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L’évolution qui a donné naissance à la vie, à l’homme, aux sociétés humaines est-elle une évolution continue ? La vie est souvent présentée comme le produit d’un très lent murissement de réactions biochimiques au sein de la "soupe primitive". Que peut-on en dire au vu des connaissances actuelles ? L’ouvrage "Les nouveaux mondes du cosmos" reprend la chronologie des transformations de la terre en ces termes : "Faisons nos comptes. Fin approximative des pluies météoritiques cataclysmiques : environ 4 milliards d’années. Début approximatif de la vie sur terre : environ 3,9 milliards d’années. Différence 100 millions d’années. (...) C’est un laps de temps ridiculement court au regard des temps géologiques (...)" L’apparition de la vie est bel et bien une révolution !
Nous verrons dans différents articles que l’"évolution" des espèces devrait également s’appeler la "révolution" des espèces... Lire notamment dans ce livre le chapitre "continuité du vivant".
L’évolution de l’homme, comme l’indique ce terme, est présentée comme une série continue d’êtres qui vont d’une espèce de pré-singe à une espèce de pré-humain puis aux diverses formes successives d’humains. Les progrès de la connaissance, entravés bien sûr par les limites des connaissances dus aux faibles restes des espèces anciennes, montrent que cette image est fausse. La non-linéarité, la discontinuité, l’émergence caractérisent l’apparition de l’homme sur tous les plans : physiologique, psychologique, technologique, intellectuel, social, et organisationnel.
Dans "L’émergence de l’homme" du paléoanthropologue Ian Taterstall :
"L’explosion créative
Commençons notre voyage dans l’évolution en considérant d’abord ce qui en constitue, pour ainsi dire, presque le terme : les étonnantes traces laissées par les Européens de la fin de l’ère glaciaire. Ces derniers nous fournissent, en effet, le premier témoignage véritable, au sein des archives archéologiques, de l’apparition de cette capacité humaine et unique à l’état pleinement développé : la créativité. L’écrivain scientifique John Pfeiffer a parlé à son propos d’"explosion créative". (...)
Certains chercheurs avaient cru, sur la base de l’ancienne chronologie admise jusqu’ici, que l’évolution des styles, dans tout l’art de l’ère glaciaire, s’était déroulée dans une seule direction, depuis les premières réalisations de l’aurignacien, il y a 34 000 ans environ, jusqu’à la fin du magadalénien, vers - 10 000. Etant donné l’ampleur de durée embrassée, une telle continuité a toujours paru improbable, et il est maintenant clair que cela n’a pas été le cas. Simultanément, il semble que l’on puisse continuer à admettre que l’innovation technique s’est développée par poussées successives au cours du paléolithique supérieur : les pointes d’os sont apparues il y a plus de 34 000 an, par exemple, tandis qu’il a fallu attendre vers - 26 000 pour voir des aiguilles d’os, et vers - 18 000, pour les harpons à barbelures.
Cette absence de continuité permet de comprendre plus facilement (...) que certaines des toutes premières réalisations artistiques que nous connaissions comptent au nombre des plus belles de tous les temps. Sur le site de Vogelherd, en Allemagne, datant du tout début de l’aurignacien dans cette région, il y a plus de 32 000 ans, une collection de petites statuettes, représentant des animaux, relève du plus haut niveau de l’art de la sculpture. (...)
Nous regardons notre propre espèce comme l’entité biologique ayant atteint un sommet évolutif, et même plus que cela, le sommet de l’évolution. Et nous aimons souligner ce fait en attribuant à nos plus proches apparentés une position plus basse que la nôtre sur la ligne ascendante qui culmine dans notre psoition élevée. Or, c’est une conception absolument fausse que de mesurer le succès évolutif de telle ou telle espèce en fonction de son progrès en direction du sommet d’une échelle. (...) La plupart des personnes qui veulent se représenter l’apparition de l’homme en termes d’histoire évolutive tendent à la concevoir comme un lent mouvement de perfectionnement, de nos adaptations au cours du temps. Si tel était le cas, le processus nous ayant façonnés apparaitrait rétrospectivement inéluctable. De nombreux paléoanthropologues, ces chercheurs qui étudient les archives fossiles, trouvent une certaine commodité intellectuelle à regarder notre histoire évolutive comme une longue montée laborieuse mais régulière, qui nous a fait passer du stade la brute à celui de l’être intelligent. Ils ont même forgé le terme d’"hominisation" afin de décrire le processus à l’origine de l’homme, ce qui renforce l’impression que non seulement notre espèce est unique en son genre, mais que le mécanisme évolutif qui nous a façonnés l’est tout autant. Cette conception présente de nombreux risques. (...) Les scientifiques l’ont appris petit à petit, à mesure que se sont accumulées les données des archives paléontologiques - lesquelles les ont contraint à abandonner l’idée que notre histoire biologique a uniquement consisté en une simple progression linéaire (...) Depuis des années, les paléontologues se rendaient vaguement compte que (...) les nouvelles espèces, au lieu d’apparaitre en raison d’une transformation graduelle d’une espèce souche, au cours du temps, semblaient surgir brusquement dans les archives géologiques (...) Elles disparaissaient aussi brutalement qu’elles étaient apparues (...) Les archives fossiles n’obéissaient pas aux prédictions de la théorie du changement graduel. (...) Le nouveau schéma explicatif était constitué de longues périodes de stabilité des espèces interrompues par de brefs phénomènes de spéciation, d’extinction et de remplacement. (...) Eldredge et Gould proposaient, en réalité, que l’évolution, tout en étant graduelle, procédait par à-coups : "l’évolution par sauts" (...) .
Bien souvent les modifications de l’environnement non seulement surviennent en général trop rapidement pour que la sélection naturelle puisse y répondre immédiatement, mais elles ont aussi généralement pour conséquence de permettre la colonisation rapide de vastes portions de territoire par toutes sortes de nouvelles espèces, ce qui conduit à une compétition et à des remplacements rapides de faunes. Comme nous le verrons, notre propre genre Homo est peut-être apparu dans le cadre de ce type de "poussée de remplacement" faunistique promue par l’environnement. (...) Eldredge et Gould ont rejeté la notion selon laquelle nous devrions apercevoir un lent changement de génération en génération. Au contraire, ils ont estimé que la spéciation est un processus rare, difficile à réaliser, ce qui a pour conséquence que les lignées sont pour l’essentiel stables, et que les remplacements d’espèces ne se produisent qu’occasionnellement et rapidement. (...) Nous avons tendu jusqu’à présent à voir l’histoire de notre lignée comme moins touffue qu’elle n’a réellement été. En même temps, nous avons toujours tendu à voir notre propre espèce comme plus centrale dans l’évolution de notre famille qu’elle ne peut l’être, étant donné qu’elle ne représente en fait qu’une brindille terminale parmi d’autres au sein d’un gros buisson (mais il est vrai la seule survivante aujourd’hui). (...) Mais accepter ce cadre explicatif nous conduit à abandonner, une fois pour toutes, la notion tenace selon laquelle nous sommes le résultat final, parfait ou non, d’un processus continu d’amélioration. (...) Dans le cas de notre lignage, par exemple, les paléo que l’apparition de la bipédie, l’évolution de la dimension du cerveau ou de certains détails du crâne et de la denture. (...) Si fascinants et importants qu’ils soient, les caractéristiques et les complexes fonctionnels n’existent pas à l’état isolé. (...) La nature peut seulement agréer ou rejeter un organisme dans sa totalité. Par conséquent, il est par exemple totalement inutile, dans un sens fondamental, de débattre de la question de savoir si la bipédie est apparue en tant d’adaptation locomotrice, ou bien en tant que mécanisme thermorégulateur, ou bien en tant que moyen d’augmenter le champ de vision, ou bien encore en tant que moyen d’éviter l’attention des prédateurs intéressés prioritairement par les silhouettes horizontales. Il suffit d’admettre que ce comportement est simplement apparu chez la première espèce bipède de notre lignage probablement (....) plus en complément à l’aptitude à grimper aux arbres qu’en remplacement de celle-ci. (...) Ces premier individus bipèdes (et cette première espèce bipède) étaient des organismes fonctionnels globaux, et s’ils ont connu un succès évolutif, c’est nécessairement en tant que tout, et non pas en tant que véhicules de l’un ou l’autre de leurs "traits" ou de leurs "complexes adaptatifs" De même, l’évolution de la dimension du cerveau chez les hominidés ne se ramène pas à un simple accroissement à long terme du volume cérébral. (...)
La constitution physique des Néandertaliens est tout à fait frappante. Leur cerveau était aussi gros que le nôtre, mais d’une conformation différente. (...) Leur cortex (où, on le sait, s’effectue une grande partie des processus de la pensée) était peu développé, à l’instar de celui des hominidés antérieurs, et contrairement au nôtre."
La civilisation, un progrès continu ?
L’historien contemporain ne peut plus considérer la révolution comme un produit des seuls 17e, 18e et 19e siècles. Il lui faut désormais rajouter les révolutions sociales qui ont éclaté dès la plus ancienne antiquité, car les villes avec leur rassemblement de population, avec leurs émotions, leurs rébellions et leurs révolutions ont produit révolutions sociales et politiques dès les débuts de la civilisation, c’est-à-dire vers 3500 avant J.-C à Sumer, 3300 avant J.-C en Egypte et dans la vallée de l’Indus, 2500 avant J.-C en Chine, 2000 avant J.-C en Crête, en Grèce orientale et en Turquie, 1500 ans avant J.-C en Méso-Amérique et au Pérou.
Mais d’où vient cette éclosion extraordinaire, cette multiplication des moyens techniques et sociaux ? La question est toujours aussi controversée. La civilisation est souvent représentée comme un progrès extraordinaire, qui semble quasi miraculeux, et comme une extraordinaire capacité d’organisation sociale des classes dirigeantes. Ces dernières auraient développé des techniques agricoles, d’irrigation et des techniques de domination de peuples entiers, enfin capables de bâtir, sur la base d’immenses territoires agricoles, des villes prospères. L’ordre social aurait bâti la structure sociale et la prospérité. Progrès technique, progrès organisationnel, progrès social et pour finir construction de l’Etat et de la haute civilisation, tel peut être le résumé de la thèse qui a le plus souvent cours sur la naissance et le développement des civilisations. Mais il y a un hic : les découvertes archéologiques ne correspondent nullement à un tel mythe. La connaissance, même limitée de l’histoire ancienne, ne nous amène nullement à ce type de conclusions et fait apparaître une tout autre chronologie et un mécanisme d’émergence de la civilisation profondément différent. La civilisation semble, au contraire, être le produit d’une succession de révolutions sociales et politiques.
En Histoire comme dans bien d’autres domaines, la seule forme de transformation admise est l’évolution graduelle et continue. Même un historien comme Gordon Childe, chantre de la « révolution néolithique », de la « révolution urbaine » et de la « révolution industrielle » [1], voit dans la transformation du monde plus une action continue du progrès technologique c’est-à-dire essentiellement une capacité des classes dirigeantes, qu’une transformation révolutionnaire, c’est-à-dire l’action des masses, violente et destructrice de l’ancien ordre. « Pour accomplir la révolution néolithique, les hommes, ou plutôt les femmes durent non seulement découvrir les plantes et les méthodes de culture qui leur convenaient, mais encore inventer des instruments pour labourer, moissonner, emmagasiner les récoltes, et les transformer enfin en nourriture. » écrit Gordon Childe. Il rajoute « L’étude de l’histoire de l’humanité depuis ses origines met en relief une évolution économique continue qui abouti aux méthodes employées par les sociétés les plus évoluées pour assurer leur existence.(...) Les sanctuaires ont toujours été reconstruits sur le même emplacement ce qui prouve la continuité des traditions à travers les multiples changements apportés par des civilisations différentes. » Est-il exact que les révolutions sociologiques, économiques et politiques que sont la vie urbaine, l’agriculture et l’élevage, la civilisation et l’apparition de l’Etat soient des progrès dus à évolution graduelle et continue dans une continuité des traditions, des cultures, des techniques, des croyances et des institutions [2] ? La révolution néolithique porte bien son nom de révolution [3] même si bien des auteurs cherchent à l’effacer en soulignant qu’il s’est inscrit dans une continuité sur le long terme. La « longue durée » est ce terme préféré de l’historien Fernand Braudel et qui a marqué nombre d’auteurs, comme on l’a vu précédemment. C’est également cette conception qui sous-tend les travaux de Jean Guilaine comme son ouvrage « De la vague à la tombe » à propos de « la conquête néolithique de la Méditerranée ». Il décrit cette période entre – 8000 avant J.-C et – 2000 qui a connu la sédentarisation des populations et la rupture radicale avec une société de chasseurs-cueilleurs. La civilisation néolithique est marquée par le développement d’un rite des morts, notamment les mégalithes. Evoquant « l’émergence des processus de néolithisation », rejetant le terme de rupture, il appelle évolution les « (dys)continuités entre les périodes ». Bien entendu, l’extension dans l’espace et le temps qu’il décrit est bien réelle, mais la révolution provient de l’interaction d’échelle. L’émergence de l’agriculture, de la sédentarisation, ou du commerce sont des processus relativement rapides et brutaux. C’est une remarque que l’on peut généraliser aux phénomènes d’émergence. La durée des révolutions des extinctions et apparitions d’échelle est courte relativement au temps de quasi conservation des espèces. La durée des changements climatiques comme les périodes où démarrent des glaciations est courte relativement aux périodes de calme climatique. De même, la durée de passage de la vie nomade à la vie sédentaire, de la cueillette à la culture, de la chasse à l’élevage est très courte. Et surtout, c’est le fait de souligner le progrès technique comme seule source de la transformation qui induit en erreur [4]. Tout d’abord, la découverte et le progrès technique sont effectivement relativement lents. Ils n’enclenchent pas directement les changements sociaux nécessités par l’utilisation à grande échelle de ces techniques nouvelles. Les changements ne peuvent être réduits à des modifications graduelles des techniques ou des cultures. En effet, pour passer de la vie de chasseur-cueilleur à celle de cultivateur, c’est une véritable révolution de l’organisation sociale qui est indispensable et ne peut se produire qu’en cassant de multiples traditions et donc un certain type de pouvoir, que ce soit celui des sorciers, des chefs traditionnels, des directions tribales, claniques, religieuses, communales ou urbaines puis celles de l’Etat. La révolution sociale a toujours besoin d’une action vigoureuse et rapide. On ne pénètre pas un bloc de pierre par une action lente et continue en surface mais par un choc énergique, par la pénétration brutale d’une pointe !
Avant même l’apparition de l’Etat, avant même la naissance des villes, le néolithique est une véritable révolution sociale, le renversement de la société nomade des chasseurs-cueilleurs, la remise en cause de leurs croyances autant que de leur mode de vie. Les dernières études sur la néolithisation vont dans le sens d’une transformation par bonds et non d’une évolution continue et graduelle, qu’il s’agisse d’une population exportant ses coutumes et modes sociales en se déplaçant, ou d’une transplantation d’idées, de culture, d’idées, de progrès technologiques et conceptuels et d’un mode de vie et de travail. Ces hypothèses ont longtemps été agitées par les spécialistes mais diverses études commencent à trancher le débat, montrant que de tels changements sont des révolutions sociales. Au Néolithique, agriculture et élevage ont remplacé cueillette et chasse. Là où le nomadisme avait laissé place à des villages, des villes se sont développées à une vitesse étonnante, des inégalités sociales sont apparus. Cela s’est déroulé il y a 12.000 ans en Anatolie, dans le Sud-Est de la Turquie et au sein de la Turquie, atteignant la côte ouest (de la Turquie à la Palestine) 9300 ans avant J.-C, mais ensuite il s’agit véritablement de bonds : 7000 ans avant J.-C en Grèce, 5500 ans avant J.-C en Europe centrale puis 4500 avant J.-C en France du sud et en Espagne. Des études du matériel génétique portant sur des squelettes anciens, notamment les travaux de l’équipe de l’anthropologue Wolfgang Haak en 2005, ne décèlent « aucune trace de mélange génétique », comme le rappelle un article d’Agnès Trimoreau dans « Sciences et vie » d’août 2006. D’où la conclusion provisoire contre la thèse de la colonisation par une population. Les dates reconnues de néolithisation notamment dues aux recherches sur les dépôts de graines contraignent également à renoncer à la thèse d’une progression « culturelle » lente. Il s’agit bien d’une révolution sociale avec tout ce que cela suppose de changement brutal, radical, renversant un ordre ancien. Cela amène l’auteur de l’article précédemment cité à conclure que « En trois millénaires, l’agriculture a progressé par bonds. » L’idée d’une progression culturelle se propageant continûment et pourtant même leurs adeptes reconnaissent des constatations qui ne vont nullement dans ce sens. C’est le cas de l’historien Paul Radin dans « la civilisation indienne » qui y défend la progression continue de l’influence Maya. Pourtant il écrit que « L’influence Maya s’étendit vers le nord. Au delà du Rio Grande ou du Golfe du Mexique, elle formait le centre de toute vie sociale, économique et religieuse. Là où la culture du maïs s’arrêtait, finissait également la civilisation. Parvenue à l’isthme de Panama, nous nous trouvons devant une solution de continuité. (...) Nous nous attendions à voir la civilisation décroître graduellement au sud de l’isthme au fur et à mesure que nous pénétrions en Amérique du sud. Pourtant en Colombie, en Equateur, au Pérou et en Bolivie, le niveau atteint par les Maya se maintient presque partout. » On retiendra non seulement la « solution de continuité », c’est-à-dire la discontinuité mais aussi le fait que la civilisation s’arrête là où se termine la culture du maïs. Cela signifie que ce n’est pas seulement un concept culturel qui s’impose mais un système d’exploitation fondé sur une forme de travail de la terre.
Radin relève que la discontinuité n’est pas seulement celle de la zone d’influence mais également celle de l’histoire de cette civilisation et même de chaque ville : « L’histoire de la civilisation Maya est dominé par un phénomène essentiel, le bref laps de temps durant lequel chaque ville fut occupée. Des cités et même des régions entières furent abandonnées sans qu’on puisse découvrir de cause apparente. Rien de plus inexplicable que ces continuels déplacements, cet abandon de telle ville, cette création de telle autre. Pour les expliquer on a eu recours à toutes sortes d’hypothèses, depuis la malaria jusqu’à une brusque modification climatique, la pression des hordes d’envahisseurs ou quelque cataclysme. Mais aucune n’est valable et l’énigme reste entière. » Remarquons que la discontinuité est bien le constat de base, que l’hypothèses de révoltes des travailleurs n’est pas envisagée même si aucune des autres hypothèses ne s’est vérifiée. Pour la chute de l’empire Maya, l’auteur évoque cependant la possibilité d’une révolution, sans discuter d’avantage cette hypothèse : « C’est entre les années 472 et 620 qu’est comprise la période la plus brillante de la civilisation maya. Puis elle se termine brusquement. Une terrible catastrophe semble s’être abattue sur ces villes florissantes. Quelques savants ont parlé d’une guerre civile, d’autres des ravages d’une épidémie et d’autres encore de décadence sociale. Mais en fait nous ne savons rien de précis (...) Vers l’an 600, toutes les villes mayas furent abandonnées et il se produisit une immigration vers le nord. La période de transition va de 620 à 980. » On notera une fois encore que ces grandes chutes de civilisation, qui peuvent être attribuées à des guerres civiles, à des décadences sociales, vont faire chuter la classe dirigeante et le régime sur de longues périodes : ici 360 ans. Ce qui change n’est pas seulement l’occupation d’une ville ou d’une région. C’est tout un mode de production et de relations sociales qui est brutalement abandonné et changé. On sera amené à constater qu’il s’agit là de révolution sociale, même si nous avons montré précédemment que les historiens envisagent plus volontiers n’importe quelle autre hypothèse.
Les études sur les civilisations considèrent souvent que l’ordre est issu, directement et sans contradiction, d’un autre ordre que la structure est l’évolution d’une autre structure sans passer par une phase de déstructuration, que le progrès est l’aboutissement positif et logique d’un autre progrès. Pour ces auteurs, ce qui importe pour trouver le fil conducteur, c’est d’établir la continuité de l’élément considéré alors comme caractéristique de la civilisation, que ce soit la culture, la religion, la tradition ou le mode de gouvernement. En fait, la civilisation est fondée sur des contradictions sociales et d’abord l’exploitation des paysans. Sans l’existence et l’accumulation entre les mains d’une minorité des biens produits par les agriculteurs, on peut engendrer ni les villes, ni l’artisanat, ni le grand commerce. Ce surplus issu de la production agricole, Jared Diamond l’estime ainsi dans « Effondrement » : « L’agriculture de l’Egypte ancienne, bien que moins efficace que l’agriculture mécanisée moderne, l’était tout de fois assez pour qu’un paysan égyptien produise cinq fois plus que la nourriture qui lui était indispensable ainsi qu’à sa famille. Mais un paysan maya ne pouvait produire que le double de ses besoins et de ceux de sa famille. » »
Les contradictions sociales n’ont fait que croître au cours du développement de la civilisation, si bien qu’au plus haut sommet d’une civilisation elles étaient les plus fortes et les plus explosives, produisant des ruptures brutales de l’équilibre social. Le développement des classes dirigeantes, des chefs religieux et du pouvoir a pu accroître tellement les dépenses dispendieuses de celles-ci que la productivité de l’agriculture ne suffisait plus à y répondre. Par exemple, la coutume des champs du « ka », pour entretenir l’âme du mort – en réalité les prêtres chargés de prier pour lui et lui permettre d’aller au paradis – se sont accru au fur et à mesure des morts de dignitaires, au point de ponctionner considérablement les revenus de la population. Suite aux révoltes, une réforme contraindra à un changement des coutumes et on devra représenter les victuailles offertes au lieu de les déposer devant les temples.
Dans « Egypte », Nancy Mac Grath souligne cette idée d’une continuité de la civilisation égyptienne : « En quoi la plus vieille histoire du monde peut-elle nous intéresser ? En quoi 3600 ans d’histoire et de civilisation (du premier roi unificateur jusqu’à l’arrivée d’arrivée d’Alexandre le Grand en Egypte) sont-ils pour nous une leçon ? (…) Il y a la continuité entre l’Egypte de la pierre polie et le premier royaume unifié autour de Héliopolis, avec comme rois les serviteurs d’Horus, dont le dernier sera Ménès. (…) Une grande leçon est à tirer de cet aspect monolythique et ancien d’une civilisation, (…) la continuité de la civilisation égyptienne. (…) Jean Vercoutter écrit dans « L’Egypte ancienne » : « l’histoire égyptienne se déroule comme une courbe uniforme. » (…) Elle est l’histoire d’une civilisation en tant que telle : l’Egypte pharaonique. Trois mille ans de temples, tombeaux, hiéroglyphes, religion, … » En somme la civilisation serait un produit des rois égyptiens. Et pourtant le même auteur écrit : « Ce serait une démarche analphabète et grossière de ne pas voir combien l’Egypte classique est déjà inscrite dans le registre de l’Egypte archaïque. (…) Religion, écriture et art sont déjà présents avant l’Ancien Empire. » Donc avant les rois et pharaons, l’art et la civilisation avaient commencé depuis longtemps à fleurir et cela n’empêche pas l’auteur de diffuser la thèse que la civilisation c’est l’Egypte pharaonique ! La civilisation égyptienne, ce serait d’abord se religion rendue fameuse par les constructions et inscriptions pharaoniques et pourtant le même auteur nous rappelle que la population a très longtemps, tout au long des premiers règnes, ignoré complètement la religion des pharaons : « C’est au moment où s’achève l’Ancien Empire, entre 2500 et 2000 ans (après la révolution sociale) que les secrets des centres initiatiques d’Héliopolis seront divulgués par le « Texte des pyramides », alors qu’ils étaient jusque là réservés aux pharaons. En effet, une révolution contestatrice profonde éclata dans cette fin du troisième millénaire et de l’Ancien Empire, contre un pouvoir royal affaibli et contesté. (…) C’est seulement après cette révolution que le texte des pyramides, jusque là secret magique, sera inscrit sur tous les tombeaux. » La civilisation égyptienne serait un modèle de continuité, et pourtant, l’auteur connaît les révolutions, n’ignore pas les discontinuités de cette histoire : « Cette chronologie des pharaons (…) se caractérise par des « trous » immenses : comme dit Vercoutter, il faut imaginer ce que serait l’histoire de France où il manquerait la guerre de Cent ans, les guerres de Religion, la Révolution française… et où on ne connaîtrait que dans ses grandes lignes sept rois et un empereur. Sans rien savoir des périodes intermédiaires. C’est cela, aujourd’hui, l’histoire connue de l’ancienne Egypte : les périodes inconnues ou presque forment les deux tiers de l’histoire totale. 190 rois et 30 dynasties sont répertoriées. Ce que l’on appelle les « Périodes intermédiaires » sont des périodes troublées séparant l’Ancien Empire du Moyen Empire (guerres civiles et révolutions sociales). (…) C’est à la mort de Pépi II que commence une époque de bouleversements sociaux aux conséquences décisives pour la civilisation égyptienne y compris sur le plan religieux (divulgation sous une pression populaire violente, des secrets d’Héliopolis, de l’Esotérisme des Mystères solaires, qui allaient ouvrir l’Egypte aux Codes funéraires que l’on verra dans les Tombeaux). (…) On pourrait baptiser cette Première Période Intermédiaire de « Première Révolution Sociale du monde ». Des monarques provinciaux se soulevèrent contre l’autorité centrale en déclin. Des paysans se révoltèrent contre le système féodal oppressif. (…) Plus tard, la littérature antiroyale de la Période des troubles révolutionnaires (première période intermédiaire) propagera l’image de rois tyranniques ayant écrasé le peuple égyptien sous les corvées et les grands travaux. »
La révolution sociale peut faire chuter une civilisation. L’apparition des civilisations est, elle aussi, une révolution sociale. Comme l’expose Antonio Labriola dans « Essais sur la conception matérialiste de l’histoire », « Dans le mouvement historique où on avait cru voir le passage d’une forme d’idées à une autre forme, Marx et Engels virent pour la première fois la transition d’une forme de l’anatomie sociale à une autre, c’est-à-dire d’une forme de la production économique à une autre. (…) La mort d’une forme sociale, comme cela est arrivé dans une autre branche de la science pour la mort naturelle, devenait un cas physiologique. (…) Au-delà des mouvements visibles des volontés qui forment la matière à laquelle s’arrêtent les historiens, au-delà de l’appareil juridique et politique de notre société civile (…) il faut se mettre à l’étude des différences qu’il y a entre les différentes formes de production, (…) il s’agit d’expliquer la succession de ces formes, le remplacement de l’une par l’autre, étudier les causes d’érosion et de dépérissement de la forme qui disparaît ; et enfin, quand on veut comprendre le fait historique, déterminé et concret, il faut étudier les frottements et les contrastes qui naissent des différents courants (c’est-à-dire les classes, leurs subdivisions et leurs entrecroisements), caractéristiques d’une société donnée. (…) L’organisation sociale est, comme nous l’avons déjà expliqué, continuellement instable, bien que cela ne semble évident à tout le monde que lorsque l’instabilité entre dans cette période aiguë que l’on appelle une révolution. » Les auteurs relèvent souvent des sauts historiques et parlent à chaque fois de processus étonnants qui n’avaient aucune source précédente. La civilisation, que ce soit en Mésopotamie, en Amérique centrale, en Inde ou en Chine semble sortie toute faite et d’un seul coup, sans essais précédents ni étapes préparatoires. Elle se cristallise brutalement par un changement de phase. Je cite quelques exemples de ce type de remarque étonnée des historiens. Sir Mortimer Wheeler, spécialiste de l’Inde antique, dans l’ouvrage précédemment cité sur l’apparition de la civilisation de l’Indus, écrit : Je cite des extraits de sa conclusion : « L’histoire a brutalement proposé à l’Inde tout un complexe, une gamme complète de notions et de variations thématiques. (...) L’Inde de la Préhistoire (...) a la monotonie même de son paysage : un interminable et morne Paléolithique, un Microlithique diffus, des siècles de civilisation indusienne (...) Cette monotonie est rompue par des bouleversements subis, des envolées soudaines. De temps à autre, l’Inde sort de son sommeil et, de toute son intelligence, aiguë et préhensible, s’empare d’idées nouvelles, se saisit des occasions qui s’offrent. » Pour la Chine impériale, on peut citer par exemple « Histoire de la Chine » de René Grousset : « Ce sont ces problèmes que posent les découvertes faites en 1934-1935 à Ngan-yang. Dans cette ancienne capitale des Chang, située dans la partie la plus septentrionale de l’actuel Ho-nan et dont le rôle historique se placerait au 12ème siècle avant J.-C, nous nous trouvons brusquement en présence d’une civilisation matérielle déjà à son apogée, bien que rien jusqu’ici ne nous ait fait assister à ses débuts (...) Grand a été l’étonnement des archéologues quand ils ont été obligés de constater que dès cette lointaine époque la forme rituelle des divers types de bronze et leurs décors étaient à peu près entièrement constitués. Il y aurait de quoi crier au miracle. »
En ce qui concerne l’apparition de la civilisation des mégalithes en Europe, Catherine Louboutin défend la conception des évolutions linéaires et continues. Dans « Au néolithique, les premiers paysans du monde » Catherine Louboutin écrit : « Le néolithique s’achève lorsque la maîtrise d’une nouvelle technique, celle de la fonte du cuivre puis du bronze, introduit les âges des métaux. Sans qu’on puisse parler d’une rupture brutale, une réelle hiérarchie sociale et une spécialisation accrue du travail fondent un monde différent. (...) Signes tangibles d’une société nouvelle : les emblèmes du pouvoir se multiplient. (...) Apparaît le partage des tâches qui distingue les puissants et les humbles. La nécropole de Varna est divisée en plusieurs secteurs, dont l’un regroupe les plus riches tombes. Trois catégories de sépultures y sont bien différenciées : d’un côté des tombes pauvres, dépourvues ou presque de toute offrande, d’une autre des tombes riches, voire très riches, (...) troisièmement des tombes symboliques, sortes de cénotaphes, contiennent seulement un visage modelé dans de l’argile et paré de bijoux en or. (...) Cette nécropole est contemporaine des mystérieuses enceintes et des plus impressionnants tombeaux mégalithiques d’Occident, réservés à des privilégiés. Ces grands travaux transcrivent également une hiérarchie sociale certaine, même si les richesses matérielles sont moins éblouissantes. (...) Le passage à l’âge du bronze s’est aussi fait généralement sans rupture. (...) Le monde néolithique, globalement égalitaire et pacifique, dominé par des images féminines, est désormais oublié. Ces stèles furent abattues rapidement après leur érection par leurs constructeurs mêmes (...) et non détruites par les hommes de l’âge du bronze. (...) La rupture n’est ni violente ni tranchée entre les deux mondes. Stonehenge illustre la même continuité. Les trois grandes phases de construction du monument s’échelonnent entre le 3e et le milieu du 2e millénaire, et l’axe principal, orienté vers le lever du soleil au solstice d’été, est religieusement préservé à chaque aménagement. » L’auteur, se fondant sur des continuités religieuses ou techniques ne voit aucune singularité historique. Pourtant, involontairement, elle décrit une révolution : l’apparition, dans une société égalitaire, des classes sociales et de l’Etat. L’idéologie religieuse, par contre, fait son apparition dans le point de vue de l’auteur, reposant … dans les nuages des idées ! Elle écrit dans « Au néolithique, les paysans du monde » : « Les dolmens à couloir du sud du Portugal et de l’extrême ouest de la France – Barnenez, dans le Finistère ou Bougon, dans les Deux-Sèvres – sont les plus anciens mégalithes connus. Rien ne précède ni n’annonce la maîtrise technique et l’ampleur éclatantes de ces constructions (...) Une génération spontanée semble avoir germé en plusieurs régions. »
Le changement des relations sociales nommé civilisation qui correspond à un saut dans le développement économique et organisationnel de la société, et notamment à la structuration de l’Etat, émerge de l’apparition d’un seuil des contradictions de la lutte des classes. Une structure nouvelle est le produit de l’inhibition des luttes sociales arrivées à un seuil où elles auraient détruit la société. La civilisation n’est pas un produit positif du progrès. Comme la matière, comme la vie, c’est l’œuvre novatrice de la négation de la négation ! On a longtemps considéré la vie comme l’action positive de fonctions vitales, la société comme l’action positive des institutions humaines et l’économie comme l’action positive du travail humain. La philosophie qui ressort des considérations précédentes est quasiment inverse. L’action dynamique et novatrice est négation. Même le positif n’est rien d’autre qu’une négation de la négation. Le mécanisme fondamental du vivant est une inhibition. La vie est la négation de l’autodestruction : l’apoptose cellulaire. L’ordre génétique est la négation de l’agitation moléculaire des macromolécules du vivant. La matière est la négation éphémère de l’agitation du vide. L’ordre du message cérébral est la négation du désordre des impulsions neuronales. La conscience est négation (fugitive) des inhibitions des potentiels d’action. La négation n’est pas une suppression définitive mais un retardement (retardement de l’apoptose, du déclenchement neuronal, du potentiel d’action, retardement également de la destruction de la matière par captation de photons, retardement de l’horloge du singe chez l’homme, etc…). La base de tous les phénomènes dits ordonnés est le désordre sous-jacent. La base de la matière durable est l’agitation du vide (matière éphémère). La base du rythme cardiaque est l’agitation des cellules du cœur sous l’action des pace-makers, etc… C’est la conception de Boltzman et Poincaré, de Gould en paléontologie, de Kauffman en biologie et de Prigogine en thermodynamique. Et de Marx en histoire des sociétés : toute l’histoire jusqu’à nos jours n’est que l’histoire de la lutte des classes. La dynamique est le produit nécessaire des contradictions. La logique de celles-ci n’est pas linéaire, ni continue, ni prédictible.
Cependant, nombre d’historiens ont une image du développement de la civilisation qui n’intègre pas ces contradictions croissantes. Prenant l’exemple de la civilisation de l’Inde, Raj et Renée Isar écrivent dans « L’Inde, au-delà des mythes et du mensonge », « Le système des castes constitue un caractère distinctif de la société indienne, c’est l’un des éléments de continuité les plus importants de la tradition hindoue depuis au moins la première moitié du premier millénaire avant J.-C. C’est lui qui, pendant ces trente siècles, a engendré l’ordre moral cohérent sur lequel l’hindou a la possibilité et le devoir de régler sa vie. (...) L’unité séculaire de l’Inde n’était pas politique mais socioculturelle. Les dynasties, qu’elles fussent indiennes ou étrangères, pouvaient bien naître et périr, les choses suivaient leur cours. » Pour appuyer leurs dires, les auteurs citent même Karl Marx rappelant un rapport officiel à la Chambre des Communes anglaise : « Les habitants ne se soucient pas de la destruction des royaumes ; tant que le village subsiste, peu leur importe quel pouvoir ou de quel souverain il relève ; son économie interne reste inchangée. » Dans un ouvrage traitant des transitions des diverses civilisations de l’Inde et intitulé « l’Inde ancienne », l’auteur Sir Mortimer Wheeler, ancien directeur général des Antiquités de l’Inde relève tous les indices montrant que la civilisation a plusieurs fois implosé du fait de contradictions sociales internes, en somme sujette à de multiples révolutions. Et pourtant, il ne retient même pas cette hypothèse. Il constate des discontinuités, des changements politiques, sociaux et culturels, les chutes de la civilisation ou ses bonds tout aussi brutaux. Tout au long de l’ouvrage, l’auteur constate des sauts historiques, de véritables transitions civilisationnelles. Mais il recherche, par un a priori constant, des continuités partout. Ainsi, pour l’Age de pierre ou plutôt les diverses transitions des âges de pierre, il expose un point de vue continuiste : « Nous pouvons considérer le processus qui, partant du galet, s’achève au biface Acheuléen comme un développement organique progressif. » Il n’ignore pas que « Comme en Afrique, le tranchet Acheuléen ne s’insère pas facilement dans un tel schéma évolutif. ». A ce propos, il touche même du doigt le caractère révolutionnaire du changement : « Tout nous incite à tenir pour assuré que les diverses modes industrielles ont couvert chacune des périodes étonnamment longues ; que les changements culturels ont été quasi imperceptibles (...). Et lorsque des modifications se manifestaient (...) ils se peut que ces changements aient lieu avec une relative soudaineté. » Il ne renonce pas pour autant au « schéma évolutif ». Il en va de même pour les autres transitions révolutionnaires de la civilisation indienne, ou plutôt des diverses civilisations indiennes successives. D’un côté, l’auteur remarque que la continuité historique n’est pas la bonne formule ; on pourrait même dire qu’il décrit un développement civilisationnel « inégal et combiné », selon l’expression de Marx et de Trotsky : « La culture des haches (...). Chevauchant une culture mégalithique, celle-ci superposée à une culture chalcolithique qu’elle chevauche partiellement (...) Ce chevauchement atteste une coexistence partielle entre les deux cultures, la nouvelle et l’ancienne, mais il est aussi la preuve qu’il n’y eut pas de continuité culturelle organique entre les occupations successives. (...) Nous sommes donc confrontés à trois cultures essentiellement distinctes (...) ». L’interprétation d’un progrès linéaire ne fonctionne pas : « L’Age de fer détermina donc en Inde centrale une révolution dans toute l’acception du mot. (...) Au cours de l’Age de fer, nous voyons l’Inde des plaines adopter d’enthousiasme le métal nouveau (d’où une révolution qui eut cependant un caractère plus technique que social) (. .) » Surtout pas question de reconnaître une révolution sociale ! Il suffit d’admettre qu’il s’agit seulement d’un changement d’idées et que les idées circulent et changent d’elles-mêmes : « Le transfert des industries, voire des cultures, n’implique pas nécessairement des migrations massives. Il n’est pas besoin de mille hommes pour répandre une idées, surtout une idée révolutionnaire. En vérité, il m’arrive souvent de rêver que les idées ont des ailes (...). » Cette vision idéaliste permet à l’auteur, étudiant « la civilisation de l’Indus », de décrire le « passage soudain à une nouvelle phase culturelle, celle de l’Indus (...) Les cités d’Harrappâ et de Mohenjo-daro étaient l’une et l’autre couronnées par une acropole et une citadelle crénelée (...) en bordure de la ville proprement dite. (...) L’urbanisme méthodique de ces centres, la perfection des ouvrages à but utilitaire impliquent une gestion aux préoccupations plus civiles que religieuses. (...) La civilisation indusienne a été identifiée. (...) La Mésopotamie a élaboré l’idée même de la civilisation. Grâce à elle, cette idée était dans l’air au Moyen-Orient dès la fin du 4e millénaire et, comme je l’ai noté plus haut, les idées ont des ailes. (...) Depuis la Mésopotamie, l’idée de la civilisation ne tarda pas à gagner l’Egypte (...) Ne doutons pas non plus que de Mésopotamie, cette idée achevée, toujours liée à la notion d’écriture, a gagné plus tard la côte indienne et le bassin de l’Indus (...) La théorie selon laquelle la notion infiniment complexe de civilisation serait née spontanément et de façon indépendante dans chacun de ces trois pays (...) est tellement absurde qu’il ne vaut pas la peine de la réfuter. » La civilisation serait une idée et l’a priori d’un changement culturel continu, transmis progressivement, est bien là. Cependant notre auteur est repris par ses observations historiques qui sont en parfaite contradiction avec ces affirmations. Au lieu d’une lente influence extérieure d’une civilisation étrangère déjà en pleine possession de ses moyens, on constate tout autre chose : un changement radical. « Vers le milieu du 3e millénaire, le bassin de l’Indus fut le théâtre d’un événement historique d’une importance extrême et qui se produisit probablement avec une grande rapidité : (...) quelques unes des petites communautés installées au pied des plateaux du Béloutchistan se lancèrent dans une entreprise de conquête audacieuse (...) jusqu’aux vastes plaines qui tapissaient les jungles. (...) créant une civilisation pré-indusienne (...) aux alentours de 2400 avant J.-C. (...) Les tentatives de colonisation de la vallée (...) se soldant régulièrement par l’échec. (...) Jungles denses entourées de marécages, infestées d’éléphants, de tigres, de buffles, de rhinocéros et de crocodiles. Contrairement à ce qui se passait dans les vallées du haut pays où le sol est pauvre, l’approvisionnement en haut incertain et l’horizon barré, les perspectives nouvelles étaient vraiment immenses. » Tout le raisonnement de l’auteur a mené à l’idée d’un progrès continu des idées. Au contraire, sa description et son analyse, très incisive, mènent à l’idée d’une révolution sociale, inévitablement brutale, qu’il appelle, par un terme en oxymoron, « adaptation prompte » ou encore « évolution explosive », tout en expliquant que c’est exactement le même type d’évolutions que les biologistes rencontrent dans le changement d’espèce ! Voyons donc ce raisonnement selon lequel la civilisation nécessitait un bond en avant : il fallait d’un seul coup lancer un grand défrichement, une grande irrigation et, en même temps, aller vers la fondation de villes nourries par une agriculture en grand ! Une vraie révolution sociale ! « Chaque année, à la fonte des neiges, les rivières entraient en crue. Si l’inondation fertilisait la terre, elle apportait aussi de cruels ravages. Il fallait la maîtriser. Or l’irrigation extensive qu’exige une grande ville de plaine présuppose un incessant effort de prévision et de coordination. Le moindre relâchement est fatal. (...) Les avantages inouïs d’un milieu si vaste, si généreux mais en même temps si menaçant ne pouvaient fructifier – et ce dès les tout premiers temps de l’installation – qu’en fonction de la capacité de l’homme à maîtriser son environnement et à le plier à sa loi. La pusillanimité, les compromis boiteux ne pouvaient avoir cours dans cette situation. (...) N’en doutons pas : dans le cas contraire, elle eût succombé. C’est bien là un exemple où il nous est donné de discerner clairement la mise en œuvre dans les affaires humaines de ce processus d’adaptation prompte et de progrès accéléré que les biologistes appellent « évolution explosive ». » L’auteur parle encore de « fulgurants débuts » et en cela, il a sans doute raison. D’un seul coup, on voit apparaître non seulement des défrichements et une irrigation à grande échelle mais une urbanisation de haute volée, avec une organisation sociale très poussée et une différenciation sociale très évoluée. Il ne s’agit plus seulement de révolutions des techniques ou d’une « idée de civilisation » !
La chute de la civilisation de l’Indus est présentée par l’auteur avec les mêmes contradictions entre constat et conclusions. Les raisonnements, très fins, mèneraient aisément à l’idée d’un changement radical et brutal et un a priori s’y oppose fermement. Cela mérite encore une fois d’être cité longuement : « Comment s’éteignit la civilisation de l’Indus ? (...) dans la zone centrale du bassin, elle périclita pour disparaître finalement (...) Mais cette décadence fut-elle générale ? L’effondrement fut-il soudain ? (...) Les vicissitudes du déclin ont pris des formes variées. A Mohenjo-daro, en tout cas, la chute fut lente et progressive, l’écroulement ultime catastrophique. Parlons d’abord de la décadence. Les fouilles de Mohenjo-daro ont constaté dans les couches récentes une détérioration continue de l’urbanisme et du niveau de vie. (...) Mohenjo-daro laissa en quelque sorte son paysage se délabrer. Bien avant que le coup fatal lui ait été porté, la ville était condamnée. » Cependant, l’auteur est amené à reconnaître que la fin de cette ville elle-même a été brutale, violente et marquée par des assassinats : « Le souvenir de ce coup fatal, tant de fois décrit, est perpétué par des groupes de squelettes de femmes, d’hommes et d’enfants – certains portent des traces de coups de hache ou de sabre – qui ont été retrouvés dans le dernier niveau, affaissés tout de leur long dans la position même où les avaient abandonnés pour l’éternité des assaillants dédaigneux de la cité qu’ils avaient mise à sac. Cette fois Mohenjo-daro était bel et bien morte. Mais quelle est, au plan de l’histoire, la signification de ce raid ? (...) Il est tentant (...) de voir dans les destructeurs de Mohenjo-daro, indifférents à la cité conquise, des représentants de ces barbares mais héroïques Aryens, étrangers à la vie urbaine. » Il est tentant dit l’auteur qui préfère s’en tenir là. On retrouvera, lors de la chute des villes, des empires et royaumes, ces mêmes caractéristiques d’une attaque violente qui laisse là les richesses de la « civilisation », abandonne complètement l’ancien mode de vie et d’exploitation. La population des villes, elle-même, les a quittées. Généralement, on ne trouve pas dans ces villes abandonnées de traces d’une guerre entre armées mais plutôt celles d’une guerre sociale. Pourtant, à aucun moment, l’hypothèse, que les peuples exploités par cette civilisation se soient révoltés, n’est discutée ni même envisagée, alors que l’auteur a lui-même exposé que cette population voit ses conditions d’existence s’aggraver de manière sensible dans la période précédente. La guerre extérieure est considérée comme la plus probable… On remarquera aussi que la continuité est interrompue. L’auteur est contraint de le reconnaître tout en espérant que c’est un trou de la connaissance historique : « Que fut la phase qui succéda immédiatement à la civilisation de l’Indus ? L’histoire de l’Inde septentrionale ne commence à être connue de façon précise qu’à partir de l’époque de Bouddha, c’est-à-dire vers 500 avant J.-C. En admettant que (...) la civilisation soit tombée vers 1500 avant J.-C, il reste un hiatus de 1000 ans à combler. (...) Heureusement, les archéologues indiens se sont attaqués à cet Age des Ténèbres, et la lumière est en vue. » Pourquoi y a-t-il nécessairement une continuité qu’il faudrait trouver en remplissant les trous, l’Histoire ne le dit pas. Loin d’être un cas à part, cet auteur est tout à fait dans la norme.
Un autre historien de l’Inde, Alain Daniélou, dans son ouvrage « Histoire de l’Inde », considère la civilisation comme un produit de son idéologie et, du coup, il affirme sa continuité. On y retrouve aussi l’interprétation de la chute par l’attaque des barbares extérieurs, les Aryens. « L’Inde, par sa situation, son système social et la continuité de sa civilisation, constitue une sorte de musée de l’histoire (...) ». Curieux a priori de la continuité, ce même auteur remarque que la chute de la civilisation de l’Indus a été suivie de 2100 ans sans civilisation : « Il n’existe dans l’Inde aucun monument qui ait été construit entre la fin de Mohenjo Daro et l’époque bouddhiste (5ème siècle avant J.-C). » Il remarque aussi que ce n’était pas la première chute d’une époque florissante mais, selon la tradition, la quatrième : « Selon la tradition indienne, (...) le début du kali yuga (l’âge des conflits ou âge sombre), le quatrième du monde. Kali veut dire « querelle », yaya « ère ». » Le texte cité est le « Big Veda ». Rappelons que l’idéologie de l’époque, interprétation symbolique de l’histoire réelle est fondée sur les « créations et annihilation successive du monde ». En somme, la société organisée et hiérarchisée avait déjà été plusieurs fois construite et détruite. Par des « kali » ? Les « querelles » sont des luttes internes qui pourraient bien avoir eu un caractère social et sont une hypothèse qui s’oppose à celle que retient Daniélou d’une guerre, la guerre du Mahabharata qui marquerait l’invasion de la société dravidienne de l’Indus par les peuples nomades aryens. L’auteur relève pourtant lui-même la contradiction chronologique : « D’après les historiens occidentaux, la guerre du Mahabharata (...) remonterait aux années 1500 à 1000 avant Jésus-Christ. » Alors que la chute de la civilisation date environ de 3000 avant J.-C ! Relevons deux autres contradictions dans cette interprétation. Aucune chute brutale n’est possible dans cette hypothèse, car les Aryens n’attaquaient pas à la tête d’une armée et étaient seulement des nomades qui envahissaient de manière progressive et pacifique : « Les occupants aryens, tels qu’ils se présentent dans les hymnes du Big Veda, étaient des nomades, mais ils étaient intellectuellement et matériellement assez peu développés. (...) La descente des Aryens sur l’Inde fut progressive (...). » Une autre contradiction provient du caractère de la lutte décrite par le Big Veda. Le même auteur décrit la lutte des Dravidiens contre l’invasion aryenne : « Le conflit fut un conflit social plutôt que culturel. »
L’encyclopédie internet Wikipedia relève les deux discontinuités de l’apparition et de la disparition de cette civilisation de l’Indus et expose les difficultés d’interprétation du début et de la fin de cette société sans pour autant envisager la révolution sociale comme source de l’Etat ni comme cause de la disparition :
« L’émergence de la civilisation
« Autour de 2600, quelques sites pré-harappéens se développent en cités, abritant des milliers d’habitants, essentiellement des agriculteurs. Par suite, une culture unifiée apparaît dans toute la zone, aplanissant les différences régionales de sites éloignés de plus de 1000 km. Cette émergence est si soudaine que les premiers chercheurs ont pu penser qu’elle résultait d’une conquête extérieure ou d’une migration. Depuis, les archéologues ont fait la preuve qu’elle est issue de la culture pré-harappéenne qui l’a précédée. En fait, il semble que cette soudaineté soit le résultat d’un effort délibéré, planifié. Par exemple, quelques sites paraissent avoir été réorganisés pour se conformer à une planification réfléchie. C’est la raison pour laquelle la civilisation de l’Indus est considérée comme la première à avoir développé une planification urbaine. (...) »
« Le déclin et l’effondrement
« Durant 700 ans, la civilisation de l’Indus fut prospère et ses artisans produisirent des biens d’une qualité recherchée par ses voisins. Puis aussi soudainement qu’elle était apparue, elle entra en déclin et disparut. Vers 1900 av._J.-C., des signes montrent que des problèmes apparaissent. Les gens commencent à quitter les cités. Ceux qui s’y maintiennent semblent avoir des difficultés à se nourrir. Autour de 1800 av._J.-C., la plupart des cités ont été abandonnées. L’âge d’or du commerce interiranien, marqué par la présence de nombreux « trésors » et riches métropoles (coupe sur pied et bol tronconique) semble prendre fin vers -1800/-1700, au moment même où les textes mésopotamiens cessent de parler du commerce oriental. Les grandes agglomérations de Turkménie orientale (Altyn-tepe et Namazga-tepe) sont abandonnées et les grandes métropoles de la vallée de l’Indus disparaissent. Dans l’aire correspondant à la civilisation de l’Indus, le processus de régionalisation s’accentue avec la disparition des éléments le plus caractéristiques de l’unité harappéenne : l’écriture, les sceaux ou les poids. De nombreux éléments survivent pourtant au long du 2e millénaire dans les régions orientales et méridionales de la zone. Dans les siècles suivants, et contrairement à ses contemporaines, la Mésopotamie et l’Égypte ancienne, la civilisation de l’Indus disparaît de la mémoire de l’humanité. Contrairement aux anciens Égyptiens et Mésopotamiens, les Indusiens n’ont pas construit d’imposants monuments de pierre dont les vestiges perpétuent le souvenir. En fait, le peuple indusien n’a pas disparu. Au lendemain de l’effondrement de la civilisation de l’Indus, des cultures régionales émergent qui montrent que son influence se prolonge, à des degrés divers. Il y a aussi probablement eu une migration d’une partie de sa population vers l’est, à destination de la plaine gangétique. Ce qui a disparu, ce n’est pas un peuple, mais une civilisation : ses villes, son système d’écriture, son réseau commercial et – finalement – la culture qui en était son fondement intellectuel. Une des causes de cet effondrement peut avoir été un changement climatique majeur. Au 26ème siècle (av J.-C), la vallée de l’Indus était verdoyante, sylvestre et grouillante de vie sauvage. Beaucoup plus humide aussi. Les crues étaient un problème récurrent et semblent, à plus d’une occasion, avoir submergé certains sites. Les habitants de l’Indus complétaient certainement leur régime alimentaire en chassant, ce qui semble presque inconcevable aujourd’hui quand on considère l’environnement desséché et dénudé de la zone. Autour de 1800 av. J-.C., nous savons que le climat s’est modifié, devenant notablement plus frais et plus sec. Mais cela ne suffit pas pour expliquer l’effondrement de la civilisation de l’Indus.
« Le facteur majeur pourrait être la disparition de portions importantes du réseau hydrographique Ghaggar-Hakra identifié au fleuve Sarasvatî. Une catastrophe tectonique pourrait avoir détourné les eaux de ce système en direction du réseau gangétique. En fait, ce fleuve, jusqu’alors mythique, fait irruption dans la réalité lorsque, à la fin du 20ème siècle, les images satellitaires permettent d’en reconstituer le cours dans la vallée de l’Indus. De plus, la région est connue pour son activité tectonique et des indices laissent à penser que des événements sismiques majeurs ont accompagné l’effondrement de cette civilisation. Évidemment, si cette hypothèse était confirmée et que le réseau hydrographique de la Sarasvatî s’est trouvé asséché au moment où la civilisation de l’Indus était à son apogée, les effets ont dû être dévastateurs. Des mouvements de population importants ont dû avoir lieu et la « masse critique » indispensable au maintien de cette civilisation a pu disparaître dans un temps assez court, causant son effondrement. Une autre cause possible de l’effondrement de cette civilisation peut avoir été l’irruption de peuples guerriers au nord-ouest de l’Inde, qui auraient provoqué la rupture des relations commerciales avec les autres pays (les actuels Ouzbékistan et Turkménistan méridionaux, la Perse, la Mésopotamie). Or le commerce est l’une des raisons d’être des villes : elles se développent surtout autour des ports ou des nœuds routiers. Ces peuples guerriers étaient peut-être les Indo-Aryens, qui se trouvaient en Bactriane aux alentours de l’an 2000 av._J.-C.. Ce sont eux qui ont apporté le sanskrit en Inde. Ils auraient donc indirectement provoqué la désorganisation des cités de l’Indus avant de s’installer en Inde, vers 1700 av. J.-C. (cf. Bernard Sergent, « Genèse de l’Inde », Payot, 1997).
« La théorie de l’invasion aryenne (TIA) a été proposée pour la première fois par l’abbé Jean-Antoine Dubois, un indianiste français et développée par l’indianiste germano-britannique Max Müller durant le 19ème siècle. Cette théorie soutient qu’une peuplade de guerriers nomades de type europoïde, connue sous le nom d’Aryens (ou Aryas, Aryans) originaires de l’Asie centrale, a envahi l’Inde du Nord et l’Iran entre les 17ème et 16ème siècles av. J.-C.. Les Aryens amenèrent avec eux leur religion codifiée vers le 11ème siècle av. J.-C dans les Veda. En s’installant en Inde, ils abandonnèrent leur style de vie nomade et se mêlèrent aux populations autochtones du nord de l’Inde.
« La TIA – sous la forme d’une invasion violente et subite – n’est plus considérée comme satisfaisante aujourd’hui et elle est réfutée par la quasi totalité de la communauté scientifique. On lui préfère la théorie d’une migration progressive des Aryens en Inde, probablement originaire d’Asie centrale. Cependant cette dernière hypothèse d’une migration sans violence et étalée dans le temps n’est pas acceptée par certains, ses rares détracteurs sont généralement indiens. D’après eux, les Veda établissent la présence en Inde des Aryens longtemps avant la date supposée de l’invasion décrite par la TIA, soit autour de 1700 av. J.-C. » Relevons que pour cette intéressante encyclopédie d’internet, comme pour des historiens reconnus, la révolution, locomotive de l’histoire, n’est pas encore présente. De très nombreuses hypothèses sont, comme d’habitude envisagées, et on pourrait croire que toutes les possibilités soient évoquées, mais la révolution sociale ne fait pas partie de la liste…