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Que savons-nous du passage de l’inerte au vivant ?

dimanche 8 mars 2015, par Robert Paris

Expérience d’Oparin

Expérience de Miller-Urey

Que savons-nous du passage de l’inerte au vivant ?

La Terre se forme il y a 4,5 milliards d’années et la vie seulement il y a 3,8 milliards d’années. Pas d’étonnement : la Terre est d’abord un véritable chaudron beaucoup trop chaud. Dès qu’elle refroidit, il semble que la vie apparaisse, peut-être même dans des zones relativement chaudes souterraines mais ce n’est pas sûr… La vie pluricellulaire n’apparaît qu’1,7 milliards d’années après et les organismes de taille importante 1,6 milliards d’années après… Ce n’est donc pas une mais diverses apparitions successives de la vie…

Mais même la vie unicellulaire n’est pas le début de l’apparition du vivant… Mais n’anticipons pas…

Tout d’abord la matière dite inerte est beaucoup plus « vivante » que nous ne l’imaginions : plus auto-organisée, plus dynamique, plus en permanente transformation, plus évolutive, plus discontinue dans ses changements brutaux, etc…

La matière de masse inerte n’est plus considérée comme la première étape de l’univers mais comme la troisième. La seconde est le vide quantique ou « virtuel ». La première est le virtuel de virtuel. Chaque étape est auto-organisée par rapport à la précédente et n’élimine ni ne remplace la précédente. Ainsi, l’ARN n’a pas disparu pour laisser place à l’ADN, plus moderne. Il a été utilisé pour de multiples usages comme la transcription de l’ADN à l’extérieur de la cellule (ARN messager). Mais il est certain qu’au départ, lorsque l’ADN n’existait pas, c’est l’ARN qui fonctionnait à l’intérieur de la cellule et produisait les protéines. De même, la matière n’a pas fait disparaître le vide ni la matière vivante n’a fait disparaître la matière inerte, etc…

Ensuite, ce n’est pas une quatrième étape qui serait « la vie » mais une étape qui serait les macromolécules d’acides aminés. Puis une cinquième étape qui serait l’ARN. Une sixième avec les protéines puis l’ADN.

Aucune de ces étapes n’est simple et sans questions, sans débats, sans contestation. Comme dans des bien des domaines des sciences, notre connaissance sur l’origine de la vie n’est qu’une frontière de notre ignorance….

Cependant, s’il y a des révolutions successives indépendantes, il y a du commun dans les processus : le vide quantique est bel et bien un processus d’auto-organisation de l’espace, la matière un processus d’auto-organisation du vide, les acides aminés un processus d’auto-organisation de la matière et l’ARN, un processus d’auto-organisation des acides aminés, etc...

Un autre point commun : chacune de ces révolutions est une rupture de symétrie !

Nouveau point commun : dans chaque cas il s’agit d’émergence de structures disspatives issues du non-équilibre.

Enfin, encore un point commun, il s’agit à chaque fois de structures hiérarchiques interactives entre les différents niveaux d’auto-organisation. Cela signifie que, sans cesse, de la matière repasse au vide et, sans cesse, de la matière vivante repasse à la matière inerte, sans cesse les acides aminés reproduisent de l’ARN et, sans cesse, de l’ARN se redécompose. La complexité de chaque niveau provient des rétroactions de destruction. Construction et déconstruction sont des mécanismes permanents et rétroactifs entre les niveaux d’organisation. De là nait l’ordre, le désordre et leur lien dialectique.

Chaque mode nouveau d’organisation est issu des rythmes précédents de la dynamique.
Les scientifiques ont commencé à entr’apercevoir ce que pourrait être l’histoire de l’apparition de la vie : de l’ARN aux protéines et à l’ADN. Ces trois constituants ne seraient pas arrivés ensemble mais à tour de rôle, lors de véritables révolutions historiques. C’est ce que propose notamment le chimiste Martin Olomucki dans « La chimie du vivant » : « Des données expérimentales récentes laissent supposer que, grâce à leurs propriétés chimiques, les ARN ont rendu possible l’émergence des protéines. (...) Rien ne s’oppose à l’idée que les ARN primordiaux aient pu promouvoir la polymérisation d’un autre type de monomères : les acides aminés. (...) Tel est le schéma d’organisation des protéines actuelles, dont les origines remontent au monde archaïque des ARN. (...) En donnant naissance à des protéines, les ARN ont agi en apprentis-sorciers. (...) L’apparition des protéines a donc, au sens propre comme au sens figuré, introduit une nouvelle dimension dans le développement de la chimie du vivant. Ces nouvelles macromolécules, capables de déployer dans l’espace des outils chimiques efficaces pour constituer des sites catalytiques spécifiques et performants, ont ouvert à l’évolution de vastes perspectives. Grâce à elles, l’organisation de la matière a pu franchir un pas décisif et révolutionnaire. De nombreuses étapes restaient à franchir et de nombreuses crises d’organisation devaient encore être surmontées. »

Les macromolécules, l’ATP, l’ARN, la membrane, la cellule, les protéines, le code génétique, l’ADN, le noyau cellulaire, les êtres pluricellulaires, etc… sont nés chacun à son tour, brutalement, au cours de sauts qualitatifs sans précédent, sans étape intermédiaire, et, du coup, n’ont pas laissé de trace. Pire même, si l’on peut dire, ces structures et les boucles de rétroaction chimiques dites métabolisme, sont nées en plusieurs fois. Il n’y a pas « une » naissance de la vie mais de multiples naissances. Il n’y a même pas une naissance de la molécule de la mémoire génétique mais des milliers si ce n’est des dizaines de milliers. Car il y a eu et il y a encore de multiples sortes d’ARN. Probablement, le processus qui a initié cette molécule n’existe plus. L’ARN est devenu, par plusieurs sauts, un ARN autocatalytique (un enzyme du type ribozyme), un ARN messager, et tout un tas d’autres sortes de brins plus ou moins longs, synthétisant de multiples sortes de protéines. L’ARN est donc né de nombreuses fois. Il n’y a pas besoin de concevoir « une création » ni même « des créations » pour un processus dans lequel la création est le mode d’existence même.
Dans son ouvrage « Singularités », De Duve imagine les singularités-événements du vivant :
1- formation des premières molécules (éventuellement dans l’espace) : chimie abiotique produisant des acides aminés, les pyrophosphates et thioesters
2- production de l’ATP et autres molécules porteuses de l’énergie des interactions du vivant
3- formation des bases U, A, G et C, les mononucléotides NMP et leurs dérivés pyrophosphatés les NTP, qui sont les briques du futur ARN (mais aussi de l’ADN qui n’apparaît que beaucoup plus tard semble-t-il) et appariement des bases. Apparition d’un protométabolisme.
4- apparition de l’ARN (acide ribonucléique) que De Duve appelle « événement charnière » car l’ARN est à l’origine des protéines et des métabolismes. Mais cela ne signifie pas une seule naissance car d’emblée apparaissent de multiples ARN.
5- réplication et transformation de l’ARN par lui-même. Formation des ARN auto-catalytique (l’ARNr ribosomial est la première molécule catalytique, avant les enzymes), ARN messager (ARNm) et de l’ARN de transfert (ARNt). Invention de la variation en même temps que la réplication. L’ARN est à la fois porteur de la mémoire génétique, dépositaire réplicable et agent de cette réplication (ce qui ne sera plus vrai avec l’apparition de l’ADN avec lequel la transcription sera complètement dissociée de la réplication). Début du mécanisme de sélection. Allongement des brins d’ARN. Développement des enzymes et du métabolisme.
6- production des protéines par l’interaction entre diverses sortes de molécules ARN (ARNm, ARNt et ARNr), traduction du langage nucléique en langage protéique, que De Duve nomme la « vraie révolution », « l’événement clef par lequel l’information est entrée dans la vie émergente ».
7- formation de la membrane cellulaire par des protéines membranaires
8- naissance de la cellule vivante (son apparition est particulièrement difficile à situer dans le temps) avec apparition de la croissance et de la multiplication par division.
9- apparition du code génétique : langage de transcription (général au vivant utilisant l’ADN) entre les bases de l’ARN (les NTP) couplées par trois (formant un codon) et les acides aminés (un acide correspondant de façon unique à un codon). Formation de la base thymine T par méthilisation de l’uracile U.
10- apparition de l’ADN (acide désoxyribonucléique), la fameuse double hélice et du double processus de réplication (un brin répliqué d’un seul coup et l’autre par segments reconstitués ensuite) puis revérification par des enzymes correcteurs. L’ordre de l’ADN est issu du désordre et des interactions des ARN qui ne disparaissent pas ensuite mais sont intégrés au processus… Les microARN (non codants) servent à réguler l’expression des gènes.
11- naissance de l’être procaryote (cellule sans noyau) puis eucaryote (cellule à noyau par l’intégration par symbiose à un procaryote d’autre procaryotes constituant mitochondries et chloroplastes). Naissent les familles de procaryotes, les bacteria et les archaea, puis les eucarya (ou eucaryotes, parmi lesquels apparaîtront notamment les animaux, les plantes et les éponges).
12- apparition des êtres pluricellulaires.

Pour conclure :

Certains recherchent une origine de la matière à l’extérieur du mécanisme de la matière lui-même. Ce n’est pas notre cas. La vie fait partie des modes d’organisation de la matière arrivée à un certain niveau de structuration, exactement comme la matière possédant une masse inerte fait partie des modes d’organisation du vide quantique. Ce sont donc les propriétés de la matière inerte qui doivent donc nous indiquer d’où vient la matière vivante. Ces propriétés de la matière inerte sont dynamiques, non-linéaires, dissipatives, hiérarchiques, discontinues, dialectiques et émergentes. Voilà notre origine. A nous de la faire parler…

Qu’est-ce que l’auto-organisation ?

Le vivant, processus auto-organisé

Le vivant, une rupture de symétrie

L’expérience de Miller-Urey

Les idées issues de l’expérience de Miller

La synthèse de la vie selon Oparin et Haldane

Quelques discussions sur l’origine de la vie

Quel ancêtre de l’ARN ?

Articles en anglais sur la dynamique qui a donné la vie

Article en anglais sur les systèmes prébiologiques

Le vivant, c’est la continuité ou la discontinuité ?

Discontinuité du vivant

Le fonctionnement révolutionnaire du vivant

Qu’est-ce qui caractérise finalement la vie et son évolution ?

Pourquoi et comment les rythmes biologiques révèlent une discontinuité fondamentale ?

Qu’est-ce que des structures dissipatives issues du non-équilibre ?

Qu’est-ce que la rupture de symétrie (ou brisure spontanée de symétrie) ?

Qu’est-ce que l’émergence ?

La matière, émergence de structure au sein du vide

Qu’est-ce que le virtuel ?

Qu’est-ce que le virtuel et le virtuel de virtuel du vide quantique et leurs rapports avec la matière ?

Quelle est la structure de la matière et du vide - ou comment la matière est virtuelle et le virtuel est matière

Le mode dynamique du vivant

Le fonctionnement révolutionnaire du vivant

Quelques questions clefs pour le vivant

La complexité du vivant construite par la destruction

Construction et déconstruction du vivant

Qu’est-ce que la vie

Des systèmes auto-organisés fondés sur la dissipation ont-ils fondé la vie ?

Messages

  • Sacré coup de vieux pour l’origine de la vie sur Terre. Des géologues australiens viennent de découvrir au Groenland des traces d’une activité microbienne remontant à 3,7 milliards d’années, soit 200 millions d’années de plus que les records précédents trouvés dans des roches d’Australie ou d’Afrique du Sud. Et 800 millions d’années environ seulement après la formation de la planète.

  • Une équipe internationale de chercheurs a découvert une archéobactérie intermédiaire entre les cellules simples procaryotes et les cellules complexes eucaryotes.

    Lire ici : http://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/evolution-un-chainon-manquant-decouvert-au-fond-des-oceans_15966

  • Des microfossiles vieux de 3,77 milliards d’années ont été découverts au Canada.

    Décrites dans la revue Nature du 2 mars, ces formes microscopiques sont présentées par l’équipe internationale qui les a étudiées comme les plus anciens microfossiles connus.
    « Notre découverte renforce l’idée que la vie a émergé de sources hydrothermales chaudes au fond des océans, peu de temps après la formation de la Terre [il y a environ 4,5 milliards d’années]. Cette apparition rapide concorde avec d’autres indices comme la découverte récente de formations sédimentaires vieilles de 3,7 milliards d’années qui auraient été créées par des micro-organismes », souligne le thésard Matthew Dodd (University College London, UCL-London Centre for Nanotechnology, LCN), premier signataire de l’article dans Nature.

    Les stromatolites ne sont pas à proprement parler des fossiles : ces formations calcaires résultent de l’activité métabolique de bactéries, dont la trace directe n’a pas subsisté.
    En revanche, la nouvelle découverte porte sur les restes de micro-organismes eux-mêmes, fossilisés dans la roche. En l’occurrence, celle de la « ceinture de roches vertes de Nuvvuagittuq », située sur la côte est de la baie d’Hudson, au Québec. En 2008, les plus anciennes de ces roches ont été datées à 4,3 milliards d’années (et au minimum à 3,77 milliards d’années), ce qui en fait les plus vieilles connues et accessibles. Jonathan O’Neil (Université d’Ottawa), cosignataire de l’article de Nature, avait contribué à les caractériser.
    Les plus anciens microfossiles stricto sensu avaient jusqu’à présent été trouvés dans l’ouest de l’Australie et dataient de 3,46 milliards d’années – mais leur statut reste débattu, certains considérant qu’ils pourraient être le produit de réactions géochimiques.

    Les nouveaux venus se présentent sous plusieurs formes, tubes et filaments, faits d’hématite, une forme oxydée de fer, mais aussi des rosettes produites par leur activité. Là aussi, des processus non biologiques auraient pu aboutir à des structures similaires, mais les auteurs assurent avoir écarté cette possibilité.

    Ils estiment que les formes prises par les microfossiles et d’autres traces géochimiques évoquent celles des micro-organismes que l’on trouve aujourd’hui encore au fond des océans, à proximité des « fumeurs », ces cheminées hydrothermales qui exhalent des eaux chargées en nutriments assurant la subsistance d’oasis de vie sous-marine. Ces tubes et filaments seraient des assemblages de cellules individuelles.

    « Ces structures sont composées de minéraux dont on attend qu’ils se forment par putréfaction, et elles sont bien documentées dans les archives géologiques, depuis les origines jusqu’à aujourd’hui, avance Dominic Papineau (UCL, LCN). Le fait que nous les ayons déterrées dans une des formations géologiques les plus anciennes suggère que nous avons découvert une des plus anciennes formes de vie. »

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