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Qui était Lénine ?

lundi 8 mars 2010, par Robert Paris

"Une des erreurs les plus grandes et les plus dangereuses que commettent les communistes (comme, d’ailleurs, les révolutionnaires en général qui ont mené à bien le début d’une grande révolution), c’est de se figurer que la révolution peut être accomplie par les mains des seuls révolutionnaires. Or, pour assurer le succès de toute action révolutionnaire sérieuse, il faut comprendre et savoir appliquer pratiquement l’idée que les révolutionnaires ne peuvent jouer un rôle que comme avant‑garde de la classe réellement avancée et viable. L’avant‑garde ne remplit sa mission que lorsqu’elle sait ne pas se détacher de la masse qu’elle dirige, lorsqu’elle sait véritablement faire progresser toute la masse. Sans l’alliance avec les non‑communistes dans les domaines d’activité les plus divers, il ne saurait être question d’aucun succès en matière de construction de la société communiste."

Lénine dans "Le matérialisme militant"

"Les distances indispensables à l’égard de l’idéologie bourgeoise étaient maintenues dans le Parti par une vigilante intransigeance dont l’inspirateur était Lénine. Il ne cessait de travailler du scalpel, tranchant les liens que l’entourage petit-bourgeois créait entre le Parti et l’opinion publique offi­cielle. En même temps, Lénine apprenait au Parti à former sa propre opinion publique, s’appuyant sur la pensée et les sentiments de la classe qui montait. Ainsi, par sélection et éducation, dans une lutte continuelle, le Parti bolchévik crée son milieu non seulement politique mais aussi moral, indépen­dant de l’opinion publique bourgeoise et irréductiblement opposé à celle-ci. C’est seulement cela qui permit aux bolchéviks de surmonter les hésitations dans leurs propres rangs et de manifester la virile résolution sans laquelle la victoire d’Octobre eût été impossible. "

Léon Trotsky dans "Histoire de la révolution russe"

Plusieurs décennies de stalinisme et de "victoires" de celui-ci ont rendu difficile de parler de Lénine sans tomber dans les poncifs du "culte de la personnalité" édifié par Staline pour couvrir du voile du "léninisme" la rupture de la bureaucratie avec la révolution mondiale que représentait la "théorie du socialisme dans un seul pays". Combien de révolutionnaires honnêtes, eux-mêmes, ont prétendu que Lénine avait entièrement préparé par avance les bolcheviks aux tâches de la révolution d’Octobre ? Alors que Lénine a changé de point de vue sur le caractère de celle-ci lors des premiers jours de février 1917, s’opposant ainsi à l’essentiel de la direction du parti bolchevik, pour ne citer qu’un seul exemple. Combien ont prétendu qu’octobre prouvait la préparation d’une direction, alors qu’en octobre justement la direction a été contre la prise du pouvoir. Quant à idolâtrer les capacités de Lénine, nul n’a plus combattu ce genre de bêtises que Lénine lui-même, puisqu’il s’était même opposé à l’édition en Russie de ses "œuvres complètes", sachant qu’on adule d’autant plus un révolutionnaire mort qu’on veut écraser en réalité ses idées.

Albert Einstein, qui n’était ni révolutionnaire ni communiste et n’estimait pas devoir se situer dans le camp du prolétariat, déclarait cependant :

« En Lénine, j’honore un homme qui a dédié toutes ses forces et a dévoué sa personne à la réalisation de la justice sociale. »

André Breton en annexe à l’ouvrage "Lénine" de Trotsky :

"Lénine, Trotsky, voici donc ces hommes de qui nous avons tant entendu médire et qu’on nous représentait comme les ennemis de ce qui peut encore trouver grâce à nos yeux, comme les fauteurs de je ne sais quel encore plus grand désastre utilitaire que celui auquel nous assistons. Voici que dégagés de toute arrière-pensée politique, ils nous sont donnés en pleine humanité ; qu’ils s’adressent à nous, non plus en exécuteurs impassibles d’une volonté qui ne sera jamais dépassée, mais en hommes parvenus au faîte de leur destinée, et qui se comptent soudain, et qui nous parlent, et qui s’interrogent."

Sommaire du site

"L’internationalisme de Lénine n’a pas besoin d’être démontré. Il se manifeste admirablement dans l’intransigeante rupture que Lénine accomplit, dès les premiers jours de la guerre mondiale, avec cette contrefaçon d’internationalisme qui dominait dans la II° Internationale. Les leaders officiels du “ socialisme ” conciliaient, du haut de la tribune parlementaire, les intérêts de la patrie avec ceux de l’humanité par des arguments abstraits dans le goût des cosmopolites d’autrefois. En pratique, cela menait, comme nous savons, à soutenir une patrie de pillards en utilisant pour cela les forces du prolétariat.

L’internationalisme de Lénine, loin d’être une conciliation purement verbale entre l’esprit national et l’esprit international, est une formule d’action révolutionnaire étendue à tous les peuples. Le territoire mondial occupé par ce que l’on appelle l’humanité civilisée est considéré comme un immense et unique champ de bataille sur lequel manœuvrent les peuples et les classes. Pas une seule des grandes questions humaines ne doit se resserrer dans un cadre national. Des fils visibles ou invisibles établissent un lien efficace entre le fait qui peut sembler national et des dizaines d’autres faits qui se produisent sur tous les points du globe. Dans les appréciations qu’il donne sur les forces et les facteurs de la vie internationale, Lénine est plus exempt que quiconque de toute partialité nationale.

Marx estimait que les philosophes avaient suffisamment interprété le monde ; pour lui, le problème consistait à le transformer. Mais, génial précurseur, il ne vécut pas assez longtemps pour assister à cette transformation. Le vieux monde est à présent en plein remaniement, et Lénine en est le premier ouvrier. Son internationalisme consiste à juger pratiquement de toutes choses et à intervenir pratiquement dans l’histoire, sur un plan mondial, en poursuivant des fins mondiales. La Russie et ses destinées ne constituent qu’un des éléments de ce grandiose procès historique dont l’issue fixera le sort de l’humanité.

Non, l’internationalisme de Lénine n’a pas besoin d’être démontré. Mais en même temps, Lénine lui-même est profondément national. Il a ses racines dans la nouvelle histoire de la Russie ; il concentre cette histoire en lui-même ; il lui donne sa plus haute “ pression et c’est précisément par là qu’il atteint les sommets de l’action internationale et de l’influence mondiale.

A première vue, il peut sembler bien surprenant que l’on caractérise Lénine par son côté “ national ”, mais en somme, cela devrait aller de soi. Pour diriger une révolution inouïe dans l’histoire des peuples, le bouleversement par lequel passe la Russie, il faut évidemment qu’il existe entre le chef et les forces profondes de la vie populaire un lien indissoluble, organique, touchant aux racines les plus profondes.

En Lénine s’incarne le prolétariat russe – une classe toute jeune qui, politiquement parlant, n’est guère plus âgée que Lénine lui même ; mais une classe profondément nationale, car en elle se résume toute l’évolution précédente de la Russie, en elle est tout l’avenir du pays, avec elle vit et se transforme la nation russe. L’indépendance à l’égard de toute routine, de l’hypocrisie et des formules conventionnelles, la hardiesse de la pensée, l’audace dans l’action audace qui ne devient jamais téméraire voilà ce qui caractérise le prolétariat russe et Lénine en même temps.

Cette nature du prolétariat russe qui fait de lui, actuellement, la plus importante des forces de la révolution internationale est le fruit de toute l’histoire nationale de la Russie : la cruauté barbare de l’autocratie, la nullité des classes privilégiées, le développement fiévreux du capitalisme, activé par l’influence de la haute banque mondiale, la déchéance de la bourgeoisie russe, la décadence de son idéologie et la médiocrité de sa politique. Notre “ Tiers Etat ” n’a pas eu et ne pouvait avoir sa Réforme, ni sa Grande Révolution. La tâche révolutionnaire du prolétariat russe n’en était que plus étendue, plus universelle. Notre passé ne nous a donné ni un Luther, ni un Thomas Muntzer, ni un Mirabeau, ni un Danton, ni un Robespierre. C’est pour cela précisément que le prolétariat russe a son Lénine. Ce qui a été perdu en tradition est regagné par l’envergure de la révolution.

Lénine est le reflet, l’image de la classe ouvrière non seulement dans son présent prolétarien, mais aussi dans son passé paysan encore tout récent. Le plus indiscutable des chefs du prolétariat n’a pas seulement l’aspect extérieur d’un moujik, il en a la forte nature intérieure.

Devant l’Institut Smolny s’élève le monument d’un autre grand homme du prolétariat mondial : Marx sur un socle de pierre, en redingote noire. Ce n’est qu’un détail, bien entendu : mais il est impossible de me représenter Lénine en redingote. Certains portraits de Marx nous le montrent portant un large plastron empesé sur lequel se dessine une sorte de monocle. Marx n’était pourtant guère disposé à la coquetterie : c’est assez clair pour celui qui le connaît un peu. Mais il est né et il a grandi sur un autre terrain de culture nationale, il a respiré une autre atmosphère : l’élite de la classe ouvrière allemande ne se rattache pas au village, à la paysannerie, mais à l’artisanat, aux corporations et à cette complexe culture urbaine qui procède du moyen-âge.

Le style même de Marx, qui a de la richesse et de la beauté, qui combine la vigueur et la souplesse, la colère et l’ironie, l’austérité et le raffinement, porte en lui l’héritage littéraire et esthétique de toute la littérature allemande, sociale et politique, qui date de la Réforme et d’avant. Le style écrit et oratoire de Lénine est extrêmement simple, utilitaire, ascétique, comme sa nature même. Mais dans ce puissant ascétisme, il n’y a pas l’ombre d’un préjugé de moraliste. Ce n’est pas un principe, ce n’est pas un système préconçu et, naturellement, ce n’est pas de la pose : simplement l’expression d’une concentration intérieure des forces destinées à l’action. C’est l’esprit pratique, c’est l’économie intérieure du moujik - mais sur un plan grandiose.

Marx se retrouve tout entier dans le Manifeste communiste, dans la préface à sa Critique, dans Le Capital. Même s’il n’avait pas fondé la Première Internationale, il serait resté à jamais tel qu’il nous apparaît aujourd’hui. Au contraire, Lénine est tout entier dans l’action révolutionnaire. Ses travaux scientifiques ne sont qu’une préparation à l’action. Même s’il n’avait publié aucun livre, il serait entré dans l’histoire tel qu’il y entre à présent, comme chef de la révolution prolétarienne et fondateur de la III° Internationale.

Un système scientifique clair, une dialectique matérialiste, voilà l’indispensable pour l’action élargie au plan historique sur lequel devait travailler Lénine ; voilà l’indispensable, mais cela ne suffit pas encore. Il faut encore ajouter la force créatrice profonde et secrète que nous appelons l’intuition : la capacité d’apprécier en un clin d’œil, et comme au vol, les événements, de discerner l’essentiel et l’important, en rejetant les broutilles et les détails, de compléter par l’imagination les lacunes du tableau, d’achever la pensée des autres et, notamment et surtout, de prévoir jusqu’au bout la pensée des adversaires ; la capacité d’unifier tous ces éléments et de porter des coups au moment même où se constitue dans l’esprit la “ formule ” du coup nécessaire. C’est l’intuition de l’action. C’est la capacité d’un esprit pratiquement inventif.

Lorsque Lénine, fermant à demi l’œil gauche, écoute la lecture d’une dépêche radio qui lui apporte le discours parlementaire d’un des dominateurs de l’impérialisme ou une note diplomatique d’un intérêt immédiat document dans lequel il retrouve la perfidie sanguinaire combinée avec l’hypocrisie la plus exquise , il ressemble à un moujik des plus matois qui ne se laisse pas prendre aux phrases, qui n’est la dupe des grands mots. Il est alors le moujik inventif et adroit, mais à la plus haute puissance, au niveau du génie, muni des armes les plus perfectionnées de la science.

Le jeune prolétariat de Russie n’a pu accomplir un œuvre actuelle qu’en entraînant avec lui la lourde masse de la paysannerie, comme on arrache une motte de terre avec les racines. Tout notre passé national a préparé cet événement. Mais c’est justement parce que l’histoire a porté le prolétariat au pouvoir, c’est pour cela que notre révolution a surmonté d’un seul coup et radicalement l’esprit national borné, l’esprit provincial si limité de l’ancienne histoire de Russie. La Russie soviétique n’est pas seulement devenue l’asile de l’Internationale Communiste ; elle est la vivante expression de son programme et de ses méthodes.

Par les voies inconnues, encore ignorées de la science, que suit la personnalité humaine pour se former, Lénine a absorbé du milieu national tout ce dont il avait besoin pour accomplir la plus grande action révolutionnaire dans l’histoire universelle. C’est précisément pour cela qu’à travers Lénine la révolution socialiste qui possédait depuis longtemps son expression théorique internationale a trouvé sa première incarnation nationale. Lénine est devenu ainsi, dans le sens le plus direct, le plus immédiat, le conducteur révolutionnaire du prolétariat mondial. Voilà ce que l’on peut dire de lui, voilà ce que l’on reconnaît en lui au jour de son cinquantenaire."

Léon Trotsky sur Lénine

Lénine en 1917

Lénine et le parti bolchevik en 1917

La mort de Lénine

BIOGRAPHIE de LENINE

1930

Lénine, Vladimir Iliitch Oulianov (1870-1924) fondateur et guide spirituel des républiques Soviétiques et de l’Internationale Communiste, disciple de Marx, chef du Parti Bolchevik et organisateur de la révolution d’octobre en Russie, naquit le 9/21 avril 1870 à Simbirsk, maintenant Oulianovsk. Son père, Ilia Nicolaevitch, était maître d’école. Sa mère, Maria Alexandrovna, était la fille d’un médecin nommé Berg.. Son frère aîné (né en 1866), faisait partie du groupe des Narodovoltzy (société révolutionnaire terroriste) et prit part à l’attentat manqué contre Alexandre III. Il fut exécuté. Cet événement fut décisif dans la vie de Lénine.

JEUNESSE

Troisième d’une famille de six enfants, Lénine termina ses études au lycée de Simbirsk en 1887, obtenant la médaille d’or ; il entra à l’université de Kazan pour faire ses études de droit, mais fut renvoyé en décembre de la même année et banni du pays pour avoir pris part à une réunion d’étudiants. Il n’eut la permission de rentrer à Kazan qu’en automne 1889. Il commença alors l’étude méthodique de Marx et se lia avec les membres du cercle marxiste local. En 1891, il passa ses examens de droit à l’université de Saint-Pétersbourg, et débuta en 1892 comme avocat stagiaire au barreau de Samara, plaidant même dans plusieurs procès. Mais sa vie était surtout consacrée à l’étude du marxisme et à son application au développement économique et politique de la Russie et du monde entier. En 1894 il se rendit à Saint-Pétersbourg et s’adonna à la propagande. De cette période datent ses premières polémiques contre le parti populiste, qui circulaient en manuscrit de main en main. Peu après, Lénine commença dans la presse une lutte théorique contre les falsificateurs de Marx. En avril 1895, il fit son premier voyage à l’étranger pour rencontrer Plékhanov, Zassoulitch, Axelrod et le groupe marxiste "Osvobojdénié Trouda" (Libération du Travail). A son retour à Saint-Pétersbourg, il organisa le groupe illégal de "l’Union pour la libération de la classe ouvrière", qui devint rapidement une organisation importante, menant une active propagande parmi les ouvriers. En décembre 1895, Lénine fut arrêté ainsi que ses plus proches collaborateurs. Il passa l’année 1896 en prison, fut exilé, en février 1897, pour trois ans dans la province de l’Iénisséi, en Sibérie orientale.

En I898, il épousa N. K. Kroupskaïa, une camarade de l’"Union" de Saint-Pétersbourg et sa fidèle compagne pendant les 26 dernières années de sa vie. Durant son exil, il termine son ouvrage économique le plus important : Le développement du capitalisme en Russie, basé sur une documentation statistique considérable (I899).

En 1900, Lénine se rendit en Suisse pour organiser, avec le groupe Libération du Travail, la publication d’un journal révolutionnaire destiné à la Russie. A la fin de l’année, le premier numéro de l’Iskra (l’Etincelle) parut à Münich, portant la devise "De l’étincelle jaillira la flamme". Le but en était de donner, avec une interprétation marxiste des problèmes de la révolution, des mots d’ordres de luttes, et de former un parti révolutionnaire "souterrain" de Social-démocrates, qui, à la tête du prolétariat, mènerait la lutte contre le tsarisme. L’idée d’un parti organisé, avant-garde dans la lutte du prolétariat sous toutes les formes et manifestations, est une des idées centrales du Léninisme, intimement liée à la notion d’hégémonie de la classe ouvrière dans le mouvement démocratique du pays. Cette idée trouvera son expression achevée dans le programme de la dictature du prolétariat quand le développement du mouvement révolutionnaire aura préparé les conditions de la révolution d’octobre.

BOLCHEVIKS et MENCHEVIKS

Le 2ème congrès du parti Social-démocrate de Russie (Bruxelles, Londres) en juillet 1903, accepta le programme élaboré par Plékhanov et Lénine mais se termina par la scission historique du parti entre Bolcheviks et Mencheviks. A partir de ce moment, Lénine commença à appliquer ses propres conceptions comme chef du groupe Bolchevik qui devint plus tard le parti Bolchevik.

La scission entre les deux fractions se produisit sur 1a question de la tactique et, finalement, sur le programme du parti. Les Mencheviks tendaient à concilier la politique du prolétariat russe avec celle de la bourgeoisie libérale. Lénine voyait dans la paysannerie la plus sûre alliée du prolétariat. Des accords occasionnels et des relations très proche avec les mencheviks ne purent enrayer les divergences constantes des deux lignes : révolutionnaire et opportuniste, prolétarienne et bourgeoise. La lutte contre les mencheviks fut le point de départ de la politique qui conduisit à la rupture avec la 2ème Internationale (1914), à la révolution d’octobre (1917), et au changement de nom du Parti Social-Démocrate en celui de Parti Communiste (1918).

La défaite sur terre et sur mer, pendant la guerre Russo-Japonaise, la fusillade des ouvriers le 9/22 Janvier 1905, les émeutes paysannes et les grèves politiques créèrent une situation révolutionnaire. Le programme de Lénine était : préparation d’une insurrection armée des masses et création d’un gouvernement provisoire organisant la dictature démocratique révolutionnaire des ouvriers et des paysans pour délivrer le pays du tsarisme et de la servitude. Le troisième congrès du parti, comprenant seulement les bolcheviks, le compléta par un nouveau programme agraire prescrivant la confiscation de la grande propriété foncière. En octobre 1905 eut lieu une grève générale dans toute la Russie. Le 17 du même mois, le tsar lança son Manifeste "constitutionnel". Au début de novembre, Lénine arriva de Genève et appela les Bolcheviks à faire, dans le parti, une large place aux ouvriers, tout en conservant leur organisation illégale en prévision de coups de force contre-révolutionnaires.

Dans les événements de 1905, Lénine distingua trois traits principaux :

1. La conquête temporaire par le peuple d’une certaine liberté politique ;

2. La création virtuelle d’un nouveau pouvoir révolutionnaire sous la forme des Soviets de députés ouvriers, soldats et paysans ;

3. L’emploi par le peuple de la force envers ceux qui l’avait employée contre lui. Ces conclusions tirées des événements de 1905 devinrent les principes directeurs de la politique de Lénine en 1917 et conduisirent à la dictature du prolétariat personnifiée par l’état Soviétique.

La révolte de fin décembre à Moscou fut vite écrasée, faute d’être soutenue par l’armée et les autres villes. La bourgeoisie libérale se trouva portée au premier plan. L’époque de la première Douma commençait. C’est alors que Lénine formula les principes de l’utilisation des méthodes parlementaires comme nouveau moyen de combattre.

En décembre I907, Lénine quitta la Russie. II ne devait y rentrer qu’en 1917. En 1907 s’ouvrit une période de contre-révolution victorieuse, de persécution, de déportation, d’exécution et d’émigration. Lénine combattit les mencheviks qui se faisaient les avocats de la liquidation du parti illégal – de là leur surnom de liquidateurs – et demandaient de substituer aux méthodes de combat une action légale dans le cadre du régime existant. De nouveau, apparurent les "conciliateurs" qui essayaient de prendre une position. intermédiaire entre Bolcheviks et Mencheviks ; Socialistes-Révolutionnaires qui voulaient suppléer à l’inertie des masses par le terrorisme individuel ; enfin ceux que l’on a appelé les "Otzovistes" qui réclamaient le rappel immédiats des députés Sociaux-Démocrates de la Douma, au nom de l’activité révolutionnaire. Tous se dressaient contre les Bolcheviks.

A la même époque Lénine poursuivait une campagne intense contre la tentative de réviser la base théorique du marxisme sur laquelle sa politique était établie. En 1908, il écrivit un important traité dirigé contre la philosophie essentiellement idéaliste de Mach, d’Avénarius et de leurs suiveurs russes, qui tentaient de concilier l’empiriocriticisme et le marxisme. Lénine prouva que la méthode du matérialisme dialectique formulée par Marx et Engels se trouvait confirmée par le développement de la pensée scientifique en général et de l’histoire naturelle en particulier. Ainsi la lutte révolutionnaire constante que menait Lénine allait de pair avec ses controverses théoriques.

Les années 1912-14 furent marquées par un regain d’activité du mouvement ouvrier russe. Des fissures apparurent dans le régime contre-révolutionnaire. Au début de 1912, Lénine convoqua à Prague une conférence secrète des organisations bolcheviques. Les liquidateurs furent exclus du parti. La rupture avec les mencheviks était complète. Un nouveau Comité central fut élu. De l’étranger, Lénine faisait paraître a Saint-Pétersbourg le journal légal Pravda, qui, constamment en conflit avec la censure, exerçait une influence prépondérante sur l’avant-garde de la classe ouvrière. En juillet 1912, il se transporta avec ses plus proches collaborateurs, de Paris à Cracovie, pour se rapprocher de la Russie. Le mouvement révolutionnaire grandissait et, par cela même les .bolcheviks prenaient de l’ascendant. Sous différents pseudonymes, Lénine collaborait journellement à la presse légale et illégale des Bolcheviks. Alors, comme avant et après, N. K. Kroupskaïa était au centre du travail d’organisation. Elle recevait les camarades venant de Russie, donnait des instructions à ceux qui s’y rendaient, établissaient des liaisons souterraines, écrivait, chiffrait et déchiffrait la correspondance.

La déclaration de guerre trouva Lénine au village de Poronine, en Galicie. La police autrichienne, le soupçonnant d’être un espion russe, l’arrêta ; une quinzaine de jours après, il fut expulsé en Suisse.

L’INTERNATIONALISME

Une nouvelle phase de travail, d’ordre international s’ouvrait maintenant pour Lénine. Son Manifeste publié au nom du parti, le 1.11.1914, dénonçait le caractère impérialiste de la guerre et le forfait de toutes les grandes puissances qui préparaient depuis longtemps cette lutte sanglante dans le but d’élargir leurs marchés et d’abattre leur rivaux. Il montra que l’agitation patriotique de la bourgeoisie dans les deux camps, chacun rejetant le blâme sur l’adversaire, n’était qu’une manœuvre destinée à tromper les ouvriers. Le manifeste démontrait que presque tous les chefs Social-Démocrates étaient du côté de la bourgeoisie de leur propre pays, violant ainsi les résolutions des congrès de l’internationale socialiste, et que cela devait entraîner la déchéance de la 2ème Internationale. La défaite de leur gouvernement devait être le mot d’ordre des social-démocrates de tous les pays. Lénine soumit à une critique impitoyable, non seulement le patriotisme socialiste, mais le socialisme platonique détaché de la lutte révolutionnaire contre l’impérialisme. La lutte contre le pacifisme était une lutte de grande envergure contre des éléments de la classe ouvrière restés à mi-chemin entre les Social-Démocrates et les communistes et qui soutiennent pratiquement les premiers.

Les politiciens et les théoriciens de la 2ème Internationale redoublèrent les accusations d’anarchisme qu’ils avaient déjà portées contre Lénine. En fait, Lénine menait une lutte sur deux fronts : d’une part contre les réformistes qui, depuis le début de la guerre soutenaient la politique impérialiste des classes possédantes et, d’autre part, contre les anarchistes et toutes les sortes d’aventuriers révolutionnaires.

Le 01.11.1914, Lénine fit paraître le projet de création d’une nouvelle internationale, dont le but était l’organisation du prolétariat pour le combat révolutionnaire contre les gouvernements capitalistes, pour la guerre civile contre la bourgeoisie de tous les pays, pour la conquête du pouvoir politique et la victoire du socialisme. Du 5 au 8.9.1915 se tint la première conférence de Zimmerwald, réunissant les socialistes européens opposés à la guerre. 31 délégués étaient présents. L’aile gauche de Zimmerwald et, plus tard, de Kienthal, adoptèrent la motion de Lénine pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Cette gauche devint le noyau de la future internationale. La 2ème conférence établit son programme de tactique et d’organisation sous la direction de Lénine. C’est lui encore qui inspira directement les quatre premiers congrès de l’Internationale Communiste.

Lénine était préparé à la lutte sur une échelle internationale, non seulement par sa profonde connaissance du marxisme et son expérience de l’organisation révolutionnaire du parti russe, mais aussi par sa remarquable connaissance du mouvenent ouvrier du monde entier. Il parlait couramment l’anglais, l’allemand et le français, et pouvait lire l’italien, le suédois et le polonais. Il était fermement opposé à l’application mécanique des méthodes d’un pays à un autre. Il étudiait et résolvait les questions du mouvement révolutionnaire non seulement dans leur réactions internationales, mais aussi dans leur forme nationale et concrète.

LA RÉVOLUTION de 1917

La révolution de 1917 trouva Lénine en Suisse. Ses tentatives pour rentrer en Russie rencontrèrent l’opposition du gouvernement Anglais et il décida de passer par l’Allemagne. La réussite de son plan déchaîna parmi ses ennemis une tempête de calomnies, d’ailleurs impuissante à l’empêcher d’assumer la direction de son parti et, peu après, de la révolution !

Dans la nuit du 4 avril, au sortir du train, Lénine prononça à la gare de Finlande, à Pétrograd, un grand discours dont les idées directrices furent le thème de sa politique des jours suivants. La chute du tzarisme, disait-il, était seulement le premier stade de la révolution. La révolution bourgeoise ne pouvait pas longtemps satisfaire les masses. Le devoir du prolétariat était de s’armer, de fortifier le pouvoir des soviets, de réveiller la campagne et de se préparer à la conquête du pouvoir suprême, au nom de la reconstruction de la société sur une base socialiste. Ce programme à longue portée fut non seulement très mal accueilli par les socialistes patriotes, mais créa des dissentiments chez les bolcheviks eux-mêmes. Plékhanov trouvait ce programme délirant. Mais Lénine prévoyait que la méfiance envers la bourgeoisie grandirait de jour en jour, que le parti Bolchevik obtiendrait la majorité aux "Soviets" et que. le . pouvoir suprême passerait dans ses mains. Le petit quotidien PRAVDA devint dans ses mains une arme puissante pour le renversement de la bourgeoisie.

La politique de coalition avec la bourgeoisie, poursuivie par les social-Patriotes ainsi que les attaques désespérées que les alliés exigèrent de l’armée russe, éveillèrent les masses et conduisirent dans les premiers jours de juillet à des démonstrations armées à Pétrograd. La lutte contre les Bolcheviks s’intensifia. Le 5 juillet, le service secret contre-révolutionnaire publia de faux documents soi-disant pour prouver que Lénine agissait sous les ordres de l’état-major allemand. Dans la soirée, des détachements "sûrs" ramenés du front par Kérensky et des junkers des districts environnant Pétrograd, occupèrent la ville. Le mouvement POPULAIRE fut écrasé. La "chasse" aux Bolcheviks atteignit son paroxysme. De nouveau, Lénine dut reprendre sa vie souterraine, se cachant d’abord dans une famille d’ouvriers de Pétrograd, puis en Finlande.

Après les journées de juillet et les tentatives contre-révolutionnaires du général Kornilov, les distributions d’ armes qui suivirent suscitèrent une explosion d’énergie dans les masses. Les Bolcheviks obtinrent la majorité dans les soviets de Pétrograd et de Moscou. Lénine préconisait l’action décisive pour prendre le pouvoir : "Maintenant ou jamais" répétait-il passionnément, dans ses articles, ses lettres et ses entrevues avec des camarades.

LE CONSEIL des COMMISSAIRES du PEUPLE

La révolte contre le gouvernement provisoire coïncida avec l’ouverture du 2ème congrès des soviets, le 25.10. Lénine, après avoir vécu caché pendant trois mois et demi, apparut à Smolny et dirigea la lutte. Dans la séance de la nuit du 27.10, il proposa un décret sur la paix, voté à I’unanimité et un autre sur la terre voté a l’unanimité moins une voix et huit abstentions. La majorité bolchevique, soutenue par l’aile gauche des Socialistes-Révolutionnaires, décida la transmission du pouvoir au soviets. Le conseil des commissaires du peuple fut élu avec à sa tête Lénine.

Ayant obtenu la terre, les paysans soutinrent les Bolcheviks. Les soviets étaient maîtres de la révolution. L’assemblée constituante, élue en novembre et qui se réunit le 5.1 n’était plus qu’un anachronisme. Le conflit entre les deux stades de la révolution était à terme. Lénine n’hésita pas un instant : sur sa proposition, le comité exécutif central pan-russe décréta la dissolution de l’assemblée constituante. La dictature du prolétariat, disait Lénine, signifiait le plus haut degré de démocratie pour les majorités travailleuses du peuple, donnant aux travailleurs tous les biens matériels (salles de réunions, imprimerie, etc.) sans lesquels la liberté n’est qu’une illusion. La dictature du prolétariat est une étape nécessaire conduisant à l’abolition des classes dans la société.

La question de la guerre et de la paix provoqua une nouvelle crise. Une fraction considérable du parti demandait une guerre révolutionnaire contre le Hollenzollern, oubliant et la situation économique de la Russie et la mentalité de la paysannerie. Lénine se rendait compte que, dans un but de propagande, il était nécessaire de faire traîner en longueur les négociations avec les allemands. Mais il demandait qu’en cas d’ultimatum, paix soit signée, même au prix de territoires ou d’ indemnités. La révolution qui s’éveillait en occident devait tôt ou tard, anéantir les dures conditions de paix. Le réalisme politique de Lénine s’affirma dans toute sa force en cette occasion. La majorité du Comité Central, en oppositon avec Lénine, tenta une dernière fois d’empêcher la soumission à l’impérialisme allemand en déclarant la fin de la guerre tout en refusant de signer une paix impérialiste. Il en résulta une nouvelle offensive.

Après des débats passionnés au Comité Central le 18.2, Lénine ayant proposé de reprendre immédiatement les négociations et de signer les conditions allemandes, plus défavorables que jamais, rallia la majorité. Le Gouvernement soviétique, sur l’initiative de Lénine, se transporta à Moscou. La paix conclue, Lénine posait maintenant, devant le parti et devant le pays, la question de l’organisation économique et culturelle. Mais les plus grandes épreuves n’étaient pas encore venues. A la fin de l’été 18, la Russie centrale se trouva entourée d’un cercle de feu. En accord avec les contre-révolutionnaires russes éclata la révolte des Tchécoslovaques sur la Volga, au nord et au sud, ce fut l’intervention anglaise (Arkhangel, 2.8, Bakou 14.8). Le ravitaillement n’était plus assuré.

Lénine ne cessa pas un instant de diriger parti et le gouvernement. Il menait de front, la propagande, l’agitation dans les masses, l’organisation des convois de blé, observait les mouvements de l’ennemi, se tenait en communication directe avec l’armée rouge. Il suivait la situation internationale, les dissensions entre impérialistes lui suggérant la conduite à suivre. Il trouvait le temps pour des entrevues avec les militants étrangers et avec les ingénieurs et économistes soviétiques.

Le 30.8, la Socialiste-Révolutionnaire Kaplan tira deux coups de révolver sur Lénine, alors qu’il se rendait à un meeting ouvrier. Cet attentat intensifia la guerre civile.

La forte constitution de Lénine résista aux blessures. Pendant sa convalescence il écrivit un pamphlet : LA REVOLUTION PROLETARIENNE ET LE RENEGAT KAUTSKY dirigé contre le théoricien le plus éminent de la 2ème Internationale. Le 22.10 il prenait de nouveau la parole en public.

LA NOUVELLE POLITIQUE ECONOMIQUE

La guerre sur les fronts intérieurs demeurait sa principale préoccupation. Les problèmes économiques et administratifs devaient nécessairement passer au second plan. La guerre civile soutenue par l’étranger était a soin apogée. La lutte prit fin au début de 1921 par la défaite complète de la contre-révolution et le gouvernement en fut renforcé. Le fait que la guerre n’avait pas amené une révolution prolétarienne en Europe avait considérablement aggravé les difficultés de la construction socialiste, impossible sans un accord entre le prolétariat et la paysannerie. Il fallait remplacer le système des réquisitions chez les paysans par un impôt correctement établi, rétablir le commerce privé.

Ces mesures ouvrirent une nouvelle phase de la révolution. Ce fut la "Nouvelle Politique Economique". A l’intérieur de la fédération soviétique. Lénine essayait de toutes les manières de donner aux nationalités opprimées sous le tzarisme les conditions d’un libre développement national. Il fit une guerre implacable à toute les tendances impérialistes, spécialement à l’intérieur du parti, dont il défendait très strictement les principes. L’accusation portée contre Lénine et son parti d’opprimer les nationalités, accusation basée sur les événements de Géorgie, etc. était due à l’âpre lutte de classe à l’intérieur du pays. Lénine insistait pour que le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes fût appliqué dans toute sa rigueur aux peuples coloniaux. Il avait pour doctrine que le prolétariat occidental ne devait pas se contenter de simples déclarations de sympathie vis-à-vis des nationalités opprimées, mais devait lutter avec elles contre l’impérialisme.

Au 8ème congrès des Soviets (1920), Lénine fit un rapport sur le plan d’électrification du pays dû à son initiative. L’effort progressif vers un haut degré de développement technique indique le succès de la transformation de l’économie paysanne morcelée et peu coordonnée en un large système de production socialiste, basé sur un vaste plan unique. "Le Socialisme, c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification".

SA MORT

Epuisée par un travail intensif, la santé de Lénine s’altéra en quelques années. La sclérose attaqua ses artères cérébrales au début de 1922, les médecins lui interdirent le travail quotidien. De juin à août le mal fit des progrès rapides. Une première fois, Lénine perdit l’usage de la parole, et en décembre, fut paralysé de la jambe du bras droits. Il mourut le 21 janvier 1924 à 6h 30 à Gorky, prés de Moscou. Ses funérailles furent l’occasion d’une manifestation sans exemple d’amour et de douleur de la part de millions de personnes.

Dans son apparence extérieure, Lénine se distinguait par la simplicité et la force : taille un peu inférieure à la moyenne, visage aux traits du type populaire slave, éclairé d’yeux perçants, large front et tête puissante lui donnaient une allure remarquable, infatiguable au travail à un degré inconcevable, il mettait la même conscience exemplaire à faire une conférence dans un petit cercle ouvrier de Zurich qu’à organiser le premier état socialiste du monde. Il appréciait et aimait par dessus tout la science, l’art et la culture, sans jamais oublier que ces biens ne sont encore que la propriété d’une infime minorité. Sa façon de vivre au Kremlin différait peu de celle d’un proscrit. La simplicité de ces habitudes provenait de ce que le travail intellectuel et la lutte, non seulement absorbait tout son intérêt et ses passions, mais lui procurait les joies les plus intenses. Toutes ses pensées étaient tendues vers l’œuvre de l’émancipation des travailleurs.

Léon Trotsky

1930

EXTRAITS DE PIERRE BROUE DANS "LE PARTI BOLCHEVIQUE" :

Lénine
La description de ce que fut le parti bolchevique ne serait pas complète si l’on ne tentait de décrire celui qui l’a fondé et dirigé jusqu’à sa mort. Lénine, bien sûr, s’identifie d’une certaine manière au parti, il en est pourtant fort différent. D’abord, il est presque seul de sa génération, ses premiers compagnons de lutte, Plékhanov, son aîné, et Martov, son contemporain, dirigeant les mencheviks. Ses lieutenants de la première époque, Krassine et Bogdanov, se sont éloignés. A l’époque la conférence de Prague, les plus anciens de ses collaborateurs immédiats, Zinoviev, Kamenev, Sverdlov, Noguine, ont moins de trente ans. Il en a, lui, quarante-deux et il est, chez les bolcheviks, le seul de la génération d’avant l’Iskra, celle des pionniers du marxisme. Les jeunes hommes du noyau bolchevique sont d’abord et avant tout ses élèves.
Ce n’est pas le lieu d’aborder ici l’analyse des capacités intellectuelles de Lénine, de sa culture, de sa puissance de travail, de l’agilité de son raisonnement, de la pénétration de son analyse et de la profondeur de ses perspectives. Soulignons simplement que, convaincu de la nécessité de l’instrument historique qu’était le parti, il s’est acharné à le construire et à le renforcer pendant toute cette période, en s’appuyant sur les perspectives et les données du mouvement des masses, avec une remarquable confiance dans la solidité de sa propre analyse et de son intuition. Profondément convaincu que les conflits idéologiques sont inévitables, il écrit à Krassine que « c’est une utopie d’attendre une solidarité complète à l’intérieur du comité central ou entre ses agents ». Il se bat pour convaincre, sûr d’avoir raison, sûr aussi que le développement politique lui donnera raison. Aussi accepte-t-il finalement d’un cœur léger une défaite qu’il escompte provisoire, comme celle qu’il subit face aux komitetchiki au congrès de 1905, à la veille d’une révolution dont il sait qu’elle va balayer leur routine. A la fin de la même année, il cède à la poussée des militants en vue d’une réunification que lui juge prématurée. mais limite d’avance les dégâts possibles en concentrant ses forces pour obtenir dans le parti unifié l’élection au comité central selon la représentation proportionnelle des tendances. Entre 1906 et 1910, il multiplie les efforts pour convaincre les dissidents de sa fraction et leur laisse finalement l’initiative de la rupture. En 1910, il s’incline devant la politique des « conciliateurs » défendue par Doubravinski qu il tient pour un militant précieux et qu’il espère rapidement convaincre par l’expérience
Intransigeant sur toutes les questions qu’il juge fondamentales - le travail illégal est, à ses yeux, l’une des pierres de touche du caractère révolutionnaire de l’action entreprise - il compose ou recule à l’occasion, et pas seulement lorsque, minoritaire, il doit donner l’exemple de la discipline qu’il invoque lorsqu’il a la majorité. Son objectif n’est pas d’avoir raison tout seul, mais de fabriquer l’outil ,qui lui permettra d’intervenir dans la lutte des classes et d’avoir raison historiquement, « à l’échelle de millions », comme il aime à le répéter : pour conserver sa fraction, ces hommes soigneusement triés pendant des années, il sait attendre et même plier, mais ne dissimule jamais non plus qu’il n’hésiterait pas à tout recommencer si ses adversaires remettaient en cause l’essentiel. Dans la polémique idéologique ou tactique, il semble toujours aiguiser les angles, pousser les contradictions jusqu’à leur pointe extrême, accuser les contrastes, schématiser souvent et même caricaturer le point de vue de son adversaire. Ce sont là méthodes de combattant qui cherche la victoire, non le compromis, veut démonter jusqu’au mécanisme même de la pensée de son antagoniste et ramener les problèmes à des données facilement compréhensibles pour tous. Mais il ne perd jamais de vue la nécessité de conserver la collaboration à l’œuvre commune de celui avec qui il croise le fer. Pendant la guerre, en désaccord avec Boukharine sur le problème de l’Etat, il lui demande de ne pas écrire de texte sur cette question, pour ne pas accentuer des désaccords sur des points qu’ils n’ont, à ses yeux, ni l’un ni l’autre suffisamment travaillés. Il argumente toujours, s’incline parfois, mais ne renonce finalement jamais à convaincre, car c’est ainsi et ainsi seulement - quoi qu’aient pu dire et quoi que disent encore ses détracteurs – qu’il a remporté ses victoires et qu’il est devenu le chef incontesté de sa fraction, bâtie de ses mains et dont il a lui-même choisi et formé les hommes. Cela lui paraît d’ailleurs parfaitement normal, et c’est sans malaise qu’il répond à ceux que troublent les conflits entre compagnons d’armes : « Que les gens sentimentaux se lamentent et geignent : Encore des conflits ! Encore des dissensions internes ! Encore des polémiques ! Nous répondons : sans luttes nouvelles et constamment renouvelées, aucune social-démocratie révolutionnaire n’a jamais été formée » [30].
Aussi son autorité - immense - sur ses compagnons, n’est-elle ni celle du prêtre, ni celle de l’officier, mais celle du pédagogue et du compagnon, du maître, de l’ancien - le Vieux, dit-on familièrement - dont on admire l’intégrité, la perspicacité, dont on apprécie les connaissances et l’expérience, dont on peut mesurer l’empreinte sur l’histoire récente et dont on sait qu’il est le constructeur de la fraction et du parti. Son influence repose sur la force et la vigueur de ses idées, son tempérament de lutteur et son talent de polémiste, non sur un conformisme et une discipline rigides. De Krassine à Boukharine, ses camarades montreront que c’est pour eux un terrible drame de conscience que de s’opposer à lui. Ils le font cependant, car c’est un devoir, « le premier des devoirs d’un révolutionnaire », dit-il, de critiquer ses dirigeants : les élèves ne se jugeraient pas dignes du maître s’ils n’osaient, pensant qu’il se trompe, combattre son point de vue. Ce n’est d’ailleurs pas avec des robots que l’on peut construire un parti révolutionnaire. Il le sait, lui qui écrit à Boukharine que, si l’on excluait les gens intelligents, mais peu disciplinés, pour ne conserver que les imbéciles disciplinés, on ruinerait le parti. Et c’est pourquoi, comme l’histoire du parti, celle de la fraction depuis 1903 n’est qu’une suite de conflits idéologiques dont il ne sort vainqueur qu’au prix d’une longue patience. A cet égard, il est difficile de séparer, dans l’étude, Lénine de sa fraction où l’unité de vues naît d’une discussion quasi-permanente aussi bien sur les grandes questions que sur la tactique du moment.
C’est sans doute d’ailleurs la capacité de Lénine à associer, par la lutte dans le domaine des idées, des éléments aussi divers, des caractères aussi opposés, des hommes aux tendances si contradictoires que Zinoviev, Staline, Kamenev, Sverdlov, Préobrajenski, Boukharine, qui explique en définitive le succès de son entreprise d’organisation : la « cohorte de fer » qu’a voulu être et qu’a été le parti bolchevique naissait, autant que de ce « merveilleux prolétariat » dont parle Deutscher, du cerveau de l’homme qui avait choisi cette voie pour la construire.
Mais c’est aussi ce qui explique la solitude de Lénine. Aucun homme, dans le parti, finalement, ne se trouvera à la hauteur de ses capacités : il aura des auxiliaires et des élèves, des collaborateurs et des camarades, mais ne connaîtra sans doute qu’avec le seul Trotsky - dont la personnalité même explique peut-être qu’il n’ait pas été bolchevik et n’ait pas reconnu avant 1917 l’hégémonie de Lénine - un certain compagnonnage sur un pied d’égalité. C’est ce qui fera de lui, parmi les vieux-bolcheviks, un homme irremplaçable, même si, comme le dit Préobrajenski, il était « moins chef au gouvernail que ciment de la masse ». Car, si l’on admet avec Boukharine que les victoires du parti étaient dues autant à sa « fermeté marxiste » qu’à son « élasticité tactique » - et c’était là le point de vue des vieux-bolcheviks -, il faut aussi reconnaître que, sous ces deux aspects, le seul Lénine était l’inspirateur, et qu’avec le temps, instruits parleurs défaites répétées, ses contradicteurs bolcheviques ont appris à s’incliner. Or, la période révolutionnaire, en le plongeant dans l’histoire qui se fait « par millions et par millions », ne lui a pas laissé le temps de former la génération de ceux qui auraient pu, peut-être, lui tenir tête victorieusement. C’est cas l’hypothèse que suggère l’histoire du parti jusqu’à la mort de Lénine ; une mort qui permit que, de cette pensée par essence antidogmatique, naisse le dogme du « léninisme », lequel se substituera finalement à l’esprit « bolchevique » qu’il avait su créer.

Messages

  • Chers travalleurs habitants sur la terre,
    La vie est un combat, un combat qui n’ a pas de fin. Et nous devons le mener jusqu’à l’ultime minute. je crois que la vie c’est de regarder l’histoire des choses avant de s’y mettre puisque chaque chose a son histoire y compris des grande revolutions.bli de bko.

    • Plusieurs décennies de stalinisme et de "victoires" de celui-ci ont rendu difficile de parler de Lénine sans tomber dans les poncifs du "culte de la personnalité. Combien de révolutionnaires honnêtes, eux-mêmes, ont prétendu que Lénine avait entièrement préparé par avance les bolcheviks aux tâches de la révolution d’Octobre ? Alors que Lénine a changé de point de vue sur le caractère de celle-ci lors des premiers jours de février 1917, s’opposant ainsi à l’essentiel de la direction du parti bolchevik, pour ne citer qu’un seul exemple. Combien ont prétendu qu’octobre prouvait la préparation d’une direction, alors qu’en octobre justement la direction a été contre la prise du pouvoir. Quant à idolâtrer les capacités de Lénine, nul n’a plus combattu ce genre de bêtises que Lénine lui-même, puisqu’il s’était même opposé à l’édition en Russie de ses "œuvres complètes", sachant qu’on adule d’autant plus un révolutionnaire mort qu’on veut écraser en réalité ses idées.

  • Le stalinisme a fait oublier la politique révolutionnaire de Lénine. La thèse stalinienne du "socialisme en un seul pays" constitue une véritable trahison des principes de base de la lutte prolétarienne et de la révolution communiste, trahison contre laquelle ceux qui continuent de défendre le programme prolétarien, tel Trotsky dans le parti communiste d’Union soviétique, engagent un combat sans merci. En particulier, cette thèse, présentée par Staline comme un des "principes du léninisme", constitue l’exact contraire de la position de Lénine :

    "La révolution russe n’est qu’un détachement de l’armée socialiste mondiale, et le succès et le triomphe de la révolution que nous avons accomplie dépendent de l’action de cette armée. C’est un fait que personne parmi nous n’oublie (...). Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et prémisse fondamentale, l’intervention unie des ouvriers du monde entier." ("Rapport à la Conférence des comités d’usines de la province de Moscou", 23 juillet 1918).
    Lénine, défenseur exemplaire de l’Internationalisme Prolétarien

    L’internationalisme intransigeant de Lénine, marque de son adhésion totale au combat du prolétariat pour son émancipation, est une constante de toute sa vie. Il s’exprime en particulier en 1907, lors du Congrès de Stuttgart de l’Internationale socialiste, lorsque, en compagnie de Rosa Luxemburg, le plus grand nom du prolétariat d’Allemagne et de Pologne durant tout le début du 20ème siècle, Lénine mène le combat pour faire adopter par les délégués un amendement durcissant la résolution contre la guerre impérialiste. De même, Lénine participe activement au combat de la gauche de l’Internationale pour faire du Congrès extraordinaire de Bâle en 1912 une manifestation retentissante contre la menace de guerre. Mais c’est au cours de la 1ère guerre mondiale que l’internationalisme de Lénine trouve toute sa mesure. Sa dénonciation des "social-chauvins", mais aussi des "centristes" qui ne savent opposer à la boucherie impérialiste que des gémissements pacifistes, fait partie des pages les plus lumineuses de l’histoire du mouvement ouvrier. En particulier, à Zimmerwald, en septembre 1915, Lénine est l’animateur de la gauche de la conférence rassemblant les délégués des différents courants socialistes qui, en Europe, s’opposent à la guerre. Sa position se distingue de celle du "Manifeste" adopté par la conférence en affirmant clairement que "la lutte pour la paix sans action révolutionnaire est une phrase creuse et mensongère" et en appelant à la "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile"..."mot d’ordre... précisément... indiqué par les résolutions de Stuttgart et de Bâle".

    L’internationalisme de Lénine ne s’éteint pas avec la victoire de la révolution en Octobre 1917. Au contraire, il conçoit celle-ci uniquement comme premier pas et marchepied de la révolution mondiale. C’est pour cela qu’il prend un rôle déterminant, en compagnie de Trotsky, dans la fondation de l’Internationale Communiste, en mars 1919. En particulier, c’est à Lénine qu’il revient de rédiger un des textes fondamentaux du congrès de fondation : les "Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat".

    Du temps de Lénine, l’I.C. n’avait rien à voir avec ce qu’elle est devenue par la suite sous le contrôle de Staline : un instrument de la diplomatie de l’Etat capitaliste russe et le fer de lance de la contre-révolution à l’échelle mondiale. A son premier congrès, l’I.C. s’affirme et agit pratiquement comme "l’instrument pour la république internationale des conseils ouvriers, l’Internationale de l’action de masse ouverte, de la réalisation révolutionnaire,l’Internationale de l’action" ("Manifeste de l’I.C.", rédigé par Trotsky).

    Mais la vie militante de Lénine ne saurait se résumer à son internationalisme inflexible. Sur pratiquement toutes les questions importantes qui se posaient à la classe ouvrière, les positions de Lénine figuraient parmi les plus claires et intransigeantes.
    Les combats de Lénine pour la Révolution

    Dès le début de son activité militante, à la fin du 19ème siècle, Lénine se distingue dans le mouvement socialiste en Russie par son combat en profondeur contre le "populisme" et le "socialisme agraire". Pendant des années, ce courant avait fait reposer l’élimination du joug tsariste sur l’action de petites minorités d’intellectuels révoltés adeptes de l’action terroriste, et avait idéalisé la paysannerie comme agent de la régénération de la société en Russie. Aux billevesées d’un mouvement qui, en 1917-18, allait se retrouver, avec les "socialistes révolutionnaires", aux côtés de la bourgeoisie, Lénine oppose la vision marxiste qui fait du prolétariat la seule classe capable, non seulement de conduire le renversement du tsarisme, mais aussi de réaliser la seule alternative possible au capitalisme, la révolution socialiste. Durant la même période, Lénine est également à l’avant-garde de la lutte contre le "marxisme légal" qui, au nom de la nécessité du développement du capitalisme en Russie comme condition de la constitution d’un prolétariat fort, conduit à se mettre à la traîne et à la solde de la bourgeoisie libérale.

    Cette action déterminée en faveur du combat de classe, Lénine la poursuit au début du siècle lorsqu’il oppose (en particulier dans "Que faire") à l’opportunisme des "économistes" (qui préconisent de se mettre à la queue des illusions réformistes pesant sur les ouvriers) la vision d’une lutte politique pour la prise de conscience dans le prolétariat de ses objectifs révolutionnaires. Cette même détermination, nous la retrouvons, lors du 2ème congrès du "Parti Ouvrier Social-démocrate de Russie, en 1903, dans la défense par Lénine et les "bolcheviks" du parti révolutionnaire en tant qu’organisation de combat composée de militants convaincus et déterminés. En cette circonstance, Lénine s’oppose aux "mencheviks" qui proposent une conception floue et opportuniste du parti et qui véhiculent, en réalité, l’idéologie petite bourgeoise caractéristique des éléments intellectuels pour qui l’action révolutionnaire est conçue comme une sorte de "hobby". Ce combat contre les "mencheviks" se poursuit lors de la révolution de 1905, en Russie. Ces derniers, considérant que les conditions de la révolution prolétarienne ne sont pas encore mûres dans ce pays, n’ont rien d’autre à proposer aux ouvriers que de constituer une force d’appoint pour la bourgeoisie "démocratique", c’est-à-dire à renoncer à la défense de leurs intérêts de classe. En revanche, même s’ils ne sont pas encore tout à fait clairs sur la nature de la révolution de 1905 (révolution démocratique bourgeoise contre le tsarisme ou "répétition générale" de la révolution prolétarienne), Lénine et les bolcheviks ont le mérite de mettre en avant la nécessité pour le prolétariat de préserver et défendre fermement son indépendance et ses intérêts de classe. De plus, au cours de cette révolution, Lénine est un des premiers (avec Trotsky) à avoir compris, contre la majorité des bolcheviks (et notamment de Staline) que les "soviets", c’est-à-dire les conseils ouvriers, que s’était donnés la classe ouvrière dans son combat, constituaient l’organe de sa prise de pouvoir, "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat".

    Après l’écrasement de la révolution, alors que la démoralisation et le désarroi pèsent sur la classe ouvrière et son avant-garde, alors que se développe dans le parti le courant des "liquidateurs" qui tend à renoncer à la nécessité d’une organisation politique du prolétariat, Lénine se retrouve de nouveau aux avant-postes dans le combat pour la défense de l’organisation. Ainsi, comme en 1903, sa lutte pour la construction d’une organisation militante constitue le complément indissociable de la lutte pour l’indépendance de classe du prolétariat, pour sa prise de conscience des buts et des moyens de son combat.

    Cette lutte permanente de Lénine, nous la retrouvons, comme nous l’avons vu, tout au long de la guerre mondiale qu’il analyse comme la manifestation de l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence mettant à l’ordre du jour la révolution prolétarienne internationale. Elle va s’intensifier encore, évidemment, lorsqu’éclate la révolution de février 1917, en Russie. Dès que Lénine réussit à retourner dans ce pays, il mène le combat pour la préparation de la révolution communiste. En particulier, ses "Thèses d’Avril" constituent le véritable programme de la révolution : aucun soutien, même "critique", de la guerre impérialiste et du gouvernement provisoire bourgeois qui s’est mis en place suite à la révolution de février ; seul le renversement du capitalisme peut mettre fin à la guerre ; contre la république parlementaire : tout le pouvoir aux soviets ; nécessité d’une propagande patiente du parti auprès des masses ouvrières pour les convaincre de ces nécessités ; "prendre l’initiative de la création d’une Internationale révolutionnaire, d’une Internationale contre les social-chauvins et le ’centre’".

    Ce combat, Lénine doit le mener d’abord au sein du parti bolchevik qui, sous la conduite de Staline et de Kamenev, s’était retrouvé aux côtés des socialistes révolutionnaires et des mencheviks dans le soutien au gouvernement provisoire. S’appuyant sur la base ouvrière du parti, il réussit à le gagner à ses positions et à l’armer politiquement pour la révolution.

    Ensuite, toute l’action de Lénine consiste à préparer les conditions d’une insurrection victorieuse, y compris en s’opposant à une insurrection prématurée, en juillet. Mais lorsque la situation est mûre, il mène un nouveau combat déterminé en faveur de la prise du pouvoir immédiate par les soviets. En même temps, il rédige un de ses livres fondamentaux, "L’État et la révolution", dans lequel il rétablit la conception marxiste de l’Etat, falsifiée par les opportunistes. Il insiste sur le fait que la classe ouvrière ne peut, en aucune façon, utiliser l’Etat bourgeois pour ses propres desseins ; qu’elle doit le détruire de fond en comble et mettre en place la dictature du prolétariat organisé en conseils ouvriers ; que l’Etat qui surgit de la révolution doit être basé sur la plus large démocratie des masses ouvrières et semi-prolétariennes, lesquelles doivent contrôler en permanence les fonctionnaires qu’elles ont élu et pouvoir les révoquer aussitôt qu’ils s’écartent du mandat reçu ; que ces fonctionnaires ne peuvent bénéficier d’aucun privilège particulier ; que cet Etat constitue, en fait, un "demi-Etat" voué, non à son renforcement, mais à son extinction à mesure que la révolution avancera.

    On est là bien loin de la conception de l’Etat policier, de la terreur sur les masses exploitées, des privilèges pour les "apparatchiks" sur lesquels s’est établi le stalinisme. En fait, il existe autant de différence entre Lénine et le stalinisme qu’entre la révolution et la contre-révolution.

    D’ailleurs, après la prise du pouvoir par les soviets, en Octobre 17, Lénine va être conduit à mener le combat contre les premières manifestations de ce qui allait devenir le stalinisme.
    La lutte de Lénine contre l’essor du stalinisme

    La guerre civile déchaînée par les "blancs" avec le soutien de toute la bourgeoisie mondiale, l’effondrement économique et la famine qui en résultent, l’isolement tragique dans lequel la défaite du prolétariat mondial plonge la révolution en Russie ne peuvent que mener celle-ci dans une impasse. L’État qui a surgi après la révolution échappe de plus en plus au contrôle d’une classe ouvrière désarticulée par la guerre civile et la catastrophe économique. Il tend à absorber de façon croissante le parti bolchevik au sein duquel le poids des bureaucrates se fait sentir toujours plus.

    Staline est justement le représentant le plus éminent de cette couche de bureaucrates dont le pouvoir et les privilèges naissants entrent en opposition avec la révolution à l’échelle mondiale. C’est pour cela qu’il se fait le porte-drapeau du "socialisme en un seul pays" : il ne s’agit plus de faire de l’URSS un levier de la révolution internationale, mais de se replier sur le renforcement de l’économie nationale et de son Etat. Et dans un monde dominé par le capitalisme, l’une et l’autre se développent nécessairement sur le terrain capitaliste.

    La défaite internationale du prolétariat ne pouvait conduire qu’à la contre-révolution bourgeoise en Russie-même. Staline et sa clique se sont faits les agents de cette contre-révolution. Et si, en Russie, celle-ci a pris les formes les plus barbares qu’on puisse imaginer : la terreur policière, les déportations massives, les "procès de Moscou" contre les anciens dirigeants du parti, l’extermination de toute la génération de 1917, c’est justement qu’il fallait extirper jusqu’à la moindre trace tout ce qui pouvait rappeler l’esprit et la grandeur d’Octobre.

    Avant sa mort, en janvier 1924 (en fait il était déjà impotent depuis mars 1923), Lénine, pas plus que n’importe quel révolutionnaire, ne pouvait imaginer ce que serait le stalinisme. Cependant, il est conscient d’un certain nombre des dangers qui se profilent. C’est ainsi que, dès 1920, dans le débat au sein du parti bolchevik à propos des syndicats, Lénine affirme que : "Notre Etat est tel aujourd’hui que le prolétariat totalement organisé doit se défendre, et nous devons utiliser ces organisations ouvrières [les syndicats] pour défendre les ouvriers contre leur Etat..." ("Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotsky", 30/12/1920). Jusqu’à la fin de sa vie, Lénine a mis en garde contre le danger de la gangrène bureaucratique, même s’il était incapable de proposer une parade efficace contre un phénomène inéluctable. De même, dans les derniers jours de sa vie active, il tente (notamment dans son "testament" du 4 janvier 1923) d’écarter Staline du poste de Secrétaire général où il est en train d’accumuler un pouvoir énorme dont il abuse de façon brutale. Mais cette tentative est vaine : Staline contrôle déjà la situation, même s’il n’est pas encore le satrape, le tyran sanguinaire qu’il deviendra par la suite.
    Lénine combattant marxiste du prolétariat

    Aujourd’hui, la plupart des plumitifs de la bourgeoisie, en établissant une identité entre le stalinisme et le communisme, rangent dans le même sac Staline, Lénine et Marx. Mais il se trouve, de temps à autre, un "expert" pour affirmer que si Lénine est tout entier à jeter aux poubelles de l’histoire, il n’en est pas de même de Marx, dont certaines analyses sont encore "utiles" et "pertinentes". Cette opposition (dont sont friands les conseillistes) entre l’oeuvre de Lénine et celle de Marx, ne constitue rien d’autre, sous couvert d’"objectivité" qu’une crapulerie supplémentaire pour essayer d’enterrer la perspective communiste. En effet, toute l’activité militante de Lénine se situe sur le terrain du marxisme, c’est-à-dire du point de vue du prolétariat. L’internationalisme, le rejet des conceptions populistes et réformistes, la lutte pour une organisation politique du prolétariat basée sur un programme clair, la mise en avant de la nécessité de détruire l’Etat bourgeois et de l’exercice du pouvoir par les masses ouvrières, la capacité-même de tirer les leçons de l’expérience vivante de la classe ouvrière (notamment le rôle des soviets à partir de 1905), toutes ces caractéristiques de l’activité de Lénine appartiennent pleinement à l’héritage de Marx. La différence majeure entre ces deux révolutionnaires, c’est que le premier vivait à une époque où la révolution prolétarienne n’était pas encore à l’ordre du jour, alors que le second s’est justement trouvé aux avant-postes de celle-ci. C’est dans la pratique vivante de la révolution que Lénine a appliqué les enseignements du marxisme. Et c’est bien cela qui chiffonne nos "experts". Tant que le "marxisme" reste "théorique" (en fait, pour les révolutionnaires, il a toujours constitué un guide pour l’action, même quand la révolution n’était pas encore à l’ordre du jour), on peut toujours en faire une discipline universitaire. Mais lorsqu’on doit l’appliquer à la révolution elle-même (à l’exemple de Lénine), on fait la fine bouche car, de révolution réelle, on ne veut surtout pas.

    Comme tous les révolutionnaires, comme Marx lui-même, Lénine a commis des erreurs. Mais de la même façon qu’on ne peut critiquer les erreurs de Marx qu’en se situant dans le cadre du marxisme, on ne peut faire la critique de celles de Lénine qu’en partant des apports considérables qu’il a donnés au mouvement ouvrier, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. Ces apports, en même temps que l’ensemble du marxisme, le prolétariat devra les refaire siens s’il veut être en mesure de mettre fin à la barbarie capitaliste et de s’acheminer vers la société communiste.

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