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« Le fonctionnement cérébral comme celui d’autres organes est discontinu dans le temps. » Le biochimiste Ladislas Robert dans « Les temps de la vie ».
« La vie psychique dans son ensemble est frappée de discontinuité. » écrivent les Pragier dans « Repenser la psychanalyse avec les sciences » qui notent que Didier Anzieu parle de « quantités pulsionnelles discontinues ». Ils relèvent que « Freud affirmait dans le commentaire d’un très court fragment du rêve « Irma » que la conscience des représentations oniriques est avant tout discontinue. » C’est au point que la comparaison avec la physique quantique a été réalisée par Simon-Daniel Kipman dans « La rigueur de l’intuition ».
Sylvie et Georges Pragier écrivent dans l’ouvrage déjà cité : « La possibilité d’apparition de changements, liés aux processus auto-organisateurs, représente donc une coupure radicale avec la conception d’une évolution déterministe continue. Le développement de l’organisme s’effectue au contraire sur un mode discontinu, avec des paliers. (…) L’organisation apparaît finalement comme un processus discontinu de désorganisation-réorganisation. » Les discontinuités des états psychiques sont des transitions de phase.
Les neurosciences avaient déjà montré que la vision fonctionne par coupage et recollage, en partageant les éléments d’une scène en éléments traités diversement et séparément avant de les recomposer. Récemment, les travaux du neuroscientifique Stanislas Dehaene ont montré que la lecture des écrits est tout aussi discontinue. Elle découpe en morceaux le mot et les analyse séparément avant d’en recomposer l’interprétation. Dans « Les neurones et la lecture », ce chercheur montre que le mot est décomposé en milliers de fragments envoyés à des neurones différents. Une fois encore, c’est l’IRM a qui a permis ce pas en avant dans la compréhension du fonctionnement du cerveau. Et cela ne signifie pas que la lecture décompose le compliqué en simple et attribue le simple à zone spécifique. Bien au contraire, les zones attribuées effectuent bien d’autres fonctions. Les circuits de la reconnaissance des lettres sont capables aussi de reconnaître des objets ou des visages. La fonction lecture de texte a réutilisé des circuits déjà existants chez l’homme qui ne savait pas lire et les a réarrangés. C’est encore une fois le bricolage créatif que nous appelons aussi auto-organisation ou pilotage du chaos.
La discontinuité est un produit du mode d’organisation de la vie (et même de la matière) qui est de nature quantique : par sauts quantiques. Les « éléments » sont organisés un par un et non par quantités décimales ou « réelles » (des nombres réels). Les éléments réels, par exemple des images psychiques, sont produites par l’émergence, phénomène brutal qui arrive à un seuil. Les éléments ne sont pas fixes ni figés mais produits du désordre virtuel. Ils sont quantiques parce qu’ils sont déterminés par un seuil. Leur apparente fixité provient de la constance de ce seuil. Mais ils ne sont pas décrits par cette constance. Ils ne peuvent être compris que comme éphémèr es produits de la dynamique et non objets fixes marqués par la constance.
Le caractère du psychisme est fondamentalement discontinu parce que les pensées, les images mentales, ont pour propriété de s’autodétruire rapidement sans donner naissance généralement à des images plus durables. C’est seulement l’inhibition de ce processus d’autodestruction qui entraîne l’existence d’une mémoire qui singe la continuité mais n’est elle-même qu’un processus pouvant être inhibé. La discontinuité n’est pas nécessairement la mort puisque l’inhibition est capable de déstructurer la pensée. Mais cette discontinuité a un caractère dialectique puisqu’il peut lui-même être contredit.
Dans « Le sentiment même de soi », le neuroscientifique Antonio R. Damasio montre que son étude de la conscience est celle d’une transition : « J’écris sur le sentiment de soi et sur la transition qui va de l’innocence et de l’ignorance à l’état de connaissance : mon but spécifique est d’examiner les circonstances biologiques qui permettent cette transition cruciale. (…) Il y a trente-deux ans de cela, un homme se trouvait là assis en face de moi (…) Brusquement, l’homme s’est arrêté au beau milieu d’une phrase, son visage a cessé de s’animer, sa bouche s’est figée, encore ouverte, et son visage s’est mis à fixer, dans le vide, un poit du mur derrière moi. Pendant quelques secondes, il est resté sans bouger. J’ai prononcé son nom, mais aucune réponse n’est venue. (…) Pendant un court instant, qui m’a paru des siècles, cet homme a souffert d’une détérioration de la conscience. Neurologiquement parlant, il a été pris d’un accès d’absence suivi d’un automatisme d’absence, deux des manifestations de l’épilepsie, affection causée par un dysfonctionnement cérébral. (…) Le souvenir de cet épisode ne m’a pas quitté, et ce fut un jour faste que celui où j’ai senti que je pouvais en interpréter le sens. J’ignorais alors, chose que je sais à présent, que j’avais été témoin de la transition, tranchante comme le rasoir, entre un esprit pleinement conscient et un esprit privé du sentiment de soi. (…) L’éveil et la conscience ont tendance à aller de pair, même si cette association peut s’interrompre en deux circonstances exceptionnelles. L’une de ces exceptions est celle où nous sommes dans l’état de sommeil onirique. A l’évidence, nous ne sommes pas éveillés durant le sommeil onirique, et pourtant nous avons quelque conscience des événements qui se déroulent dans l’esprit. (…) Un autre renversement spectaculaire de l’association habituelle peut aussi se produire : nous pouvons être éveillés tout en étant privés de conscience. (…) L’absence d’attention manifeste vers un objet extérieur n’est pas nécessairement une dénégation de la présence de la conscience et peut plutôt indiquer que l’attention est dirigée vers un objet interne. (…) Il s’agit d’un état extrêmement transitoire. (…) Les crises d’absence sont l’une des principales variétés d’épilepsie, dans laquelle la conscience est momentanément suspendue ainsi que l’émotion, l’attention et le comportement adéquat. Le trouble s’accompagne d’une anomalie électrique qui apparaît de manière caractéristique dans l’électroencéphalogramme. Les crises d’absence sont très instructives pour qui étudie la conscience, et la crise d’absence type est en fait l’un des plus purs exemples de perte de conscience (…) Brusquement, (…) le patient s’interrompt au beau milieu d’une phrase, se fige dans tel ou tel mouvement qu’il était en train d’accomplir et se met à regarder fixement dans le vide. (…) En sortant de son état figé, le patient regarde autour de lui (…) La conscience s’en est revenue aussi brusquement qu’elle s’en était allée (…) Dans l’intervalle, le patient n’a aucune espèce de souvenir. (…) La suspension de l’émotion est un signe important dans les crises d’absence et dans les automatismes d’absence. (…) La découverte de détériorations parallèles dans la conscience et dans l’émotion paraîtra d’autant plus remarquable que (…) les émotions peuvent être déclenchées de façon non conscientes, à partir de pensées auxquelles on ne prête pas attention, aussi bien qu’à partir d’aspects de nos états corporels qui sont impossibles à percevoir. »
Le sentiment religieux semble avoir une base dans le fonctionnement cérébral. Plus exactement, certains sentiments ou certaines images produites par le cerveau peuvent donner lieu par la personne qui les reçoit à des interprétations religieuses. L’isolement, la privation de nourriture ou de sommeil, l’excitation, la drogue, l’abstinence, ou le cumul de plusieurs d’entre eux provoquent des hallucinations, des visions qui sont autant de phénomènes venus de l’inconscient. L’individu qui en est le siège prend conscience que des idées et des sentiments qu’il n’avait pas formé consciemment se sont imposées à lui, de l’extérieur croit-il. Cela ne signifie certainement pas qu’il faille assimiler l’inconscient avec le spirituel. L’existence de phénomènes inconscients n’a plus aujourd’hui aucun caractère sulfureux, ni étrange ni métaphysique, qu’il avait autrefois. C’est la base des mécanismes de formation de la conscience, comme l’ont montré des neurologues comme Lionel Naccache. La construction d’idées religieuses à partir de ces émotions issues de l’inconscient est du même type que la création artistique ou que l’intuition scientifique : c’est la sublimation des images et des idées inconscientes. D’autre part, l’impression d’un autre qui vous parle est accrue par le dialogue cérébral entre les deux hémisphères cérébraux. On a parfois l’impression réelle d’un tel dialogue dans le sens : j’y vais, j’y vais pas, je le fais, je ne le fais pas. Enfin, certains circuits cérébraux et certaines images mentales semblent, d’après certains neurologues, accentuer ce sentiment religieux (sentiment d’une présence ou d’une parole qui leur communique directement des idées, des images ou des sentiments) chez certains patients particulièrement réceptifs. Ceux-ci peuvent croire réellement recevoir une parole venue d’ailleurs. Le reste a un caractère social et historique. C’est la manière dont une société reçoit un tel message, le besoin qu’elle en a et l’usage qu’elle en fait. Dans ce domaine, avant même le type de la prétendue révélation, c’est le type de société et ses besoins idéologiques mais aussi politiques et sociaux qui sont en cause et qui dictent des réponses sur le type de religion. Telle serait « l’origine d’une illusion », pour reprendre l’expression de Freud.