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Révolutions de l’Egypte antique

mercredi 25 mai 2011, par Robert Paris

Lors de deux grandes vagues de révolution sociale (-2260 et -1200 avant J.-C.), le peuple travailleur d’Egypte a non seulement renversé le roi mais renversé aussi le régime pharaonique et tout le système d’exploitation.

« La Première Période intermédiaire va voir bousculées les valeurs fondamentales des Pharaons à la fin du règne du roi Pépy II, fils d’Ânkhsenpépy II. »

Audran Labrousse dans "Les pyramides des reines d’Égypte à Saqqâra"

Labrousse est le directeur de la Mission archéologique française de Saqqâra

Le site Mythologica écrit en 2009 :

"LE TEMPS DES TROUBLES

"Vers 2260 avant notre ère, l’Egypte se morcelle, une révolution brutale et sanglante éclate, les riches sont ruinés, leurs biens pillés, leurs tombeaux détruits et livrés aux pilleurs de tombes. « La résidence royale a été ravagée en une heure », écrit un scribe. « Je médite, raconte un autre scribe, sur les événement. Des changements s’opèrent, ce n’est déjà plus comme l’an dernier, chaque année est plus pesante que l’autre. Le pays est bouleversé. » Le pharaon, si proche des dieux, croyait - on avec certitude quelques années auparavant, a perdu peu à peu beaucoup de son prestige. Si certains Egyptiens se lamentent de ces bouleversements, cette révolution est bénéfique pour d’autres. Profitant des troubles, le peuple s’approprie les procédés rituels et magiques des rites funéraires, jusqu’alors réservés au roi et aux grands, et accède à son tour à l’immortalité : De nouvelles notions religieuses et morales se font jour dans le pays : la diffusion du culte d’Osiris, parti de Bousiris dans le Delta, s’étend sur tout le territoire ; le peuple voit aussi s’ouvrir devant lui l’accès aux charges de l’Etat. Des rois sans pouvoir se bousculent pour le trône et se succèdent à un rythme effréné. "Soixante-dix rois en soixante-dix jours", écrira, des siècles plus tard, l’historien Manéthon dans son Histoire d’Egypte, dont seuls quelques fragments, transcrits par des historiens plus tardifs, nous sont parvenus. Plus on s’éloigne de Memphis, plus les princes refusent obéissance au pharaon."

L’Etat pharaonique, oppresseur des peuples, n’est pas le fondateur de la civilisation égyptienne et il est né bien après elle...

Une civilisation qui a dominé toute la région

Esclaves nubiens

Sous le règne de Sésostris III (-1878 -1843 ), la première véritable armée égyptienne permanente est constituée en remplacement des milices des nomes et de la gendarmerie nubienne.

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« Les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie et chaque ville dit : « laissez nous chasser les puissants de chez nous. »
Le scribe Ipouer
A l’époque de la révolution sociale égyptienne de -2260 avant J.-C

"À la fin de l’Ancien Empire, l’État unitaire entra en crise, et son effondrement engendra toute une série de principats indépendants du pouvoir central. Cette période, qui coïncide avec les VIIe-Xe dynasties (vers 2180-1987 av. J.-C.), est appelée la Première Période Intermédiaire. Elle est marquée par une importante crise économique, due aux lacunes du contrôle centralisé de la crue du Nil, qui provoqua des récoltes insuffisantes, engendrant ainsi des conflits sociaux qui créèrent un climat général d’instabilité.

L’un des legs les plus significatifs de la Première Période Intermédiaire à l’époque qui allait suivre est la « démocratisation » de l’au-delà : dès lors, le pharaon ne sera plus le seul à avoir droit à une vie après la mort ; celle-ci s’ouvre à tout homme, si son âme est jugée pure devant le tribunal présidé par le dieu Osiris."
Clio la muse de l’histoire

L’Etat égyptien, sans doute le premier Etat national sur un grand territoire après les cités-Etats, est présenté souvent comme le produit de la religion, de la croyance en un représentant de dieu sur terre, le pharaon « fils d’Horus », quand ce n’est pas comme le résultat de la volonté royale. L’Etat est-il le produit nécessaire du progrès technique et social que représente l’agriculture et de la nécessité de l’irrigation et de la canalisation à grande échelle des rives du Nil, comme l’ont affirmé bien des historiens qui parlent à ce propos de « despotisme asiatique » ? Est-il le produit direct ou encore le principal facteur de succès de la civilisation ? L’Etat centralisé égyptien est né 3200 ans avant J.-C, c’est-à-dire bien après la principale révolution de la civilisation : l’urbanisation. La première grande ville égyptienne, Hiérakonpolis, naît environ 3700 avant JC, soit 500 ans avant. Tant que le nombre d’urbains est faible, l’Etat et son appareil de répression (police, armée, justice) n’est pas indispensable comme l’expliquait Aristote dans « Politique ». Par contre, dès que celle-ci atteint un seuil, un stade limite de la stabilité sociale, il devient indispensable sous peine de voir la classe dirigeante renversée. L’Egypte c’est alors environ dix millions d’habitants concentrés dans 10.000 villes et villages (et le double mille ans plus tard). Un autre seuil avait été atteint dans les siècles précédents : celui des inégalités sociales entre riches et pauvres. La pauvreté n’est pas en soi un facteur de déstabilisation. Par contre, l’agglomération des pauvres dans les villes à côté des riches l’est. Or, durant les mois de la crue du Nil, toutes les terres agricoles sont inondées et tous les paysans doivent se rabattre sur les buttes de limon où se trouvent les villes et villages. L’Egypte devient pendant des mois une seule grande ville constituée d’îlots reliés par bateaux, comme la décrira plus tard Hérodote. Cela a une conséquence sociale fondamentale : il faut gérer une société beaucoup plus concentrée que celle de l’occident du Moyen-âge, plus urbanisée, plus proche physiquement de la classe dirigeante, des ses richesses et de ses organismes de direction de la société. Cela a d’énormes conséquences en ce qui concerne les risques de troubles sociaux et politiques. Si l’agriculture ne rend pas les produits de la terre pendant plusieurs années, soit à cause d’un manque d’eau de la crue, soit à cause d’un Nil déposant du sable au lieu de limon, soit à cause d’attaques de sauterelles (on se souvient des sept plaies de l’Egypte), la confiance dans la classe dirigeante et même dans les dieux et leurs intercesseurs sur terre, les pharaons, va chuter rapidement. Contrairement aux paysans éparpillés sur la terre, dès que les urbains pauvres se révoltent, ils sont proches des lieux du pouvoir et sont nombreux s’il s’agit de le renverser. L’agriculture, apparue sur toute la planète aux mêmes latitudes, n’a pas seulement permis de nourrir des millions d’habitants agglomérés par la désertification du sahel, de la péninsule arabique et de l’Asie. Elle les a nourri, organisé, sédentarisé. Elle a détruit les anciens modes de vie, de travail, de propriété et de relations humaines. Elle a révolutionné leur mode de pensée et leurs structures sociales. Elle a permis la formation d’un artisanat et d’un commerce, l’enrichissement de ces classes, ainsi que celles des scribes, des savants, des techniciens, des artistes. Le surplus social important (un paysan égyptien produit environ cinq fois plus que ce qui lui est nécessaire pour vivre) a permis de constituer une importante classe dirigeante qui concentre le surplus entre ses mains, s’en sert pour spécialiser des hommes à la science, l’art, la technique, la guerre, la religion mais aussi le gouvernement des hommes. D’abord dans chaque ville, puis chaque région, des hommes de gouvernement apparaissent qui vont bientôt unifier un pouvoir au nord (Basse Egypte), au centre (Haute Egypte) et au sud (Nubie). Ce sont les pharaons. C’est un changement considérable. L’unité est territoriale et non plus celle d’une ethnie, d’une région ou d’un peuple. Désormais, si l’unité n’est plus celle d’une tribu ou d’un peuple, c’est que la division en classes est apparue. Le « journal du monde » de Sylvan Hoffman expose ainsi : « Trois classes composent la société égyptienne. (...) La classe dominante est la noblesse. Lorsque le pharaon est faible, les nobles terriens et les gouverneurs de province ont le rôle politique essentiel (...) Lorsque celui-ci est fort, le pouvoir de la noblesse s’en trouve notablement restreint. (...) La noblesse dans son ensemble n’en demeure pas moins la classe dominante et la puissance politique essentielle de la nation. A l’autre extrémité de l’échelle, infiniment plus nombreux que les nobles, le peuple des travailleurs (plutôt serfs qu’esclaves) cultive la terre, construit des édifices neufs, (...) a une existence misérable et (...) vit dans des taudis une existence rude, brutale, parfois d’une dégradante immoralité. (...) Entre la noblesse relativement restreinte et l’immense classe laborieuse se trouve un groupe intermédiaire assez nombreux composé des fonctionnaires du gouvernement royal, des prêtres, des soldats, des scribes, des propriétaires roturiers. » On dispose de nombreux documents sur le vie des paysans ou des ouvriers. Ceux-ci protestent, se battent, se révoltent, tentent de s’organiser. Il y a même des grèves, par exemple une grande grève des mines. Les monuments aux morts (mastaba) sont couverts de dessins, montrant des domaines agricoles dans lesquels les intendants et les scribes bastonnent les paysans qui ne fournissent pas des produits suffisamment nombreux. Les hiéroglyphes d’un mastaba du musée du Louvre indiquent sous un dessin de paysan courbé sous le joug du fonctionnaire : « il faut bien contrôler le paysan ». Un papyrus mentionne : « Le scribe de la comptabilité Hat-Nakhtou (...) a écouté ce qui se dit chez les manouvriers… ’’Nous sommes sans vêtements, nous sommes sans boissons, nous sommes sans poissons nous nous adressons au gouverneur notre supérieur pour qu’il nous donne les moyens de vivre ! ’’ » (extrait du carnet d’un surveillant de la nécropole de Thèbes – musée de Turin). Sous le long règne de Pépi 1er, il y a déjà eu plusieurs dissidences de nomarques (gouverneurs de nomes – régions administratives). Pépi II qui lui succède n’osera pas s’attaquer à ces féodaux et autres princes conspirateurs. Son pouvoir, affaibli, est renversé en moins 2250 avant J.-C par le peuple soulevé.

Pour comprendre les luttes qui vont renverser l’Etat, il faut d’abord comprendre la formation de l’Etat. Le premier contre-sens possible consiste à confondre la fondation de l’Etat des Pharaons avec la formation de la civilisation. Les classes riches d’Egypte n’ont pas attendu l’apparition de l’Etat central pour mettre en place l’exploitation, pour développer l’économie agraire, l’artisanat, le commerce et les villes. Les pyramides et autres palais ne sont pas un témoignage du progrès, de l’art, de la religion, une source d’admiration. Elles sont avant tout une démonstration de force, en vue du maintien de l’oppression et de la dictature, et une énorme ponction sur les capacités économiques des paysans par des travaux forcés qui ne sont justifiés que par la nécessité d’un pouvoir écrasant, visant à impressionner, s’imposant aux exploités « du haut de ces pyramides ». Le pouvoir d’Etat s’est imposé aussi aux classes dirigeantes dès lors que les classes dirigeantes n’étaient pas capables de se faire obéir des exploités. D’ailleurs, ce n’est pas la civilisation qui a produit directement (et comme une nécessité d’évidence) l’Etat, et encore moins l’Etat qui aurait produit la civilisation. Entre la naissance de la civilisation et la naissance de l’Etat, il y a généralement plusieurs centaines et même milliers [1] d’années. Et parfois, la civilisation ne donne pas naissance à l’Etat et disparaît avant que l’Etat n’apparaisse. La réalisation principale de l’Etat est un appareil de stabilisation de la société et d’oppression des classes populaires. L’égyptologue Dominique Valbelle écrit dans l’ouvrage collectif « L’Egypte ancienne, les secrets du Haut-Nil » : « L’administration égyptienne est indissociable d’un Etat égyptien, né avec elle. Elle en est l’âme. Elle a été mise à mal lorsque celui-là était menacé. Elle a été reconstituée en même temps que le pouvoir pharaonique. Elle représente donc un facteur de stabilité et l’assurance d’une continuité des institutions. » Mais ce facteur de stabilisation est loin d’être né immédiatement en Egypte comme dans le reste du monde. Il n’est pas le premier pas de la civilisation. Celle-ci est née du développement de l’activité agricole, puis, grâce à celle-ci de l’accumulation de la plus value, de l’accroissement des capacités techniques de l’homme, de la division du travail, du développement d’un grand commerce, de la naissance des villes, de la culture, de la naissance d’une classe dirigeante et des inégalités sociales. Ce bond en avant n’a pas eu besoin de l’Etat. Ainsi, tout le développement des villes et de la civilisation grecques ne connaît pas l’Etat qui ne fait une première tentative d’apparition que sur la fin. Par contre, le développement de l’agriculture, de l’artisanat, et du commerce a permis l’émergence d’une importante classe de citadins, d’artisans, de commerçants, de banquiers, une véritable bourgeoisie. C’est elle qui est domine la ville. La première dynamique sociale de la civilisation est le produit de la division entre villes et campagnes. La seconde est celle qui oppose riches et pauvres dans les villes. Enfin, l’apparition et le développement de l’Etat va mener à de nouvelles oppositions : entre guerriers, religieux et bourgeoisie. La relation entre classes dominantes et Etat est contradictoire. Les classes riches des villes ont fini par être menacées par les exploités et elles ont ressenti le besoin de se protéger derrière le bouclier de l’Etat. Mais cette nécessité n’était pas sans réticences. Partout dans le monde, la civilisation des villes avait préexisté à l’Etat [2]. C’est à ses dépens que l’Etat a développé ses prérogatives [3]. La ville a parfois résisté durement à la mise en place de la domination étatique [4]. La lutte entre les classes riches des villes, prenant parfois la tête des pauvres, et le pouvoir royal a même été un des axes essentiels de la lutte politique et sociale dans l’Antiquité.

C’est la révolution sociale qui a rendu nécessaire la formation de l’Etat, inévitable même. Indispensable, du moins, aux classes dirigeantes qui, sous la menace des opprimés, ont dû se séparer, en faveur de cet organe de centralisation des décisions et des forces de répression, d’une grande partie de leur pouvoir local urbain [5], de leurs privilèges et de leurs revenus. Et cet ordre n’a pas été synonyme de progrès mais seulement de conservation sociale. C’est la transformation qui avait, bien avant l’apparition de l’Etat, entraîné un certain progrès, relatif. La concentration dans les villes des richesses, des moyens techniques, des connaissances et des personnages les plus influents et les plus riches suppose une accumulation primitive considérable de richesses tirées du travail agraire. Loin de dater du Moyen Age, les villes sont d’une apparition très ancienne dans l’Antiquité. Par exemple, en Mésopotamie Ur, Uruk, Lagash et Umma datent entre -4000 av JC et -3500 av JC, alors que le premier empire date de -2340 avant JC (empire akkadien). Même l’Etat-cité y date de -2340 avant JC (dynasties archaïques). Les civilisations sont le saut qualitatif, révolutionnaire, une structure émergente produite par le succès de l’économie agraire, qui a permis un grand développement de l’artisanat et du commerce, de multiples succès dans lequel l’Etat n’a eu aucune part. L’apparition de l’agriculture, son amélioration technique, l’irrigation, la spécialisation professionnelle et l’organisation du travail collectif, par exemple, qui sont d’immenses progrès de l’homme ne datent pas de l’apparition de l’Etat mais de bien avant. L’image de l’Etat organisateur de la production agricole et de l’irrigation n’est pas totalement fausse, mais elle est beaucoup plus récente ; elle ne fait que succéder, beaucoup plus tard, à une époque où les classes dirigeantes locales, qui ont succédé à la société tribale et villageoise, ont elles-mêmes mis en place ces activités.

Qu’est-ce qui avait poussé, lors de la fondation de l’Etat, les classes dirigeantes à se dessaisir de leur pouvoir sur chaque ville au profit d’un pouvoir supérieur, centralisé, celui d’un roi divinisé ? Bien sûr, l’une des origines de cette centralisation est la conquête militaire. Vers -3000 avant J.-C, le royaume de Haute Egypte conquiert celui de Basse Egypte, fondant le « royaume du double pays ». Mais, le choix des classes dirigeantes de se mettre sous la coupe d’un pharaon est bien plus ancien et a une toute autre origine que la guerre. Guy Rachet l’expose dans son « Dictionnaire de la civilisation égyptienne » que « L’isolement de la vallée du Nil, séparée du reste du monde par de vastes déserts, a fait que, de l’époque préthinite à la fin du Moyen Empire, la civilisation égyptienne a évolué en vase clos (...) On oublie trop souvent de souligner que, depuis l’unification de l’Egypte, qui voit éclore l’empire thinite, jusqu’à la fin de l’Ancien Empire, le peuple égyptien connaît un millénaire de paix continue ! » Alors que l’Etat est né en Egypte plus de 3000 ans avant J.-C, c’est seulement en 608 avant J.-C que l’Etat égyptien aura à se heurter à un puissant voisin, Babylone. Auparavant, il n’aura eu affaire qu’aux maigres troupes des bédouins, n’ayant eu aucun contact avant Nagada II avec un pays voisin et n’ayant connu d’invasion qu’à partir de 1300 avant J.-C. Par contre, les révoltes sociales et politiques ont débuté bien avant la fondation d’un Etat au Nord, au Sud puis unifié. Les classes dirigeantes n’ont été convaincues de se soumettre à l’Etat, de renoncer à leurs privilèges locaux, que, contraintes et forcées, par la nécessité de détenir une forme d’organisation militaire permanente face aux révoltes des opprimés. Et, même alors cette conscience des classes dirigeantes n’a pas été sans heurts et résistances, sans retours en arrière. On connaît l’exemple de la révolte de la ville d’Hermopolis contre la formation d’un Etat unifié à Héliopolis. Ce ne sont donc pas les voisins menaçants militairement qui expliquent la nécessité d’élever un tel édifice étatique si coûteux. L’ennemi dangereux pour ces riches, c’est le peuple, prompt à se révolter contre son exploitation et les travaux forcés qui s’y rajoutent. Si l’idéologie dominante explique que l’ordre sur terre ne se maintient que par l’intercession de ce roi-dieu, ce n’est pas simplement le produit d’une croyance, mais aussi d’une réalité : l’édifice social ne subsiste que si le régime du pharaon tient debout. Dès que le régime central perd de son pouvoir, non seulement la classe dirigeante, momentanément matée, redresse la tête, cesse d’obéir, revendique des revenus et des pouvoirs, mais les classes pauvres se révoltent, convaincant à nouveau les riches (noblesse, gouverneurs, bourgeoisie, chefs militaires, chefs religieux, et hauts fonctionnaires) de se jeter sous la protection de la dictature pharaonique. La nécessité de l’appareil d’Etat est apparue d’abord pour éviter que la lutte des classes ne finisse par faire chuter l’édifice social. Les révolutions ont préexisté à l’Etat égyptien et même aux divers états régionaux. Les sociétés diverses égyptiennes, appelées par les archéologues Nagada 1, 2 et 3, ont successivement chuté sous les coups des contradictions sociales. Il n’y a pas eu de continuité, mais plusieurs tentatives avant que des rois égyptiens ne fassent leur apparition, avant qu’apparaissent des policiers, des militaires, des fonctionnaires d’un Etat centralisé. La révolution sociale va continuer à marquer l’Etat égyptien et à le modeler. Et tout particulièrement la principale révolution, celle de moins 2260 avant J.-C qui est rapportée par Guy Rachet : « Le pays fut le théâtre d’une véritable révolution sociale qui mit un terme à l’Ancien Empire. A la fin du long règne de Pépi II, dernier roi de la Vie dynastie, le pouvoir royal s’était amenuisé et les nomarques de Haute Egypte s’étaient rendus indépendants. Une révolution populaire d’une violence inouïe éclata alors, dirigée contre la noblesse et le roi. Si les documents officiels restent muets sur ces événements, la littérature contemporaine ou à peine postérieure est pleine d’échos significatifs. (...) ». C’est dans les « Admonitions d’un sage Egyptien » qu’on trouve le tableau le plus complet de la révolution : ’’Le pays est pleine ébullition et le laboureur porte un bouclier. Les lois de la Salle de justice sont dispersées (...) les portes et les murailles sont incendiées (...) les pauvres sont riches et les riches sont dépouillés (...) les fils de nobles sont jetés à la rue (...) le roi est enlevé par les pauvres (...) des hommes de rien ont renversé la royauté, ils ont osé se révolter contre l’uraeus défenseur de Rê.(...)’’ Cette haine fantastique contre le pharaon s’est reportée contre toute la lignée des rois de l’Ancien Empire et c’est ce qui explique les sarcophages des pyramides brisés et vidés de leurs restes humains, et surtout les statues des rois jetées au fond de puits ou cassées jusqu’à être réduites en minuscules morceaux. Si cette révolution ouvre l’époque d’anarchie de la première période intermédiaire, si elle brise toutes les structures sociales de l’Ancien Empire, ses conséquences pour la vie morale du peuple égyptien sont sans doute incommensurables : le privilège de l’immortalité solaire, qui n’appartenait qu’au pharaon et à ceux que sa volonté royale avait élus, est donné désormais à tout Egyptien à quelque classe qu’il appartienne. » La « démocratisation » juridique, administrative, politique et religieuse est une conséquence institutionnelle de la révolution. Désormais les paysans vont pouvoir aller en justice contre leur noble. Ils seront protégés par les temples auxquels ils n’avaient autrefois aucun accès. La classe moyenne est développée en nombre et en moyens, car il faut élargir l’assise du régime. Les gouverneurs qui, par corruption, ne maintiendraient pas les greniers à grains pour les cas de famine seraient condamnés à avoir la tête coupée. Mais en même temps, le régime met en place pour la première fois une armée permanente contre tout nouveau risque révolutionnaire. Jusque là, l’armée était d’assez peu d’utilité n’ayant aucun concurrent dangereux au voisinage et ne servant qu’à faire des razzia en Nubie, en Palestine ou en Libye, notamment pour ramener des esclaves (seulement 2% de la population). La police n’avait en effet pas suffi à contenir la révolution sociale.

Si chacun sait que la révolution vise au renversement du régime, de l’Etat, du système ou de la classe dirigeante, il est bien moins courant de faire remarquer que l’Etat, que l’ordre social a été produit brutalement, comme réponse à la montée de l’agitation sociale et de sa menace révolutionnaire au sein de la société. Ainsi c’est les « 300 ans de luttes et de troubles » [20] qui ont précédé la fondation du premier Etat de la planète, le royaume de Sumer en Mésopotamie. On se souvient des « périodes intermédiaires » qu’a connue l’Egypte des Pharaons, des révolutions qui rythment toute l’histoire de l’Egypte (les phases d’instabilité de 2260-2050 avant J.-C, puis 1785-1580 avant J.-C, puis 1085-715 avant J.-C). Une révolution a également lieu, en – 1224 avant J.-C, qui détrône le successeur de Minéptah : « La terre d’Egypte était laissée à la dérive, chaque homme étant sa loi, et ils n’avaient pas de chef durant de nombreuses années… Chacun tuait son voisin, grand ou petit. Puis une autre période arriva. » rapporte un témoin de l’époque. Après 25 ans de troubles, vers l’an – 1200, un certain Sethnakht monte sur le trône et rétablit l’ordre, comme le rapporte Viviane Koenig, racontant comment les années suivantes furent dures pour les Egyptiens punis de s’être révoltés. C’est l’époque reconnue comme celle du départ des Hébreux d’Egypte vers le Sinaï, Hébreux qui considèrent que leur dieu a puni le Pharaon.

Les époques de crise et d’insurrections populaires sont intitulées « âges sombres » pour la chute de la civilisation de l’Indus, « troubles intérieurs » (en Mésopotamie en –1750) ou « interrègne » (à propos du renversement du régime des pharaons d’Egypte, en – 2260), ou encore « période sombre » (pour les révolutions de la Grèce antique en –1200). Il ne s’agit pas d’événements sans grande importance puisqu’à chaque fois la destruction est de grande ampleur, la civilisation est balayée, le régime détruit et l’est souvent pour des durées considérables, sinon à jamais. Curieusement, l’Histoire ne nous a pas gâtés en détails sur des périodes charnières aussi fondamentales de chacun de ces pays. Autant les actes « glorieux » des monarques, leurs constructions prétentieuses, leurs guerres et leurs conquêtes sont décrits avec un grand luxe de détail, autant les luttes sociales et politiques des peuples contre les dictateurs sont parcimonieusement relatées et même rarement reconnues. Quel amateur de la civilisation égyptienne se souvient qu’on lui ait relaté la révolution sociale mettant fin au régime des pharaons et faisant chuter la classe dirigeante et le pharaon Pépi II, en – 2260 avant J.-C [6] ? Cette insurrection des exploités a pourtant marqué le pays pendant deux siècles d’interrègne, de – 2260 jusqu’en – 2050. Deux cent ans sans qu’un pharaon ne parvienne à coiffer les « Deux Pays », de haute et de basse Egypte, deux cent ans sans pouvoir central et sans que les plus pauvres respectent à nouveau les riches. On a retrouvé de multiples écrits des anciens membres des classes dirigeantes et, surtout, d’anciens membres de la classe moyenne qui se plaignent que les riches ne font plus la loi et sont eux-mêmes tombés dans la misère. Un ensemble de papyrus découverts à Memphis est écrit par le scribe Ipouer qui tente d’expliquer la révolution : « Les villes de haute et de basse Egypte sont détruites et se consument. Le palais des rois est dépouillé (...) Contemplez ce qu’il advient lorsque les hommes se hasardent à se rebeller contre l’uræus divin, grâce auquel le dieu Râ pacifie les deux terres. Le serpent de la science est saisi et les pillards sont partout. (...) Sache qu’il est bien que les hommes construisent des pyramides, creusent des étangs et plantes des arbres pour le plaisir des dieux et le bonheur des hommes. » Dans « Dictionnaire de la civilisation égyptienne », Guy Rachet, qui le cite, raconte ainsi : « Le pays fut le théâtre d’une véritable révolution sociale qui mit un terme à l’Ancien Empire. (...) Une révolution d’une violence inouïe éclata alors contre la noblesse et le roi. » Et de citer certains textes d’époque : « Il n’y a plus de droit et le Mal siège dans la chambre du conseil. (…) Il advint ce qui ne s’était jamais vu. On forge des lances en cuivre pour gagner son pain dans le sang. » Rachet commente ainsi les événements : « Cette haine fanatique contre le pharaon s’est reportée sur toute la lignée des rois de l’Ancien Empire et c’est ce qui explique les sarcophages des pyramides brisés et vidés de leurs restes humains et surtout les statues des rois jetées au fond des puits ou cassées jusqu’à être réduites en minuscules morceaux. Si cette révolution ouvre l’époque d’anarchie de la première période intermédiaire, si elle brise toutes les structures sociales de l’Ancien Empire, ses conséquences pour la vie morale du peuple égyptien sont sans doute incommensurables : le privilège de l’immortalité solaire, qui n’appartenait qu’au pharaon et à ceux que sa volonté royale avait élu, est donné désormais à tout Egyptien à quelque classe qu’il appartienne. Le renversement des institutions politiques fut un acte transitoire, mais la démocratisation des croyances funéraires fit sentir son effet dans toute la suite de l’histoire de l’Egypte. » Les pharaons, connaissant les capacités révolutionnaires du peuple et apprendront désormais à s’en méfier et à les combattre, comme le montrent « Les enseignements pour Mérikaré » cités par Guy Rachet : « Le roi enseigne à son fils le métier de roi « qui reste une bonne fonction ». Après avoir décrit la crise sociale qui suivit la révolution de la fin de l’Ancien Empire, le souverain expose comment le roi doit agir pour rétablir l’ordre et rendre son lustre à la monarchie. « L’homme violent jette le désordre dans la cité et crée des partis chez les jeunes gens. (...) Si tu rencontres un fauteur de désordre, supprime-le. » Beaucoup plus tard, le Nouvel Empire succéda au Moyen Empire après de nouveaux troubles ayant fait chuter le régime, un interrègne attribué à tort aux envahisseurs asiatiques (qui avaient, au contraire, su rétablir un pharaon), et les mêmes enseignements étaient donnés alors par le pharaon Amnénémès à son jeune fils, cités par Rachet : « Ecoute ce que je te dis maintenant que tu es roi de la terre, maintenant que tu règnes sur les trois régions, afin que tu puisse être meilleur que tes prédécesseurs. Arme toi contre tous tes subordonnés. Le peuple donne son attention à celui qui le terrorise. Ne t’approche pas seul de lui. » Renverser Pharaon, ce n’est pas seulement balayer un chef de gouvernement mais casser un Etat. A l’époque, Pharaon n’est pas le nom d’un roi, mais le nom de la « maison » royale, c’est-à-dire des fonctionnaires. Ils sont l’œil du pouvoir dans la population et contre elle. Ils s’assurent que les exploités produisent suffisamment. Ils vérifient qu’ils ne complotent pas. Ils démontrent au peuple qu’il est sans cesse surveillé. C’est ce que l’on appellerait aujourd’hui l’appareil d’Etat.

Extraits de Gaston Maspero :

"Sous Sémempsès, petit-fils d’Housaphaïti, la peste ravagea la contrée : les lois se relâchèrent, de grands crimes furent commis, et des révoltes éclatèrent, qui amenèrent bientôt la chute de la première dynastie. (…) Avec le dernier roi de la deuxième dynastie s’éteignit probablement la descendance directe de Ménès. Elle avait régné cinq siècles et demi, et accompli durant cet intervalle une oeuvre qui n’était ni sans gloire ni sans difficulté. Les princes des nomes durent s’habituer difficilement à leur vasselage, et ils saisirent sans doute tous les prétextes de révolte que la cruauté ou la faiblesse de certains rois leur offrirent. Il est vraisemblable que plusieurs d’entre eux réussirent à regagner leur indépendance et même à établir des dynasties collatérales, qui disputèrent le pouvoir suprême à la famille régnante ou parfois la réduisirent à une impuissance momentanée. (…)D’après la tradition, ni Kheops ni Khephren ne jouirent des tombeaux qu’ils s’étaient préparés au prix de tant de souffrances : le peuple exaspéré se révolta, arracha leurs corps des sarcophages et les mit en pièces (d’après Diodore de Sicile). (…) Les historiens grecs ont recueilli, à quatre mille ans de distance, l’écho des malédictions dont les Égyptiens chargèrent la mémoire de Kheops. Rien n’empêche de croire que cette révolte dont parle Diodore eut vraiment lieu : des statues de Khephren brisées ont été retrouvées prés du temple du Sphinx, dans un puits où elles avaient été jetées anciennement, peut-être un jour de révolution. (…)La Nubie était alors habitée en partie par des tribus nègres, la queue probablement de celles qui avaient formé la population primitive de l’Égypte. Sans cesse révoltées et sans cesse vaincues, elles fournissaient de faciles triomphes aux généraux de Pharaon, et elles remplissaient de soldats les cadres de son armée. Ouni les employa contre les Amou et contre les Hiroushaïtou qui dominaient alors aux déserts de l’isthme et dans la Syrie méridionale. « Sa Sainteté eut à repousser les Amou et les Hiroushaïtou. Sa Sainteté fit une armée de plusieurs fois dix mille soldats, pris dans le pays tout entier depuis Éléphantine jusqu’à la mer du nord, dans toutes les maisons, dans les villes, dans les places fortes, dans le pays d’Iritit, parmi les nègres du pays de Maza, parmi les nègres du pays d’Amamît, parmi les nègres du pays des Ouaouaîtou, parmi les nègres de Kaaou, parmi les nègres du pays de Tomam, et Sa Sainteté m’envoya à la tête de cette armée. Certes, il y avait tous les généraux, il y avait les chambellans, il y avait les amis du palais, il y avait les chefs, les princes des villes du midi et du nord, les amis dorés, les chefs des prophètes du midi et du nord, les intendants des temples à la tête des capitaines du midi et du nord, des villes et des temples, et aussi les nègres des régions mentionnées, et pourtant ce fut moi qui les dirigeai, bien que ma fonction ne fût que celle d’un surintendant des bois de Pharaon ! » A travers les phrases mutilées qui suivent, on devine les difficultés de toute nature contre lesquelles il dut lutter. On eut, paraît-il, quelque peine à organiser le service des vivres et de l’habillement. A force de patience et d’industrie, l’ordre finit par s’établir et l’expédition entra en mouvement.
« Cette armée alla en paix : elle entra, comme il lui plut, au pays des Hiroushaïtou. Cette armée alla en paix : elle écrasa le pays des Hiroushaïtou. Cette armée alla en paix : elle fit brèche dans toutes leurs enceintes fortifiées. Cette armée alla en paix : elle coupa leurs figuiers et leurs vignes. Cette armée alla en paix : elle incendia toutes leurs maisons. Cette armée alla en paix : elle massacra leurs soldats myriades. Cette armée alla en paix : elle emmena leurs hommes, leurs femmes et leurs enfants en grand nombre, comme prisonniers vivants, ce dont Sa Sainteté se réjouit plus que de toute autre chose. » Ces prisonniers, employés aux travaux publics ou vendus comme esclaves à des particuliers, contribuèrent pour leur part à la prospérité du règne de Pépi. « Sa Sainteté m’envoya pour écraser ses ennemis, et j’allai cinq fois frapper la terre des Hiroushaïtou pour aller abattre leur rébellion avec cette armée ; et j’agis de telle sorte que le roi fut satisfait de cela plus que de toute autre chose. » Malgré ces victoires répétées, la lutte n’était pas encore terminée : « On vint dire que des barbares s’étaient assemblés au pays de Tiba. Je partis encore dans des navires avec cette armée, et je pris terre aux extrémités reculées de cette région, au nord du pays des Hiroushaïtou. Voici que cette armée se mit en chemin : elle les battit tous, et détruisit tous ceux d’entre eux qui s’étaient assemblés. » Cette affaire décisive termina les opérations et entraîna la soumission complète des ennemis. Au retour de ces expéditions, Ouni, déjà comblé d’honneurs, reçut la faveur la plus insigne qu’un roi pût accorder à un sujet, l’autorisation de garder ses sandales dans le palais et même en présence de Pharaon. La paix régnait à l’intérieur : au dehors, la Nubie, la Libye et les parties de la Syrie contiguës au Delta reconnaissaient la suzeraineté de l’Égypte. Jamais, depuis Kheops, le pays n’avait été plus puissant et plus heureux. Pépi ne jouit pas longtemps de sa gloire. Peu de temps après le triomphe d’Ouni, il mourut, laissant la couronne à Mirinri Métésouphis, l’aîné des fils qu’il avait eus de sa seconde femme, la reine Mirirî-Ankhnas. (…)Depuis l’avènement de Ménès, toute la civilisation égyptienne semblait s’être concentrée dans la partie moyenne du pays, entre Thinis et Memphis. C’est à Thinis ou à Memphis que les princes avaient trôné, à Thinis ou à Memphis que les arts s’étaient développés et avaient produit leurs chefs-d’œuvre : les nomes du sud avaient été relégués au second plan. Leurs métropoles vivaient dans une obscurité profonde ; leurs dieux même étaient ignorés à ce point que, sur les monuments des six premières dynasties publiés jusqu’à ce jour, j’ai trouvé une seule fois, dans un nom propre, le nom du grand dieu de Thèbes, Anion, le seigneur des deux mondes, le patron de l’Egypte au temps des conquêtes syriennes.
Lorsque Memphis eut perdu la suzeraineté, au milieu des révolutions qui désolèrent le règne des princes Héracléopolitains, les villes du sud de l’Egypte, Coptos, Silsilis, Thèbes surtout, commencèrent de naître à la vie politique. Les premiers monuments que nous connaissons d’elles dérivent directement des derniers monuments que la sixième dynastie nous a légués, mais ils sont empreints encore de gaucherie et de rudesse provinciale. Ce sont des tombeaux creusés dans le roc, peints mais non sculptés. Les scènes de la vie civile n’y sont pas représentées ; on y voit seulement dessinés sur les murs des amas d’offrandes, accompagnés de prières empruntées, partie au Livre des Morts, partie ail Rituel des pyramides royales. Comme à l’âge memphite, la stèle est un résumé de la chapelle du tombeau ; mais elle affecte une forme cintrée qui rappelle les voûtes des hypogées de la Haute Égypte, et elle suffit seule à procurer au mort tout ce qui est nécessaire à son existence. Souvent le dieu à qui l’on recommande le maître de la stèle est figuré avec ses attributs. C’est Osiris, c’est Khnoumou, c’est Minou, c’est Amon surtout qu’on invoque. Phtah, Atoumou, Râ, tous les dieux memphites et héliopolitains se sont abaissés au rang des dieux provinciaux, dans le même temps que Memphis descendait de la dignité de capitale à la condition de ville de province. (…)Parfois cependant les riverains du Delta voyaient descendre dans leurs villes des bandes d’émigrés ou même des tribus entières qui, chassées de leur canton natal par la misère ou par les révolutions, venaient chercher asile en Égypte. Un des bas-reliefs du tombeau de Khnoumhotpou à Béni-Hassan nous fait assister à la réception d’une troupe de ces malheureux. Au nombre de trente-sept, hommes, femmes et enfants, ils sont amenés devant le gouverneur du nome de Mihi, auquel ils présentent une sorte de fard verdâtre nommé moszimit et deux bouquetins. Ils sont armés, comme les Égyptiens, de l’arc, de la javeline, de la hache, de la massue, et vêtus de longues robes ou de pagnes étroits bridant sur la hanche ; l’un d’eux, tout en marchant, joue d’un instrument qui rappelle, par la forme, les lyres de vieux style grec. Les détails de leur costume, l’éclat et le bon goût des étoffes bariolées et garnies de franges dont ils sont revêtus, l’élégance de la plupart des objets qu’ils ont avec eux, témoignent d’une civilisation avancée. C’était déjà d’Asie que l’Égypte tirait les esclaves, les parfums dont elle faisait une consommation énorme, le bois et les essences du cèdre, les vases émaillés, les pierreries, le tapis et les étoffes brodées ou teintes dont la Chaldée se réserva le monopole jusqu’au temps des Romains.
Sur un point seulement du territoire asiatique, les Pharaons de la douzième dynastie songèrent à s’établir solidement : ce fut dans la péninsule du Sinaï, auprès des mines de cuivre et de turquoise exploitées jadis par les princes de l’Ancien Empire. Des postes échelonnés dans les gorges de la montagne protégèrent les ouvriers contre les tentatives des Bédouins. Grâce à cette précaution, on put reprendre l’exploitation des anciens filons, ouvrir des filons nouveaux et imprimer aux travaux une activité qu’ils n’avaient jamais eue auparavant. Sanouasrît 1er, Amenemhaît II, Amenemhaît III, Amenemhaît IV y ont laissé des inscriptions à leur nom. Toutefois, même en cet endroit, les rois de la douzième dynastie ne se départirent point de leur politique habituelle ; ils ne saisirent de terrain que ce qui leur était nécessaire pour l’exploitation des mines, et ils ne disputèrent pas le surplus aux tribus nomades du désert.
De toutes ces tribus, celles qu’ils connaissaient le mieux, pour avoir souvent à repousser ou à châtier leurs incursions, étaient les Sitiou ou Shasou, pillards effrontés, ainsi que l’indique le nom qu’ils s’appliquaient à eux-mêmes. Répandus sur les frontières de l’Égypte et de la Syrie, à la lisière du désert et des terres cultivées, ils vivaient comme les Bédouins d’aujourd’hui, sans demeure fixe, moitié de pillage, moitié du profit de leurs maigres troupeaux. (…)
C’est à Béni-Hassan, dans le cimetière des sires héréditaires de Mihi, que l’on comprend le mieux quelle était alors la condition du pays. Ces princes appartenaient à ce que j’ai appelé ailleurs la féodalité égyptienne. Aux temps agités de la dixième et de la onzième dynastie, leurs ancêtres avaient probablement joui d’une indépendance complète et formé une de ces dynasties locales, inconnues aux annales officielles du royaume, mais si vivaces qu’elles reparaissaient à chaque nouvelle révolution qui affaiblissait l’autorité du pouvoir central. Soumis par les Antouf et les Montouhotpou avant d’avoir réussi à s’étendre sur les nomes voisins, ils se contentaient pour le moment d’occuper auprès de la personne du Pharaon les places les plus exaltées auxquelles la hiérarchie leur permettait d’aspirer. Aussi rien n’est-il plus curieux que leur biographie pour se faire une idée de l’histoire des classes nobles. (…) Les Pharaons de la douzième et surtout ceux de la treizième dynastie avaient préparé ce résultat en favorisant le nord, Mendès, Saïs, Bubaste, Tanis surtout, au détriment du midi. Quand ils disparurent, Thèbes perdit son rang de capitale, et ce fut ne ville de la Basse Égypte, ce fut Xoïs, qui lui succéda. Le Delta avait profité des travaux exécutés naguères par les Thébains autant, sinon plus, que la vallée proprement dite : ses marais s’étaient colmatés, ses campagnes assainies, ses canaux régularisés et le commerce avec l’Asie y apportait mie richesse sans cesse croissante. Xoïs, située au centre même de la plaine, entre les branches phatmétique et sébennytique du Nil, n’avait jusqu’alors joué qu’un rôle des plus effacés : elle sembla avoir gagné plus que les autres à la prospérité générale. La quatorzième dynastie, sortie de ses murs, compta, dit-on, soixante-quinze rois, qui dominèrent quatre cent quatre-vingt-quatre ans. Leurs noms mutilés se pressaient en colonnes sur les pages du Papyrus royal de Turin, et les chiffres qui désignent la longueur de leur règne sont souvent assez bas, deux ans, un an, trois ans : on voit qu’ils se sont succédé sur le trône très rapidement, mais leur histoire est inconnue. Tout au plus pourrait-on supposer que les derniers d’entre eux furent assaillis par des révolutions et par des guerres civiles qui amenèrent leur chute."

GASTON MASPERO

dans "L’Egypte jusqu’à l’invasion des pasteurs"

Préface de Pierre Grimal de l’ouvrage « Textes sacrés et profanes de l’ancienne Egypte » de Claire Lalouette :

« Nous découvrons que le visage apparemment serein et immuable de l’Egypte s’est parfois attristé. (...) des révolutions sociales chassent les antiques familles, dépositaires des traditions les plus respectables (...) » Pierre Grimal rappelle que des textes marquants sont marqués de ces événements : « Aux chants de triomphe et de joie célébrant la paix et la victoire des rois, succèdent des plaintes pathétiques. Quoi de plus touchant que la prophétie de Neferty, rédigée sans doute vers l’an 2000 avant J.-C, placée idéalement sept siècles plus tôt, et décrivant l’état du royaume pendant ce que nous appelons la première période intermédiaire ? Il passe dans ces lamentations comme un accent biblique, le langage est lourd d’images qui mettent en question les forces les plus secrètes de la Nature (...) Ce que les hommes avaient pu accomplir, la place qu’ils avaient su se donner, contre les puissances mauvaises, tout cela est détruit (...) La prophétie de Neferty était écoutée par le roi. Vers le même temps, les mêmes malheurs, ou d’autres analogues suscitaient les lamentations d’Ipou-our (...) Le ton est différent, ce sont les paroles d’un homme simple ; les comparaisons qu’il emploie viennent de la vie quotidienne : le tour de potier, les ibis qui souillent la terre, et cet homme regrette que l’état ancien de la société ait été bouleversé, que la servante tienne la place de la maîtresse, que le riche soit dans une condition misérable (...) »

« Textes sacrés et profanes de l’ancienne Egypte » de Claire Lalouette :

« Les écrits intitulés Enseignement d’un père à son fils constituent un ensemble important dans la littérature de l’Egypte ancienne (...) Deux de ces enseignements, toutefois tout particuliers : il s’agit de véritables testaments politiques aux termes desquels le roi encore régnant donne au prince héritier d’utiles conseils et des précisions sur la situation administrative du pays. Relativement anciens, ils se situent en des périodes proches dans le temps : l’un à la fin de la première période intermédiaire (période de troubles et d’anarchie qui fait suite à une révolution sociale), vers 2100 avant J.-C – l’autre au début de la 10ème dynastie, vers 1980 avant J.-C. A la monarchie puissante et quai despotique de l’Ancien Empire succède alors une monarchie nouvelle, qui a dû tirer la leçon d’événements révolutionnaires survenu à l’intérieur du pays, et qui cherche à affirmer un pouvoir royal, prudent, plus préoccupé des besoins du peuple – rois et dieux oeuvrant pour le maintien de la justice et de la cohésion sociale. »

« Enseignement du roi Kheti II à son fils Mérikaré

« Si tu rencontres un homme dont les partisans sont nombreux une fois assemblés, et qui soit agréable aux yeux de ses gens, un homme qui soit un orateur prolixe, chassez-le, supprimez-le, efface son nom, chasse son souvenir ainsi que celui de ses partisans. C’est aussi une cause de troubles pour les citoyens qu’un homme au cœur violent, il provoque des factions parmi les jeunes. Si tu t’aperçois que les citoyens subissent son ascendant, humilie le en présence des courtisans, chasse le ; c’est un ennemi aussi. Un bavard est un fauteur de troubles pour la ville. Soumet la multitude ; repousse l’excitation loin d’elle. (...) »
« Seul un homme malade est dépourvu d’ennemis, et, à l’intérieur même de l’Egypte, l’ennemi ne s’apaise pas. (...) Je me suis approché de la ville de This [2] et de celle de Mâqi, à la limite sud de Taout, je les ai saisis comme un nuage qui crève. (...) Vois, le pays qu’ils avaient saccagé est maintenant organisé en nomes et toutes sortes de grandes villes. (...) Tous travaillent pour toi comme une seule troupe. Parmi eux, aucun rebelle n’apparaîtra, le Nil ne te nuira pas en ne revenant pas, et les produits de la Bass Egypte sont dans ta main. »
« Vois, une action vile est arrivée en mon temps. Les districts de la ville de This ont été saccagés, et cela arriva de mon fait ; je n’en eu connaissance qu’après son accomplissement. Vois la faute capitale que j’ai commise, elle est certes pénible (...). Agis pour Dieu – il agira de même pour toi – au moyen d’offrandes qui renouvelleront son autel. (...) il tue les ennemis et détruit ceux de ses enfants qui songeaient à accomplir une révolte. (...) Il a fait pour eux des chefs, dès l’oeuf, des conducteurs pour soutenir l’échine de l’homme faible. (...) il a tué les hommes vils qui étaient parmi eux. (...) »

« La prophétie de Neferty

"(...) Courage mon cœur, pleure sur ce pays où tu as commencé (ton existence) (...) Vois donc, le Grand personnage est maintenant abattu, dans ce pays où tu as commencé ton existence (...) Vois donc les Grands ne constituent plus le « gouvernement » du pays. (...) Ré doit recommencer la création. Le pays tout entier a péri, il ne subsiste rien ; il ne restera même pas le noir de l’ongle de son destin. Ce pays est si gravement atteint que personne ne se lamente plus sur lui, que personne ne parle, que personne ne pleure. Comment donc ce pays pourra-t-il subsister ? (...) Assurément ces belles et bonnes choses (d’autrefois) ont été détruites. (...) Je te décris le pays à la manière d’un malade, car ce qui n’aurait jamais dû arriver est arrivé. On saisira les armes de combat et le pays vivra dans le tumulte. On fabriquera des flèches de cuivre et l’on demandera du pain avec du sang. (...) Je te décris le Pays à la manière d’un malade. Celui dont le bras était faible sera un homme puissant ; on saluera celui qui (autrefois) saluait. Je te décris l’homme inférieur devenu supérieur, ce qui était tourné sur le dos est maintenant tourné sur le ventre. On vivra dans la nécropole. Le pauvre empilera de grandes richesses. C’est l’homme misérable qui mangera les pains d’offrandes, tandis que les serviteurs seront dans la liesse. Le nome d’Heliopolis, lieu de naissance de tous les dieux, n’existera plus. (...) Alors un roi viendra du sud (...) Il prendra la couronne blanche et il portera la couronne rouge, ainsi il unira les deux puissances (...) Le peuple d’Egypte se réjouira (...) Ceux qui inclinaient au mal et ceux qui complotaient une rébellion ont mis fin à leurs paroles à cause de la crainte qu’il inspire. (...) Les rebelles éprouveront sa colère et les hommes au cœur pervers la terreur qu’il répand. »

« Les lamentations d’Ipou-Our

« Le texte (...) décrit l’Etat chaotique de l’Egypte après les bouleversements de la révolution sociale que celle-ci connut à la fin de l’Ancien Empire et durant la première période intermédiaire, (vers 2190-2070 avant J.-C) »
Extraits du texte :
« (...) Voyez donc, les hommes démunis sont devenus propriétaires de richesses et celui qui ne pouvait faire pour lui-même une paire de sandales possède des monceaux.
Voyez donc, les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie, et chaque ville dit : « laissez-nous chasser les puissants de chez nous. » (...)
Voyez donc, l’or et la lapis-lazuli, l’argent et le turquoise, la cornaline et le bronze, la pierre de Nubie entourent le cou des servantes, tandis que les nobles dames errent à travers le pays et que les maîtresses de maison d’autrefois disent : « Ah ! Puissions-nous avoir quelque chose à manger ! » (...)
Voyez donc, Elephantine, Thinis, etc… de Haute Egypte ne paient plus d’impôts, à cause de la révolte. On manque de fruits, de charbon de bois. (...)
Autrefois, le cœur du roi était heureux quand les porteurs d’offrandes s’avançaient vers lui, et quand venaient les pays étrangers : c’était notre empire, c’était notre prospérité. Qu’allons nous faire à ce propos ? Tout est tombé en ruine. (...)
Voyez donc, celui qui ne possédait rien est maintenant celui qui possède (...)
Voyez donc, les Grands ont faim et souffrent, mais les serviteurs sont servis. (...)
Voyez donc, les bureaux administratifs sont ouverts, les rôles ont été enlevés, de sorte que celui qui était un serf peut devenir le maître des serfs. (...)
Voyez en vérité une chose a été faite qui n’était pas arrivée auparavant : on est tombés assez bas pour que des misérables enlèvent le roi. (...)
Voyez en vérité, on est tombés assez bas pour que le pays ait été dépouillé de la royauté par un petit nombre de gens sans raison. (...)
Voyez, les juges d’Egypte sont chassés à travers le pays, chassés des Maisons de la royauté. (...)
Voyez, aucune fonction n’est désormais à sa place, tel un troupeau qui s’égare sans berger. (...)
Cela est bon assurément quand les mains des hommes construisent des pyramides et creusent des étangs et font pour les dieux des vergers. (...)

« Les chants du désespéré

« Ce document est encore un écho de la révolution sociale qui sévit en Egypte durant la première période intermédiaire.
« (...) Ceux qui ont construit des monuments en granit et édifié des pyramides parfaites, œuvres achevées, ces bâtisseurs sont devenus des dieux ; mais maintenant leurs tables d’offrandes sont nues, comme celle des abandonnés qui sont morts sur la rive sans descendance (...)
L’homme qui rendait furieux à cause de ses mauvaises actions, maintenant fait rire tout le monde lorsque son crime est odieux. (...)
A qui parlerai-je aujourd’hui ? Il n’y a plus d’homme pacifique. (...)
Le mal a frappé le pays. Il n’a plus de fin. (...) »

« Chant pour le roi Antef (2100 avant J.-C)

« Ceux qui autrefois furent des dieux, les morts glorifiés de même. Mais ceux qui construisent des tombeaux, leurs résidences n’existent plus. Qu’en est-il donc advenu ? (...) Leurs murs sont détruits. Leur emplacement même n’est plus comme s’il n’avait jamais existé. »

« Chant pour Neferhotep
« (...) J’ai entendu ce qui était arrivé. Leurs constructions se sont effondrées. Leurs tombes ont disparu. »

Guy Rachet dans « Civilisation égyptienne » :
« C’est dans les « Admonitions d’un sage Egyptien » qu’on trouve le tableau le plus complet de la révolution : ’’Le pays est pleine ébullition et le laboureur porte un bouclier. Les lois de la Salle de justice sont dispersées (...) les portes et les murailles sont incendiées (...) les pauvres sont riches et les riches sont dépouillés (...) les fils de nobles sont jetés à la rue (...) le roi est enlevé par les pauvres (...) des hommes de rien ont renversé la royauté, ils ont osé se révolter contre l’uraeus défenseur de Rê. (...)’’ Cette haine fantastique contre le pharaon s’est reportée contre toute la lignée des rois de l’Ancien Empire et c’est ce qui explique les sarcophages des pyramides brisés et vidés de leurs restes humains, et surtout les statues des rois jetées au fond de puits ou cassées jusqu’à être réduites en minuscules morceaux. Si cette révolution ouvre l’époque d’anarchie de la première période intermédiaire, si elle brise toutes les structures sociales de l’Ancien Empire, ses conséquences pour la vie morale du peuple égyptien sont sans doute incommensurables : le privilège de l’immortalité solaire, qui n’appartenait qu’au pharaon et à ceux que sa volonté royale avait élus, est donné désormais à tout Egyptien à quelque classe qu’il appartienne. »

Viviane Koenig dans « L’Egypte au temps des pharaons » :

« Vers 2260, à la fin du long règne du pharaon Pépi II, (...), l’autorité royale s’effrite, surtout en Haute Egypte, région si éloignée de la capitale. L’Etat se disloque. Au nord, le peuple s’agite. Une révolution violente, sanglante, implacable éclate. Dépossédés de leurs biens, les riches émigrent ou découvrent la misère. La peur règne partout. Les brigands parcourent la campagne. Les paysans ne cultivent plus. La famine fait des ravages. Les fonctionnaires, débordés, voient leurs bureaux mis à sac. Les artisans abandonnent leurs ateliers. Le palais royal brûle. (...) Même les dieux sont délaissés. (...) Les pauvres possèdent les richesses. (...) Les nobles dames meurent de faim. (...) L’ordre social est bouleversé. L’Ancien Empire devient un souvenir. (...) Le temps est fini où, dans l’ordre et le calme, les paysans obéissaient au scribe surveillant l’engrangement du blé. (...) Pendant plus de deux siècles, Pharaon n’existe plus (...). Les troubles violents qui ont mis fin au vieil empire sont terminés. Ils ont été d’une violence inouïe : une véritable révolution. (...) Vers 2050, Mentouhotep devient le pharaon Mentouhotep 1er. » Elle présente un témoignage écrit : « Je te présente le pays sens dessus dessous. Ce qui se passe ne s’était jamais passé. (...) Quelques hommes sans foi ni loi sont allés jusqu’à déposséder le pays de la royauté, la résidence royale a été ravagée en une heure, celui qui ne pouvait se construire un réduit est propriétaire des murs, celui qui ne pouvait se faire construire une barque est propriétaire des bateaux… » C’est bien une révolution sociale qui a renversé l’ordre. Un changement va apparaître dans le nouvel empire : les grands nobles sont surveillés par le pharaon, les stocks de blé ne peuvent plus être détournés par corruption, les gouverneurs deviennent des fonctionnaires qui répondent de leur vie au cas où les greniers de réserve sont vides, les pauvres accèdent à la vie éternelle et ont droit de traduire leur noble en justice. La classe pauvre est reconnue, la classe riche a perdu de son pouvoir en faveur de l’Etat et la classe moyenne voit son nombre considérablement accru. La réforme de l’Etat sert fondamentalement la classe noble même si elle est dépossédée du pouvoir direct. Et Pharaon doit désormais justifier de sa nécessité, se faire de la propagande politique : des écrits exposent les problèmes de la société et combien Pharaon est indispensable pour les résoudre. L’idéologie dominante est elle aussi modifiée. Pharaon a modifié la religion qui fait mine de se tourner désormais vers le peuple. En achetant quelques formules magiques, n’importe qui peut aller dans l’au-delà. »

Révoltes populaires et bouleversements sociaux
de l’ancien empire en Egypte

À la faveur des troubles qui marquent la fin de l’Ancien Empire, les interdits religieux ne sont plus respectés, et la richesse change de mains.
« La Sublime Salle de Justice, ses écritures sont enlevées, les places secrètes sont divulguées. Les formules magiques sont divulguées et deviennent inefficaces, parce que les hommes les ont dans leur mémoire. Les offices publics sont ouverts ; leurs déclarations (titres de propriété) sont enlevés ; malheur à moi, pour la tristesse de ce temps !...
Voyez donc : des choses arrivent qui n’étaient jamais advenues dans le passé : le roi est enlevé par les pauvres… Ce que cachait la Pyramide est maintenant vide. Quelques hommes sans foi ni loi ont dépouillé le pays de la Royauté. Ils en sont venus à se révolter contre l’Uræus qui défend Râ et pacifie les Deux Terres …
Les pauvres du pays sont devenus riches, tandis que les propriétaires n’ont plus rien. Celui qui n’avait rien devient maître de trésors et les grands le flattent. Voyez ce qui arrive parmi les hommes : celui qui ne pouvait se bâtir une chambre, possède maintenant des (domaines ceints de) murs. Les Grands sont (employés) dans les magasins. Celui qui n’avait pas un mur pour (abriter) son sommeil est propriétaire d’un lit. Celui qui ne pouvait se mettre à l’ombre possède maintenant l’ombre ; ceux qui avaient l’ombre sont exposés aux vents de tempête. Celui qui ne s’était jamais fabriqué une barque a maintenant des navires ; leur (ancien) propriétaire les regarde, mais ils ne sont plus à lui. Celui qui n’avait pas une paire de bœufs possède des troupeaux ; celui qui n’avait pas un pain à lui devient propriétaire d’une grange ; mais son grenier est approvisionné avec le bien d’un autre…
Les pauvres possèdent les richesses ; celui qui ne s’était jamais fait de souliers a maintenant des choses précieuses. Ceux qui possédaient des habits sont en guenilles ; mais celui qui n’avait jamais tissé pour lui-même a maintenant de fines toiles. Celui qui ne savait rien de la lyre possède maintenant une harpe ; celui devant qui on n’avait jamais chanté, il invoque la déesse des chansons… La femme qui n’avait même pas une boîte a maintenant une armoire. Celle qui mirait son visage dans l’eau possède un miroir de bronze…
Les (dames) qui étaient dans les lits de leurs maris, couchent sur des peaux (par terre)… Elles souffrent comme des servantes… Les esclaves (femmes) parlent tout à leur aise, et, quand leurs maîtresses parlent, les serviteurs ont du mal à le supporter. L’or, le lapis, l’argent, la malachite, les cornalines, le bronze, le marbre… parent maintenant le cou des esclaves. Le luxe court le pays ; mais les maîtresses de maison disent : « Ah ! si nous avions quelque chose à manger. « Les dames… leurs corps souffrent à cause de leurs vieilles robes… leurs cœurs sont en déroute quand on les salue.
Les nobles dames en arrivent à avoir faim, tandis que les bouchers se rassasient de ce qu’ils préparaient pour elles ; celui qui couchait sans femme, par pauvreté, trouve maintenant de nobles dames.
Le fils d’un homme de qualité ne se reconnaît plus parmi d’autres : le fils de la maîtresse devient fils de servante…"

La révolte populaire contre la construction des pyramides

« Nous constatons que beaucoup d’écrits concernant l’origine de la réforme religieuse d’Imhotep ont complètement disparu, mais ce n’est pas parce qu’on a retrouvé les premiers textes dans les pyramides de la cinquième dynastie que le clergé d’Héliopolis dirigé par un si extraordinaire grand prêtre (que fut Imhotep), aurait attendu deux siècles pour mettre en place l’image de la résurrection symbolisée par Osiris !
« Pour les Egyptiens peu importait LE NOM du Grand Dieu souverain qui peut revêtir de multiples aspects puisqu’il EST la « source créatrice » de toutes choses, on constate dès lors que cette recherche du surnaturel s’intègre dans les actes et pensées les plus intimes de l’individu. C’est précisément cet esprit qui traversera les siècles et se transmettra de génération en génération malgré les soulèvements du peuple ou les changements de dynasties.
Si l’on en croit les explications d’Hérodote il y aurait eu une sorte de révolte populaire sous la 7ème dynastie qui a marqué la fin de la période : Ancien Empire et la séparation des royaumes qui prendra le nom de « première période intermédiaire ».
« Cette fronde expliquerait en partie notre manque de renseignements sur les noms des divers architectes royaux de la quatrième dynastie qui ont également construit des pyramides et le martelage des figures de Chéops (après sa mort)…
La seule image que l’on possède de Chéops provient d’une petite statuette brisée, reconstituée et actuellement exposée au Musée du Caire.
Plusieurs gouverneurs de provinces en profitèrent pour s’allier contre le pouvoir royal. Le pays étant affaiblit par cette guerre civile, les tribus nomades de Bédouins aux frontières organisèrent des incursions dans les villes et villages du delta du Nil où ils tuèrent et pillèrent de nombreux habitants avant de repartir en toute impunité…
« Comme le révèle le chant mélancolique du harpiste, même les trésors des pyramides ne furent pas épargnés :
« Les dieux (les rois) qui furent jadis ensevelis dans leurs pyramides qu’est-il advenu d’eux ? Leurs murs sont tombés en ruines, leurs places ne sont plus ; c’est comme s’ils n’avaient jamais existé ! « 
Et jaillit de ses lèvres comme une philosophie qui explique aux générations futures la vanité des choses et la nécessité de mourir :
« Les corps passent et disparaissent, tandis que d’autres demeurent depuis le temps des ancêtres. Les plaintes ne sauvent personne du tombeau, car il n’est accordé à personne d’emporter avec soi son bien, et aucun de ceux qui sont partis n’est revenu ! »
« S’il est une chose que tu peux acquérir et que jamais tu ne perdras : « donne du pain à celui qui (a faim et) n’a pas de champ et assure-toi à tout jamais un bon nom auprès de ta postérité. »

La première période intermédiaire
« Période très trouble durant la 7e et 8e dynastie où deux capitales vont se disputer le titre : Memphis et Abydos. Héracléopolis en tant que fief personnel du roi restera fidèle à son autorité dirigée de Memphis, tandis qu’Idi, prince de Coptos et Shemaï prince d’Abydos gouvernèrent la Haute Egypte redevenue indépendante.
Aux incursions de bédouins qui violent les frontières on peut ajouter les Libyens à l’Ouest, tandis qu’à l’Est les Syriens s’allient aux Cananéens (asiatiques) pour déferler en bandes sur l’Egypte.
Sous la 9e et 10e dynastie de nombreux princes revendiquèrent en vain la royauté dans la nouvelle capitale de Moyenne Egypte : Héracléopolis où Néferkaré (-2130 -2120) a essayé d’imposer sa loi sans faire l’unanimité autour de sa personne.

Sous la dixième dynastie, à l’aube du Moyen Empire
Enseignements du roi Ouakha-Rê Khety III (-2 110 à – 2075) à son fils le futur roi Mérikaré de la 10e dynastie (-2 075 à -2 060) Papyrus du musée de l’Ermitage – N°1115 à Copenhague :
« La vie sur terre passe rapidement, heureux celui qui est sans péché, car un million d’hommes ne serviront à rien au roi des deux-terres lorsqu’il paraîtra en pécheur dans l’au-delà. La mémoire de l’homme bon vivra toujours. L’essence de la vie est dans la parole des ancêtres, elle est contenue dans les livres… Ouvre-les et lis-les. Pratique la justice aussi longtemps que tu seras sur terre, Réconforte ceux qui pleurent, n’opprime pas la veuve et l’orphelin… Dieu connaît le perfide et rétribue ses péchés dans le sang…Monte vers les chemins inaccessibles, car l’âme de l’homme va vers la place qu’elle connaît, elle ne s’écarte pas du chemin de la vérité et personne ne peut la repousser ! Sache que les juges du tribunal de l’au-delà examineront une vie comme une heure. Heureux celui qui atteindra cette vie : il sera là comme un dieu, il se déplacera librement comme les maîtres de l’éternité, car il n’y a personne qui puisse s’opposer au créateur qui est omniprésent et omniscient. Honore ton Dieu invisible sur ton chemin, pratique la vérité et la justice, Agis pour Dieu afin qu’il puisse faire de même pour toi. Après avoir puni les hommes (déluge ?) il fait à nouveau briller sa lumière (Rê) qui navigue dans le ciel pour que les hommes la voient. »
Ces paroles ont été écrites vers -2080 …

Les avertissements d’Ipouer
Dans un ensemble de papyrus découvert à Memphis, se trouve un texte que l’on a attribué à un scribe du Moyen Empire nommé Iouper. Ce scribe essaie d’expliquer les causes et les graves événements de la première période intermédiaire. Ce document est actuellement conservé au musée de Leyde (Pays-Bas) sous le N° 1344.
« … Les tribus ennemies se sont établies partout dans le pays et l’homme doux et humble soupire en disant que les hommes sont différents ! Alors que l’on enseignait avant que « le prédestiné » sera toujours dans la rectitude des temps d’Horus (fils d’Osiris) et dans l’âge (éternel) de l’Ennéade (le collège des dieux d’Héliopolis) … Ecoutez le fleuve (Nil) charrie du sang et pourtant les hommes s’y désaltèrent tant ils ont soif ! Les villes de Haute et Basse Egypte sont détruites et se consument. Le palais des rois est dépouillé, même les morts sont devenus des étrangers. Contemplez ce qu’il advient lorsque les hommes se hasardent à se rebeller contre l’uraeus divin, grâce auquel le dieu Rê pacifie les deux terres. Le serpent de la science est saisi et les pillards sont partout.
Souviens-toi de l’odeur des offrandes qui flottait dans l’air, les dates sacrées étaient respectées, le parfum brûlait et les prêtres étaient purs car la corruption du coeur n’existait pas. Souviens-toi que le Dieu qui produit le chaud et le froid est le pâtre de l’humanité et son coeur ignore le mal. Si son troupeau s’est égaré, il passe le jour à le rassembler.
Oui ! en vérité, il rassemble le coeur des hommes par le fruit de son amour pour eux et il perçoit leur nature dès la première génération. Aussi va-t-il jusqu’à penser détruire les hommes mauvais de son propre bras. Sache qu’il est bien que les hommes construisent des pyramides, creusent des étangs et plantent des arbres pour le plaisir des dieux et le bonheur du peuple.
Que chaque homme se fasse aimer de son prochain, que la rectitude soit respectée dans tous les discours. Générations futures, je vous parle avec mon cœur et j’attends que vous répondiez de même. Un cœur solitaire ne doit pas garder le silence, car il sait que multiples sont les poids de la balance de l’au-delà… »

Nombre d’auteurs refusent l’idée de révolutions sociales dans l’Egypte antique et font comme si il y avait eu une seule civilisation égyptienne. Dans « Egypte », Nancy Mac Grath souligne cette idée d’une continuité de la civilisation égyptienne : « En quoi la plus vieille histoire du monde peut-elle nous intéresser ? En quoi 3600 ans d’histoire et de civilisation (du premier roi unificateur jusqu’à l’arrivée d’arrivée d’Alexandre le Grand en Egypte) sont-ils pour nous une leçon ? (…) Il y a la continuité entre l’Egypte de la pierre polie et le premier royaume unifié autour de Héliopolis, avec comme rois les serviteurs d’Horus, dont le dernier sera Ménès. (…) Une grande leçon est à tirer de cet aspect monolythique et ancien d’une civilisation, (…) la continuité de la civilisation égyptienne. (…) Jean Vercoutter écrit dans « L’Egypte ancienne » : « l’histoire égyptienne se déroule comme une courbe uniforme. » (…) Elle est l’histoire d’une civilisation en tant que telle : l’Egypte pharaonique. Trois mille ans de temples, tombeaux, hiéroglyphes, religion, … » En somme la civilisation serait un produit des rois égyptiens. Et pourtant le même auteur écrit : « Ce serait une démarche analphabète et grossière de ne pas voir combien l’Egypte classique est déjà inscrite dans le registre de l’Egypte archaïque. (…) Religion, écriture et art sont déjà présents avant l’Ancien Empire. » Donc avant les rois et pharaons, l’art et la civilisation avaient commencé depuis longtemps à fleurir et cela n’empêche pas l’auteur de diffuser la thèse que la civilisation c’est l’Egypte pharaonique ! La civilisation égyptienne, ce serait d’abord se religion rendue fameuse par les constructions et inscriptions pharaoniques et pourtant le même auteur nous rappelle que la population a très longtemps, tout au long des premiers règnes, ignoré complètement la religion des pharaons : « C’est au moment où s’achève l’Ancien Empire, entre 2500 et 2000 ans (après la révolution sociale) que les secrets des centres initiatiques d’Héliopolis seront divulgués par le « Texte des pyramides », alors qu’ils étaient jusque là réservés aux pharaons. En effet, une révolution contestatrice profonde éclata dans cette fin du troisième millénaire et de l’Ancien Empire, contre un pouvoir royal affaibli et contesté. (…) C’est seulement après cette révolution que le texte des pyramides, jusque là secret magique, sera inscrit sur tous les tombeaux. » La civilisation égyptienne serait un modèle de continuité, et pourtant, l’auteur connaît les révolutions, n’ignore pas les discontinuités de cette histoire : « Cette chronologie des pharaons (…) se caractérise par des « trous » immenses : comme dit Vercoutter, il faut imaginer ce que serait l’histoire de France où il manquerait la guerre de Cent ans, les guerres de Religion, la Révolution française… et où on ne connaîtrait que dans ses grandes lignes sept rois et un empereur. Sans rien savoir des périodes intermédiaires. C’est cela, aujourd’hui, l’histoire connue de l’ancienne Egypte : les périodes inconnues ou presque forment les deux tiers de l’histoire totale. 190 rois et 30 dynasties sont répertoriées. Ce que l’on appelle les « Périodes intermédiaires » sont des périodes troublées séparant l’Ancien Empire du Moyen Empire (guerres civiles et révolutions sociales). (…) C’est à la mort de Pépi II que commence une époque de bouleversements sociaux aux conséquences décisives pour la civilisation égyptienne y compris sur le plan religieux (divulgation sous une pression populaire violente, des secrets d’Héliopolis, de l’Esotérisme des Mystères solaires, qui allaient ouvrir l’Egypte aux Codes funéraires que l’on verra dans les Tombeaux). (…) On pourrait baptiser cette Première Période Intermédiaire de « Première Révolution Sociale du monde ». Des monarques provinciaux se soulevèrent contre l’autorité centrale en déclin. Des paysans se révoltèrent contre le système féodal oppressif. (…) Plus tard, la littérature antiroyale de la Période des troubles révolutionnaires (première période intermédiaire) propagera l’image de rois tyranniques ayant écrasé le peuple égyptien sous les corvées et les grands travaux. »

DOCUMENT :

CONSTITUTION SOCIALE DU PEUPLE ÉGYPTIEN

La division du peuple en classes était la base de la constitution sociale de l’Égypte antique ; la royauté en était le sommet. Le nombre de ces classes varie dans Hérodote et Diodore de Sicile, les deux écrivains de la littérature classique qui nous ont fourni des renseignements à cet égard. Le premier distingue sept classes : les prêtres, les guerriers, les bouviers, les porchers, les gens de métier, les interprètes, les pilotes. Le second divise autrement la population. Pour lui, il n’y a que cinq classes : les prêtres, les guerriers, les agriculteurs, les pasteurs, les artisans. Cette divergence entre les deux historiens, qui avaient tous deux vu et parcouru l’Égypte, indique que les renseignements qu’ils nous ont transmis sur celte matière étaient incomplets et assez légèrement pris. Dep lus, bien des conditions civiles que nous voyons signalées et mentionnées sur les monuments ne rentrent naturellement dans aucune des classes énumérées par les deux écrivains grecs.

On a longtemps supposé, sur la foi de témoignages mal interprétés, que le peuple égyptien était sévèrement divisé en castes. Un savant français, J.-J. Ampère, a victorieusement réfuté cette idée[1]. La caste, en effet, n’existe qu’à trois conditions imposées à ses membres : s’abstenir de certaines professions qui leur sont interdites, se préserver de toute alliance en dehors de la caste, continuer la profession qu’on a reçue de ses pères. Or, pour ne parler que des classes sacerdotale et militaire, au sein desquelles les professions se seraient transmises de père en fils suivant Hérodote et Diodore, voici ce que nous apprennent les monuments : 1° Les fonctions sacerdotales et militaires, loin d’être exclusives, étaient souvent associées les unes avec les autres, et chacune d’elles avec des fonctions civiles, le même personnage pouvant porter un titre sacerdotal, un titre militaire et un titre civil ; 2° un personnage revêtu d’un titre militaire pouvait s’unir à la fille d’un personnage investi d’une dignité sacerdotale ; 3° les membres d’une même famille, soit le père, soit le fils, pouvaient remplir l’un des fonctions militaires, l’autre des fonctions civiles ; ces fonctions enfin ne passaient pas nécessairement aux enfants.

Il n’y avait donc pas de caste sacerdotale dans le sens rigoureux du mot, puisque les prêtres pouvaient être en même temps généraux ou gouverneurs de provinces, architectes ou juges. Il en était de même de l’état militaire, dans lequel le même homme était chef des archers et gouverneur de l’Éthiopie méridionale, préposé aux constructions royales et chef d’un corps de mercenaires étrangers. L’hérédité n’était pas non plus la loi générale de la société égyptienne. Sans doute le fils héritait souvent de l’emploi de son père, et plus souvent dans les classes sacerdotale et militaire que dans les autres ; mais ce fait, qui se retrouve dans une foule d’autres sociétés, ne prouve nullement que l’hérédité fût absolue et universelle. Il y avait jadis en France une classe essentiellement vouée à la guerre, c’était la noblesse ; il y en avait une autre au sein de laquelle les charges se transmettaient à peu près de père en fils, c’était la classe des magistrats. On n’en conclura pas cependant que la France ait jamais été soumise au régime des castes. Il serait donc plus juste de traduire par le mot corporation, ainsi que l’a fait Ampère, le mot grec auquel on a donné le sens de caste en parlant de l’ancienne Égypte.

De toutes les classes entre lesquelles se partageait la société égyptienne, celles des guerriers et des prêtres jouissaient des plus grands honneurs. Les prêtres, surtout sous les dernières dynasties, formaient dans l’État une sorte de noblesse privilégiée. Ils remplissaient les plus hautes fonctions et possédaient la plus grande et la meilleure partie du sol ; et pour rendre cette propriété inviolable, ils la représentaient comme un don de la déesse Isi, qui leur avait, dans le temps où elle était sur la terre, assigné un tiers du pays. Ces terres étaient exemptes de toute espèce d’impôts ; elles étaient ordinairement affermées moyennant une redevance qui constituait le trésor commun du temple dont les terres dépendaient, et qui était employée aux dépenses du culte des divinités, ainsi qu’à l’entretien des prêtres et de leurs nombreux subordonnés. Les prêtres, disent les écrivains classiques, ne dépensaient rien de leurs biens propres ; chacun d’eux recevait sa portion des viandes sacrées, qu’on leur donnait cuites ; on leur distribuait même chaque jour une grande quantité de bœufs et d’oies ; on leur donnait aussi du vin, mais il ne leur était pas permis démanger du poisson.

Cette dernière prescription était d’une rigueur absolue. Manger du poisson, pour un prêtre égyptien, était faire acte éclatant d’apostasie, renoncer formellement à son sacerdoce et se poser en contempteur des dieux. Dans quelques documents indigènes, correspondances ou pièces administratives, il est question de prêtres qui ont commis une aussi coupable infraction aux règles de leur état, et c’est de cette manière que leur acte est interprété. Le 9 du mois de thoth, le premier mois de l’année, une vieille coutume religieuse imposait à tous les Égyptiens de manger un poisson grillé devant la porte de leurs maisons ; les prêtres recevaient ce jour-là le leur, comme les autres, mais au lieu de se souiller en le mangeant, ils le brûlaient en public sur des charbons. Ce n’était pas là du reste, la seule prescription diététique relativement à la nourriture qui fût imposée aux membres du sacerdoce égyptien. La viande de porc leur était strictement interdite comme impure, interdiction qui du reste était, sauf quelques cas exceptionnels, la même pour les gens de toutes les classes du peuple. Certains aliments végétaux, permis aux non-prêtres, étaient encore du nombre des choses interdites pour le sacerdoce, par exemple les fèves, les pois, les lentilles, l’ail et les oignons. Ce n’étaient pourtant pas, à proprement parler, des aliments impurs, puisqu’on les présentait aux dieux en offrandes. Les oignons en particulier, ces fameux oignons d’Égypte après lesquels les Benê-Yisraël soupiraient dans le désert, figurent presque toujours parmi les objets de nature comestible offerts aux dieux ou aux morts dans les cérémonies du culte. Dans certains rites on les voit réunis par leurs tiges en faisceaux qui s’ouvrent en bas, de manière à coiffer comme une sorte de couvercle la table où sont accumulées les autres offrandes. C’est probablement la double circonstance de l’interdiction pour les prêtres de ‘manger ce légume et de son caractère habituel d’offrande sacrée qui a donné lieu à la fable puérile, si souvent répétée sur la foi des écrivains grecs et latins, d’après laquelle les Égyptiens auraient rendu aux oignons un culte divin. Dans la réalité cette assertion ne repose sur aucun fondement sérieux.

Les prêtres étaient obligés à la plus extrême propreté sur eux et dans leurs vêtements. Ils se rasent le corps enlier tous les trois jours, dit Hérodote, dont le récit se trouve pleinement d’accord avec les monuments. Ils ne portent qu’une robe de lin et des chaussures en écorce de papyrus ; il ne leur est pas permis d’avoir d’autre habit ni d’autre chaussure. Us se lavent deux fois par jour dans l’eau froide et autant de fois toutes les nuits ; en un mot, ils ont mille pratiques religieuses qu’ils observent régulièrement. Une grande cérémonie de purification précédait chacun de leurs jeûnes, qui étaient nombreux et duraient de sept à quarante-deux jours. Pendant le temps de ces jeûnes ils devaient s’abstenir de tout aliment ayant eu vie et pratiquer la plus rigoureuse chasteté.

Le costume des prêtres, surtout celui dans lequel ils officiaient, variait suivant leur rang et leur fonction. Les représentations monumentales en font connaître un assez grand nombre de types. Le plus souvent, la robe de lin rituelle y est d’étoffe fine et transparente, d’une sorte de batiste empesée et gaufrée à petits plis, au moyen d’un instrument de bois dont les musées renferment quelques exemplaires en original. L’insigne spécial du prêtre d’ordre supérieur appelé sam, consistait dans une peau de léopard posée par-dessus la tunique, dont la tête, passant sur l’épaule gauche, retombait sur la poitrine.

La hiérarchie sacerdotale égyptienne comprenait de nombreux degrés, classés d’après leur rôle et leur importance. Clément d’Alexandrie en donne une énumération dont l’exactitude a été confirmée par l’étude des documents hiéroglyphiques eux-mêmes ; et il indique celui des livres sacrés, attribués au dieu Tahout, que les membres de chaque catégorie de prêtres devaient étudier et savoir par cœur pour être en mesure de remplir dignement leur office. L’ordre supérieur était celui de ce que les Grecs ont appelé les prophètes, » qui devaient être versés à fond dans toutes les matières relatives à la doctrine religieuse, aux lois, au culte et à la discipline sacerdotale. C’étaient eux qui, non seulement présidaient aux cérémonies des temples, y tenaient la première place et y accomplissaient les rites principaux, mais aussi qui en administraient les revenus. Dans les assemblées sacerdotales, tenues quand il s’agissait de porter de nouveaux règlements sur les choses religieuses, les prophètes étaient ceux à qui appartenait le privilège d’opiner les premiers. Chaque prêtre était attaché au service d’un dieu et d’un sanctuaire déterminé. Celui d’un dieu ne jouissait pas du droit d’officier dans le temple d’un autre ; mais tous pouvaient, dans certaines circonstances, pratiquer les rites du culte de famille en l’honneur des ancêtres et y présenter les offrandes à Osiri, en tant que dieu des enfers. A tout temple était attaché un nombreux clergé, présentant l’échelle des principales classes de la hiérarchie. Un grand prêtre ou chef des prophètes y présidait ; c’est lui qui offrait le sacrifice à la divinité du temple. La présence seule du roi lui enlevait ce privilège et le faisait passer au second rang ; il devenait alors l’assistant du souverain. Les grands prêtres tenaient la tête de l’ordre des prophètes, et même ils en sont quelquefois distingués comme formant un ordre supérieur. Leur rang réciproque était déterminé par le rang même que tenaient dans le panthéon les dieux dont ils desservaient les sanctuaires. Dans chaque nome ou province il y avait un temple principal, dont le grand prêtre était de droit chef du sacerdoce de la province. Quant aux grands prêtres dos dieux suprêmes des villes comme Thèbes et Memphis, leur rang et leur autorité sur les prêtres de tout le pays était on rapport avec la prépondérance politique des cités où ils avaient la direction du sacerdoce. Sous les dynasties thébaines, de la XVIIIe à la XXe les grands prêtres d’Ammon à Thèbes devinrent graduellement les chefs des prêtres de l’Égypte entière, des souverains pontifes, de véritables Papes, dont l’autorité spirituelle, toujours grandissante, se doubla d’un pouvoir temporel qui s’accentua et se développa au fur et à mesure de l’affaiblissement de l’autorité royale sous des princes fainéants, à tel point qu’un jour vint où ces grands prêtres d’Ammon, comme nous l’avons déjà raconté (tome II), ceignirent temporairement la couronne des Pharaons.

Les principaux titres sacerdotaux que nous lisons dans les textes égyptiens sont ceux de noutri hon, traduit par prophète ; de noutri atef ou père divin, qui constituait un grade inférieur mais d’où on pouvait s’élever par élection à celui de prophète ; de ab ou purificateur, qui était encore au-dessous ; enfin, le dernier de tous était le titre de noutri meri. Dans le culte funéraire, celui qui récitait les prières et pratiquait les cérémonies rituelles à la porte du tombeau était appelé kar hebi. Au-dessous de ces prêtres proprement dits s’échelonnaient un certain nombre de catégories de ministres inférieurs des autels, tels que les fai sen-noutri, porte-encens, et les hosi, musiciens et chanteurs. Du temps dé l’Ancien Empire on voit des femmes investies du titre de noutri hon-t ou prophétesses, placées sur le même rang que les prophètes et remplissant exactement le même office. Mais dès la XIIe dynastie on n’en rencontre plus de trace. Hérodote remarque qu’en Égypte, à la différence de ce qui se passait chez les Grecs, aucune femme ne pouvait exercer la prêtrise, même dans le culte des déesses. Ceci était déjà vrai dans l’Égypte thébaine du Moyen et du Nouvel Empire ; mais ceci ne doit être entendu que par rapport à l’office propre du prêtre, en tant que sacrificateur et médiateur officiel entre les hommes et les dieux. Sans qu’il y eût de véritables prêtresses, les femmes avaient de certains rôles dans le culte égyptien. A presque tous, les temples étaient attachées des chanteuses, qema-t, et des joueuses de sistre, ahi-t. En outre, nous rencontrons des femmes, qui, pour la plupart sont épouses, mères ou filles de prêtres, portant le titre de noutri hem-t ou noutri tiou-t, épouse ou servante concubine de tel ou tel des grands dieux mâles, dont elles desservent le temple. C’est ce que les Grecs ont appelé les Pallacides de tel ou tel dieu. En quoi consistait proprement leur office, c’est ce que nous ne saurions définir d’une manière précise ; mais leur rang était élevé et leur caractère particulièrement sacré. Sur les monuments qui les représentent, elles tiennent le sistre à la main et présentent des fleurs au dieu dont on les tenait pour les épouses terrestres. Les principales de ces Pallacides des dieux étaient celles de l’Ammon thébain. A partir de l’avènement de la XVIIIe dynastie, les princesses de sang royal et les reines elles-mêmes tinrent à grand honneur d’être revêtues de ce titre saint et de l’office qu’il désignait, marque éclatante de l’estime où on le tenait. Amon-iri-ti-s, pendant la régence qu’elle exerçait à Thèbes pour son frère Schabaka, était décorée de ce titre religieux.

Après la classe sacerdotale venait, dans l’ordre d’importance, la classe militaire, qui, elle’ aussi, jouissait de grands privilèges. Sa constitution, telle qu’elle nous est décrite par les auteurs grecs d’après ce qu’ils en avaient vu en visitant le pays, paraît avoir été de date assez tardive.

Sous l’Ancien et le Moyen-Empire, il semble que l’organisation des troupes égyptiennes ait été toute féodale. Les princes héréditaires des nomes et les seigneurs terriens qui leur étaient subordonnés, levaient parmi leurs vassaux des contingents qui leur servaient à maintenir l’ordre et à garder les places situées sur leur territoire, lis veillaient à leur instruction et s’étudiaient à s’en faire des satellites dévoués, dont les armes devaient être la meilleure garantie du maintien de leur puissance personnelle. C’est de leurs rangs qu’ils tiraient les soldats qu’ils devaient fournir au souverain sur sa réquisition et dont un certain noyau restait sans doute à demeure auprès de sa personne ou dans le voisinage des frontières. Dès les plus anciennes époques, du reste, nous voyons les Pharaons renforcer leur armée proprement égyptienne de corps de mercenaires étrangers.

Sous les grands conquérants de la XVIIIe et de la XIXe dynastie, on constate l’existence d’une armée royale permanente, nombreuse, bien exercée, puissamment disciplinée, capable, en un mot, d’assurer au loin la prépondérance militaire de l’Égypte. En guise de cavalerie, cette armée comptait des chars de guerre en grand nombre, mais le véritable nerf en était l’infanterie, divisée en troupes de ligne, mesch-ou ou menfi-ou, et troupes légères, nofri ou. Les premières se formaient pour le combat en phalange profonde et compacte ; les secondes consistaient surtout en archers dont l’habileté était renommée. L’armée était répartie en régiments, que distinguait la variété de leurs enseignes et de leur équipement. Les grades y étaient ceux de lieutenant, menh, capitaine, mer, et colonel, haout ; on ne sait pas encore bien définir quelle était la nature de celui que désignait le titre d’origine sémitique adon. Ces officiers paraissent avoir été entretenus par des dotations territoriales proportionnées à leur grade. Le privilège de la naissance était pour quelque chose dans l’obtention des grades, et l’on conçoit que les fils d’officiers devenaient, plus facilement que d’autres, officiers eux-mêmes. Cependant le soin que, dans les correspondances littéraires du temps de la XIXe dynastie qui sont parvenues jusqu’à nous, les scribes prennent de détourner leurs élèves des séductions de la carrière militaire, montre qu’elle était accessible à tous. Le moment de la guerre de délivrance qui expulsa les Pasteurs et des premières campagnes triomphantes des Pharaons de la XVIIIe dynastie fut celui des officiers de fortune, qui, partis des rangs mêmes du peuple, parvinrent par leur seule vaillance personnelle, aux plus hautes situations de l’armée. Du temps de la XIXe les candidats aux grades militaires étaient conduits de bonne heure à la caserne et y recevaient une éducation spéciale qui commençait au sortir de l’enfance[2]. L’avancement était modelé sur celui de la carrière des scribes ; on y procédait de même par examens. En un mot, il s’était constitué un véritable mandarinat militaire, à la façon de celui de la Chine. Quant aux soldats, on ignore comment ils se recrutaient à cette époque. Mais des armées aussi considérables que celles des grands conquérants égyptiens de cet âge n’ont pu être alimentées d’hommes que par des levées portant sur tout le pays et sur la masse de la population.

C’est seulement après la XXe dynastie, dans la période de troubles et de compétitions dynastiques qui amena la décadence complète de la monarchie égyptienne et bientôt celle du pays lui-même, c’est seulement alors que les milices, en partie d’origine étrangère mais de familles établies depuis plusieurs générations dans la vallée du Nil, arrivèrent à se constituer en une sorte de nation à part au sein de la nation. Elles faisaient et défaisaient les rois, à la manière des mamelouks et des janissaires ; ses chefs ceignaient souvent la couronne, ou bien, sans porter jusque-là leur ambition, se rendaient indépendants de fait dans telle ou telle province, sous leur titre militaire. Dans ces conditions, l’armée égyptienne fit ce que firent plus tard les janissaires en Turquie. Elle se constitua en classe fermée, perpétuée par l’hérédité, de manière à n’avoir pas à partager avec de nouveaux venus ses privilèges et son pouvoir politique. Elle immobilisa entre ses mains les dotations territoriales destinées à son entretien. La condition de soldat devint un métier fixe, auquel l’accès n’était plus permis qu’aux fils de soldats ou bien aux individus que les compagnies consentaient à admettre dans leurs rangs par une véritable cooptation, tandis que la masse delà nation était tenue systématiquement écartée du maniement des armes, et par suite des avantages attachés désormais à l’état militaire. C’est ainsi que les choses étaient définitivement organisées au temps des dernières dynasties, et que les Cirées les virent fonctionner sous la domination perse ou sous les rois nationaux qui interrompirent à certains moments cette domination.

Hérodote nous apprend que de son temps la classe des guerriers, qui comptait quatre cent dix mille hommes en état de porter les armes, était divisée en deux corps, qui s’appelaient Calasiriens et Hermotybiens. Le premier de ces noms s’est retrouvé dans les documents indigènes sous la forme kalâscher ; mais on ignore quelle était la forme véritable du second. Ces deux corps permanents et héréditaires étaient distribués dans les différents nomes de l’Égypte de la manière suivante : Les nomes des Hermotybiens étaient ceux de Busiris (IXe de la Basse-Égypte), Sais (Ve de la même région), Chemmis (IXe de la Haute-Égypte), Paprémis (VIIe de la Basse-Égypte), Prosopis (IVe de la même contrée) et la moitié de Nathô (le Ni-adliou du VIIe ou celui du XVe nome de la Basse-Égypte). Ces nomes fournissaient au besoin cent soixante mille hommes. Les Calasiriens occupaient les nomes de Thèbes (IVe du sud), de Bubastis (XVIIIe du nord), de Aphthis et de Tanis (formant ensemble l’ancien XIVe nome du nord), de Mendês et de Thmuis (formant ensemble l’ancien XVe du nord), de Sébennytus (XIIe de la même région), de Pharbsethus (partie de l’ancien XVIIIe du nord), d’Onuphis (XVIIe de la même région), d’Anysis (district du XIIe), d’Athribis (Xe du nord), enfin l’île de Myecphoris (Mâ-Snéfrou, située dans la XVIIIe province du nord). Ces nomes pouvaient mettre sur pied, lorsqu’ils étaient le plus peuplés, deux cent cinquante mille hommes.

On voit, d’après la désignation des différents nomes occupés par la classe des guerriers, que l’état de choses décrit par Hérodote n’avait pu prendre naissance que postérieurement à la XXe dynastie, alors que toute la puissance militaire des Égyptiens s’était concentrée dans la Basse-Égypte. Dans l’intérieur du Delta quatre nomes et demi étaient occupés par les Hermotybiens et douze par les Calasiriens ; il n’y en avait, au contraire, qu’un seul de chacun d’eux dans la Haute-Égypte, savoir les districts de Gheminis ou Panupolis et de Thèbes. Les corps d’origine étrangère, mais fixés à demeure dans le Delta depuis plusieurs siècles, comme les Maschouasch, avaient été évidemment englobés dans l’une ou l’autre de ces catégories.

La classe des guerriers, comme celle des prêtres, était très richement dotée, et elle possédait à peu près le tiers du sol. Chacun d’eux, au rapport d’Hérodote, avait douze aroures de terre[3], exemples de toute espèce de charges et de redevances. C’était là le lot des soldats. Pour les officiers la dotation s’accroissait en raison du grade. Tous les ans, mille hommes, tant des Calasiriens que des Hermotybiens, allaient servir de gardes au roi. On leur donnait par jour, à chacun, pendant la durée de ce service, cinq mines de pain (un peu plus de deux kilogrammes), une mine de bœuf (un peu moins d’un kilogramme) et quatre mesures de vin.

Telle fut l’organisation de la force armée en Égypte sous les dernières dynasties de la monarchie pharaonique. Les Égyptiens, pendant des siècles, employèrent principalement des troupes nationales, et chez eux le service militaire fut considéré comme un privilège, comme une distinction. Les corps d’auxiliaires et de mercenaires, dont on constate l’existence dès la VIe dynastie et qui furent toujours nombreux, étaient tenus alors dans une situation très inférieure à celle des corps indigènes ; ils n’arrivaient à y être assimilés que lorsque leur existence, conservée héréditairement pendant plusieurs générations, avait fini par en faire de véritables citoyens de l’Égypte, comme les Matsiou sous le Moyen-Empire et les Maschouasch sous le Nouveau. Psaméthik Ier, comme nous l’avons raconté dans le livre précédent, désorganisa toute cette constitution de l’armée en donnant aux mercenaires grecs, qu’il engageait, le pas sur les troupes nationales. La troupe des guerriers indigènes y vit une violation flagrante de ses privilèges, et deux cent mille guerriers quittèrent spontanément les garnisons où le roi les avait à dessein relégués, pour aller former des établissements en Éthiopie.

Dès lors les derniers restes de l’ancienne puissance militaire de l’Égypte furent brisés. Les mercenaires grecs et cariens, dont se composèrent en majorité les armées égyptiennes sous la XXVIe dynastie, devinrent plutôt les instruments des rois que les défenseurs delà nation. La rivalité s’établit entre eux et ce qui subsistait encore de la classe des guerriers, et l’Égypte fut livrée aux divisions intestines et à l’anarchie. Le jour où l’invasion persique arriva, le pays ne sut pas se défendre, et il suffit d’une bataille pour rendre Kambouziya maître de toute la vallée du Nil.

Toute la portion de la population libre qui n’appartenait ni au corps sacerdotal ni au corps militaire composait en Égypte comme un troisième ordre de l’État, qui lui-même se subdivisait en plusieurs classes, dont le nombre et les attributions sont assez mal déterminés par les historiens anciens.

C’est en effet sur ce chapitre que portent les divergences entre Hérodote et Diodore de Sicile. Le premier répartit le peuple en cinq catégories ; le second n’en admet que trois : les pasteurs, les agriculteurs et les artisans. Sur certains points il semble assez facile de faire cesser le désaccord. Ainsi les artisans, les marchands, les interprètes, dont Hérodote fait autant de catégories, appartenaient vraisemblablement à la même classe, dont ils ne formaient que des subdivisions ; les bouviers et les porchers, que le même auteur distingue, rentraient aussi sans doute dans une seule classe, les pasteurs. Mais il reste toujours une différence importante entre Hérodote et Diodore de Sicile, le second admettant une classe particulière d’agriculteurs que le premier ne connaît pas : Heeren croît qu’ils sont désignés par Hérodote sous le nom de κάπηλοι, hommes de métier, et alors il faudrait comprendre les agriculteurs parmi les artisans. La nature même de la propriété territoriale en Égypte autorise cette interprétation. En effet, ainsi que le raconte Diodore et que le confirment les monuments, le tout sol de l’Égypte était entre les mains des rois, des prêtres et des guerriers, elles agriculteurs n’étaient pas autre chose que des colons attachés, à la glèbe, qui cultivaient, moyennant une redevance, les domaines, possédés par les classes privilégiées. Ils étaient tenus à se l’aire inscrire périodiquement sur des registres tenus à cet effet par des scribes gouvernementaux, registres qui portaient non seulement leurs noms,et leur état civil, mais leur signalement très détaillé, et des remarques sur leur bonne ou leur mauvaise conduite’. On les cédait avec la propriété du sol ; ils ne pouvaient pas sortir du territoire sans la permission du gouvernement, et même il leur fallait obtenir un passeport pour circuler dans l’intérieur de l’Égypte. Le régime des corvées pour les travaux publics pesait sur eux dans toute sa rigueur. Leur position était à peu près semblable à celle des modernes fellahs, qui n’ont pas de propriété à eux et qui exploitent le sol de l’Égypte pour le compte du souverain.

D’après Diodore on comptait dans la même classe que les agriculteurs, les chasseurs et les mariniers. Il y avait des chasseurs attachés à toutes les grandes maisons pour les approvisionner de gibier et pour accompagner le maître quand il voulait se livrer à ce plaisir. Il y en avait aussi dans les principales fermes, dont le service était analogue à celui de la louveterie de nos jours, et qui s’occupaient à détruire les animaux féroces menaçant la sécurité des troupeaux et des hommes eux-mêmes. Entre temps, ils tuaient aussi du gibier, et le produit de celui qu’ils vendaient au marché entrait dans le revenu de la propriété dont ils dépendaient. Certains chasseurs avaient la spécialité de prendre au filet les oiseaux d’eau sur les canaux et les marais ; ce sont surtout les lacs du Delta qui étaient le théâtre où s’exerçait leur activité. D’autres parcouraient le désert pour y atteindre les antilopes et les autruches, dont les œufs et les plumes étaient des objets d’un commerce fort lucratif.

La corporation des mariniers et pilotes se composait d’individus voués à la navigation du Nil. L’inondation qui transformait périodiquement l’Égypte en un vaste lac rendait leurs services indispensables. D’ailleurs il y avait ordinairement sur le Nil et sur les nombreux canaux qui sillonnaient le pays un grand mouvement de bâtiments de toute espèce ; car le transport des marchandises et des matériaux nécessaires aux constructions se faisait par eau. Le fleuve était la principale et presque unique voie du commerce intérieur. Les Égyptiens regardaient la mer comme impure et avaient horreur de s’y aventurer ; aussi est-ce une question fort douteuse que celle de savoir s’ils eurent jamais de véritables marins pris parmi eux, et si, dans le temps où les Pharaons entretinrent des flottes considérables sur la Méditerranée et sur la mer Rouge, elles furent montées par d’autres matelots que des Phéniciens.

Diodore de Sicile range dans sa classe des artisans et gens de métier les marchands, les taverniers et les musiciens. Ouvriers et marchands étaient organisés par corporations très spécialisées, avec des degrés rigoureux de maîtrise. L’État entretenait sur les marchés des peseurs publics, qui vérifiaient officiellement, pour tous ceux qui en faisaient la demande, le poids des denrées vendues et en délivrait un certificat faisant foi. Ils étaient, nous dit-on, comptés dans la même classe que les marchands. Quant aux interprètes, dont Hérodote fait une classe à part, ils devaient appartenir aussi au même degré de la hiérarchie sociale. Ces interprètes étaient indispensables aux besoins du commerce, mais ils .ne paraissent avoir été organisés en corporation que sous les rois Saïtes, lorsque les relations avec les étrangers eurent pris un développement, et une activité qu’elles n’avaient encore jamais eues. Comme au Japon de nos jours, ces interprètes étaient généralement en Égypte de naissance mixte. On les recrutait parmi les enfants issus des unions plus ou moins régulières des étrangers avec des femmes du pays, et on leur donnait dès l’enfance une éducation spéciale, en vue du métier qu’ils étaient appelés à remplir.

La classe des pasteurs, inférieure a celle des cultivateurs, comprenait naturellement tous ceux qui faisaient de l’élève du bétail leur principale occupation. Le sol de l’Égypte était très favorable au développement de cette branche de l’industrie agricole. On y élevait de nombreux troupeaux de bœufs, de moutons, de chèvres et d’ânes, confiés à des bergers spéciaux, qui dépendaient du fermier et étaient tenus comme d’une condition plus humble que les laboureurs. Les scènes de la vie des champs, retracées sur les parois des tombeaux, nous montrent souvent ces pasteurs donnant leurs soins aux bestiaux, les conduisant au pâturage, leur appliquant avec un fer rouge la marque du propriétaire, ou bien en amenant les troupeaux devant les intendants qui en enregistrent le compte. Après le labourage et les semailles, au lieu de herser les champs, on y lâchait des moulons qui, en piétinant la terre humide, y enfouissaient le grain. Il y avait aussi des bergers spécialement préposés aux nombreuses bandes d’oies et de canards qu’on élevait sur les canaux. Il ne faut pas, du reste, confondre les bergers proprement égyptiens de race, qui habitaient les villages et s’occupaient des troupeaux dans l’intérieur du pays, avec les pasteurs nomades répandus sur les frontières. Ceux-ci étaient généralement odieux aux Égyptiens ; la Bible et Hérodote l’attestent. Cette antipathie, qui remontait aux temps les plus anciens de la monarchie et qui a toujours existé dans l’Orient entre les habitants sédentaires et les nomades ou Bédouins, s’appliquait aussi aux tribus étrangères établies dans les marécages du Delta et dont une grande partie descendait des Pasteurs de Hâ-ouar. Ces tribus avaient bien adopté les mœurs égyptiennes ; mais, restées h moitié barbares, elles se livraient au brigandage et entretenaient par leurs déprédations la vieille haine qui animait contre elles les autres classes de la société.

La corporation des porchers, qu’Hérodote distingue expressément des autres bergers, était méprisée et regardée comme impure. Elle se composait de gens auxquels on interdisait non seulement l’accès des temples, mais encore tout mélange avec les autres classes. Le porc était aux yeux des Égyptiens, comme aux yeux des Juifs, un animal immonde. Cependant, d’après un ancien usage, il y avait un jour de l’année où l’on immolait à Set un animal de cette espèce, et où l’on mangeait la chair de cette victime. Le reste du temps, c’étaient les étrangers seuls qui se nourrissaient de porc.

Les pêcheurs étaient groupés à côté des porchers et tenus également pour impurs. Leur métier était, en outre rude et périlleux, à cause des animaux redoutables qui habitaient le fleuve et les marais. Aussi la description des misères des diverses professions, composée au temps de la XIIe dynastie, à laquelle nous avons fait d’assez nombreux emprunts dans le livre précédent, parle de celle-ci en ces termes :

Je te dis comment le pêcheur a plus de peine que tout autre métier

qui ne travaille pas sur le fleuve.

Il vit au milieu des crocodiles.

Si les touffes de roseau viennent à manquer sous son pied,

et si le crocodile est là,

c’est en vain qu’il crie au secours.

La terreur l’aveugle.

Le nombre des pêcheurs était d’ailleurs considérable, le Nil et ses canaux étant très poissonneux, et le poisson, frais ou salé, entrant pour une large part dans l’alimentation du peuple égyptien. Us employaient surtout de grands filets, que les représentations monumentales nous montrent remplis de poissons de toute espèce.

Quant aux prolétaires, aux gens sans moyens d’existence réguliers, aux misérables, ils étaient aussi comptés dans la dernière classe de la population, à côté de ceux qui exerçaient des professions méprisées et à peine au-dessus des esclaves.


LES LUTTES DE CLASSES SOUS LE NOUVEL EMPIRE

D’après G.R. Tabouis, dans « Le pharaon Tout Ank Amon » :

« En mourant, Aménophis III laisse l’immense empire d’Egypte à l’apogiée de sa splendeur et de sa prospérité ; une direction unique ramène alors vers le cœur de l’Egypte le courant intellectuel, artistique et économique qui, avec les conquêtes triomphantes des pharaons, s’est établi entre tous les peuples d’Asie ; et partout la paix règne, faite de la supériorité militaire, politique et matérielle de l’Egypte. (…) Aménophis IV monte adolescent sur le trône, déjà miné par la tuberculose, secoué par l’épilepsie, et perdu dans un rêve mystique. En poursuivant âprement la réalisation de ce rêve, en changeant par une révolution religieuse le cours de l’histoire de l’Egypte, Aménophis IV faillit consolider, sur des bases nouvelles, internationales et humaines, la souveraineté divine des Pharaons. Et ce sera encore un encore un enfant malade, Tout Ank Amon, le propre fils d’Aménophis IV,qui renouera, quelques années plus tard, avec la tradition religieuse de l’Egypte, tant il est vrai que la suprématie d’un empire n’est pas faite de la supériorité personnelle d’un chef. (…) En Egypte, les dieux de chaque bourgade, de chaque cité, de chaque province, de chaque royaume, voyaient leur puissance s’accroître avec le développement économique et politique de leur patrie d’origine, qu’ils dominaient de leur autorité spirituelle.
C’est de Thèbes, infime bourgade, qu’était partie, pour la libération de l’Egypte et la conquête de l’empire asiatique, la lignée des Pharaons de XIIe dynastie. C’est à Thèbes qu’à la même époque les croyances populaires, délaissant le dieu local Mentou, s’étaient tournées vers Amon, qui apparut alors à tous, comme le libérateur des deux royaumes et l’édificateur de l’empire. Chaque victoire sur les ennemis de l’extérieur en avait été une pour le dieu à l’intérieur du royaume ; son clergé s’était enrichi du tribut des peuples « libérés » et des dépouilles ennemies. Par l’épée et par la grâce d’Amon, Thèbes était devenue la capitale d’un monde (…) « Thèbes est la ville maîtresse, plus puissante que toutes les autres ; grâce à sa victoire, elle a donné tout le pays à un seul maître. » (…) Et les Pharaons furent consacrés « fils d’Amon ». (…) Mais, en donnant ainsi à leur souveraineté une base étroitement nationale et d’essence religieuse nettement particulariste, les Pharaons avaient créé pour l’avenir les ferments qui, peu à peu, devaient ruiner leur pouvoir. En face de leur autorité se dresse, chaque jour plus arrogante, plus avide, celle du clergé d’Amon ; si tout ce qui appartenait à Amon relevait théoriquement de l’autorité du Pharaon, le véritable gérant de ce pouvoir temporel du dieu était son clergé, maître de Thèbes et de tant d’autres villes et domaines, même au-delà des frontières. La puissance temporelle d’Amon s’était accrue avec celle de l’empire : le papyrus Harris du British Museum, qui en dresse l’inventaire, la montre dans sa fabuleuse munificence : 82.000 vassaux, 3.164 statues divines, 400.000 bêtes de bétail, 4.333 jardins, 2393 km² de terres à blé, 84 vaisseaux, 46 chantiers de construction, 65 villes, bourgs, villages, dont 7 en Asie. (…) Amon était un seigneur avec lequel il fallait compter (…) : maître du huitième ou du dixième de la vallée (d’après Maspero), il était le plus puissant et le plus riche en Egypte après le roi. L’administration des biens divins nécessitait un personnel considérable, une terrifiante bureaucratie qui échappait totalement à l’autorité de Pharaon. (…) Déjà, avant le règne d’Aménophis III, les intrigues des grands-prêtres (d’Amon), « véritables maires du palais, disposant du pouvoir civil comme des fonctions religieuses » (inscription derrière la statuette du grand-prêtre Ptamès), avaient plusieurs fois troublé l’ordre de la succession au trône ; après la mort de Toutmès 1er, la reine Hatasou, sa fille, n’avait dû qu’au clergé d’être reconnue comme maîtresse de l’empire, au détriment d’un de ses frères. Inquiet de l’être bientôt plus, par la volonté du clergé d’Amon, que l’exécutant et le porte-parole des prêtres tout puissants, Aménophis III avait peut-être compris qu’il ne pouvait se libérer de cette emprise qu’en appelant du dieu à l’essence même de la divinité : parmi les multiples attributs d’Amon, l’un d’eux, l’attribut solaire, pouvait unir les peuples de tout son empire ; tous étaient acquis de tous temps, sous le couvert d’incarnations diverses, à ce culte du soleil, manifestation première, force essentielle de la nature. La divinité en serait compréhensible pour tous, soit dans forme céleste du disque solaire, soit sous son apparence humaine du Pharaon, fils de « Râ ». (…) Les temps sont révolus de la politique égoïste de Thèbes l’orgueilleuse, la ville à la divinité despotique et exclusive. Une politique humaine d’entente universelle s’impose. (…) La troisième année de son règne, il se marie avec la fille de Dousharata, roi de Mitani (…) une asiatique de douze ans (…) Aménophis IV, éperdument amoureux de sa femme, lui donna le nom égyptien de « Néfertiti », « la belle qui vient ». (…) Poussé par sa femme et par le général Horemeb, grand favori d’Aménophis III, il réalisa le rêve de son père : cette révolution religieuse dont l’audace nous stupéfie encore. Comme toutes les grandes réformes spirituelles, celle-ci, la plus étonnante qui soit, puisqu’elle changea, avec le dieu et le culte, la capitale d’un empire, ses destinées et ses mœurs, n’eut probablement qu’une origine politique. (…) A l’aube d’une radieuse matinée de l’an 1375, quatrième de son règne, Aménophis IV s’échappe de Thèbes (…) et appose une grande borne de granit rouge, haute quatorze mètres, seule debout, dominant des lieux déserts et brûlants, à mi-chemin de Thèbes et de Memphis, dans les sables de la rive droite du Nil. (…) Et sur cette pierre aujourd’hui mutilée, nous pouvons encore déchiffrer : « Après cela, Sa Majesté retourna à Thèbes, s’assit sur son trône. Qu’on m’amène, dit-elle, mes amis uniques, les grands, les beaux, les intelligents, les chefs des soldats, les nobles du pays dans son entier. Et tous arrivèrent et embrassèrent la terre pendant que Sa Majesté s’écriait : « Aton m’a commandé d’élever sa ville comme un monument éternel à sa gloire. » (…) Pharaon se hâte de quitter Thèbes, dont le séjour devait être intolérable et dangereux, dans cette atmosphère de sourde hostilité qu’y entretenait le clergé d’Amon. (…) La huitième année de son règne, la ville est prête. (…) L’Egypte, stupéfiée, mais réduite à l’obéissance par la volonté du Pharaon et l’autorité d’Horemeb, assiste à l’exode de la famille royale loin de Thèbes. (…) Pour mieux frapper les imaginations, le Pharaon change jusqu’au nom des humains, des villes et des fleuves, qui tous, ou à peu près, s’inspiraient jusqu’alors du nom d’Amon. Il donne l’exemple : hier il était Aménophis, « la satisfaction d’Amon », il sera désormais Akoun Aton, « la gloire d’Aton » ; les princesses répondront aux noms de Baket Aton « esclave d’Aton », Ank es Paaton « vivante pour Aton », troisième princesse royale, celle qui épousera à douze ans, son demi-frère de douze ans, le futur pharaon Tout Ank Aton. (…) Dans ce palais, dans ces jardins, parmi les fleurs, les colombes, Aménophis IV et sa femme Néfertiti, la superbe orientale mitanienne, vécurent tendrement unis. Tell El Amarna, c’est la « belle et souriante aventure ». (…) Cependant, le peuple innombrable du clergé d’Amon, chassé de ses temples à Thèbes et dans toutes les villes d’Egypte, ruiné, traqué, persécuté, réduit même à l’esclavage, (…) « la terre y est comme au temps du chaos » gémissaient les quelques nobles qui y étaient restés. (…) Dans ses temples, vides d’adorateurs, entouré de son clergé, Amon règne, solitaire, sur une cité de silence et de désolation. La grande stèle de Tout Ank Amon donnera le récit de ces années de désolation. Fort des traditions que des millénaires ont associées étroitement à son culte, confiant dans cette nostalgie des peuples arrachés par la force à des coutumes séculaires, Amon attend son heure pour triompher du rayonnant Aton. Dans les âmes populaires, il suffira que l’inquiétude d’un avenir incertain oppose les réalités glorieuses du passé aux abstractions d’une spiritualité lointaine pour que, quatorze ans plus tard, la flottille royale remonte, à la sueur de ses rameurs, le cours du Nil, et pour que le jeune Tout Ank Amon, Pharaon de l’empire ébranlé, revienne au bercail des ancêtres (…) Aménophis IV se meurt et le couronnement de Tout Ank Aton suit immédiatement son mariage. (…) Devenu héritier du Pharaon qui agonise, Tout Ank Aton sent naître autour de lui, la sourde haine des prétendants au trône avant même qu’il y soit monté. Deux personnalités surgissent alors : le favori Ay, que la grâce d’Aménophis IV a fait prince et « fils divin » (…) puis Horemeb, général victorieux, le « grand parmi les grands », l’homme le plus populaire d’Egypte. (…) Le grand Aménophis, dans un élan de gratitude envers l’homme de guerre qui venait de lui assurer l’empire de Syrie, l’avait nommé « chef des terres », administrateur des lois, prince héréditaire de tous les royaumes, commandant en chef de armées et scribe royal. (…) A peine Aménophis IV sur le trône, le général eut l’intuition du parti qu’il pourrait tirer de ce jeune mystique : (…) l’armée l’emportait sur le clergé. (…) Il devint nettement hostile au Pharaon lorsqu’il vit le bel empire d’Asie se dissoudre par la faiblesse d’une politique devenue, d’impérialiste, pacifiste, et le peuple égyptien se détourner de son prince pour se regrouper ville par ville autour de son ancien clergé. (…) En Egypte, le trésor est vide, car les tributs de Syrie ne sont plus payés depuis deux ans. Non seulement la révolte contre l’Egypte est générale en Asie, mais Aton y est bafoué. Les Egyptiens eux-mêmes se détournent de lui qui les abandonne ; ils se retournent vers les dieux familiers de leur enfance auxquels il est si facile de confier ses inquiétudes journalières par l’intermédiaire d’un clergé accessible à tous. Il n’y avait pas d’affaires humaines pour lesquelles leur aide fût refusée : sous l’égide royale d’Amon, chacun de ses dieux avait sa spécialité : l’accouchement, la naissance, la maladie, la moisson, la pêche, la chasse. (…) La révolution de – 2.360 avait eu des suites démocratiques qui avaient permis notamment au petit peuple d’accéder aux sites religieux, tendances qui avaient été exploitées ensuite par Thèbes en faveur de son dieu Amon. (…) Le pouvoir autocratique des Pharaons, qui s’était exercé sans contrôle ni entrave sur huit millions de sujets, et qui avait contribué à l’édification de l’ancien empire, avait bien définitivement sombré dans la grande révolution de – 2300 à – 2000. Pendant cette révolution, quelques nobles, qui exerçaient une autorité presque souveraine sur de grandes étendues du territoire égyptien, entre autres Kheti, le nomarque de Siout, n’avaient pu maintenir leur pouvoir dans leurs petits royaumes qu’en l’adaptant à une autre conception de gouvernement. Les princes thébains, Pharaons de la XIIème dynastie, s’inspirant des « Enseignements » du roi Mérikara à son fils, inaugurèrent cette politique nouvelle, sévère à l’égard des nobles qui abusaient de leur autorité : « Si tu trouves le seigneur d’une ville qui a violé la loi, tue-le. » (…) La monarchie thébaine, pour consolider sa primauté sur les grands féodaux, fait « du socialisme ». Sa politique démocratique s’étend à la religion par l’accession de la plèbe, comme des grands de ce monde, à l’immortalité, après un jugement égal pour tous. (…) Sous l’ancien empire, alors que toutes les terres appartenaient à Pharaon, les paysans étaient liés à la terre et servaient le maître à qui Pharaon jugeait bon de la donner ; ils vivaient misérablement groupés en équipe de cinq hommes en « mains », sous les ordres d’un kherp qui ramassait les produits de leurs travaux pour les nomarques. Taillables et corvéables à merci, ils peinaient durement dans les champs et pour les grandes entreprises de voierie publique. Aucune échappée n’était ouverte à leur condition misérable. Leur seul espoir demeurait de servir sur les « terres privilégiées », dont les Pharaons concédaient la jouissance à de grands seigneurs par une charte qui mettait les paysans de ces domaines à l’abri de l’arbitraire en leur garantissant un sort meilleur. Pendant la révolution de – 2360, les paysans se vengèrent cruellement ; la démagogie et la faim aidant, les biens royaux et princiers furent mis au pillage ; les propriétaires et les riches tenanciers furent massacrés et, sur les ruines amoncelées, les paysans, maîtres de la terre, reprirent leur dur labeur pour faire fructifier à leur profit l’héritage usurpé par la force. Le nouvel empire ne put que sanctionner cette situation de fait. Les « champs de Pharaons », les terres, furent légalement partagés par le vizir et ses agents ; les portions « shedou », égales et carrés, bornées par des stèles, furent réparties entre les familles de paysans qui les cultivaient. Les noms des champs et des cultivateurs furent inscrits sur un registre cadastral dans la « double maison du Trésor » et au grenier royal. Maspero le rapporte (Loret, « Grande inscription de Mes »)
(…) Les paysans sont donc définitivement consacrés dans leurs droits de tenanciers héréditaires et libres de leurs cultures. Mais, s’ils possèdent un statut légal, les exactions des fonctionnaires royaux ne laissent pas d’engendrer des conflits (…) Les contribuables indignés viennent eux-mêmes se plaindre à la cour, comme le droit leur en est reconnu, pour défendre leur cause devant Pharaon (…) Le papyrus Anastasi V rapporte la parole du scribe à son fils : « Ne tourne jamais la tête vers les travaux des champs ; ne te souviens-tu pas de la condition du laboureur au moment où l’on taxe la récolte et où il faut payer l’impôt en dourahs, blé, fêves ? Voici que les vers ont enlevé la moitié du grain et que l’hippopotame a mangé le reste ! « Donne quand même les grains » dit l’envoyé du Pharaon, et le laboureur est frappé, jeté dans un fossé, où il patauge la tête en bas. » Et le papyrus Sallier 11 rapporte le sort des autres métiers : « Je n’ai jamais vu un forgeron en ambassade ni un fondeur en mission, mais ce que j’ai vu, c’est l’ouvrier en métal à ses travaux ; il cuit à la gueule de son fourneau. Le maçon exposé à tous les vents, tandis que le mal le guette, bâtit sans vêtement ; ses deux bras s’usent au travail, ses provisions sont pêle-mêle avec toutes les ordures ; il se mange lui-même, car il n’a pas d’autre pain que ses doigts. Le barbier se rompt les bras pour emplir son ventre. Le tisserand dans les maisons y est plus mal que femme ; accroupi, les genoux à l’estomac, il ne respire pas. Le blanchisseur, sur le quai, est le voisin des crocodiles. Le teinturier pue le frai de poisson, ses deux yeux sont battus de fatigue, sa main ne s’arrête pas et, comme il passe son temps à tailler des loques, il a les vêtements en horreur. »
(…) Pendant la longue maladie d’Akhenaton, les désastres qui avaient commencé à s’abattre sur l’empire d’Egypte allaient s’aggravant, pour aboutir au soulèvement général de la Syrie, et ces catastrophes étaient l’inévitable résultat de sa politique extérieure et intérieure. (…) Pharaon avait prêché l’amour et la fraternité universels, le ralliement pacifique des peuples sous le disque solaire. (…) La révolte gronde parmi les vétérans de l’armée d’Egypte qui ne comprennent pas cet abandon des conquêtes qu’ils ont autrefois payées de leur sang.
Ribbadi, roi de Byblos, inquiet des défaillances qui se multiplient, implore le Pharaon : « Tout l’empire de mon Seigneur va à sa ruine ; si tes armées ne viennent pas cette année, je serai un homme mort, les ennemis de Pharaon me tueront. » (…) Le messager arrive hagard, avec ceux de Nirur, reine de Judée, d’Addudaian, roi de Juda, de Dagantakala, roi de l’Oronte ; mais Aménophis IV, qui n’avait véritablement qu’à envoyer quelques centaines d’archers et de chars pour tuer dans l’œuf ces rébellions, soutenir ces vassaux, en un mot garder l’empire, n’a même pas voulu recevoir les messagers (…) Ribbaddi, laissé sans aide, succombe dans Byblos (…) La révolte a gagné l’Egypte. (…) Une conspiration contre la vie du Pharaon (Akhenaton) est même découverte par Mahu, son chef de police (…) Mais la mort accomplit seule son œuvre. Aménophis IV meurt la 18e année de son règne, en - 1362, au milieu du désarroi général. Les médecins qui ont examiné sa momie jugèrent qu’il avait dû succomber à une attaque d’épilepsie (…) Tout Ank Aton reste seul sur le trône auquel son père l’avait élevé de son vivant ; il a onze ans. (…) La cour est déchirée par les dissensions entre les deux reines mères, la veuve de Semenkara et la belle Néfertiti, la pharaonne de douze ans, les innombrables parents et prétendants et la foule des courtisans et des suivantes. Tout ce monde, « élu seulement par la grâce d’Aton », était nettement hostile à tout changement politico-religieux qui les menaçait dans leurs prébendes, tandis que la « double régence », qu’exerçaient en fait Horemeb et Ay, s’affirmait chaque jour d’avantage dans le sens d’un retour aux anciennes traditions. Au milieu des luttes sourdes et des intrigues, Tout Ank Aton nous apparaît comme un être doux et fragile ; il a onze ans, ne l’oublions pas. (…) Ses prêtres ne durent pas manquer d’évoquer devant l’imagination impressionnable du roi enfant et avec un luxe inouï de détails horrifiques la terrible révolution de – 2.360 qui dura deux siècles ! Cataclysme effroyable au cours duquel avait sombré ‘empire thébain sous la 10ème dynastie. (…) Le peuple, enjeu de ces luttes intestines, était pressuré. Sans autre avenir qu’un honteux esclavage, doutant du pouvoir des maîtres qui le laissaient ainsi opprimer, désespérant même des dieux des ancêtres qui restent sourds à ses appels, il se révolta dans un élan unanime contre Pharaon (…) Le désordre devint universel en Egypte. (…)
Les prêtres insistent avec complaisance sur les horreurs contenues dans les papyrus tragiques de cette époque révolutionnaire où nous retrouvons, dans la même atmosphère fièvre sanglante, le processus immuable de toutes les révolutions.
« Je vois ce pays dans le deuil et dans la peine. Ce qui n’était jamais arrivé arrive maintenant. On prend les armes pour le combat, parce que le pays vit de désordre. Chacun assassine l’autre, la haine règne parmi les gens des villes. Le pays est rapetissé, et cependant ses chefs deviennent plus nombreux. Le soleil se détourne des hommes. Je te montre ce pays dans la misère et la tristesse. » Ainsi prophétise Neferrehon, prêtre d’Héliopolis dans le Delta. Plus sombres encore sont les « Admonitions d’un vieux sage », Ipoor, qui vient informer son roi de la terreur régnant autour d’Héracléopolis en ces temps (papyrus de Leyde).
« La mort ne chôme pas, les hommes diminuent et les femmes sont stériles. Les gens du désert remplacent les Egyptiens en tous lieux ; il n’y a plus d’Egyptiens nulle part. Les fonctionnaires sont tués. Les vivres de l’Egypte sont à qui dit : « Je viens, je prends ». Les enfants des grands sont jetés à la rue. La maison du roi n’a plus de revenus, on marche à la ruine. Les grands ont faim et sont en détresse. Les pauvres du pays sont devenus riches, tandis que les propriétaires n’ont plus rien. Celui qui n’avait pas une paire de bœufs possède des troupeaux ; celui qui n’avait pas un pain à lui devient propriétaire d’une grange, mais son grenier est approvisionné avec le bien d’un autre. Jusqu’au chauve qui n’usait jamais de pommade et qui possède aujourd’hui des jarres d’huile parfumée. » (papyrus de Pétersbourg, texte Gardiner)
« Celui qui portait les messages des autres a maintenant des messagers à son service. Les dames qui étaient dans le lit de leur mari couchent par terre. Les esclaves sont maîtresses et parent leur cou d’or et de malachite. Les nobles dames ont faim ; elles prostituent leurs enfants sur des lits pour manger, tandis que les bouchers se rassasient de ce qu’ils préparaient pour elles, et celui qui couchait sans femme, par pauvreté, trouve maintenant de nobles dames ! Le rire a péri, on ne le connaît plus ; c’est l’affliction qui court le pays mêlée aux lamentations. »
Devant le petit Pharaon, que l’épouvante gagne, les prêtres d’Amon relèvent leur tête orgueilleuse, sûrs du triomphe maintenant. Ils formulent une dernière prophétie que leur pouvoir reconquis sur le peuple désorienté fait particulièrement redoutable :
« Un roi viendra du sud de Thèbes, qui s’appelle Ameni. Alors le droit reprendra sa place et l’injustice sera chassée dehors. »
Tout Ank Aton (qui va devenir Tout Ank Amon) s’abandonne : il cède à l’opinion unanime. Amon triomphe ! Le retour à Thèbes est décidé. (…) Tout Ank Amon s’exécute, rend le fameux Décret de l’an IV de son règne, que plus tard le granite de Karnak gardera pour l’éternité : « Je relève ce qui était ruiné parmi les monuments éternels ; j’écarte le mensonge loin des deux terres et je rétablis partout la vérité. » y fera-t-il graver aussitôt après son retour. Mais le clergé exige que le Pharaon orgueilleux qui l’a bravé et persécuté quinze ans durant soit humilié devant la postérité. Tout Ank Amon ajoute donc : « Au temps de la persécution, les sanctuaires étaient ruinés – le pays était en décadence – les dieux détournaient la tête de cette terre. Leurs cœurs étaient dégoûtés de leurs statues mutilées et ils laissaient dépérir la création. Mais après que des jours eurent passé sur ces choses, Sa Majesté se leva sur le trône de ses pères et gouverna le pays d’Horus. Les deux terres furent sous la surveillance de sa face et tout le pays s’inclina devant ses esprits. »
Mais le désordre causé par les inégalités se poursuite.
« Au bord du Nil sacré dont la brise frange d’écume les eaux limoneuses, l’amoncellement prodigieux de la Ville (Thèbes) montre plusieurs villes (…) C’est un ensemble harmonieux de misère et de luxe, de vie et de mort : amas de temples énormes qui, près de pylônes massifs, élèvent la pointe légère des obélisques ; maisons misérables rehaussées de badigeons éblouissants ; palais délités dont l’agonie se pare de poésie et de grâce, demeures princières des heureux du moment, si riches de jeunesse et de force élégante ; l’inextricable réseau des avenues et des rues où, malgré leur verdure, règnent la soif et la poussière, et partout des détritus et de la misère !
Là-bas, à l’horizon, c’est la montagne thébaine, terre des morts, sur laquelle les deux Aménophis III sont assis hiératiquement, (…) communiant avec les dieux, commandant aux bêtes et aux autres hommes, et aussi aux forces de l’eau, de la terre et du ciel. Elles semblent, témoignage d’un passé de traditions humaines et divines, défier l’avenir, et cependant la fissure est déjà dans la pierre. (…) Dans une ruelle obscure, il y a une maison borgne : c’est la « maison de bière ». Les jeunes gens de la ville, les matelots, les soldats viennent s’y enivrer. Les ouvriers des temples s’y concertent aussi pour faire grève. (…) Deux ouvriers, la peau couverte de glaise, hurlent : « Nous avons soif, car nous n’avons plus de vêtements, plus d’huile, plus de poisson, plus de légumes ; Pharaon doit nous fournir de quoi vivre ! » Ce sont là les symptômes d’un malaise social. Le vizir décide prudemment de fermer pour quelques jours la « maison de bière ». (…) Le Pharaon Tout Ank Amon se dirige vers le temps (…) Soudain, une rumeur sourde s’élève, s’amplifie alors que le cortège longe les murailles crénelées du palais du gouvernement de Thèbes. Une bousculade terrible se produit à l’issue d’une rue transversale : les « Mazaiou », hommes de police, sont renversés par une cinquantaine d’ouvriers demi-nus, corps et visage barbouillés de glaise, qui hurlent : « Nous venons poursuivis par la faim, et il y a dix-huit jours encore jusqu’au mois prochain ; qu’on nous donne du grain ! » (papyrus hiératique de Turin) Ils poussent devant eux quelques scribes et des prêtres, l’air effaré. Les maçons qui travaillent à la construction du temple de Khonsou sont en grève ; ils veulent porter leurs doléances au gouverneur de Thèbes, directeur en chef des travaux du roi.
Les grèves sont chose courante à Thèbes. Les ouvriers sont payés en blés, en dourah, en huile, le premier de chaque mois. Généralement, en quelques jours, tout est mangé et ces malheureux n’ont plus pour les soutenir, à leur travail et pour apaiser leur faim, que quelques galettes, avalées à midi. Certaines administrations, pour éviter que ces émeutes se généralisent à date fixe, ont modifié le mode et la date des paiements. Ils les ont échelonnées de huit jours en huit jours. Mais, rien n’y a fait. Ces émeutes ont accompagné les diverses époques de l’histoire de l’Egypte, comme le rapporte Maspero.
Tout Ank Amon a reçu, il y a peu de temps, l’officier de police et le scribe chargés de lui porter les revendications des grévistes ; il a donné l’ordre que des prêtres fussent délégués pour régler le conflit. Les ouvriers ont dit aux prêtres : « Nous n’avons plus d’huile, plus de poisson, plus de légumes ; mandez-le à Pharaon, notre maître, afin qu’on nous fournisse de quoi vivre. » Et Tout Ank Amon leur a fait distribuer une cinquantaine de sacs de blé. Ces provisions n’ont eu qu’un temps ; le mois n’est pas encore fini et les ouvriers, ce matin, refusent de reprendre le travail.
Pharaon sait très bien que, depuis le directeur des travaux jusqu’au scribe chargé de payer à chacun sa ration de salaires, il n’est personne qui ne vole quelque peu et ne prélève sa dîme. Quoi d’étonnant si l’émeute gronde ?
« Par Amon, par ce souverain dont la colère tue, nous ne travaillerons plus ! » vocifèrent les grévistes, qui montent à l’assaut du palais du gouverneur. Les grilles cèdent. (Rapporté par le Papyrus de Turin) Pharaon voit les émeutiers se répandre dans les cours, prêts à piller les magasins d’approvisionnement. (…) Le Pharaon fait distribuer par le gouverneur les vivres retenues indûment sur leurs rations. Ses « Mazaïou » appréhendent quelques récalcitrants pour la bastonnade ou la prison. (…) Le gouverneur dit à son intendant : « Vous ce que tu as de blé dans les greniers et donne-en à ces gens-là », et, devant ceux qui étaient déjà entrés dans sa cour ; « vous, courez au grenier et prenez ce qu’il vous donnera. »

L’EGYPTE "NOIRE"

Biologie moléculaire et momies égyptiennes
Le philosophe grec Xénophane, cité par Arnold Toynbee, notait :

"Les Ethiopiens disent que leurs dieux ont le nez camus et la peau noire, et les Thraces que les leurs ont les yeux bleus et les cheveux roux. A supposer que les boeufs et les chevaux aient des mains et veuillent dessiner de leurs mains et faire des oeuvres d’art comme les hommes, les chevaux représenteraient leurs dieux sous la forme de chevaux, les boeufs sous la forme de boeufs, et dessineraient leurs corps sur le modèle du leur."

Le phénotype nègre des anciens Egyptiens était un fait d’évidence dans l’Antiquité. Le témoignage unanime des "auteurs anciens" comme Hérodote, surnommé "le père de l’Histoire", Aristote, philosophe éminent de l’Antiquité, Lucien, Apollodore, Eschyle, Strabon, Diodore de Sicile, Diogène Laërce, Ammien Marcellin, etc. indiquent sans équivoque que les Egyptiens anciens sont des Noirs comme tous les naturels du continent africain.

L’égyptologue Mubabinge Bilolo a analysé le témoignage d’Aristote à partir du texte grec dans l’article intitulé : "Aristote et la mélanité des anciens Egyptiens", montrant ainsi qu’il y a concordance entre les résultats de l’analyse philologique et ceux de l’analyse bio-anthropologique. Vont encore dans le même sens, les conclusions de l’enquête historique minutieuse et palpitante menée par l’égyptologue Aboubacry Moussa Lam dans son livre L’Affaire des Momies royales - La vérité sur la reine Ahmès Nefertari, à partir des rapports de fouilles et d’analyses établis par les égyptologues et les anthropologues à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle.

C’est cette appartenance de l’Egypte pharaonique au monde négro-africain, qui explique que le qualificatif "noir" est attribué par les Egyptiens anciens à leur pays, à eux-mêmes et à leurs dieux.

Nous avons vu précédemment que souhaitant apporter des éléments complémentaires sur cette question :

"Cheikh Anta Diop propose, d’abord en 1967, puis de nouveau en 1973, de recourir à l’anthropologie physique en déterminant la pigmentation des anciens Egyptiens par un dosage de la mélanine contenue dans la peau des momies égyptiennes. La mélanine est en effet le corps chimique responsable de la couleur de la peau. Dans une étude publiée en 1973, il indique l’existence de plusieurs méthodes possibles de dosage de la mélanine. Il met en oeuvre l’une d’entre elles (technique des coupes minces observées en lumière ultra-violette ou naturelle) pour étudier la pigmentation de la peau de quelques momies égyptiennes conservées au laboratoire d’anthropologie du Musée de l’Homme de Paris, et provenant des fouilles de l’égyptologue Auguste Mariette. Par cette même méthode il propose l’analyse de la couleur de la peau de toutes les momies royales authentiques conservées au Caire telles que celles de Thoutmosis III, Séthi 1er, Ramsès II, etc. C’est en vain qu’il a attendu les échantillons de peau de quelques mm2 de surface promis par le Conservateur du Musée du Caire de l’époque. Par ailleurs, il s’étonne qu’une telle analyse n’ait pas été déjà tentée par d’autres chercheurs." En février 1974, il présente les résultats de ses analyses au Colloque du Caire sur Le peuplement de l’Egypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique.

Cinq années plus tard, une table ronde sur l’Anthropologie physique des anciens Egyptiens se tient à Grenoble du 12 au 14 septembre 1979. Elle est organisée par le CNRS sous l’autorité des professeurs Yves Coppens et Eugen Strouhal. On y trouve une contribution intitulée : "Étude de la peau des Egyptiens prédynastiques" par E. Rabino Massa (Instituto di Antropologia, Università di Torino). L’auteur écrit :

"L’étude de la peau des anciens Egyptiens peut avoir un intérêt considérable, tant du point de vue de la paléopathologie, car elle permet de reconnaître des maladies, que du point de vue anthropologique pour la détermination de l’origine ethnique des populations humaines".

Si l’article ne comporte pas de résultats quantitatifs du taux de mélanine présent dans les échantillons de peau prélevés sur des momies égyptiennes, il confirme la présence de grains de mélanine et la faisabilité de son dosage :

"L’analyse histologique du tissu épithélial a permis de mettre en évidence la stratification typique de l’épiderme et de relever la présence de granules de mélanine dans le cytoplasme de la couche basale".

Jean Bernard, qui a été Directeur de l’Institut de recherches sur les leucémies et maladies du sang, Président de l’Académie des Sciences et membre de l’Académie française, dans son ouvrage Le sang et l’histoire (1983), montre que l’analyse du sang permet de caractériser les populations, évoquant au passage le cas de la momie de Nakht :

"Les groupes sanguins, les hémoglobines, les enzymes, restent les mêmes (sauf rarissimes exceptions) de la naissance à la mort. Au-delà de la mort. L’examen de la momie du tisserand égyptien Nakht, qui vivait du temps de Ramsès II, a montré que le tisserand appartenait au groupe sanguin B. Permanence héréditaire. Ces caractères sanguins se transmettent immuables de génération en génération selon les lois de la génétique mendélienne. Ils sont les témoins aisément accessibles, très fidèles, de notre patrimoine génétique. L’étude des caractères du sang, de leurs variations reflète très exactement l’état, les variations des gènes qui gouvernent les caractères du sang. La permanence des caractères du sang qui exprime la permanence génétique permet de reconna"tre, de définir, au long des siècles, les populations."

Depuis plus d’une dizaine d’années, les techniques de la biologie moléculaire, plus précisément celles mises en oeuvre pour l’étude de l’ADN et des gènes anciens ou archéogénétique, sont appliquées à l’étude des momies égyptiennes comme l’illustrent les travaux du chercheur suédois Svante Pääbo travaillant au Département de Zoologie de l’Université de Munich, l’un des initiateurs de l’archéologie moléculaire. En effet, le professeur Svante Pääbo a produit, en 1985, la première mise en évidence de la préservation de l’ADN dans les restes humains et la démonstration de la possibilité non seulement de le récupérer mais aussi de le dupliquer. Dans un article intitulé "A molecular approach to the study of Egyptian History", Svante Pääbo et Anna Di Rienzo de l’Université de Berkeley en Californie, indiquent que les premières investigations portant sur l’ADN mitochondrial ont été menées sur les populations de l’Afrique sub-saharienne en 1989 puis du Japon, de la Sardaigne et du Nord ouest des Etats-Unis. Ils mentionnent également une étude en cours du même type sur la population du Delta du Nil dans le but de formuler des hypothèses sur l’origine et l’histoire de cette population. Les auteurs soulignent le long travail nécessaire à l’obtention de résultats avec une statistique correcte, c’est-à-dire scientifiquement pertinents.

Eric Crubézy, professeur d’anthropologie à l’Université Paul Sabatier à Toulouse, signale dans un article intitulé "Les surprises de l’ADN ancien - Une technique miracle à manier avec précaution", l’analyse de l’ADN de deux corps inhumés dans la nécropole d’Adaïma, en Egypte, 3700 ans avant J.-C. :

"Celui-ci [l’ADN] les apparente aussi à des populations d’origine subsaharienne, ce que confortent des éléments morphologiques et épidémiologiques concernant l’ensemble de la population".

Analyses de la pigmentation de la peau, analyses des groupes sanguins et analyses de l’ADN, en particulier des momies royales égyptiennes autochtones authentiques, sont donc autant de techniques d’investigation opérationnelles dont les résultats doivent d’être connus afin de contribuer à la reconstitution objective du passé.

Sur le site "Mes univers" :

Au cours du règne du fils de Pépi Ier, Pépi II, celui-ci envoie une de ses armées jusqu’au Soudan d’où elle ramène des Pygmées. Mais, après lui, les changements de souverains atteignent l’anarchie et l’incohérence. Par ailleurs, les hauts dignitaires reçoivent de plus en plus de terres et financent des constructions somptueuses. Les monarques successifs s’aliènent une grande partie de leur richesse foncière. Les nomarques, gouverneurs des provinces, usurpent une partie de la puissance princière, épousent des filles de Pharaon. Les rois négligent leurs obligations : ils se soucient peu de défendre le pays contre les envahisseurs qui occupent de nouveau l’Est du Delta. Tandis que le peuple est épuisé par les travaux forcés consacrés à l’érection des pyramides.

Malgré ces bouleversements dynastiques, les Mages d’Onou n’en poursuivent pas moins leurs études : ils se penchent sur les chroniques d’Hérou. Ils se demandent s’il n’existe pas deux routes pour atteindre le Pays de Pount. Peu à peu, ils assimilent celui-ci au « Royaume de Rosetaou » ; la « Terre de l’Immortalité ». Ils se disent que l’une de ses voies est certainement gouvernée par les Puissances de la lumière ; et que l’autre est sûrement administrée par les Puissances des Ténèbres. D’un autre coté, une Confrérie « d’Hommes en Noir » apparaît en marge de leur cité et de celle de Khem. Cette dernière se met immédiatement à déployer une activité Esotérique et Magique très intense à Memphis. Elle intègre des Mages d’Onou, qui s’y exilent avec leurs Connaissances et leurs Compétences. Elle s’internationalise rapidement en s’implantant dans nombre de territoires environnant l’Empire Pharaonique. Et, enfin, les Mages et les Artisans qui ont pour mission d’élaborer de nouvelles pyramides, effectuent un travail de plus en plus médiocre.

L’Ancien Empire s’achève donc vers 2260 avant J.C : à cette date, une révolution brutale et sanglante éclate. Les riches sont ruinés, leurs biens pillés, leurs tombeaux détruits ou livrés aux voleurs. Les Egyptiens commencent à entendre des rumeurs alarmantes concernant leur conception du Monde. : une première prétend en effet que le Nil – parfois appelé « Okéanos » ou « Eridan » - serait le fleuve Céleste qui a engendré la race des Dieux. Elle imagine que l’Amenti des Bienheureux serait baigné par ses eaux, et que des villes gigantesques seraient bâties sur ses lointains rivages. Elle prétend encore que Thot, le dieu de la sagesse, aurait lui même édifié les Pyramides de Guizèh au cours de l’Age d’Or. Elle suppose que ces édifices auraient eu pour noms « Maisons d’Osiris, Seigneur de Rostau » quand il les aurait élevées. Elle dit enfin que Ménès – le puissant monarque qui a uni la haute et la basse Egypte sous son autorité – aurait également eu pour titre « Roi Scorpion » : après avoir soumis la totalité de l’Egypte, il aurait régné sur un royaume coalisé ; il aurait fondé la 1ère dynastie. Il aurait su que la civilisation Egyptienne était beaucoup plus ancienne qu’elle ne le paraissait. Et il aurait gardé à ses cotés ceux qui protégeaient la mémoire des Hommes et des Dieux issus de l’Age d’Or.

Une seconde rumeur discrédite Kheops : elle l’accuse de s’être livré à toutes sortes de cruautés abominables. Elle lui impute le sacrilège d’avoir fermé tous les Temples, et d’avoir interdit à tous les Egyptiens de célébrer leurs cultes durant toute la durée de la construction de son caveau. Une troisième le calomnie en révélant qu’il aurait prostitué sa propre fille dans le but d’honorer le dieu Khnoum. Une quatrième révèle que les monuments du site de Guizèh seraient en contact avec des Mondes Souterrains et Parallèles depuis 13 000 ans ; que ceux-ci pourraient être atteints par des couloirs dissimulés sous leurs fondations ; que d’autres de leurs tunnels mèneraient à l’Au-delà, mais qu’ils seraient protégés par des Génies Malfaisants. Une cinquième démontre que les sept pyramides de la 3ème dynastie, ainsi que les sept de la 4ème, font partie d’un ensemble unique, au cœur duquel seraient cachés des Mystères datant de plusieurs milliers d’années. Une sixième laisse entendre que des Mages et des Prophètes de toutes les provinces de l’Empire, s’y rendraient régulièrement en pèlerinage : ils y allumeraient des flambeaux. Puis, ils attendraient d’apercevoir une colonne bleuâtre en surgir.

Mais, surtout, un propagateur de rumeurs écrit : « On déposa tous les trésors Antiques dans la grande Pyramide. Et tout cela forma des sommes énormes et incalculables de Connaissances.

Puis, des Gardiens furent assignés à sa protection. Il y eut d’abord ce qui ressemblait à une statue en mosaïques de granit. Cette statue était debout, tenant à la main quelque chose comme une javeline. Elle était coiffée d’une vipère repliée sur elle même. Dès que quelqu’un s’approchait de la statue, la vipère s’élançait sur lui, s’enroulait autour de son cou, le tuait, et revenait à sa place.

Le second Gardien, lui, était une statue de pierre noire. Elle était tachetée de noir et de blanc, et possédait des yeux ouverts et brillants. Elle était assise sur un trône et tenait une javeline. Si quelqu’un la regardait, il entendait du coté de la statue, une voix effrayante qui le faisait tomber sur la face, et mourait sans pouvoir se relever.

Le troisième Gardien ressemblait à une statue en pierre d’Aigle. Elle était posée sur un socle de pierre semblable. Quiconque la contemplait était attirée vers elle, s’y collait, et ne pouvait plus s’en détacher qu’une fois mort.

Tout cela étant achevé, la pyramide fut entourée de trois Esprits Immatériels. On égorgea à leur intention des victimes ; cérémonie qui devait les protéger contre quiconque voudrait les approcher, à l’exception des Initiés qui auraient accompli les Rites nécessaires. On raconte d’ailleurs que le premier de ces Esprits est un Diable jaune et nu, dont la bouche est munie de longues dents. Un autre semble être une femme qui laisse voir ses parties naturelles. Elle est belle, mais sa bouche est munie de longues dents. Elle charme les hommes qui la regardent. Elle leur sourit, les attire, et leur fait perdre la raison. Le troisième Esprit, quant à lui, est un vieillard qui tient un encensoir où brûlent des parfums. Bien des gens l’ont vu à maintes reprises, car il faisait le tour de la pyramide vers le milieu du jour, et au coucher du Soleil. ».

Et un autre colporteur d’histoires de relater : « Au Midi des Grandes Pyramides, existe un Temple surmonté d’un vieux portique. Il est plus ou moins enfoui et difficile à retrouver dans le désert. Il cache de longues galeries grâce auxquelles on peut s’enfoncer à l’intérieur de labyrinthes. On peut y distinguer d’extraordinaires habitations, dont les Pyramides ne sont que les épaisses, massives, et lourdes, flèches étudiées. D’un autre coté, de vastes rameaux communiquant les uns avec les autres, donnent à ces constructions les apparences d’une cité souterraine enveloppée dans un abîme de substances sèches ; au lieu d’être plongée sous un engloutissement d’eau. ».

Dès lors, des notions Religieuses inédites se font jour. Progressivement en effet, les Egyptiens se mettent à considérer que le Pharaon ne doit plus être le seul à pouvoir prétendre à la vie Eternelle au sein de l’Amenti. Ils comprennent qu’il ne doit plus être le seul dont la mort peut être accompagnée de Cérémonies Rituelles permettant à son ka de franchir la porte entre les Mondes ; d’affronter les Gardiens Célestes au cours du Long Voyage ; de subir la pesée de l’Ame dans la salle de Maat ; et, finalement, d’atteindre l’Empire Occidental des Bienheureux au sein duquel vivent Osiris, ses Frères et ses Sœurs. Et fatalement, ils en arrivent à remettre en cause les lois sociales existantes.

Ils sont par ailleurs peu à peu convaincus que leur ka doivent triompher de nombreuses épreuves et de nombreuse embûches, afin de franchir la porte entre les Mondes, puis les sept Portes Infernales protégées par les Génies Terrifiants. Ils imaginent qu’ensuite, leur ka est obligé d’arriver à l’entrée de la salle de Maat – la déesse de la justice et de la vérité -, qu’il doit se soumettre au Rituel de la pesée. Ils pensent que leur poids ne doit pas excéder le poids de la plume de Maat. Ils songent que si il est proclamé « Juste de Voix » - ou, « maa Khérou » -, il est d’emblée admis à la vie Eternelle au sein de l’Amenti ; ou « l’Empire Occidental des Bienheureux ». Et ils croient que si leur ka subit une pesée défavorable, il est avalé sur le champ par la monstrueuse dévoreuse Amemit.

Les Clercs sont donc obligés de dévoiler aux non-Initiés, certains de leurs Mystères issus du Livre des Morts et du Texte des Pyramides : ils affirment aux Egyptiens que le Douat ne fait pas partie du Soleil, bien qu’il soit un élément visible du Ciel. Ils leur démontrent que le dieu du Soleil offre sa bienveillante protection aux monuments des Ages précédents. Ils sont contraints de leur accorder le droit à l’accès à la vie Eternelle au sein de l’Amenti. Ils acceptent d’entériner une Règle édictant que le Pharaon n’est pas le seul à détenir une parcelle de ka Divin ; le seul à être capable d’entrer en contact avec les Dieux ; et à être l’intercesseur entre le Ciel et la terre. Et ils consentent à ce que tous les Egyptiens aient la possibilité d’être instruits aux mêmes Initiations Funèbres que lui après leur mort.

D’un autre coté, les Egyptiens assimilent des Clercs, comme ceux de Sekhmet, d’Hathor, ou de Baastet, comme à des êtres aux Pouvoirs Surhumains. Les Prêtres de Ptah, de Ra, de Seth, ou de Khnoum, eux, acquièrent la réputation d’avoir des dons Prophétiques. Et le dénommé Mikoès - de la « Confrérie des Fils de Seth » -, lui, se met à admettre tous les Egyptiens qui adoptent ses dogmes, parmi ses Adeptes participant aux Cérémonies Rituelles qu’il préside dans les souterrains de la grande Pyramide.

Ainsi, il les conduit au sein du labyrinthe formé par les cryptes, les salles, et les corridors, de l’édifice. Il les installe dans une des ses pièces rondes dont le sol est formé de dalles blanches et de dalles noires. Il leur fait porter leur attention sur les configurations des Corps Célestes incrustant les parois du plafond. Il appelle des Génies et des Apparitions Surnaturelles associées à la date du Sacrement, auprès d’eux. Il exécute à leur intention des liturgies destinées à réduire à l’impuissance des Envoûtements liés au Dragon Cosmique Apophis. Et il leur fournit des documents conservés dans la bibliothèque Secrète d’Abydos ; qu’il leur ordonne de lire à voix haute :

« Les Tombes des Fils des Dieux sont protégées. Ce ne sont pas des Tombes de Morts, mais de Vivants. Elles ne contiennent pas des momies, mais des corps d’Initiés dans un état de Transe.

Leurs corps sont cachés dans des Tombes impénétrables, et ils attendent le retour de leur ka. Car, un jour, ceux-ci reviendront les ranimer. Ils reviendront de l’un de ces Mondes Extérieurs à l’intérieur duquel ils se sont jadis réfugiés. Mais il faut que le mécanisme de ce retour à la vie soit mis en œuvre par des Mages qualifiés ; doués de la connaissance requise. De plus, il faut qu’une partie du Rituel de Réveil qu’ils prononceront, soit empreint de Paroles Secrètes. ».

Par ailleurs, certains de leurs dieux muent, d’autres surgissent du Néant, et d’autres encore, meurent. Ainsi, lors de cette période de bouleversements, Ra acquiert le titre de Divinité Principale des Deux Terres. A ses cotés, Ptah se métamorphose à la fois, en scribe et en singe ; mais il est surtout considéré comme le Patron des Artisans. Isis se manifeste en tant que Maîtresse des Pyramides, de femme la plus Intelligente du Monde, et détentrice du Savoir caché au sein du Ciel et de la terre. Le Bélier Mendès est appelé à assister Ra, Chou, Geb, et Osiris. Le Nain hideux et barbu Bès, se transforme en un satyre capable d’égarer les autres dieux. Noun devient une créature poissonneuse symbolisée par « la mère sortie des Eaux ». Et Nout/Baast/Sekhmet, est assimilée à la déesse de la guerre.

Osiris, pour sa part, est parfois comparé à une Chèvre. Il reste toutefois le Seigneur de la magie, celui qui peut déplacer des objets par le seul pouvoir de sa voix. Il continue à être l’auteur de toutes les œuvres, dans toutes les branches du Savoir Divin. Et il demeure le premier consignateur des Enseignements cachés au sein des Etoiles et des Constellations.

Anubis, lui, ne change que très peu : il est toujours censé avoir participé à l’enterrement d’Osiris en Abydos. Son nom signifie encore « Ouvreur de Voies ». Il est comparé aux chacals et aux chiens sauvages qui ont l’habitude de roder près des cimetières. Il est apparenté au « Gardien des Ecritures Secrètes et Sacrées ». Il est « l’Initié aux Mystères du Monde ». Il est systématiquement invoqué lors des embaumements des défunts. Il est nommé au cours des Rites de momification. Il est sollicité en tant que « Protecteur de l’Esprit des Morts ». Il joue un rôle central lors des Sacrements d’Osiris célébrés chaque année. Il est associé à Sirius, l’Etoile la plus brillante de la constellation du Grand Chien. C’est d’ailleurs pour cette raison que les Egyptiens désignent la « Cité des Chiens » ensevelie quelque part sous les sables du désert, comme son principal Sanctuaire. Il est annoncé comme l’Enfant d’Isis et d’Osiris. Et, enfin, il est rapproché d’Upuaut, la constellation Boréale de la petite Ourse.

Thot, de son coté, est vu en tant que Force Régulatrice coordonnant les mouvements de la mécanique Céleste. Il est le Seigneur du Temps, l’Inventeur de l’Alphabet, et le Maitre de la magie. Il est associé à des Sciences comme l’Astronomie, les Mathématiques, la géodésie, et la géométrie. Il est décrit comme « Celui qui calcule dans le Ciel, compte les Etoiles, et mesure la terre. ». Il est regardé comme la « Divinité qui comprend les Mystères de tout ce qui est caché sous la voûte Céleste, mais aussi, qui est capable de transmettre sa Sagesse à quelques Elus. ». Il est désigné en tant que « Consignateur de Connaissances dans des Livres Secrets ». Et il est jugé parce qu’il a caché ses ouvrages en différents lieux du Monde, parce qu’il a espéré qu’ils soient recherchés par les générations futures, et parce qu’il a songé qu’ils seraient découverts par des hommes valeureux qui les mettraient au service de l’Humanité.

Quant à Seth, il est peu à peu représenté comme le dieu des Etrangers. Il est dénoncé en tant que dieu de la violence, de la brutalité, de la stérilité, du Désert, et des Forces échappant au ka Divin ; dont les Tempêtes et les Orages. Les Egyptiens l’imaginent s’incarnant en quadrupède au museau allongé, aux hautes oreilles droites, et à la longue queue fourchue. Ils pensent que ses os sont constitués en un métal appelé « l’Acier du Ciel ». Et d’ailleurs, parfois, ils en usent pour fabriquer des amulettes protectrices et des outils nécessaires à l’accomplissement des Rites.

De nouvelles divinités apparaissent également : l’accompagnatrice des femmes en couches Nekhhet. Il y a la déesse hippopotame Thouris, qui est la protectrice des femmes qui allaitent leurs enfants. Il y a la déesse Anat, dont le vagin a été percé par Seth. Il y a le dieu de la vie et de la création Amon. Il y a la déesse Vautour Mout, qui est son épouse. Et il y le dieu Nocturne Khonsou, qui est son fils.

Il y a encore le dieu Nil Sobek. Il y a le dieu Khnoum – le libérateur des crues du Nil – qui prend l’aspect des humeurs s’écoulant du cadavre d’Osiris. Il y a le dieu des Ténèbres Nefertim Taferith. Il y a le Serpent Humain Sata, qui est invoqué comme Fils des Ténèbres enfanté lors de la passion d’Osiris. Il y a Bakh, qui est enchaîné aux Royaumes Souterrains. Il y a le dieu de la guerre Mentou. Et il y a le dieu policier du désert Min.

De plus, il y a l’Annonciateur de la destinée Universelle Atoum. Il y a la déesse surgie des Eaux à l’Aube des Ages Nanet. Il y a l’Ame de l’Univers Kneph. Il y a le Soutien du Ciel Saou. Il y a le dieu de la magie Héka. Il y a le Patron des Guérisseurs et des Exorciseurs Ishansou. Il y a le dieu du Secours Chnouphis. Il y a la déesse de la conscience et de la vérité Safé. Il y a le Scarabée Solaire, qui est identifié à la puissance d’Osiris. Il y a le dieu de l’Habilité Seped. Il y a le dieu de la gloire Chépès. Il y a le dieu de la victoire Nekh. Il y a le dieu de l’Eclat Akhou. Il y a le dieu de l’Honneur Ouas. Il y a le dieu de l’Etincellement Tjehen. Il y a le dieu de la luminosité Pesedj. Il y a la déesse de la lune, qui symbolise également les quatre Grands Piliers qui soutiennent l’Univers, Neith. Il y a le Serpent de la lune Zi. Il y a l’épouse de Thot, la déesse de l’Ecriture et de l’Histoire, Sheshet. Il y a l’Esprit de la caverne des Désirs Hapy.

Et, enfin, il y a le dieu Faucon des Montagnes Hareolis. Il y a le dieu des Carrières Gebel Silsileh. Il y a le Génie de la végétation capable de se transformer en animal Aker. Il y a le dieu des Sources Hu. Il y a le dieu de la nourriture Hou. Il y a le dieu de la production d’Aliments Kirja. Il y a le dieu de la verdeur et de la prospérité Ouadj. Il y a le dieu de l’Abondance Djefa. Il y a le dieu de la vision Naa. Il y a le dieu de l’Ouïe Sedjem. Il y a le dieu de l’Entendement Sia. Et il y a le dieu de la parole Hou.


[1La civilisation est née en Egypte en même temps qu’en Nubie et en Afrique, vers 5000-4000 ans avant JC. L’Etat n’est apparu que vers 3500 avant JC en Egypte, plus de 1500 ans plus tard et en 2400 avant JC en Nubie, soit 2600 plus tard. L’artisanat et le commerce, la vie des villes, la spécialisation du travail sont nés bien avant l’Etat. Les échanges entre Egypte et Afrique, passant par la Nubie sont nés des centaines d’années avant la naissance des Etats. Cela supposait déjà un artisanat (la poterie date même du 9ème millénaire), une spécialisation du travail, une différenciation sociale, une économie d’échange, des villes, des commerçants avec un commerce à grande échelle. Par exemple, le mobilier urbain, les poteries raffinées, les mortiers d’albâtre et les ustensiles de cuivre datent en Basse Nubie de 3700 avant JC, comme le rapporte « L’Egypte ancienne, les secrets du Haut-Nil », ouvrage collectif de nombreux égyptologues. C’était 1300 ans avant l’Etat nubien !

[2Par exemple, bien avant d’avoir un territoire unifié et même d’avoir un Etat, l’empire commercial maya s’est fondé sur un développement considérable de villes de commerçants et d’artisans, prospérant sur un fond d’agriculture prospère. L’appareil d’Etat a débuté à apparaître dans chaque ville comme dans la Grèce antique. L’unification politique et militaire n’a jamais été poussée jusqu’au bout dans le cas de l’Etat maya, contrairement au cas des Aztèques.

[3L’Etat athénien a ainsi interdit aux villes grecques de battre monnaie. Vers 440, alors que la guerre contre la Perse est finie, l’Etat impose un tel impôt aux villes que celles-ci se soulèvent une par une et doivent être écrasées militairement par l’armée centrale bâtie grâce à cet impôt.

[4Par exemple, dans la préface de l’ouvrage de Michel Mourre « Le monde à la mort de Socrate »,on peut lire : « Il est remarquable que, pour parvenir à ses fins, Alexandre rencontra les plus grandes résistances du côté des Grecs, qui s’adaptaient difficilement aux formes nouvelles de l’Etat et de la politique mondiale. Sortir du cadre traditionnel de la cité et se prosterner devant un monarque comme s’il était dieu, c’était là pour les Hellènes deux circonstances choquantes et scandaleuses (...). La structure même de la cité grecque, qui fut la condition de son développement intellectuel et artistique, s’opposait à de telles ambitions. »

[5L’idéologie reflète cette transformation. Les religions ont été mises en place dans les villes. Chacune avait ses propres dieux, différents de ceux de la ville voisine. L’apparition de dieux généraux à l’Egypte, comme Amon, n’est venue qu’après la mise en place du pouvoir central. Leur domination a été lente et tardive. Amon n’était d’abord qu’un dieu local de Thèbes. Le culte solaire du dieu faucon Rê, d’abord dieu de la ville d’Héliopolis, n’a été sacré « le dieu unique qui s’est divisé en millions de dieux » qu’avec les premières dynasties pharaoniques. De même, Ptah était d’abord le dieu de la ville de Memphis avant d’être dieu de l’Egypte. En fait, chaque dieu important était lié à une grande ville très prospère. L’idéologie reflète la réalité sociale. L’importance primordiale n’était pas dans le pouvoir politique mais dans le rôle artisanal et commercial et de concentration de grandes richesses des grandes villes.

[6Viviane Koenig raconte ainsi dans « L’Egypte au temps des pharaons » : « Vers 2260, à la fin du long règne du pharaon Pépi II, (...), l’autorité royale s’effrite, surtout en Haute Egypte, région si éloignée de la capitale. L’Etat se disloque. Au nord, le peuple s’agite. Une révolution violente, sanglante, implacable éclate. Dépossédés de leurs biens, les riches émigrent ou découvrent la misère. La peur règne partout. Les brigands parcourent la campagne. Les paysans ne cultivent plus. La famine fait des ravages. Les fonctionnaires, débordés, voient leurs bureaux mis à sac. Les artisans abandonnent leurs ateliers. Le palais royal brûle. (...) Même les dieux sont délaissés. (...) Les pauvres possèdent les richesses. (...) Les nobles dames meurent de faim. (...) L’ordre social est bouleversé. L’Ancien Empire devient un souvenir. (...) Le temps est fini où, dans l’ordre et le calme, les paysans obéissaient au scribe surveillant l’engrangement du blé. (...) Pendant plus de deux siècles, Pharaon n’existe plus (...). Les troubles violents qui ont mis fin au vieil empire sont terminés. Ils ont été d’une violence inouïe : une véritable révolution. (...) Vers 2050, Mentouhotep devient le pharaon Mentouhotep 1er. » Elle présente un témoignage écrit : « Je te présente le pays sens dessus dessous. Ce qui se passe ne s’était jamais passé.(...) Quelques hommes sans foi ni loi sont allés jusqu’à déposséder le pays de la royauté, la résidence royale a été ravagée en une heure, celui qui ne pouvait se construire un réduit est propriétaire des murs, celui qui ne pouvait se faire construire une barque est propriétaire des bateaux… » C’est bien une révolution sociale qui a renversé l’ordre. Un changement va apparaître dans le nouvel empire : les grands nobles sont surveillés par le pharaon, les stocks de blé ne peuvent plus être détournés par corruption, les gouverneurs deviennent des fonctionnaires qui répondent de leur vie au cas où les greniers de réserve sont vides, les pauvres accèdent à la vie éternelle et ont droit de traduire leur noble en justice. La classe pauvre est reconnue, la classe riche a perdu de son pouvoir en faveur de l’Etat et la classe moyenne voit son nombre considérablement accru. La réforme de l’Etat sert fondamentalement la classe noble même si elle est dépossédée du pouvoir direct. Et Pharaon doit désormais justifier de sa nécessité, se faire de la propagande politique : des écrits exposent les problèmes de la société et combien Pharaon est indispensable pour les résoudre. L’idéologie dominante est elle aussi modifiée. Pharaon a modifié la religion qui fait mine de se tourner désormais vers le peuple. En achetant quelques formules magiques, n’importe qui peut aller dans l’au-delà.

Messages

  • « Les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie et chaque ville dit : « laissez nous chasser les puissants de chez nous. » Le scribe Ipouer A l’époque de la révolution sociale égyptienne de -2260 avant J.-C

  • Méroé, un empire et une légende émergent des sables du haut Nil

    Le Louvre met en évidence l’originalité de ce royaume, puissant au début de notre ère dans le nord de l’actuel Soudan, où les cultures égyptienne, africaine, grecque et romaine s’entremêlaient.

    De l’empire méroïtique ne subsistent plus qu’Aïda, la belle princesse-esclave noire de Verdi, des pyramides aiguës, rongées par les sables du Nord-Soudan, et d’étonnants vestiges archéologiques. Le Louvre, en charge de fouilles depuis 2007 à 50 kilomètres au sud de Méroé l’ancienne capitale, en présente à partir d’aujourd’hui une sélection.

    Les objets de terre, surtout la poterie noire et la céramique funéraire aussi fine qu’une coquille d’œuf, révèlent la mixité des styles de ce pays qui allait de l’actuel lac Nasser au sud de Khartoum, entre le monde pharaonique et l’Afrique noire. Mais plus encore les effigies des dieux. Voilà un panthéon où se côtoient, apparemment dans la plus grande tolérance, le bélier Amon, Isis, Osiris, Anubis, des créations locales telles Apédémak, cobra à tête de lion, le Grec Silène ou son fils adoptif Dionysos. Zeus apparaît même, coiffé de son bonnet phrygien.

    « Méroé est une charnière essentielle et encore très mal connue entre les royaumes du nord et ceux du sud », résume Guillemette Andreu, directrice des antiquités égyptiennes du Louvre. Et de montrer la puissance de cet État qui s’était enrichi par le commerce de l’or, de l’ivoire, des fourrures et de l’ébène en désignant des bijoux fins ou lourds, ainsi qu’un magnifique roi-archer de bronze et de feuilles d’or venu du musée de Khartoum. Qui fut-il ? Son nom s’est perdu.

    Profitant d’une Basse-Égypte en plein déclin, Méroé s’épanouit durant six siècles, d’environ - 270 av. J.-C. à 320 ap. J.-C., date de sa dernière pyramide. Face aux Nubiens de l’Ouest, elle devait se protéger. D’où cet effrayant lion de grès dévorant un ennemi. Ou ce pommeau de canne en bronze figurant un prisonnier pieds et poings ligotés dans le dos. Finalement, le monothéisme chrétien a recouvert cette société héritière des fameux « pharaons noirs » montés sur le trône des deux Égyptes à partir de 1000 av. J.-C.

    Une curieuse écriture

    Entre-temps, Méroé aura mis au point et développé une curieuse écriture, en parallèle des traditionnels hiéroglyphes. Derrière les vitrines, ses pattes de mouche couvrent stèles et éclats de poteries. « Jusqu’alors, si on savait en trouver les équivalents phonétiques, on ne la comprenait pas, commente Guillemette Andreu. Depuis peu, quelques linguistes ont établi des ponts avec certaines langues encore parlées au Tchad et en Érythrée. »

    La traduction des deux mille textes exhumés à ce jour peut donc commencer. Il est sûr que Méroé livrera beaucoup d’autres secrets. Ce ne seront sûrement pas des trésors d’or et de pierres précieuses puisque sur place les pyramides sont remplies de sable et que dessous les principales nécropoles ont été pillées depuis des lustres. Mais on pourra peut-être expliquer pourquoi Méroé ne momifiait pas ses défunts. Ou si sa société reposait ou non sur l’esclavage.

    Jusqu’au 6 septembre, dans l’entresol de l’aile Richelieu du Louvre.

  • Qu’est-ce qui avait poussé, lors de la fondation de l’Etat, les classes dirigeantes à se dessaisir de leur pouvoir sur chaque ville au profit d’un pouvoir supérieur, centralisé, celui d’un roi divinisé ? Bien sûr, l’une des origines de cette centralisation est la conquête militaire. Vers -3000 avant J.-C, le royaume de Haute Egypte conquiert celui de Basse Egypte, fondant le « royaume du double pays ». Mais, le choix des classes dirigeantes de se mettre sous la coupe d’un pharaon est bien plus ancien et a une toute autre origine que la guerre.

  • « Enseignement du roi Kheti II à son fils Mérikaré

    « Si tu rencontres un homme dont les partisans sont nombreux une fois assemblés, et qui soit agréable aux yeux de ses gens, un homme qui soit un orateur prolixe, chassez-le, supprimez-le, efface son nom, chasse son souvenir ainsi que celui de ses partisans. C’est aussi une cause de troubles pour les citoyens qu’un homme au cœur violent, il provoque des factions parmi les jeunes.

  • Les gens du désert remplacent les Egyptiens en tous lieux ; il n’y a plus d’Egyptiens nulle part. Les fonctionnaires sont tués. Les vivres de l’Egypte sont à qui dit : « Je viens, je prends ». Les enfants des grands sont jetés à la rue. La maison du roi n’a plus de revenus, on marche à la ruine. Les grands ont faim et sont en détresse. Les pauvres du pays sont devenus riches, tandis que les propriétaires n’ont plus rien. Celui qui n’avait pas une paire de bœufs possède des troupeaux ; celui qui n’avait pas un pain à lui devient propriétaire d’une grange, mais son grenier est approvisionné avec le bien d’un autre. Jusqu’au chauve qui n’usait jamais de pommade et qui possède aujourd’hui des jarres d’huile parfumée. » (papyrus de Pétersbourg, texte Gardiner) « Celui qui portait les messages des autres a maintenant des messagers à son service. Les dames qui étaient dans le lit de leur mari couchent par terre. Les esclaves sont maîtresses et parent leur cou d’or et de malachite. Les nobles dames ont faim ; elles prostituent leurs enfants sur des lits pour manger, tandis que les bouchers se rassasient de ce qu’ils préparaient pour elles, et celui qui couchait sans femme, par pauvreté, trouve maintenant de nobles dames ! Le rire a péri, on ne le connaît plus ; c’est l’affliction qui court le pays mêlée aux lamentations.

    • si tout cela est vrai alors l’egypte dans cette période a traversé une période difficile. et je me demande comment tout cela est puis arrivé et dans quelle condition les pauvres ont ils réussi cette révolution. mais la véritable question demeure sur la suite et sur le sort des victimes

    • Cette révolution sociale est parfaitement reconnue des historiens et le "trou" dans le pouvoir des Pharaons est avéré. Il a même été extrêmement difficile de remettre en place la dictature. Est-ce que la révolution a réussi ? En tout cas, les pauvres ont renversé les riches et tout l’édifice social et politique s’est écroulé. On en a de multiples témoignages écrits. Et cette révolution a été connue de tout le monde oriental de l’époque, influençant la religion des Juifs et des Mésopotamiens qui ont affirmé que Pharaon avait payé ses crimes, puni par dieu !!

  • " C’est donc ainsi : le Nil frappe ses rives et pourtant on ne laboure pas. chacun dit :
    " Nous ne savons pas ce qui est arrivé à travers le pays
    C’est donc ainsi : les femmes sont stériles, car on ne conçoit plus. Et Khnoum ne crée plus à cause de l’état du pays.
    C’est donc ainsi : les hommes démunis sont devenus propriétaires de richesses. Celui qui ne pouvait faire pour lui même une paire de sandales possède des monceaux.
    C’est donc ainsi : beaucoup de morts sont jetés au fleuve, le flot est une tombe et la Place pure est maintenant dans les flots..
    C’est donc ainsi : les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie, et chaque ville dit : " Laissez-nous chasser les puissants de chez nous."
    C’est donc ainsi : le peuple est semblable aux ibis, et les souillures sont à travers le pays, personne ne porte de vêtements blancs, en ce temps.
    C’est donc ainsi : le pays tourne comme un tour de potier, le voleur est en possession de trésors…
    … Voyez donc ce qui se produit : le pays est privé de la royauté par quelques personnes dépourvues de raisons.
    Voyez, le secret de ce pays dont on ne connaît pas les frontières est trahi : le Résidence s’est écroulée en une heure.
    Voyez, les pays est rempli de bandes : les misérables dérobent sont bien au puissant.
    Voyez, celui qui ne pouvait pas se fabriquer un sarcophage possède maintenant une tombe.
    Voyez, les fonctionnaires se sont dispersés à travers le pays…
    … Voyez celui qui ne savait pas jouer de la harpe possède maintenant une harpe.
    Voyez, les pauvres du pays sont devenus les riches, celui qui possédait quelque chose est maintenant quelqu’un qui n’a rien
    … Voyez, aucune fonction n’est plus à sa bonne place, ils sont comme un troupeau effarouché sans berger… …
    Extrait des Lamentations d’Ipouer.

  • sur le sujet, à voir le documentaire le crepuscule des civilisation 1/2 qui est passé sur Arte le 29 Juin

    http://www.arte.tv/guide/fr/046186-001/le-crepuscule-des-civilisations-1-2

  • Oui ce doc parlait de l’apogée et de la chute de l’ancien empire et de Pharaon (Pépi 2), avec les questions sur les raisons des pillages des tombes dans les pyramides, le non achèvement de pyramides ou l’écroulement d’autres alors que les techniques étaient au point...etc.
    Il posait la question de révolte mais se dirigeait plutôt vers la piste du coup d’Etat, de complots au sommet de l’Etat, comme raison profonde de l’écroulement.
    Une 2 ème est évoquée dans l’assèchement du lac comme source du Nil, qui aurait aggravé les conditions de vie dans l’empire .
    L’oppression de l’Etat Egyptien est juste évoqué dans le symbole du droit de vie ou de mort du Pharaon sur n’importe qui.
    La lutte de classe ne semble pas existé...

  • « Pépi II fut le dernier pharaon de la sixième dynastie. Peu de temps après sa mort, vers 2.200 avant J.-C., l’Egypte fut gravement secouée par la guerre civile, et l’Etat s’effondra… Pendant quelques temps, l’anarchie ravagea le pays… Un certain Ipu-wer se présente devant le Pharaon pour lui rapporter les proportions du désastre : « Voici le pays est dépouillé de la royauté par quelques individus irresponsables !... Voici, les hommes se rebellent contre l’Uraeus royal… qui avait pacifié les Deux Pays… La Résidence royale peut être rasée dans une heure !... Le roi a été emporté par les pauvres…. Roi, tu aurais dû être le berger de ton peuple. Mais c’est la confusion que tu installes partout dans le pays, conjointement avec le bruit des querelles. Si chacun se jette sur son voisin, c’est le résultat des ordres que tu leur a donné. Ceci montre que tes actes ont créé cette situation et que tu as proféré des mensonges. » Une deuxième crise du pouvoir pharaonique fut déclenchée après l’extinction de la douzième dynastie… On ignore les causes de la désintégration de l’Etat, qui eut lieu deux générations avant l’attaque des Hyksos en 1674 avant J.-C. »

    Extrait de « Histoire des croyances et des idées religieuses » de Mircea Eliade

  • Les années de famine de la première « période intermédiaire » ont causé la révolution sociale. Le manque de nourriture ne pouvait pas être pallié par les stocks des greniers du Pharaon car la corruption des gouverneurs avait vidé les greniers. La misère était telle alors qu’un petit fermier de la région thébaine écrivait à sa famille :

    « Lors de la dernière disette, rappelez-vous ce que j’avais fait. Vous n’aviez pas faim alors que tout le pays dépérissait… Jusqu’à ce jour, j’ai fait l’impossible pour vous nourrir… Pour éviter de vous mettre en colère, considérez ceci : chacun dans la maisonnée est traité comme le sont mes enfants… Vous devez faire preuve de courage jusqu’à mon retour. »

    Sur sa tombe, au sud de Thèbes, est écrit :

    « L’ensemble de la Haute-Egypte se mourait de famine au point que tous les hommes mangeaient leurs enfants. Mais jamais personne ne mourut de faim dans ce nome. »

    Un des résultats de la révolution sociale qui a renversé violemment le régime des Pharaons durant de longues années, en plus de l’existence d’une religion pour tous avec une âme immortelle pour tous et d’un stockage de grains garanti sur le vie des gouverneurs et vizirs, a été la naissance d’une justice pour tous en Egypte. Les petites gens, y compris les fellahs, ont eu le droit d’aller en justice et d’y faire comparaitre les puissants ! Tout cela était impensable dans l’ancien empire des Pharaons.

    D’où ce livre de sagesse intitulé « De l’Enseignement d’Aménémopé » (Moyen Empire) :

    « Ne corrompt pas les hommes de la magistrature et n’incite pas l’homme juste à se rebeller. N’accorde pas une attention exagérée à celui qui possède de beaux atours et ne méprise pas celui qui n’est vêtu que de haillons. N’accepte pas les présents de l’homme puissant et ne persécute pas le faible à son profit… »

    « Ne prononce pas de jugement impropre… Reçois aussi bien l’homme que tu connais que celui qui r’est inconnu, l’homme qui t’est proche que celui qui vient de loin. »

    Lors de la sixième année du règne du pharaon Séti II en 1204 avant J.-C., on retrouve le témoignage d’un procès intenté par l’ouvrier Nebnoufer pour vol d’outils. On voit également l’ouvrier en chef Hay, dénoncé pour avoir blasphémé contre la grandeur du pharaon Séti se retrouvé innocenté et blanchi.

    Cependant, toutes les scènes de la vie quotidienne et les inscriptions qui les accompagnent témoignent de la dureté de l’exploitation des opprimés.

    Un laboureur sous les coups du surveillant s’y exclame :

    « Ce bâton passe toute la journée sur mes épaules ! »

    Le surveillant, lui, déclare :

    « Activez-vous, marchez plus vite ! »

    Les mariniers déclarent :

    « Allons-nous passer toute notre journée à transporter de l’orge et de l’épeautre blanc. Les greniers sont pleins, ils regorgent ; les barges sont lourdes, elles débordent de grain. Pourtant, on nous dit d’accélérer la cadence. Nos cœurs sont-ils faits de cuivre ? »

    La vie de tous les travailleurs est rapportée dans certains textes et elle est extrêmement rude.

    « Le chaudronnier est à l’ouvrage à la bouche de son four. Ses doigts sont semblables aux écailles du crocodile. Il empeste plus que des eoufs de poisson. »

    Une fresque rapporte le propos de ce propriétaire à un paysan :

    « Vois ! Je vais te confisquer ton âne, paysans, car il mange mon orge. »

    Le paysan rétorque :

    « Seul un épi est endommagé ! » Et il propose de manière humoristique de prêter l’âne pour une durée de valeur équivalente à… un épi !

    C’était cela aussi la lutte des classes quotidienne… sous la dictature des Pharaons

  • Une série d’éruptions volcaniques aurait contribué à la chute de la dernière dynastie égyptienne, il y a 2000 ans, affirment des chercheurs américains, après avoir jumelé des mesures scientifiques à des informations contenues dans les documents historiques.

    Cette activité volcanique aurait largement réduit l’importance des pluies et des inondations liées à la mousson, qui gorgent d’eau chaque été la région du Nil, permettant des récoltes abondantes.

    C’est que les volcans en activité peuvent perturber le climat d’une région en diffusant du dioxyde de soufre dans la stratosphère. Certaines études ont montré l’effet du volcanisme sur les températures terrestres, mais peu se sont concentrées sur ses effets sur l’hydrologie.

    Pourtant, si des variations dans la présence de l’eau d’une région sont difficiles à reconstituer à travers les siècles, elles peuvent aider à comprendre l’histoire et la vulnérabilité de sociétés aujourd’hui disparues.

    Les éruptions volcaniques auraient causé de la sécheresse, des mauvaises récoltes, des famines et auraient mené à une instabilité politique grandissante. Des guerres perdues, des mouvements de grèves et de révoltes auraient ensuite mené à la fin de l’Égypte pharaonique.

    Les auteurs des présents travaux publiés dans la revue Nature Communications (Nouvelle fenêtre) en viennent à cette conclusion après avoir combiné plusieurs informations provenant :

    des mesures de la variation du niveau d’eau du Nil ;
    des analyses de carottes de glace polaire contenant les cendres volcaniques ;
    de l’étude des modèles climatiques.

    Dans un premier temps, l’historien américain Joseph Manning, de l’Université Yale, et ses collègues ont analysé des données recueillies depuis 622 avant JC concernant les niveaux du Nil et les ont comparées aux informations recueillies dans la glace du Groenland et de l’Antarctique.

    Comme les couches de glace contenant de la cendre correspondent aux années d’éruptions volcaniques, les chercheurs ont réussi à établir que ces années étaient associées à des niveaux d’eau du Nil beaucoup moins importants.

    Les chercheurs ont ensuite examiné le contexte social et politique de l’Égypte ptolémaïque (305-30 av. J.-C.), l’une des civilisations anciennes les mieux documentées, à la lumière de la sécheresse induite par les éruptions volcaniques.

    Ainsi, ces éruptions ont été associées à des mouvements d’agitation sociale et de révolte contre les classes dirigeantes, et à la fin de la guerre entre l’État ptolémaïque et son grand rival l’Empire séleucide.

    Ces événements, particulièrement l’éruption du mont Etna en 40 av. J.-C, ont également mené à des troubles sociaux et économiques et à l’adoption de décrets renforçant l’autorité de l’élite.

    Ces bouleversements ont finalement mené à la fin du règne de 300 ans de l’Égypte ptolémaïque, dont le suicide de Cléopâtre portera le coup final.

  • Dans les révolutions en Egypte antique citons aussi :

    460 av. J.-C. : révolte d’Inaros en Egypte. Inaros, fils d’un chef libyen, prend la tête d’un mouvement d’insurrection contre les Perses. Il demande l’aide des Athéniens, qui, déjà en guerre contre la Perse, dépêchent des troupes en Égypte.

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