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Pourquoi la civilisation Toltèque (celle centrée sur la ville de Tula) a disparu en 1168 après J.-C. ?
mercredi 6 février 2019, par
Pourquoi la civilisation Toltèque (celle de la ville de Tula) a disparu en 1168 après J.-C. ?
Tula et la civilisation toltèque sont souvent considérés comme le plus haut niveau humain, social et civilisationnel, pacifique et culturel de tout l’univers des sociétés indiennes. Pourtant, ils ont chuté comme les autres, été balayés comme les autres. Ils n’ont laissé comme traces que des ruines et une influence sur les civilisations suivantes...
De nombreuses civilisations indiennes ont chuté par la révolution sociale et on pourrait penser que ce n’est pas le cas des Toltèques mais ce n’est pas aussi simple… Même quand la fin dernière est une défaite militaire, il arrive que ce soit la déstabilisation sociale qui soit à l’origine de la défaite. Souvenons-nous de l’empire romain et de sa chute qui pourrait sembler militaire…
En fait la société toltèque va être encadrée entre deux révolutions : produite par l’une et mortellement affaiblie par l’autre…
En 725 après J.-C., la révolution sociale qui renverse le pouvoir à Teotihuacàn mène à la révolution urbaine des Toltèques à Tula et plus tard à l’Etat toltèque. En 1168 après J.-C., la révolution sociale affaiblit les Toltèques et fait chuter Tula…
La tradition rapporte qu’en 977 après J.-C., à Tula, la guerre civile renversait la royauté
Le plus célèbre des rois mythiques de Tula fut en effet Acatl Topiltzin, fils du dieu céleste Mixcoatl et de la déesse de la Terre Chimalman. En 977 il fut élu roi sous le nom de Quetzalcoatl, le Serpent à plumes. Mais une guerre civile allait bien vite opposer les partisans du dieu Tezcatlipoca à ceux de Quetzalcoatl qui s’opposait aux sacrifices humains. Le roi-prêtre fut chassé de Tula et ses fidèles se dispersèrent dans la vallée et s’allièrent avec d’autres tribus Nahuas. Intégrant les tribus nomades venues du nord.
C’est une société qui était pacifique, artisanale, scientifique, artiste et commerçante (incarnée par la philosophie des « accords toltèques ») et elle devient, comme nombre de civilisations indiennes, guerrière.
Leur réputation d’artisans exceptionnellement habiles n’était pas usurpée. Selon la tradition, ils sont à l’origine de la culture raffinée, artistique et intellectuelle de la Méso-Amérique. Peintres, sculpteurs, constructeurs de somptueux palais, ils sont également experts des écritures pictographiques. C’est dans leur capitale, Tula, que l’on a découvert les plus raffinés des vases en albâtre ou en cristal de roche. Des ornements précieux, très élaborés, ont également été mis au jour dans la pièce principale du « Palais brûlé » – qui était sans doute le siège où se réunissaient leurs élites –, entre autres un pectoral constitué de 1 600 fragments de coquillages et un disque de pyrite orné de 3 000 pièces de turquoise formant l’image de quatre serpents. Les Toltèques passent d’ailleurs pour être les inventeurs de la mosaïque.
En effet, au onzième siècle, la société toltèque change fondamentalement de bases. Tula avait refusé l’omniprésence des dieux de sang, de guerre et de sacrifices et elle y cède finalement pour être quand même battue par plus sanguinaire qu’elle : par les Chichimèques ! Le changement radical est symbolisé par le mythe de la défaite du dieu Quetzalcoatl (dieu protecteur et dieu de la Sagesse, Serpent à plumes, plutôt opposé aux pratiques sanguinaires de sacrifices humaines) incarné par le chef toltèque Acatl Topiltzin Quetzalcoatl souverain de Tula face au sanguinaire dieu Tezcatlipoca, divinité du monde nocturne et divinité de la guerre, le plus craint de tous les dieux du panthéon indien. Selon le mythe évoqué dans les Annales de Cuauhtitlan, lorsque Quetzalcoatl régnait sur Tula, son frère Tezcatlipoca arriva sous l’aspect d’un beau jeune homme accompagné de deux sorciers et aurait corrompu Quetzalcoatl en le faisant boire une boisson alcoolisée à base de jus de cactus. Après avoir éméché son frère, Tezcatlipoca en profita pour séduire la fille du chef Uemac et également nièce de Quetzalcoatl. Lorsque celui-ci eut repris ses esprits, Tezcatlipoca apporta un miroir et Quetzalcoatl fut horrifié de se voir éméché. Ainsi humilié par son frère, il construisit un radeau et partit loin de la capitale, suivi par une poignée de fidèles seulement. Après son départ, Tezcatlipoca aurait pris le pouvoir sur la capitale toltèque et appris à son peuple la désobéissance aux lois. Beaucoup de spécialistes pensent que ce récit est celui de Ce Acatl Topiltzin Quetzalcoatl, un chef toltèque qui aurait vécu dans des conditions similaires.
Le mythe des deux dieux toltèques qui se combattent, c’est aussi une manière de raconter la division de la société toltèque, un combat interne entre Toltèque, une lutte politique mais aussi sociale… La légende de Tezcatlipoca et de Quetzalcoatl représente de manière mythifiée le schisme dans la nation toltèque, une véritable guerre civile interne.
Conçu aux limites du domaine chichimèque, le domaine toltèque a sans cesse été menacé et s’est sans cesse demandé qu’est-ce qui le protègerait davantage : une politique pacifique ou une politique guerrière. Dès que la richesse a décliné, que la crise sociale est apparue, la division entre les deux politiques est devenue un fossé.
Une génération après la fondation de Tula, les armées toltèques, probablement un amalgame de nombreuses races et tribus, s’étaient répandues dans presque tout le Mexique. Ils ont dominé les deux côtes et sont arrivés jusqu’au Guatemala, au sud et à l’intérieur du pays, où ils sont entrés dans les terres de leurs ancêtres Chichimecas vers le nord. Vers l’an 1000, ils firent leur avancée la plus spectaculaire et atteignirent le Yucatan, où la culture maya était toujours florissante. Les dirigeants toltèques ont alors basculé dans le sens guerrier, rompant avec leur peuple et les donnant du coup en proie à leurs ennemis.
L’importance des Toltèques pour toute la Méso-Amérique est indéniable, leurs idéologies religieuses ont eu un impact sans précédent. Les Aztèques eux-mêmes, qui les considéraient comme les promoteurs de toutes les cultures, ont pris pour leur part l’une des principales contributions toltèques à la religion mésoaméricaine, le rite de Quetzalcoatl.
Il est caractéristique que le mythe du combat de ces deux dieux soit justement une interprétation et une explication de la chute de la ville Toltèque de Tula dont voici le récit par « Archéologie mexicaine » :
« Après cette attaque de forces surhumaines, la ville de Tollan reste sans défense possible, car celui qui pourrait la protéger dans le plan rituel a été discrédité sans recours. Quetzalcoatl doit donc entreprendre le vol. À cet égard, les informateurs de Sahagún disent qu ’"il est agité, il est consterné, puis il se souvient qu’il doit partir, qu’il doit quitter sa ville, Tula". Il a ensuite enterré et caché les biens précieux des Toltèques, des édifices les plus élevés aux bijoux et pierres précieuses ", aurait-on raconté qu’il cachait tout, sa maison d’or, sa maison de corail, et plus encore, les biens du Toltèque, objets merveilleux, objets précieux ; tout l’enterre, tout le cache, là-bas dans les endroits difficiles, dans les collines ou dans les ravins ".
Toute la ville perdait de sa splendeur et tout ce qui était sa gloire matérielle disparaissait, les bâtiments étaient abandonnés, les objets d’art étaient cachés, jusqu’à ce que la nature abandonne Tula, car "à cette époque, les cacaoyers ils sont devenus mesquites ; et tous les oiseaux précieux, l’oiseau quetzal, l’oiseau turquoise, le tlauhquechol, les ont d’abord envoyés à l’avant. " Il s’agit des oiseaux emblématiques des richesses de la ville, maintenant son départ est un symbole que les jours de prospérité des Toltèques ont pris fin à jamais.
Il faut souligner ici l’épisode dans lequel les magiciens dirigés par Tezcatlipoca interceptent Quetzalcoatl en plein vol et l’obligent à livrer le toltecáyotl, ou "toltequidad". Pour les anciens Nahuas, les Toltecáyotl étaient tout ce qui était typique des Toltèques et qui les distinguaient en tant que peuple, c’est-à-dire leurs compétences artistiques et leurs connaissances. Lorsque les anciens indiens ont déclaré que Tezcatlipoca et Huitzilopochtli avaient volé à Quetzalcoatl les toltecáyotl, ils ont indiqué que les Toltèques avaient été dépouillés de leur patrimoine culturel pour qu’il soit livré et apprécié par les groupes protégés par les dieux vainqueurs, à savoir les Nahuas successeurs. de Tula, parmi eux les Mexicas eux-mêmes. En lui dépouillant de l’héritage culturel de Toltecáyotl, Tezcatlipoca et les magiciens divins ont obtenu leur dernier triomphe sur Quetzalcoatl, car "ils l’ont complètement vaincu, obligé à tout quitter, tout être enlevé". En bref, c’est la destruction du meilleur de Tula, la perte de ses richesses, la fin de sa nature prodigieuse et son travail artisanal, ainsi que l’abandon de son prêtre, dirigeant et dieu : Quetzalcoatl.
Dernier signe de la destruction de la prodigieuse cité des Toltèques, on peut lire le passage suivant de la fuite de Quetzalcoatl, où il s’arrête pour ressentir sa douleur : "Alors, pour cette raison, il regarde Tula et crie immédiatement pour cela ; en plus des sanglots, les larmes coulent déjà comme de la grêle ; Les larmes se sont répandues sur son visage ; c’est pourquoi, quand les larmes ont coulé, la pierre a été transpercée. " C’est l’une des images les plus fortes de la douleur pour la ville perdue.
Après Quetzalcóatl est arrivé jusqu’à la côte, où il s’est embarqué vers l’horizon dans une barque de serpents ou, selon une source, a fait un feu de joie avec le même bateau et s’est immolé en elle. » source
« Mexique : qui étaient les Toltèques ? », Pierre Antilogus :
« L’effondrement des Toltèques n’est pas la première, ni la seule, dans l’histoire heurtée des civilisations précolombiennes, faite de périodes d’expansion suivies de rudes replis. Ainsi, aux environs de 200 avant Jésus-Christ, existait déjà dans la vallée de Mexico une cité immense et sophistiquée, Teotihuacán, qui comptait jusqu’à 200 000 habitants, sans doute la plus grande ville du monde à cette époque. On peut encore admirer les ruines de cette somptueuse cité dans la vallée de San Juan, à 50 kilomètres au nord-est de Mexico. Elle s’est effondrée entre le VIe et le VIIe siècle, dans une confusion violente et inexpliquée. Plusieurs explications ont été avancées par les spécialistes : révoltes contre le pouvoir, croissance excessive de la population, invasion destructrice d’un peuple voisin, catastrophe écologique… Aucune n’a pu être vérifiée.
Il en est de même pour Tula et les Toltèques. Ont-ils fini par être débordés par le déferlement des tribus nomades et sauvages du nord, les Chichimèques ? Ont-ils été victimes d’un bouleversement climatique ? On sait qu’une période de sécheresse a sévi dans le centre du Mexique entre 1149 et 1167, or c’est en 1168 que la ville de Tula a été prise par des envahisseurs et ravagée par un incendie, comme en témoignent les traces de feu retrouvées dans le « Palais brûlé ». Les chroniques anciennes rapportent une version plus poétique du déclin toltèque : le sage Quetzalcóatl, dieu-prêtre de la Fertilité agraire et de la Richesse, aurait été trompé par son rival, le belliqueux et malveillant sorcier Tezcatlipoca, qui l’aurait amené, par ruse, à coucher avec sa propre soeur. Vaincu, horrifié d’avoir enfreint son idéal de chasteté, Quetzalcóatl se serait alors enfui vers l’est, et aussitôt la sécheresse se serait abattue sur la région de Tula. Les temples ont été détruits, les épineux ont dévoré les cultures, et les oiseaux au ramage lumineux se sont envolés à plus de cent lieues, prétend encore la tradition. Tula serait retournée alors à l’état sauvage… »
« Les Toltèques dans l’histoire du Mexique », Terra Maya :
« Lorsque les Toltèques arrivèrent à Teotihuacán, suite à leur migration, et pour nous vers l’an 1000, la cité était déjà abandonnée depuis près de trois siècles... On ne sait quelle guerre ou cataclysme a pu vider l’endroit de tous ses habitants. On a retrouvé récemment les traces d’un grand incendie dans la cité. Les Toltèques ont investi une ville fantôme et très vite lui ont redonné vie. Ils reconstituèrent en partie l’héritage de ces ancêtres prestigieux dont ils ne savaient presque rien. Ils fondèrent leur nouvelle capitale, Tula, 50 Km plus au nord-ouest, et, en deux siècles, bâtirent un empire puissant s’étendant sur tout le centre du Mexique. L’histoire se répète… L’histoire de "Quetzalcoátl", ce Dieu qui traverse toute la mythologie précolombienne et qui semble avoir vraiment existé : on pense qu’il s’agit du fils de Mixcoátl qui, devenu le maître spirituel des Toltèques, repris le nom de ce dieu déjà vénéré depuis des siècles mais sans importance particulière et qui par sa propre histoire, funeste d’ailleurs, fit renaître la légende du "Serpent à Plume" en créant involontairement la confusion dans l’esprit de ses contemporains. Renversé par ses ennemis qui adoraient des dieux sanguinaires… Il faut citer aussi la ville de Cacaxtla près de Puebla, relais actif des échanges entre les Toltèques et les cités Mayas du Yucatán. On sait que sa richesse lui permettait d’entretenir une grande armée dont de nombreuses peintures représentent les plus fameuses batailles comme pour cette représentation du chef de la tribu des Oiseaux-Guerriers, qui, tombé en disgrâce après sa défaite, se mutile volontairement le visage devant ses vainqueurs... Les Atlantes de Tula sont quatre géants de pierre alignés côte à côte. On les trouve sur la terrasse d’une pyramide basse à quatre degrés, un "Teocalli" , auquel on accède par un escalier monumental. Ils mesurent tous cinq mètres de haut et ce sont probablement les guerriers mythiques d’"Aztlán" , la Cité-Mère , dont on a pu croire un temps qu’elle faisait référence à la fameuse Atlantide. La similitude des deux mots paraît troublante. Le site de Tula est étonnant de beauté d’autant plus qu’il est assez rare de trouver des représentations humaines d’une telle importance. Les statues, qui n’étaient en fait que des piliers, supportaient les superstructures d’un temple immense entouré d’une ville dont il ne reste plus rien. On imagine à peine la richesse des autres ouvres qui devait s’y trouver. Comme Teotihuacán, la cité domina toute la vallée de Mexico et comme Teotihuacán, la cité fut envahie et détruite au XIIème siècle, par des barbares venus du Nord. On sait aujourd’hui que la ville fut brûlée et abandonnée. »
« Atlas historique de la Méso-Amérique », Norman Bancroft Hunt :
« Ce qui prête à confusion et provoque la discussion parmi les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire de l’Amérique centrale, c’est que beaucoup des grandes cités ont été brusquement désertées, souvent après avoir fait l’objet de tentatives apparentes de destruction. Les grands sites olmèques de San Lorenzo et de La Venta ont été détruits avant d’être abandonnés comme le seront plus tard les villes majeures de Teotihuacàn et de Tula. Bien que les indices de destruction y soient moins visibles, il en va de même pour de nombreux centres mayas. Ces abandons présentent la particularité de ne pas sembler faire suite à un quelconque déclin, mais de se produire brutalement et de façon catastrophique. Ils apparaissent au cours de périodes où les preuves archéologiques suggèrent à l’évidence qu’il s’agissait de centres prospères, sur le plan religieux et commercial. Diverses explications ont été avancées. Selon la plus communément admise, des pressions extérieures ont rendu ces sites intenables. D’après ces scénarios, des intrigues politiques entre cités rivales auraient entraîné des guerres qui auraient fait perdre aux souverains leur autorité et poussé les populations à l’exode. Selon une autre explication, des dissensions internes, dues à des soulèvements des communautés rurales contre les élites gouvernantes, se seraient terminées en guerres civiles. Une troisième hypothèse s’appuie sur une augmentation trop rapide des populations que n’auraient pas pu supporter les ressources locales. (...) La troisième hypothèse n’est pas applicable aux Olmèques qui n’ont jamais été assez nombreux pour épuiser les ressources de leur territoire. On peut aussi invoquer de violents bouleversements qui auraient pu être d’origine très diverses et dont le rôle aurait été déterminant. Ni à San Lorenzo, ni à La Venta n’apparaissent des indices permettant de prouver que les destructions ont été dues à une insurrection. Si des combats assez violents s’étaient déroulés pour chasser l’élite gouvernante en place, les vestiges archéologiques auraient été, tout au moins partiellement, détruits. C’est ce que l’on constate dans le site ultérieur de Tula que les Aztèques envahirent et brûlèrent. Les monuments ont été envahis avec une telle violence qu’ils ont été fracassés. A San Lorenzo et à La Venta, rien de tel : les destructions s’apparentent plus à des destructions systématiques qu’à un événement dramatique. Dans ces deux sites, les monuments jetés à terre ont été détériorés par des coups, des entailles, des éclats et des trous. (...) Des envahisseurs, ou même des insurgés, auraient laissé en place les vestiges mutilés au lieu de les disperser selon un ordre précis. Il n’est pas dans les usages des armées conquérantes ou des partisans d’une guerre civile de traiter les vestiges de leurs ennemis avec un tel respect. (...) Mais cette action pouvait être aussi une façon de les condamner au Royaume de la mort et de leur retirer ainsi rituellement leurs pouvoirs. »
« Teotihuacàn se situe dans la plaine bien irriguée du nord-est du bassin de Mexico, près de la ville moderne du même nom. La rivière San Juan et ses affluents se jettent dans le lac Texcoco ; d’éternels printemps et une irrigation intensive permettent de faire vivre une nombreuse population, raison pour laquelle, peut-être, les agriculteurs de la période de formation récente se réunirent dans cette région et établirent progressivement des relations commerciales avec les autres régions de Méso-Amérique. (...) Le centre religieux de Teotihuacàn attirait les étrangers et les pèlerins de régions éloignées, dont la plupart étaient pauvres. La population permanente et de passage de Teotihuacan augmenta trop rapidement pour que la ville puisse subvenir à l’ensemble des besoins : tandis que la noblesse abusait de nourriture et que des fêtes rituelles somptueuses se déroulaient toujours, les résidents et les étrangers les plus pauvres souffraient souvent de la faim. Teotihuacan s’effondra au cours du 8ème siècle. Comme ses principaux édifices ont été brûlés et détruits, on pense que les plus pauvres s’étaient soulevé contre la hiérarchie. (...) Une insurrection civile fait tomber Teotihuacàn. (...) Survint un événement dramatique. Des découvertes archéologiques ont mis en évidence l’existence de combats féroces qui se seraient déroulés dans le centre de la cité, des monuments abattus et détruits, des temples profanés. (...) La totalité du centre de Teotihuacàn fut incendiée. (...) Le déclin de l’architecture et des arts implique une catastrophe qui aurait mis fin au fonctionnement interne de la cité. Il est aussi possible que l’importance du commerce de Teotihuacàn ait minimisé le pouvoir des prêtres, la ville devenant alors plus un lieu de négoce qu’un centre rituel. Il est peut-être significatif que les combats les plus violents aient eu lieu au cœur même du centre cérémoniel. C’est là que se trouvent les signes de destruction délibérés, de profanation et d’incendie. Bien qu’il se fut agi d’une enceinte sacrée, c’est dans cette partie de Teotihuacàn que vivaient les notables et les prêtres et que se situaient les bâtiments administratifs importants. On ne trouve aucune trace de combat ou d’incendie dans les quartiers des artisans ou dans les faubourgs où habitait la plus grande partie de la population. Ces données archéologiques ont permis d’avancer que Teotihuacàn avait été le siège d’une brève mais désastreuse insurrection civile. (...) Alors que le commerce augmentait et, avec lui, le pouvoir que détenaient marchands et artisans, un ressentiment avait pu s’élever contre l’augmentation des impôts nécessitée par le financement des ambitieux programmes des notables, des prêtres et de la bureaucratie. L’arrêt des programmes de construction dans les dernières années de Teotihuacàn peut simplement être une conséquence de la volonté des commerçants d’exercer leurs droits et de refuser de répondre aux levées d’impôts. »
Les sociétés méso-américaines ont été détruites par des révolutions mais il ne faut pas oublier qu’elles ont également été construites face à des révolutions et par des révolutions.
Les Toltèques, un groupe de langue nahuatl qui soumit les Nonoalcas, descendants des Teotihuacan, font partie des tribus qui ont fait irruption en Mésoamérique. Ils s’y sont manifestés entre 900 et 1200 de notre ère, ce qui signifie qu’ils sont beaucoup plus proches de nous que les Olmèques ou les Mayas. Quand les envahisseurs se sont mêlés avec les habitants des vallées de l’état actuel d’Hidalgo, ils ont créé une grande ville.
Tollan ("Lugar de tules"), près de la rivière Toula, en était la capitale. Ils y ont construit des bâtiments ornés de colonnes en forme de guerriers appelés "Atlantes". Ils ont également sculpté des figures de jaguars, coyotes et aigles dévorant les cœurs. Vers l’an 1050 de notre ère, les Toltèques avaient transformé Tula en une grande ville, capitale d’un empire qui dominait le centre du Mexique et étendait son influence à des régions très éloignées. A Tula, la fonction politique était liée au religieux et le centre urbain était le siège du gouvernement et de la religion.
Les Toltèques ont étendu leur influence par la guerre et le commerce, ont emprunté à d’autres cultures différentes façons de travailler la terre et de construire des temples ou des maisons, ont obtenu des richesses et des territoires dominés. Les peuples sujets leur ont rendu hommage en échange d’une protection militaire. Au cours de la guerre, ils ont obtenu des richesses et des territoires dominés ; les peuples sujets leur ont rendu hommage en échange d’une protection militaire. Les Toltèques ont étendu leur influence par la guerre et le commerce. Les Toltèques ont reçu des articles aussi différents que des céramiques d’Amérique centrale et des turquoises du Nouveau-Mexique actuel. À leur tour, des produits de Toula ont été trouvés dans des endroits aussi éloignés que le Honduras et le sud des États-Unis d’Amérique.
La guerre acquit, chez les Toltèques, une plus grande importance que dans les cultures qui ont prospéré à l’époque classique. Il apparaît des professionnels militaires qui s’identifient à certains animaux tels que : les guerriers aigle, jaguar ou coyote. Dès lors, la prédominance des guerriers s’intensif et l’esprit militariste caractérise toutes les cultures postclassiques.
Le centre cérémoniel de Tula avait des pyramides, des salles et des jeux de ballon ; et comme à Teotihuacán, l’obsidienne et la céramique étaient travaillées. Selon un poème, le génie des artistes toltèques était dû à : "ils ont mis leur coeur dans le travail".
Les Toltèques ont dominé un grand territoire, mais pas pour longtemps. Vers l’an 1200 apr. J.-C. sa force a été détruite par de nouveaux groupes d’envahisseurs. La fin de Tula ressemble à celle de Teotihuacán, environ 1 170 personnes et la ville et son centre cérémoniel ont été pratiquement détruits ; Cependant, l’influence des Toltèques a survécu à plusieurs endroits. C’est le cas de Chichén Itzá, dans la région maya du Yucatán, dont l’architecture et les sculptures, telles que Chac-mool, ressemblent extraordinairement aux Toltèques. (Voir pp.112 et 113 de l’Histoire du livre de la 5e année). La ruine de Tula a favorisé l’entrée de nouveaux groupes dans l’altiplano qui s’est installé à Tenayuca, à Texcoco. Des groupes Nahua du Mixteca sont arrivés.
Chez les peuples Nahuas, le mot Toltèque était synonyme d’artiste, d’artisan de sage, ou de maîtres bâtisseurs et toltecayotl (Toltècisé) signifie art, culture civilisation, urbanisme et était considéré comme le contraire de Chichimèques (Chichimecisé), qui symbolisait l’état sauvage des peuples nomades qui n’étaient pas encore urbanisés. Cette interprétation fait valoir que tout grand centre urbain en Amérique centrale pourrait être dénommé Tollan et ses habitants Toltèques et qu’il était de pratique courante pour les lignées royales de la période Mésoaméricaine postclassique de renforcer leurs prétentions au pouvoir en revendiquant une ascendance toltèque. Les récits méso-américains de migrations rapportent souvent que Tollan était gouvernée par Quetzalcoatl (ou Kukulcan en langue Maya yucatèque et Gukumatz en langue K’iche’), une figure divine mythique qui fut exilée de Tollan et est parti fonder une nouvelle cité d’ailleurs en Méso-Amérique. Les revendications d’une ascendance toltèque et d’une dynastie fondée par Quetzalcoatl sont communes à diverses civilisations comme les Aztèques, les peuples Quichés et les Mayas d’Itzá.
Tula, capitale de l’Empire Toltèque (dans l’Etat mexicain d’Hidalgo), est l’une des grandes métropoles commerciale, politique et religieuse de Méso-Amérique. Elle a été conquise par les Chichimèques en 1168 après J.-C. mais quelle était la raison d’une telle chute qui permettait à leur voisin de devenir plus puissants qu’eux sans que la population ne défende leur ancienne cité et société ? La réponse suit…
« Des dieux, des tombeaux, des savants », C.W.Ceram :
« Les maîtres de Tula étaient aussi des sages… Leur empire aurait duré cinq siècles ; puis il y eut des famines, des guerres civiles, des querelles dynastiques. »
Carolo Coccioli, « L’aigle aztèque est tombé » :
« Qu’est-ce qu’un Toltèque ? Les Toltèques étaient des gens d’expérience, on dit qu’ils étaient artistes de plumes, de l’art de les coller, ce qui fait qu’ils étaient merveilleux, précieux, dignes de considération. »
Laurent Claret, « Les accords toltèques » :
« La voie Toltèque était une voie de Sagesse qui comprenait trois maîtrises : la maîtrise de l’Attention (ou de la Conscience), la maîtrise de la Transformation, la maîtrise de l’Intention (ou maîtrise de l’Amour). Pour faire court les cinq accords visaient à prendre conscience de ce qui nous limite pour le transformer et arriver à vivre l’amour au quotidien. Les cinq Accords sont les suivants : « Que votre parole soit impeccable », « Quoi qu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle », « Ne faites pas de supposition », « Faites toujours de votre mieux », « soyez sceptique mais apprenez à écouter ». »
Alain Gerber, « Le jade et l’obsidienne » :
« Tezcatlipoca étale son manteau ténébreux sur la terre, Tezcatlipoca le Noir et le Guerrier, Celui qui détrôna Quetzalcóatl et mit le sacrifice en haut du temple de Tula. (...) Quatre soleils ont précédé le nôtre : tous ont péri. (...) Notre cinquième soleil, est lui aussi voué à disparaître. (...) Voilà ce qu’enseigne un autre livre : nous, les hommes du peuple, nous avons été créés spécialement pour prendre la relève des dieux dans l’abreuvage du Soleil. Toujours et encore, il nous faut entretenir son mouvement par des festins et par des libations. (...) Le monde ne continuera qu’à ce prix. Comme le quatrième Soleil était mort, et comme le nôtre n’était pas encore dressé, il se passa deux fois treize ans. Quetzalcóatl et Tezcatlipoca unirent leurs efforts pour relever le ciel qui s’était effondré. La huitième année furent créés les hommes du peuple, ceux qui jamais ne se divertissent, mais qui travaillent toujours. Ils furent inventés parce que le soleil futur allait avoir besoin de vivres. (...) « Il faut que dans la nation, quelques uns seulement connaissent les écritures. Il n’est pas bon que cette connaissance soit trop répandue. Car ceux qui obéissent pourraient se corrompre, le trône serait alors menacé, le pays connaîtrait de mauvaises heures. » (...) Quand Quetzalcóatl partit de Tula, tous les oiseaux chatoyants s’égaillèrent dans le ciel et abandonnèrent la ville, signe du mécontentement des dieux primordiaux (...) Mais le Serpent à Plumes recouvra toute sa gloire. Il devint le seigneur de la Maison. (...) Quetzalcóatl est celui qui revient toujours : craint-le énormément ! (...) Les plus grands entasseurs de marchandises doivent le respect au plus insignifiant des officiers ou des dignitaires. Ils doivent paraître en public dans une mise humble, couverts de manteaux rapiécés. Ils parlent aux nobles en courbant la nuque. Si un guerrier fameux les humilie, ils sont contraints d’avaler cette humiliation, et de dire encore merci, car de se rebiffer, ou même d’afficher un sourire insolent, pourrait leur coûter fort cher. Et c’est pourquoi ils redoutent la renommée et toutes les distinctions honorifiques : ce sont autant d’occasions d’attirer sur eux le courroux et la rancœur des chevaliers qui ne les en estiment pas dignes. (...) Pour eux, l’idéal est de se fondre dans l’ombre et dans une apparente médiocrité. As-tu déjà rencontré, après le crépuscule, un négociant menant à ses hangars quelque ballot soigneusement clos de coton, de caoutchouc, d’or, de cacao, de jade ou de plumes de quetzal ? Tu l’arrêtes pour lui demander ce qu’il transporte. Il décoche des sourires mielleux, te regardant par en dessous. « Ce n’est là que du poisson séché mon bon monsieur ». (...) Lorsqu’il doit faire séjourner ses marchandises dans un entrepôt public, il donne en s’inscrivant le nom d’une tierce personne. Il sait que s’il tirait le moindre orgueil de son état et de sa réussite, ce serait le commencement de sa perte. (...) Le pochtecatl (négociant) (...) a non seulement son rituel et son dieu – Yiacatecuhtli, celui-qui-va-en-avant – mais sa hiérarchie autonome et ses tribunaux ! (...) A l’abri de leurs manteaux troués, camouflés derrière un épais rideau de courbettes et d’humilité feinte, ils n’ont cessé de prendre de l’importance, non seulement dans les affaires de choses mais dans les affaires d’hommes – je parle du gouvernement (...) Leurs enfants ont été autorisés à fréquenter le collège religieux qui, en principe, est réservé aux rejetons des seigneurs. Se transmettant de père en fils leur profession et se mariant le plus souvent entre eux, ils ont bientôt formé une caste tout à fait à part du reste de la société, tandis que l’aristocratie du glaive et la prêtrise restaient ouvertes aux enfants du peuple, dans la mesure de leurs mérites. (...) A leur manière hypocrite, les pochteca, oeuvrant dans l’ombre et en silence, réduisent peu à peu le fossé qui les sépare de la chevalerie. Insensiblement, ils se rendent indispensables, et ceci de deux façons. Premièrement en se faisant les éclaireurs, les espions et les auxiliaires des armées (...). Secondement, en donnant aux nobles, par l’étalage des denrées précieuses et des merveilleux produits que ramènent leurs caravanes, le goût amollissant du luxe et des produits futiles (...) Chez ceux qui détiennent le pouvoir officiel, le pochtecatl fait naître de nouveaux besoins (...). Ainsi la richesse est-elle un pouvoir. Et quant aux honneurs, tu verras d’ici quelques années qu’ils vont suivre tout naturellement. Déjà les dignitaires, tout en faisant la fine bouche et en affichant beaucoup de contrariété, consentent à s’asseoir aux banquets du négoce. (Description de la vie à Tenochtitlan, capitale aztèque en 1500 après J.-C). (...) Ils sont exploités par les nobles : chacun peut voir cela. Mais (...), à l’abri de tous les regards, c’est l’inverse qui se produit. Ce sont eux qui exploitent l’aristocratie. (...) Délibérément, les marchands fournissent les nobles en objets de luxe. Sans le savoir et à leur corps défendant, les nobles fournissent les marchands en influence dans le gouvernement de la nation (...) Quetzalcóatl, le premier, comprit que le pouvoir s’interpose entre l’homme et la justice parfaite (...). Chassé de Tula, il n’est pus assez puissant pour défaire de lui-même cette autorité et ces mirages que Tezcatlipoca protège de son autorité (...). Il reviendra (...) contraignant les pouvoirs à se démettre et à s’humilier devant lui. (...) Quetzalcóatl qui déjà était né sur la terre, chez les Toltèques, (...) cet évènement faisait dire que le dieu, peut-être, était en partie un homme. (...) Ils sont beaucoup, de plus en plus nombreux, ceux qui aspirent à une vie aimable et douce. (...) Le luxe et l’élégance ont multiplié leurs adeptes. (...) Plus nous prônerons la douceur de vivre et les mœurs aimables, plus nous nous révolterons, plus les rites sanglants seront sollicités (par la classe dirigeante). »
La lutte des bourgeois et des guerriers des civilisations méso-américaines est représentée symboliquement par le combat entre les dieux. Cela est authentifié par les archéologues, notamment dans le cas des Toltèques. Dans cette civilisation, les guerriers l’ont emporté sur les prêtres et les commerçants. L’Etat guerrier toltèque peut très bien être un produit des leçons tirées par la classe dirigeante de l’échec de Teotihuacàn. La caste des prêtres de cette grande ville avait été incapable, ne disposant d’aucune armée permanente, de sauvegarder le pouvoir face à la révolution sociale.
La chute de la civilisation indienne de Tula
Jacques Soustelle écrit en préface de « Le jade et l’obsidienne » d’Alain Gerber : « Ce qu’apporte le récit d’Alain Gerber, si pénétré d’une intime connaissance, c’est sans doute la clé, ou en tout cas l’une des clés, de ce monde si gracieux et si violent : la tension permanente entre deux pôles que symbolisent le Serpent à Plumes Quetzalcoatl, héros civilisateur, inventeur des arts et de la sagesse, et le ténébreux Tezcatlipoca, divinité astrale et guerrière. » Alain Gerber dévoile en effet cette lutte mythifiée une lutte bien réelle, celle des classes sociale, non seulement entre exploités et exploiteurs, mais également entre nobles guerriers et bourgeois des villes. La civilisation n’y est pas attribuée aux guerriers, mais à l’art et au commerce des villes. La mort des Soleils est la fin des régimes. La menace permanente de la fin du monde est celle de la révolution qui peut éclater parmi les classes des villes. Alain Gerber écrit ainsi : « Tezcatlipoca étale son manteau ténébreux sur la terre, Tezcatlipoca le Noir et le Guerrier, Celui qui détrôna Quetzalcóatl et mit le sacrifice en haut du temple de Tula. (...) Quatre soleils ont précédé le nôtre : tous ont péri. (...) Notre cinquième soleil, est lui aussi voué à disparaître. (...) Voilà ce qu’enseigne un autre livre : nous, les hommes du peuple, nous avons été créés spécialement pour prendre la relève des dieux dans l’abreuvage du Soleil. Toujours et encore, il nous faut entretenir son mouvement par des festins et par des libations. (...) Le monde ne continuera qu’à ce prix. Comme le quatrième Soleil était mort, et comme le nôtre n’était pas encore dressé, il se passa deux fois treize ans. Quetzalcóatl et Tezcatlipoca unirent leurs efforts pour relever le ciel qui s’était effondré. La huitième année furent créés les hommes du peuple, ceux qui jamais ne se divertissent, mais qui travaillent toujours. Ils furent inventés parce que le soleil futur allait avoir besoin de vivres. (...) « Il faut que dans la nation, quelques uns seulement connaissent les écritures. Il n’est pas bon que cette connaissance soit trop répandue. Car ceux qui obéissent pourraient se corrompre, le trône serait alors menacé, le pays connaîtrait de mauvaises heures. » (...) Quand Quetzalcóatl partit de Tula, tous les oiseaux chatoyants s’égaillèrent dans le ciel et abandonnèrent la ville, signe du mécontentement des dieux primordiaux (...) Mais le Serpent à Plumes recouvra toute sa gloire. Il devint le seigneur de la Maison. (...) Quetzalcóatl est celui qui revient toujours : craint-le énormément ! (...) Les plus grands entasseurs de marchandises doivent le respect au plus insignifiant des officiers ou des dignitaires. Ils doivent paraître en public dans une mise humble, couverts de manteaux rapiécés. Ils parlent aux nobles en courbant la nuque. Si un guerrier fameux les humilie, ils sont contraints d’avaler cette humiliation, et de dire encore merci, car de se rebiffer, ou même d’afficher un sourire insolent, pourrait leur coûter fort cher. Et c’est pourquoi ils redoutent la renommée et toutes les distinctions honorifiques : ce sont autant d’occasions d’attirer sur eux le courroux et la rancœur des chevaliers qui ne les en estiment pas dignes. (...) Pour eux, l’idéal est de se fondre dans l’ombre et dans une apparente médiocrité. As-tu déjà rencontré, après le crépuscule, un négociant menant à ses hangars quelque ballot soigneusement clos de coton, de caoutchouc, d’or, de cacao, de jade ou de plumes de quetzal ? Tu l’arrêtes pour lui demander ce qu’il transporte. Il décoche des sourires mielleux, te regardant par en dessous. « Ce n’est là que du poisson séché mon bon monsieur ». (...) Lorsqu’il doit faire séjourner ses marchandises dans un entrepôt public, il donne en s’inscrivant le nom d’une tierce personne. Il sait que s’il tirait le moindre orgueil de son état et de sa réussite, ce serait le commencement de sa perte. (...) Le pochtecatl (négociant) (...) a non seulement son rituel et son dieu – Yiacatecuhtli, celui-qui-va-en-avant – mais sa hiérarchie autonome et ses tribunaux ! (...) A l’abri de leurs manteaux troués, camouflés derrière un épais rideau de courbettes et d’humilité feinte, ils n’ont cessé de prendre de l’importance, non seulement dans les affaires de choses mais dans les affaires d’hommes – je parle du gouvernement (...) Leurs enfants ont été autorisés à fréquenter le collège religieux qui, en principe, est réservé aux rejetons des seigneurs. Se transmettant de père en fils leur profession et se mariant le plus souvent entre eux, ils ont bientôt formé une caste tout à fait à part du reste de la société, tandis que l’aristocratie du glaive et la prêtrise restaient ouvertes aux enfants du peuple, dans la mesure de leurs mérites. (...) A leur manière hypocrite, les pochteca, oeuvrant dans l’ombre et en silence, réduisent peu à peu le fossé qui les sépare de la chevalerie. Insensiblement, ils se rendent indispensables, et ceci de deux façons. Premièrement en se faisant les éclaireurs, les espions et les auxiliaires des armées (...). Secondement, en donnant aux nobles, par l’étalage des denrées précieuses et des merveilleux produits que ramènent leurs caravanes, le goût amollissant du luxe et des produits futiles (...) Chez ceux qui détiennent le pouvoir officiel, le pochtecatl fait naître de nouveaux besoins (...). Ainsi la richesse est-elle un pouvoir. Et quant aux honneurs, tu verras d’ici quelques années qu’ils vont suivre tout naturellement. Déjà les dignitaires, tout en faisant la fine bouche et en affichant beaucoup de contrariété, consentent à s’asseoir aux banquets du négoce. (Description de la vie à Tenochtitlan, capitale aztèque en 1500 après J.-C). (...) Ils sont exploités par les nobles : chacun peut voir cela. Mais (...), à l’abri de tous les regards, c’est l’inverse qui se produit. Ce sont eux qui exploitent l’aristocratie. (...) Délibérément, les marchands fournissent les nobles en objets de luxe. Sans le savoir et à leur corps défendant, les nobles fournissent les marchands en influence dans le gouvernement de la nation (...) Quetzalcóatl, le premier, comprit que le pouvoir s’interpose entre l’homme et la justice parfaite (...). Chassé de Tula, il n’est pus assez puissant pour défaire de lui-même cette autorité et ces mirages que Tezcatlipoca protège de son autorité (...). Il reviendra (...) contraignant les pouvoirs à se démettre et à s’humilier devant lui. (...) Quetzalcóatl qui déjà était né sur la terre, chez les Toltèques, (...) cet évènement faisait dire que le dieu, peut-être, était en partie un homme. (...) Ils sont beaucoup, de plus en plus nombreux, ceux qui aspirent à une vie aimable et douce. (...) Le luxe et l’élégance ont multiplié leurs adeptes. (...) Plus nous prônerons la douceur de vivre et les mœurs aimables, plus nous nous révolterons, plus les rites sanglants seront sollicités (par la classe dirigeante). »
Norman Bancroft Hunt, « Atlas historique de la Méso-Amérique » :
« Les fouilles archéologiques révèlent que Tula fut fondée vers 900 après J.-C, durant la période postclassique, et qu’elle présentait des analogies architecturales avec Teotihuacàn. Il se peut que Tula ait été construite par les réfugiés venus de Teotihuacàn qui auraient fui leur ville lors de sa destruction en 750 (après J.-C). »
La fin de la ville de Teotihuacàn, l’incendie après la révolution, puis celle de Tula, détruite et entièrement brûlée, est racontée de manière mythique par les Aztèques qui s’attribuent la descendance des seigneurs de Tula et même de Teotihuacan. Dans leur conception, c’est une victoire du dieu Tezcatlipoca contre le dieu Quetzalcoatl dans les combats ayant eu lieu dans ces deux villes.
« En 1156 après J.-C, les Aztèques attaquèrent Tula et la détruisirent (...) Pour justifier cet acte de destruction gratuit – la ville tout entière fut brûlée et ses monuments endommagés -, les Aztèques déclarèrent qu’une bataille cosmique s’était déroulée entre leur divinité tutélaire Tezcatlipoca et Quetzalcoatl. (...) Selon (les mythes aztèques), Tezcatlipoca, effrayé par la promesse faite par Quetzalcoatl de se venger de la destruction de Teotihuacàn, décida de conquérir et de tuer son rival avant qu’il ne puisse mettre ses menaces à exécution. Il attaqua et détruisit Tula, obligeant Quetzalcoatl à fuir encore une fois. »
Le combat n’a pas seulement un caractère de lutte entre deux forces politiques, mais entre deux classes : « Dans le programme de réformes pacifiques de Quetzalcoatl figuraient des liens commerciaux avec ses voisins. Les marchands toltèques voyageaient au loin. Ils donnaient et empruntaient toutes sortes de choses aux peuples avec lesquels ils entraient en contact, ce qui leur permit de créer une culture hybride qui leur était propre et qui comprenait des éléments venus d’un peu partout. (...) Les Toltèques étaient ouverts aux idées nouvelles et désiraient embraser les idéologies de leurs partenaires commerciaux. Selon ce schéma, Tula aurait été construite sur la base d’un grand empire commercial qui intégrait toutes les réussites des cultures méso-américaines. »
Si Tula était à l’origine la capitale connue d’un empire commercial pacifique, elle était en fait devenue le centre politique et militaire (avec une armée permanente) d’un Etat guerrier. Ayant privilégié la guerre au commerce, les Toltèques auraient détrôné dans leur capitale, Tula, le dieu de paix Quetzalcoatl (considéré comme le dieu de Teotihuacan, fondateur de la ville de Tula) au profit du dieu de guerre Tezcatlipoca (démon de la mort par le feu, des sacrifices humains et dieu de la guerre) au profit duquel se pratiquaient de nombreux sacrifices humains, alors que les sacrifices à Quetzalcoatl sont constitués de fruits, de fleurs et de papillons.
« L’autorité des prêtres semble avoir été remplacée, du moins partiellement, par une bureaucratie composée principalement de chefs militaires. (...) Un autre facteur est certainement le commerce. Depuis le temps de Teotihuacàn, le sud avait toujours exercé une certaine fascination sur le nord, et les Toltèques ouvrirent et développèrent les routes commerciales qui avaient été autrefois utilisées par les habitants de Teotihuacàn. Les plumes, le coton et surtout le cacao, produits très recherchés, ne se trouvaient que dans les régions du sud. (...) Une force armée était, cependant, essentielle pour maintenir le contrôle des divers Etats fondés par les Toltèques. En plus du Mexique central dirigé à partir de Tula, les Toltèques possédaient des Etats au Yucatàn, à Tabasco et au Guatemala. (...) L’histoire des Toltèques est presque entièrement légendaire. (...) Selon ces récits, les Toltèques venus du nord établirent leur cité dans un labyrinthe de grottes à Culhuacàn. Le roi Acatl Topilzin aurait construit à Tula des habitations d’argent, de coquillages blancs et colorés, de turquoise et de riches plumes. Son royaume était vraiment stupéfiant avec des plantations de coton, de maïs et de cacao. (...) Ils étaient pacifiques et vivaient en bonne intelligence avec leurs voisins. (...) Topilzin-Quetzalcoatl eut pour successeurs une série de rois. Pendant leur règne, le déclin de Tula s’amorça. Il y eu des sécheresses et des vers dévorèrent le maïs, le feu tomba du ciel. Le dernier roi, Huermac, fut enfin victime des machinations de Tezcatlipoca. (Un magicien fit épouser à la fille du roi un colporteur de poivre vert, donc d’une classe inférieure). Bien que la plus grande part de ces récits relèvent de l’imagination, (...) les données archéologiques emblent confirmer les dissensions internes qui déchirèrent Tula. L’opposition entre les cultes des prêtres représentés par Quetzalcoatl et ceux des chefs militaires sous l’autorité de Tezcatlipoca, fournit les fondements des conflits idéologiques qui surviendront plus tard dans la capitale Aztèque de Tenochtitlan. (...) Tenochtitlan occupait une série de petites îles et de terres amendées dans le lac de Texcoco qui étaient parcourues par un réseau complexe de canaux et reliées à la terre ferme par cinq grandes chaussées. Sa superficie représentait environ 1200 hectares. (...) Le commerce avait une grande importance dans l’économie de Tenochtitlan dont il assurait la survie. Les anciens Mexicas avaient retourné à leur avantage ce qui à l’origine représentait un environnement inhospitalier, pour créer un empire dont la population finit par atteindre peut-être dix millions d’habitants. A Tenochtitlan (...) il y avait au moins 150.000 personnes, chiffre qui a sans doute été largement dépassé. (...) En l’absence de puissants fondements économiques, il est douteux que les Aztèques auraient fait de Tenochtitlan autre chose qu’un village lacustre et qu’ils auraient pu se rendre maîtres d’un si vaste empire. L’économie aztèque reposait sur trois piliers : un système agricole fondé sur les chinampas (champs surélevés), le commerce fondé sur l’activité des pachteca et la levée des taxes chez les Etats asujettis. »
« Tlatelolco était un centre commercial de Tenochtitlan. C’était là que la guilde des pochteca, les marchands, exerçait son activité, à savoir rechercher des produits et des matériaux de base pour répondre à la forte demande des nobles aztèques, activité qui fut partiellement la cause de la rupture à venir. Par leur commerce, les pachteca étaient devenus incroyablement riches, à tel point que la fortune de certains d’entre eux dépassait celle de bien des notables qui n’avaient pas d’autre possibilité que de passer par eux pour obtenir les marchandises qu’ils désiraient. Nombre d’entre eux étaient donc devenus des jouets entre les mains des pachteca dont les opinions finirent par peser un poids disproportionné dans beaucoup de réunions du conseil. (...) A côté de son rôle commercial, Tlaleco était aussi un forum permanent où s’exprimaient les revendications et les critiques envers les décisions du Conseil aztèque et le comportement de la classe dirigeante. »
Carmen Bernand, « Les Toltèques ou les héritiers du Serpent à plumes » :
« Tula et Tollan, ou la réalité confrontée au mythe
Le promeneur qui arpente les ruines de Tula, dans l’État d’Hidalgo au Nord-Ouest de Mexico, ne peut qu’être frappé par le contraste entre cet environnement austère et la cité paradisiaque de Tollan, évoquée par les chroniqueurs mexicains. Car la ville de Tula que l’archéologie a mise au jour est bien différente de celle que les sources décrivent comme un centre prospère et fertile, gouverné par le sage Quetzalcoatl depuis son palais recouvert d’or, de pierres précieuses, de plumes multicolores et de coquillages marins. Mais s’obstiner à retrouver dans les pierres sombres qui se dressent aujourd’hui la magnificence de Tollan et la demeure de son roi est une entreprise vouée à l’échec. L’une des difficultés, et non la moindre, réside dans l’imbrication du mythe et de l’histoire. Les récits cosmogoniques de la Méso-Amérique parlent en effet d’une cité fabuleuse, Tollan, « lieu où poussent les joncs », symbole de la fertilité et quintessence des créations humaines. Or rien n’indique que la Tollan des mythes corresponde strictement à Tula d’Hidalgo. Il semblerait que ce toponyme désigne en fait l’ancienne Teotihuacan, dont le déclin survint au cours du VIIe siècle de notre ère. Par la suite, d’autres cités se seraient réclamées de cet héritage et se seraient approprié le toponyme de Tollan, origine et symbole de leurs lignées royales.
Un peuple qui sut s’assimiler tout en préservant son identité
Les chroniques du XVIe siècle affirment que les Toltèques seraient venus de Colhuacan, lieu situé quelque part dans le Nord, en pays chichimèque – terme générique pour désigner les nomades « sauvages ». Établis à Tula, les Toltèques se subdivisent en plusieurs groupes et se dispersent sur tout le Mexique central et méridional. À Oaxaca, on les retrouve sous le nom de Mixtèques ; en Amérique centrale, on les appelle Pipils. Au Yucatan, avec l’aide des Nahuas locaux établis dans la région depuis longtemps, les Toltèques marquent de leur empreinte les grands centres mayas de Chichén Itzá, Uxmal, Tulum et Yaxchilán, pour ne citer que les plus connus. À partir du IXe siècle, la présence mexicaine dans le monde maya est incontestable. La dissémination des traits toltèques commence vers 1100 et dure jusqu’en 1300, date à laquelle les derniers Nahuas venus du nord, les Aztèques, s’établissent dans la vallée de Mexico.
Sur le plateau central, les Toltèques fondent plusieurs colonies. Les plus connues sont Cholula, à Puebla, Chapultepec (Mexico) et Colhuacan, au sud du lac Tezcoco, qui est la réplique méridionale du lieu originaire homonyme. Là, les Toltèques deviennent des Colhuaques, puisque les ethnonymes sont construits en fonction du lieu d’établissement. Ce sont eux qui accueillent les tribus aztèques, achevant leur longue errance. Impressionnés par leur bravoure, les Colhuaques leur cèdent le site de Tizapan, au bord du lac. Malgré les désagréments de ce terrain inondable et infesté de couleuvres, les Aztèques finissent par s’imposer politiquement. Protégés par les Colhuaques-Toltèques, ils tissent avec eux des alliances matrimoniales et récupèrent ainsi leur héritage culturel et leur prestige.
Les Toltèques, qui ont des traits culturels de civilisations plus anciennes, hérités des anciens Olmèques du golfe du Mexique, se sédentarisent avant les Aztèques. La fondation de Tula se situe en fait à une période charnière, qui marque la transition entre les civilisations agraires « classiques » et l’émergence politique de peuples dont les valeurs essentielles reposent sur la guerre et l’expansion militaire. Le dieu Ce Acatl Topiltzin Quetzalcoatl, « Notre Seigneur Un Jonc Serpent à plumes », incarne justement cette tension entre deux orientations culturelles différentes. Quetzalcoatl, divinité majeure des Toltèques, n’est pourtant pas une création de ce peuple. Le Serpent à plumes est déjà présent à Teotihuacan, sur les parois de la pyramide de la citadelle, où il est associé au dieu de la pluie, Tlaloc. Mais les Toltèques le reprennent à leur compte et se proclament enfants de sa lignée. Selon les versions mythiques, il est le fils d’un chef chichimèque appelé Mixcoatl et d’une femme autochtone, Chimalma. Cette alliance reflète la volonté des Toltèques de s’enraciner dans le passé indigène, tout en préservant leur spécificité.
Quetzalcoatl est caractérisé par la dualité, puisqu’il est à la fois dieu-guerrier et dieu-prêtre, imbu de sagesse et associé à la richesse et à la fertilité agraire. Son rival est Tezcatlipoca, le « Miroir fumant », sorcier belliqueux et malveillant qui n’a de cesse de le combattre et de le faire tomber dans ses pièges. Tezcatlipoca réussit même à le compromettre en le faisant « pécher » avec sa propre sœur, enfreignant ainsi l’idéal de chasteté du dieu. Vaincu, le Serpent à plumes s’enfuit vers l’est. Aussitôt la sécheresse s’abat sur la région de Tula, les temples brûlent, les épineux se répandent au détriment des cacaoyers et les oiseaux au ramage lumineux s’envolent « à plus de cent lieues ». Tula retourne alors à l’état sauvage. Parvenu au bord de l’Atlantique, Quetzalcoatl s’immole par le feu. Mais selon une autre version, il s’éloigne dans la mer sur un radeau de serpents. C’est pourquoi, quand les premières nouvelles de l’arrivée de Cortès parviennent au souverain aztèque Moctezuma, certains croient que le conquistador est l’incarnation du dieu.
Un peuple encore énigmatique, mais souvent magnifié
Un des traits majeurs des Toltèques est l’importance qu’ils accordent à la guerre sacrée, destinée à se procurer des captifs en vue de les sacrifier. Cette période est marquée également par la codification des attributs des dieux. L’architecture de Tula introduit des éléments nouveaux comme les colonnades, rondes ou carrées, qui aèrent l’espace urbain ; les piliers les plus remarquables sont les quatre atlantes et les statues colossales représentant des guerriers armés de propulseurs et de lames d’obsidienne. On peut aussi attribuer aux Toltèques l’extension et le nombre des terrains de jeu de balle à l’intérieur des centres cérémoniels. Enfin, on trouve à leur époque deux types de sculpture : les porte-étendards et les Chac Mods. Les premiers sont des figures imposantes qui semblent tenir un objet – aujourd’hui disparu – dans le creux de leur main. Étaient-ce des étendards, des sceptres, des oriflammes ou des bâtons de commandement ? Les archéologues ont beaucoup spéculé sur la fonction de ces statues dont on sait qu’elles étaient dressées à l’entrée des centres sacrificiels. De même pour les Chac Mool, personnages à demi couchés et s’appuyant sur leurs coudes, qui se trouvaient au sommet des pyramides et dans des lieux associés aux sacrifices. Représentaient-ils les sacrifiés eux-mêmes, la poitrine tendue vers le ciel, ou bien étaient-ils des sortes de réceptacles pour les dépouilles des victimes ? Beaucoup de ces énigmes n’ont pas été résolues.
Ce sont les Aztèques qui nous ont laissé l’image magnifiée des Toltèques. Toltecatl devient donc synonyme du véritable artiste, qui « sort tout de son cœur, agit avec plaisir, fait les choses avec calme, avec mesure. Il se conduit en Toltèque, il compose, il agit habilement, il crée. Il arrange les choses, les enjolive et les ajuste » (León-Portilla, La Pensée aztèque, p. 222). Pour les Aztèques, Tula représente le sommet de la civilisation et une sorte d’idéal inaccessible. Ses anciens habitants, disaient-ils, excellaient dans l’art lapidaire et dans l’orfèvrerie. Ce point mérite une explication. En effet, le monde méso-américain a valorisé à l’extrême le jade, la matière la plus noble, et a rejeté la métallurgie, pourtant si importante dans les confins – Panama, Amérique andine. Or des objets en cuivre et en or provenant de l’Équateur et du Pérou font leur entrée au Mexique vers l’an 800, probablement par voie maritime le long du Pacifique. Mais ces objets, pourtant associés à la splendeur des Toltèques, n’auront qu’une diffusion limitée. »
« La Méso-Amérique précolombienne », Véronique Darras :
« Le renouveau culturel au Postclassique ancien : Tula et Chichen Itza.
Dans les hautes terres du Mexique, les trois siècles qui suivent l’effondrement de Teotihuacan sont marqués par la prééminence des développements régionaux et par des réajustements culturels constants, probablement fomentés par des mouvements réguliers de population. Le paysage culturel apparaît donc morcelé, constitué de nombreuses entités politiques autonomes qui jouissent d’une trajectoire culturelle propre. Mais le début du Xème siècle est marqué par l’émergence d’une nouvelle puissance qui, sans atteindre le prestige de Teotihuacan, sera source de renouveau culturel : les Toltèques et leur cité, Tula. Par ailleurs, la région de Oaxaca connaît des transformations substantielles, avec l’essor de la culture mixtèque qui vient supplanter celle des Zapotèques. Enfin, dans la région maya, le Postclassique ancien est caractérisé par le développement de Chichen Itza, cité maya qui fonctionne en interaction étroite avec la ville toltèque. Cette période de renouveau est appelée le Postclassique ancien que l’on situe entre 900 et 1200 apr. J.-C. Les origines toltèques ont suscité de multiples hypothèses mais les travaux archéologiques effectués ces dernières années dans le nord et l’occident du Mexique permettent d’apporter de nouveaux éléments de réponse. Ces travaux ont mis en évidence, dès la fin du Classique, des mouvements de population depuis la région où a fleuri la culture Chalchihuites (Etats de Zacatecas et de Durango) vers le bassin de Mexico.
Porteuses de traditions culturelles originales, ces populations auraient progressé en suivant la vallée du fleuve Lerma et pourraient avoir été liées à la fondation de Tula, où l’on retrouve un certain nombre d’éléments diagnostiques. La Tula archéologique, située à environ 70 km au nord de la ville actuelle de Mexico, connaît une prospérité assez brève, amorcée vers 950 apr. J.-C. (phase Tollan, 950-1150 ap.J.C.) mais son rayonnement dépassera largement le cadre régional. Au moment de son apogée, Tula s’étend sur 13 km2 et abrite entre 30 000 et 60 000 habitants, essentiellement des marchands, des artisans et les classes dirigeantes (religieuses et militaires). Malgré leur importance indéniable, les vestiges actuels renvoient l’image d’une cité austère qui exalte les vertus guerrières et non la somptuosité et le raffinement de la Tollan décrite dans les sources ethnohistoriques (la Tollan mythique magnifiée par les aztèques). Pourtant, au-delà de l’héritage de Teotihuacan, perceptible dans l’iconographie, Tula offre des particularités architecturales et sculpturales nouvelles dans la région qui serviront de modèle à d’autres cités contemporaines et deviendront partie intégrante des composantes culturelles des sociétés postérieures : salles hypostyles, rateliers de crânes-tzompantli, et chac mool. A la même époque, dans la péninsule du Yucatan, des changements culturels affectent en profondeur la société maya. Le petit centre de Chichen Itza se développe sous l’impulsion des Itzas, mayas du groupe Putun “ mexicanisés ”. Ce site, qui s’étend sur cinq km2, combine harmonieusement l’héritage architectural maya et des caractéristiques importées des hautes terres du Mexique. Les analogies avec la cité de Tula sont particulièrement nombreuses, notamment dans le domaine sculptural : salles à colonnades, chac mool, tzompantli, porte-étendards, iconographie guerrière, céramique de type plumbate etc.
Les derniers acteurs du monde préhispanique
Pendant trois siècles, Tula et Chichen Itza jouent le rôle de capitales culturelles et rayonnent bien au-delà de leur région. Toutefois, l’influence de Tula est avant tout idéologique et le monde des hautes terres centrales reste éclaté au plan ethnique et politique. En revanche, les entreprises des Itzas favorisent la cristallisation de la région maya autour de Chichen Itza. Vers 1200 apr. J.-C., ces deux cités connaissent un destin identique à leurs homologues antérieures, leur effondrement ayant été manifestement provoqué par des conflits armés. Dans le centre du Mexique, la phase suivante, appelée chichimèque, est généralement considérée comme instable et conflictuelle, à cause de l’arrivée présumée de groupes étrangers originaires des régions nordiques. C’est au cours de cette période que s’épanouissent, dans le bassin de Mexico, les importantes cités de Tenayuca, Azcapotzalco, Xico, Chalco, Texcoco et enfin la fameuse Culhuacan, qui revendique sa filiation toltèque. La période postclassique récente (1200-1520 apr .J.-C.), est caractérisée par la mise en place d’états hégémoniques fortement militarisés, dont sont responsables deux nouvelles entités, les Mexicas (ou Aztèques), dans le bassin de Mexico, et les Tarasques, dans le centre-occident mexicain. Dans les régions qui restent en marge de ces processus, notamment dans l’occident mexicain et les hautes terres du Guatemala, le morcellement ethnique et politique s’accentue visiblement. Dans la péninsule du Yucatan, le centre de Mayapan succède à Chichen Itza et jouit d’une prospérité qui s’achève avec sa destruction, en 1441. Lorsque les espagnols débarquent sur la côte du Yucatan, ils découvrent une région composée de plusieurs provinces autonomes. »
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Messages
1. Pourquoi la civilisation Toltèque (celle centrée sur la ville de Tula) a disparu en 1168 après J.-C. ?, 6 avril 2019, 11:25
Tezcatlipoca contre Quetzalcoatl à la chute de Tula
d’après Miguel Pastrana Flores
« Pour les anciens peuples de langue nahuatl, les histoires sur Tula, les Toltèques, leur célèbre dirigeant, Quetzalcoatl et son adversaire, Tezcatlipoca, ont été un point de référence pour la vie politique et rituelle de ces groupes. Les récits sur la prodigieuse richesse et l’histoire de la ville toltèque étaient non seulement un sujet récurrent dans les récits autochtones, mais représentaient également un modèle de comportement important pour les dirigeants, les prêtres et les groupes de pouvoir des hauts plateaux centraux du Mexique.
Les sources
Pour connaître les idées que les anciens Nahuas avaient sur Tula, il existe plusieurs sources de traditions autochtones, parmi lesquelles se trouvent les textes en nahuatl des informateurs autochtones que Fray Bernardino de Sahagún a compilés dans son Histoire générale des nuits de Nouvelle-Guinée. L’Espagne ou le codex florentin, ainsi que les soi-disant Annales de Cuauhtitlan, la légende des soleils et l’histoire de Tolteca-Chichimeca ; parmi les textes écrits en castillan, on peut citer les œuvres de Fernando de Alva Ixtlilxóchitl.
Dans ces sources, le passé toltèque est perçu de manière totalement idéalisée puisque, au fil des générations, la ville de Quetzalcoatl était recouverte des couleurs de l’admiration et de la nostalgie. Les histoires sont structurées selon d’anciens schémas cosmologiques et héroïques, tandis que les différents groupes nahuas réinterprètent le passé en fonction des besoins du présent. Par conséquent, ces chroniques n’indiquent pas comment la ville archéologique de Tula se trouvait dans l’état d’Hidalgo aux XIe et XIIe siècles, mais comment les Nahuas du XVIe siècle le croyaient. Pour eux, Toula était la ville par antonomase, un lieu glorifié, incarnation de tous les bons et délicieux, la ville qui possédait toutes les richesses matérielles et les beautés que l’art pouvait prodiguer, bref, l’endroit qui possédait tout ce pourrait être désiré aux yeux du monde mésoaméricain.
La prospérité toltèque
Plusieurs histoires sur Tula commencent par raconter les merveilles de la ville et la fortune de ses habitants. Par exemple, on raconte que Quetzalcoatl se retirait pour prier la divinité suprême Ometéotl dans de splendides demeures, dont les chambres étaient construites avec des matériaux somptueux : or, argent, turquoise, coquillages et corail ; En outre, il y avait des maisons aux murs recouverts de plumes de quetzal et d’autres oiseaux tropicaux précieux. D’autre part, il est affirmé que les Toltèques jouissaient de fruits prodigues de la nature, tels que des citrouilles géantes et des épis de maïs si gros qu’ils devaient être portés par deux hommes ; Dans le même ton, on parle de l’existence de plantations de cacao et de coton, qui ont été teintées de différentes couleurs. Bien sûr, cela ne devrait pas être interprété littéralement, mais comme un symbole, une métaphore de la richesse et de la magnificence que Tula a réalisées à la mémoire des groupes Nahua. »