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Révolutions de la Chine antique

vendredi 10 juillet 2009, par Robert Paris

Royaumes de Chine, le film

Chine antique, le film en anglais

Histoire de la Chine

Une révolution de la Chine ancienne

"On ne doit pas montrer aux gens
les moyens d’action de l’Empire."

Lao Tseu, Tao Te King, XXVI

Sommaire du site

« Lorsqu’un arbre tombe et que ses racines sortent de terre, si les branches et les feuilles sont encore intactes, c’est que les racines ont été coupées (et détachées du sol). » (…). La dynastie des In est tombée, sans qu’il y ait eu révolte des princes ni attaque de la part des étrangers. Les branches et les feuilles étaient donc intacts. Mais les empereurs de cette dynastie avaient eux-mêmes rompu avec le ciel par leurs injustices. »
CHEU KING
« Les cinq livres canoniques »

« Aux premiers temps de l’Empire chinois, les peuples nouvellement conquis se révoltaient constamment. Chaque printemps, le souverain chinois avait quelque expédition à faire pour dompter les révoltés ; c’était devenu comme une institution. »

« Le Livre des mutations » de
YI KING

« La civilisation chinoise » de Marcel Granet :

« L’histoire traditionnelle commence avec l’âge des Cinq souverains (Wou Ti) que précèdent parfois les Trois Augustes (San Houang). Les trois premiers des Cinq Souverains, Houang-ti, Tchouan-hiu, Kao-sin, figurent dans les ouvrages rattachés à la tradition confucéenne, mais ils ont un caractère philosophique plutôt qu’historique. (…) En faisant précéder l’histoire des dynasties royales par celle des Souverains et des Augustes, les érudits chinois se sont proposé de brosser le tableau d’un âge heureux où, sous des traits humains, régnait une vertu parfaite. Cependant les figures héroïques des premiers âges de la Chine conservent nombre de traits mythiques. (…) Depuis le début du 8ème siècle, l’histoire attribue aux Tcheou une existence languissante qui ne se termine qu’au 3ème siècle avant Jésus-Christ. Les Tcheou ne font alors que survivre à leur pouvoir. (…) Le roi P’ing dut abandonner sa capitale. Il fut affirmé que « les Tcheou étaient perdus ». (…) Des désordres analogues s’étaient produits à la fin des Hia comme à la fin des Yin. Les derniers souverains d’une race son essentiellement des tyrans et des rebelles. (…) Le Ciel les abandonne. (…) L’histoire se propose de montrer les principes de la grandeur et de la décadence des maisons royales. (…) Kie n’était pas un souverain incapable : c’était un tyran. « Il terrorisa les Cent familles » (traduisez : il a opprimé le peuple). (…) ce fut la fin de la dynastie. (…) Les Yin périrent avec Cheou-sin. Cheou-sin fut le plus odieux des tyrans. Il fit que tous furent dans sa dépendance. Il inventa le supplice de la poutre ardente. (…) C’en fut fait des Yin. La victoire des Tcheou fut assurée en deux temps, par les rois Wen et Wou. Le roi Wou sacrifia une partie de ses domaines (…) pour que tout esprit de contestation disparut. Il supprima l’odieux supplice de la poutre, agit en faveur « des paysans dans la limite de leurs champs », défendit les vieillards. Son fils, le roi guerrier, (…) exerçait sa cruauté sur les Cent Familles. (…) La décadence s’aggrava au temps du roi Li, assez stupide pour accaparer les richesses, alors qu’ « un Roi doit répandre la fortune et la répartir en haut comme en bas ». (…) Il employé les sorciers pour imposer silence à la critique ; pourtant rien n’est plus funeste que de « fermer la bouche au peuple ». Il dut abandonner son trône. Il y eut alors un interrègne (841-828). (…) Si les Tcheou ne furent point dès lors radicalement éliminés, c’est qu’il n’apparut en Chine (…) aucun nouveau fondateur de dynastie. (…) Un usage ancien invite à distinguer la période Tch’ouen ts’ieou de celle des « Royaumes combattants ». On devrait écrire « seigneuries combattantes », mais l’on dit « royaumes », car, en ce temps, plusieurs chefs de seigneurie prirent le titre de roi. Certains d’entre eux sont qualifiés d’ « Hégémons ». (…) Tous les seigneurs, dans leur propre pays, étaient désignés par le mot Kong (duc), mais on admettait qu’il existait entre eux des différences hiérarchiques. Aussi est-il d’usage de traduire les termes de la hiérarchie nobiliaire par les mots : duc, marquis, comte, vicomte, baron. Les ducs et les marquis formaient la hiérarchie supérieure, les autres la catégorie inférieure. Mais le mot « Po » (comte) servait encore à désigner les chefs (fang-po = hégémons) chargés d’assurer la police d’un orient du Royaume (fang). (…) Ts’i, Tch’ou, Ts’in et Tsin sont (avec Song) les pays qui fournirent chacun l’un des Cinq Hégémons traditionnels. (…) Nul roi, à la capitale, nul prince, dans les grands Etats, ne parvenant à gouverner, la Chine dans la période Tch’ouen ts’ieou ne put pas jouir de la paix. (…) Les seigneurs visaient à obtenir un certain équilibre fondé sur le respect des droits royaux, le maintien des situations acquises (…) Confucius (531- 479) se sentait investi de cette mission. Il passa la plus grande partie de sa vie à voyager de seigneurie en seigneurie à la recherche de qui saurait employer son talent. (…) Les 5ème, 4ème et 3ème siècle sont représentés comme une période d’anarchie et comme le temps d’une grande crise morale. Les grands Etats finissent par absorber presque complètement les petites seigneuries. L’ordre de la société cesse d’être fondé sur la tradition et sur des règles protocolaires. Le désir de puissance l’emporte ouvertement sur le souci de l’équilibre. (…) La fondation de l’Empire chinois apparaît à l’histoire non comme la fin, mais comme le courronnement d’une ère d’anarchie et d’aberration. (…) Quand le roi Nan, des Tcheou, entièrement dépouillé, mourut sans laisser de postérité, Ts’in s’empara du pouvoir. En 221, la Chine cessant d’être une confédération de seigneuries placées sous la suzeraineté d’un roi, devint un Empire. Cette organisation nouvelle devait durer de longs siècles. Cependant, le fondateur de l’Empire est, par un jugement presque unanime, considéré comme le pire des tyrans. (…) Tcheng prit le titre de Houang-ti (empereur). (…) En 212, l’empereur fit exécuter quatre cent soixante lettrés, pour l’exemple. (…) En 211 l’empereur mourut. On dut ramener son corps en grand secret dans la capitale. Sa tombe avait été creusée par 700.000 condamnés qui avaient subi la peine de la castration. (…) On enferma dans la tombe tous les artisans qui y avaient collaboré et toutes les femmes de l’Empereur qui n’avaient pas eu d’enfant le suivirent dans la mort. Ainsi furent surpassées la cruauté de Ho-lu et celle du duc Mou, cet ancêtre de Che Houang-ti, à propos de qui l’on avait dit que « Ts’in ne pourrait plus gouverner dans l’Est ». La dynastie des Ts’in fut détruite (en 207) presque immédiatement après la mort de son fondateur. (…) Comme son père, Eul-che multiplia les corvées et les exécutions et régna sans être bienfaisant. L’empire se révolta. (…) A la tyrannie qui vint couronner l’anarchie féodale succéda une anarchie aussi funeste. La révolte commença dans le pays de Tch’ou. (…) La rébellion gagna bien vite toute la Chine et, dès 208, la plupart des grnads Etats féodaux étaient reconstitués. (…) L’histoire des grands Etats féodaux, comme celle de Tsin, débute dans de petites seigneuries recluses dans les pays d’accès difficile. Ils pouvaient prendre à leur service les grandes masses barbares répandues dans les steppes, les montagnes, les zones marécageuses. (…) C’est sous leur pesée que s’est préparée l’unité chinoise. (…) En 478, dans le Ho-nan, les habitants de la ville de Jong-tcheou se révoltèrent contre leur seigneur, prince de Wei, qui avait osé les traiter de barbares. (…) Tout ce qui tendait à donner quelque force à un pouvoir central était envisagé comme une innovation impie. Plusieurs codes (de législation centrale) furent édictés à la fin du 6èmle siècle, celui de Tcheng en 535 (…) Après quoi l’histoire constate que la capitale de Tcheng fut détruite par l’incendie. (…) Il semble que les légistes voulaient augmenter l’importance des règlements et accroître la puissance de l’administration princière. Les innovations administratives furent considérées comme des attentats au droit privé : « Prenons nos vêtements, nos chapeaux, cachons les bien ! Prenons nos terres, associons-nous pour les défendre ! Qui tuera Tseu-tc’an ? Nous aiderons ce libérateur ! » (…) Le roi Tcheng de Ts’in, monté sur le trône en 247, dut à sa majorité (238) réprimer une révolte. (…) Le premier empereur Che Houang-ti ne régna que onze ans. (…) Il pratiqua largement le système de la transportation inauguré par ses prédécesseurs. En 239, il transféra du Chen-si au Kan-sou tous les habitants d’une ville révoltée. L’année suivante quatre mille familles furent, en guise de pénalité, transportées dans le Chou (Sseu-tc’ouan). Il y eut de nouvelles déportations en 235. (…) Il semble que l’Empereur ait voulu fonder l’unité morale de son peuple en cherchant à en faire un peuple d’agriculteurs. (…) Quand il accordait un droit assuré de propriété acquis par le paiement d’un impôt fixe, Che Houang-ti pensait à la stabilité de l’Etat. Il se méfiait des marchands. Il voyait en eux des spéculateurs et des fauteurs de troubles. Il déporta les boutiquiers en 214. Il s’était glorifié en 219 « d’avoir mis à l’honneur l’agriculture et proscrit la dernière des professions (le commerce) ». (…) On verra bientôt l’importance que prirent, sous les Han, le commerce et les questions monétaires. Ts’in Che Touang-ti, tout en multipliant de l’empire les possibilités de circulation, eut voulu empêcher l’essor commercial qu’elles entraînèrent. Il y voyait une cause d’instabilité sociale. (…) Fondée en 202 par un aventurier heureux, la première dynastie Han prit modestement la suite des Ts’in. (…) Les principes d’administration d’empire créée par Che Touang-ti subsistaient. (…) Les royaumes ne furent que des apanages donnés à titre précaire. Dans les apanages les plus importants, à Tch’ou et à Ts’i par exemple, on eut soin de mettre quelques parents de l’empereur. (…) L’empereur Wou monta sur le trône en 140. (…) Le but visé par l’empereur Wou fut de réduire la féodalité à une simple apparence.

« Endiguer, fermer la bouche, du peuple, c’est plus difficile encore que d’arrêter un torrent. Le torrent que l’on veut obstruer rebondit et cause encore plus de dommages aux hommes ; il en est ainsi du peuple. »

Le kong de Tai (petite localité du Shen-si) au roi de Wei (une des grandes royautés de la Chine féodale)

KOUE-YÜ
Discours des royaumes

“When Chou was a child, Wei Tse observed that he had no good character. Inclined to evil, he did not eclipse the common people, and when he had grown up, he caused endless revolutions.”

LUN-HÊNG
Philosophical essays

L’empereur Zhou, chassé de Xi’an par une jacquerie paysanne en 771 avant Jésus-Christ, établira sa nouvelle capitale plus à l’Est, à Luoyang, dans la province actuelle du Hénan. Les membres de la famille royale et les nobles du premier cercle détiendront l’essentiel du pouvoir et des richesses, dans le cadre d’un système féodal très hiérarchisé tirant ses revenus d’une économie rurale.

Chaque seigneur obtiendra un territoire en usufruit, en contrepartie de taxes qu’il devra reverser à l’empereur. La terre était répartie en parcelles carrées divisées en neuf parties égales. Les huit parcelles extérieures étaient attribuées à huit familles paysannes, qui s’associaient pour cultiver la parcelle centrale, dont la récolte était destinée à la noblesse. Ce système sera considéré par les dynasties suivantes comme le mode de répartition le plus juste des terres arables.

Les fouilles des vestiges de cette époque livreront des instruments de musique, des récipients alimentaires (parfois de très grande taille), et des armes souvent fabriqués en bronze. L’écriture, couramment utilisée, permettra de consigner les évènements historiques à partir de 841 avant Jésus-Christ. Le premier empereur de Chine fera établir un premier index de 3.300 mots.

La philosophie de Tao verra le jour durant le règne de la famille Zhou, au cours duquel naîtra Confucius (Kongfuzi en chinois). Ce dernier soutiendra une restauration des institutions politiques et sociales des premiers Zhou, modèles de vertu, qui devait entraîner la création d’une classe de fonctionnaires vertueux et cultivés. Sa morale : une pensée juste aboutit à une attitude juste. Mencius et Xunzi reprendront à leur compte et développeront les théories de Confucius entre 298 et 238 environ avant Jésus-Christ.

Le prince Liu Xiu, qui deviendra Guang Wudi, fondera la dynastie des Han postérieurs (Houhan), ou Han orientaux (Donghan). Leur capitale sera transférée à Luoyang.

La Chine repoussera les Xiongnu vers l’Ouest au Ier siècle. L’expansion vers la Mer Caspienne se traduira par la conquête du bassin du Tarim, achevée par le général Ban Chao. Son armée prendra Kasghar au Turkestan. Ban Chao infligera une défaite, en 91, aux Indiens du Kushana dont l’armée est conduite par Kanishka. Son fils Ban Yong repoussera ensuite une tentative de conquête du bassin du Tarim par les Koushans d’Inde.

Les Chinois, qui contrôleront la route de la Soie, développeront un commerce actif avec les peuples barbares d’Occident. L’empire sera affaibli dans la seconde moitié du IIème siècle par la pression des tribus Qiang, dans le Nord-ouest.

Les luttes entre fonctionnaires et eunuques du palais, dont l’influence sera grandissante, favoriseront la chute d’une dynastie qui n’a pas su rétablir l’efficacité de l’administration. Des enfants seront couronnés empereurs. Deux révoltes, menées par des sectes taoïstes éclateront en 184, à la suite de catastrophes agricoles. Celle des Turbans jaunes ravagera le Shandong et les provinces voisines et celle de la Société des cinq boisseaux de riz, au Sichuan, ne sera matée qu’en 215 par le général Cao Cao. Les Xiongnu menaceront de nouveau les frontières, vers 196

Le général Ts’ao Ts’ao déposera le dernier empereur Han. Le pays sera divisé en pays en trois royaumes :
 Wei au Nord (bassin du Fleuve Jaune), le plus peuplé
 Shu au Sud-oust
 Wu au Sud-est

Le royaume Wei rétablira une apparente unité en Chine vers 265. Le Tarim sera abandonné. Les guerres entre les trois royaumes se solderont par la ruine du pays et la diminution de la moitié de la population. Chaque bataille s’accompagnera de la décapitation de dizaines de milliers de soldats vaincus. Les luttes violentes entre les membres de la famille royale entraîneront la guerre entre les Huit Princes, à la fin du IIIème siècle.

Ying Zheng (259/210 avant Jésus-Christ), fils du prince Zhuang Xiang des Qin, accèdera au trône à l’âge de treize ans. Il s’autoproclamera empereur seize années plus tard, après avoir annexé les royaumes de Han, Wei, Chu, Yan, Zhao et Qi de 230 à 221 avant Jésus-Christ.

Le souverain fondera ainsi la dynastie des Qin, le premier état unifié, multiethnique et centralisé dans l’histoire de la Chine.

Ying Zheng se donnera le titre de Shi Huang Di (premier empereur) dans l’intention de transmettre son pouvoir de génération en génération. Il remplacera l’ancien système d’inféodation par une division administrative du pouvoir en 36 préfectures divisées en districts, gérées par un appareil bureaucratique centralisé placé sous le contrôle direct de l’empereur. Ce dernier promulguera des lois basées sur les anciens règlements du royaume des Qin et certaines réglementations des six royaumes annexés. L’abolition des aristocraties héréditaires permettra de nommer des gouverneurs compétents et soumis.

Préférant l’agriculture au commerce, l’empereur encouragera la propriété privée des terres. Il donnera l’ordre, en 216 avant Jésus-Christ, de protéger celles qui étaient détenues par les propriétaires fonciers et les cultivateurs, à condition que ceux-ci paient convenablement les impôts. Il unifiera les mesures de poids et de longueur, les monnaies, et généralisera les caractères de style sigillaire. Il dotera le pays d’un réseau de routes impériales et de canaux d’irrigation.

Le Confucianisme sera écarté au profit du légisme qui donnera naissance à une réglementation pénale unique pour l’ensemble des activités et permettra l’enrichissement de l’Etat. Le légisme sera notamment défendu par Li Si, réformateur du royaume Qin et par le philosophe Han Fei. Les autres écoles de philosophie deviendront hors-la-loi. Che Houang Ti fera brûler les ouvrages qui pouvaient promouvoir une culture contraire en 216 avant Jésus-Christ, notamment le "Livre des Odes" et le "Livre de l’Histoire", ainsi que différents ouvrages philosophiques. Les livres pratiques seront épargnés. Le souverain interdira les écoles privées et fera enterrer vivants à Xianyang, capitale des Qin, quatre cents lettrés et alchimistes.

Xin s’entourera de disciples de Confucius qui rétabliront les règles de la dynastie mythique Tcheou, ayant régné sur la province du Chen-Si de 1000 à 500 avant Jésus-Christ.

Récusant la guerre, les conseillers prôneront le rétablissement d’un gouvernement patriarcal, la tempérance en toute chose et le culte des ancêtres. Wang Mang instaurera une politique sociale volontariste, parfois qualifiée de dictature socialiste. Il imposera un partage des grandes propriétés agricoles, instaurera le contrôle des prix et interdira les trafics d’esclaves.

Ces réformes généreuses, qui désorganiseront l’économie et provoqueront des disettes, entraîneront des jacqueries paysannes. La plus célèbre sera celle des "Sourcils rouges", les insurgés se peignant les sourcils pour se reconnaître. Deux princes de la dynastie Han s’empareront de Wang Mang dans son palais de Tch’ang-ngan (à l’Ouest de la Chine). L’usurpateur sera décapité et les Han restaureront leur dynastie qui gouvernera la Chine deux siècles supplémentaires.

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LES ROYAUMES COMBATTANTS

Cette période féodale, qui caractérise les cinq derniers siècles de la dynastie Tcheou, est divisée en deux parties. La première, de -722 à -484 (ou, d’après une chronologie rectifiée, de 770 à 481), est appelée tch’ouen ts’ieou, « les Printemps et les Automnes », du nom de la chronique officielle de la principauté de Lou. La seconde, de 484 à 221 (ou 480 222), est appelée tchan houo, « les Royaumes Combattants ».

A peine constitués et organisés, ces États entrèrent en lutte, par la force militaire ou la diplomatie. Des ligues se formèrent, « horizontales » ou « verticales », pour barrer le chemin aux visées expansionnistes venant du Nord ou de l’Ouest. A tour de rôle, les feudataires les plus puissants s’assurèrent l’hégémonie. Il y eut, dit on, « cinq Hégémons », wou pa. L’hégémonie des princes du Ts’i, puis celle des princes du Tsin, s’écroulèrent aussi rapidement qu’elles s’étaient formées. Tsin s’allia alors avec Wou, mais ce dernier État fut annexé par Yue en 473 et Tsin, entre 437 et 376, sombra dans les révoltes internes. Ne restèrent alors en présence que trois grands États : Ts’i, Tch’ou et Ts’in, avec quelques principautés secondaires. Ce furent les « Royaumes Combattants ». Tch’ou absorba d’abord les principautés de Tch’en, de Lou et de Yue. Mais Ts’in, sous la conduite de quatre princes successifs : Houei-wen, Tchao-siang, Tchouang siang et surtout Tcheng — ils avaient pris le titre de roi, wang — vainquit l’un après l’autre les États du Nord et, au Sud, triompha de Tch’ou. En un siècle, toutes ces souverainetés rivales avaient disparu. Le domaine royal des Tcheou fut annexé en 256 : depuis longtemps, le rôle de la dynastie était réduit à néant. En 221 av. J. C., le roi de Ts’in, Tcheng, prit le titre de Che houang ti, « le Premier Empereur ». Ainsi fut fondé l’Empire chinois. Il devait durer vingt deux siècles. (…) Le fils de Che houang ti, le « Deuxième Empereur », Eul che houang ti, ne fut qu’un tyran incapable. Il fut tué au cours d’une révolte dont l’un des chefs, Lieou Pang, fonda la dynastie Han (206 av. J. C.). (…) Après la restauration de la dynastie succédant à l’usurpation de Wang Yang, il fallut de nouveau affirmer l’imperium chinois, ébranlé par cette révolution intérieure. Succédant à Kouang Wou ti (25 57), qui ouvre la série des Han Orientaux, Ming ti (58 75) dut reconquérir l’Annam, puis les régions de l’Asie centrale, jadis soumises par l’empereur Wou. Ce fut l’œuvre du général Pan Tch’ao qui, au cours de campagnes mémorables, reconquit tous les royaumes perdus jusqu’aux Pamirs. C’est à cette époque que la dynastie Han atteignit, pour la deuxième fois, son apogée. La décadence apparut vers la fin du IIe siècle.
L’interrègne de Wang Mang fut marqué par des essais de réformes sociales et économiques très diversement appréciés, une grande impulsion donnée à l’étude — à la fabrication, prétendent certains — de la littérature confucianiste, et des révoltes de paysans dirigées par la société secrète des « Sourcils Rouges ».
(…) Ts’in Che Houang ti avait achevé de détruire la féodalité. Celle ci avait fait un retour offensif à la faveur des troubles qui suivirent la chute des Ts’in. Lorsque Kao tsou saisit le pouvoir, il se trouvait dans l’Empire sept rois, wang, qui n’appartenaient pas au clan impérial et pas un membre de ce clan n’avait le titre de roi.
Kao tsou, dont l’accès au trône fut le résultat d’une Révolution prolétarienne, dut tout d’abord lutter contre l’aristocratie renaissante. Les sept rois furent éliminés les uns après les autres. Peu à peu, les nobles des anciennes principautés disparurent déportés aux environs de la capitale, les domaines des grands seigneurs furent confisqués. Plus tard, Kao tsou essaya, sans grand succès, de reconstituer une aristocratie en décidant que seuls les fils des empereurs pourraient porter le titre de roi et posséder des commanderies en fief. A sa mort, neuf de ses fils ou parents se trouvaient ainsi pourvus. Un certain nombre de ses anciens compagnons d’armes reçurent également des titres de noblesse. Mais l’aristocratie nouvelle différa p.34 profondément de celle des générations précédentes. Aux familles d’ancienne noblesse se substituèrent peu à peu des nobles fraîchement sortis du peuple. Ce sont eux qui, désormais, enrichis par les revenus de leurs terres, auront le privilège effectif de détenir les grandes fonctions politiques. Leur rôle ira diminuant à mesure que s’usera la dynastie. ils s’enliseront peu à peu dans l’oisiveté, le luxe, la vie brillante de la cour.
C’est sous les Han que commença à se constituer une classe sociale à laquelle devait appartenir le premier rôle dans l’histoire de la Chine, et cela jusqu’à nos jours. La disparition du système féodal mit sur le marché de vastes domaines que se disputèrent les « nouveaux riches » de l’époque : marchands, gros propriétaires de village. La terre est restée en Chine, durant des siècles, le seul mode d’investissement connu. Faute de pouvoir exploiter eux-mêmes des domaines trop étendus, leurs acquéreurs durent les donner à bail — souvent à leurs propres vendeurs. Ces grands propriétaires fonciers vivaient ainsi du produit de fermages très élevés, se réservant seulement sur le domaine une maison des champs occupée par une partie de leur famille, qui contrôlait la rentrée des fermages, tandis qu’eux mêmes, avec le reste de leur famille, s’installaient à la ville la plus proche. Autour d’eux se groupaient des clientèles : protégés, yin jen ; « hôtes du vêtement et de la nourriture », yi che k’o ; hôtes cultivateurs, tien k’o. Les familles de propriétaires fonciers, outre qu’elles possédaient autorité et influence, jouaient en fait le rôle de collecteurs d’impôts. Il eut été peu sage de la part de la nouvelle dynastie d’établir des organismes de perception indépendants de ce système, dont les bénéficiaires seraient devenus des opposants déterminés du régime.
En même temps, les membres de la classe des propriétaires fonciers qui vivaient dans les villes devinrent assez riches pour être en mesure de se livrer à d’autres occupations — vie sociale, éducation, politique, tous moyens p.35 d’acquérir influence et pouvoir. Par la suite, toutes les personnes qui s’enrichissaient d’une manière quelconque accédèrent à cette classe des propriétaires fonciers. Il semble finalement que cette classe nouvelle qui, en un siècle, élimina l’aristocratie féodale créée par les premiers empereurs Han, devint et resta jusqu’à nos jours la pépinière des lettrés, c’est à dire des fonctionnaires. L’unification du monde chinois profita donc avant tout à la classe des lettrés qui prit, dès lors, la première place dans l’État et ne la perdit jamais. Ainsi le phénomène qui vient d’être analysé se présenterait il comme l’une des données fondamentales de l’histoire chinoise.
La classe des lettrés, avant de devenir définitivement la première de l’État, eut à surmonter maintes fois l’opposition forcenée d’autres groupes, à certaines époques très puissants. C’était d’abord les membres des « clans extérieurs », wai t’si, c’est à dire les parents des concubines impériales parvenues au rang d’impératrices, parce qu’elles sont les favorites. du moment ou qu’elles ont donné un fils leur maître. Le clan de l’impératrice Lu, la veuve de Kao-tsou, plus tard celui des Wang, auquel appartiendra Wang Mang, plus tard encore celui de l’impératrice Leang, ont dominé l’État. Du chef de ce dernier clan, Leang Ki, out puissant pendant une vingtaine d’années, on a pu écrire : « Ce temps lui a suffi pour cumuler toutes les fonctions possibles, pour acquérir une fortune évaluée à trois milliards, mettre sur le trône deux empereurs fantoches et lacer dans des positions lucratives tous ses parents. Sa famille peut se vanter d’avoir donné à l’Empire deux maréchaux, trois impératrices, six concubines impériales, sept marquis et cinquante sept grands fonctionnaires. » L’usage d’ennoblir les proches parents des impératrices apparaît sous l’empereur Siao king (King ti).
Un autre groupe social dont les intrigues ont perdu mainte dynastie chinoise est celui des eunuques. L’usage d’employer des eunuques comme secrétaires privés p.36 impériaux remonte à l’empereur Wou. Che Hien, l’eunuque favori de l’empereur Yuan, contrôla pendant quinze ans le gouvernement de l’Empire. Et les luttes pour le pouvoir que se livrèrent les eunuques et les « clans extérieurs » amenèrent la chute des Han de l’Ouest et l’usurpation du trône par Wang Mang. Le mal s’aggrava à partir de Ho ti, des Han Orientaux. Mais les empereurs s’appuyèrent de plus en plus sur les eunuques, qui vivaient dans leur intimité, pour lutter contre d’autres influences, celle des aristocrates, des lettrés, des « clans extérieurs ». Les rivalités entre ces divers groupes furent souvent implacables et chacun d’eux connut tour à tour le prestige et l’infamie. Les lettrés, persécutés par Ts’in Che houang ti, qui en fit mettre à mort quatre cent soixante en 212 av. J. C., sont tout puissants sous Kouang Wou ti, des Han. Mais en 169 ap. J. C., Ling ti, à l’instigation des eunuques dont les agissements avaient attiré les protestations des lettrés, procéda à une exécution massive de ces derniers. Un grand nombre d’autres furent jetés en prison. Quelques années plus tard, tous les eunuques du palais seront à leur tour exterminés par le porte parole des lettrés, Yuan Chao.
Les milieux ruraux du temps des Han étaient, semble-t il, constitués en haut par un petit nombre de grands propriétaires riches, pour la plupart fonctionnaires ou descendants de fonctionnaires, payant très peu d’impôts, et au dessous, par un véritable prolétariat de paysans. On a vu que les grands propriétaires faisaient cultiver leurs terres par des fermiers. Souvent aussi les travailleurs appartenaient à la classe sociale la plus basse, celle des esclaves, nou pei.
Ces esclaves avaient des origines variées. Les criminels et leurs familles en fournissaient une partie. En 120 av. J. C., Wang Wen chou, administrateur de la commanderie du Ho nei, fit arrêter plus de mille familles kao houa, notables de village qui terrorisent leurs voisins, les réduisant à merci par des prêts usuraires, s’emparant ensuite p.37 de leurs terres et se constituant ainsi de vastes domaines qu’ils louent à leurs anciens propriétaires. Les membres de ces familles furent réduits en esclavage au profit de l’État. Mais il y a de nombreux cas d’esclavage volontaire privé. En temps de détresse économique, de misérables paysan vendent ou mettent en gage leurs enfants comme esclaves. Un rapport adressé par Tch’ao Tso à l’empereur Wen, en 178 av. J. C., mentionne ces pratiques, qui ont persisté en Chine jusqu’à une époque récente. Enfin, l’importation d’esclaves étrangers a toujours été en faveur dans les classes supérieures plus ou moins cosmopolites des périodes d’expansion chinoise. Cependant, sous les premiers Han, où il semble que l’esclavage ait atteint un degré de développement élevé, on estime que les esclaves représentaient moins de 1 % de la population totale.
Quant au prolétariat rural qui, de tout temps, a constitué les sept ou huit dixièmes de cette population, il se composait de paysans sans terres ou petits propriétaires, dont les plus heureux cultivaient des lots de terre des villages, tandis que les autres émigraient (l’époque des Han est une époque de colonisation intense de la Chine méridionale encore presque déserte), se faisaient soldats ou pirates, se louaient comme ouvriers agricoles, ou affermaient les terres des grands propriétaires suivant leur caractère et leurs capacités, sans jamais, que par exception, réussir à sortir définitivement de la misère. Vivant trop au jour le jour pour se constituer une réserve, et par suite toujours à la merci des augmentations des charges (moins par l’impôt que par la corvée et le service militaire), toujours endettés, ils font argent de tout, jusqu’au jour où, entraînés par les sociétés secrètes, ils se révoltent, renversent la dynastie régnante et contraignent celle qui arrive au pouvoir à annoncer un programme de réformes agraires. Mais les lettrés fonctionnaires continuent d’investir en terres leurs profits, les paysans continuent de supporter des charges toujours plus lourds et le cycle recommence.
p.38 L’aristocratie commence à perdre son influence sous les Ts’in. En même temps se fait sentir, pour la première fois dans l’histoire de la Chine, celle des marchands. C’est un riche marchand, Lu Pou wei, qui a exercé la régence au temps où le « Premier Empereur » n’était encore que le prince Tcheng. Ce sont les marchands qui réclameront l’unification des poids et mesures et de l’écartement des essieux. Sous les Han, l’expansion géographique de la Chine, la conquête ou l’exploitation de nombreux pays étrangers, le développement remarquable des communications favorisent la constitution d’une riche bourgeoisie commerciale.
Le sel, le fer, les chevaux, les produits de luxe, perles, soieries, or, bronze, jade, laques, épices, offrent autant de moyens de faire fortune, tandis que les classes supérieures s’enrichissent par les taxes, les corvées, le travail des artisans. D’autres fortunes s’édifient sur l’exploitation de mines, de fonderies, sur le commerce des grains, des prêts d’argent. Mais la classe des marchands ne tarde pas à encourir la défaveur générale. Déjà les philosophes de la fin des Tcheou leur reprochaient de diminuer la matière taxable et la tradition chinoise est d’exalter l’agriculture. Les lettrés Han voient d’un mauvais œil ces ennemis du paysan, avec leurs habitudes de luxe et leur cosmopolitisme, leurs activités qui engendrent l’inflation monétaire et jettent le trouble dans une économie rurale où le grain est la commune mesure des échanges. Et puis, ces nouveaux riches accaparent les terres pour y investir leurs profits. Dès le début de la dynastie, des mesures sévères sont prises contre les marchands. Ils sont lourdement taxés. Il leur est interdit de porter des vêtements de soie, d’avoir des chars, d’occuper des fonctions publiques. Plus tard, on leur retirera le droit d’acheter des terres. On gêne leurs activités en créant des monopoles d’État et des « greniers d’égalisation », p’ing ts’ang, en stabilisant les prix, en faisant aux paysans des prêts de semences et de nourriture. p.39 Mais ces mesures n’agissent que médiocrement et sous l’empereur Wou, par exemple, on voit les marchands prospérer à l’envi aux dépens de l’agriculture, négligée par de nombreux paysans qui vont chercher fortune dans les grandes villes et se livrent à des spéculations commerciales.
L’industrie n’est guère représentée que par des artisans, que l’État favorise, tandis qu’il persécute les marchands. A la capitale, d’innombrables artisans exercent toutes sortes de métiers, dont beaucoup sont de véritables métiers d’art, et contribuent ainsi au luxe de la cour et des classes riches. Quant aux matières premières et à certains produits fabriqués, le gouvernement des Ts’in s’en réserve le monopole et celui-ci sera maintenu longtemps par les Han. Toutefois un débat fameux eut lieu, au cours de l’ère che yuan (86 81 av. J. C.) de l’empereur Tchao, à propos du monopole du sel et de celui du fer. Attaquées par les lettrés, ces institutions furent défendues par le yu che ta fou Sang Hong yang. La controverse fit l’objet d’un ouvrage en 10 livres, dû au lettré Houan K’ouan, le Yen tie louen (Discussions sur le sel et le fer), et publié sous l’empereur Siuan (73 49 av. J. C.).
(…) La structure de la société des Han était trop délicate pour résister à une crise grave : la révolte des Turbans Jaunes, puis les rivalités des généraux et gouverneurs provinciaux qui se disputèrent le pouvoir un demi-siècle durant sous des empereurs impuissants la détruisirent de fond en comble. La population des campagnes, que la carence de la police publique laissait sans défense à la merci des bandes armées (pirates ou soldats), s’enfuit en abandonnant ses champs (ce furent les « familles errantes », lieou li kia), ou se mit sous la protection des grandes familles là où celles ci étaient capables de maintenir un peu d’ordre. Après le passage de Tong Tcho et de ses lieutenants à Tch’ang ngan (191), toute la région avoisinante resta p.74 déserte pour plusieurs années : des centaines de milliers d’habitants de la vallée de la Wei avaient fui jusqu’aux bords du Yang tseu, où Ts’ao Ts’ao les trouva encore installés une trentaine d’années plus tard. Dans d’autres régions, les paysans, sans fuir aussi loin, se cachaient dans la montagne ou dans les marais avoisinants.
Les grandes familles se défendaient mieux, fortifiaient leurs résidences, armaient leurs membres, leurs fermiers, leurs esclaves. Ainsi se constituaient des compagnies, pou kiu, de soldats privés, kia che ou kia ping. A ces noyaux de résistance s’agrégèrent les petits propriétaires, mais à un rang subordonné ; ils devinrent des protégés, yin jen. Il y en avait deux classes : les « hôtes du vêtement et de la nourriture », yi che k’o, les parents pauvres, protégés jusqu’au septième degré et qui imposaient leur entretien aux trois premiers degrés des branches prospères de la famille ; les autres formaient la foule des « hôtes cultivateurs », tien k’o. Au début du IIIe siècle, les cinq sixièmes de la population s’étaient ainsi trouvés sous la protection du dernier sixième. La situation de ces protégés, qui n’existaient pas sous les Han Postérieurs, ne ressemblait en rien à celle des colons du monde méditerranéen : ils n’étaient pas liés au sol, mais au seigneur, et celui-ci les emmenait avec lui quand il changeait de séjour. Li K’ien ayant quitté vers 190 193 son domaine de K’iu ye (dans le Chan tong actuel) à cause des troubles, pour aller s’installer à Tch’eng che (dans le Chan tong actuel, au sud de la même sous préfecture K’iu ye), qui lui paraissait plus tranquille, y emmena plusieurs milliers de familles d’« hôtes », c’est à dire de clients et de salariés de sa famille. Et quand, un quart de siècle environ après, son fils Tien devint marquis de Tou t’ing, ces trois mille familles furent de nouveau déplacés, et transférées dans son fief, près de Ye (dans le Ho nan actuel) : elles comptaient treize mille personnes. D’aussi longs déplacements devaient être rares, car transporter tant de monde coûtait cher et était fort difficile ; mais on p.75 voit à tout instant des patrons déplacer quelques dizaines de familles de leurs clients.
Au début de la dynastie Tsin, dans la seconde moitié du IIIe siècle, l’empereur Wou ayant reconstitué l’unité impériale et rétabli la paix, s’efforça par tous les moyens de faire sortir les paysans de cette dépendance : en 265, il rendit la liberté à tous les engagés qui faisaient partie p.76 de l’armée, pou kiu, et la mesure fut prise encore une fois en 277. En 280, s’attaquant directement à la clientèle des grandes familles, il en fixe l’importance d’après le rang du patron : les « hôtes du vêtement et de la nourriture » ne devaient pas dépasser trois pour le plus haut dignitaire et un pour les petits fonctionnaires ; « les hôtes cultivateurs », de quinze familles pour les fonctionnaires du premier et du second rang à une famille pour ceux du neuvième rang. Ces mesures n’eurent qu’un succès limité : les paysans répugnaient à abandonner la position à laquelle ils étaient habitués, malgré ses inconvénients. Néanmoins, la population libre doubla lentement en une quinzaine d’années. Mais bientôt la guerre civile et les invasions barbares montrèrent que le gouvernement central était incapable d’assurer la sécurité des campagnes et les petites gens durent rentrer dans cette clientèle dont quelques uns avaient été libérés un instant. Cette fois ce fut définitif ; sans devenir esclaves ou serfs, ils rentraient dans la clientèle des grands et formaient peu à peu une classe intermédiaire entre les hommes libres, lang, leang, et les esclaves, nou pei : celle des clients, pou k’iu et des « familles diverses », tsa hou, que connaît encore le Code des T’ang et dont il détermine la situation juridique. Ceux qui échappaient à la « protection » furent presque tous de grands propriétaires avec des domaines très étendus. »

HENRI MASPERO
« Les institutions de la Chine »

Le père J-B du Halde

"Description de la Chine"

L’ empereur Tsong Tching demeuroit
tranquille dans sa capitale, et il n’ avoit
gueres sujet de l’ être. Le supplice injuste
auquel il avoit condamné un ministre
accredité et lié avec les principaux de la
cour, sa séverité excessive, et son extrême
avarice, qui l’ empêcherent de rien
relâcher des tributs ordinaires qu’ il exigeoit
du peuple, et cela dans le tems de la
plus grande disette, aigrirent extrémement
les esprits et les porterent à la révolte :
les mécontens se multiplierent dans la
capitale et dans les provinces.
Un chinois de la province de Se
Tchuen nommé Li Cong Tse, homme hardi
et entreprenant, profita de ces conjonctures,
et se mit à la tête d’ un grand nombre de séditieux.
Son armée grossissoit
tous les jours, par la multitude
des mécontens qui s’ y joignoient. En
peu de tems il se rendit maître de plusieurs
villes considérables, il conquit
des provinces entieres, et gagna les peuples
en les éxemptant des tributs dont ils
étoient surchargez, en destituant les
magistrats, et en les remplaçant par
d’ autres, sur la fidélité desquels il comptoit,
et à qui il commandoit de traiter
ses sujets avec douceur. D’ un autre côté
il saccageoit les villes où il trouvoit la
moindre résistance, et les abandonnoit
au pillage de ses soldats.
Enfin après s’ être enrichi des dépoüilles
de la délicieuse province de Ho-Nan,
il pénétra dans la province de
Chen Si, où il crut qu’ il étoit tems de
se déclarer empereur. Il prit le nom de
Tien Chun qui signifie, celui qui obéit au
ciel, afin de persuader aux peuples qu’ il
étoit l’ instrument dont le ciel se servoit,
pour les délivrer de la cruelle tyrannie
des ministres qui les opprimoient.
Quand le rebelle se vit dans le voisinage
de Peking, où la division qui régnoit
parmi les grands, lui avoit donné
lieu de ménager par ses emissaires des
intelligences secretes, il ne perdit point
de tems, et songea sérieusement à se rendre
maître de cette capitale : elle se trouvoit
désarmée d’ une grande partie des
troupes, qu’ on avoit envoyées sur la
frontiere de Tartarie : plusieurs des
chefs de celles qui y restoient, étoient
gagnez, et prêts à seconder le dessein
du tyran : de plus, il avoit fait glisser
dans la ville grand nombre de ses plus
braves soldats déguisez en marchands,
ausquels il avoit donné dequoi lever des
boutiques, et faire le commerce, afin
que dispersez dans tous les quartiers,
ils pussent y répandre la terreur, et favoriser
son irruption, lorsqu’ il se présenteroit
avec son armée devant les murailles.
Des mesures si bien prises lui réüssirent :
à peine parut-il, qu’ une des portes
de la ville lui fut ouverte avant le
lever du soleil : la résistance que firent
quelques soldats fidéles, ne fut pas longue.
Li Cong Tse traversa toute la ville
en conquerant, et alla droit au palais.
Il avoit déja forcé la premiere enceinte,
sans que l’ empereur en eût connoissance,
et ce malheureux prince n’ apprit
sa triste destinée, que lorsqu’ il ne lui
étoit plus libre d’ échaper à la fureur
de son ennemi. Trahi, abandonné de
ses courtisans, et craignant plus que la
mort de tomber vif entre les mains d’ un
sujet rebelle, il fit un coup de désespéré,
il descendit dans un de ses jardins avec
sa fille, et après l’ avoir abbatue à ses
pieds d’ un coup de sabre, il se pendit à
un arbre.

Le père Évariste HUC, dans "L’Empire Chinois" :

"Pour qui connaît la Chine et son histoire, il n’y a là rien de bien surprenant. Ce pays a toujours été la terre classique des révolutions, et ses annales ne sont que le récit d’une longue suite de commotions populaires et de bouleversements politiques."

CHRONOLOGIE DES REVOLUTIONS EN CHINE

-841 av. J.C.

En Chine, succès de la révolte contre le cruel roi Li-Wang de la dynastie Zhou qui régna de 878 à 841 av. J.-C.

- 210 av. J.C.

Le premier empereur de la Chine, Hin Zong, termine son règne, sous la menace de la révolution et sans contrôle sur l’essentiel du pays. Une insurrection générale de forçats et de paysans sous la direction d’un paysan pauvre Tcheng Cheng mit fin à la dynastie des Ts’in. La monarchie despotique s’effondra mais l’insurrection populaire fut écrasée grâce à l’intervention de l’ancienne noblesse féodale évincée du pouvoir par la dynastie Ts’in. La lutte pour le pouvoir entre les différentes bandes armées rivales se termina par la fondation de l’empire de Han par un plébéien, ancien gendarme sous l’empire Ts’in (206 av. notre ère).


de - 18 après J.C. à - 17 après J.-C.

révolution des "sourcils rouges"

de 184 à 192

Au printemps de l’an 184, Zhang Jiao , fondateur de la secte taoïste Taïping (« grande paix » qui régnera quand les Han seront éliminés), soulève le peuple chinois contre la dynastie Han, jugée décadente et corrompue. Les partisans de Zhang arborent sur leur front un foulard jaune (huángjīn) en signe de ralliement, ce qui donna son nom à la révolte Huáng jīn zhī luàn des turbans jaunes.
Assiégés, les Han lancent un appel à l’aide et ordonnent une campagne contre les Turbans jaunes qui se comptent par centaines de milliers. De puissants et célèbres généraux répondent à cet appel. Les Turbans Jaunes vont se dissoudre avec la mort de leur chef. Le commandant des forces impériales, He Jin, mate le reste de la rébellion. Zhang Bao et Zhang Liang sont eux aussi tués au combat. Des insurrections sporadiques persisterons néanmoins jusqu’en 192. Ce soulèvement est un des facteurs de la chute des Han.

617 à 623,

Guerre civile chinoise
La tyrannie de Yang Ti est renversée par une révolte populaire, dirigée par Li-Huan T’ang qui, aidé par son fils Tai Tsong, conquiert progressivement le pouvoir royal.

756

Échec d’une révolte populaire contre l’Empereur en Chine

764

Échec d’une révolte générale en Chine

861

Révolte paysanne en Chine
Une révolte paysanne, d’abord victorieuse, est écrasée en Chine

874 à 883

Révolution chinoise
Les paysans se soulèvent contre la classe dominante. Ils conquièrent de larges fractions du territoire, y compris la capitale. Ils partagent les biens entre les pauvres. Mais, ils sont finalement écrasés par les armées de l’Empereur.

1622

Échec du soulèvement des « bonnets rouges » en Chine


1628 à 1644

Révolution et guerre civile en Chine
Le peuple chinois se soulève contre l’incurie des Empereurs Ming. Sous la conduite de Li Tseu Tch’eng, il remporte la victoire, s’empare de Pékin. Mais les révoltés sont écrasés par les armées rappelées de Mandchourie. Et la Chine est conquise et dominée par les Mandchous.

1850 à 1864

Révolte des Tai-Ping
Le peuple chinois se soulève contre la domination mandchoue et pour mettre fin au régime d’exploitation et d’oppression. Après la prise de Nankin par les révoltés, les troupes Anglo-américaines interviennent et collaborent avec les mandchous pour abattre le soulèvement populaire.

1889 à 1901

Révolte des Boxers en Chine
Un soulèvement du peuple chinois contre la domination étrangère est écrasée par les troupes américaines, anglaises, japonaises et européennes.

1911-1919

Révolution nationale et anti-impérialiste de Sun Yat Sen

1925-1927

Révolution prolétarienne en Chine

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Les Mémoires historiques de Se-ma Ts’ien :

"Le grand dignitaire Leang fou, (comte de) Joei, blâma le roi Li en lui disant :
— La maison royale court à sa perte. En effet, le duc de Yng aime accaparer les richesses et il ne sait pas quelles graves difficultés (s’ensuivront). L’utilité est ce que produisent tous les êtres, (qui eux mêmes) sont soutenus par le ciel et par la terre. Si l’on vient à l’accaparer, c’est une cause de maux nombreux. Les cent espèces d’êtres qui dépendent du ciel et de la terre, tous (les hommes) veulent les prendre ; comment pourrait on les accaparer ? ceux qu’on irriterait seraient fort nombreux et comment ne préparerait on pas ainsi de graves difficultés ?
 C’est pourquoi j’avertis Votre Altesse, car comment pourrait elle mener longtemps cette conduite ? Celui qui règne sur les hommes doit diriger l’emploi de ce qui est utile et le répartir en haut et en bas de façon à ce que parmi les dieux, les hommes et tous les êtres il n’y en ait aucun qui n’atteigne à sa perfection. Il y fait une attention de tous les jours et craint d’exciter contre lui l’animosité. C’est pourquoi une ode chantée aux sacrifices dit :
O parfait Heou tsi !
Vous avez été digne d’être placé à côté du Ciel ;
Vous avez donné à manger à la foule de notre peuple ;
C’est uniquement l’effet de votre perfection.
Et dans le Ta ya, il est dit :
Il répandit ses bienfaits de manière à soutenir les Tcheou .
« N’est ce pas la preuve que, s’ils n’avaient pas réparti les avantages, ils (les anciens princes) auraient craint les difficultés ? C’est grâce à ces principes qu’ils ont pu maintenir la (maison) des Tcheou jusqu’à aujourd’hui. Maintenant Votre Altesse étudie les moyens d’accaparer ce qui est utile ; comment le peut elle faire ? Un homme du commun, s’il s’approprie un objet utile, est déclaré un voleur. Si quelqu’un est roi et qu’il agisse ainsi, il verra peu de sujets lui rester soumis. Si le duc de Yng est écouté, les Tcheou sont perdus.]
Le roi Li n’écouta pas ces conseils, mais en définitive, il fit du duc de Yng un haut dignitaire et l’employa dans les affaires. Le roi eut une conduite cruelle et hautaine. Les gens du royaume le blâmèrent. Le duc de Chao a reprit (le roi) en lui disant :
— Le peuple ne peut supporter son sort.
Le roi se mit en colère et chargea un devin du pays de Wei de découvrir ceux qui le blâmeraient ; ceux qu’il dénonçait étaient aussitôt mis à mort ; les critiques furent rares, mais les seigneurs ne vinrent plus à la cour rendre leur hommage. La trente quatrième année, le roi redoubla de sévérité ; les gens du royaume n’osaient plus parler ; ils se jetaient seulement un regard en passant leur chemin. Le roi Li s’en réjouit et dit au duc de Chao :
— J’ai supprimé toute critique, car on n’ose plus parler.
Le duc de Chao répondit :
— Vous avez fait un barrage. Mais retenir les bouches du peuple est plus difficile que de retenir les eaux. Lorsque les eaux sont arrêtées, elles débordent et les personnes qui en sont victimes sont en grand nombre. Il en est de même pour le peuple. C’est pourquoi, comme ceux qui s’occupent des eaux leur pratiquent des issues et les laissent s’écouler, ceux qui s’occupent du peuple le libèrent et le laissent parler. Aussi, le Fils du ciel, lorsqu’il gouverne, engage t il les fonctionnaires, depuis les ducs du palais et les hauts fonctionnaires jusqu’aux divers officiers, à lui présenter les poésies, ceux qui n’ont pas d’yeux à lui présenter les pièces de musique, les annalistes à lui présenter les livres ; les maîtres de la musique donnaient les avertissements ; ceux dont les yeux sont privés de pupilles récitaient ; ceux dont les yeux ne voient point, quoique ayant des pupilles, chantaient ; les cent fonctionnaires exprimaient leurs critiques. Les gens du commun peuple faisaient transmettre leurs paroles (au souverain) ; les officiers qui approchaient (le souverain) rectifiaient tous (les abus) ; ses parents réparaient ses fautes et le surveillaient ; ceux qui étaient privés d’yeux et les annalistes l’instruisaient et l’informaient ; les hommes de soixante et de cinquante ans le perfectionnaient. Alors le roi lui-même délibérait. C’est ainsi que dans la conduite des affaires il n’y avait pas d’injustice. Le peuple a des bouches comme la terre a des montagnes et des fleuves d’où viennent les choses dont on se sert, comme elle a des lieux hauts et des lieux bas, des plaines et des marais où se produisent ce dont on s’habille et ce dont on se nourrit. Les bouches manifestent les paroles ; c’est en elles que se trouve (l’indication de) ce qui est excellent et de ce qui est funeste ; (grâce à elles), on pratiquera ce qui est excellent et on préviendra ce qui est funeste ; c’est ce qu’on entend en les comparant à ce qui produit les choses dont on se sert, ce dont on s’habille et ce dont on se nourrit. Quand le peuple a des soucis dans son cœur et qu’il les expose par sa bouche, (on peut alors) perfectionner et accomplir (ce qu’il réclame. Si on lui ferme la bouche, comment cela pourrait il durer longtemps ?
Le roi n’écouta pas ces conseils. Alors personne dans le royaume n’osa parler. Trois ans plus tard,] des gens se liguèrent pour faire une révolte et attaquèrent à l’improviste le roi Li. Le roi Li sortit du royaume) et se réfugia à Tche.(...)
La seizième année (504 av. J. C.), les partisans du prince Tchao suscitèrent de nouveau une révolte ; le roi King s’enfuit (dans le pays de) Tsin."


Histoire du royaume de Tch’ou

du religieux Albert Tschepe :


En été 550, dans le royaume de de Tch’ou, (...) les deux K’ing étaient sans pitié pour les travailleurs ; ils faisaient assommer ceux qui, par maladresse, laissaient tomber les planches dont on se servait pour cet ouvrage. Cette tyrannie révolta les ouvriers ; ceux-ci tuèrent d’abord les chefs des travaux, puis massacrèrent les deux K’ing." (...)

"CHENG-WANG
(407-402)
"Ce roi, fils du précédent, s’appelait Tang : son nom historique ou posthume Cheng signifie : homme qui n’est pas né dans son royaume.
Une ligne résume toute son histoire : il fut massacré par des brigands. D’après le style reçu cela veut dire qu’il a péri dans une révolution."

Ernst Viktor Zenker
dans "Histoire de la philosophie chinoise" :

"La période historique de la Chine commence avec la troisième dynastie qui est celle des Tcheou : elle prit le pouvoir en l’an 1122 avant J.-C., d’après la chronologie habituelle. (...) La dynastie des Tcheou, qui avait commencé sous les aus­pices politiques et moraux les plus favorables, ne tarda pas à décliner et manifesta bientôt tous les signes d’une profonde décadence. L’empire chinois était alors une monarchie féodale formée de la réunion de plusieurs seigneuries territoriales plus ou moins indépendantes dont les princes (ducs ou rois) étaient vassaux de l’empereur. Lui-même n’avait été, à l’origine, qu’un de ces seigneurs territoriaux, particulièrement puissant, il est vrai, (la maison des Tcheou aurait possédé à peu près les deux tiers de tout le pays à la fin de la dynastie des Yin) qui avait réussi à ranger les autres princes sous sa domination. L’unité de cette fédération féodale n’avait jamais été bien prospère sous les deux premières dynasties. A la fin de la première, il y avait encore trois mille fiefs. Tant que la maison souveraine fut encore jeune et puissante, l’empereur exerça une autorité incontestée sur chacun des prin­ces qu’il contrôlait également. On ne peut douter que les grands empereurs des Tcheou, en qui le Chou king célèbre les modèles des souverains vertueux, obéissaient aussi aux principes supérieurs qu’ils préconisaient, qu’il remplissaient leur fonction comme une mission morale qu’ils avaient reçue du ciel, et que leur conduite donnait à l’empire grandeur, bonheur et paix. La puissance de l’empereur était toute morale, et, pour cette raison, prépondérante malgré les diffi­cultés provenant de la division du pays. Pourtant cette puis­sance diminua en même temps que vieillit la dynastie et que les souverains se sentirent moins protégés par le poids de leur vertu personnelle que par leur droit historique au trône. Mais la diminution de la valeur morale des souverains ne fut pas la seule cause qui travailla à ébranler l’empire. La constitution féodale elle‑même y contribua. Comme la dynastie était obligée de donner en fief à des parents et à des partisans des parties du pays qui lui appartenaient en propre, la puissance impériale s’effritait progressivement. Tandis que le domaine impérial s’amoindrissait, certains États ou principautés ne cessaient de s’accroître par la conquête de territoires des peuples barbares établis en dehors de leurs frontières ou par l’absorption de petits États voisins. Ainsi, à partir du quatrième successeur de Wou‑wang, la puissance de l’empereur diminua dans la mesure où celle de ses vassaux augmenta. Les seigneurs terri­toriaux devinrent de plus en plus indépendants de l’empe­reur. Celui-ci ne fut bientôt plus qu’une ombre sur le trône des Tcheou. Il s’adonna aux plaisirs et accorda tout ce qu’on lui demandait en échange d’un riche cadeau. L’autorité impériale perdit tout prestige et l’ambition des princes ne rencontra plus d’obstacles. La guerre mit aux prises les divers États. Les princes ne se contentèrent plus de se battre entre eux ; ils appelèrent à leur aide les barbares voisins, leur ouvri­rent les portes de l’empire et livrèrent les plaines fertiles de la Chine aux pillages et au brigandage de leurs hordes.
De temps en temps, un des princes les plus puissants usurpait le pouvoir et l’exerçait à côté de l’empereur, en quelque sorte sur sa demande. C’étaient là les époques les plus heureuses durant lesquelles on s’opposait au moins aux incursions et pillages de plus en plus fréquents des barbares. Il arrivait aussi que l’un ou l’autre de ces dictateurs, appelés Pa, après avoir atteint son but, faisait une sorte de trêve de Dieu dans tout l’empire. Mais l’autorité des Pa était toute personnelle et, à leur mort, disparaissait avec eux ou passait à un prince d’un autre État. La domination des Pa n’était nullement un état favorable parce qu’elle ne créait qu’un ordre passager, fondé sur la force et non sur le droit. La décadence s’étendait de plus en plus. De même, que les seigneurs territoriaux s’opposaient à l’empereur, de même, dans leurs États, les grandes familles s’opposaient à eux. Celles‑ci, en possession des hautes charges, vivaient en révolte continuelle contre l’autorité de leur seigneur, et se livraient en­tre elles des combats sanglants. Et pour couronner le tout, ces seigneurs eux‑mêmes étaient également pressurés et accablés par leurs grands préfets, (ta‑fou) et par leurs officiers, de sorte que la vie de l’État n’était qu’une suite de luttes, de pillages et de révolutions et qu’il arrivait fréquemment qu’un ta‑fou fût le personnage important dans l’État, tandis que les chefs de famille, y compris le chef suprême du pays, n’étaient que ses marionnettes. On comprend facilement que, dans ces condi­tions, les assassinats de princes, les détrônements des souverains légitimes et leur remplacement par des souverains illégi­times n’aient pas manqué et que la situation sociale de la Chine ait été bien éloignée de l’image idéale qu’en avaient tracé les anciens philosophes.
Les frais de cette lutte des grands pour le pouvoir, de ce bellum omnium contra omnes, étaient payés par le peuple qui, vivant au milieu du pillage et des meurtres, accablé de corvées et de services de guerre, saccagé et épuisé par mille seigneurs, souffrant de la misère et vivant dans la pauvreté, s’épuisait de plus en plus au point de vue moral comme au point de vue économique. Par suite de ces combats sans fin et de ces révoltes continuelles, le peuple était dans l’impossibilité de cultiver ses champs et la famine sévissait partout. Les chiens et les porcs des princes mangeaient la nourriture des hommes sans que le prince s’y opposât et ouvrît ses greniers. La faim faisait d’in­nombrables victimes et le malaise général grandissait de jour en jour.
La situation critique de la Chine à cette époque qui dura cinq cents ans environ a été une rude épreuve pour la vie morale et sociale du peuple chinois. Il faut se rappeler à quel point la politique et la morale sont inséparables en Chine depuis les dé­buts de l’histoire pour comprendre que la féodalité a été une crise constitutionnelle au sens le plus large du terme ; c’est­-à‑dire une crise qui a affecté non seulement la vie politique et p.68 économique, mais surtout l’état moral du peuple. La situation de la Chine de cette époque aurait suffi pour provoquer la dis­parition de l’État et du peuple et pour ensevelir sous les ruines la culture chinoise, comme il était advenu autrefois des civi­lisations sumérienne et assyrienne. Cette catastrophe a été évitée grâce aux principes de morale sociale que des philoso­phes anonymes avaient développés à l’époque préhistorique et qui avaient été incorporés à jamais, d’une part à la religion populaire, et d’autre part, à la vie spirituelle des classes dirigeantes. Il est facile de comprendre que la grande crise vitale du peuple chinois au premier millénaire avant notre ère ne pouvait pas être surmontée par l’habileté politique ou les moyens légaux, ni par la force, mais que seule la renaissance morale du peuple permettait de la résoudre. Si les prophètes de ce retour et de cette renaissance furent entendus et compris par le peuple, si le grain qu’ils semèrent ne tomba pas sur le roc, ils le doivent au travail fécond de cette philosophie antique dont nous avons exposé ici le résultat général. Les rénovateurs de la vie chinoise trouvèrent une langue toute faite qui leur permit de parler à leur peuple et un ensemble de concepts et de prin­cipes solides généralement indiscutés quoiqu’on ne les obser­vât pas toujours dans la vie. Les maîtres de l’époque nouvelle n’eurent donc pas besoin de créer de toutes pièces la doctrine rédemptrice, comme ce fut souvent le cas dans d’autres pays. Ils n’eurent, pour être compris, qu’à transmettre et expliquer les trésors que leur avait légués l’antiquité. Ainsi la période de profonde misère où le peuple chinois à vécu sous les Tcheou a été pour lui l’école d’une brillante renaissance et l’époque classique de la littérature et de la philosophie chinoises."

Préceptes pour servir le penseur politique contre-révolutionnaire :

« Les Quatre livres » (Entretiens de confucius et de ses disciples) :

Le Maître dit : « Un homme à qui l’on peut con­fier la tutelle d’un jeune prince haut de six palmes 1 et le gouvernement d’un État ayant cent stades d’éten­due, et qui, au moment d’un grand trouble ou d’une révolution, reste fidèle à son devoir, un tel homme n’est‑il pas un sage ? Certainement c’est un sage. (...) Le sage s’attache aux préceptes de la sagesse, et il aime à les étudier. Ils les observe fidèlement jusqu’à la mort, et par l’étude il se convainc de leur excellence. Il n’entre pas dans un pays menacé d’une révolution ; il ne demeure pas dans un État troublé par les dissensions. Si l’empire est bien gouverné, il se montre 2. Si l’empire est mal gouverné, il se cache 3. Quand l’État est bien gouverné, le sage aurait honte de n’avoir ni richesses ni honneurs 4. Quand l’État est mal gou­verné, il aurait honte d’avoir des richesses et des hon­neurs.(...) Le froid de l’hiver est l’image d’une époque de trouble. La persistance du feuillage est l’image de la volonté ferme et constante du sage. Quand la tranquillité règne, l’homme vulgaire pourra ne pas se distinguer de l’homme sage. C’est seulement au milieu des avantages ou des désavantages apportés par une révolution, qu’on recon­naît la constance du sage. (...) Le défaut de celui qui aime à montrer du courage et n’aime pas à apprendre, c’est de troubler l’ordre.(...) Le sage met la justice au‑dessus de tout. Un homme élevé en dignité qui a de la bravoure et ne respecte pas la justice trouble le bon ordre. Un homme privé qui a de la bravoure et manque de justice devient brigand. (...) Parmi les hommes naturellement enclins à respecter leurs parents, à honorer ceux qui sont au‑dessus d’eux, peu aiment à résister à leurs su­périeurs. Un homme qui n’aime pas à résister à l’au­torité, et cependant aime à exciter du trouble, ne s’est jamais rencontré. »

Révolutions en Chine

Dans un reportage sur la Chine impériale par la télévision ZDF, Dap Huong Ho, ethnologue du mausolée du roi Hin Zong, l’inventeur de l’Etat centralisé de Chine, l’empire, rapporte comment, en 221 avant J.-C, Qin Sihuang devint le premier empereur de Chine. Ce souverain du royaume de Qin, royaume du fleuve jaune, Hin Zong, (259 avant J.-C) entouré de milliers de soldats d’une véritable armée en terre cuite. Celui qui a fondé l’empire est un massacreur de grande première. Son mausolée est fondé sur des ossements. Il a encouragé l’artisanat et le commerce. A battu les royaumes combattants en seulement six ans, en partant à la tête d’un million de soldats en 230 avant J.-C, guerre qui coûtera la vie à deux millions de personnes. La féodalité est matée. Il a le cœur d’un tigre, disent ses contemporains. Il terrorise son peuple. Unification des poids et mesure sur tout l’empire, unification monétaire, standardisation de l’écriture. « Le souverain assigne sa place à chaque être » Service du travail obligatoire de trois mois, impôt massif et travail forcé servent à la construction du mur de protection de l’empire. Si l’on règne par le châtiment, le peuple aura peur et il ne commettra pas d’infraction » dit le conseiller de l’empereur. Les lois du système, dit légaliste, remplacent la tradition et le rituel. L’empereur de Chine a fait brûler tous les anciens écrits et il fait exécuter des centaines de lettrés. Son empire despotique provoqué la colère de la population, qui se révolta contre ses excès. Avant sa mort, c’est pour se protéger contre la révolution qu’il fit placer dans son mausolée sept mille soldats de terre cuite. Le peuple est en effervescence. La population se soulève dans toutes les provinces. Le roi se réfugie dans son propre palais. Ses sentinelles symboliques en terre ont été détruites. Elles seront retrouvées en mille morceaux et ont été depuis reconstituées morceau par morceau.

Etienne Balazs dans « La bureaucratie céleste » :
« La crise sociale et la philosophie politique à la fin des Han
« (...) Nous sommes au milieu du 2ème siècle. L’immense empire des Han jouit depuis de longues années d’une paix relative, la population a presque doublé depuis la restauration, aux environs de l’ère chrétienne et les richesses s’accumulent. Mais l’accumulation même de la richesse et la différenciation des professions qui marquent le passage d’une économie naturelle vers une économie d’échange ont comme rançon une plus grande inégalité dans la distribution des revenus et le renversement des rapports sociaux traditionnels. Le signe le plus évident de ce déséquilibre est l’affaiblissement du pouvoir impérial. (...) La pointe de la pyramide hiérarchique commence à s’ébrécher, et une lutte serrée s’engage pour l’exercice du pouvoir réel. (...) Tandis que l’avant-scène retentit des querelles des diverses fractions de la classe dirigeante, toute occupée à se tailler la plus grande part des revenus et sourde aux avertissements des philosophes, le peuple des campagnes se prépare à se soulever contre l’exploitation intolérable des grands propriétaires et les exactions vexatoires des mandarins. La population agricole, c’est-à-dire la presque totalité de la nation, vivait dans une misère indicible. Le paysan libre était en train de disparaître. Constamment menacé sur son lopin par la famine, les impôts, les corvées et pressuré par de multiples demandes des fonctionnaires mal payés, ou encore menacé d’expropriation par quelque grand seigneur désireux d’agrandir son domaine, il était condamné tôt ou tard à aller rejoindre les rangs du prolétariat agricole. (...) Cette énorme masse des meurt la faim et des cul-terreux vit dans une sourde fermentation, travaillée depuis une dizaine d’années par les émissaires d’une nouvelle foi : la « Voie de la Grande Paix » taiping dao. (...) Ils ne se contentent plus d’annoncer à leurs adeptes la venue d’une nouvelle ère, celle de la prospérité, de l’âge d’or de l’égalité, car c’est le véritable sens de l’expression Taiping (...) ils les organisent en de véritables phalanstères, des communautés rustiques (...). Et ils mettent sur pied une étonnante organisation militaire en trente-six divisions qui, mises en branle le jour de l’an 184, occuperont le pays en une marche foudroyante. (...) Les turbans jaunes – c’est le nom le plus connu de la secte à cause du jaune qu’ils portent en tant que couleur symbolique de la terre - vont mettre à feu et à sang toute la Chine du Nord. De deux foyers, les régions les plus peuplées du bas Fleuve Jaune et du Sichuan, la révolte se propage comme une traînée de poudre et gagne toute la Chine (...). Les premiers actes, et combien significatifs, de cette énorme jacquerie mi-sociale mi religieuse seront de prendre d’assaut les préfectures et sous-préfectures, de tuer ou de chasser les fonctionnaires, d’en nommer d’autres, de lever des impôts et de réparer les chemins. (...) La répression est féroce, elle fait, au cours de la seule année 184, un demi million de victimes. (...) Le pays est bouleversé de fond en comble par le combat entre troupes impériales et Turbans Jaunes, battus sur un point pour se retrouver plus nombreux sur un autre. C’est l’exode des riches et des lettrés vers un coin tranquille, la fuite éperdue des vagabonds et des réfugiés : des masses humaines se déplacent dans toutes les directions. (...) Les dirigeants se ressaisissent et organisent des expéditions punitives. (...) C’est l’heure des militaires, la lutte de tous contre chacun (...) jeu sanglant de l’élimination des concurrents dans la course effrénée au pouvoir. Cette lutte durera encore pendant une génération et transformera la Chine d’un puissant empire en un vaste cimetière. »
Puis Etienne Balazs rapporte comment la philosophie chinoise s’est développée pour répondre à cette crise sociale et aux problèmes politiques qui les accompagnaient :
« Plus la crise sociale s’accentue, plus pressantes deviennent les démarches de l’esprit en vue de découvrir le chemin du salut. (...) Une inquiétude saisit les commentateurs les plus butés, le Confucianisme se cherche une doctrine cohérente. Et les thèses longtemps oubliées des écoles taoïstes et légistes, voire des sophistes et des logiciens, semblent subitement reprendre un sens d’actualité brûlante, à la lueur des inextricables problèmes de l’heure. (…) Vérité première reconnue de tous, c’est la crise. Mais que faire, comment expliquer la crise et quel remède y apporter ? (...) Le Confucianisme est l’idéologie de la bureaucratie en général, particulièrement des hauts fonctionnaires en place. La clientèle du Taoïsme se recrute souvent dans le milieu des petits fonctionnaires retirés ou définitivement écartés des postes importants. »
« Dans la Chine du 2ème siècle, (...) tout est en ruine : les villes détruites, la campagne dévastée, la population pillée, brûlée, massacrée. (...) L’administration impériale n’existe plus. L’empire dépecé en trois tronçons est la pomme de discordes des gouverneurs militaires indépendants et les trois capitales sont le théâtre d’incessantes intrigues. (...) Que reste-t-il à l’intellectuel s’il veut s’évader d’une situation sans issue et oublier sa condition monstrueuse, sinon le rêve, l’alcool et les plaisirs de la chair ? (...) Pour échapper à la fatalité inexorable de leur sort, ils recherchent dans le narcotique du songe, de la poésie, de la musique (...) et trouvent dans l’extase taoïste des « excursions lointaines » (...) Leurs idées pénètrent dans tous les milieux et préparent ainsi les âmes à la délivrance de la foi bouddhique. (...) Oscillant entre l’extrême affirmation de l’individualité et l’extrême négation de l’homme comme entité sociale, ils ne tarderont pas à s’opposer à la catégorie confucéenne essentielle de la famille. (...) L’énorme vague de nihilisme, qui déferle sur la Chine par suite de la guerre civile, envahit toute la société en plusieurs étapes (...) »

Exposé de Ngo Van sur la révolte des Turbans Jaunes (écrit en juin 1966)
La grande guerre des paysans dans la Chine du 2ème siècle avant J.-C
« Pour comprendre l’histoire contemporaine des pays de civilisation chinoise, il est indispensable de connaître, au moins sommairement, l’histoire de la Chine ancienne et le caractère spécifique des insurrections paysannes qui, à plusieurs reprises, menacèrent de ruiner de fond en comble le système de domination administratif et militaire de la dynastie des Han. La grande guerre des paysans chinois des temps modernes qui à permis la victoire de Mao Tsé-toung n’est pas foncièrement différente des guerres des paysans du passé ; et l’État bureaucratique actuel, en dépit de l’idéologie marxiste des nouvelles couches possédantes, présente plus d’un trait de l’État bureaucratique de la Chine impériale. À l’arrière-plan du conflit vietnamien, on retrouve le poids d’une tradition multiséculaire qui oriente toujours les réactions affectives et psychologiques d’une paysannerie misérable. C’est ainsi que l’influence du parti communiste peut être, en bien des points, assimilée à l’influence occulte que les sociétés secrètes ont depuis toujours exercée sur les paysans. Le drapeau rouge ne représente souvent aux yeux de ces derniers qu’un symbole magique parmi d’autres et la démagogie marxiste fait appel aux mêmes sentiments qui, jadis, soulevèrent le peuple contre ses oppresseurs ; aussi bien ne peut-on assimiler les PC de ces pays aux grands partis organisés des pays européens.
Certains phénomènes courants dans les autres parties du monde ont pris en Chine un caractère catastrophique en raison d’une exceptionnelle densité démographique ; ils ont ainsi influé d’une manière continuelle sur l’évolution générale de la société. Mais la nécessité de grands travaux d’irrigation ne justifie pas pour autant les systématisations et les généralisations abusives sur le « mode de production asiatique » et le « despotisme oriental » ; interprétations qui tendent, en dernière analyse, à expliquer toute l’évolution de la société chinoise à l’aide de certaines de ses particularités.
Le système de production fondé sur l’esclavage n’a jamais atteint une extension analogue à celle de l’empire romain et le système féodal lui-même, pour autant qu’il soit comparable à celui qui a régné en Europe sous l’égide du catholicisme romain, ne s’est jamais développé et désagrégé d’une manière linéaire et continue mais ne s’est effondré qu’après diverses résurgences ; il n’a pas donné naissance à un mode de production dominé par la bourgeoisie mais à un système de gentilhommerie qui s’est maintenu sans grande transformation jusqu’en 1911. Plusieurs types d’exploitation semblent avoir coexisté, interdépendant les uns des autres et réagissant les uns sur les autres sans aboutir avant longtemps à la création d’un type stable. Les embryons de connaissance scientifique, pour le moins aussi importants que ceux de la Grèce antique, n’atteignirent jamais le degré de développement nécessaire à l’apparition d’une pensée scientifique comparable à celle de la Renaissance ; et ce fait s’explique également en partie par un caractère spécifique de la Chine : l’énorme influence d’une caste de lettrés imprégnés de l’esprit confucéen. La fidélité à cette morale aristocratique a permis à toute l’administration impériale et à l’organisation de l’État de conserver une homogénéité culturelle et d’éviter la dissolution qui accompagne tous les bouleversements politiques et toutes les conquêtes.
En Europe, le christianisme a servi à justifier un régime féodal rigide aussi bien que les révoltes contre ce dernier ; en Chine, deux philosophies sociales se sont opposées ouvertement et d’une manière permanente. À l’éthique confucéenne qui ne s’appliquait qu’aux classes dirigeantes s’oppose la philosophie sociale de Lao Tseu. Tandis que les enseignements de Confucius idéalisent l’ordre féodal et donneront par la suite une base morale solide aux classes possédantes, à la Cour impériale et à l’aristocratie des villes, ceux de Lao Tseu renferment une critique de la société et de l’État fondée sur le refus de toute contrainte administrative et sociale. L’identification de l’homme avec la nature, principe de base du taoïsme, ne peut avoir lieu qu’en l’absence de toute intervention de l’État ou d’une contrainte sociale. On comprend à quel point cette doctrine a pu servir de fondement à la morale de la paysannerie révolutionnaire qui s’est opposée d’une manière permanente à l’administration impériale concentrée dans les villes. C’est dans l’enseignement de Lao Tseu que les révoltés trouveront à chaque fois la base intellectuelle et morale qui légitimera leur révolte. La pensée de Lao Tseu traduit d’ailleurs les conceptions fondamentales de la paysannerie chinoise : un sentiment profond et instinctif de l’ordre de la nature et l’hostilité face à toute forme de pensée scientifique propre à troubler cet ordre. Ainsi, tandis que le confucianisme, malgré une brève période de persécution sous l’empire de Ts’in1, restera toujours le système de morale et de philosophie politique des classes possédantes, le taoïsme, par son opposition à toute intervention autoritaire dans la vie des hommes et son hostilité à toute société coercitive et hiérarchisée, sera toujours la base du comportement élémentaire de la paysannerie révolutionnaire, une « façon de sentir ».
Jamais le travail des esclaves n’atteignit en Chine le degré de développement qu’on lui connût dans l’empire romain et dans la Grèce antique. C’est sur le travail de la paysannerie que reposera toujours l’édifice de la société chinoise. Ce n’est pas sans raison que dans la hiérarchie officielle des classes sociales le paysan occupe la seconde place derrière le lettré, l’artisan et le marchand venant à la suite.
Le « despotisme oriental » de l’empire des Tchéou (1122-247 avant notre ère) devait donner naissance à des guerres sans nombre pour aboutir finalement à la période dite des Royaumes Combattants. Sept seigneuries se disputent continuellement l’hégémonie. Celle de Ts’in [1]1, après avoir vaincu et annexé à son territoire les autres, finit par unifier pour la première fois toute la Chine et à fonder la première monarchie centralisée (221 av. notre ère). Pour donner une échelle de grandeur des travaux effectués à l’époque et du système de contrainte et de coercition qu’ils impliquent, on peut signaler que la construction de la Grande Muraille de Chine nécessita le travail de plusieurs millions d’hommes corvéables, prisonniers politiques et de droit commun, esclaves sous la direction d’une véritable armée. Une insurrection générale de forçats et de paysans sous la direction d’un paysan pauvre Tcheng Cheng mit fin à la dynastie des Ts’in. La monarchie despotique s’effondra mais l’insurrection populaire fut écrasée grâce à l’intervention de l’ancienne noblesse féodale évincée du pouvoir par la dynastie Ts’in. La lutte pour le pouvoir entre les différentes bandes armées rivales se termina par la fondation de l’empire de Han par un plébéien, ancien gendarme sous l’empire Ts’in (206 av. notre ère). L’État des Han antérieur hérite de toutes les institutions de l’empire Ts’in, mais une nouvelle aristocratie de type semi-féodal se créée autour de l’État bureaucratique centralisé et de sa hiérarchie minutieusement établie. L’empereur est Fils du Ciel et des signes célestes divinisent toujours son pouvoir. De cette époque date la création de la route de commerce connue sous le nom de la Grande Route de la Soie qui reliait la Chine à l’empire romain, au royaume des Parthes et à l’Inde. On verra que l’image idéalisée de l’empire romain donnera naissance à des descriptions d’un État utopique dont le caractère calqué sur celui de la Chine sera exempt de ses « tares ».
Vers le début de l’ère chrétienne, la concentration des terres, l’accroissement des impôts, le luxe et la corruption de la Cour impériale provoquèrent une série de révoltes populaires qui, après les réformes sociales d’un usurpateur, Wang-Mang, aboutit à un soulèvement armé général. C’est la révolte des Sourcils Rouges (18 après notre ère). L’état de nomadisme dans lequel étaient jetés les paysans expropriés, le paupérisme croissant de la paysannerie, maintenaient le pays dans un état d’anarchie permanent. Bandit devient synonyme de rebelle et dans cet état de décomposition du système impérial, chaque aventurier pouvait être sûr de recruter une armée et se poser en prétendant à l’empire. Après la prise de la capitale de l’empire Tchang-ngang (23 de notre ère) et la mort de Wang-Mang qui, fidèle en son origine surnaturelle, s’obstinait à implorer le Ciel pour éloigner les armées rivales, les candidats à la succession noyèrent l’insurrection dans le sang. L’empire des Han postérieur (25-220 de notre ère), après une courte période d’essor économique et culturel, connut le même processus de décomposition. La concentration et le regroupement des terres entre les mains des propriétaires fonciers prirent des proportions inouïes. Les paysans asservis cultivaient la terre pour des « maisons puissantes » qui possédaient des centaines de milliers de « mou ». La ruine de la paysannerie était telle qu’une partie des lettrés eux-mêmes demandaient la limitation de la propriété foncière. C’est dans cette atmosphère de décomposition du pouvoir impérial qu’éclata la grande insurrection populaire des Turbans Jaunes qui, par son inspiration taoïste, devait donner aux revendications paysannes un caractère de radicalisme révolutionnaire inconnu jusqu’alors. Elle dura près d’un quart de siècle et ne fut réprimée qu’au prix d’efforts incessants de la part du gouvernement central. Parallèlement éclata, dans l’ouest de la Chine, l’insurrection des Cinq Boisseaux de Riz ; elle devait donner naissance à un État d’un type nouveau fondé sur des principes moraux communautaires. »
Ngo Van dans « Les Turbans Jaunes »

« Utopie libertaire antique, et guerre des paysans en Chine »

de Ngo Van
Tiré de Oiseau-tempête n°8 (été 2001)

« Ni roi, ni sujet
« Yu (le roi légendaire des Hia) alors qu’il aménageait la terre et les eaux, s’était égaré en chemin. Il atteignit un pays au nord de la Mer septentrionale, éloigné des districts de Ts’i, on ne sait de combien de dizaines de millions de ly. Ce pays s’appelle Tchongpei (Extrême-Nord). Nul n’en connaît les limites. Dans ce pays, il ne vente ni ne pleut. Nul givre et nulle rosée. Et non plus d’oiseaux, ni de quadrupèdes, ni d’insectes, ni de poissons, ni de végétation. Un plateau escarpé l’entoure. Au centre de ce territoire, se dresse une montagne en forme de jarre, appelée Houling. À son sommet, d’un orifice en forme d’anneau rond du nom de Tsehiue (Fosse savoureuse) jaillit un liquide appelé Chenfen (Source divine) au parfum plus pénétrant que celui de l’orchidée et du poivre, au goût surpassant celui des liqueurs lao et li. La source se déverse en quatre ruisseaux vers le bas de la montagne traversant et arrosant partout le pays. Le souffle de la terre est bénéfique. Les hommes d’un naturel conciliant, ignorent rivalité et dispute. Leur âme est bonne, leur corps est souple, orgueil et envie leur sont étrangers. Vieux et jeunes demeurent ensemble, il n’y a ni roi ni sujet. Hommes et femmes s’unissent à leur guise sans entremetteurs ni demandes de mariage. Ils vivent au bord de l’eau, ils ne labourent ni ne moissonnent. Le souffle de la terre est tiède, ils ne tissent, ni ne se vêtent. On meurt à cent ans. Il n’est ni mort prématurée, ni maladie. La population se multiplie, innombrable. Tous vivent dans la joie, ils ne connaissent ni la dégénérescence de la vieillesse ni l’affliction du deuil. Ils aiment la musique. Se tenant par la main, ils chantent des chants alternés jusqu’à la fin du jour. Quand la fatigue les prend, ils s’abreuvent à la Source divine et retrouvent l’équilibre de leur force et de leur esprit. S’ils ont trop bu, ivres, ils ne se réveillent que dix jours plus tard. Quand ils se baignent dans cette Source divine, leur peau devient onctueuse et le parfum ne s’en évanouit qu’après dix jours. »

Ce texte du Lietseu, décrit une communauté imaginaire réminiscence de la communauté paysanne archaïque, précédant le début légendaire de l’aménagement de la Chine primitive. Il exprime le rêve commun aux paysans-serfs écrasés, de l’absence absolue de tout pouvoir au-dessus de leurs têtes, de la délivrance du travail, de l’aspiration à une longue vie joyeuse, du désir de l’union libre entre hommes et femmes, et enfin de l’échappée au carnage perpétuel de la mort sous la poigne des maîtres féodaux de l’époque.
L’auteur, Lietseu, - un des maîtres de l’école du Tao ou Dao (taoïsme) - naquit vers 450 av. J.-C. (période des Royaumes combattants), il menait une vie obscure au rang des hommes du commun et subsistait grâce à l’aide de ses disciples.
Enracinée dans le sol paysan, la pensée taoïste s’incarnera, au 2e siècle ap. J.-C., dans la formidable guerre des paysans qui contribua à la chute de l’empire des Seconds Han (25-220).

* * *

Au premier millénaire av. J.-C., la société féodale archaïque se divise grosso modo en deux classes principales : en haut, l’aristocratie, en bas, la plèbe paysanne. Nobles et patriciens, détenteurs du pouvoir et maîtres de la terre, dominent et exploitent les paysans. Les rites régissent les rapports au sein de la noblesse, les coutumes rythment la vie plébéienne.

Les paysans besognent comme serfs, fermiers, ouvriers agricoles et les fruits de leur travail remplissent les greniers des nobles. D’autres sans-terre et esclaves pour dettes triment dans les mines, les fonderies de fer, les salines, les ateliers artisanaux appartenant aux féodaux ou à de riches marchands.

Ainsi en temps de paix, pour entretenir les « hommes supérieurs » (kiuntseu - fils de prince), les « gens de peu » (siaojen) labourent et crèvent de faim, tissent sans avoir de quoi se vêtir. « Le prince mange ses impôts, les grands-officiers mangent leurs fiefs, les patriciens mangent leurs domaines, les plébéiens mangent leurs forces de travail, les artisans et les commerçants mangent les prix fixés par l’État, les fonctionnaires mangent leurs fonctions, les administrateurs mangent leurs apanages ; le gouvernement est en ordre, le peuple est en paix… » dit le Discours sur les Royaumes (Kouo Yu, 1ers.)

Et durant les guerres acharnées entre féodaux pour la conquête des territoires et pour l’hégémonie, les plébéiens constituent la piétaille et crèvent en masse.

Au milieu de tous ces bouleversements et des troubles sociaux apparurent les « Cent écoles » de pensée chez les lettrés. Détenteurs du savoir de l’époque, ils servent pour la plupart le pouvoir féodal comme fonctionnaires et maîtres enseignants. Mais la dislocation des cours royales, la chute des maisons princières et seigneuriales finissent par les disperser dans le peuple. Parmi ces lettrés devenus très pauvres, les uns subsistent en dispensant leur enseignement en privé, les autres cherchent à s’employer chez les féodaux encore puissants, comme conseillers politiques. Confucius lui-même pour subsister se fit conseiller, tandis que Laotseu avait été archiviste à la Cour des Tcheou.

* * *

Au premier millénaire avant notre ère, de ce monde de lettrés est issue une pléiade de penseurs, de poètes, de chroniqueurs. Dans ce foisonnement d’écoles, on peut distinguer trois courants de pensée principaux :
Les joujia, lettrés de l’école traditionaliste confucéenne, professent le retour à un ordre féodal idéal, régi par les rites ou règles de convenance dans les rapports entre roi et sujet, père et fils, mari et femme, frère et sœur suivant les principes moraux d’altruisme, d’équité, de raison et de loyauté. Le culte des ancêtres corrobore la vénération du roi, Fils du Ciel, qui règne en vertu du mandat céleste. La tradition féodale impose la stricte séparation des sexes. Supérieurs et inférieurs doivent aussi rester chacun respectivement à sa place et la paix régnera sous le ciel.

En opposition absolue avec l’école de Confucius, les taojia, de l’école de Laotseu, mal à l’aise dans un monde en perdition, mènent une existence cachée d’ermites ou de reclus. Leur idéal : le retour à la nature, la simplicité primitive, la vie naturelle, spontanée, libre et joyeuse, dénuée de toute convention, sans lois ni morale. Ils sont à l’origine du taoïsme dont la philosophie dérive des anciennes pratiques magico-religieuses héritées des chamanes, de la haute antiquité et enracinées dans le sol paysan. Le mot Tao ou Dao signifie couramment religion : Dao Lao, la religion de Laotseu ; Da.o làm ngûòi, la Voie d’être homme. Le Tao comme principe immanent de la nature, du mouvement cosmique, suggère l’idée d’une puissance en marche, de l’incessant devenir universel. Ses disciples prêchent le wouwei, le non-agir, la non-intervention de l’homme dans l’univers naturel et humain, le retour à la spontanéité et la simplicité primitive, à la vie en petites communautés autonomes, où « S’il y existait des bateaux et des chars, le peuple n’y monterait pas ; s’il y existait des cuirasses et des lances, il ne les porterait pas. Il se nourrit avec saveur, s’habille avec élégance, se plaît dans sa demeure, jouit de ses simples usages. Les communautés voisines se regardent de loin ; on en entend chanter le coq, aboyer le chien, mais sans y mettre les pieds et ce, jusqu’à la mort. » (Taoteking)

De ce courant antiféodal, antitraditionaliste, il nous reste trois recueils de sentences, le Taoteking, attribué à Laotseu (v.570-490), le Lietseu, (v.450) cité au début de cette étude, et le Tchoangtseu, œuvre de Tchoangtcheou (v.370-300), un esprit poétique qui méprisa toute fonction publique et qui vécut dans l’obscurité et la pauvreté. En se soustrayant au conditionnement social et matériel, ces reclus cherchent à échapper à l’emprise de la maladie, au vieillissement et à la mort. Ils cultivent l’art de longue vie, pour « nourrir le principe vital », en suivant les disciplines respiratoires, diététiques, alchimiques, en pratiquant l’« art de la chambre à coucher », en imitant les animaux dans leurs jeux et leurs danses. Ils tendent aussi à s’abstraire du monde pour s’épanouir librement dans les voyages extatiques.

Enfin, les taoïstes s’opposent également au troisième courant, celui des légistes, fajia, école des Lois, qui condamne les traditions féodales pour proclamer la nécessité de la loi draconienne égale pour tous, sous l’autorité d’un souverain éclairé, maître absolu de l’État.

C’est sous l’influence des légistes que le seigneur de Ts’in (Qin) après avoir détruit les six royaumes et toutes autres seigneuries, fonda le Premier empire et se proclama Premier empereur, Ts’in Chehoangti en 221 av. J.-C. L’empire centralisé fonctionne avec une bureaucratie complexe, comporte 36 provinces gérées chacune par un administrateur civil et un gouverneur militaire. Des institutions totalitaires - responsabilité collective et dénonciation obligatoire des délits à l’intérieur des groupes de familles - remplacent les rites et la morale d’autrefois. Les lettrés jou qui propagent le confucianisme sont mis à mort. Les livres classiques, les ouvrages des « Cent écoles », exceptés les livres de médecine, d’agriculture et divination, sont livrés au feu et ceux qui les détiennent sont punis de travaux forcés.

La plèbe paysanne anciennement rattachée aux fiefs féodaux détruits, se voit allouer les terres qu’elle cultive en payant une redevance avec une partie de la récolte, les impôts sur la paille et le foin et la capitation. Les corvées liées aux gigantesques travaux (construction de palais, de routes et canaux à travers l’Empire, de la Grande muraille et du mausolée de l’empereur…), l’enrôlement pour les opérations militaires de conquête lointaine, aggravent la condition paysanne et rendent le despotisme du Premier empereur insupportable. Après la mort du tyran, le soulèvement des anciens féodaux, conjugué avec les insurrections paysannes généralisées en 209-207 mirent fin au Premier Empire.

Un ancien gendarme des Ts’in, Lieou Bang, sortit victorieux de cet imbroglio de massacres, se proclama empereur et fonda la dynastie des Premiers Han (206 av. J.-C. - 8 ap. J.-C.). Les membres de la famille impériale reçurent des apanages héréditaires, devenus royaumes et marquisats. Le nouvel Empire conserva dans ses grandes lignes la structure politique et administrative de l’Empire déchu. Comme toujours, le travail paysan constituait la source d’existence des féodaux, de l’aristocratie terrienne et des marchands. Le labeur des cul-terreux entretenait aussi les lettrés-fonctionnaires et les troupes. À la fin des Premiers Han, les paysans écrasés par l’intolérable exploitation des propriétaires, affamés, se nomadisent et se livrent au pillage pour subsister. En l’an 18, le soulèvement des Sourcils Rouges impulsa l’insurrection généralisée des paysans. Ils affrontèrent les troupes des partisans des Han, ainsi que celles levées par des aventuriers en mal de pouvoir.

Un gros propriétaire terrien, Lieou Sieou, se proclama empereur des Seconds Han (25 - 220 ap. J.-C.). La dynastie s’écroulera sous la poussée de la guerre des paysans provoquée par une nouvelle grave crise agraire.

La guerre des paysans est conduite par deux sectes messianiques d’inspiration taoïste, le Taipingtao, Religion de la Grande Paix, et le Wouteoumitao, Religion des Cinq Boisseaux de Riz, qui ont contribué à la désagrégation de l’Empire.

Dans les années 170, à la suite des inondations du fleuve Jaune, les paysans plongés dans l’extrême misère se rassemblent en bandes errantes, volent et pillent. A la même époque dans les six provinces aux confins du Shandong et du Henan, se développe le mouvement de la Religion de la Grande Paix, dont le maître, Tchang Kio, s’est consacré au culte de Houang Lao, synthèse du souverain mythique Houangti et de Laotseu divinisé. Son enseignement s’appuie sur les textes sacrés du Taoteking, le Canon de la Voie et de la Vertu, et le Taipingking, le Canon de la Grande Paix, texte révélé au maître taoïste Yu Ki, dans le début du IIe siècle.

Ce dernier ouvrage - dans le même esprit que le Taoteking - est basé sur les théories cosmogoniques du Yinyang et des Cinq Éléments, accompagnées de sévères critiques contre les inégalités sociales, le parasitisme des possédants, la discrimination envers les femmes.

Il est naturel que l’ensemble des richesses et produits de la nature appartiennent au Ciel, à la Terre et au monde et nourrissent l’homme… L’homme a le devoir de se vêtir, de se nourrir soi-même par sa propre force… L’homme riche qui écarte les pauvres qui en meurent de faim et de froid, agit contre le principe du Tao et en grand ennemi de l’homme. Son crime est sans absolution.

Ces pensées nouvelles nourrissent le rêve millénaire des paysans de l’instauration sous le ciel d’une communauté sans riches ni pauvres, sans nobles ni vilains. En une décennie, la secte compte quelque cent mille adeptes.

Ces communautés se rassemblent souvent plusieurs jours durant pour des cérémonies, des fêtes ou des jeûnes purificatoires. Au cours de ces assemblées, les adeptes se livrent à des transes collectives rythmées par la musique, à des scènes de liesse où des hommes et des femmes « mêlent leur souffle », réalisant ainsi l’union du Yin et du Yang, le renforcement des esprits vitaux. Les maladies étant considérées comme des conséquences des péchés, les malades devaient se confesser, être isolés dans des chambres de méditations. Ils guérissaient en absorbant des charmes incinérés.
On distribue aux affiliés des amulettes guerrières aux équinoxes de printemps et d’automne. Partout, sur les portes des bâtiments administratifs dans les grandes villes à murailles, dans les provinces et les commanderies, apparurent tracés à la craie, comme appel à la subversion, les caractères kiatseu, commencement d’un cycle d’une ère nouvelle, l’an 184, annonçant la mort de l’ancien Ciel azur et l’avènement du Ciel jaune, du triomphe de la grande félicité.

Les cultes taoïstes étant considérés par le pouvoir comme « religion démoniaque » (Koueitao), opposée aux cultes orthodoxes officiels, les affiliés sont passibles de la peine de mort. L’écartèlement d’un chef religieux taipingtao et l’exécution de plus de mille adeptes à Luoyang, la capitale, précipitèrent l’insurrection au cours de la deuxième lune de l’an 184. En signe de ralliement, les insurgés portaient un turban jaune, couleur du Ciel jaune d’où leur appellation Turbans jaunes ou Rebelles-fourmis en raison de leur grand nombre. Ils se sont emparés de plusieurs villes, de centres de province du Shandong et du Henan malgré la résistance des troupes impériales de Luo yang. Les fonctionnaires s’enfuirent ou périrent. Les bâtiments administratifs brûlèrent. Tchang Kio et ses frères furent tués au début du combat, la répression impériale fit rage, des milliers et des milliers d’insurgés furent mis à mort. Cela n’a pas empêché les Turbans jaunes de relever la tête par centaines de milliers dans plusieurs provinces. Mais ils furent défaits.

À la même époque, se développe dans la vallée de la Han, le Wouteoumitao - Religion des Cinq boisseaux de riz, fondée par Tchang Taoling qui étudia le Tao dans les monts Kouming. Ceux qui le suivaient pour recevoir son enseignement devaient verser cinq boisseaux de riz. On les appela Rebelles-riz mitsei. Tchang Lou, le petit-fils de Tchang Taoling continua l’œuvre du grand-père.
Le pouvoir secoué par les Turbans jaunes, cherchait à rallier Tchang Lou. Mais celui-ci tua l’officier des forces impériales et s’attacha ses troupes. Devenu maître de la région, il y organisa une communauté théocratique dans le Seuchuan, et dans le Sud du Shenxi, sans fonctionnaires, sans prison et sans propriété individuelle.

Les Chroniques des Trois Royaumes rapportent :

« Les novices sont appelés soldats-démons, koueitsou. Ceux qui sont initiés au Tao et qui ont la foi sont nommés Préposés aux libations tsitseou. Chacun dirigeait un groupe organisé. Tous enseignaient qu’il faut être de bonne foi, confiant, non trompeur. Les Préposés tenaient les « auberges d’équité » dans lesquelles ils disposaient le riz et suspendaient la viande dite d’équité. Les voyageurs pouvaient se restaurer selon leur faim. S’ils abusaient, les Esprits du Tao les frappaient aussitôt de maladie. Il n’y avait pas de prisons : ceux qui avaient commis une faute mineure s’employaient à la réfection de cent pas de route et par là la faute était absoute. Ceux qui avaient commis des fautes graves, s’ils récidivaient trois fois, étaient exécutés. Il n’y avaient plus de fonctionnaires : toute « l’administration » était l’affaire des Préposés aux libations. Le peuple (chinois) et les aborigènes étaient très satisfaits du régime.

Un autre ouvrage, le Tienlo, précise que les Préposés aux libations ne s’occupaient pas seulement des auberges d’équité et du bien-être matériel du peuple, mais aidaient aussi les adeptes à la connaissance du livre canonique de cinq mille mots, le Laotseu (Taoteking).

La communauté des Cinq boisseaux de riz a duré trente ans. Elle disparaîtra dans les guerres marquant la fin de la dynastie des Seconds Han en 220 et la formation des Trois Royaumes (220-280).

Vers la fin du Xe jusqu’au début du XIIe, les mots d’ordre de l’anarchie utopiste taoïste inspireront encore maints soulèvements de la plèbe paysanne.

En 1120, dans le Zhejiang, les réquisitions pour la construction du Palais impérial ont provoqué une brève insurrection, dirigée par une société secrète bouddhique dans la lignée de l’esprit subversif taoïste. Les insurgés, mal armés, strictement végétariens et qui rendaient un culte aux démons, massacrent riches, fonctionnaires et notables. Quand leur chef fut capturé après un an de combat, ils échappèrent à la répression par des suicides collectifs. Dix ans plus tard, en 1130 - dans la tradition taoïste des Cinq boisseaux de riz du IIe siècle -, se déclencha le soulèvement paysan, dans la région du lac Dongting, au Sud du Hounan. Les exactions des fonctionnaires, les pillages d’une armée mi-officielle mi-privée, avaient poussé à bout les paysans, dont la plupart étaient gagnés à la secte taoïste animée par Tchong Xiang. Le patriarche, magicien et chef de guerre, déclara « scélérates les lois des Song (dynastie régnante) » et proclama le fameux « niveler nobles et vilains ; égaliser riches et pauvres ». Les insurgés firent table rase des signes de l’ordre ancien, ils « incendièrent les bâtiments administratifs, les citadelles et les marchés, les pagodes et les temples, les maisons des puissants brigands, ils massacrèrent les fonctionnaires, sans épargner les lettrés jou, moines, guérisseurs, devins… », c’est-à-dire tous ceux qui leur paraissent vivre sans travailler, sans peiner pour avoir leur riz. Tchong Xiang tomba au trente-cinquième jour de l’insurrection. Ses disciples continuèrent la lutte avec plus de 400 000 fidèles, qui ébranlèrent dix-neuf districts jusqu’en 1134 avant d’être tous massacrés.

À la même époque, les soulèvements de paysans déclenchés par les sociétés secrètes bouddhiques, Lotus blanc (Bailian), Nuage blanc (Baiyun), et d’autres mouvements contre l’impôt et les corvées, dans l’attente de l’arrivée d’un Bouddha-messie. Du 14ème au 18ème siècle, d’innombrables rébellions paysannes n’ont cessé d’ébranler le pouvoir et les classes possédantes. Les Turbans rouges (Hongjin) dans les années 1340, par leur alliance avec une autre formation d’insurgés sous la conduite d’un moine … ont contribué à l’avènement de ce dernier comme empereur fondateur de la dynastie des Ming en 1368. Signalons un événement remarquable en 1448-1449 : les insurgés paysans s’allient aux ouvriers des mines d’argent en révolte dans la région frontière du Zhejiang et du Fukien durant la grande rébellion menée par Dong Maotsi. La répression impériale a fait un million et demi de morts. Vers 1636, un ancien gardien de moutons, Li Zicheng s’appuyant sur les petits propriétaires ruinés et des lettrés pauvres parvint à occuper toute la Chine du Nord et se proclama empereur à Xian. Il finit par être tué par des paysans. Un ancien soldat, Zhang Xianzhong, à la tête de la plèbe, fait massacrer les riches propriétaires, les notables et les fonctionnaires impériaux, libère tous les esclaves pour dettes et s’octroie le titre de roi à Chengdu. Il tombe au combat en 1646, après s’être rendu maître de la vallée du Fleuve Bleu et du Seuchuan deux ans durant. Sous le dernier règne des Mandchous, les grandes insurrections des miséreux regroupés dans la société secrète du Lotus blanc éclatèrent dans les années 1780 et ne s’éteindront qu’en 1803.

Une grande insurrection explose aux environs de 1851, préparée par l’implantation de ces sociétés secrètes de tendance révolutionnaire. La tendance égalitariste et communautaire qui avait, - dans un contexte historique différent - inspiré le grand soulèvement des Turbans jaunes et des Cinq boisseaux de riz au IIe siècle reprend vie dans la rébellion des Taiping (Grande Paix), adeptes de l’Association des adorateurs de Dieu (Baishangtihui). Les Taiping se signalent par leur chevelure et l’abandon de la natte, imposée par le pouvoir mandchoue - on les appelle aussi « les bandits aux longs cheveux ». Ils procèdent à la confiscation et au partage des terres. Ils instituent un régime communautaire, où personne ne possède de bien en propre et où les besoins de chacun sont assurés par la collectivité. Le mouvement vise à l’égalité absolue des hommes et des femmes au travail et à la guerre. Il condamne la pratique du bandage des pieds des fillettes. Mais les réformes ne parvinrent pas à dépasser le stade de réalisation de détail, le mouvement dégénéra en régime de pure terreur et dura jusqu’en 1864. Vaincus, nombre d’entre eux s’exileront au Vietnam, où sous le nom de Pavillons noirs, ils participeront activement à la résistance contre l’invasion française.

Qu’en est-il maintenant des rêves de ceux qui voulaient s’élancer à l’assaut du ciel ? Ce passage de relais invisible d’espoirs et de défaites qui semblait relier tant de luttes sous le signe de la communauté idéale est-il définitivement interrompu avec la marchandisation de plus en plus effrénée des relations humaines ? Au moins peut-on se familiariser avec ces visions du passé pour enrichir l’imagination d’un autre avenir.

TROIS ROYAUMES

Chine, période des trois royaumes, époque de troubles
Période des Trois Royaumes (220-265 après J.C.)

Introduction

La dynastie des Han (206 av. J.-C. à 220 ap. J.-C.), par la durée de son règne mais aussi par ses réformes administratives, connue un tel prestige et une telle prospérité que le peuple chinois se qualifie encore aujourd’hui de peuple Han. La chute de cette dynastie et la longue période d’instabilité qui s’ensuivit eurent d’importantes conséquences politiques, militaires et culturelles sur la société chinoise du début du IIIème siècle de notre ère. Une longue période parsemée de guerres de clans divisa la Chine en trois royaumes : Shu, au Sud-Ouest de la Chine, sa capitale est Chengdu, et la dynastie y régna de 221 à 263 ; Wei, au Nord de la Chine, sa capitale est Luoyang, et la dynastie y régna de 220 à 265 ; et Wu, au sud-est de la Chine, sa capitale est Nankin, et la dynastie y régna de 229 à 280.[1] Ces royaumes sont respectivement dirigés par les chefs militaires Liu Bei, Cao Cao et Sun Quan.

En trois ans seulement, l’Empire Han fut décomposé en trois royaumes, aucun n’arrivant à prendre l’ascendant sur l’autre, et ce pendant une cinquantaine d’années. Débuta ensuite une longue période de guerres civiles car chacun des chefs tâchèrent de réunir et de centraliser l’Empire à partir de leur capitale. Ils furent donc constamment en guerre, cherchant les appuis tantôt de l’un, tantôt de l’autre afin de pouvoir s’arroger davantage de territoire.

Je tâcherai de faire la lumière sur cette période importante et méconnue que la culture chinoise a romancée et véhiculée par L’épopée des Trois Royaumes. J’analyserai les causes de la chute des Han, le contexte de l’ascension des chefs ainsi que les éléments qui présentent des changements et des continuité pour la population.

Au commencement du IIe siècle de notre ère, la Chine des Han s’enlisait peu à peu dans l’incompétence et l’anarchie. Le fonctionnement du vaste Empire chinois reposait symboliquement sur la personne de l’empereur ce qui lui conférait l’importance primordiale rattachée à ce titre. Malheureusement, en 184, l’empereur n’était qu’un enfant et les puissants du royaume profitèrent de l’instabilité qui culmina avec la révolte des Turbans Jaunes (184-191).[2]

La fin de la dynastie des Han

De violentes révoltes marquèrent la fin de la dynastie des Han postérieurs. En 190, le palais de Luoyang fut pillé et incendié, les trésors et les œuvres d’art que les Han accumulaient depuis 200 ans furent détruits. La dynastie fut définitivement emportée par l’insurrection des Turbans Jaunes, qui fut un soulèvement paysan d’une très grande ampleur mené par le prophète taoïste Zhang Jiao. Ce soulèvement était dirigé contre toutes les institutions administratives et gouvernemental ; contre l’Empire Han qu’ils jugeaient corrompu. Pour réprimer le mouvement, les chefs de guerre procédèrent à la formation d’armées autonomes qui ne répondaient qu’à leurs chefs et non plus à l’empereur. Des généraux s’illustrèrent, dont Cao Cao (115-220), désireux de profiter de l’instabilité du pouvoir pour se tailler une part du royaume. À ce moment, même si le dernier empereur des Han n’avait pas encore été déposé, les chefs militaires détenaient la réalité du pouvoir. Ce fut à la fin du IIe siècle que les empereurs Han perdirent toute autorité. À la cour à Luoyang, les dirigeants se disputèrent le pouvoir jusqu’à ce que Cao Cao s’y rende à la tête de ses troupes afin de se proclamer Protecteur du trône[3]. La Chine se fragmenta alors en unités politiques rivales dont les conflits plongèrent le pays dans une anarchie durable. Ici débuta la période des Trois Royaumes, et le commencement de nombreuses années d’instabilité politique.

Caractéristiques des trois royaumes

L’élément qui déclencha directement la division de l’Empire fut la bataille de la Falaise Rouge, survenue en 208. Elle se solda par la défaite de Cao Cao face aux forces alliées de Sun Quan et de Liu Bei et par la formation de royaumes en quête d’hégémonie.[4]

Wei

Le royaume de Wei, situé dans le bassin du Fleuve Jaune, était dirigé par Cao Cao. Il dirigeait le plus fort des royaumes et avait l’autorité sur toute la zone de la vallée de Wei, et ce même avant la fin du règne des Han. Sa priorité fut d’étendre son autorité sur toute la Chine du Nord car cette partie était la plus riche de l’Empire. Cao Cao rechercha partout des hommes de talent qu’il nommait fonctionnaires selon leur capacité et gardait constamment des troupes en cantonnement pour leur faire défricher les landes. Cao Cao était connu pour son caractère méfiant et soupçonneux. À sa mort, son fils Cao Pei réalisa le projet paternel et se fit nommer empereur du royaume de Wei. Le royaume de Wei, centralisateur et autoritaire, était une dictature militaire. La politique menée par Cao Cao visait le développement économique de son royaume par l’exploitation de colonies agricoles ainsi que le renforcement de la justice criminelle.[5]

Shu

Le royaume de Shu était dirigé par Liu Bei, prince Han d’une branche cadette qui vivait dans de modestes conditions. Plusieurs fidèles ou nostalgiques du règne des Hans s’allièrent à Liu Bei dans ses efforts pour légitimer son pouvoir, défendre les frontières de son royaume et conquérir ses voisins. Liu Bei était cependant le seul prétendant légitime à la succession des Han. L’histoire associe à cet empereur les valeureux et quasi légendaires Guan Yu, Zhang Fei et Zhuge Liang dont les hauts-faits sont exposés dans L’Épopée des Trois Royaumes. Le royaume de Shu, centralisé et militaire, était légitimiste et sa capitale Chengdu était située dans l’actuel Sichuan.[6]

Wu

Le royaume de Wu était dirigé par Sun Quan qui fut pendant longtemps l’allié de Liu Bei. Il commença cependant à craindre le succès que remportaient les légitimistes. Dans la crainte de perdre prestige et possessions il délaissa ses ententes avec Liu Bei pour s’allier à Cao Cao. Le royaume de Wu était dirigé par une confédération formée des familles de propriétaires les plus puissantes de la région.[7]

Personnalités et événements

Cao Cao avait les qualité d’un bon chef, bon capitaine et meneur d’homme il était par contre sans scrupule et brutal mais dans l’ensemble un homme politique rusé et adroit en plus d’être fort lettré. Il tenta d’unifier toute la Chine, mais perdit la bataille contre Sun Quan et Liu Bei dans la bataille de la Falaise rouge (208). Cette défaite marqua le commencement des nombreuses batailles entre les trois royaumes.

Dans le nord, les successeurs du royaume de Wei laissèrent les possessions et le gouvernement tomber dans une dégénérescence rapide. Le royaume de Wei réussi néanmoins à conquérir le royaume de Shu en 263. Les dirigeants laissèrent cependant peu à peu le pouvoir à des maires du palais, dont la vocation était héréditaire, qui appartenaient à la maison des Sima.[8]

Changements et continuité en cette période de troubles

Bien que cette période tumultueuse ait durée moins de cinquante ans, la rivalité et les conflits ont été d’une telle importance que cette époque demeure l’une des plus célèbres de l’histoire de Chine.

L’historien Rafe de Crespigny, dans son ouvrage intitulé The Foundation and Early History of the Three Kingdoms, State of Wu, tente de confirmer les éléments de légendes contenus dans L’Épopée des Trois Royaumes en établissant ce qui s’est réellement produit par rapport aux éléments romantiques qui furent rajoutés lors de l’écriture du roman. Écriture qui fut postérieure de plusieurs années aux événements, l’histoire fut longtemps véhiculée de façon orale. L’histoire réelle proposée par Crespigny est avant tout politique et militaire et s’articule autour d’une infinité d’alliances stratégiques et de conflits civils. Il développe l’idée selon laquelle la défaite de Cao Cao serait due à sa rencontre avec le général Zhou Yu du royaume de Wu plutôt qu’avec Zhuge Liang tel que la tradition littéraire le prétend.[9]

Malgré les troubles, cette période ne fut pas exempte d’innovations techniques et culturelles puisque c’est à ce moment que se développa, la consommation du thé ainsi que la fabrication de la porcelaine. Le IIIe siècle fut une époque culturellement riche, celle du développement de cénacles de philosophes et de renouveau artistique, avec notamment le calligraphe et poète Wang Xizhi et le grand peintre Gu Kaizhi.[10]

Durant la période des Trois Royaumes, le général Kong Ming utilisa le déploiement tactique au combat. Ce qui démontre que les guerres, même endémiques, étaient très méthodiques à cette époque.[11] Dans le royaume de Cao Cao, les militaires formaient même une caste fermée qui ne se mariait qu’entre eux.[12] Ce fut également durant ces années que se diffusa largement le bouddhisme favorisé par les dirigeants et les aristocrates. Les communautés bouddhistes étaient exemptées d’impôts et de corvées. Ce statut particulier engendra une rivalité latente entre les religions.[13]

Fin des Trois Royaumes

En 265, l’Empire est enfin réunifié alors que l’un des maires du palais, Sima, déposa le dernier empereur des Wei et monta sur le trône comme fondateur des Tsin.[14] Une division se produisit ensuite entre la chine du Nord et la Chine du Sud. Au nord, les Huns recommencèrent leurs ravages profitant des troubles internes pour agir. Les multiples tentatives de réunifications ne résistèrent cependant pas à ces percées des tributs barbares, originaires des steppes ou du Tibet, qui dès le IIe siècle déferlèrent sur les bassins de Wei et du Huang He.[15] L’armée Wei, au terme d’une longue marche, prit la capitale du Shu, qui se rendit vers 284. Le royaume du Wu, qui n’avait que peu de chance de résister au puissant royaume de Wei donna sa rédition en 292. Après un court retour à l’unité sous l’autorité du fondateur de la dynastie des Jin occidentaux, Sima Yan, la Chine retomba dans le chaos de la guerre. Ainsi pendant environ trois siècles, le nord du pays fut aux mains des Turco-mongols. Au sud, en revanche, les dynasties se succédèrent à Nankin. L’État affaibli ne put rien contre la puissance des grandes familles aristocratiques et la plupart des régions vécurent la fin de la crise repliées sur elles-mêmes.[16]

Conclusion

Finalement, l’époque des Trois Royaume fut effectivement une période tourmentée au point de vu politique et militaire. Ces conditions de conflits constant ne manquèrent pas d’affecter les populations qui vivaient dans une crainte permanente, ainsi que l’économie qui ressenti les contrecoups de l’insécurité des voies commerciales. Lors de la chute des royaumes, les invasions des peuples de la steppe provoquèrent l’apparition d’un État et d’une culture originale où l’influence chinoise se combina avec celle des nomades.
Les luttes que se livrèrent les dirigeants des trois royaumes ont été conservées et élevées au rang de légende par le classique historique de la littérature chinoise L’Épopée des Trois Royaumes. Cet ouvrage oriental tient une place équivalente à La Chanson de Roland pour la littérature occidentale.[17]
Cao Cao, décédé en 220, aurait fait construire 72 tombes de son vivant au bord de la rivière Zhanghe afin de dissuader ses ennemis de chercher l’emplacement de sa véritable sépulture. Certains historiens affirment que l’une de ces tombes contient effectivement la dépouille du général, alors que d’autres croient que ces tombes étaient toutes destinées à égarer les pilleurs. Les archéologues n’ont jamais découvert la vraie tombe de Cao Cao.[18]

Bibliographie

BALAZS, Étienne. La bureaucratie céleste. Paris, Gallimard, 1968. 351 pages.

De CRESPIGNY, Rafe. The Foundation and Earl History of the Three Kingdoms State of Wu. Sidney, Australian National University, 1990,713 pages.

GERNET, Jacques. La Chine ancienne : des origines à l’Empire. Coll. Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France, 2001. 126 pages.

KAMENAROVIC, Ivan P., La Chine Classique. Paris, Les Belles Lettres, 1999, 287 pages.

MASPERO, Henri. La Chine antique. Paris, Presses Universitaires de France, 1978. 519 pages.

WAKEMAN, Frederick JR., « Rebellion and Revolution : The Study of Popular Movements in Chinese History », The Journal of Asian Studies. Vol. 36, No. 2, (Feb. 1977). P. 201-237.

[1] Jacques Gernet. La Chine ancienne : des origines à l’Empire. Coll. Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France, 2001. p. 65.
[2] Ivan P. Kamenarovic., La Chine Classique. Paris, Les Belles Lettres, 1999, pages 39-40.
[3] Frederick Jr Wakeman, « Rebellion and Revolution : The Study of Popular Movements in Chinese History », The Journal of Asian Studies. Vol. 36, No. 2, (Feb. 1977). p. 204.
[4] Henri Maspero. La Chine antique. Paris, Presses Universitaires de France, 1978. p. 119.
[5] Ibid., p. 123.
[6] Ivan P. Kamenarovic., La Chine Classique. Paris, Les Belles Lettres, 1999, p. 40.
[7] Henri Maspero. La Chine antique. Paris, Presses Universitaires de France, 1978. p. 124.
[8] Ivan P. Kamenarovic., La Chine Classique. Paris, Les Belles Lettres, 1999, p. 48.
[9] Rafe De Crespigny. The Foundation and Earl History of the Three Kingdoms State of Wu. Sidney, Australian National University, 1990.
[10] Henri Maspero. La Chine antique. Paris, Presses Universitaires de France, 1978. p. 126.
[11] Frederick Jr Wakeman, « Rebellion and Revolution : The Study of Popular Movements in Chinese History », The Journal of Asian Studies. Vol. 36, No. 2, (Feb. 1977). p. 232.
[12] Henri Maspero. Op. Cit., p. 123.
[13] Ivan P. Kamenarovic., La Chine Classique. Paris, Les Belles Lettres, 1999, p. 38.
[14] Henri Maspero. La Chine antique. Paris, Presses Universitaires de France, 1978. p. 130.
[15] Ibid. p. 129.
[16] Ivan P. Kamenarovic., La Chine Classique. Paris, Les Belles Lettres, 1999, p. 42.
[17] Ivan P. Kamenarovic., La Chine Classique. Paris, Les Belles Lettres, 1999, p. 41.
[18] Henri Maspero. La Chine antique. Paris, Presses Universitaires de France, 1978. p. 120.


[1La persécution atteignit d’ailleurs tous les autres courants philosophiques de l’époque qui s’opposaient à la tentative d’unification des Ts’in et à son école de légistes.

Messages

  • Tout d’abord je dirais que l’histoire de la république chinoise est révolutionnaire. On peut l’insinuer en récapitulant les attaques japonaises perpétrées contre la Chine. Le Japon enleva à la chine sa région la plus riche. La chine constata alors que ça ne pouvait pas aller ainsi. Ils ont d’abord commencé par se concerter pour un changement dans leur pays. Il y avait un homme, un bibliothécaire, qui ne faisait que lire ; lire les oeuvres de Karl Marx : de Lénine pour ainsi enrichir sa connaissance pour une chine "bien gouverner". Petit à petit l’oiseau a fait son nid. Mao, "un révolutionnaire", a fait un coup d’Etat pour s’installer au trône. Et puis bien après, il a bien construit la chine pendant une génération : 25 ans. Mais ce que j’aime de plus chez lui c’est qu’il est franc. Voici un exemple qu’il a d’ailleurs fait. Lorsqu’il a vu que son premier ministre était un homme qui aimait plus la jouissance, il l’a démis de ses fonctions pour le mettre dans une plantation pour cultiver un peu et savoir ce qu’est la vie. A franc parler, la chine est un pays "révolutionnaire" qui a su s’organiser jusqu’à être 4ème puissances économiques.
    bil de b ko

  • J’ai Lu votre réponse sur ma lettre ouverte sur la Chine et je lirai tout le texte pour donner mon point sur Mao. J’ai su que dans toutes choses il y a une idéologie cachée, un mythe mais puisque je n’ai pas encore fini de le manger, je m’arrête à ceci.bil de bko.

  • reponse a bil de bko.oui t’a raison de lire lenine et hegel et voir comment les mondes sont embriqués.cela étant un penseur comme lenine ces idées son innépuisable philosophiquement parlant sur hegel, donc je te propose de continuer a le lire.oui je pense que sur les idée d’un mastdons comme hegel tout le monde peux les interepretés comme bon le semble mais sache ca meme qu’il ya plusieurs ecoles dans ce vieux monde,l’école religieuse,l’école bourgoise sosal democrates l’école stalinienne donc reformiste,l’école anarchiste ect ect mais nous somme en accors avec l’école révolutionnaire comuniste prolétarien donc en accor avec les interpretation de lenine et de trotsky sur hegel,et marx.de tout ce que t’a dit et fait tu vois bien qu’au mali contrairement de ce que tu écrivais la derniere foi les individu bouge au mali même si en realité je sais pas du tout ce que mali veux dire .je dit ça parceque je pense que personne ne peut dire que telle coin du monde ou telle coin du monde bouge ou pas le plus important est que moi en tanr qu’individu je bouge et je bouge sur qu’els idées ect.la société humaine en tant société de classe est dinamique a une echelle inimaginable par tout par tout.reponse a bil de bko.

  • . . . . . . . .

    Texte ancien de Chang Yang :

    L’État et le peuple deviennent deux éléments antagonistes. D’une part l’État doit être rendu riche et fort, d’autre part il faut prendre toutes les précautions pour que le peuple comme tel reste faible et pauvre, entièrement dépendant de l’État. Alors seulement il pourra être utile à l’État, l’armée pourra être forte, et l’obéissance assurée. C’est ce que visent ces expressions curieuses : « l’élimination de pouvoir » et « l’affaiblissement du peuple ». « Si le peuple est plus fort que le gouvernement, l’État est faible ; mais si, au contraire, le gou­vernement est plus fort que le peuple, l’armée est forte. »

    Par quels moyens peut-on effectuer cette dépendance absolue ? Par les récompenses et les châtiments, qui, ensemble, doivent régir entièrement les dispositions du peuple. Ils doivent être donnés seulement pour de vrais mérites ou démérites, et il ne doit y avoir que deux activités du peuple donnant lieu à récompense : l’agriculture et la guerre. L’existence de l’État dépend de ces deux choses, et, comme il est clair que, par nature, le peuple n’aime pas les activités aussi dures, la distribution judicieuse des récompenses et des peines doit l’y stimuler. Il doit être employé constamment à l’une ou l’autre de ces tâches : et, comme la guerre est encore plus haïe par le peuple que l’agriculture, les conditions ordinaires doivent être rendues tellement dures pour lui que le peuple en arrivera à regarder la guerre comme une délivrance agréable de ses labeurs et comme une occasion excellente de gagner des récompenses ! Alors les gens se battront avec toute leur énergie et ils gagneront « dix points sur chaque point qu’ils entreprennent ». L’armée ne devrait hésiter devant aucun danger ; si elle ose faire ce que l’ennemi n’ose point, elle vaincra et l’État deviendra fort. Même des gens craintifs seront rendus courageux par un bon système de récompenses et de châtiments. Afin que personne ne puisse échapper à ses devoirs, tout le peuple doit être enregistré.

    Il ne doit y avoir aucun autre moyen pour acquérir des récompenses, des titres, etc : que le mérite dans ces deux domaines. Seulement cette porte d’accès aux richesses et aux honneurs doit être ouverte ; toutes les autres portes doivent être fermées : Aussi n’y a-t-il, dans ce système, aucune place pour le féodalisme. Ainsi les récompenses et les peines sont unifiées ; c’est-à-dire données d’après une seule base, et le peuple aura un seul but ; il sera concentré exclusivement sur l’agriculture et la guerre : Les récompenses doivent être rares : « Une récompense sur dix punitions », et les punitions sévères : « Les petits délits doivent être regardés comme des choses graves » parce qu’ainsi on peut empêcher le mal de se développer. Si les punitions sont graves, les récompenses auront une valeur d’autant plus grande ; et si les récompenses sont minces, les punitions inspireront d’autant plus de crainte. Prévenir vaut mieux que guérir : le peuple doit être gouverné pendant qu’il est dans l’ordre ; il ne faut pas attendre pour prendre des mesures qu’il soit tombé dans le désordre. Alors les effets préventifs des châtiments sévères seront tels que les châtiments deviendront superflus et ainsi par le moyen des peines les peines seront abolies. » Tandis que des punitions légères, laissant échapper les petits délits, permettraient au crime de se développer ; et ainsi il faudrait recourir à des punitions fréquentes. Ce système de peines, en effet attirera des peines ».

    Ainsi chaque petit délit doit être puni ; comment les décou­vrir tous ? Si des hommes vertueux sont employés dans le gouver­nement, les gens mauvais les tromperont facilement. C’est pourquoi il faut que les gens mauvais gouvernent les gens vertueux ! La crainte seule peut empêcher le peuple de violer la loi, et ainsi il est vrai que « la vertu a son origine dans les châtiments ».

    . . . . . . . .

  • On présente souvent dans les médias bourgeois la Chine comme la nouvelle puissance mondiale, en mettant souvent en avant Shangai ou Hong kong, en réalité la Chine est une sous traitante des véritables pays impérialistes, même si il y a une forte bourgeoisie notemment dans ces villes les campagnes y sont encore trés arriérés quasiment moyennes- âgeuses. Les pays impérialistes en la montrant du doigt cache ainsi leur vraie nature, ils ne seraient plus que des puissances qui déclinent et qui plus est démocratique !

    Le fossé au sein de cette puissance (car la Chine en est quand même une) est curieux car comme le rappel cet article il y a eu d’énorme boulversement et de tout temps notemment au 20ème siècle avec la révolution bourgeoise de 1911 qui a détruit l’ordre impérial tenus par les Qing depuis 268 ans pour aboutir à une République, avec aussi l’expédition du Nord ou les Nationalistes ont achevés de soumettre les Seigneurs de guerre qui menacés leur pouvoir, et bien sur avec la victoire militaire du Pc Chinois de Mao qui conduit à sa prise de pouvoir en 1949.

    Je pense que cette situation est due au faite que la Chine était composé depuis trés longtemps d’une bourgeoisie puissante et organisée qui a beaucoup lutté et quand elle a prit le pouvoir politique elle s’est imposé facilement détruisant des vieux régimes mais en bougeant le moins possible les structures sociales, mais également en se faisant des guerres de clan.

    • Que la Chine soit dépendante des autres grandes puissances signifie qu’elle a eu un développement contradictoire. Ce n’est pas un hasard. le développement inégal n’a pas là une exception mais la règle. D’autre part, cela ne veut pas dire que cette grande puissance n’est pas en train de monter. mais cela signifie qu’il y aura des heurts et que l’on ira nécessairement à une fuite en avant dès que l’impérialisme essaiera de bloquer la bourgeoisie chinoise. Pour le reste, ce ne sont pas les vieilles traditions qui l’expliquent mais les grandes potentialités de ce grand pays et sa position en Asie, c’est-à-dire justement là où l’impérialisme avait lancé diverses tentatives de trouver un successeur au développement japonais puis sud-coréen hongkongais, malais et taiwanais. Les circonstances historiques ont favorisé la Chine : besoin d’isoler l’urss, guerre perdue par les USA en Indochine et rôle de la Chine comme gendarme de cette région de l’Asie (la Chine a pris la suite des USA en faisant la guerre au Vietnam, juste après les américains). D’autre part, juste à ce moment, la croissance américaine et la croissance japonaise avaient absolument besoin d’une vraie béquille pour leur développement. la Chine offrait une possibilité. Paradoxalement, c’est sa dictature sur une population paysannne misérable et donc l’arriération qui offrait des possibilités de développement d’une exploitation rentable des immigrés venus des campagnes.

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