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Freud et les neurosciences

samedi 19 septembre 2009, par Robert Paris

"Toutes nos conceptions provisoires, en psychologie, devront un jour être placées sur la base de supports organiques."

Freud en 1914

"L’édifice doctrinal de la psychanalyse (...) est en réalité une superstructure qui doit être assise un jour sur ses fondations organiques ; mais nous ne les connaissons pas encore."

Freud en 1916

Colloque neurosciences et psychanalyse

"J’interprète, donc je suis. Nous sommes tous les romanciers de notre propre vie. la fiction est source de notre liberté. (...)

Freud mit au jour un rouage essentiel de notre conscience : précisément ce besoin vital d’interpréter, de donner du sens, d’inventer à travers des constructions imaginaires. Nous commençons à connaître aujourd’hui la réalié cérébrale de ces fictions mentales qui gouvernent notre pensée consciente. Nous les avons rencontrées en pleine action avec les patients au cerveau divisé, avec les patients souffrant de négligence et in fine avec chacun d’entre nous. (...) La psychanalyse freudienne me semble véhiculer cet art de composer notre existence sous la forme de ce roman sans cesse révisé que nous n’achevons jamais d’écrire."

Le neurologue Lionel Naccache dans "Le nouvel inconscient"

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Lire également :

2–I-0 Les neurosciences peuvent-elles répondre à la question : Freud avait-il raison ?

2–I–1 Relire Freud aujourd’hui

2-I-2 Psychanalyse et physiologie

2–I-3 Les neurosciences peuvent-elles nous éclairer sur la validité de la notion de l’inconscient freudien ?

2-I-4 Psychanalyse et dialectique

2-I-5 Psychisme et discontinuité

2-I-6 Psychanalyse et chaos déterministe

2-I-7 Freud, la religion et l’idéologie sociale

2-I-8 Comment fonctionnent la conscience et l’inconscience ?

2-I-9 Psychanalyse et sociologie, d’après Malinovsky

2-1-10 Totem et tabou : psychanalyse et anthropologie

A l’extérieur du site :

Neurosciences cognitives

Le point de vue de Georges Pommier -


« Le sentiment conscient d’une émotion n’est certainement pas indispensable au fonctionnement des systèmes émotionnels. La plupart des réactions émotionnelles sont générées inconsciemment. Freud avait parfaitement raison de comparer la conscience avec la partie émergée de l’iceberg mental. » Le neurologue Joseph LeDoux dans « Le cerveau émotionnel »

« Nous reconnaissons dans l’ « inconscient » de Freud une immense découverte psychologique qui a révolutionné la connaissance que nous avons de nous-mêmes. (…) Cette clé de la conscience découverte par Freud, à son insu, peut aujourd’hui pleinement être comprise à la lumière d’expériences récentes des neurosciences de l’esprit. » Le neurologue Lionel Naccache dans « Le nouvel inconscient »

« L’imagerie cérébrale fonctionnelle, qui utilise actuellement de nombreuses techniques complémentaires, permet d’observer avec une résolution spatiale et une précision temporelle parfois très fines, un cerveau « en action ». Grâce à elle, il devient donc enfin possible de mettre en images notre inconscient cognitif ainsi que notre conscience. (…) Nous sommes maintenant prêts à aborder la question (…) : Freud avait-il raison ? Sa définition de l’inconscient se superpose-t-elle aisément avec celle qui est formulée aujourd’hui par les neurosciences ? » Le neurologue Lionel Naccache dans « Le nouvel inconscient »

« La physique et la biologie contemporains rejoignent spectaculairement certaines intuitions prémonitoires de Freud. » Le psychanalyste Georges Pragier dans « Repenser la psychanalyse avec les sciences »

"Nous avons montré que des mémoires émotionnelles peuvent être supprimées en deux étapes par des mécanismes neuronaux : d’abord la suppression du message par le gyrus frontal inférieur droit agissant sur des régions qui sont concernées par les comportements sensoriels de la représentation de la mémoire (cortex visuel, thalamus) suivi par une deuxième étape dans laquelle le gyrus front médial droit contrôle des régions concernant le comportement émotionnel de la représentation de la mémoire (hippocampe, amygdale) (...)"
Extrait de "Les régions préfrontales orchestrent la suppression de mémoires émotionnelles en deux phases"
par Brendan, Depue, Curran et Banich

Il peut sembler absurde de demander aux neurosciences de confirmer la méthode psychanalytique. Et ce fondamentalement pour deux raisons. La première est que la méthode de soins psychanalytique est exclusivement psychologique. Le psychanalyste n’est pas un médecin, n’administre aucun médicament et ne traite pas physiologiquement une zone malade. La deuxième provient du fait que les maladies étudiées sont celles qui ne correspondent à aucune lésion physique du cerveau ni aucune lésion du réseau neuronal ou d’aucune zone du corps. Et cependant nous allons voir que les études neurologiques permettent de discuter de la validité des idées de Freud sur les mécanismes conscient et inconscient. En effet, elles permettent de raisonner sur le mécanisme général du cerveau, y compris les personnes qui n’ont aucune maladie névrotique. Du coup, elles peuvent servir de fondement à certaines idées de la psychanalyse.

Les neurosciences utilisent des méthodes très modernes et des technologies de pointe. La plus connue est l’imagerie à résonance magnétique encore appelée IRM. On trouve d’autres méthodes de visualisations comme la tomographie par émission positons ou TEP. Ces méthodes, qui imagent le déplacement électrique au sein du réseau neuronal, sont couplées à une visualisation sur ordinateur en trois dimensions. On peut visualiser des images figées mais aussi des évolutions des liaisons au sein du cerveau. Les derniers développements techniques employés par la neurologie sont décrits ici par Antonio R. Damasio dans « Le sentiment même de soi » : « Une aire d’activité cérébrale accrue ou affaiblie est révélée par une tomographie par émission de positons (TEP) ou par un scanner d’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRM). De tels scanners peuvent être utilisés non seulement chez les patients neurologiquement atteints, mais aussi chez des humains qui n’ont pas de maladie cérébrale. (…) Voici un autre moyen : un changement dans la réaction de conduction électrique mesuré dans la peau ; ou un changement dans les potentiels électriques et les champs magnétiques correspondants, mesuré à partir du cuir chevelu. » De nombreux auteurs ont relevé que les neurosciences deviennent capables de confirmer ou d’infirmer les découvertes de Freud. Citons l’ouvrage de Lionel Naccache intitulé « Le nouvel inconscient », celui de des Pragier intitulé « Repenser la psychanalyse avec les sciences », ou « Le projet de psychologie scientifique de Freud : un nouveau regard », ou encore « Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse » de G. Pommier

C’est en se fondant sur trois domaines, la psychologie cognitive, l’imagerie cérébrale et enfin la neuropsychologie clinique que le neurologue Lionel Naccache vérifie la validité des idées de Freud à lueur de ces études récentes en neurosciences. Avant d’examiner sa manière de raisonner sur ces questions, rappelons en quoi consistent ces expériences nouvelles. En effet, pour faire des expériences sur l’inconscient, Freud disposait d’un matériau humain et de connaissances purent psychologiques. Il disposait du langage, celui qu’on échange avec le patient. Il disposait de quelques connaissances sur les actes manqués, sur la censure que chacun exerce sur ses sentiments et sur ses pensées. Il disposait de son étude sur l’interprétation des rêves qui apparaissaient comme une interaction entre réel et virtuel, entre conscient et inconscient. Il ne disposait d’aucune connaissance sur la physiologie des émotions. Il ne disposait d’aucune expérience permettait de mettre en évidence directement l’existence de l’inconscient. Qu’en est-il aujourd’hui ? Dans le fonctionnement inconscient du cerveau, il y a d’abord une grande part du pilotage du corps. Antonio Damasio écrit dans « Le sentiment même de soi » : « Les processus en jeu au niveau du tronc cérébral et de l’hypothalamus sont capables de coordonner de manière inconsciente et parfaitement efficace le fonctionnement du cœur, des poumons, des reins, du système endocrine et du système immunologique de telle sorte que les paramètres vitaux soient maintenus au sein de la fourchette pertinente. »

On dispose désormais d’expériences qui mettent en évidence un autre inconscient, celui qui a trait à des fonctions beaucoup plus élevées :

1°) A la fin 2007, le neuroscientifique américain Brendan Depue et ses collègues Tim Curran et Marie Banich du centre de neurosciences et de l’institut des sciences cognitives de l’université de Colorado à Denver ont découvert un mécanisme permettant d’effacer des images et des souvenirs. C’est le cortex préfrontal qui piloterait ce mécanisme d’oubli d’un souvenir grâce au gyrus frontal inférieur droit agissant sur le cortex visuel et le thalamus. Ensuite, le gyrus frontal médian droit va contrôler (dans ce cas réprimer) l’hippocampe et l’amygdale. Dans ce type de répression, il ne s’agit pas à proprement parler de suppression mais d’un classement de l’information à part, hors de portée de la conscience, comme l’avait pensé Freud. Brendan Depue écrit : « Ce processus nettoie la conscience mais sans effacer le souvenir. » Cette recherche s’appuie sur une technique IRME d’imagerie cérébrale permettant de traquer les voies par lesquelles s’opère le blocage des souvenirs. Il a fallu prendre sur le fait le cerveau en train d’envoyer des informations hors d’accès de la conscience. On a remarqué que le cortex préfrontal était activé puis les émotions et la mémoire désactivés.

2°) François Ansernet, psychiatre et psychanalyste, professeur à l’Université de Genève et Pierre Magistretti, neurobiologiste, professeur à l’école polytechnique fédérale de Lausanne expliquent que l’inconscient et le conscient proviennent de la plasticité synaptique. Les synapses sont activées par le passage d’une information. Les synapses se réarrangent entre elles. Lorsqu’on réactive un souvenir la trace de cette réorganisation est réactivée. Il existerait des mécanismes de réarrangement des synapses accessibles à la conscience et d’autres pas. La synapse est, rappelons-le, la zone de contact la dendrite d’un neurone et l’axone d’un autre neurone. Il n’y a pas de continuité dans les relations inter-neuronales. La synapse est donc la discontinuité de la relation neuronale. Plus la synapse est stimulée, plus elle est efficace. C’est ce que l’on appelle la potentialisation à long terme. Ansermet écrit : « On peut donc s’affranchir du passé. » Et Ansermet rajoute : « Il a été démontré que lorsqu’on réactive un souvenir, cette trace devient labile, on peut la renforcer ou l’atténuer selon un processus appelé reconsolidation. (…) Même si des événements de la petite enfance laissent des traces, celles-ci peuvent être remises en jeu, pourquoi pas par la voie d’une psychanalyse. » (dans « A chacun son cerveau »)

A ceux qui opposent psychologie et neurologie, il convient de rappeler par exemple que c’est le psychologue Donald O. Hebb qui, dès 1949, avait énoncé le principe de l’efficacité synaptique : plus une synapse est utilisée, plus elle est efficace. Cette idée avait attendu les expériences d’Eric Kandel en 1970 pour être confirmée.

3°) Le mécanisme neuronal est fondé sur une rétroaction de trois phénomènes de remaniements des réseaux neuronaux, avec trois durées caractéristiques différentes :
 La potentialisation à long terme qui renforce l’efficacité des synapses plus celles-ci sont sollicitées et qui correspond à des temps de l’ordre de la milliseconde (maximum une seconde). Inversement, la dépression à long terme qui rend les synapses de moins en moins efficaces moins elles sont sollicitées du fait de l’absence de circulation nerveuse.
 Un processus qui peut prendre de quelques minutes à quelques heures lance une série de réactions chimiques qui activent les gènes du noyau du neurone pour la production de nouvelles connexions du neurone avec l’extérieur, de nouvelles synapses. Des brins d’ARN messagers amarrés à la base des épines dendritiques synthétisent également de nouveaux récepteurs qui augmentent encore l’efficacité de la synapse.
 En quelques jours ou une semaine, les réseaux modifiés peuvent être stabilisés (mémoire à long terme) en intégrant de nouveaux neurones dans l’hippocampe ou le bulbe olfactif. De nouveaux neurones se fixent s’il y a une expérience nécessitant une plus grande capacité neuronale. Sinon, ils meurent. De ces trois rétroactions, dépend la mémoire neuronale, c’est-à-dire la capacité à évoquer des circuits neuronaux qui ont été déjà activés.

Il existe une vision consciente et une vision inconsciente, plus rapide. Le biochimiste Ladislas Robert fait remarquer, dans « Les temps de la vie », l’existence de deux mécanismes, un lent (conscient) et un rapide (incoscient), qui sont interactifs : « Ainsi pour les réactions visuelles, on a noté deux types de temps de réponse, des réactions précoces, transmises rapidement et des réactions plus lentes, plus soutenues. Ces deux types de réponse temporelle paraissent correspondre à deux voies empruntées par la communication des stimuli visuels (voie dorsale pour les rapides, voie ventrale pour les lents). Le passage d’information concernant les mouvements et les positions spatiales dans le cortex des primates serait rapide ( 28 millisecondes) tandis que le passage des informations concernant la forme, la couleur serait plus lent ( 39 millisecondes). (...) Il existe des interférences et des régulations de type rétroaction négative ou positive (...) ce qui explique le temps de réaction de 200 millisecondes mesurées pour l’homme pour la simple reconnaissance (de visage par exemple) (...). »

Quel est le lien entre vitesse et inhibition ? L’expérience de Libet, confirmée par les dernières expériences du neurobiologiste Patrick Haggard, montre un décalage temporel entre l’information du cerveau et la conscience. Antonio Damasio écrit dans « Le sentiment même de soi » : « L’idée selon laquelle la conscience est en retard, relativement à l’entité qui est à l’origine du processus de conscience, se voit renforcée par les expériences pionnières menées par Benjamin Libet sur le temps que met un stimulus à être rendu conscient. Nous sommes probablement en retard pour la conscience de près de cinq cent millisecondes." Les métaphysiciens ont voulu en tirer la preuve de l’existence d’un univers non matériel, de type spirituel. En fait, l’information inconsciente a précédé l’information consciente. Patrick Philipon explique dans « La Recherche » de janvier 2007 : « Parmi les innombrables stimuli visuels qui nous assaillent à chaque instant, certains sont si discrets que nous ne les percevons pas." Une équipe de l’université de Boston montre que ces messages invisibles sont paradoxalement les plus perturbants (« Science » – 2006). (...) « Il y a vingt ans, les résultats sur les stimuli subliminaux étaient très contestés. Aujourd’hui l’imagerie cérébrale montre qu’ils sont effectivement détectés et traités par le cerveau » constate Axel Cleermans, professeur à l’université libre de Bruxelles. » Patrick Philipon explique l’hypothèse que vérifient ces scientifiques : il s’agirait d’une action des vues subliminales sur le cortex latéral préfrontal. « Cette aire intervient pour inhiber l’activité du cortex visuel : elle filtre le signal non approprié. En revanche, lorsque le signal est subliminal, il serait suffisant pour induire une activité parasite du cortex visuel mais pas assez pour déclencher une inhibition par le latéral préfrontal. » Le phénomène serait donc une inhibition de l’inhibition par la rapidité du phénomène trop grande pour susciter sa propre inhibition !

Le neurologue Lionel Naccache affirme dans « Le nouvel inconscient » que les expériences en neurosciences les plus récentes prouvent que Freud avait découvert le mécanisme de la conscience, et pas seulement un domaine à part : l’inconscient. Il explique d’autre part que ce fameux domaine de l’inconscient n’est pas cantonné à des fonctions automatiques, réflexes ou inférieures mais concerne également le cortex et les fonctions supérieures comme compter, écrire, raisonner.

Naccache commence par rappeler les expériences montrant que parallèlement à la vision consciente, où nous savons que nous avons vu, existe une vision inconsciente dans laquelle notre cerveau est informée mais nous ne sommes pas mis au courant de cette information.

En 1972, l’étude d’une maladie appelée la vision aveugle qui est une cécité partielle, fondée sur une réduction du champ de vision d’origine neurologique a permis à trois chercheurs du MIT, Poppel, Held et Frost de démontrer que les patients voyaient des choses dont ils n’avaient pas conscience. Si la psychanalyse demande au patient de se remémorer des souvenirs qui sont refoulés dans l’inconscient, ces chercheurs ont demandé aux malades de vision partiellement supprimée ce qu’ils avaient vu hors du champ de leur vision. Bien entendu, ils ont tous commencé par répondre qu’ils n’avaient bien sûr rien vu. Les chercheurs ont démontré que, si leur conscience n’était pas capable de voir dans cette direction où ils étaient aveugles, leur cerveau avait bel et bien vu quelque chose. C’était une véritable preuve de la réalité de processus cognitifs inconscients. Cela démontrait également la possibilité d’amener le patient à s’informer par la voie inconsciente. Cette démarche étant le fondement même de la thérapie psychanalytique, c’était déjà une avancée considérable pour la psychanalyse. Pourtant, comme on l’a dit, il s’agissait d’une maladie empêchant physiquement, du fait d’une maladie physique du cerveau, de voir dans toute une partie du champ de vision. Depuis, cette expérience a été vérifiée et affinée. Il est clair que notre cerveau voit beaucoup plus de choses que celles dont notre conscience est informée. Si les premières expériences se contentaient de flashs lumineux, celles de Larry Weiskrantz et Béatrice de Gelder démontrèrent en 1999 l’existence de la vision inconsciente sur des images de visages humains et la reconnaissance sur ces visages de la peur, de la haine ou de la joie.

Une autre expérience concernant la reconnaissance des visages a été menée par Bauer, Tranel et Damasio en 1984 chez des patients ayant un autre type de maladie neurologique. Ils étaient incapables du fait d’une lésion des lobes temporaux de distinguer les visages humains et les sentiments dont ils sont porteurs. Ils ont montré aux malades des photos et enregistré la réponse électrodermale à chaque fois. Les visages n’étaient pas reconnus consciemment mais l’enregistrement électrique montrait que le cerveau avait reconnu les visages familiers et les sentiments dont ils étaient porteurs. Les travaux des chercheurs allaient parvenir à distinguer le circuit neuronal responsable de la vision consciente de celui responsable de la vision inconsciente. La vision inconsciente possède un circuit neuronal encore appelé « la voie ventrale », ou voie du colliculus supérieur, qui est un cheminement de l’information visuelle beaucoup plus rapide que la voie consciente. L’étude a porté sur des malades dont la voie consciente de vision était lésée. En 1997, Arash Sahraïe et Larry Weiskrantz ont enregistré les variations d’activité cérébrale concomitantes à la perception visuelle. Une IRM était réalisée pendant qu’on projetait au patient des stimuli visuels. La cible visuelle se déplaçait pendant l’expérience et le patient pouvait dire dans quel sens la cible s’était déplacée alors qu’elle était invisible consciemment. En comparant l’activité du cerveau hors envoi de stimulus dans la zone sans vision et celle après l’expérience, les chercheurs ont montré l’activation d’un circuit neuronal : celui de la vision inconsciente : une voie sous-corticale empruntant le colliculus supérieur. Cette voie n’est pas utilisée par la vision consciente qui, elle, utilise le cortex visuel primaire, cette petite zone du cortex occipital qui était justement lésée chez les malades. Lionel Naccache précise : « Il s’agit bel et bien d’un circuit visuel parallèle qui comporte de nombreuses ramifications. » C’est ce circuit qui était activé quand DeGelder et Weiskrantz présentaient des visages effrayés au champ aveugle d’un malade. Naccache rapporte : « Le résultat vraiment stupéfiant de cette étude fut de démontrer que l’amygdale continuait à être activée par les visages effrayés même lorsque ces derniers étaient présentés dans la partie aveugle du champ visuel. Et pourtant, dans cette situation, le cortex visuel primaire correspondant était détruit, les aires visuelles corticales associées au traitement des visages ne recevaient pas d’informations visuelles et elles ne s’activaient tout simplement pas. (…) Ce travail expérimental démontre à nouveau, par une voie indirecte cette fois, que c’est effectivement la voie sous-corticale empruntant le colliculus supérieur qui est capable d’informer l’amygdale de la présence de cet objet visuel. Cette mise en relation de certains aspects de la perception inconsciente des patients « blindsights » avec l’activation de l’amygdale renforce considérablement l’hypothèse de l’existence de processus émotionnels inconscients chez ces malades. (…) Ce qui nous apparaissait comme l’apanage de certains patients se révélera bientôt comme une manifestation « extrême » de propriétés très générales de la cognition humaine qui opèrent chez tout un chacun. (…) Chaque individu possède ce que l’on appelle un seuil de durée de l’image cible, seuil en dessous duquel il n’en fait plus l’expérience consciente (…) C’est précisément dans ce cas de figure que l’on parlera de « perception subliminale » (…) Paul Whalen eut le premier l’idée d’utiliser cette technique de perception visuelle masquée pour essayer de « transformer » un sujet neurologiquement sain en patient « blindsight, c’est-à-dire de lui présenter des stimuli visuels qu’il serait incapable de percevoir consciemment. » En 1992, Goodale et Milner démontrent l’existence de ces deux systèmes visuels, l’un conscient et l’autre inconscient. Milner explique en 1998 : « Nous avons deux systèmes visuels largement indépendants. L’un d’entre eux est dédié au guidage rapide et précis de nos mouvements (…) et il siège à l’extérieur du royaume de notre conscience visuelle. » C’est une découverte fondamentale parce qu’elle prouve définitivement que l’inconscient n’est pas limité à des fonctions inférieures ou élémentaires ni animales. D’autre part, la relation entre conscient et inconscient est une composition entre les deux et non une simple opposition. Enfin, elle correspond à une relation entre le lent et le rapide. Et il s’agit cependant d’une opposition comme le rappelle Lionel Naccache dans « Le nouvel inconscient » : « L’opposition est ici claire entre un guidage conscient, lent mais contrôlable, et un guidage rapide mais automatique et relativement autonome ! L’ensemble de ces résultats sont actuellement interprétés comme des dissociations entre des dissociations entre des traitements visuo-moteurs médiés par la voie dorsale dont les computations ne participent pas à notre conscience phénoménale visuelle, et des traitements visuels sous-tendus par la voie ventrale qui participeraient, eux, à notre perception consciente. (…) Milner affirme ainsi : « Nous avons deux systèmes visuels largement indépendants. L’un d’entre eux est dédié au guidage rapide et précis de nos mouvements et il siège à l’extérieur du royaume de notre conscience visuelle. Le second semble nous procurer notre phénoménologie perceptive. » (…). Un dernier exemple saisissant est fourni par les patients atteints du syndrome de Charles Bonnet. Ce syndrome est défini par la survenue d’hallucinations visuelles chez des patients malvoyants. (…) Récemment, Flytche a montré en 1998, en IRM fonctionnelle, que chez de tels patients le contenu des hallucinations est associé à l’hyperactivité des régions cérébrales correspondantes de la voie ventrale. (…) En 1988, deux psychologues anglais experts de la négligence John Marshall et Peter Halligan, rapportèrent dans « Nature » un résultat spectaculaire qui suggérait fortement que cette voie visuelle ventrale anatomiquement saine continuait effectivement à représenter inconsciemment la partie gauche de l’univers de ces patients. »

Lionel Naccache rapporte, dans le même ouvrage, que l’étude de « la négligence » manifeste un lien entre conscience et inconscient mis en évidence par les neurologues : il suffit d’un manque d’attention pour passer de la conscience à l’inconscient. « Dans les années 1970 et 1980, Jean-Denis Degos, Dominique Laplane et leurs collègues ont identifié des comportements de « sous-utilisation motrice (…) Le malade semble paralysé. En réalité, il ne porte plus du tout son attention sur la moitié gauche de son corps et il ne pense même plus à la mouvoir ! Il existe donc une transformation majeure du schéma corporel qui peut parfois atteindre d’incroyables situations dans lesquelles le patient ne reconnaît plus comme sien son bras ou sa jambe gauche, voire la moitié gauche de son corps ! (…) Une superbe étude réalisée en IRM fonctionnelle par Geraint Rees et ses collègues londoniens en 2000 était fondée sur l’étude d’un patient négligent auquel on présentait des images comportant des visages à gauche et des maisons situées à droite. Le patient ne voyait consciemment que les maisons situées à droite et négligeait les visages situés à gauche. (…) Sans la moindre équivoque, les images acquises par Rees révélèrent que ces visages négligés étaient inconsciemment traités par le cerveau du patient, précisément par le cortex visuel primaire et par la voie visuelle ventrale ! Ainsi, cette voie visuelle ventrale qui était postulée par Milner et d’autres comme étant le corrélat de notre perception visuelle consciente pouvait s’activer inconsciemment. (…) Ce résultat important fut ensuite répliqué par plusieurs études d’imagerie cérébrale fonctionnelle chez des patients négligents.. »

Lionel Naccache souligne le lien apporté par la psychanalyse de Freud entre inconscience et conscience, entre imaginaire et idées conscientes sur le monde. C’est notre imaginaire inconscient qui nous offre des réponses pour que notre interprétation consciente puisse choisir des visions de notre univers : « Freud mit au jour un rouage essentiel de notre conscience : précisément ce besoin vital d’interpréter, de donner du sens, d’inventer à travers des constructions imaginaires. Nous commençons à connaître aujourd’hui la réalité cérébrale de ces fictions mentales qui gouvernent notre pensée consciente. »

Antonio R. Damasio rapporte le lien entre émotion et amygdale et le lien entre conscience et émotion : « Il y a près de dix ans, une jeune femme, que je désignerai par S, attira mon attention en raison de ce que faisait apparaître la tomodensitométrie de son cerveau. De manière tout à fait inattendue, son scanner révélait que les deux amygdales étaient presque entièrement calcifiées. (…) Tout autour des deux amygdales, le cerveau de S était parfaitement normal. (…) D’un côté S n’avait aucune difficulté à apprendre les faits. (…) D’un autre côté, son comportement social démontrait une déviation constante par rapport à sa tonalité émotionnelle dominante. C’est comme si les émotions négatives telles que la peur et la colère avaient disparu de son vocabulaire affectif, laissant les émotions positives dominer sa vie. (…) Toutes ces suppositions devaient se transformer en faits lorsque Ralph Adolphs me rejoignit au laboratoire. En faisant appel à toute une série de techniques (…) fut en mesure de suggérer que la déviation affective était la plupart du temps causée par la détérioration d’une émotion : la peur. En utilisant une technique d’échelle multidimensionnelle, voici ce que montra Adolphs : S est en permanence incapable de lire l’expression de la peur sur le visage d’une autre personne (…) » Il est remarquable que la santé consiste en l’existence d’émotions positives et négatives, l’état pathologique consiste à l’inhibition de la moitié de ces émotions, de leurs contradictions, de la diminution du nombre de paramètres de l’attracteur et la trop grande régularité qui en découle.

à suivre...

Les conclusions du neurologue Lionel Naccache
dans "Le nouvel inconscient" :

"La première constatation qui s’impose est que plusieurs considérations freudiennes sur la nature, le contenu et les propriétés de l’inconscient manifestent d’indiscutables convergences avec la description qu’en donnent aujourd’hui les sciences de la cognition. Si l’on se souvient du caractère très laborieux et longtemps incertain de la découverte, par les neurosciences, de la richesse insoupçonnée de certaines de nos représentations mentales inconscientes, on ne peut qu’être frappé par la clairvoyance et l’intelligence visionnaire de Freud. Dès 1896, il formule ainsi explicitement l’existence d’une authentique "idéation inconsciente" dans un article intitulé "L’hérédité et l’étiologie des névroses" publié en français dans la "Revue neurologique". Accorder à certaines de nos productions mentales inconscientes le statut d’idéation signifie que pour Freud, jeune neurologue éduqué dans la tradition jacksonienne, cette vie psychique inconsciente ne se résume pas à des chaînes de réflexes nerveux plus ou moins complexes, mais qu’elle peut atteindre des processus d’élaboration de contenus mentaux riches et abstraits.
Il est difficile à un psychologue cognitiviste contemporain de ne pas prendre conscience du fait qu’exactement cent ans plus tard, greenwald rapporta dans le plus grand organe de communication scientifique, la revue "Science", des données expérimentales venant confirmer cette intuition de l’existence de traitements sémantiques inconscients. (...) En 1900, Freud écrivait dans "L’interprétation des rêves", (...) que "les activités de pensée les plus compliquées peuvent se produire sans que la conscience y prenne part." (...)
Freud insiste à plusieurs reprises sur le statut initial nécessairement inconscient d’une représentation mentale, avant qu’elle ne puisse éventuellement accéder à la conscience du sujet. Il écrit par exemple : "L’inconscience est une phase régulière et inévitable des processus qui constituent notre activité psychique ; tout acte psychique commence en tant qu’acte inconscient, qu’il peut soit le demeurer, soit se développer jusqu’à la conscience." (dans "Métapsychologies"). (...) Freud réaffirmera cette idée centrale selon laquelle "Chaque processus (psychique) fait d’abord partie du système psychique de l’inconscient et qu’il peut ensuite, dans certaines circonstances, passer dans le système du conscient." (dans "Introduction à la psychanalyse")
"(...) Cette hypothèse théorique est en parfaite harmonie avec la description neuroscientifique contemporaine de la dynamique des représentations mentales, notamment dans le champ de la perception. lorsqu’un objet visuel est projeté sur nos rétines, nous avons vu comment plusieurs régions de notre cortex visuel en élaborent de multiples représentations, dont nous n’avons initialement pas conscience. Ce n’est que dans une seconde étape que certaines de ces représentations font parfois l’objet d’une amplification attentionnelle qui s’accompagne d’un accès à notre conscience phénoménale. (...) Lors d’une expérience perception subliminale, cette seconde étape est également avortée, et seules ces représentations perceptives inconscientes sont à l’œuvre dans notre esprit. (...) Dès les années 1980, Benjamin Libet avait astucieusement montré à travers une série d’expériences qu’au moment où nous pensons prendre une décision (...) les régions de notre cerveau impliquées dans la genèse des ordres moteurs sont quant à elles déjà à l’oeuvre depuis plusieurs dixièmes de seconde. (Libet 1982-1983). Il existe donc préalablement à notre volonté consciente une représentation mentale inconsciente de cette "intention" à venir ! (...) les travaux de Libet signifient plutôt que, lorsque nous décidons consciemment d’une action, nous sélectionnons parmi les innombrables actions potentielles qui sont inconsciemment représentées en permanence dans notre esprit celle qui répond à nos attentes et motivations conscientes. (...) Freud écrit : "L’inconscience est une phase régulière et inévitable des processus qui constituent notre activité psychique ; tout acte psychique commence en tant qu’acte inconscient, et il peut soit le demeurer, soit se développer jusqu’à la conscience, selon qu’il rencontre de la résistance ou non. La distinction entre activité préconsciente et activité inconsciente n’est pas primaire, mais se trouve établie après que le rejet est intervenu."
"Freud évoque ici le processus de refoulement inconscient qui interdit ou autorise l’accès d’une idée inconsciente à l’espace potentiellement conscient. (...)
Quel est, selon Freud, le mécanisme qui permet à une représentation mentale inconsciente d’accéder à notre contenu conscient ? Nous serons là encore surpris de la proximité des idées de Freud avec les nôtres en lisant dans "L’interprétation des rêves" le passage suivant : "Le fait de devenir conscient dépend de l’orientation d’une certaine fonction psychique, l’attention, qui, semble-t-il, ne peut être dispensée qu’en certaines quantités et qui peut être détournée des pensées en question par d’autres buts. (...) Notre réflexion consciente nous montre que notre attention suit une voie déterminée. Si nous rencontrons sur notre route une représentation qui ne résiste pas à la critique, (...) nous laissons tomber l’investissement d’attention. Or il semble bien que les pensées abandonnées puissent suivre leur cours sans que l’attention se reporte sur elles ; elles ne forcent que lorsqu’elles atteignent une intensité particulièrement élevée."
(…) L’intuition commune suggérait plutôt de n’accorder de place qu’à deux représentations mentales : celles dont nous avons conscience et celles dont nous n’avons pas conscience. Les conceptions médicales, psychologiques et scientifiques antérieures à celles de Freud s’accordaient d’ailleurs sur ce point à l’intuition commune. Il existerait un « seuil d’intensité psychologique » de nos représentations mentales, seuil au dessous duquel elles demeureraient inconscientes, c’est-à-dire subconscientes. (…) Pourtant, sur la seule base de ses études cliniques, Freud a très tôt ressenti le besoin de réviser ce modèle, et d’introduire une nuance supplémentaire au sein même de cet inconscient descriptif, défini jusqu’alors comme le simple négatif de notre contenu conscient. Ainsi qu’il l’écrit dès 1912 (dans « Métapsychologies ») (…) : « Nous étions habitués à penser que toute idée latente l’était parce qu’elle était faible et qu’elle est devenue consciente dès qu’elle est devenue forte. Nous avons maintenant acquis la conviction qu’il existe des pensées latentes qui ne pénètrent pas dans la conscience, quelle que soit la force à laquelle elles ont pu y parvenir. (…) Nous réserverons le terme inconscient (…) à des idées possédant un certain caractère dynamique, des idées qui restent à l’écart de la conscience en dépit de leur intensité et de leur activité. » (…) Freud le premier a annoncé l’existence de représentations mentales qui demeuraient inconscientes malgré un niveau d’activité « supraliminaire ». La nature psychologique de l’inconscient ne se résume donc pas à la question de l’intensité des objets mentaux représentés mais elle nécessite de faire intervenir un « facteur supplémentaire ». Quelle est l’identité de ce mystérieux facteur ? Riches d’un siècle de recherches neuroscientifiques que Freud n’a pas connues, nous sommes à présent prêts à répondre à cette question à la lumière de notre modèle théorique neuroscientifique du mental. Pour accéder à la conscience une représentation mentale inconsciente doit certes dépasser un niveau d’ »intensité psychologique » et une durée de vie minimaux, afin d’autoriser le mécanisme d’amplification attentionnelle indispensable à la prise de conscience. (…) Néanmoins, nous avons également appris que cette notion de seuil ne suffisait pas. Le facteur supplémentaire est, pour les neurosciences cognitives, celui de la mise en relation de cette représentation mentale inconsciente avec l’espace de travail global. (…) D’autre part, si le système de mise en relation, c’est-à-dire le mécanisme d’amplification attentionnelle, est indisponible du fait d’une situation pathologique (la négligence) ou parce qu’il est occupé à d’autre tâches, là encore la représentation mentale inconsciente échouera à pénétrer dans notre espace conscient, quand bien même elle se situe au-delà des fameux seuils d’intensité et de durée minimums. (…) Quelle est selon Freud la nature de ce « facteur supplémentaire » indispensable à la prise de conscience, en dehors du facteur d’intensité, d’une représentation mentale ? (…) Freud écrit en 1914 : « Le refoulement est à présent le pilier sur lequel repose l’édifice de la psychanalyse. » (…) « Le refoulement est ce processus par lequel un acte apte à la conscience (…) est rendu inconscient. » (dans son « Introduction à la psychanalyse »)." Freud rappelle que la notion de conflit est indispensable à la compréhension du fonctionnement psychique : conflit entre le moi et la sexualité, comme on l’a lu précédemment, conflit entre désir et refoulement, conflit qui n’est pas en soi pathogène :
« Chez des personnes en pleine santé qui sont frappés d’une affection névrotique, on trouve régulièrement les indices d’une opposition de désirs ou, comme nous avons l’habitude de nous exprimer, d’un conflit psychique. Une partie de la personnalité manifeste certains désirs, une autre partie s’y oppose et les repousse. Sans un conflit de ce genre, il n’y a pas de névrose. Il n’y aurait d’ailleurs là rien de singulier. Vous savez que notre vie psychique est constamment remuée par des conflits dont il nous incombe de trouver la solution. Pour qu’un pareil conflit devienne pathogène, il faut donc des conditions particulières. (…) Le conflit est provoqué par la privation, la libido à laquelle est refusée la satisfaction normale étant obligée de chercher d’autres objets et voies. Il a pour condition la désapprobation que ces autres voies et objets provoquent de la part d’une certaine fraction de la personnalité : il en résulte un veto qui rend d’abord le nouveau mode de satisfaction impossible. »

Le neurologue Naccache relève que des expériences ont rendu caduque au moins une partie de ce point de vue puisqu’on a constaté la possibilité de processus conscients et volontaires de refoulement. D’où son avis selon lequel le mécanisme qu’a découvert Freud n’est pas celui de l’inconscient mais celui du fonctionnement de la conscience : « Freud mit au jour un rouage essentiel de notre conscience : précisément ce besoin vital d’interpréter, de donner du sens, d’inventer à travers des constructions imaginaires. Nous commençons à connaître aujourd’hui la réalité cérébrale de ces fictions mentales qui gouvernent notre pensée consciente. »

Un commentaire sur l’ouvrage de Naccache

Freud et neurosciences en anglais

Messages

  • « Le moi inconscient ou, comme on dit, le moi subliminal, joue un rôle capital dans l’invention mathématique […] le moi subliminal n’est nullement inférieur au moi conscient ; il n’est pas purement automatique, il est capable de discernement, il a du tact, de la délicatesse ; il sait choisir, il sait deviner…les phénomènes inconscients privilégiés, ceux qui sont susceptibles de devenir conscients, ce sont ceux qui, directement ou indirectement, affectent le plus profondément notre sensibilité. On peut s’étonner de voir invoquer la sensibilité à propos de démonstrations mathématiques qui, semble-t-il, ne peuvent intéresser que l’intelligence. Ce serait oublier le sentiment de la beauté mathématique, de l’harmonie des nombres et des formes, de l’élégance géométrique. C’est un vrai sentiment esthétique que tous les vrais mathématiciens connaissent. » C’est un passage du chapitre « L’invention mathématique », dans l’ouvrage « Science et méthode » de Poincaré.

    Université de tous les savoirs

    Les bases cérébrales de l’intuition numérique de Stanislas Dehaene

    « L’intuition mathématique ne fait appel ni aux mots, ni aux aires corticales du langage, mais dépend des régions pariétales associées à la perception de l’espace. En second lieu, la découverte mathématique repose sur des mécanismes inconscients. « Ce qui frappe, dit Poincaré, ce sont les apparences d’illumination subite, signes manifestes d’un long travail inconscient ; le rôle de ce travail inconscient dans l’invention mathématique me paraît incontestable. » En ce qui concerne l’intuition du nombre, cette introspection fréquente qhez les mathématiciens peut être confirmée rigoureusement par les méthodes de la psychologie expérimentale, qui démontrent l’existence de calculs subliminaux. (…) Récemment, Lionel Naccache et moi-même sommes parvenus à démontrer que la région pariétale peut effectuer ses calculs sans que nous en ayons aucunement conscience, confirmant ainsi les hypothèses de Poincaré et d’Hadamard. Dans le domaine des nombres au moins, l’intuition mathématique se fonde bien sur la possibilité d’un intense travail inconscient. (…) Nos manipulations indiquent qu’une chaîne sensi-motrice complexe, qui implique une opération mathématique, peut s’exécuter sans conscience. La particularité de nos expériences est de démontrer que même des instructions arbitraires – appuyez à droite si vous voyez un nombre plus grand que 5 – sont susceptibles de s’exécuter intégralement sans être accompagnées d’un sentiment de contrôle conscient. (…) On a cru voir dans les mathématiques une construction culturelle fondée sur l’invention de symboles, ou encore un langage universel pour décrire la structure de l’univers. Mais cette construction, ce langage, ne prennent leur sens que parce que notre cerveau est doté, dès la naissance, de circuits neuronaux aptes à saisir la structure intuitive du domaine qui deviendra celui des mathématiques. (…) L’intuition numérique fait partie du patrimoine génétique de tous, mais elle est susceptible de s’épanouir à des degrés divers selon le travail et la passion que nous y apportons. »

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