y prédit le retournement de Hitler contre Staline et la défaite de l’Allemagne.

Le groupe comprend alors quatre militants, Barta et Louise ainsi que Jacques Ramboz et Lucienne, que Louise a retrouvée au début de l’Occupation.

Début 1941 Jacques Ramboz gagne l’un de ses anciens condisciples du lycée Michelet, Mathieu Bucholz. Il a 19 ans. La recrue s’avère de premier ordre. Pamp -son pseudonyme- choisit rapidement la vie de militant révolutionnaire professionnel et devient la cheville ouvrière du groupe. Il est le "contact" du Groupe communiste, comme il s’intitulera en 1942, avec la "résistance", contact vital pour des clandestins.

Pendant toute la guerre, il pourvoit ses camarades des faux papiers indispensables, de cartes d’étudiants pour permettre aux plus jeunes d’échapper au STO, de cartes d’alimentation, de tickets de rationnement. Bref, c’est dans une grande mesure à lui que le groupe doit sa survie physique.

D’autre part, Pamp amène quelques renforts. Celui de son frère cadet Michel, puis celui de Pierre et de Jean Bois, ses anciens camarades d’école, ex-Jeunes Communistes.

Décrivant la politique de recrutement du groupe, Jacques Ramboz écrit :
"L’isolement fait que les premiers contacts établis sont ceux d’anciens amis ou connaissances de jeunesse qui sont soigneusement observés, sondés, et ne sont "acceptés" que lorsque leur sérieux, leur capacité de travail et le choix qu’ils font de consacrer leur vie à la révolution semblent assurés. Alors commence pour eux l’étude du marxisme et des écrits de Trotsky. Cette étude se mène sous le contrôle du noyau primitif, qui contrôle également les fréquentations et "contacts" de la nouvelle recrue, avec laquelle il définit la stratégie à appliquer pour faire pénétrer en milieu communiste le besoin de réflexion et y faire assimiler ce qui alors lui paraît essentiel : la permanence de la lutte des classes, l’internationalisme et la nécessité d’une activité ouvrière autonome".

L’étude a une part prépondérante dans les activités du Groupe communiste. A la Bibliothèque nationale, que la sympathie d’employés du bureau des cartes leur permet de fréquenter, les ouvrages marxistes interdits ailleurs sont encore consultables. Barta et ses jeunes camarades y sont assidus.

La guerre continue. Début 1941, l’Allemagne hitlérienne est au zénith, dominant pratiquement toute l’Europe. Pourtant, son incapacité à débarquer en Grande-Bretagne et son échec à la briser par les bombardements aériens condamnent Hitler à se retourner contre l’URSS, comme l’avait annoncé Barta en novembre 1940 :
"Tout revers, ou même le piétinement sur place, menace de faire exploser leur machine de guerre : ils [Hitler et Mussolini] sont contraints à l’offensive permanente ; ils doivent briser coûte que coûte leur encerclement européen. Cette situation stratégique poussa autrefois Napoléon à sa campagne de Russie !" .

Le 22 juin 1941, Hitler attaque son allié de la veille, l’URSS stalinienne. La guerre bascule. Le PCF se débarrasse du langage pseudo-internationaliste qui avait été le sien depuis le pacte germano-soviétique et renoue ouvertement avec le chauvinisme.

Misant tout à la fois sur les insurrections prolétariennes dans les pays
impérialistes qui dans l’esprit des révolutionnaires de l’époque ne pouvaient manquer de naître du second conflit mondial comme elles l’avaient fait du premier (1917 en Russie, 1918 en Allemagne mais aussi en Hongrie, en Finlande puis en Italie, en France, etc.) et sur la reconquête par la classe ouvrière soviétique du pouvoir usurpé par la bureaucratie stalinienne, le Groupe communiste rédige, édite et distribue à 2 000 exemplaires un tract intitulé "Vive l’armée rouge" :
"La résistance de l’Armée rouge doit permettre aux forces révolutionnaires du monde entier d’entrer en lutte. La stratégie communiste a pour but de coordonner la lutte de l’Armée rouge avec le développement de la lutte de classes dans les pays capitalistes" .
Après les catastrophiques reculs des premiers mois, l’Armée rouge parvient, au prix de pertes énormes, à contenir l’avance allemande devant Léningrad et Moscou tandis que l’entrée en guerre des Etats-Unis et du Japon porte le conflit au "stade suprême où tous les peuples du globe sont devenus les victimes directes du carnage impérialiste" .

Dans ce contexte, le renforcement du groupe donne à Barta et à ses camarades les moyens techniques d’entreprendre la publication de La Lutte de Classes à partir d’octobre 1942.

Evoquant cette période dans une lettre à Natalia Sedova, Barta écrit :
"C’est en 1942, après avoir pu éduquer et instruire un certain nombre de jeunes camarades venant du PCF ou sans passé politique, que nous avons sorti notre journal La Lutte de Classes. Le choix du titre était déterminé par notre volonté d’opposer une propagande révolutionnaire et internationaliste au courant d’union nationale et gaulliste justifié par la lutte contre l’occupant" . "Le but de notre activité pratique était d’entrer en contact avec des ouvriers et de donner à des éléments prolétariens la possibilité de s’instruire dans l’esprit et selon les méthodes d’une formation révolutionnaire professionnelle" .

Trente-quatre numéros de cette feuille ronéotypée paraissent sous l’Occupation d’octobre 1942 à août 1944.

Là encore, le "talent d’organisateur et l’imagination inventive de Pamp" jouent un rôle décisif. Il réussit, malgré les restrictions et les interdictions, à se procurer du papier, les moyens de fabriquer de l’encre et un appareil à polycopier.

Publication d’un internationalisme sans concession, La Lutte de Classes dénonce les avatars de l’ordre européen défendus, avec la peau des peuples, par chacun des camps en présence et met systématiquement en avant le thème des Etats-Unis socialistes d’Europe, seul remède aux continuels déchirements du Vieux continent. Abordant la question par tous les angles, ceux de la stratégie des puissances impliquées dans le conflit mais aussi ceux, (parfois les plus quotidiens), du sort des opprimés elle s’efforce de renouer le fil de la tradition internationaliste rompu par la social-démocratie et le stalinisme.
Refus d’identifier l’occupation de la France à une oppression coloniale (l’Occupation n’est, finalement, qu’un sous-produit du déplacement des fronts dans le cadre du conflit mondial). Refus d’assimiler le "travailleur-soldat" allemand à ses dirigeants (et, en particulier, dénonciation du terrorisme aveugle qui aboutit à solidariser les simples soldats avec leurs officiers et, par là, renforce Hitler), La Lutte de Classes s’attache à découvrir dans chaque situation les ressorts cachés, les forces sociales à l’oeuvre et les perspectives du point de vue du prolétariat.

Analysant les effets du STO, Barta explique :
"Prendre le mouvement ouvrier européen comme un tout signifie que ce qui constitue, à un moment donné, un moins pour la classe ouvrière d’un pays peut constituer un plus pour l’ensemble du mouvement. Ainsi, la déportation en Allemagne a privé la classe ouvrière des pays occupés de ses éléments les plus jeunes et les plus actifs. En revanche, 8 millions de ces éléments transportés en Allemagne sous la pression des nécessités militaires ont créé dans ce pays une situation sans précédent pour la lutte révolutionnaire. En cas de conflit ouvert entre la bourgeoisie et le prolétariat en Allemagne, à la faveur de la crise militaire par exemple, les ouvriers déportés se retrouveront tout naturellement soudés à la lutte menée par les ouvriers allemands contre leur bourgeoisie (...) Ainsi l’union de tous les pays dans une lutte commune peut être facilitée par les mesures mêmes qui doivent l’"anéantir" .

Parallèlement à ses buts de propagande, La Lutte de Classes se livre à une activité d’agitation, dénonce la détérioration du sort de la classe ouvrière en France, mène campagne contre le STO et la dictature pétainiste.

Mais, rappelle Jacques Ramboz, "cette agitation, réduite du fait des forces du groupe, contre le STO et la guerre n’est, pendant toute la guerre, qu’un aspect secondaire de l’activité du Groupe communiste, activité qui consiste essentiellement en l’éducation marxiste des militants et de leurs liaisons, en la recherche systématique de contacts en milieu ouvrier, et en propagande dans la ligne des écrits de Trotsky, pour la création d’une IVe Internationale et la constitution des Etats-unis socialistes d’Europe" .

Le Rapport sur l’Organisation de juillet 1943 marque une étape dans le développement du Groupe communiste qui, jusqu’alors n’existait pas formellement. Il explicite ses principes organisationnels. Ils n’ont, à dire vrai, rien d’original par rapport à ceux exposés par Lénine dans Que faire ? Toute la valeur de cette courte brochure tient dans son rappel de ce qu’est réellement le centralisme démocratique léniniste dont beaucoup se réclament pour n’en retenir que le centralisme (et encore..).

Justifiant l’existence autonome de sa tendance par les moeurs petites-bourgeoises et la politique ambiguë vis-à-vis du nationalisme des autres groupes trotskystes, Barta définit ses objectifs :
"Le bolchévisme implique, avec une politique juste, un contact réel et étendu avec la classe ouvrière, la participation quotidienne à ses luttes" , la "sélection des éléments révolutionnaires" en vue de "déclencher ou précipiter un regroupement sur la base communiste de tous les militants vraiment révolutionnaires de la classe ouvrière française".

Il présente une sorte de condensé de sa morale militante :
"Ce qui caractérise le militant, c’est qu’il n’attend de son activité qu’une seule récompense, c’est la reconnaissance tôt ou tard que celle-ci a été conforme aux intérêts véritables de l’humanité. C’est pourquoi il peut résister à toutes les épreuves : s’il est relativement facile de donner sa vie d’un seul coup, il faut aussi savoir la donner peu à peu dans la lutte opiniâtre que nécessite le renversement de la bourgeoisie. Ce type d’individu n’est pas rare. Le parti dégage ce sentiment de sacrifice total, de dignité et, si l’on veut, de félicité" .

Début 1943, le cours de la guerre s’inverse. Les Alliés ont débarqué en Afrique du Nord en novembre 1942 et l’armée de Von Paulus capitule à Stalingrad (31 janvier 1943).

La situation en Italie où, à la suite du débarquement allié en Sicile de juillet 1943, grèves et émeutes ouvrières ont chassé Mussolini et ouvert les prisons, fait dire à Barta, dans un rapport du début août 1943 :
"Les événements qui ont lieu en Italie ne sont pas la révolution prolétarienne, mais c’est le début de la révolution".

Mais, les Alliés réussissent à juguler la montée ouvrière. Les Anglo-américains chargent Staline de désorienter le mouvement ouvrier italien en pleine renaissance en reconnaissant le premier le gouvernement de Badoglio, (fidèle de Mussolini fraîchement reconverti à l’anti-fascisme). Ils utilisent d’autre part leur maîtrise des opérations militaires pour briser la population et se livrent à des bombardements terroristes systématiques des villes italiennes, (préfiguration de ceux qui frapperont massivement l’Allemagne avec les mêmes objectifs).

Pourtant, rien n’est assuré :
"L’Europe est un immense dépôt de poudre où il suffit d’une étincelle révolutionnaire sur n’importe quel point du continent pour que la révolution prolétarienne s’étende aux endroits les plus favorables à cette lutte"écrit Barta.

Face aux échéances ouvertes par l’ouverture annoncée d’un second front à l’ouest, le CCI et le POI, les deux principales organisations trotskystes françaises entament les pourparlers qui aboutissent en février 1944 à leur unification au sein du PCI.

La proposition qu’ils adressent, en décembre 1943, au groupe Lutte de Classes de les rejoindre donne lieu à un échange de correspondance et à la rédaction par Barta d’un deuxième Cahiers du Militant.

Le premier de ces Cahiers, rédigé en décembre 1942, avait déjà été consacré à l’analyse de la politique du POI et à la confusion entretenue par sa formule des "Comités de vigilance nationale" avec des bourgeois "pensant français". "Le bourgeois ne pense ni "français", ni "allemand", ni "anglais", etc. ; le bourgeois pense marché" réplique-t-il en montrant que, loin d’être "transformée en semi-colonie", la France demeure une puissance impérialiste "qui n’a pas cessé un seul instant d’exploiter non seulement la France, mais encore les quatre coins du monde" .

L’échange de correspondance avec le Comité d’unification POI-CCI, fin 1943-début 1944, conduit Barta à préciser ses critiques. Il tire le bilan de son expérience du POI (1933-1939) :
"Les milieux de recrutement, les méthodes organisationnelles, politiques et d’éducation ne pouvaient et n’ont pu faire sortir les "B.L." de France de l’état de groupes politiques d’essence petite-bourgeoise et de ce fait, malgré toute une série d’événements exceptionnellement favorables (...) dans les années qui ont précédé la guerre, celle-ci a provoqué l’effondrement des organisations de la IVe, et après quatre ans de guerre, rien ne laisse voir effectivement qu’un changement véritable se soit produit".

S’il reconnait, dans le second Cahiers du Militant (15 février 1944) que "formellement, l’attitude du POI" a changé, il dénonce le tour de passe-passe des participants à la réunification s’absolvant mutuellement de leurs errements du début de la guerre :
"Un parti qui se réclame de l’internationalisme n’est garanti contre les errements social-patriotiques que s’il découvre, par une critique inexorable, les sources mêmes de ses erreurs passées" .

Il est hors de question dans ces conditions que le groupe Lutte de Classes rejoigne le nouveau PCI.

Les ponts ne sont pourtant pas rompus et, tout au long de son existence, l’Union Communiste s’adressera aux militants trotskystes dans l’espoir de favoriser le regroupement des révolutionnaires sur les bases politiques et organisationnelles qu’elle estime saines.

Le début de l’année 1944 est dominé par la perspective du débarquement.

"On attend plus que le signale pour que les prolétaraires d’Europe, d’Amérique et les soldats amenés des quatres coins du globe s’empoignent dans une dernière étreinte mortelle. La raison humaine vacille quand elle tâche de saisir l’immensité du crime, l’horreur des convulsions qui se préparent !"

La Lutte de Classes qui écrit cela le 31 décembre 1943 rappelle
"La tâche historique du prolétariat d’Europe est de bâtir les Etats-Unis socialistes d’Europe et non de tracer avec leur sang des frontières pour les capitalistes. 1944 doit sonner le glas du capitalisme en Europe et dans le monde".

Le 6 juin 1944, devant le nouvelle tournure prise par la guerre, dans une circulaire destinée aux militants, Barta écrit :
"Avec l’invasion des forces impérialistes anglo-américaines à l’Ouest, nous entrons dans une période au cours de laquelle la bourgeoisie tentera par tous les moyens, bombardements, paniques, chômage, famine, de disperser à nouveau la classe ouvrière et de la démoraliser complètement afin de pouvoir liquider la guerre sans danger révolutionnaire"

Si, du fait de leur importance numérique et de leurs traditions, les classes ouvrières des trois principaux pays d’Europe continentale subissant le conflit (Italie, Allemagne et France) représentent le danger principal aux yeux de l’impérialisme, les Alliés manifestent la plus grande vigilance sur tous les fronts. Ils savent que, même allumé dans une région périphérique, (Balkans, Pays-Bas, Belgique, etc...), l’incendie révolutionnaire pourrait s’étendre à tout le continent dans le contexte de misère généralisée et le brassage général des populations.

En Italie, la conjugaison des bombardements alliés et de la répression fasciste ainsi que la politique des partis social-démocrate et stalinien ont, pour l’heure, contenu l’offensive ouvrière.
En Allemagne, le 20 juillet 1944, des officiers tentent d’assassiner Hitler. Barta ne s’y trompe pas :
"Les généraux de la Wehrmacht ont voulu se débarrasser de Hitler, de même qu’en Italie le roi et Badoglio s’étaient débarrassé de Mussolini pour se sauver eux-mêmes et sauver le régime capitaliste de la vague populaire qui montait".

Le coup d’Etat ayant échoué, les officiers sont exécutés par centaines.
"La révolte des généraux contre Hitler, c’est le coup de tonnerre qui avertit le peuple allemand et les soldats qui se battent sur tous les fronts, qu’il n’y a plus aucun espoir, ni chez Hitler, ni chez les généraux, que ce soit pour la guerre ou pour la paix ; C’EST LE SIGNAL POUR LES MASSES DE SE SAUVER ELLES-MEMES" analyse-t-il.

Mais, écrasée sous les tapis de bombes, la population allemande est menacée de toute part des pires "punitions". C’est l’acculer à la guerre et la condamner à "se défendre et nous suivre jusqu’au bout" comme l’y invite Goebbels. "Quand le peuple allemand n’entend nulle part une voix anti-impérialiste" s’indigne La Lutte de Classes, "quand, au contraire de prétendus communistes ont pris comme devise suprême "Mort aux Boches", cela ne fait-il pas le jeu de Goebbels ?".

De fait, la classe ouvrière allemande courbe l’échine, subit jusqu’au bout le joug hitlérien et se prépare à ployer sous celui des vainqueurs.
En France, le risque de l’effondrement de l’Etat est réel. Après cinq années de guerre, quatre années d’occupation et de pétainisme, l’armée est très amoindrie et divisée, la police unanimement haïe, la justice méprisée. Le problème est si réel que les Etats-Unis ont prévu l’administration militaire directe du pays.

Grâce au Parti communiste, De Gaulle réussit pourtant à restituer à l’Etat les apparences de la légitimité. Barta en tire la leçon le 2 septembre 1944 :
"Ainsi l’effort des ouvriers pour s’arracher au bâillon de l’Etat bourgeois n’a abouti une fois de plus qu’à tirer les marrons du feu pour leur ennemi, la bourgeoisie. La police qui, pendant cinq ans avait martyrisé la classe ouvrière redore son blason à l’avant-garde de "l’insurrection nationale". L’armée permanente impérialiste de la bourgeoisie française qui s’était brisée dans les événements se reconstitue par un nouvel afflux de chair à canon : les travailleurs dupés. Les "compétences", c’est-à-dire la haute bureaucratie qui a organisé savamment la famine pour les masses et le marché noir pour la bourgeoisie, reste en place sous prétexte d’organiser le ravitaillement.
Comment cela fut possible ? Cette tromperie nouvelle fut possible parce qu’à la rescousse de la bourgeoisie volèrent les social-patriotes, notamment les "communistes".

Mis au service de la bourgeoisie par son maître Staline, le PCF lui apporte son savoir-faire : le dévoiement de l’énergie de la classe ouvrière, la prostitution des idéaux communistes et l’assassinat de militants révolutionnaires.

Pendant l’occupation un certain nombre de militants communistes se sont trouvés livrés à eux-même. Le petit groupe trotskyste, qui avait noué des contacts avec certains d’entre eux, publie plusieurs tracts s’adressant à la conscience révolutionnaire de ces ouvriers et signés "Un groupe de communistes" . Ces contacts avec des militants communistes se multiplient.

En septembre la direction du Parti communiste reprend le contrôle de ses troupes et, sentant le danger, traque plus que jamais les trotskystes. Chacun de leur côté, Pierre et Jean Bois sont "arrêtés" par des FTP. La chance aidant, ils s’échappent.

Mathieu Bucholz est, lui-aussi, "arrêté" au cours d’une réunion avec des jeunes communistes. Torturé, il est ensuite assassiné comme l’avaient été, avant lui, d’autres militants internationalistes dont le dirigeant trotskyste italien Pietro Tresso (Blasco) disparu dans un maquis stalinien en 1944. Le corps de Mathieu Bucholz est retrouvé dans la Seine. La police refuse de mener une enquête.

La collaboration du PCF et la participation des ministres communistes au renforcement de l’Etat et de l’ordre bourgeois présentent l’incomparable avantage pour la bourgeoisie de museler à peu près pacifiquement la classe ouvrière en une circonstance où le recours à la manière forte ne lui laisserait peut-être pas le dernier mot.

Le désarmement des Milices patriotiques est, à ses yeux, une urgence. Elles sont, en effet, explique La Lutte de Classes, "composées en majorité d’ouvriers, d’exploités qui bien que prisonniers de la politique d’union sacrée des social-patriotes, aspirent quand même à l’abolition de l’injustice et de l’inégalité". Or, l’Etat bourgeois "ne peut tolérer aucune force armée qui soit indépendante de lui, sauf les groupements directement aux ordres de la bourgeoisie (fascistes, briseurs de grèves, gardes du corps, etc,)". La décision de De Gaulle d’incorporer les Milices patriotiques aux forces régulières provoque un réel mécontentement mais, cautionnée par Thorez à son retour de Moscou ("un seul Etat, une seule armée, une seule police"), elle est appliquée.

En Belgique, où la bourgeoisie rencontre des difficultés analogues, les Alliés recourent aux fusillades en novembre 1944 pour obtenir le désarmement des milices.

La Grèce, bien que pratiquement libérée de l’occupation allemande par la guérilla animée par les staliniens, a été placée dans l’orbite britannique. Face aux manifestations populaires, "n’hésitez pas à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise où se développe une rébellion" câble Churchill au général Scobie. La guerre civile durera jusqu’en 1949 mais le partage du monde entre Grands sera respecté.
Se fondant sur les maigres informations qui filtrent, La Lutte de Classes analyse la situation dans les régions placées sous l’autorité soviétique :
"Comme c’était à prévoir, l’apparition de l’Armée rouge sur les frontières des Etats que le traité de Versailles avait créés pour former un rempart de sécurité contre la révolution prolétarienne, a exaspéré la tension et les luttes entre exploiteurs et exploités dans l’Est de l’Europe et les Balkans. (...) Devant l’assurance nouvelle des exploités, la bourgeoisie des Balkans et de l’Est tremble pour sa domination. Mais elle trouve des alliés non seulement du côté de l’impérialisme anglo-américain, mais aussi du côté des dirigeants soviétiques, CE QUI EST BEAUCOUP PLUS GRAVE".

Dans un Rapport d’organisation Barta est plus explicite encore :
"Croire d’une façon puérile que l’Armée rouge n’acceptera pas n’importe quelle tâche de la part de la bureaucratie, c’est se faire des idées fausses. (...) La propagande internationaliste pour désagréger l’Armée rouge est plus facile que vis-à-vis de l’armée impérialiste, mais la révolution prolétarienne ne pourra pas se dispenser de conquérir l’Armée rouge" .

L’Union communiste tire la conséquence de l’attitude de Staline en février 1945 en réclamant son retrait de Pologne :
"La IVe Internationale soutient le droit du peuple polonais à disposer de lui-même non seulement contre les impérialistes de Berlin et de Londres, mais aussi vis-à-vis de la bureaucratie soviétique".

En mars 1949, Barta en tirera les conclusions :
"Nous avons abandonné (la position traditionnelle de défense de l’URSS) au moment où en avançant hors du territoire de l’URSS, la bureaucratie a inauguré une politique de pillage dans les pays occupés ; c’est en 1944, en exigeant le retrait de toutes les troupes d’occupation que nous avons marqué la rupture avec la défense de l’URSS" .

L’Allemagne vaincue, les hostilités continuent en Asie. Même si son sort est scellé, le Japon poursuit la guerre faute de pouvoir faire la paix sans mettre en mouvement des forces sociales explosives.

"Après avoir engagé le peuple dans une aventure où il eut à supporter toutes les conséquences des appétits de conquêtes des capitalistes, les dirigeants japonais devaient trouver une raison "imprévisible" à leur défaite, pour sauver leur domination de classe. Ce souci (...) était partagé dans une égale mesure par les capitalistes alliés. (...) Ce fut la bombe atomique, "intervention divine", qui servit d’excuse aux dirigeants japonais vis-à-vis de leur peuple".

Planche de salut de la bourgeoisie japonaise, la bombe atomique constitue en même temps une démonstration de puissance face à l’URSS et, sur un autre plan, face aux opprimés du monde entier.
Ainsi, les impérialismes des deux camps, la bureaucratie soviétique et les partis sociaux-démocrates et staliniens sont parvenus à conjurer la montée révolutionnaire redoutée.

"Le prolétariat d’Europe, malgré ses années de luttes et d’expériences, a été devancé par la bourgeoisie dans ce combat. La catastrophe du continent a été consommée. Une des forces essentielles de la lutte socialiste en Europe, le prolétariat allemand, a été enseveli sous les ruines causées par la bourgeoisie".

Pourtant, poursuit Barta au lendemain de la reddition allemande,
"Malgré les terribles ravages et le recul de la civilisation, il reste au prolétariat assez de forces vives capables de prendre le dessus" .

L’illusion d’un retour rapide à la normale est vite dissipée. En effet, partout en Europe la classe ouvrière, endurcie par les épreuves, est misérable, souffrant du rationnement alimentaire, travaillant des semaines de soixante heures, manquant de vêtements, de chauffage, de logements.

Barta a plusieurs fois rappelé les analyses de la situation nationale et internationale sur lesquelles l’UC se fondait alors.
"Nous pensions" écrit-il en 1972, "que le principal danger était l’instauration d’un pouvoir fort gaulliste, (...) nous espérions que la lutte anticolonialiste jouerait un rôle décisif dans la chute du capitalisme mondial, (...) nous étions convaincus que, sans révolution socialiste, une troisième guerre mondiale était inévitable à plus ou moins bref délai".

Il insiste en 1976,
"La révolution avant la fin de la deuxième guerre mondiale et encore jusqu’à la fin de la guerre de Corée (parce que jusqu’à la fin de la guerre de Corée nous ne savions pas si nous allions déboucher sur une troisième guerre mondiale ou pas), la révolution était une question de vie ou de mort, immédiatement. Et il y avait, ou progression révolutionnaire, ou recul vers le fascisme jusqu’à la guerre" .

L’action de l’UC de 1944 à 1950 s’inscrit dans cette perspective.
Début 1945, l’autorité de l’Etat rétablie avec la caution du Parti communiste, le débat sur les futures institutions de la IVe République s’ouvre. Au-delà des péripéties politiciennes qui l’émaillent, c’est en réalité la nature même du régime qui est en question. De Gaulle, le chef du gouvernement provisoire, prétend au "pouvoir fort". Les partis de gauche, prisonniers volontaires du mythe de "sauveur" qu’ils lui ont forgé ne s’émeuvent que dès lors que De Gaulle souhaite réduire les prérogatives du Parlement en recourant aux "referendum-pétainistes". "Sous le prétexte d’une "constitution", De Gaulle s’exerce au coup d’Etat" prévient La Lutte de Classes.

A l’extérieur, la bourgeoisie rencontre des difficultés à reprendre en main ses colonies.

En dévoilant la faiblesse des vieilles puissances coloniales, la guerre a donné un coup de fouet aux aspirations nationales. La Lutte de Classes se fait l’écho de la situation dans les colonies, aussi largement que les informations le permettent. Ainsi le numéro du 18 janvier 1945 consacre-t-il un long article au sort des peuples d’Afrique du Nord , et celui du 8 mai un autre à la situation de ceux d’Indochine.
L’organe de l’UC affirme sa solidarité aux dizaines de milliers de victimes de la répression coloniale du 8 mai 1945 à Sétif et à Guelma . En Afrique du Nord, comme en 1947 à Madagascar les officiers français manifestent une ardeur qu’on ne leur connaissait pas en juin 1940.
"Avec une férocité toute capitaliste, la répression s’est abattue sur les masses nord-africaines et a transformé le pays en un vaste Oradour-sur-Glane" écrit Barta qui fustige la complicité du PCF : l’Humanité "demande au gouvernement de "punir comme ils le méritent les chefs pseudo-nationalistes".

La dénonciation des exactions colonialistes et le soutien aux peuples opprimés ne sont pas seulement un élémentaire devoir de solidarité. Pour Barta et ses camarades, la révolte des colonisés appartient au processus même de l’affranchissement de l’humanité :
"Dans le réveil des peuples coloniaux, nous saluons l’aube de la révolution prolétarienne mondiale triomphante".

La Lutte de Classes fait paraître de nombreux articles consacrés à la situation dans les colonies ou reproduit les textes de militants anti-colonialistes tel celui signé "Les Tirailleurs Indochinois en France" s’élevant contre la "répression coloniale".

Les tensions entre impérialismes rivaux resurgissent (conflit franco-britannique en Syrie par exemple), les fissures entre les grandes puissances, alliés de la veille, se font jour.

Dès février 1945, au lendemain de Yalta où les trois "Grands" (Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne) entérinent leur partage du monde et s’efforcent de préserver les apparences de l’unité, La Lutte de Classes avertit :

"Cette union est tellement chancelante, que chacun des trois tient en réserve un système d’alliances avec des moyennes et des petites puissances, système qui, en cas de conflit entre les trois, divisera automatiquement le monde en blocs antagonistes" .
En effet, si les impérialismes anglais et américain ont bien atteint leurs buts de guerre en brisant l’Allemagne et le Japon, la question soviétique reste pendante. Les projets caressés par Churchill de poursuite de la guerre contre l’URSS ont dû être abandonnés : leur réalisation aurait conduit tout droit à l’explosion révolutionnaire que les Alliés n’ont évitée qu’avec l’appui de Staline. Mais dans les mois qui suivent les alliances se lézardent et le spectre d’une troisième guerre mondiale se précise.
La reconstruction exige de remettre la classe ouvrière au travail. Pour la bourgeoisie, la reconquête de ses marchés, de son influence future, de ses possessions coloniales, en dépend. Il faut mobiliser et produire, vite et beaucoup. C’est-à-dire, pressurer la classe ouvrière.
Le Parti communiste y prête la main, avec ardeur. Avec l’aval de Staline, il met son influence sur la CGT et à travers elle sur la classe ouvrière, au service de la bourgeoisie. Quelques "Grands chefs" communistes deviennent ministres. Dans les usines, les délégués et les petits bureaucrates se font petits chefs, nouvelle maîtrise qui dépasse l’ancienne par son arrogance et son zèle productif. "Produire d’abord, revendiquer ensuite" devient son maître mot.

Pour la première fois d’une façon aussi cynique le PCF se range ouvertement au côté de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Pour la première fois chaque ouvrier peut en faire l’expérience, quotidiennement, des mois durant. Situation difficile pour les travailleurs. Mais aussi, situation riche de possibilités.

"Ce qui fait notre force," affirme Barta en juillet 1945, dans une Lettre ouverte aux militants et sympathisants du PCI, "c’est notre politique énergique de défense des intérêts des masses, poursuivie sans hésitation et sans équivoque".

Au-delà de son but immédiat (défendre la politique de l’UC devant les membres du PCI), cette Lettre ouverte présente le programme d’action de l’UC. "Là se résument tous les problèmes de notre travail. Comment faire bien comprendre la situation à une centaine d’ouvriers, les gagner corps et âme à la politique révolutionnaire, en faire des cadres de la classe ouvrière et du trotskysme ; c’est par eux que nous pourrons apparaître aux masses comme leurs seuls défenseurs, dans ce monde où elles n’ont que des ennemis" .

Sur cette base, l’UC développe son activité de propagande, d’agitation et d’implantation dans la classe ouvrière. Depuis la "Libération", un certain nombre de jeunes sont venus renforcer le groupe, qui doit, à ce moment-là, compter une vingtaine de membres, et, surtout "les liaisons ouvrières s’étaient accrues" .

L’UC réédite des brochures comme celle d’André Marty "On croit se battre pour la patrie... on meurt pour les industriels et les banquiers" qui dénonçait, en 1926, la guerre coloniale du Rif ou "La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer" de Lénine (en octobre 1945), proposition d’un plan ouvrier de reconstruction.

Pour n’avoir pas à arguer des faits de "résistance" (exigés pour obtenir l’autorisation de parution et du papier), comme Barta reproche au PCI d’accepter de le faire, La Lutte de Classes continue de paraître illégalement. Une modeste imprimerie clandestine a été installée en banlieue, les caractères sont fournis par un ouvrier de l’Imprimerie nationale.

Mais, en décembre 1945, le développement de l’activité militante permet la publication d’une adresse, impasse du Rouet, dans le XIVe. Ce local devient une permanence pour les cercles d’éducation et les réunions de travail.

L’UC publie des tracts signés "Un groupe d’ouvriers" dans les entreprises où elle a des militants ou des contacts, à la Thomson, au LMT, chez Citroën, à Levallois, à Clichy et à Grenelle, chez Gnome et Rhône, adressés aux travailleurs de la radio, à ceux des ascenseurs, etc. Les conditions de travail, les salaires, l’attitude de la maîtrise, le gouvernement et le patronat y sont dénoncés mais aussi les staliniens qui poussent à la production.

L’accueil favorable réservé à ces feuilles montre que l’opposition sans concession au gouvernement et au PC correspond à une volonté des ouvriers.

Au cours de l’année 1945, apparait sur les tracts la signature "Opposition syndicale Lutte de classes" et, en octobre 1945 sort "La Voix des Travailleurs, Bulletin inter-usines de l’Opposition syndicale Lutte de Classes-CGT". L’éditorial définit ses buts : "éduquer de nouveaux cadres et [...] permettre la coordination de leur travail". Elle "se propose d’être le porte-parole des ouvriers". "Il faut briser la barrière de silence qui entoure actuellement les abominables conditions de travail de la classe ouvrière. Nous demandons aux ouvriers de nous signaler de partout ces conditions. La Voix des Travailleurs les exposera et mènera campagne contre les abus capitalistes" . Douze numéros paraissent, d’octobre 1945 à avril 1946.

Ce journal trouve une incontestable sympathie parmi les ouvriers. A côté des articles affirmant la solidarité internationale des travailleurs et rendant compte des luttes ouvrières à l’étranger et de ceux défendant les revendications (augmentation des salaires, échelle mobile, diminution de la durée du travail, le contrôle ouvrier sur la production et le ravitaillement, etc), la multiplicité des échos d’entreprises, dénonçant les faits, petits et grands de l’exploitation et la morgue des bureaucrates, témoigne de la sympathie des travailleurs.

Dressé depuis des années à la chasse aux trotskystes, et décidé plus que jamais à empêcher la constitution d’une opposition sur sa gauche au moment où il assume directement la responsabilité d’une politique anti-ouvrière, le PCF réagit violemment. A partir de l’automne 1945, les bagarres sont fréquentes aux portes des entreprises où l’Union communiste veut imposer la liberté d’expression.

La disproportion des forces est en apparence écrasante. Mais les chiffres ne disent pas tout, comme l’explique Barta, à propos d’une vente devant Gnome et Rhône, boulevard Kellerman, à Paris (devenue par la suite la SNECMA) :
"Des camarades ont fait la remarque que le rapport des forces était en notre défaveur, étant donné que la cellule stalinienne Gnome et Rhône a six cents membres. Une telle façon de poser la question n’est pas juste. 1°) Les camarades connaissent le mode de recrutement de ce parti parlementaire. 2°) Tous les ouvriers adhérents au PCF s’ils ont des sentiments communistes sont loin d’être tous staliniens. (...) Si on pouvait dénombrer les staliniens de G.R., on en trouverait une trentaine" .
De fait,
"A la vente, la bagarre éclate, mais les ouvriers prennent notre défense".
Même si l’indignation des travailleurs ne va pas jusqu’à intervenir physiquement, leur désapprobation freine les staliniens. Le PCI, par contre, loin de marquer la moindre solidarité, condamne catégoriquement l’attitude de l’UC où il ne voit que provocation.

Mais la sympathie recueillie par La Voix des Travailleurs ne débouche que peu sur un soutien actif. Dans sa manière directe, sans mépris mais sans concession, Barta l’exprime le 30 avril 1946 :
"L’effort matériel des ouvriers qui approuvent La Voix des Travailleurs est de beaucoup en retard sur la sympathie qu’ils lui manifestent. (...) [Ils] n’ont pas eu suffisamment conscience des difficultés qu’un tel journal avait à vaincre. Devant en assumer nous-mêmes toutes les charges, il s’est créé un déséquilibre dangereux au détriment de notre organe politique" .

Assurer l’édition de deux journaux est au-dessus des seules forces de l’UC. Or, et c’est indispensable aux yeux de Barta, La Lutte de Classes, l’organe politique du groupe, doit continuer sa parution. La Voix des Travailleurs disparaît comme organe autonome et son contenu parait au verso de La Lutte de Classes.

Le "déséquilibre" souligné par Barta entre l’écho favorable recueilli auprès des ouvriers et leur soutien concret a d’autres conséquences que ces difficultés matérielles qui conduisent à la suppression de la La Voix des Travailleurs, il entraîne une scission en 1946. Quelques militants et sympathisants, menés par Goupi, un militant de chez Renault, s’élèvent "contre cette priorité accordée à un travail qu’ils estiment sans but clair et dont les résultats tangibles tardent à apparaître" . Ils voulaient, écrit Barta "revenir en arrière, à l’époque où notre principale activité était des réunions de groupes étudiant la Révolution".

Tandis que sur la scène internationale les antagonismes entre les deux blocs en voie de constitution s’aiguisent, l’année 1946 est marquée par l’échec des tentatives de conciliation de Ho-Chi-Minh qui multiplie les concessions à l’impérialisme français sans parvenir à le satisfaire jamais. Au bout du compte, les armes parlent. Le 23 novembre 1946, l’Amiral d’Argenlieu fait bombarder Haïphong à l’artillerie de marine, tuant plusieurs milliers de civils et donnant le coup d’envoi de la guerre d’Indochine.

Le soutien de l’UC à la lutte des peuples coloniaux trouve à s’exprimer d’une façon plus concrète. Une trentaine de milliers de Vietnamiens ont été déportés en France en 1939 pour remplacer des ouvriers mobilisés. A la fin de la guerre, ils ont été parqués dans des camps, avec les rescapés des Tirailleurs Indochinois. Leur refus de s’enrôler dans le corps expéditionnaire français en Indochine et de travailler à la production d’armement suscite de fréquents et violents incidents. Ils ont élu des délégués parmi lesquels des trotskystes proches du groupe révolutionnaire vietnamien La Lutte. Entrée en contact avec eux par l’intermédiaire d’un déserteur de ces camps travaillant chez Citroën, l’Union communiste apporte son aide aux Indochinois, participant à des réunions, tirant des tracts ou diffusant leurs communiqués. Les listes de souscription publient à plusieurs reprises les sommes versées par des Indochinois à La Lutte de Classes.

En France la rupture entre De Gaulle et ceux qu’il nomme avec mépris "les partis" est consommée. Il démissionne le 20 janvier 1946.
"La preuve est donc faite que la crise mortelle du capitalisme français ne peut être maîtrisée par "l’unanimité nationale"de tous les Partis autour d’un "arbitre" au-dessus d’eux écrit La Lutte de Classes qui prédit : "Maintenant qu’il n’est plus au gouvernement, De Gaulle veut utiliser la situation catastrophique, résultat de sa propre politique dans le but de discréditer le régime des Partis, en faveur d’un s’imposant à tous par la force".

Rapprochant le discours de De Gaulle appelant à "un Etat fort" à Bayeux le 16 juin 1946 du sac du siège du PCF par des gaullistes deux jours plus tard, Barta montre la nécessité d’une riposte.
"Cette riposte, ce n’est pas la grève d’une heure et une manifestation symbolique" auxquelles le PC a appelé, "c’est la GREVE GENERALE ayant pour objectifs : 1) Le salaire minimum vital, l’échelle mobile et le contrôle ouvrier. 2) Le désarmement des bandes fascistes par les piquets de grève et l’armement des travailleurs. 3) La rupture de la collaboration des partis se réclamant de la classe ouvrière avec les partis bourgeois, et la formation d’un pouvoir à la fois fort et démocratique, parce qu’appuyé sur l’activité et le contrôle direct des millions de travailleurs organisés dans leurs partis, leurs syndicats, le gouvernement ouvrier et paysan" .

Fin 1945 éclatent les premières grandes grèves de l’après-guerre qui témoignent de la montée de la combativité ouvrière. En janvier 1946 la grève des rotativistes traités de "privilégiés" par le PCF a un fort retentissement. D’autres mouvements suivent, en particulier, en juillet la grève des PTT. "Le résultat que les postiers ont obtenu, ils pouvaient l’avoir sans grève" dit Frachon le dirigeant de la fraction stalinienne de la CGT.

"La grève n’est pas une arme dont on use à tort et à travers" poursuit-il, "Il est des gens qui sont pris d’une subite et violente passion de retour d’âge pour la grève (...) Nous demandons à nos militants de faire échec à toutes les tentatives des excitateurs pour qui les revendications ne sont qu’un prétexte" .

Comme il le rappelera dans la Mise au point de 1972, Barta, analyse la situation en terme de crise :
"L’histoire à cette époque-là faisait de la révolution une question de vie ou de mort non seulement pour l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine, mais aussi pour toute l’Europe y compris occidentale, où la situation de l’écrasante majorité des travailleurs était misérable et sans espoir" .
Au moyen de ses tracts comme au travers de La Lutte de Classes et de ses militants dans les entreprises, l’Union communiste explique inlassablement aux ouvriers la nécessité de la grève générale pour défendre "leur droit à la vie".

La recherche de l’efficacité dans l’action conduit l’organisation à opérer un regroupement de militants chez Renault.

"La grève fut préparée de longs mois à l’avance, par le travail d’un petit nombre de militants ouvriers groupés autour du journal La Lutte de Classes" dira Barta un an après le conflit des usines Renault.
Au début 1947, le mécontentement ouvrier cherche à s’exprimer. Chez Renault, des débrayages se produisent : dans l’Ile Seguin, à l’Entretien, au Modelage-Fonderie, à l’Artillerie, ainsi qu’à la Trempe et dans le secteur Collas où travaille Pierre Bois. Depuis février paraît La Voix des Travailleurs de chez Renault. Une petite équipe s’est constituée qui organise des réunions qui rassemblent bientôt quelques dizaines de travailleurs et de militants et fait circuler des pétitions contre la mauvaise répartition des primes au rendement. Même s’ils n’osent pas le dire à haute voix, le contenu de cette agitation, comme antérieurement celui des tracts signés "Un groupe d’ouvriers", correspond à ce que souhaitent les travailleurs. "Quand les camarades de l’UC ont pu se montrer au grand jour, un ouvrier de la fonderie, ancien communiste, a raconté que ne sachant à qui s’adresser, il avait recopié lui-même à la main, en sept exemplaires, un de ces tracts signés qu’il approuvait entièrement" .

En mars dans le secteur Collas, un premier débrayage a lieu. Près de la moitié des 1200 travailleurs débrayent mais "les délégués, qui étaient en réunion et qui ont appris la chose, reviennent en hâte, remettent les moteurs en route et engagent leur campagne de dénigrement, de démoralisation et de calomnies" . Cet échec ne décourage pas les ouvriers. Des pétitions réclamant 10 francs d’augmentation sur le taux de base (et non sous forme de prime) recueillent de nombreuses signatures. Le 17 avril, au cours d’une assemblée, la revendication des 10 francs d’augmentation sur le taux de base est adoptée et un Comité de grève élu. Il est chargé de déposer cette revendication auprès de la direction qui ne répond pas. Un nouveau meeting se tient le mercredi 23. Pierre Bois prévient les quelques 700 travailleurs présents :
"Il ne sera plus question de jouer de l’accordéon ou de rester les bras croisés à attendre que ça tombe, mais il faudra s’organiser pour faire connaître le mouvement dans toutes les usines, faire des piquets de grève et défendre les issues de l’usine au besoin. (...) Quant aux "lacrymogènes" de la police, pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la gueule et on n’a rien dit. (...) Et aujourd’hui, nous n’aurions pas la force et le courage d’en faire au moins une infime partie pour nous ? Appuyant ces paroles de cris bruyants, les ouvriers marquaient leur approbation" .

Malgré l’opposition des responsables syndicaux, la grève "dans les délais les plus courts" est massivement votée et la confiance au Comité de grève renouvelée.

Après s’être renseigné sur l’état des stocks de pièces (le secteur Collas produit, entre autres, les pignons) les onze membres du Comité décident la grève pour le vendredi 25 avril, lendemain de la paye et aussi des élections à la Sécurité Sociale qu’ils ne veulent pas être accusés d’entraver.
Le vendredi 25 au matin, un piquet secrètement constitué la veille, distribue l’"ordre de grève", signé de chacun des membres du Comité et rappelant les revendications, 10 francs d’augmentation et le paiement des heures de grève. L’électricité est coupée, les transformateurs gardés.

"Le mouvement était donc parti. Mais le plus difficile restait à faire. Personne n’avait la naïveté de croire qu’une augmentation de 10 francs sur le salaire de base et le paiement des heures de grève pouvaient être obtenus par douze cents grévistes ! (...) Pour renverser la vapeur, pour mettre un frein à la rapacité capitaliste, il fallait, comme en juin 1936, une action gréviste de la majorité de la classe ouvrière" .

Dès le démarrage de la grève, ceux de Collas se répandent dans l’usine pour tenter de rallier les autres secteurs. "Les moteurs s’arrêtent ; les délégués syndicaux les remettent en route" . Plaisance, secrétaire de la CGT, accuse : "Ce matin, une bande d’anarcho-hitléro-trotskystes a voulu faire sauter l’usine" . Il prétendra par la suite que "faire sauter l’usine" signifiait dans son esprit la mettre en grève... Le vendredi soir, la grève est installée à Collas mais elle ne s’est pratiquement pas étendue.
Un tract des ouvriers du secteur Collas appelle à un meeting de toute l’usine le lundi 28 avril. Les staliniens y ont amené trois voitures sono. Pas de chance, les Jeunesses socialistes (en voie de rupture avec la SFIO) en prêtent une, plus puissante, aux grévistes. Le soir, malgré les incidents provoqués par les staliniens, 10 000 ouvriers (sur 30 000) sont en grève et 12 000 le lendemain matin. Pour tenter de récupérer le mouvement la CGT appelle à une heure de grève (sur ses revendications) le 29 avril de 11 à 12 heures. L’usine débraye massivement mais, à midi, le travail ne reprend pas. La grève est générale à Billancourt. Le Comité de grève Collas est submergé. Un Comité Central de Grève de 105 membres est constitué mais, dit Barta en 1948, "les ouvriers qui viennent représentent leur propre bonne volonté mais n’ont pas d’appui sérieux parmi leurs camarades d’atelier" .
Les commandos cégétistes multiplient les incidents et, le 30 avril au soir, en prévision du défilé du 1er mai où le PC redoute l’intervention de grévistes, se présentent à plusieurs centaines, barres de fer à la main, pour évacuer Collas. La détermination des grévistes ("caisses de boulons, de pignons, air comprimé pour pulvériser de l’acide" ) les calme.
Le lendemain, 1er mai, un tract (tiré gratuitement à 100 000 exemplaires par les ouvriers de l’imprimerie Réaumur) signé "Comité de grève général des Usines Renault" est distribué dans le cortège cégétiste.

"La revendication que nous formulons est une revendication générale qui intéresse tous les ouvriers. Camarades, nous faisons appel à vous parce que vous êtes dans la même situation que nous et que personne ne peut se résigner à la situation actuelle. Par conséquent, puisque la lutte est inévitable et nécessaire, il faut que nous nous mettions tous ensemble en mouvement, car seule l’union de tous les travailleurs assurera la victoire pour tous. (...) Notre usine a commencé le mouvement. Nous appelons tous nos camarades de la métallurgie, tous les ouvriers de la région parisienne, à se joindre à nous. (...) VIVENT LES 10 FRANCS ! VIVE LE MINIMUM VITAL GARANTI PAR L’ECHELLE MOBILE !" .
Comme l’écrit Barta plus tard :
"Nous l’avons [la grève Renault], considérée comme le début d’une grève générale. Aussitôt la grève étendue à toute l’usine (le 29 avril), j’ai rédigé (le 30 avril) un tract, au nom du Comité de grève, appelant les travailleurs de toute la métallurgie à suivre l’exemple de Renault. Et dans cette perspective, j’y posais une revendication nouvelle : l’échelle mobile des salaires, bête noire, à l’époque de la CGT et du gouvernement. Car, pour nous, tout élargissement de la grève devait se traduire par un approfondissement des revendications" . "Inversement, quand au bout de deux semaines, la grève Renault s’est trouvée réduite aux départements 6 et 18, j’ai limité son objectif au paiement des heures de grève" précise-t-il dans une note.

Pourtant, si la grève de chez Renault est regardée avec espoir par la classe ouvrière du pays, elle ne s’étend pas. La faiblesse du mouvement, analyse Barta,

"c’est le manque d’une organisation véritablement ouvrière. De ce fait les ouvriers sont sans défense devant l’action répressive de l’appareil bureaucratique cégétiste, aussi bien dans la majeure partie des usines Renault que dans les autres usines. Le Comité de grève voit ainsi diminuer considérablement ses chances de déclencher un mouvement général comme en juin 1936" .

Ayant circonscrit le mouvement, les dirigeants CGT entreprennent de le réduire chez Renault même. Ils organisent, dès le 2 mai, un vote sur la reprise avec 3 francs de prime... que la direction n’a pas encore cédés. Proposition repoussée par 11 354 voix contre 8 015.
Jusqu’à ce vote, le PCF a pu espérer parvenir à étouffer la grève Renault comme il l’avait fait de celles des rotativistes et des postiers. Le vote du 2 mai le détrompe. Les ouvriers ne se résignent plus. La CGT et le PC risquent d’être débordés.

Or, l’évolution de la situation internationale, l’exacerbation des tensions, de plus en plus ouvertes, entre les blocs occidental et soviétique où chacun resserre les rangs, condamne, à terme, le parti stalinien à quitter le gouvernement. Il choisit de ne pas sacrifier son audience ouvrière au piège que lui tend le chef du gouvernement, le socialiste Ramadier. Lorsque ce dernier réclame le 4 mai à l’Assemblée un vote de confiance sur sa politique de blocage -théorique- des prix et -bien réel- des salaires, les députés et les ministres communistes la lui refusent. Ils sont mis à la porte. "Un petit ouvrier de 25 ans a forcé Auriol à démissioner Maurice Thorez" clame, à la une, France-Dimanche.
Chez Renault, la grève continue. Le 9 mai, la direction est autorisée par le gouvernement à donner satisfaction à la CGT en accordant 3 francs de prime. Le syndicat s’empresse de crier victoire et de faire voter les travailleurs.

"Nous avons commis -j’ai commis - la lourde faute d’accepter, après deux semaines de grève, un second vote demandé par la CGT alors qu’une semaine auparavant les ouvriers avaient voté à une très forte majorité la poursuite du mouvement jusqu’à satisfaction de leur principale revendication" dit, a posteriori, Barta.

Cette fois le PCF a gain de cause, la majorité de l’usine se prononce pour la reprise. Mais sa "victoire" n’est que partielle : le secteur Collas, lui, ne reprend pas. "Partout où il y a une direction (secteur Collas, département 88), une forte majorité se prononce pour la continuation de la grève" jusqu’au paiement des heures de grève.

Après presque une nouvelle semaine de grève, le 15 mai au soir, la direction et le ministère capitulent. Ils tentent certes de sauver la face. Ils ne concèdent que 1 600 francs pour la reprise et une avance de 900 francs (qui ne sera jamais réclamée aux travailleurs). Mais personne ne s’y trompe, cela revient au paiement des heures de grève.
"C’est bien grâce à vous, les gars des pignons, si on les a eu, les 1 600 et les 900 balles" dit un ouvrier. Collas reprend le travail, la tête haute.

Dans le secteur Collas, le problème de l’organisation des ouvriers qui, après trois semaines de calomnies et d’affrontements, ne veulent plus entendre parler du Parti communiste et de la CGT stalinienne se pose immédiatement. Une nouvelle Commission Exécutive de la section CGT est élue. Les bureaucrates refusent de la reconnaître. Placée devant l’alternative, s’incliner et démoraliser les travailleurs ou persister à les organiser, cette C.E. provisoire se transforme en Comité d’action puis en syndicat, le SDR (Syndicat démocratique Renault) que rejoignent plusieurs centaines d’ouvriers d’autres secteurs.

Il ne s’agit pas de créer une nouvelle tendance syndicale comme l’avaient fait des anarchistes en mai 1946 avec la CNT .
"Le problème que nous posons n’est pas de faire un nouveau syndicat opposé à la CGT. Ce que nous voulons, c’est RECONSTRUIRE LE SYNDICAT A LA BASE"
écrit Barta sous la signature de Pierre Bois, en juin 1947 dans La Voix des Travailleurs de chez Renault, sous le titre "Comment s’organiser". "Il fallait fournir à l’avant-garde ouvrière surgie par et avec la grève, un point d’appui organisationnel pour poursuivre la lutte contre le stalinisme et le réformisme" rappelle Barta en 1952.

Les événements ne laissent pas de répit. A peine créé, le SDR doit affronter les élections de délégués. Malgré l’influence que la grève vient de lui donner, CGT et direction lui interdisent de présenter des candidats au nom de la loi Croizat qui, alors, n’autorise pour les deux premiers tours de scrutin que les candidatures présentées sur des listes sans possibilité de ratures ni de surcharge par les syndicats "patriotiques" (CGT, CFTC et CGC à l’époque). Un amendement ultérieur à cette loi la limitera au premier tour. Le SDR appelle à l’abstention dans l’espoir que le quorum n’étant pas atteint, il pourra être présent au troisième.
6 696 travailleurs boycottent les élections, la CGT n’obtient que 12 683 suffrages mais elle rafle tous les sièges.

Les deux dizaines de militants de l’UC se trouvent devant des responsabilités et des tâches démesurées.

Sans doute, la grève des usines Renault n’a pas atteint ses objectifs. Sans la grève générale, contenue par le Parti communiste, la revendication des 10 francs s’est avérée inaccessible.
Mais les 3 francs obtenus ne l’auraient pas été sans lutte et la quasi-totalité des heures de grève de la majorité des ouvriers ont été payées (même si ceux de Collas, partis avant et rentrés plus tard, perdent quelques jours de salaire). Mais, surtout, -et c’est le plus important politiquement- cette grève prouve avec éclat que la classe ouvrière a conservé ses capacités de combat.

Elle a, de plus, imposé la liberté d’expression face au totalitarisme des dirigeants de la CGT.

Du point de vue de l’Union communiste, la grève est un succès. Elle est la preuve, par les faits, de la possibilité de militer dans la classe ouvrière et d’y gagner de l’influence sur la base d’une politique révolutionnaire. Enfin, précise Barta, "si la grève a été dirigée par l’organisation politiquement, c’est à Pierre Bois que reviennent toutes les initiatives pratiques dans l’usine où il fallait, la grève déclenchée, se comporter comme un capitaine sur un bateau à voiles dans une tempête" .

Mais ce succès est écrasant pour l’UC. Dès la grève, elle a sacrifié la parution de La Lutte de Classes à celle de La Voix des Travailleurs de chez Renault. Toute l’énergie de l’organisation se concentre sur Renault et l’UC finit par se fondre dans le SDR qui absorbe toutes ses forces.
Sur le plan politique, le tournant de l’année 1947 s’accuse. Aux yeux de Barta, le trait dominant de la période est l’inévitabilité d’un troisième conflit mondial.

La rupture entre Alliés est consommée. Etats-Unis et Union soviétique assurent leur emprise sur leur camp tandis que le ton monte. "La deuxième guerre mondiale n’est pas terminée depuis deux ans que l’on considère partout la troisième comme proche et inévitable" écrit La Voix des Travailleurs en octobre 1947. "Nous voyons les Etats-Unis imposer leur volonté en échange de leur aide économique partout où ils ne l’imposent pas encore par la force" poursuit-elle, ajoutant à propos de l’URSS : "Il ne s’agit pas, du côté de Moscou, d’une lutte contre la guerre, mais d’une politique de guerre, tout comme celle de Washington ".
En 1948, la tension entre blocs croit encore : coup de Prague" et "suicide" de Masaryk en février, adoption du plan Marshall en mars, début du blocus de Berlin et rupture Tito-Staline en juin, exacerbation de la crise de Berlin à l’automne.

Les articles de La Voix des Travailleurs contre la guerre se multiplient jusqu’à constituer une rubrique régulière. Confirmant sa rupture avec la défense de l’URSS, l’UC renvoie pratiquement dos à dos les fauteurs de guerre. "Les travailleurs ne veulent pas être les victimes d’un bloc contre l’autre" écrit La Voix des Travailleurs en 1947. Elle précise, à la veille de la crise de Berlin, "les travailleurs du monde entier ne seront des jouets sans défense soumis aux intérêts et aux caprices des militaristes de Washington et de Moscou que s’ils le veulent".

"Peut-on s’attendre à ce que la révolution puisse prévenir la guerre ?" s’interroge Barta dans un rapport d’organisation du 1er octobre 1948. "Depuis 1945, les soulèvements des peuples coloniaux ne font que se renforcer et peuvent même embraser l’Asie et l’Afrique entière. D’autre part, la classe ouvrière d’Italie, de France, d’Angleterre, de Belgique et partiellement d’Allemagne, continue à se manifester. Mais le mouvement ouvrier et colonial, sans parti révolutionnaire, en proie au parti stalinien, à la social-démocratie ou au nationalisme, est tout-à-fait incapable de se dresser d’une façon efficace contre la guerre. Cependant [du fait de] leur existence, (...) on peut affirmer avec certitude que le nouveau conflit s’accompagnera dès le début de vastes guerres civiles et soulèvements des peuples qui offriront des possibilités immenses au travail révolutionnaire" ).

En Indochine la reconquête coloniale a commencé.
Toujours en liaison avec les Indochinois internés en France, l’UC continue de leur apporter son soutien. Parallèlement à l’intensification des combats en Indochine, "les provocations se multiplient et la tension monte dans les camps. Dans ces conditions l’UC propose de faire déserter un certain nombre de délégués, pour préserver les meilleurs cadres ; ceux-ci refusent d’abord") . Quand ils s’y résignent enfin, il est trop tard. A la suite d’une nouvelle provocation, une révolte éclate en juillet 1948 au camp de Mazargue. La police ouvre le feu, tuant cinq délégués. 300 "meneurs" (s’ajoutant aux centaines qui ont été arrêtés au cours des mois précédents) sont transférés dans des bagnes indochinois où, dénonce La Voix des Travailleurs, ils ont 90% de probabilité de mourir. Le mouvement des Indochinois en France est décapité. Il l’avait été dès août 1945, en Indochine même par l’assassinat du dirigeant du groupe La Lutte, Tha-Thu-Tau. Les nationalistes-staliniens ont le champ libre pour cantonner la révolte du peuple indochinois aux objectifs nationaux.
Les tensions de la scène internationale se répercutent sur la situation intérieure. Après avoir encore combattu la grève des cheminots et celle de Peugeot de l’été 1947, le Parti communiste fait volte-face et prend la tête du mécontentement ouvrier. La grève générale que l’UC avait tenté de déclencher à partir de Renault, le PCF la dévoie en une série de manifestations violentes et de grèves dures, dans les transports parisiens, à EDF, chez Citroën, dans les mines en 1948, insuffisantes pour faire triompher les revendications ouvrières mais attestant sa puissance aux yeux de la bourgeoisie.
Face à ces difficultés, la bourgeoisie est plus que jamais tentée par un pouvoir fort. De mai 1947 au début des années 50, le centre de gravité des gouverne-ments se déplace vers la droite tandis que leurs mesures, réarmement accéléré, intensification de la guerre d’Indochine et, sur le plan intérieur, blocage des salaires, restriction des droits ouvriers, répression de plus en plus brutale contre les ouvriers font écrire à Barta "comme en 1939 celle de Daladier, cette politique mène à la " gaullisation de la France" avec ou sans De Gaulle") .
Prenant la tête des grèves, au besoin les suscitant sans même leur avis, la CGT et le PC cessent d’être, aux yeux des travailleurs, les agents directs de la bourgeoisie dans leurs rangs. Chez Renault, certains de ses militants qui avaient rejoint le SDR après la grève réintègrent la CGT. Pour ceux de l’UC, la situation devient infiniment plus complexe.
"Avant 1947, notre situation était simple" explique Barta, "il fallait se dévouer, pouvoir résister, mais c’était facile de fixer l’objectif parce que à ce moment là les ouvriers avaient contre eux toutes les organisations, tout ce qui était officiel. Mais depuis la grève de mai, la situation est beaucoup plus compliquée ; il faut savoir garder l’initiative") .
Dans l’usine, le SDR propose aux autres syndicats d’agir en commun, sur la base des revendications et des souhaits réels des travailleurs. Mais traduire cette politique de Front unique dans la réalité quotidienne de l’usine, l’adapter à la multiplicité des situations, requiert toutes les forces de l’organisation et de sa direction.
Même privés du statut de délégué, les militants du SDR interviennent sur tous les sujets qui préoccupent les ouvriers : salaires, rapports avec la maîtrise, sécurité, ravitaillement, cantine.
Ils poursuivent, d’autre part, une lutte, politique et juridique, pour obtenir la représentativité de leur syndicat et le droit de présenter des candidats aux élections professionnelles. En janvier 1948 des élections partielles sont organisées dans le secteur Collas, à la suite de la démission de délégués CGT passés à Force Ouvrière. Le SDR appelle à l’abstention et, au second tour au département 6, obtient exactement le même nombre de voix que le candidat CGT qui est proclamé élu au bénéfice de l’âge.
Ce résultat "inattendu" -et inférieur à celui espéré- commente Barta, est le produit "d’une maladie qui n’a pas fini de causer le plus grand mal à la classe ouvrière : le scepticisme") qui fait dire aux travailleurs des discussions entre organisations, "qu’ils se débrouillent entre eux".
Malgré ces conditions difficiles, le SDR parvient à exercer une influence durable. "Pendant trois ans le SDR a été le facteur décisif dans l’usine" . L’audience dont il bénéficie n’est "pas un reste d’influence de 1947, mais le fruit d’un travail acharné et d’une tactique nouvelle élaborée de 1947 à 1949") . En effet, "L’influence née de la grève [disparaît] pratiquement par le tournant stalinien d’octobre-novembre 1947" constate Barta qui, pour décrire l’histoire du SDR, récuse "l’image d’une flambée" ).
L’année 1949 voit le SDR remporter deux succès importants. Suite à un arrêt de la Cour de cassation, il obtient sa représentativité en mai 1949 et le droit de présenter des candidats aux élections de délégués. En juin, il recueille 1283 voix (contre 17 368 à la CGT) et a sept élus. Les ouvriers, analyse le Conseil syndical en reconnaissant qu’il en espérait davantage, "sentent que cela va mal et aussi la nécessité d’une opposition au gouvernement, ils ont voté pour la CGT qui fait opposition sur le papier. (...) Ils ont voté à gauche sans engager leur responsabilité") . Mais l’influence réelle du SDR reste bien supérieure à ces résultats électoraux.
Confirmation en est donné à l’automne 1949 où, cette fois, le SDR obtient sa reconnaissance politique officielle des staliniens. A l’occasion d’une grève dans le secteur de la 4 CV, la CGT est, en effet, contrainte d’accepter officiellement la présence du SDR dans le cartel constitué par les organisations syndicales. "Nous avons imposé aux staliniens une unité d’action sans précédent : un meeting commun où chaque organisation a exprimé librement, à la même tribune, son point de vue sur la grève en cours. Ceci le 24 novembre 1949, en plein stalinisme !" .
"Nous avons imposé la liberté d’expression face au totalitarisme des dirigeants de la CGT" .
Pourtant, au moment où le SDR connait ces succès, son existence même est menacée. En réalité, l’Union communiste se trouve aux prises à des difficultés qui la broient. Réorganisations, discussions, résolutions se succèdent mais rien n’y fait, le malaise persiste et s’exacerbe. Depuis des mois, sur des questions de tactique syndicale, sur les méthodes de l’organisation ou encore sur l’abondance du matériel à diffuser quelques militants, dont Pierre Bois, s’opposent à Barta.
Les militants de chez Renault ont, par la force des choses, la tentation d’interpréter la situation à partir de l’usine, là où Barta impose une vue à l’échelle nationale et internationale. La question est d’autant plus sensible que "l’organisation se confond avec une fraction d’usine") .
L’organisation tente de trouver des solutions :
"Il faut reprendre le système de sorties périodiques des camarades de l’usine afin qu’ils puissent reprendre leur esprit et voir la situation en général" décide-t-elle en août 1948. Mais huit mois plus tard, en avril 1949, l’UC en est toujours au même point : il faut "trouver des éléments qui puissent se consacrer à l’activité révolutionnaire d’une façon permanente et efficace. En même temps nous devons faire ce travail sans mettre en danger le syndicat et les possibilités de notre activité chez Renault. (...) Il faudra qu’on arrive à sortir quelques camarades de l’usine, progressivement, en vérifiant l’expérience pas à pas".
Dans les faits, les circonstances interdisent le remède. Impossible au moment où le SDR est enfin reconnu de faire sortir quiconque de l’usine. Les différends s’accusent, les rapports se tendent. Deux fractions se constituent en septembre 1949. La scission intervient fin novembre 1949.
Malgré la scission, dans un premier temps, les deux fractions collaborent au sein du SDR. Mais, rapidement le conflit s’envenime et devient public entre "la majorité des délégués SDR" (quatre sur sept sont restés avec Barta) et le représentant officiel du syndicat, Pierre Bois. Aux élections de juin 1950 le SDR ne recueille plus que 500 voix. Il disparaît dans les années qui suivent.
Quels que soient les griefs personnels -et comme dans toute scission ils ne manquent pas-, aux yeux de Barta, la disparition de l’UC a des causes autrement profondes que l’attitude de tel ou tel. Elle tient avant tout à l’isolement de l’UC qui la condamne à choisir entre deux morts. "La sortie des militants [de l’usine] était en fait un renoncement" . Y demeurer conduisait à l’impasse.
En effet, le regroupement des "éléments authentiquement révolutionnaires" ne s’est produit ni à l’occasion de la grève de 1947, ni après. Les tendances d’extrême-gauche campent sur leurs positions, en particulier le PCI. Chez Renault ses militants ont participé au mouvement en 1947 mais, par crainte de s’opposer radicalement au PC, leur organisation se refuse à voir en quoi il est le produit d’une politique consciente.
"Si nous n’avons pas rallié l’opposition aux staliniens, ce n’est pas que nous étions incapables" commente Barta en 1952, "mais parce que celle-ci n’existait pas dans les actes" .
Mais, plus fondamentalement, explique-t-il, l’isolement dans lequel est restée l’UC malgré sa politique juste est l’illustration de l’impossibilité pour la classe ouvrière française de l’époque de secréter une avant-garde. Un point de vue qu’il résume d’une façon lapidaire en 1972 :
"Nos forces, de la grève à la disparition de l’organisation, ne se sont ni augmentées ni renouvelées : l’arbre prolétarien rejetait en fin de compte la greffe révolutionnaire" .
La formule lui a été reprochée, parfois avec vulgarité. Elle est pourtant l’exact prolongement de ce qu’il affirme tout au long de sa vie militante.
"Tout ce qu’on peut reprocher à la situation objective" écrit-il par exemple, le 22 août 1948, "c’est qu’en fait nous n’avons pas trouvé une aile révolutionnaire des ouvriers et une jeunesse révolutionnaire capable de rallier les méthodes révolutionnaires".
Devant la baisse du nombre de journaux vendus, le tarissement des soutiens financiers, la diminution de la participation aux réunions, il constate, en avril 1949, "malgré l’accueil favorable que notre propagande rencontrait nous n’avons pas trouvé au sein de la classe ouvrière même des éléments avancés capables de lutter".
Un propos qu’il illustre en 1952 en rappelant :
"Il fallait la présence hebdomadaire de la totalité des membres de l’UC aux réunions SDR pour résoudre non seulement les tâches politiques et tactiques, mais également les tâches organisationnelles de liaison avec l’usine, etc..." tandis que "l’usine ne nous fournit [pas de] cadres syndicaux, à peine quelques cotisants talonnés par nos militants"
Au bout du compte, dit-il,
"Le manque de sève (...) provoqua la scission et la fin, quels qu’en soient les responsables. Car si d’en bas et latéralement l’organisation avait reçu des forces nouvelles, de toutes façons des militants défaillants, quel qu’ait été leur travail, auraient été remplacés, comme ce fut le cas avec la scission début 1946 qui n’empêcha nullement l’organisation d’accomplir sa mission" .
Barta et les quelques militants demeurés à ses côtés publient neuf numéros de La Lutte de Classes de janvier à mars 1950 et, chez Renault, quelques numéros de La Voix des Travailleurs en 1950 et 1951.
Par la suite Barta fait plusieurs tentatives pour reprendre une activité. Il lance en particulier un "appel à tous les anciens militants" de l’UC en décembre 1950, les invitant à "trouver une base de collaboration, même en dehors de liens organisationnels" face aux échéances ouvertes par la guerre de Corée.
Les contacts épisodiques pris avec les anciens militants n’ont pas permis de concrétiser ce souhait. En 1956, quelques anciens militants de l’UC créent le groupe Voix Ouvrière, devenu Lutte Ouvrière en 1968. Mais si Lutte Ouvrière se réclame de la tradition de l’UC, Barta, entre autres dans sa Mise au point d’août 1972, déclarait ne pas s’y reconnaître.
Les textes de Barta demeurent. Quelques uns ont été réédités, depuis quelques années sous son nom.
Mais la majorité d’entre eux restent inconnus. Les faire paraître n’est pas, à nos yeux, seulement oeuvre d’historien. C’est aussi, compte-tenu de leur intérêt, y compris pour la période présente, contribuer à sa compréhension. "J’espère que cette brève analyse incitera à réfléchir ceux pour qui agir c’est comprendre", écrivait Barta dans sa Mise au Point. A sa modeste échelle, ce site n’a pas d’autre ambition.

MOYON .RICHARD

Messages

  • by David Korner (BARTA)
    Letter to Young Communists
    22 October 1944


    Written : October 1944
    Transcription\HTML Markup : David Walters and Phil from the French MIA team
    Translation : Ted Crawford


    It is betraying no great secret to say that the Communist Party is at this moment in the middle of a great crisis. It is enough to open one’s eyes to be convinced. The malaise is profound and under the appearance of "unanimity" the gap is widening between elements of the rank and file and the leaders, between those who have the desire and the wish to be truly communist and those for whom the CP is only a machine which they use for political ends which have nothing to do with the aims of the French proletarian class ; that is to say the overthrow of the French bourgeoisie and the installation of the dictatorship of the proletariat.

    But in the absence of any clear perspective and a truly Communist training, these honest elements, disgusted with the bureaucratic wheeler-dealing and the new kind of Sacred Union of classes (which is always the old kind) these elements are incapable of replying in a practical way to the question "What Is To Be Done ?". Discouraged they become passive. Thus the policy of the CP demoralises the vanguard of the working class and in this way opens the road to fascism.

    The Bolshevik organisations were remarkable for their internal democracy. Everyone could put their positions forward and defend them. Thus there was a real intellectual life within the party, without which it would only have been a corpse. But the bourgeois policy which the CP brought to the bosom of the working class - Bureaucratisation and social patriotism - could not endure criticism, for the criticism would soon expose its consequences. So in order to keep the confidence of the masses a little longer, the Party apparatus was forced to resort to terror and slander.

    But facts are stubborn things and cannot be silenced so easily as a man. Where then is the famous harmony of French interests which Humanité preaches ? Can we make the lion lie down with the lamb, the interests of those who are raking in the money and those who are pouring out their blood. The exploiter and the exploited. The 200 families and the workers who are still waiting for the "recovery". The CP says "Yes" and tries to achieve this union "against the Boche". Life says no and demonstrates that this struggle "against the Boche (and against who will it be tomorrow ?) above all, for as long as the bourgeoisie is the boss in the house, goes along with smashing the working class, the high cost of living, unemployment and a state of emergency or martial law. Moreover, far from disappearing, the antagonism between the working class and the bourgeoisie is being accentuated by the war. The bourgeoisie can only carry on the war by mobilising the proletarian forces in its service, that is to say by binding its own working class to it. In particular this is the meaning of de Gaulle’s last speech.

    But it is not easy to bind the working class. The bourgeoisie is flabby and decrepit, the state apparatus is worm-eaten and deeply disrupted by the war. Incapable of doing its own dirty work, the bourgeoisie does it through the intermediary of its tame working class parties, which fraudulently gain the confidence of the workers and hand them over to the enemy of their class.

    The job which the Socialist party did in the first imperialist world war, putting working class energies at the service of bourgeois interest, the CP is doing today in an even more criminal way. After five years of suffering which had clearly shown the plundering character of the war the whole European bourgeoisie is beginning to crack up and the revolution is knocking at the door. Claiming to be in the tradition of the Socialist Revolution of 1917, the better to betray it, it is in these conditions that the CP proclaim "The Status Quo ! Occupy Germany ! A New League of Nations !" In the 14-18 war Vandervelde, the President of the II International, went to Russia to exhort the masses to continue the war. Today, from Moscow, Thorez invites them to imperialist butchery.

    For this war is not a class war ! It is not a question of what is wanted or thought by the cannon fodder whether private soldiers or partisans. It is a question of who is in charge. And up till now it does not seem that the top General Staff is composed of militant workers ... The political first eleven changes (but not so very much. Everyday Humanité denounces the Vichy creatures who are kept in their jobs). The State - civil servants, the army, the police, the courts - continues and it is this State which runs the war and gives it its class character, a war of plunder, a battle between thieves.

    However, can this war perhaps lead to a lasting friendship between countries, a friendship which will abolish the blood-tax which the world bourgeoisie levies more and more frequently ? What a lovely idea ! Just as the alchemists in the Middle Ages wished to turn a lump of lead into gold, so some claim to transmute a real peace out of an imperialist war ! But communists live in an age of scientific machines and the proletarian revolution, not in the age of alchemy. Besides you need only keep your eyes and ears open. De Gaulle says it openly : France is alone and the Allies are guided by their interests alone. The present conflict is not even over but other conflicts are being prepared. The policy of successive desertions from, and treasons to, the revolution to preserve the allied "bloc" is proving treacherous and suicidal.

    Many have looked at this and want to finish with the war. But to finish with it, must we agree to new sacrifices ? That is what Hitler has already told us. We know that tune. Blood calls for blood. Ruination, death and misery will be multiplied. No ! The real way to end war is that of the Bolsheviks in 1917, it is revolutionary struggle. Only the revolution of 1917 put an end to the first imperialist war. Only the Revolution can bring an exhausted and blood-gorged Europe a respite.

    But for this battle against war we need a revolutionary party. It is this which was the role of the CP. It was built in intransigent opposition to social patriotism and forged in struggles against the occupation of the Ruhr and the war in Morocco. But the CP was worn away by this struggle. Its best militants fell all over the place - not "for France" but for Communism - the Revolution was delayed and the CP stopped preparing for it. This degeneration occurred because a sufficiently militant base, sufficiently educated in a real internationalist communist spirit did not exist. That is why today, even while war is still, raging, it must be rebuilt under fire. That is why a Communist Party, which has not stolen the name, and which fulfils its national tasks (in the first place through its struggle against its own bourgeoisie) in an international spirit (friendship with the workers of all countries) must be rebuilt.

    And to create this Party, we must create people, militants for whom communism is not a "doctrine" but the reason to live and die. The proletariat has in its service an incomparable revolutionary doctrine, marxism. Militants, the youth in the first place, must learn the method and teachings of marxism. The proletariat has a rich tradition consisting of a long series of defeats and one victory in 1917. Militants, above all the young ones, drawing on these lessons, must know how to construct a party and how a Revolution is made.

    The action to take and the links between comrades must be envisaged in a totally new and Bolshevik way. They must free themselves from bureaucratism, servility and doing tasks without understanding or discussion. Bolshevik discipline has nothing to do with the blind obedience of a member of the state police, still less with the spying of a petty bureaucrat ! Bolshevik discipline rests on the political consciousness of militants, their devotion to the revolution and their skills in understanding the ways to get it. It is a natural and necessary precondition for any revolutionary action. But where there is a lack of revolutionary action there is no room for such a discipline. It has been replaced by the irresponsible dictatorship of the party machine and contemptible mechanism of military discipline.

    The CP fritters its members away into "sympathetic" organisations ; UFF, FFI, Friends of the Soviet Union (when things go well...). They are then given non communist jobs, without any actual importance. They must collect money and organise a fete, sew armbands, copy leaflets and sell papers which do not furnish the ingredients of communist work which is real, in short, everything ... except communist action. Thus the CP is on the road to dissolution as it has dissolved itself in the USA.

    The IVth International opposes this liquidation of the communist movement in France. It has given itself the job of creating the cadres of a new CP, by consistent Communist deeds, which will bring out, through action, the interests of the workers, in opposition to those of the bourgeoisie and above all, the general interest common to all workers. Resting on the marxist programme of the IVth International, defined by the first four Congresses of the Comintern, the cadres will have well and truly built a real Bolshevik party because there is no other solution. The line of the 4th International is merciless class struggle, communist struggle against capitalism, revolutionary struggle against the war - it is the road of proletarian revolution.

    It is not a matter of giving lessons. It is a matter of honestly facing facts and ideas. It is a matter of the right of every revolutionary militant to defend the position that he thinks is correct. We must see clearly to work and work quickly. The coming revolution in France rests in the hands of the youth, and especially the Young Communists. They must become aware and get to work.

  • Il apparaît que l’analyse de Barta sur l’imminente 3eme guerre mondiale n’ait pas eu lieu, notamment entre les 2 blocs, une analyse que lotta communista denonce comme errone, cervetto ayant refute cette analyse et ayant prevu la constitution des nouvelles puissances asiatiques comme la chine et l’inde et l’imperialisme europeen.

    Le syndicat cree a mange le parti, le conflit interne entre ceux qui defendent une analyse de la situation nationale et internationale contre ceux qui veulent se concentrer que sur les problèmes de l’usines en ait un temoignage probant.

    Le fait que Barta niait la parternite de lutte ouvriere, pointe du doigt des divergences de fond qu’il entendait avoir avec cette organisation.

    • A mon sens, le véritable tournant qu’a manqué Barta, c’est le fait que le stalinisme était devenu une béquille de la bourgeoisie ; aidant les impérialismes anglais et américain et également l’ignorance du rôle qu’avait tenu l’impérialisme en Pologne, aussi fasciste que les nazis.

      Il est certain que Barta n’a pas voulu crédibiliser ni soutenir le groupe de Hardy et ce n’est pas parce qu’il n’avait pas le moral ou ne voulait pas militer....

  • Lotta Communista se dit de la gauche communiste mais voici ce que la gauche communiste lui répondait :

    « Pour LC, le marxisme est une métaphysique, planant au dessus de la société, des classes et de la lutte entre celles-ci ; il n’est pas l’expression d’un mouvement réel d’émancipation du prolétariat, mais une révélation, une religion – donnée pour une science à appliquer – détachée de la réalité et de la matérialité du prolétariat dans son rapport contradictoire avec le capital. Le « marxisme » de LC n’est que le produit de la pensée d’idéologues fondée sur des spéculations philosophiques. Pour se donner une certaine crédibilité, Lotta Comunista accole l’adjectif « scientifique » à ses élucubrations en vertu desquelles nous avons le parti comme lieu où naît et vit la « science de la révolution », nous avons le programme révolutionnaire « scientifique », la « science prolétarienne ». Le développement de la prétendue science marxiste se produirait donc dans le cerveau de penseurs armés par la « science révolutionnaire » et non pas en tant que théorie élaborée par le prolétariat dans son mouvement antagonique à la société capitaliste. Aujourd’hui, ce corpus immuable de la « science marxiste » serait en dépôt chez LC qui s’en sert pour se développer indépendamment des vicissitudes du mouvement réel des montées et des reflux de la lutte des classes.

    Pour LC, la crise économique n’existe pas. Ce serait d’ailleurs une petite histoire inventée par les patrons pour attaquer la classe ouvrière. En 1974, LC avait d’ailleurs publié une brochure au titre significatif : « Mais quelle crise ? ».

    Le capitalisme serait en expansion continue grâce à des zones entières et des marchés que le capitalisme doit encore conquérir. »

  • Pour examiner la position de LC sur la classe ouvrière et la lutte de classe, il faut se référer à trois éléments à la base de la conception que LC : la conception « léniniste » du parti, le rôle des syndicats et, enfin, la phase économique actuelle qui imposerait une « retraite en bon ordre » de la classe ouvrière.

    LC développe une conception de la conscience et du parti selon laquelle le prolétariat n’est pas capable de faire mûrir une prise de conscience communiste, que celle-ci, au contraire, doit lui être transmise exclusivement par le parti, formé d’intellectuels bourgeois dédiés à la cause révolutionnaire.

    Avec cette vision, LC ne tient aucun compte des luttes réelles du prolétariat, mais s’attache au niveau de syndicalisation de la classe ouvrière et à sa propre influence dans son syndicat d’adoption, la CGIL « rouge ». Le discours de LC est simple : étant le parti révolutionnaire, il faut organiser et diriger la classe ouvrière et, pour y parvenir, prendre la direction du syndicat, par tous les moyens.

    En conséquence, les interventions de LC dans la classe ouvrière ne sont jamais destinées à élever le niveau de conscience du prolétariat, mais visent à conquérir quelques cadres de plus et de nouveaux espaces politiques à contrôler. .

    Finalement, comme pour LC, le capitalisme est dans une phase économique de croissance continue et la tâche de la classe ouvrière est essentiellement d’attendre que les conditions mûrissent, que le capitalisme soit implanté sur toute la planète dans toute sa plénitude. Ce groupe a lancé en 1980 le mot d’ordre de « retraite en bon ordre » :

    « … nous avons depuis longtemps repris le mot d’ordre léniniste courageux de regrouper autour du parti révolutionnaire les forces conscientes et saines de la classe ouvrière disposées à faire des efforts dans une retraite en bon ordre, sans débandade, déceptions, confusions, démagogie. »1,

    Conclusion : il faut vraiment travailler à émousser l’agressivité des luttes pour éviter, à ce qu’il semble, une « déroute dans le désordre ». LC en arrive même à « reprocher » au vieux parti stalinien italien, le PCI, d’avoir été trop loin : « Comme ce n’est pas par hasard que le PCI en soit arrivé au contraire à concevoir les ‘coups de force’ syndicaux qui accentuent le chemin désordonné des luttes ouvrières pour défendre son propre poids parlementaire dans l’intérêt exclusif des fractions bourgeoises ».2

    La même critique est faite au « grand syndicat », la CGIL, dont LC rêve de prendre la tête :

    « Le grand syndicat, ayant au contraire rejeté la tâche que nous lui avions indiquée au début de la crise de restructuration, d’organiser une retraite en bon ordre pour être ensuite en mesure de réorganiser la reprise, a fini par faire pleurer les entrepreneurs et les gouvernants, non parce qu’il était fort, mais à cause de la crise d’autorité et de confiance qu’il subissait ». 3

    Voila les mouches du coche qui conseillent – sans être écoutées – le syndicat sur ce qu’il lui faut faire. Mais celui-ci ne les écoute pas et entre en crise, faisant pleurer – et là, c’est le plus beau – les patrons et les gouvernants. Pourquoi donc les patrons et les gouvernants pleureraient-ils la crise du syndicat ? Il n’y a qu’une réponse : parce que va leur manquer l’outil qui, grâce à son autorité morale et matérielle, enchaîne les travailleurs au char du capital. Ainsi, ce sont, au contraire, les Comités de base qui naissent4 ; si, à l’opposé, le syndicat avait écouté les conseils de LC, il ne se retrouverait pas dans la situation d’avoir à régler des comptes avec les Comités de base, c’est-à-dire avec la tendance des ouvriers à se libérer du carcan syndical et à commencer à s’organiser de façon autonome, obligeant le syndicalisme à se radicaliser pour mieux encadrer les ouvriers.

    Tout cela conduit à une pratique politique dont l’objectif n’est pas de favoriser la maturation dans la classe ouvrière, mais le renforcement des positions du « parti » au détriment de la classe ouvrière.

    Voici un exemple de cette politique aux conséquences profondément négatives :

    En 1987, quand les travailleurs de l’école s’organisent en Comités de base, LC vient dans quelques assemblées pour proclamer qu’il ne s’agit pas de constituer un nouveau syndicat mais de prendre la direction politique de ceux qui existent. Ce qui signifie : ne pas abandonner la CGIL, laisser la direction du mouvement à LC et tout ira pour le mieux. Mais le mouvement des travailleurs de l’école en 1987 était un mouvement qui commençait à s’organiser sur des bases de classe, malgré toutes ses faiblesses. Econduite, LC a préféré alors calomnier publiquement le mouvement en le définissant comme un mouvement « sudiste » (puisqu’il était surtout développé au sud de l’Italie, LC en faisait quasiment un mouvement régionaliste), « bouillon de culture des futurs dirigeants des partis parlementaires », et appelait au contraire à un congrès extraordinaire de la CGIL. Cela signifiait tout platement que la CGIL devait se réveiller et ne pas laisser s’échapper les travailleurs de l’école en lutte. Voila les « révolutionnaires » à l’œuvre !

  • Des textes de Barta sont accessibles sur les sites Archive Internet des Marxistes et Union Communiste.
    D’autres liens sur Barta : Monde en Question.

  • Ce texte me disait quelque chose. J’ai donc fouillé dans mes archives et j’ai trouvé la référence : biographie tiré du "Cahier Léon Trotsky" n° 49 janvier 1993, Union Communiste. L’auteur écrit :

    En mars 1949, Barta en tirera les conclusions :
    "Nous avons abandonné (la position traditionnelle de défense de l’URSS) au moment où en avançant hors du territoire de l’URSS, la bureaucratie a inauguré une politique de pillage dans les pays occupés ; c’est en 1944, en exigeant le retrait de toutes les troupes d’occupation que nous avons marqué la rupture avec la défense de l’URSS" .

    Or, ce texte n’existe ni sur le site de l’Union Communiste ni sur celui de l’Archive Internet des Marxistes. Au contraire, Barta n’a cessé de proclamer la sacro-sainte défense de l’URSS. Ainsi, il écrivait le 28 février 1943 :

    Tous les travailleurs, quelles que soient leurs convictions politiques et leurs méthodes d’action, savent que l’économie planifiée, conquête principale de la Révolution prolétarienne d’Octobre 17, est l’objectif suprême de la classe ouvrière pour mettre fin aux maux engendrés par le capitalisme. Tous les travailleurs donc, sauf les traîtres à leur classe, sont du côté de l’URSS dans sa lutte contre l’armée capitaliste allemande.
    En faisant obstacle à la restauration du capitalisme en URSS par les armes, l’Armée Rouge a accompli et continue à accomplir sa mission.

    Erreur fondamentale car l’Armée Rouge, sous la direction de Staline, menait une guerre nationaliste et non une guerre révolutionnaire pour la défense des acquis de la Révolution de 1917.

    Dans une lettre à à Natalia Sedova du 6 Novembre 1947, Barta écrivait :

    Pour ce qui concerne la nature de l’URSS, nous sommes assez "démodés", puisque nous pensons que seule l’analyse de Trotsky offre un moyen scientifique de compréhension de la société "soviétique", ainsi que d’orientation politique.

    C’est-à-dire en claire "la position traditionnelle de défense de l’URSS". Il ajoute d’une manière assez jésuite qu’on retrouve presque mot pour mot chez Hardy (dirigeant de Lutte Ouvrière pendant 53 ans de 1956 à 2009) :

    Un élément qui nous paraît décisif dans la question de la défense de l’URSS, c’est que cette défense dépend de nos forces, et que si nous ne sommes pas capables de défendre la classe ouvrière, nous ne sommes pas capables de défendre l’URSS non plus ; le défaut est donc de discuter non pas sur la base d’une croissance organisationnelle, mais abstraitement.

    Enfin, dans une lettre à à Natalia Sedova du 29 Juin 1949 (postérieure au texte introuvable de mars 1949), Barta écrivait :

    Nous considérons l’analyse de Trotsky sur l’URSS (La Révolution trahie en particulier) comme une œuvre dont on ne peut trouver l’équivalent qu’en remontant à Marx et Engels. L’analyse de l’évolution de l’URSS depuis 1940 n’est possible que sur cette base. Nous considérons l’URSS comme un "Etat ouvrier dégénéré" dont les traits négatifs l’emportent sur les traits positifs, chose qui se concrétise dans les effets de l’occupation russe en Europe centrale et dans les Balkans. Seule une montée révolutionnaire dans le monde pourra du reste trancher la question de la défense de l’URSS d’une façon définitive.

    On est loin, très loin de l’affirmation d’un abandon de "la position traditionnelle de défense de l’URSS" !

    L’auteur doit donc confondre avec le texte de Castoriadis "Sur le régime et contre la défense de l’U.R.S.S.", publié en août 1946 dans le Bulletin Intérieur du Parti Communiste Internationaliste :

    Même pour ceux qui admettent l’existence des bases socialistes dans l’économie soviétique, il est clair que le salut final de ces vestiges dépend de la victoire de la révolution à l’échelle mondiale et que l’obstacle n° 1 pour cette victoire se trouve dans la bureaucratie stalinienne. La lutte contre cette bureaucratie constitue donc la tâche fonda­mentale pour le prolétariat soviétique. Est-ce que cette lutte en temps de guerre est compatible avec la “ défense de l’U.R.S.S. ” ? Evidemment non.

    Lire aussi :
    Serge LEFORT, Les petits secrets de LO, Monde en Question, 06/10/2010.
    Serge LEFORT, Les petits secrets de LO (suite et fin), Monde en Question, 09/10/2010.

  • Le plus extraordinaire à Lutte Ouvrière, c’est qu’aujourd’hui elle catalogue toujours la Russie comme état ouvrier dégénéré. Là, c’est de la religion !

  • Sur ce que nous pensons de l’organisation française Lutte ouvrière :

    lire ici

  • « Chaque responsable doit être convaincu organiquement que sans la démocratie, c’est-à-dire sans la participation active de tous, non seulement au travail pratique mais également à l’élaboration de la politique de l’organisation, il ne peut y avoir de parti révolutionnaire, donc de victoire du prolétariat sur la bourgeoisie ».

    Barta dans un texte intérieur intitulé "Rapport 1943"

  • Je suis fasciné depuis 20 ans par Barta, le leader socialiste aussi bien que l’humain.

    J’avais été à l’époque renversé par la lecture de "La deuxième guerre...", rééditée par VDT (l’autre tendance exclue de LO...).

    Quelques modestes réflexions (je suis bien loin d’avoir lu tous les textes importants produits depuis les années 50).

    Point fondamental : la nature de l’Urss et donc l’attitude politique à avoir envers elle a toujours été le point de rupture abstrait entre tendances trotskystes.

    Pourquoi abstrait, me direz-vous ?

    Les raisons apparemment objectives des divisions trotskystes sont bien connues et ont été débattues dans une abondante littérature. Le poids du stalinisme, la vanité intellectuelle des chefs et le plus important pour moi, l’acceptation (consciente ou inconsciente) du manque de perspectives comme un facteur permanent et indépassable, tout cela a contribué à forger des tactiques défaitistes ou opportunistes matérialisées dans la grande crise du Pablisme, qui signifia dans les faits la fin d’un groupement d’intérêts disparates : se revendiquer de l’héritage de Trotsky, après tout, cela pouvait être aussi chercher une caution intellectuelle pour justifier tel ou tel point de vue ou ambition.

    Comme un être vivant qui fabrique de nouvelles cellules, comme une espèce qui s’adapte, le "trotskisme" n’est parvenu à survivre, que sur le mode des scissions, fusions, exclusions, regroupements, c’est-à-dire sur un mode ABSTRAIT, quelle qu’ait pu être la réalité des problèmes politiques. A force de vivre dans la croyance, on devient mystique et on se focalise sur la culture du microcosme des convaincus (cette remarque vaut aussi pour LO depuis 95). Réjouissons-nous néanmoins d’être vivants, la dégénérescence exponentielle du capitalisme depuis la fin du bloc de l’est rebat les cartes idéologiques et géostratégiques à grande vitesse et doit nous donner force et indignation, occidentaux pessimistes que nous sommes !

    Les querelles politiques et même philosophiques témoignent de l’incapacité à produire une tactique cohérente et immédiate, deux options seulement s’étant proposés à ceux qui voulaient à l’époque relever le drapeau de Trotsky, tandis que l’impérialisme se régénérait une fois encore par le biais sanglant d’une guerre mondiale et la circonscription du péril communiste à un bloc contrôlable, puisque ayant renoncé à toute idée de révolution mondiale : une pratique révolutionnaire réelle, « ici et maintenant » c’est-à-dire à l’intérieur même de la société et du prolétariat, ou bien ce qui advint alors, une lente agonie conduisant à la faillite petite-bourgeoise de 1953 : les perspectives défaitistes du Secrétariat Unifié (Su) de Michel Pablo, provoquèrent une réaction toute aussi abstraite de ceux qui n’avaient pas renoncé à l’idée d’une organisation révolutionnaire mondiale. Mais n’était-ce pas, déjà à l’époque, une idée périmée et ethnocentrée ?

    En conclusion, le seul à s’être consacré à l’option "ici et maintenant" de façon cohérente et conséquente, c’est Barta. Et son expérience reste sans doute l’une de celles dont il soit le plus utile de discuter d’un point de vue révolutionnaire.

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