La symétrie, Université de tous les savoirs, le film
La rupture de symétrie est une notion fondamentale des sciences contemporaines. Elle signifie le passage brutal par un état dans lequel apparaît un nouveau paramètre qui n’existait pas précédemment. ce passage s’appelle transition de phase. Le point important dans cette notion est son aspect spontané. cela signifie qu’apparaît sans action extérieure quelque chose de qualitativement et structurellement nouveau dans une dynamique.
La symétrie signifie qu’il y a conservation. La rupture de symétrie suppose donc qu’un système où quelque chose se conservait cesse brutalement de le faire. Il y a là un phénomène étonnant.
Par exemple, au sein de l’eau de la baignoire, il n’y a pas de rotation d’ensemble. Si on la débouche, une rotation apparaît. c’est une rupture de symétrie car il y a apparition d’un sens de rotation privilégié.
L’idée des physiciens est de traiter les apparitions de structures nouvelles comme des ruptures de symétrie et de considérer celles-ci comme un paradigme, c’est-à-dire un mécanisme général et indépendant du système particulier considéré, de même que l’on avait considéré la symétrie comme un paradigme synonyme de lois de conservation.
Les exemples les plus marquants sont l’émergence de la matière ou l’émergence de la vie. Au sein d’un vide quantique dans lequel la matière n’apparaît (fugitivement) au sein de couples de particule et antiparticule, une symétrie est brisée par l’apparition d’une structure durable de matière. Au sein de la matière, les molécules miroir ont des chiralités en nombre identique dans les deux sens de rotation. Au sein du vivant, un seul sens est privilégié.
Au sein de la physique des particules, on trouve une telle propriété, notamment dans le mécanisme des quarks qui a été mis en évidence par les deux chercheurs japonais Makoto Kobayashi et Toshihide Maskawa qui viennent de recevoir pour cela le prix Nobel 2008.
Qu’est-ce donc que cette « rupture de symétrie » ? Pourquoi est-elle indispensable à la compréhension du monde ? En quoi diffère-t-elle des explications passées, c’est-à-dire de l’image présentant les symétriques comme diamétralement et logiquement opposés de façon figée et définitive ? La symétrie signifie que le monde est le même dans un sens et dans le sens inverse que ce soit par rapport à deux directions opposées, que ce soit par réflexion dans un miroir ou encore par rotation dans un sens et dans le sens opposé. La rupture de symétrie signifie qu’une modification spontanée de la nature rompt cette symétrie. C’est une image qui est employée de manière générale en sciences car elle permet d’interpréter les phénomènes dans leur dynamique au lieu de les concevoir de façon figée et de concevoir mouvement et changement comme des opérations venues de l’extérieur. Elle diffère des interprétations passées car elle décrit une dynamique et non des objets immobiles, immuables, isolés que l’on fait bouger et changer ensuite. Elle décrit des interactions et non des objets séparés. Elle décrit un mouvement et un changement. Elle décrit le passage d’un changement qualitatif à un changement qualitatif. Donnons en quelques exemples. Nous savons tous aujourd’hui que la matière n’est pas neutre électriquement mais constituée de grains d’électricité positive ou négative. Et pourtant, c’est seulement avec la découverte de l’électron par Thomson que l’on a pu le découvrir. C’est la rupture de symétrie qui montre qu’il avait une symétrie voilée. Avant, la symétrie n’était pas notable puisqu’elle ressemblait à l’absence d’interaction ou à ... rien, aucun mouvement ou absence de propriété. Comme la symétrie entre deux charges opposée signifie une charge neutre, invisible. C’est dû au fait que la symétrie entre électricité positive et négative est cachée par la constitution d’ensembles de charges égales et opposées, ce qui donne une charge apparemment nulle à longue distance. Par contre, si on s’approche suffisamment la symétrie réapparaît. Cette image de la " symétrie cachée " est générale à la matière. Sans cesse, on trouve des charges opposées qui s’opposent électriquement mais s’unissent momentanément pour constituer des ensembles neutres. Que sont ces ensembles ? Ce sont des aimants, c’est-à-dire des dipôles électromagnétiques. Qu’est-ce qui fait que ces dipôles sont des ensembles et pas seulement deux charges totalement indépendantes ? C’est le fait que leur union momentanée minimise l’énergie de l’ensemble ce qui est un gage de durabilité qui est fondamental à la structure de la matière. Un état est d’autant plus durable qu’il minimise l’énergie. Rappelons que la nature de la matière, c’est des quanta c’est-à-dire des objets d’action constante. Or l’action c’est le produit d’une énergie et d’un temps. Plus l’énergie est importante plus le temps est court et inversement. Des charges électriques jusqu’au cerveau, on retrouve cette symétrie cachée. Ainsi notre cerveau unique cache la symétrie entre les deux hémisphères qui sont opposés mais conversent sans cesse et finissent par élaborer une réponse commune. L’unité des propriétés symétriques, c’est la rupture de symétrie à une certaine échelle et son maintient à une autre échelle. La rupture de symétrie est donc un processus de négation d’une propriété qui ne disparaît pas pour autant et peut être elle-même niée : c’est le processus dialectique de base du réel. Il est à la base d’un saut entre niveaux de la réalité, d’une discontinuité fondamentale du réel. On trouve bien d’autres symétries de ce type dans la nature : celle entre corps et esprit ou encore celle entre matière et vide, celle entre la vie et la mort. Dans tous les cas, on trouve cette opposition, cette interaction avec un dialogue, cette durabilité de la structure au sein d’un phénomène instable. C’est aussi le cas pour le vide dont la symétrie masquée est révélée (polarisation du vide) en présence d’une masse ou d’un rayonnement. En somme on peut dire que le vide apparaît comme rien sauf si on veut y déplacer des charges.
C’est la rupture de symétrie qui explique la nature de la matière. La rupture de symétrie dans un gaz de particules éphémères positives et négatives qui s’unissent pour devenir neutre, c’est la durabilité d’une particule positive ou la durabilité d’une particule négative. C’est donc la particule de masse qui est une rupture de symétrie du vide. Dans le vide, il y a autant de particules que d’antiparticules et elles apparaissent et disparaissent ensemble (pas de rythme particulier des matérialisations/dématérialisations contrairement au rayonnement, pas de dissymétrie entre particule et antiparticule, donc pas d’énergie ni de temps). Il n’y a de rupture de symétrie qu’en, présence de masses et de rayonnement : le vide se polarise, c’est-à-dire que se rompt la symétrie entre particules et antiparticules, qui deviennent alors perceptibles. Cette rupture c’est le temps. C’est un exemple de la dynamique qui produit un univers nouveau : le temps est une rupture de symétrie entre l’action et la réaction. C’est un monde symétrique qui a produit la rupture de symétrie comme un effet de seuil. Exactement comme l’eau de la baignoire, à partir d’un certain débit, se met à tourner dans un sens. Et ce sens n’était pas inscrit dans la dynamique précédente. Il est imprévisible. D’autre part, remarquons que la rupture de symétrie est spontanée ; c’est la dynamique elle-même qui produit à un moment donné un monde nouveau : un univers en rotation par exemple alors que le nuage de gaz ne tournait pas et que rien ne privilégiait un sens particulier de rotation. La démarche, difficile et pourtant fondamentale, de la science c’est de reconstruire mentalement l’univers symétrique qui a produit la rupture de symétrie à un moment donné, dans des conditions données. Ainsi, il faut concevoir un vide symétrique qui subit une rupture de symétrie seulement quand il est en présence des masses, qui se polarise en particules et antiparticules éphémères. C’est indispensable car, historiquement, le vide a produit la matière et le rayonnement, qui n’existaient pas précédemment. Cela signifie également que l’énergie et le temps ne sont pas des éléments déterminés d’avance mais, au contraire, des produits de cette rupture de symétrie qui sépare action et réaction. On connaît la phrase fameuse qui dit que l’action égale la réaction. Il convient d’y rajouter que la réaction est retardée car il faut tenir compte d’un temps de réaction. Sans ce temps de réaction, le monde serait immobile, sans changement, sans échange d’énergie puisque tout se compenserait immédiatement. C’est cette distanciation entre action et réaction qui définit ce que l’on appelle « le temps ». Là où elle n’existe pas, le temps est imperceptible. Cela signifie que temps et énergie n’existent pas dans un vide, hors de la présence de masse et de rayonnement. Ils ne sont produits qu’à leur proximité ou par leur action. Matière et rayonnement propagent donc une rupture de symétrie qui est la rupture entre temps et énergie.
A l’extérieur du site :
Théorie BCS, rupture de symétrie et physique quantique, Steven Weinberg
Les brisures de symétrie du temps
Brisure de symétrie, le film, Etienne Klein
MOTS CLEFS :
dialectique – discontinuité – fractales - physique quantique – relativité – chaos déterministe – atome – système dynamique – structures dissipatives – percolation – irréversibilité – non-linéarité – quanta – émergence – inhibition – boucle de rétroaction – rupture de symétrie - turbulence – mouvement brownien – le temps - contradictions – crise – transition de phase – criticalité - attracteur étrange – résonance – psychanalyse - auto-organisation – vide - révolution permanente - Zénon d’Elée - Antiquité - Blanqui - Lénine - Trotsky – Rosa Luxemburg – Prigogine - Barta - Gould - marxisme - Marx - la révolution - l’anarchisme - le stalinisme - Socrate - socialisme - religion
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MATIERE ET REVOLUTION
Le niveau de description ultime susceptible de fonder la singularité du vide est la théorie quantique des champs, qui combine les concepts de la relativité restreinte et ceux de la physique quantique. (…) le vide y est le ciment permanent de l’univers, les particules en jaillissent et y replongent comme des poissons volants, non sans servir de monnaie d’échange entre les particules stables et durables qui donnent sa chair au monde, et qui proviennent d’ailleurs elles-mêmes de la pulvérisation du vide primordial. (…) Les particules virtuelles (du vide quantique) sont si fugitives qu’elles sont comme si elles n’étaient pas. Les particules « réelles » et « virtuelles » sont tout aussi existantes les unes que les autres, mais les dernières disparaissent avant même qu’on puisse les observer. (…) Les termes de « fluctuation du vide » et « particules virtuelles » sont équivalents dans la description, le premier appartenant au langage des champs, le second à celui des particules. (…) Les fluctuations électromagnétiques, et donc les photons virtuels qui en sont la contrepartie dans le langage des particules, furent mises en évidence dès 1940, par la mesure du décalage des raies spectrales de l’hydrogène (Lamb shift) dû à un très léger changement des niveaux d’énergie de l’atome correspondant, et par la découverte d’une minuscule attraction entre deux plaques conductrices (effet Casimir). (…) Le vide se peuple d’une invisible engeance. L’inventaire du moindre centimètre cube d’espace frappe de stupeur : les paires électron-positon (+ et -) côtoient toute une faune de quanta. Les paires électron-positon virtuelles, en dépit de leur faible durée de vie, s’orientent dans le champ électrique des charges électriques présentes et modifient leurs effets. Océan de particules virtuelles, on peut s’étonner de voir encore à travers le vide, tant il est poissonneux En lui s’ébattent tous les photons, bosons intermédiaires et gluons nécessaires à la transmission des forces qui charpentent, coordonnent et organisent le monde. Les particules furtives qui émergent du vide et s’y précipitent aussitôt relient entre elles les particules stables et durables de la matière, dites particules réelles (quarks et leptons). (…) Le vide, à la différence de la matière et du rayonnement, est insensible à la dilatation car sa pression est négative. Ceci provient de la relation : pression = opposé de la densité d’énergie qui lui confère son invariance relativiste. La pression négative engendre une répulsion gravitationnelle. De fait, si la gravitation freine l’expansion de l’univers, l’antigravitation ne peut que l’accélérer.
Le vide est écarteur d’espace et créateur de matière
(…) La création de matière (via la lumière) est le fruit de la transmutation du vide indifférencié en entités physiques distinctes. Il y a là une chaîne physique de la genèse : Vide -> Lumière -> Matière et Antimatière. Le vide est une composante de l’univers, distincte de la matière ordinaire et du rayonnement. Vide, rayonnement et matière diffèrent par leur équation d’état (relation entre densité et pression pour le fluide considéré), laquelle influe sur l’expansion de l’univers et est influencée par elle, par le biais des transitions de phase. (…) Sa rage savonneuse à s’étendre indéfiniment, l’univers la tiendrait du vide. Le vide a enflé sa bulle. (…) Il y a autant de vides que de champs. (…) Chaque restructuration profonde, ou brisure de symétrie, modifie l’état du vide. Inversement, chaque modification de l’état du vide induit une brisure de symétrie. L’évolution de l’univers procède ainsi par brisures de symétrie successives qui se soldent par des transitions de phase, lesquelles bouleversent l’apparence globale du cosmos. »
Michel Cassé dans « Dictionnaire de l’ignorance »
"La Brisure de symétrie et la dialectique du virtuel et de l’actuel
Les propriétés de symétrie ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration de la théorie quantique des champs et dans son utilisation en physique des particules. En l’absence d’interactions, les équations de la théorie quantique des champs se résolvent exactement, mais de grandes difficultés surgissent dès que des interactions couplent les divers champs quantiques en présence : une particule crée un champ mais ce champ peut rétroagir sur la particule, modifier sa masse ou sa charge. Or dans le monde réel, il n’y a pas de champs sans interactions ; les seules informations expérimentales que nous puissions avoir à propos de champs quantiques concernent les probabilités des événements d’interactions provoqués lors de collisions entre particules. Dans une réaction provoquée par exemple dans un collisionneur, l’interaction se produit dans une région microscopique de l’espace-temps alors que les particules incidentes peuvent être considérées comme libres (ce qui veut dire sans interactions) avant la collision, et que les particules finales, celles qui sont enregistrées dans les détecteurs, à des distances macroscopiques du point de collision, peuvent aussi être considérées comme libres. Les informations accessibles expérimentalement en physique des particules, qui en déterminent l’horizon apparent, concernent donc l’ensemble des transitions entre les états de champs quantiques libres entrants et ceux de champs quantiques libres sortants. Rappelons que les états d’un champ quantique forment ce que nous avons appelé un espace de Fock qui est la superposition du vide, l’espace de Hilbert à zéro particule, de l’espace de Hilbert à une particule, de l’espace de Hilbert à deux particules, etc. L’horizon profond est celui du programme de l’intégrale de chemins de Feynman, que nous avons évoqué plus haut, qui consiste à déterminer, pour chaque processus relevant d’une certaine interaction fondamentale, l’ensemble des voies indiscernables qu’il peut emprunter, à associer à chacune de ces voies son amplitude, et a resommer de façon cohérente toutes ces amplitudes pour obtenir l’amplitude probabilité du processus. Les propriétés de symétrie jouent un rôle essentiel dans ce programme, car elles contraignent la forme du lagrangien de la théorie dans lequel sont encodées toutes les règles de détermination des voies indiscernables et de leurs amplitudes associées. D’autre part il apparaît que c’est grâce aux propriétés de symétrie que peuvent être levées certaines des difficultés liées au fait que les champs quantiques ne meuvent pas être considérés indépendamment des interactions auxquelles ils participent. Mais la théorie quantique des champs ne peut pas être appliquée à la physique des particules sans que soient définis les espaces de Fock des champs quantiques libres entrants et sortants, et en particulier, leur état à zéro particule, le vide. Pour que la théorie ne soit pas physiquement absurde, ce vide est soumis à la contrainte de représenter l’état, stable, d’énergie minimum des champs quantiques considérés (si le vide était instable, il serait possible d’extraire de l’énergie ex nihilo). Mais il peut arriver qu’il y ait un conflit entre une propriété de symétrie du lagrangien et la stabilité du vide : un vide symétrique serait instable, alors qu’un vide stable ne serait pas symétrique. On dit dans ce cas que l’on a affaire à une situation de brisure spontanée de symétrie : la symétrie ne s’actualise pas directement dans l’horizon apparent, mais elle est sous-jacente, virtuelle ; elle reste dans l’horizon profond. C’est grâce à ce mécanisme qu’a pu être élaborée la théorie unifiée électrofaible. Les interactions électromagnétique et faible sont radicalement différentes : l’une, l’interaction faible est de très courte portée alors que l’autre est de portée infinie ; les intensités sont très différentes. Pourtant, lorsqu’a été compris le rôle dynamique de l’invariance de jauge, il est devenu tentant de rassembler les deux interactions dans une théorie unifiée à invariance de jauge, faisant intervenir un groupe de symétrie de jauge englobant, comme des sous-groupes, les groupe de symétries de l’interaction électromagnétique et de l’interaction faible. Comme théorie à invariance de jauge, la théorie unifiée électrofaible a la propriété importante d’être renormalisable, c’est à dire qu’il est possible d’y lever les difficultés rencontrées dans l’accomplissement du programme de l’intégrale de chemins de Feynman, ce qui la rend prédictive. On s’est donc tourné vers un mécanisme de brisure spontanée de symétrie, impliquant l’existence d’au moins un nouveau champ quantique, le champ de Higgs, grâce auquel la symétrie électrofaible reste sous-jacente car le vide du champ de Higgs n’est pas symétrique. Comme ce mécanisme n’empêche pas la théorie d’être renormalisable, il permet de faire des prédictions qui ont pu être comparées aux données expérimentales : l’accord est très satisfaisant. Une des prédictions de la théorie électrofaible, l’existence du boson de Higgs, le quantum du champ quantique de Higgs, n’a pas encore été confirmée par l’expérience, mais personne ne doute qu’elle le sera, au plus tard lorsqu’entrera en fonctionnement le LHC, vers 2005. Une des caractéristiques intéressantes du mécanisme de Higgs et de la théorie unifiée électrofaible, est que dans l’horizon profond où règne la symétrie électrofaible, les particules sont toutes de masse nulle22, et que, dans l’horizon apparent, c’est la brisure spontanée de la symétrie électrofaible qui rend certaines particules massives. LE REEL A L’HORIZON DE LA DIALECTIQUE
Parvenus au terme de ce parcours au cœur des problématiques de la physique contemporaine, où en sommes nous à propos de la pertinence d’une dialectique de la nature ? Tout au long de mon exposé, je me suis appuyé sur les travaux de Gonseth, pour qui la dialectique est d’abord et surtout une méthodologie ; en fait, pour Gonseth, la méthodologie scientifique joue vis à vis de la dialectique un rôle de " contexte précisant " : elle permet de donner au terme de dialectique une signification précise. Comme, toujours en m’appuyant sur les travaux de Gonseth, j’ai été amené à opposer approche dialectique et approche ontologique, j’ai pris le risque, en soulignant son caractère " horizontal " de donner à penser que la dialectique n’aurait aucune portée ontologique. Par honnêteté vis à vis de Gonseth (qui a bien évidemment évité cet écueil), et pour parachever ma démonstration, il me faut conclure en soulignant à nouveau que c’est bien le réel qui est à l’horizon de la dialectique.
Les découvertes de la physique moderne ont montré que le réel est tel, et que nous sommes tels, qu’il ne se présente à nous qu’en horizon. Prendre acte de cette donnée, ce n’est pas renoncer à comprendre le réel, c’est au contraire se donner des moyens plus adéquates de l’approcher. Selon la méthodologie que j’ai décrite, la connaissance scientifique s’organise à partir d’un horizon apparent adapté à recueillir les informations en provenance d’un horizon profond, correspondant à une connaissance plus fine en devenir. Les concepts dialectiques sont adaptés à la description de la ligne d’horizon qui est à la limite de l’horizon apparent et au seuil de l’horizon profond. Tout au long de ce chapitre, je me suis attaché à mettre en évidence le rôle heuristique de la dialectique de l’horizon.
C’est ce que j’ai montré à propos de la symétrie et de la dialectique du relatif et de l’objectif : la physique moderne a appris à faire la part du subjectif et du relatif, et les principes de symétrie lui permettent d’établir des critères d’objectivité, donc de réalité.
Quant au mécanisme de brisure spontanée de symétrie, que j’ai évoqué à propos de la théorie électrofaible, il semble bien qu’il relève lui aussi d’une dialectique de portée réellement universelle. C’est de cette dialectique que relève la perte de la cohérence quantique associée à la levée de l’indiscernabilité. C’est d’elle que relève l’émergence d’ordre à l’échelle macroscopique en physique de la matière condensée : à haute température un corps ferromagnétique est dans un état symétrique (aucune direction n’est privilégiée) et sans ordre (tous les petits aimants dont il est constitué sont orientés dans tous les sens), alors qu’à basse température, la symétrie se brise, tous les aimants s’ordonnent le long d’une direction particulière. Dans le rapprochement actuel de la cosmologie et de la physique des particules, c’est le phénomène de brisure spontanée de symétrie qui rend compte de la structuration de l’univers que nous évoquions en introduction. "
Gilles Cohen-Tannoudji dans "Le réel à l’horizon de la dialectique"