Extrait de "La Matière-espace-temps" de Gilles Cohen-Tannoudji :
"Le portrait d’un système quantique ne peut être localisé sur une trajectoire dans l’espace de phase. Si l’on voulait décrire l’évolution d’un système quantique dans l’espace de phase, il faudrait faire appel au concept de nuage de points."
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"La quantité posée avec une déterminabilité essentielle qui exclut toutes les autres, c’est le quantum, ou quantité limitée. (...) Le nombre est une pensée, mais il est la pensée en tant qu’être qui est extérieur à lui-même. Comme pensée, il n’entre pas dans l’ordre des choses qui tombent sous l’intuition." Friedrich Hegel dans "Petite logique"
Courbes, fonctions, graphiques, équations, les mathématiques ont choisi d’étudier la notion de continuité non du fait de sa justesse descriptive du réel, ni pour sa supériorité philosophique, mais pour l’efficacité de l’étude des fonctions continues pour décrire le mouvement mécanique. Les travaux de Newton et Leibniz donnent du crédit à la notion de continuité du mouvement. Leur travail repose sur les quantités infiniment petites qui sont des bâtisseurs de toutes les quantités. Ils touchent du doigt l’importance des petites quantités mais partent sur une piste opposée à celle de la singularité : la construction d’une quantité par addition régulière et linéaire de petites quantités. Comme pour la quadrature du cercle, ils souhaitent construire le continu à partir du trait coupé, contenant un peu de discontinuité, à la limite, en passant à l’infini. C’est le calcul infinitésimal et intégral. Le succès de leur démarche est fantastique et donne naissance aux lois mathématiques de la nature. Sur le plan théorique, il va poser des problèmes insolubles, celui de la continuité des nombres et des points de la droite. Si les mathématiciens Karl Gauss et Augustin Cauchy croiront avoir clairement défini la continuité pour lui donner un fondement théorique solide, nous verrons que leurs successeurs (Bolzano, Weierstrass, Dedekind et surtout Cantor) se heurteront à de multiples contradictions. Par exemple, l’ensemble de Cantor, formé de nombres discrets va s’avérer contenir autant de nombre que l’intervalle continu entre 0 et 1, alors que cet ensemble n’est continu dans aucune de ses parties. La discontinuité peut donc donner l’illusion du continu.
En physique, l’utilisation d’une mathématique du continu a d’abord été incontestée. « Je considère ici les quantités mathématiques (...) comme décrites par un mouvement continu. Les lignes sont décrites par le mouvement continu des points ; les surfaces par le mouvement des lignes ; les solides par le mouvement des surfaces ; les angles par la rotation des côtés ; les temps par un flux continu. » écrivait par exemple le physicien Isaac Newton dans « Méthode des fluxions et des suites infinies ». Descartes n’épousait pas moins cet objectif du continu, ramenant la courbe à une droite (sans discontinuité) courbée : « Que tous les points (des courbes) qu’on peut nommer géométriquement (...) ont nécessairement quelque rapport à tous les points d’une ligne droite (...) » écrivait-il dans « Géométrie ».
Cet objectif de la transformation continue encore appelée mathématiquement la « fonction réelle de variables réelles », qui allait être celui de toutes les sciences, avait cependant une autre source que l’expérience et les mathématiques : un choix idéologique. En effet, à l’époque, acceptation de la discontinuité était synonyme de reconnaissance de la création divine. Ainsi, Gottfried Leibniz, dont la mathématique différentielle (l’introduction des infiniment petits dans les calculs) complétait le travail tendant à rendre continues les mathématiques, affirmait dans « La Monadologie » que « Chaque portion de la matière n’est pas seulement divisible à l’infini (...) mais encore sous-divisée actuellement sans fin, chaque partie en parties (...) ». En somme, la discontinuité serait partout mais la continuité serait obtenue à la limite. Il remarquait cependant des singularités au niveau mathématique et surtout physique comme ici dans « Discours de la Métaphysique » : « Il apparaît de plus en plus clairement que tous les phénomènes particuliers de la nature peuvent être expliqués mathématiquement ou mécaniquement par ceux qui les comprennent. Cependant les principes généraux de la nature corporelle ou même de la mécanique (...) appartiennent à certaines formes ou natures indivisibles qui sont les causes des apparences plutôt qu’aux masses corporelles ou à l’extension. » Sa conclusion ne prêtait pas à confusion sur l’importance idéologique du discontinu : « De cette façon, nous sommes en mesure de réconcilier la philosophie mécanique des modernes avec la conception de ces personnes qui (...) craignent que nous soyons en train de nous éloigner de l’être immatériel au préjudice de la piété ». Faut-il pour autant rejeter les remarques pertinentes de Leibniz sur la discontinuité et sur la non-linéarité comme celle-ci : « Il est clair (...) qu’une délimitation n’est pas homogène avec ce qu’elle délimite. » (dans « La fondation métaphysique des sciences »)
En physique, faut-il considérer comme valable les notions de point, de droite ou de segment, considérées comme indépendantes les unes des autres ? Pour y répondre il faudrait, par une méthode physique, être capable de dire qu’il n’a pas bougé, c’est-à-dire le connaître complètement. Une telle connaissance n’est pas physique. Connaître un point, ce serait émettre une énergie infinie pour connaître une position avec une précision infinie. Connaître exactement un segment nécessiterait de déterminer avec une précision infinie ses extrémités. Cela pose le même problème. Pour la géométrie d’Euclide, un segment n’est égal qu’à lui-même. En physique, la mesure n’a rien d’un calcul exact. En temps limité, l’interaction est la seule information possible entre matières via les photons. En procédant ainsi on ne peut rien connaître avec une précision infinie. L’apparence réelle de segment n’est qu’une série de points discrets régulièrement alignés. Il n’y a aucune continuité d’un point à un autre. Il y a une infinité de points mais il y a toujours des trous entre eux. Et dans ces trous, si on observe de plus près, on trouve encore des points. Donc pas plus de continuité des trous que de continuité des points.
Le segment n’a pas plus d’existence, réelle ou mathématique, que le point isolé, indépendant du reste du monde, indépendant de l’espace, indépendant des autres points. Les mathématiciens le savent et se sont gardés de définir ces notions, eux qui sont si favorables à tout définir et à tout rationaliser formellement. Ils ont décrété que le point, la droite et le segment devaient rester des « évidences sensibles ». Pourtant, nos sens ne sont pas capables de percevoir de telles « objets ». Il s’agit d’illusions des sens. L’observation nous dit tout autre chose. Un point fixe existe-t-il au sens physique dans la nature ? Aucun « objet » fixe ne peut être observé dans la nature comme aucun « objet » isolé du reste de l’univers. Ensuite, le mode de fonctionnement de la nature comme son mode d’observation n’obéissent pas aux mêmes règles que des concepts figés du type point fixe ou segment fixe. La nature ne progresse pas lentement, progressivement, linéairement et directement vers la valeur exacte. Elle explore les possibilités par bonds, par touches successives, discontinues avec de multiples marches aléatoires intercalées au sein de mouvements déterminés. C’est un mécanisme discontinu de sauts en zigzag appelé « intermittence ». Dans l’observation réelle, la réalité observée change sans cesse : le point devient segment et le segment devient un point, de manière dialectique, en fonction de l’échelle concernée. Il existe des dynamiques géologiques pour lesquelles ce qui se déroule en dix mille ans est ponctuel. Dans l’interaction, il y a sans cesse relation entre le lent et le rapide, entre l’instantané (relativement) et le durable. Hegel avait déjà remarqué la relation dialectique entre immédiateté (l’instant ponctuel) et médiation (nécessairement une certaine durée). Ponctuel ou d’une certaine durée, la réponse ne peut être absolue parce que cela dépend de l’échelle. La réalité nous présente des univers emboîtés, à des échelles différentes, et des univers non linéaires. Le point ou le segment peuvent décrire une réalité mais pas comme des absolus ni comme des éléments fixes, figés.
Dans la construction des nombres, on est parti du discontinu pour tenter de parvenir au continu. Les nombres entiers sont l’univers du ponctuel, du discret, de la régularité mais aussi de la discontinuité. L’ordre est précis et correspond au dénombrement des ensembles d’objets du même type. Les nombres entiers ont un rôle très important en physique quantique, avec notamment les nombres quantiques. Mais les nombres entiers ne peuvent correspondre à une réalité changeante et encore moins à une physique dans laquelle on ne peut pas préciser exactement la position et la vitesse. D’ailleurs, qu’il soit entier ou pas, un seul nombre fixé par une précision absolue ne peut décrire une telle réalité. La discontinuité a continué à caractériser les nombres, avec la formation des nombres décimaux. Même s’il y a bien plus de décimaux que d’entiers, il reste encore plus de trous entre les décimaux. Les mathématiciens ont repris leur travail de construction pour combler ces trous. Des nouvelles séries de nombres ont été inventées. Personne ne peut prétendre aujourd’hui que la question de la continuité des nombres ait été résolue. Bien entendu, on peut donner de multiples définitions de la continuité mais il est clair que la notion de succession de points qui ne seraient séparés par aucun vide n’est pas prête d’être réglée. Définir de manière complexe la continuité est possible mais cela ne règle pas ce problème fondamental. S’il existait un tel type de continuité, on pourrait dire qu’en mathématiques l’infiniment petit a véritablement un sens. Bien entendu, cela ne règlerait pas la question : la continuité a-t-elle un sens en physique, en chimie, en biologie, en neurologie, en termes de conscience, d’acquisition des connaissances, de croissance, ou d’évolution des espèces ou des sociétés ? Eh bien, même mathématiquement, la continuité reste à inventer…. On peut penser que les nombres réels suffisent très largement à imager une presque continuité. Pour le calcul, cela suffit certainement. Pour la philosophie de la nature fondamentale du monde, certainement pas. Supprimer les vides entre les nombres, comme en géométrie supprimer les vides entre les points de la droite ou de la courbe, c’est concevoir un monde sans contradiction. Un monde sans vide entre les particules. Un monde dans lequel les interactions sont directes et instantanées. Un monde où il peut exister un objet tel une particule se déplaçant sans interaction dans le vide. Un monde où une particule peut se déplacer brutalement de façon instantanée. Un monde où existe un temps ponctuel, une position ponctuelle, entièrement définie, sans épaisseur, sans mesure de son occupation du temps et de l’espace. Telle n’est pas la réalité qui apparaît en physique quantique, ni en général en physique. Aucune interaction (nous ne connaissons le monde que grâce aux interactions) ne définit un objet isolé. Aucune interaction n’a lieu instantanément. Aucune interaction ne permet une précision intégrale de position et de vitesse. L’existence du point isolé, l’existence du segment continu parcourable en passant un par un par tous les points, toutes ces notions ne sont pas acceptables comme image du monde. Qu’elles soient pratiques mathématiquement, qu’elles aient eu leur heure de gloire n’empêche pas de reconnaître qu’elles n’ont plus d’avenir. Admettre une continuité à n’importe quel niveau du monde réel, c’est renoncer à la contradiction. La physique est contrainte dans toutes ses images de faire réapparaitre celle-ci, qu’on l’appelle matière/lumière, matière/vide, matière/antimatière, boson/fermion, ou particule/virtuel, etc…. La nature est dialectique. La continuité de la droite des nombres, comme la géométrie d’Euclide sont fondées sur une logique oui/non qui est métaphysique et donc incapable de représenter ce monde fondé sur des contradictions dialectiques et des changements dynamiques qui ne s’interrompent jamais. Chacun est en droit de se dire que ce n’est pas la continuité qui a fait faillite et qu’il s’agit seulement d’une impossibilité d’imager de monde avec des concepts produits par le cerveau humain, en somme qu’il s’agit simplement d’une leçon d’humilité. Mais, en réalité, ce n’est pas une morale de modestie qui ressort des études. C’est bien une contradiction fondamentale entre continuité et discontinuité.
Cela est illustré en géométrie par la droite et le point et, en algèbre, par la droite des nombre dits réels.
En effet, on a d’abord considéré que la droite ou le segments étaient des ensembles de points. Cela supposait qu’il n’y avait pas deux concepts contradictoires dialectiquement entre la droite (ou le segment) et le point. La réflexion a prouvé que c’était faux. Par exemple, le point étant sans dimension (occupant un espace nul), une accumulation (même infinie) de points ne peut définir une dimension d’espace. Il faut donc considérer qu’il y a toujours des espaces entre les points. On ne peut donc réduire une droite à un ensemble de points mais il faut rajouter les espaces entre les points. mais cet espace entre les points, de quoi est-il fait ? On est obligé de répondre qu’il est de même nature : composé de points séparés par des espaces. Finalement on a donc des niveaux hiérarchiques emboités et interactifs. Un univers fractal puisque l’allure ne permet pas de dire à quel niveau on se situe.
Si l’on considère l’utilisation des mathématiques par la physique, on tombe sur la notion d’espace et de temps qui peuvent sembler ressembler au segment et sur les notions de position ou d’instant qui ressemblent au point de la géométrie. Pour la particule de la microphysique, comme l’électron, le neutron ou le proton, on parlera ainsi de "point matériel". Mais on constatera qu’entre les particules se situent des espaces vides qui sont eux-mêmes constitués de particules virtuelles. Cela signifie que le point devient un nuage de points. A leur échelle, la particule n’est plus un point matériel mais un nuage de points virtuels. En, ensuite, entre les particules virtuelles il y a encore des espaces qui sont des points de virtuel de virtuel, eux-mêmes séparés par des espaces .... etc ... Un monde hiérarchique fractal avec des rapports d’échelle de 137 ....
L’apparence de continuité, qu’il s’agisse des mathématiques ou des sciences, est donc le produit de discontinuités aux échelons hiérarchiques inférieurs.
D’autre part, la discontinuité peut elle-même devenir un piège si elle est conçue comme figée et non comme dynamique comme c’est le cas pour la notion de point figé et isolé. Il n’est pas plus facile de concevoir une dynamique du discret que de penser, comme on l’a souvent fait jusque là, une dynamique du continu.
La question de la discontinuité ne suffit donc pas à résoudre le problème. Il faut également une philosophie dialectique car il s’agit de penser le passage entre des niveaux hiérarchiques interactifs qui est un saut qualitatif.
La continuité, une propriété mathématique ?
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