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La philosophie des mathématiques et celle des sciences

dimanche 10 mai 2009, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

La démarche des sciences et celle des mathématiques sont différentes et, même si elles sont complémentaires, elles sont parfois diamétralement opposées philosophiquement. Les méthodes, les buts, les moyens sont également différents et parfois opposés. Par exemple, en physique la définition du système et de ses quantités caractéristiques est plutôt l’aboutissement d’une recherche alors que la définition d’un objet mathématique est première et la quantité à étudier aussi (par exemple une fonction). Il y a une philosophie des sciences de la nature et ce n’est pas la philosophie de la logique mathématique.

"La philosophie ne peut emprunter sa méthode à une science subordonnée, les mathématiques"

Extrait de la "Science de la Logique" de Hegel, cité en introduction à la préface des "Cahiers sur la dialectique de Hegel" de Lénine

La géométrie, fondée sur des figures rigides, stables et continues et une logique formelle du tiers exclus, ne peut refléter la dynamique des particules, instable, agitée, où les structures se changent sans cesse en leur contraire. Ce n’est même pas la description qui est différente mais la philosophie.

Pour le grand mathématicien Henri Poincaré, les mathématiques faisaient partie "des images substituées aux objets réels que la nature nous cachera éternellement."

« Calculer n’est pas penser »

Friedrich Hegel dans « Science de la Logique »

« Parmi toutes les sciences, les mathématiques jouissent d’un prestige particulier qui tient à une raison unique : leurs propositions ont un caractère de certitude absolue et incontestable, alors que celles de toutes les autres sciences sont discutables jusqu’à un certain point et risquent toujours d’être réfutées par la découverte de faits nouveaux. Le chercheur d’une autre discipline n’aurait pas lieu pour autant d’envier le mathématicien si les propositions de ce dernier ne portaient que sur de purs produits de notre imagination et non sur des objets réels. Il n’est pas étonnant en effet que l’on parvienne à des conclusions logiques concordantes, une fois que l’on s’est mis d’accord sur les propositions fondamentales (axiomes) ainsi que sur les méthodes à suivre pour déduire de ces propositions fondamentales d’autres propositions ; mais le prestiges de mathématiques tient, par ailleurs, au fait que ce sont également elles qui confèrent aux sciences exactes de la nature un certain degré de certitude, que celles-ci ne pourraient atteindre autrement.

Ici surgit une énigme qui, de tout temps, a fortement troublé les chercheurs. Comment est-il possible que les mathématiques, qui sont issues de la pensée humaine indépendamment de toute expérience, s’appliquent si parfaitement aux objets de la réalité ? La raison humaine ne peut-elle donc, sans l’aide de l’expérience, par sa seule activité pensante, découvrir les propriétés des choses réelles ?

Il me semble qu’à cela on ne peut répondre qu’une seule chose : pour autant que les propositions mathématiques se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et, pour autant qu’elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité. (…) Interprétation ancienne : tout le monde sait ce qu’est une droite et ce qu’est un point. (…) Interprétation nouvelle : la géométrie traite d’objets qui sont désignés au moyen de termes « droite », « point », etc. On ne présuppose pas une quelconque connaissance ou intuition de ces objets, mais seulement la validité d’axiomes (…) Ces axiomes sont des créations libres de l’esprit humain. (…) Ce sont les axiomes qui définissent en premier lieu les objets dont traite la géométrie. (…) Pourquoi Poincaré et d’autres chercheurs rejettent-ils l’équivalence naturelle entre le corps pratiquement rigide de l’expérience et le corps de la géométrie ? Tout simplement parce qu’un examen un peu précis révèle que les corps solides réels de la nature ne sont pas rigides, étant donné que leur comportement géométrique, c’est-à-dire les diverses positions relatives qu’ils peuvent occuper, est fonction de la température, des forces extérieures, etc. »

Einstein dans « La géométrie et l’expérience »

« On ne peut mathématiser le sourire de la Joconde. (…) Depuis Galilée, la physique s’intéresse aux propriétés qui peuvent être mesurées et représentées par des nombres. (…) Malgré Galilée, on ne mathématise pas les cerises, on ne mathématise que le poids des cerises. Dans ce sens, l’intérêt est faible. (....) C’est qu’il existe, dans le monde physique, des phénomènes de nature très différente qui sont décrits par des équations identiques. Dit autrement, les phénomènes ne s’identifient pas aux équations qui les régissent. (...) C’est la même équation, dite "équation de Laplace" qui régit la distribution du potentiel électrique dans un condensateur, qui détermine la distribution du potentiel électrique dans un milieu résistif parcouru par un courant ; c’est aussi elle qui régit la répartition stationnaire des températures entre une source chaude et une source froide dans un milieu qui conduit la chaleur. C’est encore elle qui fixe la distribution des concentrations de particules qui diffusent entre une source de particules et une membrane parfaitement absorbante, dite aussi "puits" de particules. (...) L’analogie entre diffusion et potentiel électrique, qui est une équivalence exacte, est assez fascinante : cette analogie rend apparemment identiques des phénomènes de nature profondément différente. »

Bernard Sapoval

Dans « Universalité et fractales »

Ce que la physique quantique apporte aux mathématiques

Des mathématiques et des sciences, le film

Le monde est-il mathématique ?

Mathématiques et réalité, le film

Hegel, dans la préface à « La phénoménologie de l’esprit » :

« Il est assurément bien vrai que le carré de l’hypoténuse d’un triangle rectangle est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. Mais la nature d’une vérité de ce genre est différente de celle des vérités philosophiques (des vérités historiques). (…) Le vrai et le faux font partie de ces notions déterminées qu’en l’absence de mouvement on prend pour des essences propres (...) Il faut à l’encontre de cela affirmer que la vérité n’est pas une monnaie frappée qui peut être fournie toute faite et qu’on peut empocher comme ça. Il n’y a pas plus de faux qu’il n’y a un mal. »

Dans la présentation faussement objective des mathématiques, qui cache sa philosophie interne, il y a plusieurs éléments fondamentaux : favoriser l’aspect quantitatif sur la forme qualitative, donner une image des concepts fondamentaux (masse, énergie, mouvement..) sous forme de variables dites « réelles » (quantités évoluant continûment en prenant toutes les valeurs successives) et une image des changements sous forme de « fonction continue réelle de variable réelle ». On pourrait poursuivre en rappelant que les mathématiques qu’utilisent les sciences (notamment la physique) reposent quasi exclusivement sur l’ancienne logique formelle pour laquelle les opposés sont inconciliables et incombinables et pour laquelle le tout est la somme de ses parties. La philosophie qu’une telle mathématique impose, sans le dire, est celle du continu, du déterminisme linéaire, de la logique formelle, et partant la métaphysique, le réductionnisme et le refus des sauts dans la nature. De la philosophie dans les mathématiques ? Demandons au grand mathématicien Henri Poincaré dans « L’avenir des mathématiques » : « Voilà ce qui a déterminé jusqu’ici le sens du mouvement de la science mathématique, et c’est aussi bien certainement ce qui le déterminera dans l’avenir. Mais la nature des problèmes qui se posent y contribue également. Nous ne pouvons oublier quel doit être notre but ; selon moi, ce but est double : notre science confine à la fois à la Philosophie et à la Physique, et c’est pour nos deux voisines que nous travaillons ; aussi nous avons toujours vu et nous verrons encore les mathématiciens marcher dans deux directions opposées. (...) Dans la plupart des problèmes de Physique mathématique, les équations à intégrer sont linéaires ; elles servent à déterminer des fonctions inconnues de plusieurs variables et ces fonctions sont continues. Pourquoi ? Parce que nous avons écrit les équations en regardant la matière comme continue. Mais la matière n’est pas continue : elle est formée d’atomes, et, si nous avions voulu écrire les équations comme l’aurait fait un observateur de vue assez perçante pour voir les atomes, nous n’aurions pas eu un petit nombre d’équations différentielles servant à déterminer certaines fonctions inconnues, nous aurions eu un grand nombre d’équations algébriques servant à déterminer un grand nombre de constantes inconnues. »


MOTS CLEFS :

dialectique
discontinuité
physique quantiquerelativité
chaos déterministeatome
système dynamiquestructures dissipativespercolation
non-linéaritéquanta
émergence
inhibition
boucle de rétroactionrupture de symétrie - turbulencemouvement brownien
le temps -
contradictions
crise
transition de phasecriticalité - attracteur étrangerésonance
auto-organisationvide - révolution permanente - Zénon d’Elée - Antiquité -
Blanqui -
Lénine -
TrotskyRosa Luxemburg
Prigogine -
Barta -
Gould - marxisme - Marx - la révolution - l’anarchisme - le stalinisme - Socrate


"Les mathématiques ont un triple but. Elles doivent fournir un instrument pour l’étude de la nature.

Mais ce n’est pas tout : elles ont un but philosophique et, j’ose le dire, un but esthétique.

Elles doivent aider le philosophe à approfondir les notions de nombre, d’espace, de temps.

Et surtout leurs adeptes y trouvent des jouissances analogues à celles que donnent la peinture et la musique. Ils admirent la délicate harmonie des nombres et des formes ; ils s’émerveillent quand une découverte nouvelle leur ouvre une perspective inattendue ; et la joie qu’ils éprouvent ainsi n’a-t-elle pas le caractère esthétique, bien que les sens n’y prennent aucune part ? Peu de privilégiés sont appelés à la goûter pleinement, cela est vrai, mais n’est-ce pas ce qui arrive pour les arts les plus nobles ?

C’est pourquoi je n’hésite pas à dire que les mathématiques méritent d’être cultivées pour elles-mêmes et que les théories qui ne peuvent être appliquées à la physique doivent l’être comme les autres.

"Quand même le but physique et le but esthétique ne seraient pas solidaires, nous ne devrions sacrifier ni l’un ni l’autre.

Mais il y a plus : ces deux buts sont inséparables et le meilleur moyen d’atteindre l’un c’est de viser l’autre, ou du moins de ne jamais le perdre de vue. C’est ce que je vais m’efforcer de démontrer en précisant la nature des rapports entre la science pure et ses applications.

Le mathématicien ne doit pas être pour le physicien un simple fournisseur de formules ; il faut qu’il y ait entre eux une collaboration plus intime.

La physique mathématique et l’analyse pure ne sont pas seulement des puissances limitrophes, entretenant des rapports de bon voisinage ; elles se pénètrent mutuellement et leur esprit est le même."

Henri Poincaré

dans "La valeur de la science" (chapitre "L’analyse et la physique")

Albert Einstein et Leopold Infeld dans « L’évolution des idées en physique » :

« Les ouvrages de physique sont remplis de formules mathématiques compliquées. Mais c’est la pensée, ce sont les idées qui sont à l’origine de toute théorie physique. »

Henri Poincaré dans « Les mathématiques et la logique » :

« Ce qui nous frappe d’abord dans la nouvelle mathématique, c’est son caractère purement formel : « Pensons, dit Hilbert, trois sortes de choses que nous appellerons points, droites et plans, convenons qu’une droite sera déterminée par deux points et qu’au lieu de dire que cette droite est déterminée par ces deux points, nous pourrons dire qu’elle passe par ces deux points ou que ces deux points sont situés sur cette droite. » Que sont ces choses, non seulement nous n’en savons rien, mais nous ne devons pas chercher à le savoir. Nous n’en avons pas besoin, et quelqu’un, qui n’aurait jamais vu ni point, ni droite, ni plan pourrait faire de la géométrie tout aussi bien que nous. Que le mot passer par, ou le mot être situé sur ne provoquent en nous aucune image, le premier est simplement synonyme de être déterminé et le second de déterminer.
Ainsi c’est bien entendu, pour démontrer un théorème, il n’est pas nécessaire ni même utile de savoir ce qu’il veut dire. On pourrait remplacer le géomètre par le piano à raisonner imaginé par Stanley Jevons ; ou, si l’on aime mieux, on pourrait imaginer une machine où l’on introduirait les axiomes par un bout pendant qu’on recueillerait les théorèmes à l’autre bout, comme cette machine légendaire de Chicago où les porcs entrent vivants et d’où ils sortent transformés en jambons et en saucisses. Pas plus que ces machines, le mathématicien n’a besoin de comprendre ce qu’il fait.
Ce caractère formel de sa géométrie, je n’en fais pas un reproche à Hilbert. C’était là qu’il devait tendre, étant donné le problème qu’il se posait. Il voulait réduire au minimum le nombre des axiomes fondamentaux de la géométrie et en faire l’énumération complète ; or dans les raisonnements où notre esprit reste actif, dans ceux où l’intuition joue encore un rôle, dans les raisonnements vivants, pour ainsi dire, il est difficile de ne pas introduire un axiome ou un postulat qui passe inaperçu. Ce n’est donc qu’après avoir ramené tous les raisonnements géométriques à une forme purement mécanique, qu’il a pu être certain d’avoir réussi dans son dessein et d’avoir achevé son œuvre. »

John Barrow dans « La grande théorie » :

« C’est avec des images, des mots et des idées, non des nombres, des symboles et des formules, que commence et que s’achève (ou le devrait) toute démarche scientifique, jusques et y compris dans une discipline aussi formalisée que la physique théorique. (..) Le grand livre de la Nature, nous dit Galilée, est écrit en langue mathématique ; c’est là certes, un programme radical et fécond dans la pratique scientifique. Mais cet énoncé ne doit pas faire illusion : il s’agit là, au mieux, du livre de comptes de la Nature, non de son livre de contes. Et la narration, nécessaire à la compréhension, ne saurait s’assimiler à une traduction, trahison consentie d’une prétendue vérité mathématique du monde (..) » écrit Jean-Marc Lévy-Leblond dans « Aux contraires ». « Nous avons découvert de nombreuses opérations mathématiques non-calculables, ce qui amène les physiciens à jeter quelques soupçons sur la partie des mathématiques couramment mise à contribution dans la description du monde. (..) Donc, si au niveau le plus fondamental les choses étaient discrètes et discontinues, nous nous engagerions dans les sables mouvants du non-calculable. »

Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « Entre le temps et l’éternité » :

« L’histoire de la physique ne se réduit pas à celle du développement de formalismes et d’expérimentation, mais est inséparable de ce que l’on appelle usuellement des jugements « idéologiques ».

Werner Heisenberg dans « Physique et philosophie » :

« Il faudrait peut-être se souvenir que les processus avec renversement du temps ne pourraient être exclus expérimentalement s’ils se produisaient uniquement dans des régions extrêmement petites de l’espace qui échappent à notre équipement expérimental actuel.

Les mathématiques ne se contentent pas de fournir des outils de calcul ; ils présupposent une certaine philosophie : par exemple, la linéarité, la continuité, la stabilité, la fixité, l’équilibre, … Les mathématiques sont des présupposés logiques et philosophiques. L’ancienne mathématique utilisée de Newton à Einstein sont logiques et non dialectiques, continues et linéaires. Heisenberg expose ainsi le problème dans « Physique et philosophie » :

« Newton commence ses « Principia » par un groupe de définitions et d’axiomes liés entre eux de telle manière qu’ils forment ce qu’on pourrait appeler un « système fermé » ; chaque concept peut être représenté par un symbole mathématique et les rapports entre les différents concepts sont alors représentés par des équations mathématiques exprimées par des symboles ; l’image mathématique de ce système assure qu’aucune contradiction interne ne puisse s’y produire. Ainsi, les mouvements possibles des corps sous l’influence des forces qui s’exercent sont représentés par les solutions possibles des équations. Le système de définitions et d’axiomes pouvant se traduire par un ensemble d’équations mathématiques est considéré comme décrivant une structure éternelle de la Nature, structure indépendante des valeurs particulières de l’espace ou du temps.
Les différents concepts sont si étroitement liés à l’intérieur du système qu’en général l’on ne pourrait changer aucun d’entre eux sans détruire le système tout entier. (…) En physique théorique, nous essayons de comprendre des groupes de phénomènes en introduisant des symboles mathématiques pouvant se lier aux faits, c’est-à-dire aux résultats des mesures ; comme symboles, nous utilisons des noms qui mettent en évidence leur corrélation avec la mesure, rattachant ainsi les symboles au langage ; puis ces symboles sont reliés entre eux par un système rigoureux de définitions et d’axiomes et, pour finir, les lois de la Nature sont exprimées sous forme d’équations entre les symboles. L’infinie variété des solutions de ces équations correspond alors à l’infinie variété des phénomènes particuliers possibles dans ce domaine de la Nature. C’est ainsi que l’ensemble mathématique représente le groupe de phénomènes, dans la mesure où la corrélation entre symboles et mesures est valable. C’est cette corrélation qui permet l’expression de lois concrètes à l’aide du langage ordinaire puisque nos expériences, consistant en actions et observations, peuvent toujours se décrire en langage ordinaire.
Mais en même temps que s’accroissent les connaissances scientifiques, le langage s’enrichit lui aussi ; de nouveaux termes sont introduits et les anciens termes sont appliqués à un domaine qui s’élargit, ou d’une façon qui diffère du langage ordinaire. Des termes comme « énergie », « électricité », « entropie », en sont des exemples évidents. (…) C’est dans cet état assez calme de la physique qu’éclatèrent les bombes de la théorie quantique et de la théorie de la relativité restreinte, qui déclenchèrent un glissement d’abord assez lent, puis de plus en plus rapide des bases même des sciences de la Nature. (…) Le vrai problème était qu’il n’existait aucun langage dans lequel exprimer de façon cohérente la nouvelle situation. (…) En théorie de la relativité généralisée, l’idée d’une géométrie non euclidienne dans l’espace réel fut contredite avec énergie par certains philosophes qui faisaient remarquer que toute notre méthode de préparation des expériences présupposait déjà la géométrie euclidienne. (…) Mais c’est la théorie quantique qui soulève le plus de difficultés concernant l’emploi du langage. Nous n’avons là au premier abord aucun guide simple pour relier les symboles mathématiques et les concepts du langage ordinaire ; et la seule chose que nous sachions au départ, c’est que nos concepts habituels ne peuvent s’appliquer à la structure des atomes. Le point de départ qui s’impose pour l’interprétation physique du formalisme semble être, encore une fois, le fait que l’ensemble mathématique de la mécanique quantique se rapproche de la mécanique classique pour des dimensions qui sont grandes comparées à celles des atomes. (…) Même dans la limite des grandes dimensions, la corrélation entre symboles mathématiques, mesures et concepts ordinaires n’est aucunement à négliger. (…) En fait, je crois que le langage effectivement utilisé par les physiciens lorsqu’ils parlent des phénomènes atomiques équivaut à celle de « potentia ». (…) Certains physiciens ont fait des tentatives pour définir un autre langage précis qui suivrait des modes logiques définis en totale conformité avec le schéma mathématique de la théorie quantique. Le résultat de ces tentatives de Birkhoff et Neumann et, plus récemment, de Weizsächer, peut s’exprimer en disant que le formalisme mathématique de la théorie quantique peut s’exprimer comme une extension ou modification de la logique classique. Il existe en particulier un principe fondamental de logique classique qui semble avoir besoin d’être modifié : en logique classique, si une affirmation a le moindre sens, on suppose que soit elle soit sa négation qui doit être vraie. (…) En théorie quantique, il faut modifier cette loi du « tiers exclu ». (…) La modification possible du mode de logique classique s’appliquerait alors tout d’abord au niveau qui concerne les objets. (…) Dans les expériences sur les phénomènes atomiques, nous avons affaire à des choses et à des faits, à des phénomènes qui sont tout aussi réels que les phénomènes de la vie quotidienne. Mais les atomes ou les particules élémentaires ne sont pas aussi réels ; ils forment un monde de potentialités ou de possibilités plutôt qu’un monde de choses ou de faits. »

Henri Poincaré dans « L’avenir des mathématiques » :

« Voilà ce qui a déterminé jusqu’ici le sens du mouvement de la science mathématique, et c’est aussi bien certainement ce qui le déterminera dans l’avenir. Mais la nature des problèmes qui se posent y contribue également. Nous ne pouvons oublier quel doit être notre but ; selon moi, ce but est double : notre science confine à la fois à la Philosophie et à la Physique, et c’est pour nos deux voisines que nous travaillons ; aussi nous avons toujours vu et nous verrons encore les mathématiciens marcher dans deux directions opposées. (...) Dans la plupart des problèmes de Physique mathématique, les équations à intégrer sont linéaires ; elles servent à déterminer des fonctions inconnues de plusieurs variables et ces fonctions sont continues. Pourquoi ? Parce que nous avons écrit les équations en regardant la matière comme continue. Mais la matière n’est pas continue : elle est formée d’atomes, et, si nous avions voulu écrire les équations comme l’aurait fait un observateur de vue assez perçante pour voir les atomes, nous n’aurions pas eu un petit nombre d’équations différentielles servant à déterminer certaines fonctions inconnues, nous aurions eu un grand nombre d’équations algébriques servant à déterminer un grand nombre de constantes inconnues. »

Henri Poincaré dans "La valeur de la science" :

"On vous a sans doute souvent demandé à quoi servent les mathématiques et si ces délicates constructions que nous tirons tout entières de notre esprit ne sont pas artificielles et enfantées par notre caprice.

Parmi les personnes qui font cette question, je dois faire une distinction ; les gens pratiques réclament seulement de nous le moyen de gagner de l’argent. Ceux-là ne méritent pas qu’on leur réponde ; c’est à eux plutôt qu’il conviendrait de demander à quoi bon accumuler tant de richesses et si, pour avoir le temps de les acquérir, il faut négliger l’art et la science qui seuls nous font des âmes capables d’en jouir,

et propter vitam vivendi perdere causas.

D’ailleurs, une science uniquement faite en vue des applications est impossible ; les vérités ne sont fécondes que si elles sont enchaînées les unes aux autres. Si l’on s’attache seulement à celles dont on attend un résultat immédiat, les anneaux intermédiaires manqueront, et il n’y aura plus de chaîne.

Les hommes les plus dédaigneux de la théorie y trouvent sans s’en douter un aliment quotidien ; si l’on était privé de cet aliment, le progrès s’arrêterait rapidement et nous nous figerions bientôt dans l’immobilité de la Chine.

Mais c’est assez nous occuper des praticiens intransigeants. à côté d’eux, il y a ceux qui sont seulement curieux de la nature et qui nous demandent si nous sommes en état de la leur mieux faire connaître.

Pour leur répondre, nous n’avons qu’à leur montrer les deux monuments déjà ébauchés de la mécanique céleste et de la physique mathématique.

Ils nous concéderaient sans doute que ces monuments valent bien la peine qu’ils nous ont coûtée. Mais ce n’est pas assez.

Les mathématiques ont un triple but. Elles doivent fournir un instrument pour l’étude de la nature.

Mais ce n’est pas tout : elles ont un but philosophique et, j’ose le dire, un but esthétique.

Elles doivent aider le philosophe à approfondir les notions de nombre, d’espace, de temps.

Et surtout leurs adeptes y trouvent des jouissances analogues à celles que donnent la peinture et la musique. Ils admirent la délicate harmonie des nombres et des formes ; ils s’émerveillent quand une découverte nouvelle leur ouvre une perspective inattendue ; et la joie qu’ils éprouvent ainsi n’a-t-elle pas le caractère esthétique, bien que les sens n’y prennent aucune part ? Peu de privilégiés sont appelés à la goûter pleinement, cela est vrai, mais n’est-ce pas ce qui arrive pour les arts les plus nobles ?

C’est pourquoi je n’hésite pas à dire que les mathématiques méritent d’être cultivées pour elles-mêmes et que les théories qui ne peuvent être appliquées à la physique doivent l’être comme les autres.

Quand même le but physique et le but esthétique ne seraient pas solidaires, nous ne devrions sacrifier ni l’un ni l’autre.

Mais il y a plus : ces deux buts sont inséparables et le meilleur moyen d’atteindre l’un c’est de viser l’autre, ou du moins de ne jamais le perdre de vue. C’est ce que je vais m’efforcer de démontrer en précisant la nature des rapports entre la science pure et ses applications.

Le mathématicien ne doit pas être pour le physicien un simple fournisseur de formules ; il faut qu’il y ait entre eux une collaboration plus intime.

La physique mathématique et l’analyse pure ne sont pas seulement des puissances limitrophes, entretenant des rapports de bon voisinage ; elles se pénètrent mutuellement et leur esprit est le même.

C’est ce que l’on comprendra mieux quand j’aurai montré ce que la physique reçoit de la mathématique et ce que la mathématique, en retour, emprunte à la physique.

II

Le physicien ne peut demander à l’analyste de lui révéler une vérité nouvelle ; tout au plus celui-ci pourrait-il l’aider à la pressentir.

Il y a longtemps que personne ne songe plus à devancer l’expérience, ou à construire le monde de toutes pièces sur quelques hypothèses hâtives. De toutes ces constructions où l’on se complaisait encore naïvement il y a un siècle, il ne reste plus aujourd’hui que des ruines.

Toutes les lois sont donc tirées de l’expérience ; mais pour les énoncer, il faut une langue spéciale ; le langage ordinaire est trop pauvre, il est d’ailleurs trop vague, pour exprimer des rapports si délicats, si riches et si précis.

Voilà donc une première raison pour laquelle le physicien ne peut se passer des mathématiques ; elles lui fournissent la seule langue qu’il puisse parler.

Et ce n’est pas une chose indifférente qu’une langue bien faite ; pour ne pas sortir de la physique, l’homme inconnu qui a inventé le mot chaleur a voué bien des générations à l’erreur. On a traité la chaleur comme une substance, simplement parce qu’elle était désignée par un substantif, et on l’a crue indestructible.

En revanche, celui qui a inventé le mot électricité a eu le bonheur immérité de doter implicitement la physique d’une loi nouvelle, celle de la conservation de l’électricité, qui, par un pur hasard, s’est trouvée exacte, du moins jusqu’à présent.

Eh bien, pour poursuivre la comparaison, les écrivains qui embellissent une langue, qui la traitent comme un objet d’art, en font en même temps un instrument plus souple, plus apte à rendre les nuances de la pensée.

On comprend alors comment l’analyste, qui poursuit un but purement esthétique, contribue par cela même à créer une langue plus propre à satisfaire le physicien.

Mais ce n’est pas tout ; la loi sort de l’expérience, mais elle n’en sort pas immédiatement. L’expérience est individuelle, la loi qu’on en tire est générale, l’expérience n’est qu’approchée, la loi est précise ou du moins prétend l’être. L’expérience se fait dans des conditions toujours complexes, l’énoncé de la loi élimine ces complications. C’est ce qu’on appelle « corriger les erreurs systématiques ».

En un mot, pour tirer la loi de l’expérience, il faut généraliser ; c’est une nécessité qui s’impose à l’observateur le plus circonspect.

Mais comment généraliser ? Toute vérité particulière peut évidemment être étendue d’une infinité de manières. Entre ces mille chemins qui s’ouvrent devant nous, il faut faire un choix, au moins provisoire ; dans ce choix, qui nous guidera ?

Ce ne pourra être que l’analogie. Mais que ce mot est vague ! L’homme primitif ne connaît que les analogies grossières, celles qui frappent les sens, celles des couleurs ou des sons. Ce n’est pas lui qui aurait songé à rapprocher par exemple la lumière de la chaleur rayonnante.

Qui nous a appris à connaître les analogies véritables, profondes, celles que les yeux ne voient pas et que la raison devine ?

C’est l’esprit mathématique, qui dédaigne la matière pour ne s’attacher qu’à la forme pure. C’est lui qui nous a enseigné à nommer du même nom des êtres qui ne diffèrent que par la matière, à nommer du même nom par exemple la multiplication des quaternions et celle des nombres entiers.

Si les quaternions, dont je viens de parler, n’avaient été si promptement utilisés par les physiciens anglais, bien des personnes n’y verraient sans doute qu’une rêverie oiseuse, et pourtant, en nous apprenant à rapprocher ce que les apparences séparent, ils nous auraient déjà rendus plus aptes à pénétrer les secrets de la nature.

Voilà les services que le physicien doit attendre de l’analyse, mais pour que cette science puisse les lui rendre, il faut qu’elle soit cultivée de la façon la plus large, sans préoccupation immédiate d’utilité, il faut que le mathématicien ait travaillé en artiste.

Ce que nous lui demandons c’est de nous aider à voir, à discerner notre chemin dans le dédale qui s’offre à nous. Or, celui qui voit le mieux, c’est celui qui s’est élevé le plus haut.

Les exemples abondent, et je me bornerai aux plus frappants.

Le premier nous montrera comment il suffit de changer de langage pour apercevoir des généralisations qu’on n’avait pas d’abord soupçonnées.

Quand la loi de Newton s’est substituée à celle de Képler, on ne connaissait encore que le mouvement elliptique. Or, en ce qui concerne ce mouvement, les deux lois ne diffèrent que par la forme ; on passe de l’une à l’autre par une simple différenciation.

Et cependant, de la loi de Newton, on peut déduire, par une généralisation immédiate, tous les effets des perturbations et toute la mécanique céleste. Jamais au contraire, si l’on avait conservé l’énoncé de Képler, on n’aurait regardé les orbites des planètes troublées, ces courbes compliquées dont personne n’a jamais écrit l’équation, comme les généralisations naturelles de l’ellipse. Les progrès des observations n’auraient servi qu’à faire croire au chaos.

Le second exemple mérite également d’être médité.

Quand Maxwell a commencé ses travaux, les lois de l’électro-dynamique admises jusqu’à lui rendaient compte de tous les faits connus. Ce n’est pas une expérience nouvelle qui est venue les infirmer.

Mais en les envisageant sous un biais nouveau, Maxwell a reconnu que les équations deviennent plus symétriques quand on y ajoute un terme, et d’autre part ce terme était trop petit pour produire des effets appréciables avec les méthodes anciennes.

On sait que les vues a priori de Maxwell ont attendu vingt ans une confirmation expérimentale ; ou si vous aimez mieux, Maxwell a devancé de vingt ans l’expérience.

Comment ce triomphe a-t-il été obtenu ?

C’est que Maxwell était profondément imprégné du sentiment de la symétrie mathématique ; en aurait-il été de même, si d’autres n’avaient avant lui recherché cette symétrie pour sa beauté propre ? C’est que Maxwell était habitué à « penser en vecteurs » et pourtant si les vecteurs se sont introduits dans l’analyse, c’est par la théorie des imaginaires. Et ceux qui ont inventé les imaginaires ne se doutaient guère du parti qu’on en tirerait pour l’étude du monde réel ; le nom qu’ils leur ont donné le prouve suffisamment.

Maxwell en un mot n’était peut-être pas un habile analyste, mais cette habileté n’aurait été pour lui qu’un bagage inutile et gênant. Au contraire il avait au plus haut degré le sens intime des analogies mathématiques. C’est pour cela qu’il a fait de bonne physique mathématique.

L’exemple de Maxwell nous apprend encore autre chose.

Comment faut-il traiter les équations de la physique mathématique ? Devons-nous simplement en déduire toutes les conséquences, et les regarder comme des réalités intangibles ? Loin de là ; ce qu’elles doivent nous apprendre surtout, c’est ce qu’on peut et ce qu’on doit y changer. C’est comme cela que nous en tirerons quelque chose d’utile.

Le troisième exemple va nous montrer comment nous pouvons apercevoir des analogies mathématiques entre des phénomènes qui n’ont physiquement aucun rapport ni apparent, ni réel, de telle sorte que les lois de l’un de ces phénomènes nous aident à deviner celles de l’autre.

Une même équation, celle de Laplace, se rencontre dans la théorie de l’attraction newtonienne, dans celle du mouvement des liquides, dans celle du potentiel électrique, dans celle du magnétisme, dans celle de la propagation de la chaleur et dans bien d’autres encore.

Qu’en résulte-t-il ? Ces théories semblent des images calquées l’une sur l’autre ; elles s’éclairent mutuellement, en s’empruntant leur langage ; demandez aux électriciens s’ils ne se félicitent pas d’avoir inventé le mot de flux de force, suggéré par l’hydrodynamique et la théorie de la chaleur.

Ainsi les analogies mathématiques, non seulement peuvent nous faire pressentir les analogies physiques, mais encore ne cessent pas d’être utiles, quand ces dernières font défaut.

En résumé le but de la physique mathématique n’est pas seulement de faciliter au physicien le calcul numérique de certaines constantes ou l’intégration de certaines équations différentielles.

Il est encore, il est surtout de lui faire connaître l’harmonie cachée des choses en les lui faisant voir d’un nouveau biais.

De toutes les parties de l’Analyse, ce sont les plus élevées, ce sont les plus pures, pour ainsi dire, qui seront les plus fécondes entre les mains de ceux qui savent s’en servir.

III

Voyons maintenant ce que l’analyse doit à la physique.

Il faudrait avoir complètement oublié l’histoire de la science pour ne pas se rappeler que le désir de connaître la nature a eu sur le développement des mathématiques l’influence la plus constante et la plus heureuse.

En premier lieu, le physicien nous pose des problèmes dont il attend de nous la solution. Mais en nous les proposant, il nous a payé largement d’avance le service que nous pourrons lui rendre, si nous parvenons à les résoudre.

Si l’on veut me permettre de poursuivre ma comparaison avec les beaux-arts, le mathématicien pur qui oublierait l’existence du monde extérieur, serait semblable à un peintre qui saurait harmonieusement combiner les couleurs et les formes, mais à qui les modèles feraient défaut. Sa puissance créatrice serait bientôt tarie.

Les combinaisons que peuvent former les nombres et les symboles sont une multitude infinie. Dans cette multitude, comment choisirons-nous celles qui sont dignes de retenir notre attention ? Nous laisserons-nous uniquement guider par notre caprice ? Ce caprice, qui lui-même d’ailleurs ne tarderait pas à se lasser, nous entraînerait sans doute bien loin les uns des autres et nous cesserions promptement de nous entendre entre nous.

Mais ce n’est là que le petit côté de la question.

La physique nous empêchera sans doute de nous égarer, mais elle nous préservera aussi d’un danger bien plus redoutable ; elle nous empêchera de tourner sans cesse dans le même cercle.

L’histoire le prouve, la physique ne nous a pas seulement forcés de choisir entre les problèmes qui se présentaient en foule ; elle nous en a imposé auxquels nous n’aurions jamais songé sans elle.

Quelque variée que soit l’imagination de l’homme, la nature est mille fois plus riche encore. Pour la suivre, nous devons prendre des chemins que nous avions négligés et ces chemins nous conduisent souvent à des sommets d’où nous découvrons des paysages nouveaux. Quoi de plus utile !

Il en est des symboles mathématiques comme des réalités physiques ; c’est en comparant les aspects différents des choses que nous pourrons en comprendre l’harmonie intime, qui seule est belle et par conséquent digne de nos efforts.

Le premier exemple que je citerai est tellement ancien qu’on serait tenté de l’oublier ; il n’en est pas moins le plus important de tous.

Le seul objet naturel de la pensée mathématique, c’est le nombre entier. C’est le monde extérieur qui nous a imposé le continu, que nous avons inventé sans doute, mais qu’il nous a forcés à inventer.

Sans lui il n’y aurait pas d’Analyse infinitésimale ; toute la science mathématique se réduirait à l’arithmétique ou à la théorie des substitutions.

Au contraire, nous avons consacré à l’étude du continu presque tout notre temps et toutes nos forces. Qui le regrettera ; qui croira que ce temps et ces forces ont été perdus ?

L’analyse nous déroule des perspectives infinies que l’arithmétique ne soupçonne pas ; elle vous montre d’un coup d’œil un ensemble grandiose, dont l’ordonnance est simple et symétrique ; au contraire, dans la théorie des nombres, où règne l’imprévu, la vue est pour ainsi dire arrêtée à chaque pas.

Sans doute on vous dira qu’en dehors du nombre entier, il n’y a pas de rigueur, et par conséquent pas de vérité mathématique ; que partout il se cache, et qu’il faut s’efforcer de rendre transparents les voiles qui le dissimulent, dût-on pour cela se résigner à d’interminables redites.

Ne soyons pas si puristes et soyons reconnaissants au continu qui, si tout sort du nombre entier, était seul capable d’en faire tant sortir.

Ai-je besoin d’ailleurs de rappeler que M. Hermite a tiré un parti surprenant de l’introduction des variables continues dans la théorie des nombres ? Ainsi le domaine propre du nombre entier est envahi lui-même, et cette invasion a établi l’ordre, là où régnait le désordre.

Voilà ce que nous devons au continu et par conséquent à la nature physique.

La série de Fourier est un instrument précieux dont l’analyse fait un usage continuel, c’est par ce moyen qu’elle a pu représenter des fonctions discontinues ; si Fourier l’a inventée, c’est pour résoudre un problème de physique relatif à la propagation de la chaleur. Si ce problème ne s’était posé naturellement, on n’aurait jamais osé rendre au discontinu ses droits ; on aurait longtemps encore regardé les fonctions continues comme les seules fonctions véritables.

La notion de fonction s’est par là considérablement étendue et a reçu de quelques analystes logiciens un développement imprévu. Ces analystes se sont ainsi aventurés dans des régions où règne l’abstraction la plus pure et se sont éloignés autant qu’il est possible du monde réel. C’est cependant un problème de physique qui leur en a fourni l’occasion.

Derrière la série de Fourier, d’autres séries analogues sont entrées dans le domaine de l’Analyse ; elles y sont entrées par la même porte ; elles ont été imaginées en vue des applications.

La théorie des équations aux dérivées partielles du second ordre a eu une histoire analogue ; elle s’est développée surtout par et pour la physique. Mais elle peut prendre bien des formes ; car une pareille équation ne suffit pas pour déterminer la fonction inconnue, il faut y adjoindre des conditions complémentaires qu’on appelle conditions aux limites ; d’où bien des problèmes différents.

Si les analystes s’étaient abandonnés à leurs tendances naturelles, ils n’en auraient jamais connu qu’un, celui qu’a traité Mme de Kowalevski dans son célèbre mémoire.

Mais il y en a une foule d’autres qu’ils auraient ignorés.

Chacune des théories physiques, celle de l’électricité, celle de la chaleur, nous présente ces équations sous un aspect nouveau. On peut donc dire que sans elles, nous ne connaîtrions pas les équations aux dérivées partielles.

Il est inutile de multiplier les exemples. J’en ai dit assez pour pouvoir conclure : quand les physiciens nous demandent la solution d’un problème, ce n’est pas une corvée qu’ils nous imposent, c’est nous au contraire qui leur devons des remerciements.

IV

Mais ce n’est pas tout ; la physique ne nous donne pas seulement l’occasion de résoudre des problèmes ; elle nous aide à en trouver les moyens, et cela de deux manières.

Elle nous fait pressentir la solution ; elle nous suggère des raisonnements.

J’ai parlé plus haut de l’équation de Laplace que l’on rencontre dans une foule de théories physiques fort éloignées les unes des autres. On la retrouve en géométrie, dans la théorie de la représentation conforme et en analyse pure, dans celle des imaginaires.

De cette façon, dans l’étude des fonctions de variables complexes, l’analyste, à côté de l’image géométrique, qui est son instrument habituel, trouve plusieurs images physiques dont il peut faire usage avec le même succès.

Grâce à ces images, il peut voir d’un coup d’œil ce que la déduction pure ne lui montrerait que successivement. Il rassemble ainsi les éléments épars de la solution, et par une sorte d’intuitions devine avant de pouvoir démontrer.

Deviner avant de démontrer ! Ai-je besoin de rappeler que c’est ainsi que se sont faites toutes les découvertes importantes ?

Combien de vérités que les analogies physiques nous permettent de pressentir et que nous ne sommes pas en état d’établir par un raisonnement rigoureux !

Par exemple, la physique mathématique introduit un grand nombre de développements en séries. Ces développements convergent, personne n’en doute ; mais la certitude mathématique fait défaut.

Ce sont autant de conquêtes assurées pour les chercheurs qui viendront après nous.

La physique, d’autre part, ne nous fournit pas seulement des solutions ; elle nous fournit encore, dans une certaine mesure, des raisonnements.

Il me suffira de rappeler comment M. Klein, dans une question relative aux surfaces de Riemann, a eu recours aux propriétés des courants électriques.

Il est vrai que les raisonnements de ce genre ne sont pas rigoureux, au sens que l’analyste attache à ce mot.

Et, à ce propos, une question se pose : comment une démonstration, qui n’est pas assez rigoureuse pour l’analyste, peut-elle suffire au physicien ? Il semble qu’il ne peut y avoir deux rigueurs, que la rigueur est ou n’est pas, et que, là où elle n’est pas, il ne peut y avoir de raisonnement. On comprendra mieux ce paradoxe apparent, en se rappelant dans quelles conditions le nombre s’applique aux phénomènes naturels.

D’où proviennent en général les difficultés que l’on rencontre quand on recherche la rigueur ? On s’y heurte presque toujours en voulant établir que telle quantité tend vers telle limite, ou que telle fonction est continue, ou qu’elle a une dérivée.

Or les nombres que le physicien mesure par l’expérience ne lui sont jamais connus qu’approximativement ; et, d’autre part, une fonction quelconque diffère toujours aussi peu que l’on veut d’une fonction discontinue, et en même temps elle diffère aussi peu que l’on veut d’une fonction continue.

Le physicien peut donc supposer à son gré, que la fonction étudiée est continue, ou qu’elle est discontinue ; qu’elle a une dérivée, ou qu’elle n’en a pas ; et cela sans crainte d’être jamais contredit, ni par l’expérience actuelle, ni par aucune expérience future. On conçoit, qu’avec cette liberté, il se joue des difficultés qui arrêtent l’analyste.

Il peut toujours raisonner comme si toutes les fonctions qui s’introduisent dans ses calculs étaient des polynômes entiers.

Ainsi l’aperçu qui suffit à la physique n’est pas le raisonnement qu’exige l’analyse. Il ne s’en suit pas que l’un ne puisse aider à trouver l’autre.

On a déjà transformé en démonstrations rigoureuses tant d’aperçus physiques que cette transformation est aujourd’hui facile.

Les exemples abonderaient si je ne craignais, en les citant, de fatiguer l’attention du lecteur.

J’espère en avoir assez dit pour montrer que l’Analyse pure et la physique mathématique peuvent se servir l’une l’autre sans se faire l’une à l’autre aucun sacrifice et que chacune de ces deux sciences doit se réjouir de tout ce qui élève son associée."


Trouvé sur le net :

Les Maths et la Physique sont incompatibles...

Voici les amis la problématique illustrée :

C’est l’histoire du verre plein d’eau qu’on boit chaque minute la moitié de ce qu’il contient...

Maths :
Un verre contient 1 litre d’eau, chaque minute nous buvons la motié de ce qu’il contient. Après combien de temps le verre sera vide ?
1/2 = 0.5 litres après 1 minute
0.5/2 = 0.25 litres après 2 minutes
0.25/2 = 0.125 litres après 3 minutes
etc...
Mathématiquement on ne pourra jamais vider le verre d’eau, on peut continuer à l’infini.

Physique :
Un verre contient 1 litre d’eau, chaque minute nous buvons la motié de ce qu’il contient. Après combien de temps le verre sera vide ?
1/2 = 0.5 litres après 1 minute
0.5/2 = 0.25 litres après 2 minutes
0.25/2 = 0.125 litres après 3 minutes
etc... on arrive au stade critique
il ne reste plus que 2 molécules d’eau dans le verre après x minutes
il ne reste plus qu’une particule d’eau dans le verre après x+1 minutes
La dernière molécule d’eau ne peut être partagé, sinon on n’a plus d’eau dans le verre...
En physique le même problème à une fin, on pourra définir après combien de temps l’expérience a pris fin.

Je me dis par cet exemple que dans les maths il y a un truc qui cloche, qu’en pensez vous ?

Dialectique et mathématiques, du statut de la contradiction

Le calcul n’est pas une description complète du monde matériel

Chacun sait que la physique a découvert que la matière, comme la lumière, est constituée de « grains » appelés particules. La matière serait appelée fermions, c’est-à-dire particules obéissant à la règle de Fermi qui empêche les particules de même état de s’agglomérer du fait du « principe de Pauli ». Les fermions sont de deux types : leptons (comme l’électron) ou quarks (constituant des neutrons et des protons). La lumière – expression employée ici pour regrouper toutes les particules dites d’interaction - serait formée de bosons, c’est-à-dire de particules qui obéissent à la règle de Bose qui concerne des particules qui ont tendance à s’agglomérer dans un état commun.

L’ensemble a semblé dans un premier temps fonctionner comme un jeu de construction : on additionne les particules pour former des ensemble plus importants comme l’atome, les molécules et les macromolécules. On additionne les neutrons et les protons pour former le noyau des atomes et on rajoute les électrons pour former l’entourage atomique qui permet à l’atome d’être globalement neutre électriquement.

Cette logique additive n’est pas entièrement fausse mais elle a atteint ses limites d’explication et depuis longtemps maintenant elle est abandonnée par les physiciens pour expliquer le fonctionnement de la matière/lumière. La première raison provient du fait que cette image additive supposait que les particules soient des objets statiques, individuels, existant en permanence ou au moins sur de longues durées. A chaque particule individuelle était attribuée une masse qui était considérée comme attachée à la chose matérielle. La physique actuelle est très différente. L’individualité de la particule n’est plus admise. La masse est une propriété qui se déplace et saute d’un point à un autre, sans être fixée à un objet. L’objet lui-même n’est plus une image reconnue. En fait, la matière ne s’explique plus par la fixité mais, au contraire, par une dynamique extraordinairement agitée : celle du vide qui n’est plus synonyme d’absence. Le fondement du caractère apparemment conservatif de la structure globalement conservée qu’est la matière est l’agitation permanente du vide !

On a donc longtemps eu une vision « additive » de la physique de la matière. Cela signifiait que les objets étaient des sommes de molécules, elles-mêmes considérées comme des sommes d’atomes, considérés comme la somme d’un noyau et d’électrons, le noyau étant une somme de protons et de neutrons et, enfin, proton et neutron étant des sommes de quarks. Mais cette vision a dû être profondément changée avec la physique quantique des champs selon laquelle le vide quantique est une apparition fugitive d’un nombre indéfini de particules qui n’existaient pas auparavant, le nombre total de particule n’étant pas un nombre fixe. L’énergie peut produire des particules. Les particules peuvent disparaître également. Enfin, la particule est « habillée », c’est-à-dire entourée d’un nuage de particules virtuelles d’interaction (photons, gluons, etc) pouvant se transformer en toutes les sortes de particules (et leurs antiparticules) ayant une durée de vie très courte, dites particules et antiparticules virtuelles. Le proton est entouré de gluons virtuels qui se polarisent en couples de quarks et antiquarks virtuels. L’électron est entouré d’un nuage de photons qui peuvent se matérialiser fugitivement en électrons et positons virtuels. Le nombre total de particules n’est donc pas une constante. Pas plus que le nombre de charges électriques.

La masse, elle aussi, est longtemps apparue comme additive. C’est ce que l’on constate à notre échelle. Par contre, à l’échelle de la matière atomique, il faut tenir compte des interactions qui ont, elles-mêmes, une masse. Dans l’atome, par exemple, il n’y a pas que le noyau et les électrons mais également l’énergie d’interaction qui les maintient ensemble. Il en va de même pour le noyau qui ne pourrait se maintenir stablement sans l’énergie qui maintient ensemble les nucléons. La masse ne s’avère d’ailleurs pas une propriété fixe d’une matière « solide », « compacte », « lourde ». C’est un phénomène. C’est une propriété et elle n’appartient pas en fixe à un objet individuel appelé la particule. La propriété peut migrer rapidement d’une particule virtuelle à une autre. Elle peut même disparaître dans un trou d’énergie négative ou par interaction avec l’antimatière.

Ce qui s’additionne, ce n’est ni la masse, ni l’énergie. On le voit en physique quantique au fait que des particules de masse qui s’entrechoquent peuvent disparaître en tant que telles pour donner de l’énergie et que l’énergie peut disparaître pour donner de la masse.

La relativité a, elle aussi, été contrainte, pour conserver provisoirement cette additivité, d’admettre que l’énergie faisait partie de la masse, le total masse au repos plus énergie se conservant. Cependant, ce point de vue lui-même ne convient que si on ne descend pas en dessous de certains seuils de temps. Sous ces seuils, il y a une incertitude sur l’énergie qui peut être considérable. Plus le temps considéré est court, plus il peut apparaître et disparaître d’énergie, moins l’énergie est simplement additive.

Le temps, lui-même, cesse du coup d’apparaître comme additif. On peut en effet croire que le temps long est une somme d’espaces de temps courts. Cela convient pour des dynamiques régulières, sans grandes discontinuités, ne tenant pas compte d’intervalles courts de temps, comme le mouvement des corps macroscopiques. Cela ne convient plus du tout en physique quantique. En passant à des temps courts, les lois changent, les objets ne sont plus les mêmes. Là où il n’y avait rien (le vide vu du point de vue macroscopique), apparaissent des myriades de plus en plus importantes de particules virtuelles. Le monde entier peut apparaître dans un temps suffisamment court, autrement appelé le temps du Big Bang, qu’il ne faut pas voir comme la création de l’univers mais comme le temps minimum et comme l’énergie maximum. Le temps du Big Bang n’est que le dernier seuil connu au-delà duquel parler de matière, même virtuelle, n’aie plus de sens.

En tout cas, la notion d’intervalles de temps longs constitués par une somme d’intervalles courts devient obsolète. Dans des temps courts, des grandes énergies peuvent apparaître et disparaître, ce qui n’est pas le cas dans des temps longs. Le temps change complètement d’image par rapport aux deux représentations que nous lui connaissons : le cycle et la ligne droite orientée. Le vide a montré que le temps fondamental est désordonné. Il est fondé sur des oscillations non linéaires de couples de particules polaires (par exemple électron et positon) qui est chaotique. Le temps ordonné est une émergence au sein d’ensemble d’un très grand nombre de particules durables et il est sans cesse en train de se créer et de s’autodétruire au sein du vide quantique.

La physique macroscopique a dû elle-même renoncer à la vision régulière, linéaire et additive. La mécanique des fluides a dû introduire la dynamique non-linéaire dans son étude de la turbulence, comme l’ont montré Ruelle et Takens, car elle n’est pas une somme d’un très grand nombre de fluctuations linéaires. Le domaine du chaos déterministe, plus généralement, a montré que la physique pouvant se passer du non-linéaire comme approximation n’est pas très vaste et ne concerne que des phénomènes n’agissant à plusieurs niveaux hiérarchiques de la matière, sur des systèmes pouvant apparaître pour isolés énergétiquement et subissant des évolutions lentes et sans passage de seuils. Autant dire que, fondamentalement, toute la physique est non-linéaire. Le « simple » pendule l’est !

Le chaos déterministe avec sa « sensibilité aux conditions initiales » a montré qu’un très grand nombre de situations permettent qu’une somme donne bien autre chose que le total des résultats bien plus ou … bien moins. C’est le fameux « effet papillon ».

Le dernier domaine clef de l’additivité restait celui des ondes. L’électromagnétisme, incluant la lumière, semblait lui avoir donné ses lettres de noblesse. Et pourtant ! La dualité quantique a mis fin à cette illusion. Toute onde est également et en même temps corpusculaire. Et si la physique quantique continue à parler d’ondes, il ne s’agit plus du tout de la même « chose » puisqu’il s’agit seulement d’une onde mathématique qui se propage non dans l’espace réel mais dans celui des phases et concerne une probabilité de présence. Et même là, l’additivité ne concerne pas des « objets ».

La réalité restera donc non additive. Elle n’est pas décrite par des « simples » opérations mathématiques, même si ces dernières gardent leur efficacité. Celle-ci n’est pas d’ordre descriptif. Elles se contentent de calculer des probabilités, ce qui est bien différent d’une description, au grand dam de physiciens comme Einstein. Cela ne veut pas dire que le monde réel n’existe pas et que n’existent que des probabilités. Cela signifie que la « description » mathématique en reste au calcul des probabilités. Ce n’est pas parce qu’on a seulement comme outil u marteau que le monde autour de nous n’est formé que de clous !!

Le quantitatif ne suffit pas parce que la matière (ou plutôt le vide structuré) existe à plusieurs échelles et que les changements ont donc un caractère qualitatif. Un monde à plusieurs étages (par exemple une matière fractale) ne peut revenir à un ou plusieurs calculs. Le qualitatif ne peut pas se ramener au quantitatif. L’inconnue qui se cache derrière la Joconde (le secret de la beauté et pourquoi elle nous touche) n’est pas l’inconnue x de l’équation.

L’autre raison de souligner le caractère limité de l’additivité, c’est que les contraires ne s’additionnent pas comme deux nombres positifs et négatifs de même valeur absolue. Ils ne donnent pas le rien. Les contradictions ne s’annulent pas dans la nature. Ce sont au contraire elles qui produisent la dynamique du monde !

Deux particules de charges opposées ne s’annulent pas : elles se couplent pour donner une nouvelle unité. Electron et proton donnent l’atome d’hydrogène. Il en va de la charge électrique, du spin, comme de la charge de couleur ou d’étrangeté : les opposés se couplent pour donner une nouvelle unité et non pour s’annuler. Au sein de cette unité, les opposés sont liés tout en restant des opposés.

Citons sur ces points quelques auteurs :

« Qu’entre qualité et quantité il y ait passage conceptuel susceptible de reproduire des passages réels est chose si peu hypothétique qu’existe une discipline scientifique dont c’est tout l’objet, la physique des transitions de phase (…) Peut-on expliquer les discontinuités qui s’observent à l’échelle macroscopique par exemple dans la vaporisation d’un liquide à partir de sa structure microscopique ? Se produirait-il une « modification brutale » à la température de transition « dans les interactions entre atomes », dont le changement de phase serait le « reflet » ? La question, indique Roger Balian dans « Le temps macroscopique » dans « Le temps et sa flèche », a été définitivement tranchée : « Rien à l’échelle atomique ne distingue l’eau de sa vapeur ou de la glace ; leurs transformations mutuelles ne traduisent qu’un changement d’organisation de l’édifice global, contrôlé seulement par deux paramètres macroscopiques, la température et la pression. » (…) Le qualitativement nouveau vient à jour à partir de lui-même. »

Lucien Sève dans « Nature, science, dialectique : un chantier à rouvrir »

« Avec chaque niveau d’organisation, apparaissent des nouveautés, tant de propriétés que de logiques. (…) Une dialectique fait s’interpénétrer les contraires et s’engendrer la qualité et la quantité. »

François Jacob dans « La logique du vivant »

« On ne compte pas les électrons ou les photons comme on compte les objets que nous rencontrons autour de nous. »

Les physiciens Georges Lochak, Simon Diner et Daniel Farge dans « L’objet quantique ».

« Si un électron entre et sort d’une boite (une zone par exemple) (...), on ne peut pas dire que c’est le même électron qui entre et qui sort. (...) La masse est longtemps apparue comme une propriété fondamentale. N’est-il pas surprenant de la voir maintenant apparaître comme une propriété purement dynamique, liée aux propriétés du vide et à la façon dont elles affectent les particules qui s’y trouvent ? (...) Cette nouvelle conception de la masse est une révolution importante. Ce qui apparaissait comme une propriété intrinsèque et immuable se voit relégué au rang d’effet dynamique dépendant des interactions et, avant tout, de la structure du vide. »

Le physicien Maurice Jacob dans « Au cœur de la matière ».

Messages

  • Pour autant que les mathématiques se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et pour autant qu’elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité. La parfaite clarté sur le sujet n’a pu devenir bien commun que grâce à cette tendance en mathématique qui est l’axiomatique.

    — Einstein, Albert

  • Selon ma conviction la plus intime, la science de l’espace occupe a priori dans le système de nos connaissances une autre position que la théorie des grandeurs pures ; il manque à notre connaissance de celle-là cette conviction totale de sa nécessité qui est propre à celle-ci, nous devons reconnaître avec humilité que, si le nombre n’est que produit de notre esprit, l’espace a également une réalité hors de notre esprit, réalité à laquelle nous ne pouvons prescrire ses lois complètement a priori.

    — Gauss, Carl Friedrich ; Lettre

  • On dit que les mathématiques pures viennent entièrement du monde réel, de même que la géométrie viendrait selon la légende de la mesure des champs après les crues du Nil. (Si c’est faux, si la géométrie existait avant qu’on en eut besoin, le débat s’avance sur un terrain mouvant. Si c’est vrai, cet argument prouve seulement que les mathématiques appliquées ne peuvent pas progresser sans les mathématiques pures, comme le fourmilier ne peut pas subsister sans fourmis, mais pas nécessairement l’inverse.) Il est vrai que toutes les mathématiques sortent du monde physique dans la mesure où elles sont nées de l’étude des formes et des dimensions des objets réels. Il n’est pas évident qu’un contact renouvelé avec la physique, la psychologie, la biologie ou l’économie ait été nécessaire pour que naîssent certaines branches des mathématiques du XX° siècle (comme le problème du continuum de Cantor, l’hypothèse de Riemann ou la conjecture de Poincaré).

    — Halmos, Paul

  • C’est l’esprit mathématique, qui dédaigne la matière pour ne s’attacher qu’à la forme pure. C’est lui qui nous a enseigné à nommer du même nom des êtres qui ne diffèrent que par la matière...

    — Poincaré, Jules Henri ; Discours d’ouverture du congrès international des mathématiciens

  • La possibilité même de la science mathématique semble une contradiction insoluble. Si cette science n’est déductive qu’en apparence, d’où lui vient cette parfaite rigueur que personne ne songe à mettre en doute ? Si, au contraire, toutes les propositions qu’elle énonce peuvent se tirer les unes des autres par les règles de la logique formelle, comment la mathématique ne se réduit-elle pas à une immense tautologie ?

    — Poincaré, Jules Henri ; La science et l’hypothèse

  • La géométrie, fondée sur des figures rigides, stables et continues et une logique formelle du tiers exclus, ne peut refléter la dynamique des particules, instable, agitée, où les structures se changent sans cesse en leur contraire. Ce n’est même pas la description qui est différente mais la philosophie.

    Pour le grand mathématicien Henri Poincaré, les mathématiques faisaient partie "des images substituées aux objets réels que la nature nous cachera éternellement."

    « Calculer n’est pas penser »

    Friedrich Hegel dans « Science de la Logique »

  • La mathématique n’est, stricto sensu, ni le fait propre de la nature (découverte), ni totalement une production de l’esprit (invention). En effet, si c’est effectivement le cerveau humain qui l’exprime, iln’en reste pas moins que celui-ci fonctionne selon les lois de l’univers puisqu’il en fait partie. A ce titre, cet organe, qui est le plus complexe que l’on connaisse, est donc un miroir focalisateur de ces lois quand le psychisme cherche à les comprendre et à les exprimer. C’est pourquoi, bien que ce soit dans le cerveau que s’engendre la mathématique, ce sont finalement les principes de la nature assurant son fonctionnement qui en permettent les investigations et les expressions, c’est-à-dire l’éclosion. (...) C’est essentiellement la mécanique classique qui a montré, mais non démontré, l’adéquation de la description mathématique à certains problèmes de physique. D’où la confusion du 19ème siècle qui a prétendu un peu hâtivement généraliser. En fait, ce n’est pas le degré de réalité d’un être mathématique qui intéresse le physicien ou le scientifique, mais bien plutôt ses possibilités d’utilisation !

    Marceau Felden dans "La mathématique et la réalité", extrait de l’ouvrage collectif "Dictionnaire de l’ignorance"

    • Georges Lochak écrit dans "Pourquoi les mathématiques sont-elles efficaces ?", extrait du même ouvrage "Dictionnaire de l’ignorance" sous la direction de Michel Cazenave :

      "A la question "Comment les mathématiques appréhendent-elles le réel ?", on peut répondre : "En énonçant des axiomes qui ressemblent aux objets réels, donc en énonçant des concepts bien adaptés", mais ce n’est pas si simple. Prenons un exemple. Mesurons la distance parcourue par un mobile au cours du temps et appelons "vitesse moyenne" le rapport de la distance au temps. (...) C’est ici que les mathématiques vont plus loin et inventent un concept. En effet, comme la distance parcourue diminue avec le temps nous pouvons "imaginer" une suite d’intervalles de temps et de distances qui tendent vers "zéro". En supposant cela, nous sortons du réel car une telle suite est purement abstraite, mais poursuivons et supposons de plus que le quotient de la distance parcourue divisée par le temps correspondant tende vers une limite finie. Nous appellerons cette limite "dérivée" de la distance par rapport au temps et nous dirons, par définition, que c’est la "vitesse" instantanée du mobile (c’est la vitesse moyenne sur un intervalle de temps infiniment petit). Trois siècles de succès de la mécanique sont basés sur ce concept mathématique car il est proche de la réalité pour un mobile dont le mouvement est suffisamment régulier. Mais attention ! Si le mouvement est chaotique, ce raisonnement ne correspond plus aux faits, le concept de vitesse instantanée cesse de s’appliquer et les lois de la mécanique cessent de prévoir les phénomènes. C’est ce qui arrive avec le mouvement brownien qu’on observe sur de petites particules matérielles plongées dans un liquide et agitées par le chaos moléculaire. Ce mouvement obéit à des lois qui sont différentes des lois habituelles de la mécanique. (...) Einstein fut le premier à énoncer clairement cette idée dans la phrase suivante : "Pour autant que les propositions de la mathématique se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines et pour autant qu’elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité."

       - - - -

      Il faudrait rajouter aux exemples du chaos déterministe, que ce n’est que par exceptions que des phénomènes sont assez réguliers, portent sur des modifications lentes, progressives, continues. par exemple, les particules quantiques n’obéissent pas à la vitesse car elles n’ont pas un mouvement continu. pourtant, elles sont le fondement de notre modne matériel !

      Robert Paris

  • Hegel dans "La théorie de l’être" :

    "La loi ne va pas au-delà du phénomène. Au contraire, le royaume des lois est l’image "calme" du monde existant ou émergeant."

  • Hegel dans "La théorie de l’être" :

    "La loi ne va pas au-delà du phénomène. Au contraire, le royaume des lois est l’image "calme" du monde existant ou émergeant."

  • Hegel dans "Petite Logique" :

    "Le nombre est une pensée, mais il est la pensée en tant qu’être qui est extérieur à lui-même. (...) La mesure est la quantité qualitative. (...) La quantité spécifique est, d’une part, une pure quantité, et elle ne peut être diminuée ou augmentée, sans que la mesure, en tant que règle, soit pour cela détruite, et d’autre part, le changement de la quantité entraîne le changement de la qualité."

    • Hegel dans "Petite Logique" :

      "Le nombre est une pensée, mais il est la pensée en tant qu’être qui est extérieur à lui-même. (...) La mesure est la quantité qualitative. (...) La quantité spécifique est, d’une part, une pure quantité, et elle ne peut être diminuée ou augmentée, sans que la mesure, en tant que règle, soit pour cela détruite, et d’autre part, le changement de la quantité entraîne le changement de la qualité."

  • Le mathématicien et physicien Henri Poincaré :

    "Sur la nature du raisonnement mathématique

    La possibilité même de la science mathématique semble une contradiction insoluble. Si cette science n’est déductive qu’en apparence, d’où lui vient cette parfaite rigueur que personne ne songe à mettre en doute ? Si, au contraire, toutes les propositions qu’elle énonce peuvent se tirer les unes des autres par les règles de la logique formelle, comment la mathématique ne se réduit-elle pas à une immense tautologie ? Le syllogisme ne peut rien nous apprendre d’essentiellement nouveau et, si tout devait sortir du principe d’identité, tout devrait aussi pouvoir s’y ramener. Ademettra-t-on donc que les énoncés de tous ces théorèmes qui remplissent tant de volumes ne soient que des manières détournées de dire que A est A ?"

  • Toujours Henri Poincaré dans "La science et l’hypothèse" :

    "Les mathématiciens n’étudient pas des objets, mais des relations entre objets ; il leur est donc indifférent de remplacer ces objets par d’autres, pourvu que les relations ne changent pas. La matière ne leur importe pas, la forme seule les intéresse. (...) Comparons la mécanique avec la géométrie. Les propositions fondamentales de la géométrie, comme par exemple le postulatum d’Euclide, ne sont non plus que des conventions, et il est tout aussi déraisonnable de chercher si elles sont vraies ou fausses que de demander si le système métrique est vrai ou faux. (...) Les expériences qui nous ont conduits à adopter comme plus commodes les conventions fondamentales de la géométrie portent sur des objets qui n’ont rien de commun avec ceux qu’étudie la géométrie (...) je sépare par une barrière la géométrie proprement dite de l’étude des corps solides. (...) En sciences, l’expérience est la source unique de la vérité : elle seule peut nous apprendre quelque chose de nouveau ; elle seule peut nous donne rde la certitude. (...) Mais alors si l’expérience est tout, quelle place restera-t-il pour la physique mathématique ? Qu’est-ce que la physique expérimentale a à faire d’un tel auxiliaire qui semble inutile et peut être même dangereux ? Et pourtant la physique mathématique existe ; elle a rendu des services indéniables ; il y a là un fait qu’il est nécessaire d’expliquer. C’est qu’il ne suffit pas d’observer. Il faut se servir de ces observations. Et pour cela, il faut les généraliser. "

  • Edouard Brézin dans "Symétries et symétries brisées" :

    "Il faut également observer que la nature sait déjouer les théorèmes mathématiques puisque aucune des structures permises (par les mathématiques pour les cristaux) ne possède de symétrie d’ordre cinq ; or, à la surprise générale, on a découvert en 1984 un solide possédant une telle symétrie interdite (les quasi cristaux)."

  • Mark Silverman dans « And yet it moves » (Et pourtant il bouge) :

    « Pour celui qui n’est pas accoutumé à l’application des mathématiques à la physique, il peut sembler surprenant qu’une analyse bien conduite puisse mener à des résultats ambiguës. L’image populaire (imméritée) de la physique est d’être une science mathématiquement rigoureuse qui impliquerait qu’une fois données les équations du mouvement d’un système, on pourrait toujours en principe (pas forcément facilement) permettre de les résoudre – et, que si les équations étaient correctes, alors leurs solutions permettraient de décrire précisément le système. Et pas deux possibilités pour celui-ci ! Malheureusement, la situation est rarement aussi simple. Les équations qui gouvernent les systèmes physiques – et qui sont généralement des équations différentielles mettant en relation les rythmes temporels et spatiaux de changement de la dynamique quantitative – donnent généralement plus d’une solution, peut-être une infinité de solution, qui se distinguent par le choix des conditions initiales (en spécifiant un état du système à un moment donné) ou des conditions restrictives (en spécifiant un état du système à un endroit donné). »

  • Je veux donner ma réponse à cette question relevée plus haut :

    "C’est l’histoire du verre plein d’eau qu’on boit chaque minute la moitié de ce qu’il contient...
    Maths : Un verre contient 1 litre d’eau, chaque minute nous buvons la motié de ce qu’il contient. Après combien de temps le verre sera vide ? 1/2 = 0.5 litres après 1 minute 0.5/2 = 0.25 litres après 2 minutes 0.25/2 = 0.125 litres après 3 minutes etc... Mathématiquement on ne pourra jamais vider le verre d’eau, on peut continuer à l’infini.
    Physique : Un verre contient 1 litre d’eau, chaque minute nous buvons la motié de ce qu’il contient. Après combien de temps le verre sera vide ? 1/2 = 0.5 litres après 1 minute 0.5/2 = 0.25 litres après 2 minutes 0.25/2 = 0.125 litres après 3 minutes etc... on arrive au stade critique il ne reste plus que 2 molécules d’eau dans le verre après x minutes il ne reste plus qu’une particule d’eau dans le verre après x+1 minutes La dernière molécule d’eau ne peut être partagé, sinon on n’a plus d’eau dans le verre... En physique le même problème à une fin, on pourra définir après combien de temps l’expérience a pris fin.

    Je me dis par cet exemple que dans les maths il y a un truc qui cloche, qu’en pensez vous ?"

    Pour répondre à cette question il convient de fixer le cadre de la physique :

    1/ Dans le niveau quantique il existe un quantum qui apporte un fin à l’eau.
    2/ Dans le niveau subquantique, c’est la même chose (encore plus fin mais il ne s’agit plus de molécules d’eau)
    3/ Dans l’ensemble ’espaces 1D non connexes" qui englobe le notre, le spectre continu des paramètres possibles possède une limite qui tend vers le flou du zéro. Cette limite, incommensurable par nature ne peut que nous pousser à donner la réponse zéro "par défaut".

    Et là on touche à un point commun entre math et physique. Je rappelle (1) que ce troisième cadre est contraint par l’idée incontournable que l’aléatoire possède intrinsèquement les moyens de créer des constantes et donc l’univers dans lequel nous vivons.

    L’axiomatique d’un modèle d’univers doit forcément se construire sur cette aptitude de l’aléatoire à produire (provisoirement) des constantes. Sinon on ne peut s’empêcher de penser que telle ou telle autre méthode soit guidée par une arrière pensée d’ordre théologique. D’aucuns pensent que cette démarche est d’ordre métaphysique.

    Mais la nommer ainsi c’est justement abandonner le terrain à ceux qui cultivent l’abandon de ce type de réflexion, par les scientifiques. C’est une circularité caractérisée.

    (1) voir la discussion : http://www.matierevolution.fr/spip.php?article669

  • Pour le grand mathématicien Henri Poincaré, les mathématiques faisaient partie "des images substituées aux objets réels que la nature nous cachera éternellement."

    C’EST MAGNIFIQUE !

    "On ne peut mathématiser le sourire de la Joconde."

    Malheureusement si ... Avec un bon logiciel de dessin ?

    "Malgré Galilée, on ne mathématise pas les cerises, on ne mathématise que le poids des cerises."

    Et c’est déjà ça nan ?

    Je ne comprends pas ce harcèlement envers les mathématiques, qui ne prétendent rien d’autre que d’être de formidables outils pour contribuer à la compréhension du monde. Les mathématiques n’ont pas la prétention de tout réduire au nombre. Mais mine de rien, ça aide vachement à travailler les phénomènes.

  • « Je ne comprends pas ce harcèlement envers les mathématiques, qui ne prétendent rien d’autre que d’être de formidables outils pour contribuer à la compréhension du monde. » dis-tu.

    Dire cela, c’est déjà de l’idéalisme : les mathématique ne prétendent à rien du tout. Ce sont les hommes, c’est-à-dire leurs sociétés, donc les classes qui prétendent à quelque chose. Et elles ne se contentent pas de prétendre à comprendre le monde mais à le dominer. Or la philosophie est l’élément crucial de la manière de dominer. La science pas plus que les mathématiques ou n’importe quel domaine d’étude n’est objectif. Ils sont tous infectés de la philosophie de la classe dominante.

    Lire ici :Aussi sûr que un plus un égale deux ? Les mathématiques sont-elles exemptes des paradoxes et contradictions de la physique ?

  • Platon n’a pas fait qu’inventer la philosophie idéaliste des mathématiques : il a fabriqué Aristote, théoricien de la contre-révolution et de la dictature sociale, il a inventé également le christianisme et bien d’autres conceptions idéalistes et anti-exploités car c’est un ancien jeune révolutionnaire de l’école de Socrate qui avait viré de bord...

  • Richard Wesley Hamming :

    « En tant que sport intellectuel, les mathématiques sont intéressantes, mais il ne devrait pas être permis de faire barrage à la recherche d’informations sensées sur les processus physiques. »

  • Stanislas Ulan :

    « Dans de nombreux cas, les mathématiques sont une fuite de la réalité. »

    A l’opposé, Descartes :

    « Avec moi, tout se transforme en mathématiques. »

  • Cantor : « L’essence des mathématiques, c’est la liberté. »

    L’essence de la Physique, c’est la nécessité des lois, y compris la nécessité du chaos…

  • Richard Feynman :

    Toute idée simple est approchée ; comme illustration considérons un objet. Mais un objet, qu’est-ce que c’est ? Les philosophes disent toujours, « Bon, prenez simplement une chaise par exemple. » Au moment où ils disent cela, vous savez qu’ils ne savent plus de quoi ils parlent. « Qu’est-ce » qu’une chaise ? Bon une chaise a une certaine masse… Certaine ? combien certaine ? Ses atomes s’évaporent de temps en temps – pas beaucoup d’atomes mais un tout petit peu – de la poussière tombe sur elle et se dissout dans la peinture, ainsi il est impossible de définir précisément une chaise, de dire exactement quels atomes sont chaise, et quels atomes sont air, ou quels atomes sont poussière, ou quels atomes sont peinture de la chaise ; la masse d’une chaise ne peut être définir qu’approximativement. De la même manière, il est impossible de définir la masse d’un objet unique, puisqu’il n’y a pas d’objet unique livré à lui-même dans l’univers – tout objet est un mélange de beaucoup de choses, nous ne pouvons ainsi le traiter que comme une suite d’approximations et d’idéalisations.

    L’astuce, c’est d’idéaliser. A une excellente approximation, peut-être à une fraction de un divisé par dix puissance dix près, le nombre des atomes de la chaise ne change-t-il pas en une minute, et si nous ne sommes pas trop précis, nous pouvons idéaliser sa masse comme étant constante ; de la même manière, si nous ne sommes pas trop précis, nous idéaliserons l’étude des caractéristiques des forces.

    On peut ne pas être satisfait avec la vue approchée de la nature que les physiciens essayent d’obtenir (on essaie toujours d’augmenter la précision de l’approximation), et préférer une définition mathématique ; mais les définitions mathématiques ne peuvent jamais marcher dans le monde réel. Une définition mathématique sera bonne pour les mathématiques dans lesquels la logique peut être suivie jusqu’au bout, mais le monde physique est complexe, comme nous l’avons indiqué dans un grand nombre d’exemples, tels que ceux des vagues de l’océan et d’un verre de vin. Lorsque nous essayons d’en isoler les parties, de parler d’une masse, le vin et le verre, comment pouvons nous savoir qui est quoi, lorsque l’un se dissout dans l’autre ? Les forces sur un seul objet comportent toujours des approximations et si nous voulons discourir sur le monde réel, alors ce que nous disons doit contenir certaines approximations, du moins pour le moment.

    Une telle méthode est tout à fait différente du cas des mathématiques, dans lequel tout peut être défini sans que nous puissions « connaître » ce dont nous parlons. En fait, la gloire de mathématiques, c’est « que nous n’ayons pas besoin de dire ce dont nous parlons ». La gloire, c’est que les lois, les raisonnements et la logique, sont indépendants de ce que « cela » est.

    Si n’importe quel ensemble d’objets obéit au même système d’axiomes que ceux de la géométrie d’Euclide, alors si nous fabriquons de nouvelles définitions et que nous les suivions jusqu’au bout avec une logique correcte, toutes les conséquences seront correctes, et la nature du sujet n’a aucune importance.

    Dans la nature, cependant, lorsque nous traçons une droite ou lorsque nous établissons une droite en utilisant un rayon de lumière et un théodolite, comme dans l’arpentage, mesurons-nous une droite au sens d’Euclide ? Non, nous faisons une approximation ; le fil du réticule a une certaine largeur. Par contre, une ligne géométrique n’a pas d’épaisseur. Et c’est une question d’ordre physique et non d’ordre mathématique, que l’on puisse utiliser ou non la géométrie d’Euclide pour faire de l’arpentage. Cependant, d’un point de vue expérimental, et non d’un point de vue mathématique, nous devons savoir si les lois d’Euclide s’appliquent au type de géométrie que nous utilisons en mesurant les terrains ; ainsi nous faisons l’hypothèse que cela marche, et cela marche très bien ; mais ce n’est pas précis, parce que nos droites d’arpentage ne sont pas réellement des droites géométriques. C’est une question d’ordre expérimental que ces droites d’Euclide, qui sont abstraites, se comportent comme les droites expérimentales ; ce n’est pas une question à laquelle on peut répondre à l’aide de la simple raison.

    De la même manière, nous ne pouvons pas simplement dire que F=ma est une définition, en déduire tout de façon purement mathématique, et faire de la mécanique une théorie mathématique, alors que la mécanique est une description de la nature.

    En établissant des postulats convenables, nous pouvons toujours, comme Euclide, forger un système mathématique, mais nous ne pouvons pas faire une mathématique du monde, parce que tôt ou tard nous devons vérifier si les axiomes sont valables pour les objets de la nature. Nous avons à faire alors immédiatement à ces objets de la nature compliqués et « sales », mais avec des approximations augmentant toujours en précision.

    Les considérations précédentes montrent qu’une véritable compréhension des lois de Newton nécessite une discussion des forces, et c’est le but de ce chapitre d’introduire une telle discussion pour compléter en quelque sorte l’étude des lois de Newton. Nous avons déjà étudié les définitions de l’accélération et les notions qui lui sont reliées, à présent nous devons étudier les propriétés des forces, et ce chapitre, à la différence des chapitres précédents, ne sera pas très précis, car les forces sont assez compliquées.

  • Pourquoi la réalité n’obéit pas à la logique formelle comme les mathématiques ?

    Henri Poincaré dans « La Science et l’Hypothèse » :

    « La possibilité même de science mathématique me semble une contradiction insoluble. Si cette science n’est déductive qu’en apparence, d’où lui vient cette parfaite rigueur que personne ne songe à mettre en doute ? Si au contraire toutes les propriétés qu’elle énonce peuvent se tirer les unes des autres par les règles de la logique formelle, comment la mathématique ne se réduit-elle pas à une immense tautologie ?... La géométrie ne s’occupe pas en réalité des solides naturels, elle a pour objet certains solides idéaux, absolument invariables, qui n’en sont qu’une image simplifiée et bien lointaine. La notion de ces corps idéaux est tirée de toutes pièces de notre esprit. »

    Stanislas Dehaene dans « Les formes de la géométrie et l’universalité des intuitions… » :

    « Tous les êtres humains disposent d’intuitions universelles en géométrie élémentaire, quels que soient leur culture et leur niveau d’éducation. »

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