Accueil > 06- Livre Six : POLITIQUE REVOLUTIONNAIRE > 1 - 0 - Le programme révolutionnaire > Qu’est-ce que le marxisme ?

Qu’est-ce que le marxisme ?

mercredi 16 juillet 2008, par Robert Paris

Lire sur le marxisme

Auteurs marxistes

Des écrivains, des militants, des organisations et des sociétés emploient à tout bout de champ et en tous sens l’expression "marxiste" mais que veut-elle dire et qu’est-ce qui n’est pas marxiste ?

La meilleure manière d’y répondre est de relire la "Critique du programme de Gotha" par laquelle les fondateurs de ce courant se démarquent publiquement d’un grand parti (la social-démocratie allemande en train de se fonder) qui prétendait les suivre...

En plus du texte de Trotsky qui suit : "Le marxisme et notre époque", on peut lire ou relire "L’Etat et la révolution" de Lénine qui représente une rupture avec la version réformiste du marxisme.

Le Marxisme et notre époque

LEON TROTSKY

18 avril 1939

1

Ce livre d’Otto Rühle expose, avec les mots mêmes de Marx, les fondements de sa doctrine économique. En somme, personne n’a encore pu exposer la théorie de la valeur-travail mieux que Marx lui-même.

Certains arguments de Marx, particulièrement dans le premier chapitre, le plus difficile, peuvent paraître au lecteur non initié beaucoup trop discursifs, oiseux ou métaphysiques En réalité, cette impression tient au fait que l’on n’a pas l’habitude de considérer scientifiquement des phénomènes très familiers. La marchandise est devenue un élément si universellement répandu, si familier, de notre existence quotidienne, que nous n’essayons même pas de nous demander pourquoi les hommes se séparent d’objets de première importance, nécessaires à l’entretien de la vie, pour les échanger contre de petits disques d’or ou d’argent qui n’ont par eux-mêmes d’utilité sur aucun continent. La marchandise n’est pas le seul exemple d’une telle attitude. Toutes les catégories de l’éco­nomie marchande sont acceptées sans analyse, comme allant de soi, comme si elles constituaient la base naturelle des rapports entre les hommes. Cependant, tandis que les réalités du processus économique sont le travail humain, les matières premières, les outils, les machines, la division du travail, la nécessité de distribuer les produits manufacturés entre tous ceux qui participent au processus de la production, etc..., des catégories telles que la marchandise, la monnaie, les salaires, le capital, le profit, l’impôt, etc..., ne sont, dans la tête de la plupart des hommes, que les reflets à moitié mystiques des différents aspects d’un processus économique qu’ils ne comprennent pas, et qui échappe à leur contrôle. Pour les déchiffrer, une analyse scientifique est indispensable.

Aux États-Unis, où un homme qui possède un million est considéré comme « valant » un million, les concepts de l’économie de marché sont tombés plus bas que n’importe où ailleurs. Jusque tout récemment, les Américains n’accordaient que très peu d’attention à la nature des rap­ports économiques. Dans le pays du système économique le plus puissant, les théories économiques restaient extrêmement pauvres. Il a fallu la profonde crise récente de l’économie américaine pour mettre brutalement l’opinion publique en face des problèmes fondamentaux de la société capitaliste. Quoi qu’il en soit, celui qui n’a pas perdu l’habitude d’accep­ter passivement, sans esprit critique, les reflets idéologiques du développement économique, celui qui n’a pas pénétré, à la suite de Marx, la nature essentielle de la marchandise en tant que cellule fondamentale de l’organisme capitaliste, celui-là restera toujours incapable de comprendre scientifiquement les plus importants phénomènes de notre époque.
La méthode de Marx

Ayant défini la science comme la connaissance des lois objectives de la nature, l’homme s’est efforcé avec obstination de se soustraire lui­-même à la science, se réservant des privilèges spéciaux, sous forme de prétendus rapports avec des forces supra-sensibles (religion), ou avec des préceptes moraux éternels (idéalisme). Marx a définitivement privé l’homme de ces odieux privilèges, en le considérant comme un chaînon du processus d’évolution de la nature matérielle ; en considérant la société humaine comme l’organisation de la production et de la distri­bution ; en considérant le capitalisme comme un stade du développementde la société humaine.

Le but de Marx n’était pas de découvrir les "lois éternelles" de l’économie. Il niait l’existence de telles lois. L’histoire du développement de la société humaine est l’histoire de la succession de différents sys­tèmes économiques, qui ont chacun leurs lois propres. Le passage d’un système à un autre a toujours été déterminé par la croissance des forces productives, c’est-à-dire de la technique et de l’organisation du travail. Jusqu’à un certain point, les changements sociaux ont seulement un caractère quantitatif, et n’altèrent pas les fondements de la société, c’est-à-dire les formes dominantes de la propriété. Mais il arrive un moment où les forces productives accrues ne peuvent plus rester enfer­mées dans les vieilles formes de propriété ; alors survient dans l’ordre social un changement, accompagné de secousses. A la commune primitive succéda ou s’ajouta l’esclavage ; l’esclavage fut remplacé par le servage, avec sa superstructure féodale ; au XVIème siècle, le développement commercial des villes en Europe entraîna l’avènement du régime capitaliste, qui, depuis lors, est passé par différentes étapes. Dans son Capital, Marx n’étudie pas l’économie en général, mais l’économie capitaliste, avec ses lois spécifiques. Des autres systèmes économiques, il ne parle qu’inci­demment, et seulement pour mettre en lumière les caractéristiques pro­pres du capitalisme.

L’économie de la famille paysanne primitive, qui se suffisait à elle-­même, n’a pas besoin d’une "économie politique" car elle est dominée, d’un côté par les forces de la nature, de l’autre par les forces de la tradition. L’économie naturelle des Grecs et des Romains, économie fermée reposant sur le travail des esclaves, était régie par la volonté du propriétaire d’esclaves, dont le « plan » était directement déterminé par les lois de la nature et la routine. On pourrait dire la même chose du régime médiéval, avec ses paysans serfs. Dans tous ces cas, les rapports économiques étaient clairs et transparents, à l’état brut pour ainsi dire. Mais le cas de la société contemporaine est tout à fait différent. Elle a détruit les vieux rapports de l’économie fermée, et les modes de travail du passé. Les nouveaux rapports économiques unissent les villes et les villages, les provinces et les nations. La division du travail a embrassé toute la planète. La tradition et la routine une fois brisées, ces liens ne se sont pas formés selon un plan déterminé, mais bien en dehors de la conscience et de la prévision de l’homme. L’interdépendance des hommes, des groupes, des classes, des nations, qui résulte de la division du travail, n’est dirigée par personne. Les hommes travaillent les uns pour les autres sans se connaître, sans se soucier des besoins les uns des autres, avec l’espoir et même avec la certitude que leurs rap­ports se régulariseront d’eux-mêmes d’une manière ou d’une autre. Et, en somme, c’est ce qui se produit ; ou plutôt, c’est ce qui se produisait habituellement autrefois.

Il est absolument impossible de chercher les causes des phénomènes de la société capitaliste dans la conscience subjective, dans les intentions ou les plans de ses membres. Les phénomènes objectifs du capitalisme ont été constatés avant que la science ne se soit appliquée à les étudier sérieusement. Jusqu’à ce jour, la grande majorité des hommes ne con­naissent rien des lois qui régissent la société capitaliste. La grande force de la méthode de Marx fut d’aborder les phénomènes économiques, non du point de vue subjectif de certaines personnes, mais du point de vue objectif du développement de la société prise en bloc, exactement comme un naturaliste aborde une ruche ou une fourmilière.

Pour la science économique, ce qui a une importance décisive, c’est ce que les gens font et la manière dont ils le font, et non ce qu’ils pensent eux-mêmes de leurs actions. La base de la société, ce n’est pas la religion ni la morale, ce sont les ressources naturelles et le travail. La méthode de Marx est matérialiste, parce qu’elle va de l’existence à la conscience, et non inversement. La méthode de Marx est dialectique, parce qu’elle considère la nature et la société dans leur évolution, et l’évolution elle-même comme la lutte incessante de forces antagonistes.
Le marxisme et la science officielle

Marx a eu ses précurseurs. L’économie politique classique – Adam Smith, David Ricardo – atteignit son apogée avant que le capitalisme ne fût parvenu à maturité, avant qu’il ne commençât à craindre le len­demain. Marx a payé à ces deux grands classiques son tribut de profonde gratitude. Néanmoins, l’erreur fondamentale de l’économie clas­sique était de considérer le capitalisme comme la forme d’existence de l’humanité à toutes les époques, alors qu’il n’est qu’une étape historique dans le développement de la société. Marx commença par critiquer cette économie politique, il en exposa les erreurs, en même temps que les contradictions du capitalisme lui-même, et il démontra l’inéluctabilité de l’effondrement de ce régime. La science peut trouver son accomplis­sement, non dans le cabinet hermétiquement clos du savant, mais seule­ment dans la société des hommes "en chair et en os". Tous les intérêts, toutes les passions qui déchirent la société exercent leur influence sur le développement de la science, surtout de l’économie politique, qui est la science de la richesse et de la pauvreté. La lutte des ouvriers contre la bourgeoisie oblige les théoriciens bourgeois à tourner le dos à l’ana­lyse scientifique du système d’exploitation, et à se borner à la simple description des faits économiques, à l’étude du passé économique et, ce qui est infiniment pire, à une véritable falsification de la réalité à seule fin de justifier le régime capitaliste. La doctrine économique qui est enseignée aujourd’hui dans les institutions officielles et prêchée dans la presse bourgeoise nous offre une importante documentation sur le tra­vail, mais elle est complètement incapable de saisir le processus écono­mique dans son ensemble et de découvrir ses lois et ses perspectives, et n’a d’ailleurs pas envie de le faire. L’économie politique officielle est morte.
La loi de la valeur-travail

Dans la société contemporaine, le lien fondamental entre les hommes est l’échange. Tout produit du travail qui entre dans le processus de l’échange devient une marchandise. Marx commença ses recherches par la marchandise, et, de cette cellule fondamentale de la société capitaliste, il déduisit les rapports sociaux qui se sont formés objectivement sur la base de l’échange, indépendamment de la volonté des hommes. Cette méthode est la seule qui permette de résoudre le problème fondamental : comment, dans la société capitaliste où chacun pense pour soi-même et où personne ne pense pour tous, s’établissent des rapports déterminés entre les différentes branches de l’économie indispensables à la vie ?

Le travailleur vend sa force de travail, le fermier apporte ses produits au marché, le banquier accorde des prêts, le commerçant offre son assortiment de marchandises, l’industriel bâtit une usine, le spécu­lateur achète et vend des stocks et des actions, chacun d’entre eux ayant ses propres considérations, son propre plan, ses propres intérêts en ce qui concerne les salaires ou le profit. Néanmoins, tout ce chaos d’efforts et d’actions individuelles engendre un ensemble économique qui, tout en n’étant pas harmonieux, permet cependant à la société, non seulement d’exister, mais encore de se développer. Cela signifie qu’au fond ce chaos n’est d’aucune façon un chaos, que, d’une certaine manière, il est soumis à une régulation automatique et inconsciente. Comprendre le mécanisme qui instaure entre les différents aspects de l’économie un équilibre rela­tif, c’est découvrir les lois objectives du capitalisme.

Les lois qui gouvernent les différentes sphères de l’économie capita­liste – les salaires, les prix, la rente foncière, le profit, l’intérêt, le crédit, la Bourse – ces lois sont nombreuses et complexes. Cela est manifeste. Mais, en dernier ressort, elles se ramènent à une loi unique, découverte par Marx, et qu’il a explorée à fond : la loi de la valeur-travail, qui est le régulateur fondamental de l’économie capitaliste. L’essence de cette loi est simple. La société dispose d’une certaine réserve de force de travail vivante. Appliquée à la nature, cette force produit les objets nécessaires à la satisfaction des besoins de l’humanité. Par suite de la division du travail entre des producteurs indépendants, ces objets prennent la forme de marchandises. Les marchandises s’échangent à un taux donné, d’abord directement, plus tard au moyen d’un intermédiaire : l’or ou la monnaie. La propriété essentielle des marchandises, propriété qui les rend, suivant un certain rapport, comparables entre elles, est le travail humain dépensé pour les produire – le travail abstrait, le travail en général – base et mesure de la valeur. Si la division du travail entre des millions de producteurs n’entraîne pas la désagrégation de la société, c’est que les marchandises sont échangées selon le temps de travail socialement néces­saire pour leur production. En acceptant ou en rejetant les marchan­dises, le marché, arène de l’échange, décide si elles contiennent ou ne contiennent pas de travail socialement nécessaire, détermine ainsi les quantités des différentes espèces de marchandises nécessaires à la société, et, par conséquent, aussi la distribution de la force de travail entre les différentes branches de la production.

Les processus réels du marché sont infiniment plus complexes que nous n’avons pu l’exposer en quelques lignes. Ainsi, les prix, en oscillant autour de la valeur-travail, sont tantôt en dessous, tantôt au-dessus de la valeur. Les causes de ces variations sont expliquées en long et en large dans le troisième livre du Capital, livre dans lequel Marx analyse "Le procès d’ensemble de la production capitaliste". Néanmoins, quelque considérables que puissent être les écarts entre le prix et la valeur des marchandises dans des cas particuliers, la somme de tous les prix est égale à la somme de toutes les valeurs des marchandises créées par le travail humain et figurant sur le marché, et les prix ne peuvent pas franchir cette limite, même si l’on tient compte des "prix de monopole" des trusts ; là où le travail n’a pas créé de nouvelle valeur, Rockfeller lui-même ne peut rien tirer.
L’inégalité et l’exploitation

Mais si les marchandises sont échangées selon la quantité de travail qu’elles contiennent, comment l’inégalité peut-elle résulter de l’égalité ? Marx a résolu cette énigme en exposant la nature particulière d’une des marchandises, qui est la base de toutes les autres marchandises : la force de travail. Le propriétaire des moyens de production, le capitaliste, achète la force de travail. Comme toutes les autres marchandises, celle-ci est évaluée selon la quantité de travail qu’elle renferme, c’est-à-dire selon la quantité de travail nécessaire à la production des moyens de subsistance qui sont indispensables à l’entretien et à la reproduction de la force de travail. Mais la consommation de cette marchandise – de la force de travail – c’est le travail, c’est-à-dire la création de nouvelles valeurs. Ces valeurs sont quantitativement supérieures à celle que le travailleur reçoit, et dont il a besoin pour son entretien. Le capitaliste achète la force de travail pour l’exploiter. C’est cette exploitation qui est la source de l’inégalité. Cette partie du produit du travail qui sert à assurer la subsistance du travailleur, Marx l’appelle le produit nécessaire ; la partie que le travail produit en plus, c’est la plus-value. La plus-value a été produite par l’esclave, sinon le propriétaire d’esclaves n’aurait pas entretenu d’esclaves. La plus-value a été produite par le serf, sinon le servage n’aurait été d’aucune utilité pour la noblesse terrienne. La plus-value est produite de même – mais sur une échelle infiniment plus grande – par le travailleur salarié, sinon le capitaliste n’aurait aucun intérêt à acheter la force de travail. La lutte des classes n’est rien d’autre que la lutte pour la plus-value. Celui qui possède la plus-value est le maître de l’état, il a la clé de l’église, des tribunaux, des sciences et des arts.
Concurrence et monopole

Les rapports entre les capitalistes, qui exploitent les travailleurs, sont déterminés par la concurrence, principal ressort du progrès capita­liste. Les grandes entreprises bénéficient, par rapport aux plus petites, des plus grands avantages techniques, financiers, organisationnels, économiques et, Iast but not least [1], politiques. Une plus grande quantité de capitaux, permettant d’exploiter un plus grand nombre de travail­leurs, donne inévitablement, à celui qui la possède, la victoire dans une compétition. Telle est la base de la concentration et de la centralisation du capital.

Tout en stimulant le progrès et le développement de la technique, la concurrence, non seulement détruit les couches de producteurs intermédiaires, mais se détruit elle-même. Sur les cadavres ou semi-cadavres des petits et moyens capitalistes, se dresse un nombre toujours plus réduit de seigneurs capitalistes toujours plus puissants. Ainsi, de la concurrence honnête, démocratique et progressive, surgit irrévocable­ment le monopole malfaisant, parasitaire et réactionnaire. Sa domination commença à s’affirmer à partir de 1880,et prit sa forme définitive au tournant du siècle. Maintenant, la victoire du monopole est ouvertement reconnue par les représentants officiels de la société bourgeoise [2]. Et pourtant, lorsque Marx, cherchant à prévoir l’avenir du système capitaliste, démontra pour la première fois que le monopole est une conséquence des tendances inhérentes au capitalisme, le monde bourgeois continua à regarder la concurrence comme une loi éternelle de la nature.

L’élimination de la concurrence par le monopole marque le com­mencement de la désagrégation de la société capitaliste. La concurrence constituait le principal ressort créateur du capitalisme, et la justification historique du capitaliste. Par là même, l’élimination de la concurrence signifie la transformation des actionnaires en parasites sociaux. La con­currence avait besoin de certaines libertés, d’une atmosphère libérale, d’un régime démocratique, d’un cosmopolitisme commercial. Le monopole réclame un gouvernement aussi autoritaire que possible, des barrières douanières, ses "propres" sources de matières premières, et ses "propres" marchés (colonies). Le dernier mot, dans la désagrégation du capitalisme de monopole, est au fascisme.
Concentration de la richesse et croissance des contradictions de classe

Les capitalistes et leurs avocats s’efforcent, par tous les moyens, de dissimuler aux yeux du peuple comme aux yeux du fisc, le degré réel de la concentration des richesses. La presse bourgeoise, au mépris de l’évidence, s’efforce toujours de maintenir l’illusion d’une répartition "démocratique" des capitaux investis. Le New-York Times, voulant réfuter les marxistes, signale qu’il y a de trois à cinq millions d’employeurs isolés. Les sociétés anonymes, il est vrai, représentent une plus grande concentration de capital que les trois à cinq millions de patrons individuels, mais les États-Unis comptent "un demi-million de sociétés".

Ces jongleries avec des sommes globales et des moyennes ont pour but, non d’éclairer, mais de cacher la vraie nature des choses. Depuis le commencement de la guerre jusqu’en 1923, le nombre des usines et des fabriques des États-Unis tomba de l’indice 100 à 98.7, tandis que la masse de la production industrielle montait de l’indice 100à 156,3. Pendant les années de grande prospérité (1923-1929), alors qu’il semblait que tout le monde était en train de devenir riche, l’indice du nombre des établissements tomba de 100 à 93.8, tandis que la production montait de 100 à 113. Cependant, la concentration des établissements industriels, limitée par leur corps matériel encombrant, reste loin en arrière de la concentration de leurs âmes, c’est-à-dire de leur propriété. En 1929, les États-Unis comptaient réellement plus de 300.000 sociétés, comme le New-York Times le signale correctement. Il faut seulement ajouter que 200 d’entre elles, c’est-à-dire 0,07 % du nombre total, contrôlaient directement 49,2 % des fonds de toutes les sociétés. Quatre ans plus tard, cette proportion était déjà montée à 56 % ; et, pendant les années de l’administration de Roosevelt, elle a certainement augmenté encore. Or, parmi ces 200 sociétés anonymes dirigeantes, la domination réelle appartient à une petite minorité [3].

Les mêmes processus peuvent être observés dans les banques et les assurances. Cinq des plus grandes sociétés d’assurances des Etats-Unis ont absorbé, non seulement les autres compagnies d’assurances, mais aussi plusieurs banques. Le nombre total des banques décroît par l’absorption des plus petites par les plus grandes, principalement sous la forme de ce qu’on appelle les "mergers" (fusions). Ce processus s’accélère rapidement. Au-dessus des banques s’élève l’oligarchie des super-banques. Le capital bancaire fusionne avec le capital industriel sous la forme de super-capital financier. En supposant que la concentration de l’industrie et des banques doive continuer au même rythme que pendant le dernier quart de siècle, – en fait ce rythme s’accélère – au cours du prochain quart de siècle, les hommes des trusts auront accaparé toute l’économie du pays.

Nous avons ici recours aux statistiques des Etats-Unis pour la seule raison qu’elles sont plus exactes et plus saisissantes. Dans son essence, le processus de concentration revêt un caractère international. A travers les différentes étapes du capitalisme, à travers toutes les phases des cycles conjoncturels, à travers tous les régimes politiques, à travers les périodes de paix comme à travers celles de conflits armés, le processus de concentration de toutes les grandes fortunes en un nombre de mains toujours plus petit s’est poursuivi et se poursuivra jusqu’à la fin. Pendant les années de la grande guerre, alors que les nations étaient saignées à mort, alors que les systèmes fiscaux roulaient à l’abîme, entraînant avec eux les classes moyennes, les hommes des trusts ramassaient des bénéfices sans précédent dans le sang et la boue. Les plus grandes sociétés des Etats-Unis, pendant les années de guerre, doublèrent, triplè­rent, quadruplèrent, décuplèrent leur capital et gonflèrent leurs divi­dendes de 300 %, 400 %, 900 %, et même davantage.

En 1840, huit ans avant la publication par Marx et Engels du Manifeste du Parti communiste, l’écrivain français bien connu Alexis de Tocqueville écrivait dans un livre intitulé La Démocratie en Amérique : "La grande fortune tend à disparaître, les petites fortunes tendent à se multiplier". Cette affirmation a été répétée d’innombrables fois, d’abord à propos des Etats-Unis, ensuite à propos d’autres jeunes démocraties, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Certes, l’opinion de Tocqueville était déjà fausse de son temps. Cependant la véritable concen­tration des richesses ne commença qu’après la guerre civile américaine, à la veille de laquelle Tocqueville mourut. Au commencement de ce siècle, 2 % de la population des Etats-Unis possédaient déjà plus de la moitié de la fortune totale du pays ; en 1929, ces 2 % possédaient les 3/5 de la fortune nationale. A la même époque, 36.000 familles riches jouissaient d’un revenu aussi grand que 11 millions de familles moyennes et pauvres. Pendant la crise de 1929-1933, les trusts n’eurent pas besoin de faire appel à la charité publique ; au contraire, ils s’élevèrent toujours plus haut au-dessus du déclin général de l’économie nationale. Pendant le précaire renouveau industriel qui suivit, suscité par le New Deal, les hommes des trusts réalisèrent de nouveaux profits. Le nombre des chômeurs tomba, dans le meilleur des cas, de 20 à 10 millions ; pendant le même laps de temps, le gratin de la société capitaliste, 6.000 personnes au maximum, faisait des bénéfices fantastiques. C’est ce que l’avocat général Robert H. Jackson, lors de son passage au poste de procureur général adjoint anti-trust, révéla, chiffres à l’appui.

Mais le concept abstrait de "capital monopoleur" acquiert pour nous chair et sang. Ce qu’il signifie, c’est qu’une poignée de familles [4], rassemblées par les liens de la parenté et des intérêts communs en une oligarchie capitaliste fermée, disposent du destin économique et politi­que d’une grande nation. Il faut reconnaître que la loi de la concentration énoncée par Marx a puissamment fonctionné.

Notes

[1] Proverbe anglais signifiant : le dernier, mais pas le moindre.

[2] "L’influence modératrice de la concurrence – déplore le Procureur Général des Etats-Unis, M. Homer S. Cummings – est à peu près évincée, et, dans l’ensemble, elle ne subsiste que comme un pâle souvenir des conditions d’autrefois."

[3] Une commission du sénat des Etats-Unis a constaté, en février 1937, que, pendant les vingt dernières années, les décisions des douze plus grandes sociétés équivalaient à des ordres pour la plus grande partie de l’industrie américaine. Le nombre des présidents des conseils d’administration de ces compagnies est a peu près le même que le nombre des membres du cabinet du président des Etats-Unis, le pouvoir exécutif du gouvernement républicain. Mais ces présidents sont infiniment plus puissants que les membres du cabinet.

[4] L’écrivain américain Ferdinand Lundberg, qui est plutôt, en dépit de toute son honnêteté scientifique, un économiste conservateur, a écrit, dans un livre qui a suscité un grand émoi : "Les Etats-Unis sont aujourd’hui accaparés et dominés par une hiérarchie de 60 familles très riches, appuyées par tout au plus 60 familles moins riches." A ces deux groupes, il faudrait ajouter un troisième échelon d’environ autres familles dont le revenu dépasse cent millions de dollars par an. La position dominante appartient au premier groupe de 60 familles, qui, non seulement domine le marché, mais aussi tient les leviers du gouvernement. Elles constituent le véritable gouvernement, "le gouvernement de l’argent dans une démocratie du dollar".

2
L’enseignement de Marx est-il périmé ?

Les questions de la concurrence, de la concentration des richesses et des monopoles conduisent naturellement à la question de savoir si, à notre époque, la théorie économique de Marx n’a plus qu’un intérêt historique – comme, par exemple, la théorie d’Adam Smith – ou si elle est toujours d’actualité. Le critère qui permet de répondre à cette question est simple : si la théorie permet d’apprécier correcte­ment le cours du développement économique, et de prévoir l’avenir mieux que les autres théories, alors elle reste la théorie la plus avancée de notre temps, même si elle date d’un bon nombre d’années.

L’économiste allemand bien connu Werner Sombart, qui fut virtuellement un marxiste au début de sa carrière, mais qui, plus tard, révisa les aspects les plus révolutionnaires de l’enseignement de Marx, opposa au Capital de Marx son propre Capitalisme, qui est probablement l’exposé apologétique le plus connu de l’économie bourgeoise de notre temps. Sombart écrivait :

"Karl Marx a prédit : primo, la misère croissante des travailleurs salariés ; secundo, la concentration » générale, avec la dis­parition de la classe des artisans et des paysans ; tertio, l’effon­drement catastrophique du capitalisme. Rien de tout cela n’est arrivé. "

A ce pronostic erroné, Sombart oppose son propre pronostic, "strictement scientifique" :

"Le capitalisme continuera à se transformer intérieurement dans la direction où il a déjà commencé à se transformer à l’époque de son apogée ; en vieillissant, il deviendra de plus en plus calme, posé, raisonnable. "

Essayons de voir, ne fût-ce que dans les grandes lignes, lequel des deux a raison : ou Marx, avec sa prédiction de la catastrophe, ou Sombart, qui, au nom de toute l’économie bourgeoise, a promis que les choses s’arrangeraient calmement, posément, raisonnablement. Le lecteur reconnaîtra que cette question mérite examen.
A. – La théorie de la paupéri­sation croissante

"Accumulation de la richesse à un pôle, écrivait Marx soixante ans avant Sombart, signifie donc en même temps accu­mulation de misère, de souffrance, d’esclavage, d’ignorance, de brutalité, de dégradation mentale au pôle opposé, c’est-à-dire du côté de la classe dont le produit prend la forme de capital. "

Cette thèse de Marx, connue sous le nom de théorie de la paupéri­sation croissante, a été l’objet d’attaques constantes de la part des réformistes, démocrates ou sociaux-démocrates, particulièrement pendant la période 1896-1914, alors que le capitalisme se développait rapidement et accordait certaines concessions aux travailleurs, surtout à leur couche supérieure. Après la guerre mondiale, quand la bourgeoisie, effrayée de ses propres crimes et épouvantée par la révolution d’Octobre, s’engagea dans la voie des réformes sociales, réformes dont les effets furent immé­diatement annulés par l’inflation et le chômage, la théorie de la trans­formation progressive de la société capitaliste parut aux réformistes et aux professeurs bourgeois pleinement établie. "Le pouvoir d’achat du travail salarié, nous assurait Sombart en 1928, a augmenté en raison directe de l’expansion de la production capitaliste. "

En fait, la contradiction économique entre le prolétariat et la bour­geoisie s’aggrava pendant les périodes les plus prospères du développe­ment capitaliste, cependant que l’élévation du standard de vie de cer­taines couches de travailleurs, couches assez étendues par moments, masquait la diminution de la part du prolétariat dans le revenu national. Ainsi, juste avant de tomber dans le marasme, la production industrielle des Etats-Unis augmenta de 50 % entre 1920 et 1930, cependant que la somme payée en salaires ne croissait que de 30 %, ce qui signifie une diminution effrayante de la part des travailleurs dans le revenu national. En 1930, le chômage prit une extension de mauvais augure, et, en 1933, une aide plus ou moins systématique fut octroyée aux chômeurs, qui reçurent sous forme de secours à peine plus de la moitié de ce qu’ils avaient perdu en salaires.

L’illusion du « progrès » ininterrompu de toutes les classes s’est évanouie sans laisser de traces. Le déclin relatif du niveau de vie des masses a fait place à un déclin absolu. Les travailleurs ont commencé par économiser sur leurs maigres plaisirs, ensuite sur leurs vêtements, et, finalement, sur leur nourriture. Les articles et les produits de qualité moyenne furent remplacés par de la camelote, et la camelote par des rebuts. Les syndicats commencèrent à ressembler à l’homme qui s’accro­che désespérément à la rampe, cependant qu’un escalier roulant l’emporte rapidement vers le bas.

Avec 6 % de la population mondiale, les Etats-Unis détiennent 40 % de la fortune mondiale. Néanmoins, un tiers de la nation, comme Roosevelt lui-même l’a reconnu, est sous-alimenté, mal vêtu, et vit dans des conditions inhumaines. Que dire alors des pays moins privilégiés ? L’histoire du monde capitaliste, depuis la dernière guerre, a irrémédiablement confirmé la théorie dite de la paupérisation croissante.

Le régime fasciste, qui ne fait que reculer jusqu’à l’extrême les limites du déclin et de la réaction inhérents à tout capitalisme impéria­liste, devient indispensable, lorsque la dégénérescence du capitalisme anéantit toute possibilité d’entretenir des illusions sur l’élévation du niveau de vie du prolétariat. La dictature fasciste signifie la reconnais­sance ouverte de la tendance à l’appauvrissement, que les plus riches démocraties impérialistes s’efforcent encore de dissimuler. Si Mussolini et Hitler persécutent le marxisme avec une telle haine, c’est précisément parce que leurs propres régimes constituent la plus effrayante confirmation des pronostics de Marx. Le monde civilisé s’indigne ou feint de s’indigner, lorsque Goering, sur le ton de bourreau et de bouffon qui le caractérise, déclare que les canons sont plus nécessaires que le beurre, ou lorsque Cagliostro-Casanova-Mussolini avertit les travailleurs d’Italie qu’ils doivent apprendre à serrer leurs ceintures sur leurs chemises noires. Mais, au fond, la même chose ne se produit-elle pas dans les démocraties impérialistes ? Partout, le beurre sert à graisser les canons. Les travailleurs de France, d’Angleterre, des Etats-Unis apprennent, sans chemises noires, à serrer leurs ceintures.
B. – L’armée de réserve et la nouvelle sous-classe des chômeurs

L’armée de réserve industrielle forme une partie indispensable du mécanisme social du capitalisme, exactement comme des réserves de machines et de matières premières dans les usines, ou comme des stocks de produits finis dans les magasins. Ni l’expansion générale de la pro­duction, ni l’adaptation aux flux et reflux périodiques du cycle industriel ne seraient possibles sans une réserve de force de travail. De la tendance générale du développement capitaliste – accroissement du capital cons­tant (machines et matières premières) relativement au capital variable (force de travail) – Marx tire la conclusion suivante :

"Plus grande est la richesse sociale, plus grande est la masse du surplus stable de population..., plus grande est l’armée de réserve industrielle..., et plus grand est le paupérisme officiel. TELLE EST LA LOI GENERALE ABSOLUE DE L’ACCUMULATION CAPITALISTE. "

Cette thèse, indissolublement liée à la théorie de la paupérisation croissante, et dénoncée pendant des dizaines d’années comme exagérée, tendancieuse et démagogique, est devenue maintenant l’image théorique irréprochable de la réalité. L’armée actuelle des chômeurs ne peut plus être regardée comme une armée de réserve, parce que sa masse princi­pale ne peut plus espérer trouver du travail ; au contraire, elle est destinée à se gonfler d’un flot constant de nouveaux chômeurs. La désa­grégation du capitalisme a engendré toute une génération de jeunes gens qui n’ont jamais eu d’emploi et qui n’ont pas d’espoir d’en trouver. Cette nouvelle sous-classe, entre le prolétariat et le semi-prolétariat, est forcée de vivre aux dépens de la société. On a calculé que, pendant neuf ans (1930-1938), le chômage a coûté à l’économie des États-Unis plus de 43 millions d’années de travail humain. Si l’on considère qu’en 1929, au sommet de la prospérité, il y avait 2 millions de chômeurs aux Etats-­Unis, et que, pendant ces neuf dernières années, le nombre de travail­leurs potentiels s’est accru de 5 millions, le nombre total d’années de travail perdues doit être incomparablement plus élevé. Un régime social qui est ravagé par un tel fléau est mortellement malade. Le diagnostic exact de cette maladie a été établi il y a près de quatre-vingts ans, alors que la maladie elle-même n’était encore qu’un simple germe.
C. – Le déclin des classes moyennes

Les chiffres qui montrent la concentration du capital indiquent éga­lement que le poids spécifique des classes moyennes dons la production, et leur part du revenu national n’ont cessé de décroître, que les petites entreprises ont été, ou bien absorbées complètement, ou bien diminuées et privées de leur indépendance, au point de devenir synonymes de travail forcé et de détresse sans espoir. En même temps, il est vrai, le développement du capitalisme a considérablement stimulé l’extension de l’armée des techniciens, gérants, employés, médecins, en un mot des prétendues nouvelles classes moyennes. Mais cette couche sociale, dont la croissance n’était déjà pas un mystère pour Marx lui-même, ressemble peu aux vieilles classes moyennes, qui trouvaient dans la propriété de leurs propres moyens de production une garantie tangible d’indépendance économique. Les nouvelles classes moyennes, au contraire, sont encore plus étroitement dépendantes des capitalistes que les ouvriers eux­-mêmes. Beaucoup de leurs membres jouent, en effet, le rôle d’adjudants à l’égard des ouvriers. On note en outre, parmi eux, l’existence d’un surplus humain considérable, promis à la dégradation sociale.

"Des statistiques d’information dignes de foi, constate un homme aussi éloigné du marxisme que l’avocat général des Etats-Unis, Homer S. Cummings, que nous avons déjà cité, montrent que de très nombreuses entreprises industrielles ont complètement disparu, et qu’il s’est produit une élimination progressive, de la vie américaine, du petit homme d’affaires". Mais, objecte Sombart, "la concentration générale, avec la disparition de la classe des artisans et des paysans", ne s’est pas encore produite. Comme tout théoricien, Marx commença par isoler les tendances fondamentales sous leur forme la plus pure ; autrement, il eût été entièrement impossible de comprendre la destinée de la société capitaliste. Marx était cependant parfaitement capable de considérer les phénomènes de la vie à la lumière d’une analyse concrète, comme le produit de l’enchaînement de divers facteurs historiques. Les lois de Newton ne sont certainement pas infirmées par le fait que l’accélération de la chute des corps varie dans certaines conditions, ou que les mouve­ments des planètes sont sujets à des perturbations.

Pour comprendre ce que l’on appelle la ténacité des classes moyennes, il est bon de ne pas perdre de vue que les deux tendances – la ruine des classes moyennes, et la transformation de leurs membres ruinés en prolétaires – ne se développent, ni à une allure égale, ni sur la même échelle. Il résulte de la prépondérance croissante de la machine sur la force de travail que, plus la ruine des classes moyennes s’étend, plus elle devance le processus de leur prolétarisation, qui, à certains moments, peut s’arrêter complètement, et même reculer.

De même que l’action des lois de la physiologie produit des résul­tats différents dans un organisme en pleine croissance ou dans un organisme en voie de dépérissement, de même les lois de l’économie marxiste se manifestent différemment dans un capitalisme qui se déve­loppe ou dans un capitalisme qui se désagrège. Cette différence apparaît avec une clarté particulière dons les relations mutuelles de la ville et de la campagne. La population rurale des Etats-Unis, qui s’accroît à un rythme relativement plus lent que la population totale, continua d’augmenter, en chiffres absolus, jusqu’en 1910, année où elle dépassa 32 millions. Pendant les vingt années suivantes, en dépit de la croissance rapide de la population totale du pays, elle tomba à 30,4 millions, c’est­-à-dire qu’elle diminua de 1,6 million. Mais, en 1935, elle monta de nou­veau à 32,8 millions, augmentant de 2,4 millions par rapport à 1930. Ce renversement de la tendance, à première vue surprenant, ne contredit pas le moins du monde, ni la tendance de la population urbaine à aug­menter aux dépens de la population rurale, ni la tendance des classes moyennes à se désintégrer ; au contraire, elle démontre pertinemment la désagrégation du système capitaliste dans son ensemble. L’accroisse­ment de la population rurale pendant la période de crise aiguë de 1930-1935 s’explique simplement par le fait qu’environ 2 millions de citadins ou, plus exactement, 2 millions de chômeurs affamés, se réfu­gièrent à la campagne, sur les lopins de terre abandonnés par des fermiers ou dans les fermes de leurs parents et amis, afin d’employer leur force de travail, rejetée par la société, à une activité productive dans le cadre d’une économie naturelle, et de mener ainsi une existence à moitié misérable, au lieu d’une existence entièrement misérable.

Il ne s’agit donc pas, dans ce cas, de la stabilité des petits fermiers, artisans et commerçants, mais plutôt de l’affreuse misère de leur situa­tion. Loin d’être une garantie pour l’avenir, les classes moyennes constituent un vestige malheureux et tragique du passé. Incapable de les faire disparaître complètement, le capitalisme les a réduites ou dernier degré de la dégradation et de la détresse. Le fermier se voit privé, non seulement de la rente de son lopin de terre et du profit du capital investi, mais aussi d’une bonne partie du salaire de son travail. De même, les petites gens de la ville grignotent peu à peu leurs réserves, puis sombrent dans une existence qui ne vaut guère mieux que la mort. La classe moyenne n’est pas prolétarisée pour la seule raison qu’elle est paupérisée. Il est aussi difficile de trouver dans ce fait un argument contre Marx, qu’un argument en faveur du capitalisme.
D. – Les crises industrielles

La fin du siècle dernier et le début du siècle présent furent marqués par des progrès tellement gigantesques du capitalisme que les crises cycliques semblaient n’être plus que des ennuis accidentels. Durant les années où l’optimisme capitaliste était presque universel, les critiques de Marx nous assuraient que le développement national et international des trusts, syndicats et cartels introduisait dans le marché un contrôle planifié, et faisait présager une victoire totale sur les crises. D’après Sombart, les crises ont déjà été abolies avant la guerre par le méca­nisme du capitalisme lui-même, de sorte que le "problème des crises nous laisse aujourd’hui à peu près indifférents". Maintenant, à peine dix ans plus tard, ces mots résonnent comme une mauvaise plaisanterie, car ce n’est que de nos jours que la prédiction de Marx s’est réalisée dans toute son ampleur tragique.

Il est remarquable que la presse capitaliste, qui s’efforce de nier, autant qu’elle le peut, l’existence même des monopoles, a recours à ces mêmes monopoles pour nier l’anarchie capitaliste. Si les soixante familles contrôlaient la vie économique des Etats-Unis, observe ironiquement le New-York Times, "cela prouverait que le capitalisme américain, loin d’être anarchique et de manquer de plan... est organisé avec grand soin". Cet argument manque le but. Le capitalisme s’est avéré incapable de développer jusqu’au bout une seule de ses tendances. De même que la concentration de la richesse n’abolit pas les classes moyennes, de même le monopole n’abolit pas la concurrence, il se contente de l’étouffer et de la mutiler. Pas plus que le "plan" de chacune des soixante familles, les diverses variantes de ces "plans" ne se soucient le moins du monde de coordonner les diverses branches de l’économie, mais bien plutôt d’accroître les profits d’une clique de monopoleurs aux dépens des autres cliques et de la nation entière. Le heurt de tous ces plans ne fait, en fin de compte, qu’aggraver l’anarchie dans l’économie nationale.

La crise de 1929 éclata, aux Etats-Unis, un an après que Sombart eut proclamé l’entière indifférence de sa "science" à l’égard du problème même des crises. Du sommet d’une prospérité sans précédent, l’économie des Etats-Unis a été précipitée dans l’abîme d’un marasme effrayant. Personne, du temps de Marx, n’aurait pu concevoir des convulsions d’une telle ampleur. Le revenu national des États-Unis, qui s’était élevé en 1920 pour la première fois à 69 milliards de dollars, tomba l’année suivante à 50 milliards de dollars, soit une baisse de 27 %. Par la suite, au cours des années de "prospérité" le revenu national reprit son ascension, et atteignit en 1929 son plus haut point, 81 milliards de dollars, pour tomber en 1932 à 40 milliards de dollars, c’est-à-dire moins de la moitié ! Pendant les neuf années 1930-1938, furent perdus environ 43 millions d’années de travail et 133 milliards de dollars de revenu national, en prenant pour norme le travail et le revenu national de 1929. Si tout cela n’est pas de l’anarchie, quelle peut bien être la signification de ce mot ?
E. – La théorie de la catastrophe

L’esprit et le cœur des intellectuels de la classe moyenne et des bureaucrates syndicaux furent presque complètement hypnotisés par les réalisations du capitalisme entre l’époque de la mort de Marx et l’explosion de la guerre mondiale. L’idée d’un progrès graduel continu semblait établie pour toujours, cependant que l’idée de révolution était considérée comme un pur vestige de la barbarie. Aux pronostics de Marx, on opposait les pronostics contraires d’une distribution mieux équilibrée du revenu national, de l’atténuation des contradictions de classes et d’une réforme graduelle de la société capitaliste. Jean Jaurès, le plus doué des sociaux-démocrates de l’époque classique, espérait remplir graduellement la démocratie politique d’un contenu social. C’est en cela que consiste l’essence du réformisme. Tels étaient les pronostics opposés à ceux de Marx. Qu’en reste-t-il ?

La vie du capitalisme de monopole de notre époque n’est qu’une succession de crises. Chaque crise est une catastrophe. La nécessité d’échapper à ces catastrophes partielles au moyen de barrières doua­nières, de l’inflation, de l’accroissement des dépenses gouvernementales et des dettes, etc..., prépare le terrain pour de nouvelles crises, plus pro­fondes et plus étendues. La lutte pour les marchés, pour les matières premières, pour les colonies, rend les catastrophes militaires inévitables. Celles-ci préparent inéluctablement des catastrophes révolutionnaires. Vraiment, il n’est pas facile d’admettre avec Sombart que le capitalisme devient, avec le temps, de plus en plus « calme, posé, raisonnable » ! Il serait plus juste de dire qu’il est en train de perdre ses derniers vestiges de raison. En tout cas, il n’y a pas de doute que la "théorie de l’effon­drement" a triomphé de la théorie du développement pacifique.

3
Le déclin du capitalisme

Si le contrôle de la production par le marché a coûté cher à la société, il n’en est pas moins vrai que l’humanité, jusqu’à une certaine époque, approximativement jusqu’à la guerre mondiale, s’est élevée, s’est enrichie, s’est développée à travers des crises par­tielles et générales. La propriété privée des moyens de production était encore, à cette époque, un facteur relativement progressif. Mais aujour­d’hui, le contrôle aveugle par la loi de la valeur refuse de servir davan­tage. Le progrès humain est dans une impasse. En dépit des derniers triomphes du génie de la technique, les forces productives matérielles ont cessé de croître. Le symptôme le plus clair de ce déclin est la stagnation mondiale qui règne dans l’industrie du bâtiment, par suite de l’arrêt des investissements dans les principales branches de l’écono­mie. Les capitalistes ne sont plus en état de croire à l’avenir de leur propre système. L’aide gouvernementale à la construction signifie une augmentation des impôts et une contraction du revenu national dispo­nible, surtout depuis que la plus grande partie des investissements gou­vernementaux est affectée directement à des fins de guerre.

Le marasme a pris un caractère particulièrement dégradant dans la sphère la plus ancienne de l’activité humaine, celle qui est le plus étroitement liée aux besoins vitaux de l’homme : dans l’agriculture. Non contents des obstacles que la propriété privée, sous sa forme la plus réactionnaire, celle de la petite propriété rurale, place devant le déve­loppement de l’agriculture, les gouvernements capitalistes se voient fréquemment appelés eux-mêmes à limiter artificiellement la production, au moyen de réglementations et de mesures administratives qui eussent effrayé les artisans des corporations à l’époque de leur déclin.

L’histoire rapportera que le gouvernement du pays capitaliste le plus puissant a donné des primes aux fermiers pour qu’ils arrachent ce qu’ils ont semé, c’est-à-dire pour diminuer artificiellement le revenu national déjà en baisse. Les résultats parlent d’eux-mêmes : en dépit de grandioses possibilités de production, fruits de l’expérience et de la science, l’économie agricole ne sort pas d’une crise de putréfaction, tandis que le nombre des affamés, qui constituent la majeure partie de l’humanité, continue à croître plus vite que la population de notre planète. Les conservateurs considèrent comme une politique sensée, humanitaire, la défense d’un ordre social qui est tombé jusqu’à un tel degré de folie destructrice, et ils condamnent la lutte pour le socialisme, la lutte contre une telle folie, comme de l’utopisme destructeur.
Fascisme et New Deal

Deux méthodes rivalisent aujourd’hui sur l’arène mondiale pour sauver le capitalisme, historiquement condamné : le fascisme et le New Deal. Le fascisme base son programme sur la destruction des organisa­tions ouvrières, sur la liquidation des réformes sociales, et sur l’anéan­tissement complet des droits démocratiques, afin de prévenir une renais­sance de la lutte de classe du prolétariat. L’état fasciste légalise officiel­lement la dégradation des travailleurs et la paupérisation des classes moyennes au nom du salut de la "nation" et de la "race" mots pré­tentieux sous lesquels se cache le capitalisme décadent.

La politique du New Deal, qui s’efforce de sauver la démocratie impérialiste en octroyant des primes à l’aristocratie ouvrière et pay­sanne, n’est accessible, dans sa plus large extension, qu’aux nations très riches, et, dans ce sens, c’est une politique américaine par excellence. Le gouvernement américain a essayé de rejeter une partie des frais de cette politique sur les épaules des hommes des trusts, en les exhortant à élever les salaires et à abréger la journée de travail, pour accroître ainsi le pouvoir d’achat de la population et développer la production. Léon Blum prétendit adapter ce sermon pour l’école primaire française. En vain ! Le capitaliste français, comme le capitaliste américain, ne produit pas pour l’amour de la production, mais pour le profit. Il est toujours prêt à limiter la production, même à détruire des produits manufacturés, si sa propre part du revenu national doit en être accrue.

L’incohérence du programme du New Deal atteint son plus haut point lorsque le gouvernement prêche aux magnats du capital les avan­tages de l’abondance, cependant qu’il distribue des primes pour réduire la production. Peut-on imaginer une plus grande confusion ? Le gou­vernement confond ses critiques en leur lançant ce défi : pouvez-vous faire mieux ? Le sens de tout cela, c’est que, sur la base du capitalisme, la situation est désespérée.

Depuis 1933, c’est-à-dire pendant les six dernières années, le gou­vernement fédéral, les états fédérés et les municipalités ont distribué aux chômeurs près de 15 milliards de dollars de secours. C’est une somme tout à fait insuffisante en elle-même, et qui ne représente pas la moitié des salaires perdus, mais, en même temps, si l’on considère la diminution du revenu national, c’est une somme colossale. Pendant l’année 1938, qui fut, relativement parlant, une année de renaissance économique, la dette nationale des Etats-Unis dépassa 38 milliards de dollars, c’est-à-dire qu’elle dépassa de 12 milliards de dollars le plus haut point atteint à la fin de la guerre mondiale.

Au début de 1939, elle dépassa les 40 milliards. Et après ? L’accrois­sement de la dette nationale est évidemment un fardeau pour les générations futures. Mais le New Deal lui-même n’a été possible qu’en raison des richesses colossales accumulées par les générations précé­dentes. Seule une nation très riche pouvait se permettre une politique aussi extravagante. Bien plus, une telle nation ne peut pas continuer indéfiniment à vivre aux dépens des générations passées. La politique du New Deal, avec ses résultats fictifs et son accroissement réel de la dette nationale, doit inévitablement aboutir à une féroce réaction capi­taliste, et à une explosion dévastatrice d’impérialisme. En d’autres termes, elle conduit aux mêmes résultats que la politique du fascisme.
Anomalie ou norme ?

Le secrétaire à l’intérieur des Etats-Unis, Harold L. Ickes, considère comme une des plus étranges anomalies de l’histoire le fait que l’Amérique, démocratique dans la forme, est en réalité une ploutocratie : "L’Amérique, le pays où la majorité gouverne, a été contrôlée, du moins jusqu’en 1933 (!), par des monopoles qui, à leur tour, sont contrôlés par un nombre infime d’actionnaires." Le jugement est correct, excepté cette insinuation qu’avec l’arrivée de Roosevelt, le règne des monopoles a cessé ou s’est affaibli. Cependant, ce que Ickes appelle "une des plus étranges anomalies de l’histoire" est, en fait, la norme incontestable du capitalisme. La domination du faible par le fort, du plus grand nombre par quelques-uns, des travailleurs par les exploiteurs, est une loi fonda­mentale de la démocratie bourgeoise. Ce qui distingue les Etats-Unis des autres pays, c’est uniquement l’ampleur plus grande qu’y ont prise les contradictions capitalistes. Pas de passé féodal, d’immenses ressources naturelles, un peuple énergique et entreprenant, en un mot toutes les conditions requises pour augurer un développement démocratique inin­terrompu, ont engendré en fait une fantastique concentration de la richesse.

Nous promettant cette fois de mener jusqu’à la victoire la lutte contre les monopoles, Ickes prend à témoin, bien imprudemment, Thomas Jefferson, Andrew Jackson, Abraham Lincoln, Théodore Roosevelt et Woodrow Wilson comme les précurseurs de Franklin D. Roosevelt : "Pratiquement toutes nos grandes figures historiques, disait-il le 30 décembre 1938, sont célèbres pour la lutte qu’elles ont menée, avec opiniâtreté et courage, afin d’empêcher la super-concentration de la richesse et du pouvoir entre quelques mains. " Mais il découle de ses propres paroles que le résultat de cette "lutte opiniâtre et courageuse" est la domination complète de la démocratie par la ploutocratie.

Pour une raison inexplicable, Ickes pense que, cette fois, la victoire est assurée, pourvu que le peuple comprenne que la « lutte ne se déroule pas entre le New Deal et la moyenne des hommes d’affaires avertis, mais entre le New Deal et les "Bourbons" des 60 familles, qui ont imposé la terreur de leur domination au reste des hommes d’affaires avertis, en dépit de la démocratie et des efforts des "plus grandes figures historiques" ». Les Rockfeller, les Morgan, les Mellon, les Vanderbilt, les Guggenheim, les Ford et Cie n’ont pas envahi les Etats-­Unis de l’extérieur, comme Cortez envahit le Mexique ; ils sont sortis organiquement du "peuple" ou, plus précisément, de la classe des "industriels et hommes d’affaires avertis", et représentent aujourd’hui, selon la prédiction de Marx, l’apogée naturelle du capitalisme. Si une jeune et forte démocratie n’a pas été capable, dans ses beaux jours, de faire échec à la concentration de la richesse, alors que ce processus était encore à son début, est-il possible de croire, même une minute, qu’une démocratie décadente soit capable d’affaiblir les antagonismes de classe qui ont atteint leur limite extrême ? En tout cas, l’expérience du New Deal ne peut nullement justifier un tel optimisme. Réfutant les accusations portées par l’industrie lourde contre le gouvernement, Robert H. Jackson, un homme haut placé dans les sphères administratives, a prouvé, chiffres à l’appui, que, sous la présidence de Roosevelt, les profits des magnats du capital ont atteint des hauteurs auxquelles ils avaient cessé de rêver pendant la dernière présidence de Hoover ; d’où il résulte, en tout cas, que la lutte de Roosevelt contre les monopoles n’a pas été couronnée d’un plus grand succès que celle de ses prédécesseurs.
Le retour au passé

On ne peut qu’être d’accord avec le professeur Lewis S. Douglas, l’ancien directeur du budget dans l’administration Roosevelt, lorsqu’il condamne le gouvernement parce qu’il "attaque" les monopoles dans un domaine et les encourage dans beaucoup d’autres. Cependant, dans la réalité, il ne peut en être autrement. Selon Marx, le gouvernement est le comité exécutif de la classe dirigeante. Aucun gouvernement n’est en mesure de lutter contre les monopoles en général, c’est-à-dire contre la classe par la volonté de laquelle il gouverne.

Lorsqu’il attaque certains monopoles, il est obligé de chercher des alliés chez d’autres monopoles. En s’alliant aux banques et à l’industrie légère, il peut, occasionnellement, porter un coup aux trusts de l’indus­trie lourde, qui ne cessent pas pour cela de faire des bénéfices fantastiques.

Lewis Douglas n’oppose pas au charlatanisme officiel la science, mais simplement une autre espèce de charlatanisme. Il voit la source des monopoles, non dans le capitalisme, mais dans le protectionnisme, et, en conclusion, il découvre le salut de la société, non dans l’abolition de la propriété privée des moyens de production, mais dans l’abaisse­ment des tarifs douaniers. "A moins que la liberté des marchés ne soit restaurée – prédit-il – il est douteux que la liberté de toutes les insti­tutions, des entreprises, de parole, d’éducation, de religion, puisse sur­vivre." En d’autres termes, si l’on ne rétablit pas la liberté du com­merce international, la démocratie, ou ce qu’il en reste, doit partout céder la place à une dictature révolutionnaire ou à une dictature fasciste. Mais la liberté du commerce international est inconcevable sans la liberté du commerce intérieur, c’est-à-dire sans compétition. Et la liberté de compétition est inconcevable sous le joug des monopoles. Malheureusement, M. Douglas, pas plus que M. Ickes, que M. Jackson, que M. Cummings et que M. Roosevelt lui-même, ne s’est donné la peine de nous indiquer ses propres remèdes contre le capitalisme de monopole, et, par suite, contre une révolution ou un régime totalitaire.

La liberté du commerce, comme la liberté de la concurrence, comme la prospérité des classes moyennes, appartient irrévocablement au passé. Nous ramener au passé, c’est aujourd’hui le seul remède des réformateurs démocratiques du capitalisme : rendre plus de "liberté" aux petits et moyens industriels et hommes d’affaires, transformer la monnaie et le système de crédit en leur faveur, libérer le marché de la domination des trusts, éliminer de la bourse les spéculateurs profession­nels, rétablir la liberté du commerce international, et ainsi de suite à l’infini. Les réformateurs rêvent même de limiter l’usage des machines et de jeter l’interdit sur la technique, qui trouble l’équilibre social et cause des perturbations sans nombre.
Les savants et le marxisme

Dans un discours pour la défense de la science prononcé le 7 décem­bre 1937, le docteur Robert A. Millikan, un des meilleurs physiciens d’Amérique, fit cette remarque : "Les statistiques des Etats-Unis montrent que le pourcentage de la population active n’a cessé d’augmenter pendant les cinquante dernières années, années durant lesquelles la science a eu le plus d’applications." Cette défense du capitalisme sous la forme d’une défense de la science ne peut être considérée comme très heureuse. C’est précisément pendant le dernier demi-siècle que "la chaîne du temps s’est rompue", et que les rapports entre l’économie et la technique se sont profondément altérés. La période dont parle Millikan comprend le commencement du déclin capitaliste aussi bien que l’apogée de la prospérité capitaliste. Voiler le commencement de ce déclin, qui est mondial, c’est se faire l’apologiste du capitalisme. Reje­tant le socialisme d’une manière désinvolte, avec des arguments à peine dignes de Henry Ford lui-même, le docteur Millikan nous dit qu’aucun système de distribution ne peut satisfaire les besoins de l’homme sans élever le niveau de la production. C’est indiscutable. Mais il est regret­table que le célèbre physicien n’ait pas expliqué aux millions de chô­meurs américains comment, en fait, ils pourraient participer à l’augmen­tation du revenu national. Les sermons sur la grâce miraculeuse de l’initiative individuelle et sur la haute productivité du travail ne procu­reront certainement pas d’emplois aux chômeurs, pas. plus qu’ils ne combleront le déficit du budget, ni ne sortiront l’économie nationale de l’impasse.

Ce qui distingue Marx, c’est l’universalité de son génie, son aptitude à comprendre les phénomènes et les processus appartenant à des domai­nes différents et les connexions qui leur sont inhérentes. Sans être un spécialiste des sciences naturelles, il fut un des premiers à apprécier la signification des grandes découvertes dans ce domaine : du darwi­nisme, par exemple. Ce qui lui assurait une telle prééminence, ce n’était pas tant la puissance de son esprit que celle de sa méthode. Les savants imprégnés d’idées bourgeoises peuvent se croire au-dessus du socialisme ; pourtant, le cas de Robert Millikan démontre une fois de plus que, dans le domaine de la sociologie, ils ne sont que des charlatans sans espoir.
Les possibilités de production et la propriété privée

Dans son message au Congrès du début de 1939, le président Roosevelt exprima son désir d’élever le revenu national à 90 ou 100 milliards de dollars, sans pourtant indiquer comment il y parviendrait. En lui-même, ce programme est extrêmement modeste. En 1929, lorsqu’il y avait environ 2 millions de chômeurs, le revenu national atteignait 81 milliards de dollars. La mise en action des forces productives actuelles suffirait, non seulement pour réaliser le programme de Roosevelt, mais même pour le dépasser considérablement. Machines, matières premières, main-d’œuvre, rien ne manque – pas même les besoins de la population. Si, malgré tout cela, le plan est irréalisable – et il l’est – la seule raison est l’antagonisme insupportable qui s’est développé entre la pro­priété capitaliste et le besoin social d’une production croissante. Le fameux Contrôle National de la capacité de production, que patronnait le gouvernement, arriva à la conclusion que le coût total de la production et des transports s’élevait en 1929 à presque 94 milliards de dollars, en calculant sur la base des prix de détail. Cependant, si toutes les possibi­lités de production réelles avaient été utilisées, ce chiffre se serait élevé à 135 milliards de dollars, ce qui aurait donné une moyenne de 4.370 dollars par an et par famille, somme suffisante pour assurer une vie décente et confortable. Il faut ajouter que lescalculs du Contrôle Natio­nal sont basés sur l’organisation actuelle, de la production aux Etats­-Unis, telle que l’histoire anarchique du capitalisme l’a faite. Si cette organisation était refondue sur la base d’un plan socialiste unifié, ce niveau de production pourrait être considérablement dépassé, et un haut standard de vie et de confort, sur la base d’une journée de travail extrêmement courte, pourrait être assuré à tout le monde.

Ainsi, pour sauver la société, il n’est nécessaire ni d’arrêter le développement de la technique, ni de fermer les usines, ni d’accorder des primes aux fermiers pour saboter l’agriculture, ni de transformer le tiers des travailleurs en mendiants, ni de faire appel à des fous comme dictateurs. Toutes ces mesures, contraires aux intérêts de la société, sont inutiles. Ce qui est indispensable et urgent, c’est de séparer les moyens de production de leurs propriétaires parasites actuels, et d’organiser la société d’après un plan rationnel. Après quoi, il serait enfin possible de guérir réellement la société de ses maux. Tous ceux qui savent travailler trouveraient du travail. La longueur de la journée de travail diminuerait graduellement. Les besoins de tous les membres de la société trouve­raient des possibilités de satisfaction de plus en plus grandes. Les mots "pauvreté", "crise", "exploitation", disparaîtraient de la circulation. Le genre humain franchirait enfin le seuil de la véritable humanité.

4
L’inéluctabilité du Socialisme

"Parallèlementà la diminution constante du nombre des magnats du capital, dit Marx, grandit le poids de misère, d’oppression, d’esclavage, de dégradation, d’exploitation ; mais en même temps grandit aussi la révolte de la classe ouvrière, classe toujours croissante en nombre, disciplinée, unifiée, organisée par le mécanisme même du processus de la production capitaliste... La centra­lisation des moyens de production et la socialisation du travail atteignent enfin un point où elles deviennent incompatibles avec leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe éclate. Le glas de la propriété privée sonne, les expropriateurs sont expropriés".

C’est la révolution socialiste. Pour Marx, le problème de la reconstruction de la société ne se posait pas en raison de ses préférences personnelles ; il surgissait, comme une néces­sité historique inexorable, d’une part de la croissance des forces pro­ductives jusqu’à leur pleine maturité, d’autre part de l’impossibilité de développer davantage ces forces productives sous l’empire de la loi de la valeur.

Les élucubrations de certains intellectuels, selon lesquelles, en dépit de l’enseignement de Marx, le socialisme ne serait pas inéluctable, mais seulement possible, sont absolument vides de sens. Il est évident que Marx n’a jamais voulu dire que le socialisme se réaliserait sans l’intervention de la volonté et de l’action de l’homme ; une telle idée est simplement absurde.

Marx a prédit que, pour sortir de la catastrophe économique où doit conduire inévitablement le développement du capitalisme – et cette catastrophe est devant nos yeux -, il ne peut y avoir d’autre issue que la socialisation des moyens de production. Les forces productives ont besoin d’un nouvel organisateur et d’un nouveau maître ; et, l’existence déterminant la conscience, Marx ne doutait pas que la classe ouvrière, au prix d’erreurs et de défaites, parviendrait à prendre conscience de la situation, et, tôt ou tard, tirerait les conclusions pratiques qui s’imposent.

Que la socialisation des moyens de production créés par le capitalisme offre un avantage économique énorme, c’est ce que l’on peut démontrer aujourd’hui, non seulement en théorie, mais aussi par l’expé­rience de l’U.R.S.S., en dépit des limites de cette expérience. Il est vrai que les réactionnaires capitalistes, non sans artifice, se servent du régime de Staline comme d’un épouvantail contre les idées de socialisme. En fait, Marx n’a jamais dit que le socialisme pouvait se réaliser dans un seul pays, et, de plus, dans un pays arriéré. Les privations que les masses subissent toujours en U.R.S.S., l’omnipotence de la caste privilégiée qui s’est élevée au-dessus de la nation et de sa misère, l’arbitraire insolent des bureaucrates, ce ne sont pas là des conséquences des méthodes économiques du socialisme, mais de l’isolement et du retard historique de l’U.R.S.S., prise dans l’étau de l’encerclement capitaliste. L’étonnant, c’est que, dans des conditions aussi exceptionnellement défavorables, l’économie planifiée ait réussi à démontrer ses avantages indiscutables.

Tous les sauveurs du capitalisme, ceux de l’espèce démocratique aussi bien que ceux de l’espèce fasciste, s’efforcent de limiter ou, tout au moins, de camoufler la puissance des magnats du capital, afin de prévenir l’expropriation des expropriateurs. Ils reconnaissent tous, et certains d’entre eux l’admettent même ouvertement, que l’échec de leurs tentatives de réformes doit inévitablement conduire à la révolution socialiste. Ils ont tous réussi à démontrer que leurs méthodes pour sauver le capitalisme ne sont que charlatanisme réactionnaire et impuis­sant. L’inéluctabilité du socialisme, prédite par Marx, est ainsi confirmée par l’absurde.
La révolution socialiste est indispensable

La propagande de la "technocratie", qui a fleuri pendant la période de la grande crise de 1929-1932, était fondée sur cette prémisse correcte que l’économie ne peut être rationalisée que par l’union de la technique élevée à la hauteur de la science et du gouvernement mis au service de la société. Une telle union n’est possible que si la technique et le gou­vernement sont libérés de l’esclavage de la propriété privée.

C’est là que commence la grande tâche révolutionnaire. Pour libérer la technique de la cabale des intérêts privés et mettre le gouvernement au service de la société, il faut "exproprier les expropriateurs". Seule une classe puissante, intéressée à sa propre libération, et opposée aux expropriateurs capitalistes, est capable d’accomplir cette tâche. Ce n’est qu’alliée à un gouvernement prolétarien qu’une équipe de techniciens qualifiés peut construire une économie réellement scientifique et réelle­ment rationnelle, c’est-à-dire socialiste.

Le mieux serait évidemment d’atteindre ce but d’une manière paci­fique, graduelle, démocratique. Mais un ordre social qui s’est survécu à lui-même ne cède jamais la place à son successeur sans résistance. Si la jeune et puissante démocratie s’est révélée en son temps incapable d’empêcher l’accaparement de la richesse et du pouvoir par la plouto­cratie, est-il possible d’attendre d’une démocratie sénile et ravagée qu’elle se révèle capable de transformer un ordre social basé sur la domination illimitée des 60 familles ? La théorie et l’histoire enseignent que la substitution d’un régime social à un autre suppose la forme la plus élevée de la lutte de classe, c’est-à-dire la révolution. Même l’esclavage n’a pu être aboli aux Etats-Unis sans une guerre civile.

"La force est l’accoucheuse de toute vieille société grosse d’une nouvelle."Personne n’a encore été capable de réfuter ce principe fondamental, énoncé par Marx, de la sociologie des sociétés de classes. Seule, une révolution socialiste peut ouvrir la voie au socialisme.
Le marxisme aux Etats-Unis

La république nord-américaine a été plus loin que les autres dans le domaine de la technique et de l’organisation de la production. Ce n’est pas seulement l’Amérique, c’est toute l’humanité qui bâtira sur ces fondations. Cependant, les diverses phases du processus social suivent, au sein d’une seule et même nation, des rythmes différents, selon les conditions historiques spécifiques. Tandis que les Etats-Unis possèdent une supériorité formidable dans le domaine de la technologie, leurs conceptions économiques restent extrêmement arriérées, aussi bien à droite qu’à gauche. John L. Lewis a à peu près les mêmes vues que Franklin D. Roosevelt. Si l’on tient compte de leurs fonctions sociales respectives, les idées de Lewis sont incomparablement plus conservatrices, pour ne pas dire réactionnaires, que celles de Roosevelt. Dans certains cercles américains, il y a une tendance à répudier telle ou telle théorie révolutionnaire sans la moindre critique scientifique, en la déclarant simplement "non américaine".Mais où peut-on trouver le critère qui permette de distinguer ce qui est américain et ce qui ne l’est pas ? Le christianisme fut importé aux Etats-Unis en même temps que les logarithmes, la poésie de Shakespeare, les notions sur les droits de l’homme et du citoyen, et certains autres produits moins importants de la pensée humaine. Aujourd’hui, le marxisme s’y trouve dans la même situation.

Le secrétaire américain à l’agriculture, Henry A. Wallace, reproche à l’auteur de ces lignes "une étroitesse dogmatique qui est au plus haut point non américaine" et il oppose au dogmatisme russe l’esprit oppor­tuniste de Jefferson, qui savait composer avec ses adversaires. L’idée n’est apparemment jamais venue à l’esprit de H. Wallace qu’une poli­tique de compromis n’est pas fonction de quelque esprit national immatériel, mais le produit de conditions matérielles. Une nation dont la richesse croît rapidement a des réserves suffisantes pour concilier les classes et les partis hostiles. Lorsque, au contraire, les contradictions sociales s’exacerbent, la base d’une politique de compromis disparaît.

Si l’Amérique n’a pas connu "l’étroitesse dogmatique" c’est parce qu’elle disposait d’une pléthore de terres vierges, de richesses naturelles inépuisables, et, du moins en apparence, de possibilités d’enrichissement illimitées. Cependant, même dans ces conditions, l’esprit de compromis n’empêcha pas la guerre civile lorsque son heure sonna. De toute façon, les conditions matérielles qui formèrent la base de l’ "américanisme" appartiennent aujourd’hui de plus en plus au domaine du passé. De là, la crise profonde de l’idéologie traditionnelle américaine.

La pensée empirique, limitée à la solution des tâches immédiates, semble suffisante, aussi bien dans les cercles d’ouvriers que dans les cercles bourgeois, aussi longtemps que la loi de la valeur de Marx façonne la pensée de chacun. Mais aujourd’hui, cette même loi produit des effets opposés. Au lieu de faire progresser l’économie, elle en mine les fondations. La pensée éclectique et conciliatrice, avec son attitude hostile et méprisante envers le marxisme, qu’elle considère comme un "dogme", et son expression philosophique suprême, le pragmatisme, devient absolument inadéquate, inconsistante, réactionnaire et ridicule.

Ce sont en réalité les idées traditionnelles de l’américanisme qui sont devenues un dogme sans vie, pétrifié, qui n’engendre plus qu’erreurs et confusions. En même temps, l’enseignement économique de Marx a trouvé un terrain favorable, et acquis une pertinence particulière aux Etats-Unis. Quoique Le Capital repose sur un matériel international, surtout anglais, il constitue, dans ses fondements théoriques, une analyse du capitalisme pur, du capitalisme comme tel. Indubitablement, le capi­talisme qui a poussé sur le sol vierge et sans histoire de l’Amérique est très proche de ce type idéal.

En dépit de la présence de M. Wallace, le développement économique de l’Amérique s’est fait, non d’après les principes de Jefferson, mais d’après les lois de Marx. Il n’est pas plus offensant pour l’orgueil national de le reconnaître, que de reconnaître que l’Amérique tourne autour du soleil selon les lois de Copernic. Le Capital donne un diagnostic exact de la maladie, et un pronostic irremplaçable. En ce sens, l’enseignement de Marx est beaucoup plus proche du nouvel "américanisme" que les idées de Hoover ou de Roosevelt, de Green ou de Lewis.

Il est vrai qu’il y a aux Etats-Unis une littérature originale, très riche, consacrée aux crises économiques. Tant que des économistes consciencieux donnent un tableau objectif des tendances destructives du capitalisme américain, leurs recherches, abstraction faite de leurs prémisses théoriques, semblent des illustrations directes de la théorie de Marx. Cependant, la tradition conservatrice dont s’inspirent ces auteurs apparaît lorsqu’ils se refusent obstinément à tirer des conclu­sions nettes, se bornant à des prédictions nébuleuses ou à des banalités moralisantes telles que : "Le pays doit comprendre que... ", "L’opinion publique doit considérer sérieusement... ", etc... Ces livres ressemblent à des couteaux sans lame.

Les Etats-Unis ont eu des marxistes dans le passé, il est vrai, mais c’étaient des marxistes d’un type étrange, ou plutôt de trois types étranges. En premier lieu, il y avait des émigrés chassés d’Europe, qui faisaient ce qu’ils pouvaient, mais ne parvenaient pas à trouver d’écho ; en second lieu, il y eut des groupes américains isolés comme les disciples de Daniel de Léon, qui, avec le déroulement des événements, et par suite de leurs propres fautes, se transformèrent en sectes ; en troisième lieu, il y eut des dilettantes, attirés par la révolution d’Octobre, qui sympa­thisaient avec le marxisme en tant qu’enseignement exotique n’ayant rien de commun avec les Etats-Unis. Cette époque est révolue. Aujourd’hui commence une nouvelle époque, celle d’un mouvement de classe indépendant du prolétariat, en même temps que celle du vrai marxisme. Dans ce domaine aussi, l’Amérique rattrapera l’Europe, puis la dépassera. Sa technique et sa structure sociale progressives se fraieront un chemin dans le domaine de la doctrine. Les meilleurs théoriciens du marxisme apparaîtront sur le sol américain. Marx deviendra le guide des travailleurs américains d’avant-garde. Pour eux, cet exposé abrégé du premier volume du Capital ne sera que le premier pas vers l’étude complète de Marx.
Le miroir idéal du capitalisme

A l’époque où fut publié le premier volume du Capital, la domina­tion mondiale de la bourgeoisie anglaise était encore incontestée. Les lois abstraites de l’économie marchande trouvaient naturellement leur incarnation la plus parfaite, c’est-à-dire la moins soumise aux influences du passé, dans le pays où le capitalisme avait atteint son plus haut déve­loppement. Bien qu’il se soit appuyé principalement sur l’Angleterre dans son analyse, Marx n’avait pas seulement en vue ce pays, mais bien le monde capitaliste tout entier. Il a pris l’Angleterre de son temps comme le meilleur miroir du capitalisme à cette époque.

Aujourd’hui, l’hégémonie britannique n’est plus qu’un souvenir. L’avantage d’avoir précédé les autres pays dans la voie du capitalisme s’est transformé en désavantage. La structure technique et économique de l’Angleterre est devenue désuète. La position mondiale de ce pays continue à dépendre de son empire colonial, héritage du passé, plutôt que de son potentiel économique réel. Cela explique, incidemment, la charité chrétienne dont fait preuve Chamberlain envers le gangstérisme international des fascismes, attitude qui a tellement étonné le monde. La bourgeoisie anglaise ne peut pas ne pas réaliser que son déclin économique est devenu entièrement incompatible avec sa position dans le monde, et qu’une nouvelle guerre menace d’entraîner la chute de l’empire britannique. La base économique du "pacifisme" de la France est essentiellement de la même nature.

L’Allemagne, au contraire, a utilisé pour son ascension capitaliste rapide les avantages de son retard historique, se dotant de la technique la plus parfaite d’Europe. Ne disposant que d’une base nationale étroite et de peu de ressources naturelles, le dynamisme capitaliste de l’Allema­gne se transforma par nécessité en un facteur explosif extrêmement puissant dans ce qu’on appelle l’équilibre des puissances mondiales. L’idéologie épileptique de Hitler n’est que le reflet de l’épilepsie du capitalisme allemand.

Outre de nombreux avantages inappréciables de caractère historique, le développement des Etats-Unis a eu le privilège exceptionnel de bénéficier d’un territoire incommensurablement plus vaste, et de riches­ses naturelles incomparablement plus grandes que l’Allemagne. Ayant considérablement devancé la Grande-Bretagne, la république nord-amé­ricaine est devenue, au commencement de ce siècle, la principale forte­resse de la bourgeoisie mondiale. Toutes les possibilités que recèle le capitalisme trouvèrent dans ce pays leur expression la plus haute. Nulle part ailleurs sur notre planète, la bourgeoisie ne put pousser aussi loin ses réalisations que dans la république du dollar, qui est devenue le plus parfait miroir du capitalisme du XXème siècle.

Pour les mêmes raisons qui portèrent Marx à fonder son exposé sur les statistiques anglaises, nous avons eu recours, dans notre modeste introduction, principalement à des preuves empruntées à l’expérience économique et politique des Etats-Unis. Inutile d’ajouter qu’il ne serait pas difficile de citer des faits et des chiffres analogues empruntés à la vie de n’importe quel autre pays capitaliste. Mais cela n’ajouterait rien d’essentiel. Les conclusions seraient les mêmes, les exemples seraient seulement moins frappants.

La politique du Front populaire en France ne fut, comme l’a signalé un de ses financiers, qu’une adaptation "pour lilliputiens" du New Deal. Il est évident que, dans une analyse théorique, il est bien plus commode d’utiliser des grandeurs cyclopéennes que des grandeurs lilliputiennes. L’immensité même de l’expérience Roosevelt nous démontre que seul un miracle peut sauver le régime capitaliste mondial. Mais il se trouve que le développement de la production capitaliste a mis fin à la pro­duction des miracles. Les incantations et les prières abondent, les miracles ne viennent jamais. Cependant, il est évident que, si le miracle du rajeunissement du capitalisme pouvait se produire, c’était seulement aux Etats-Unis. Mais ce rajeunissement ne s’est pas produit. Ce que les Cyclopes n’ont pu faire, les Lilliputiens le pourront encore bien moins. Etablir les fondements de cette simple conclusion, tel est l’objet de notre incursion dans le champ de l’économie nord-américaine.
Métropoles et colonies

"Le pays le plus développé industriellement", écrivait Marx dans la préface à la première édition de son Capital, "montre seulement aux pays les moins développés l’image de leur propre avenir". Cette affir­mation ne peut en aucun cas être prise à la lettre. La croissance des forces productives et l’approfondissement des contradictions sociales sont indubitablement le sort de tout pays qui est entré dans la voie d’une évolution bourgeoise. Cependant, la disproportion entre les "ryth­mes" et mesures qui se produit dans tout développement humain, n’est pas seulement devenue particulièrement aiguë sous le capitalisme, mais encore a donné naissance à une complète interdépendance, faite de sou­mission, d’exploitation et d’oppression, entre des pays de type économique différent.

Seule, une minorité de pays a passé par tout ce développement systématique et logique qui part de l’artisanat et aboutit à l’usine, en passant par la manufacture, développement que Marx a soumis à une analyse si détaillée. Le capital commercial, industriel et financier a envahi de l’extérieur les pays arriérés, détruisant en partie les formes primitives de l’économie naturelle, les soumettant en partie au système industriel et bancaire mondial de l’Occident. Sous le fouet de l’impé­rialisme, les colonies et les semi-colonies se sont vues obligées de négliger les stades intermédiaires, tout en restant cependant artificielle­ment accrochées à un niveau ou un autre. Le développement de l’Inde n’est pas la copie du développement de l’Angleterre ; il en est le com­plément. Cependant, pour comprendre le type de développement combiné des pays arriérés et dépendants comme l’Inde, il faut toujours avoir dans l’esprit le schéma classique que Marx a tiré du développement de l’Angleterre. La théorie de la valeur-travail régit aussi bien les calculs des spéculateurs de la City de Londres que les opérations des changeurs de monnaie dans les coins les plus reculés de l’Hyderabad, à cette seule différence près que, dans le dernier cas, elle prend des formes plus simples et moins astucieuses.

L’inégalité du développement a procuré d’énormes bénéfices aux pays avancés qui, quoique à des degrés divers, ont continué à se développer aux dépens des pays arriérés, en les exploitant, en se les soumettant comme colonies, ou tout au moins en les empêchant de s’élever jusqu’à l’aristocratie capitaliste. Les fortunes de l’Espagne, de la Hollande, de l’Angleterre, de la France se sont constituées, non seulement par la plus-value prélevée sur leur propre prolétariat, non seulement par le pillage de leur propre petite bourgeoisie, mais aussi par le pillage systé­matique de leurs possessions d’outre-mer. L’exploitation des classes fut complétée et sa puissance fut accrue par l’exploitation des nations. La bourgeoisie des métropoles se trouva en mesure d’assurer une position privilégiée à son propre prolétariat, surtout à ses couches supérieures, au moyen d’une partie des superprofits amassés dans les colonies. Sans cela, toute espèce de régime démocratique stable eût été impossible. Sous sa forme la plus large, la démocratie bourgeoise devint et reste toujours une forme de gouvernement qui n’est accessible qu’aux nations les plus aristocratiques et les plus exploiteuses. La démocratie antique reposait sur l’esclavage, la démocratie impérialiste repose sur le pillage des colonies.

Les Etats-Unis qui, formellement, n’ont presque pas de colonies, sont néanmoins la plus privilégiée de toutes les nations de l’histoire. Des immigrants actifs venus d’Europe prirent possession d’un continent extrêmement riche, exterminèrent la population indigène, s’emparèrent de la meilleure partie du Mexique et se taillèrent la part du lion dans les richesses mondiales. Les réserves de graisse ainsi accumulées conti­nuent d’être utiles, même maintenant, à l’époque du déclin, pour graisser les rouages de la démocratie.

L’expérience historique récente, aussi bien que l’analyse théorique, montre que le degré de développement de la démocratie et sa stabilité sont en raison inverse de la tension des contradictions de classes. Dans les pays capitalistes les moins privilégiés (d’un côté la Russie, de l’autre l’Allemagne, l’Italie, etc...), qui étaient incapables d’engendrer une aris­tocratie ouvrière nombreuse et stable, la démocratie ne s’est jamais beaucoup développée, et elle succomba devant la dictature avec une facilité relative. Cependant la paralysie progressive du capitalisme pré­pare le même sort à la démocratie dans les nations les plus privilégiées et les plus riches. La seule différence est dans les dates. La détérioration irrésistible des conditions de vie des travailleurs permet de moins en moins à la bourgeoisie d’accorder aux masses le droit de participer à la vie politique, même dans le cadre restreint du parlementarisme bour­geois. Toute autre explication du processus manifeste de l’élimination de la démocratie par le fascisme n’est qu’une falsification idéaliste de la réalité, une tromperie des autres ou de soi-même.

Tandis qu’il détruit la démocratie dans les vieilles métropoles du capital, l’impérialisme entrave, en même temps, son développement dans les pays arriérés. Si, dans la dernière période, pas une des colonies ou des semi-colonies n’a accompli sa révolution démocratique, particu­lièrement dans le domaine des rapports agraires, cela est entière­ment dû à l’impérialisme, qui est devenu le principal frein du progrès économique et politique. Tout en pillant les richesses naturelles des pays arriérés, et en freinant délibérément leur développement industriel auto­nome, les magnats des trusts et leurs gouvernements accordent un soutien financier, politique et militaire aux groupes semi-féodaux d’ex­ploiteurs indigènes les plus réactionnaires, les plus parasites. La barba­rie agraire entretenue artificiellement est aujourd’hui le fléau le plus sinistre de l’économie mondiale. La lutte des peuples coloniaux pour leur libération, sautant les étapes intermédiaires, se transforme par nécessité en une lutte contre l’impérialisme, et, par là, elle donne la main à la lutte du prolétariat dans les métropoles. Les soulèvements coloniaux et lesguerres sapent les fondements du monde capitaliste, et rendent le miracle de sa régénération moins que jamais possible.
Une économie planifiée mondiale

Le capitalisme a le double mérite historique d’avoir porté la tech­nique à un niveau élevé, et d’avoir relié toutes les parties du monde par des liens économiques. Il a créé ainsi les conditions matérielles requises pour l’utilisation systématique de toutes les ressources de notre planète. Cependant, le capitalisme n’est pas en état d’accomplir cette tâche urgente. La base de son expansion est toujours l’état national, avec ses frontières, ses douanes et ses armées. Or les forces productives ont depuis longtemps dépassé les frontières de l’état national, transfor­mant ainsi ce qui fut autrefois un facteur de progrès historique en une contrainte insupportable. Les guerres impérialistes ne sont rien d’autre que la révolte explosive des forces productives contre les frontières des états, devenues trop étroites pour elles. Le programme de ce qu’on appelle l’ "autarchie" n’a rien à voir avec le retour à une économie se suffisant à elle-même à l’intérieur de ses frontières. Il signifie seulement que l’on prépare les bases nationales pour une nouvelle guerre.

Après la signature du traité de Versailles, on croyait généralement que le globe terrestre avait été très bien partagé. Mais des événements plus récents nous ont rappelé que notre planète contient encore des terri­toires qui n’ont pas été pillés, ou qui ne l’ont pas été suffisamment. La lutte pour les colonies fait toujours partie intégrante de la politique du capitalisme impérialiste. Bien que le monde soit entièrement partagé, le processus ne cesse jamais, mais remet sans cesse à l’ordre du jour la question d’un nouveau partage, en conformité avec les changements survenus dans le rapport des forces impérialistes. Telle est, aujourd’hui, la véritable raison des réarmements, des crises diplomatiques, et des préparatifs de guerre.

Tous les efforts pour représenter la guerre imminente comme un choc entre les idées du fascisme et celles de la démocratie appartiennent au domaine du charlatanisme ou de la stupidité. Les formes politiques changent, les appétits capitalistes demeurent. Si un régime fasciste devait s’établir demain des deux côtés de la Manche – et l’on oserait difficilement nier cette possibilité – les dictateurs de Paris et de Londres seraient tout aussi incapables d’abandonner leurs possessions coloniales que Mussolini et Hitler leurs revendications coloniales. La lutte furieuse et sans espoir pour un nouveau partage du monde surgit irrésistiblement de la crise mortelle du système capitaliste.

Des réformes partielles et des rafistolages ne serviront à rien. Le développement historique est arrivé à l’une de ces étapes décisives, où, seule, l’intervention directe des masses est capable de balayer les obstacles réactionnaires et de poser les fondements d’un nouveau régime. L’abolition de la propriété privée des moyens de production est la condition première d’une économie planifiée, c’est-à-dire de l’intervention de la raison dans le domaine des relations humaines, d’abord à l’échelle nationale, puis, par la suite, à l’échelle mondiale. Une fois commencée, la révolution socialiste se répandra d’un pays à l’autre avec une force infini­ment plus grande que ne se répand le fascisme aujourd’hui. Par l’exemple et avec l’aide des nations avancées, les nations arriérées, elles aussi, seront emportées dans le grand courant du socialisme. Les barrières douanières entièrement pourries tomberont. Les contradictions qui divi­sent l’Europe et le monde entier trouveront leur solution naturelle et pacifique dans le cadre d’Etats-Unis Socialistes, en Europe comme dans les autres parties du monde. L’humanité délivrée marchera vers les plus hautes cimes.

Messages

  • RETOUR AU MARXISME

    Dans le bolchevisme, le marxisme a trouvé son expression historique la plus grandiose. C’est sous le drapeau du bolchevisme que fut remportée la première victoire du prolétariat et fondé le premier Etat Ouvrier. Aucune force n’effacera plus ces faits de l’histoire. Mais comme la Révolution d’Octobre a conduit au stade présent, au triomphe de la bureaucratie, avec son système d’oppression, de spoliation et de falsifications, à la dictature du mensonge, selon la juste expression de Schlamm, de nombreux esprits formalistes et superficiels inclinent à la conclusion sommaire qu’il est impossible de lutter contre le stalinisme sans renoncer au bolchevisme.

    LEON TROTSKY dans "Bolchevisme contre stalinisme"

  • Lénine dans "Les tâches du prolétariat dans notre révolution" :

    La dénomination de « social‑démocratie » est scientifiquement inexacte, comme Marx l’a démontré plus d’une fois notamment dans la Critique du programme de Gotha, et comme Engels l’a répété dans un exposé plus populaire en 1894 [1]. Du capitalisme l’humanité ne peut passer directement qu’au socialisme, c’est‑à‑dire à la propriété collective des moyens de production et à la répartition des produits selon le travail de chacun. Notre Parti voit plus loin : le socialisme doit inévitablement se transformer peu à peu en communisme, sur le drapeau duquel est écrit : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. »

    Tel est mon premier argument.

    Et voici le deuxième : la seconde partie de notre dénomination (social‑démocrates) est, elle aussi, scientifiquement inexacte. La démocratie est une des formes de l’Etat. Or, nous, marxistes, nous sommes adversaires de tout Etat.

  • Au cours de toute leur vie, Marx et Engels ont suivi avec attention l’évolution de la science de la nature, accomplissant la généralisation philosophique de ses résultats et éclairant ceux-ci du Point de vue de la théorie du matérialisme dialectique. Les questions de la théorie de la science occupent une Place éminente dans un ouvrage de la littérature marxiste aussi important que l’Anti-Dühring d’Engels, où se trouve un exposé développé des fondements de la doctrine de Marx. On rencontre dans toute une série d’autres ouvrages des deux maîtres, compris dans l’œuvre principale de Marx : Le Capital, une foule d’observations sur les problèmes des sciences de la nature. La correspondance de Marx et d’Engels révèle aussi la grande attention que tous deux apportaient aux questions scientifiques. Mais l’exposé le plus développé, embrassant toutes les branches essentielles de la science de la nature et des mathématiques, Engels l’a donné dans sa Dialectique de la nature, œuvre restée inachevée mais remarquable par sa richesse de pensée, à laquelle il a travaillé en étroit contact avec Marx.

  • Les socialistes falsificateurs de Karl Marx

    La campagne du cinquantième anniversaire de la mort de Marx se déroule chez les socialistes sous le signe du « retour à Marx ». La C.A.P., d’abord avec la Fédération de la Seine, organise une fête commémorative à Paris. Dans le Populaire, Amédée Dunois consacre à Marx toute une « Vie du Parti » qui est adressée à tous les membres du parti socialiste. Des réunions sont prévues aussi dans La province.

    Les socialistes veulent, ainsi faire croire aux masses qu’ils sont un parti marxiste.

    Les temps ont bien changé… Il y a à peine trois ou quatre ans que les députés socialistes, Montagnon, Déat, après le député socialiste Moch, ont « réfuté, et enterré » Marx.

    « Marx reste un grand bonhomme. Mais la plupart de ses déductions apparaissent fausses. Il s’est trompé dans ses prévisions » — écrivait Montagnon en 1929.

    « Que reste-t-il des conceptions marxistes si les crises peuvent, par la rationalisation cartellisée, être surmontées ou, tout au moins, efficacement contrebattues » — écrivait un an après Déat.

    Moch, lui, démontrait tout simplement en 1927, salué par Blum, que les crises sont presque impossibles dans le « nouveau » régime capitaliste.

    « Il est aussi difficile de parler de crises de surproduction en régime rationnel (sic !) que d’en concevoir en régime socialiste ».

    Comme conclusion de leurs attaques contre Marx, les révisionnistes proposaient le rejet de la conception de Marx, de sa théorie de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire de l’âme même du marxisme.

    « Il conviendrait, peut-être, que nous en finissions avec une autre routine, inattendue, paradoxale, et plus malfaisante qu’elles toutes : la routine révolutionnaire » — écrit Déat.

    Montagnon posa le problème d’une façon particulièrement nette :

    « Il s’agit de savoir si le jeu des forces économiques doit amener fatalement la transformation révolutionnaire de la société capitaliste en société socialiste. Eh bien ! Nous ne croyons plus à cette fatalité. »

    Dans ce cas, l’expression même de révolution est à rejeter. « Si l’on constate qu’on n’est pas, qu’on ne peut pas être révolutionnaire, pour quoi, répéter si souvent cette expression imprécise et dangereuse ? »

    Il est utile de mettre ces quelques extraits — on pourrait les multiplier à l’infini — pour leur montrer quelle est l’attitude du parti socialiste de ses dirigeants, envers Marx : nulle part ces idées contre-révolutionnaires ne furent désavouées et condamnées par ce parti « marxiste ».

    Mais la crise économique mondiale a brisé en morceaux les prévisions et les conceptions des apologistes du capital de la S.F.I.O. sur la « fin des crises » et sur le passage pacifique au socialisme.

    L’approfondissement de la crise économique dans les pays capitalistes et les succès simultanés de l’édification, socialiste en U.R.S.S. obligent les socialistes à modifier, leur attitude envers le marxisme qui est ainsi confirmé brillamment dans tous ces points. Le chômage et la misère accrue des masses, l’aggravation des antagonismes de classe, la poussée révolutionnaire créent un milieu par trop défavorable aux théories révisionnistes ouvertes, à l’apothéose du « nouveau capitalisme organisé » et de ses bienfaits. C’est pour retenir les masses sous leur influence que les chefs socialistes adoptent à nouveau des formules révolutionnaires et se présentent comme disciples de Marx.

    Dans la dernière période, les déclarations de fidélité au marxisme abondent dans le parti socialiste. Paul Faure remplit de ses condamnations du capitalisme et du révisionnisme les colonnes du « Populaire » ; ses déclarations voisinent d’ailleurs avec des articles participationnistes les plus plats. Lebas part en guerre contre le « néo-socialisme » de Déat, Marceau Pivert menace le capitalisme de la dictature du prolétariat.

    Enfin, pour coordonner ce travail d’escamotage et de duperie démagogique, Séverac lance « Le Parti socialiste, ses principes et ses tâches ».

    Par contre, Séverac veut être orthodoxe marxiste à 100 p. 100.

    « Je voudrais qu’on ne trouvât rien dans ce petit livre qui fût nouveau ; rien qui ne fût fidèle aux idées maîtresses de ce socialisme marxiste, duquel toi (Paul Faure) et moi nous nous obstinons à nous réclamer ».

    Mais déjà, dans ce désir de ne rien ajouter de neuf au marxisme se manifeste l’abandon du marxisme par Séverac et tous les autres. Séverac se refuse à voir de profondes modifications survenues dans le capitalisme, sa nouvelle phase impérialiste, il se détourne de la révolution russe, de l’édification socialiste dans l’Union soviétique.

    Dans son exposé « marxiste », Séverac traite de tout : on y trouve des dissertations sur la morale, sur la religion, sur l’avenir des coopératives, sur le luxe, sur l’art, sans parler de la dédicace où Séverac considère comme indispensable de nous faire connaître en détails sa biographie jusqu’au moment de l’éclosion de son manuel.

    Seulement, la place lui a manqué pour parler de la révolution prolétarienne et de l’édification socialiste en U.R.S.S. Or, Marx considérait le problème de la révolution comme problème « central » de sa doctrine, mais le marxiste Séverac a « oublié » exactement cette partie des enseignements de Marx.

    De la même façon, l’autre « marxiste, » ; Durnois ne trouve pas de place dans son exposé du marxisme, pour la théorie marxiste de l’État.

    Ce n’est pas un hasard, c’est une méthode de falsification du marxime. Ils ne font qu’imiter le vieux renégat. Kautsky, démasqué et cloué au pilori par Lénine dans son pamphlet génial : « La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky »

    Il ne fait qu’imiter son véritable maître, le renégat Kautsky.

    Tout ce que Lénine écrit sur Kautsky s’applique parfaitement à Séverac et à Dunois et à tous les assassins.

    « Du marxisme, Kautsky prend ce gui est admissible pour les libéraux, pour la bourgeoisie (critique du moyen âge, rôle historique utile du capitalisme, en général, et de la démocratie capitaliste, en particulier), et jette par-dessus bord, passe sous silence ou laisse dans l’ombre ce qui, dans le marxisme, est « inadmissible » pour la bourgeoisie (violence révolutionnaire du prolétariat contre la bourgeoisie jusqu’à l’anéantissement final de cette dernière. Voilà pourquoi, par la position qu’il occupe en fait, et quelles que puissent être ses conditions subjectives, Kautsky est inévitablement un laquais de la bourgeoisie. »

    L’Humanité, 14 mars 1933

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.