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Le spectre de Marx hante-t-il toujours la science ?

vendredi 20 mai 2022, par Robert Paris

Le spectre de Marx hante-t-il toujours la science ?

Le matérialisme dialectique de Marx n’est pas seulement scientifique quand il étudie l’économie mais est une vision d’ensemble du monde. Comme telle, il unifie la connaissance et la réalité, la philosophie et la science.
Le stalinisme a été dans ce domaine une aussi grande contre-révolution que dans d’autres et a justifié bien des réactions antimarxistes des philosophes et des scientifiques.
Cependant, nombre de grands scientifiques se sont revendiqué des idées du marxisme comme le physicien-chimiste Prigogine, le géologue et paléontologue Gould, l’immunologue Ameisen, les physiciens Rosenfeld, Cohen-Tannoudji, Lévy-Leblond, Klein et Langevin, le psychiatre Meire et les biologistes Atlan, Levins et Lewontin. Et la liste est loin d’être exhaustive.

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Certains ne manqueront pas d’évoquer la prétention qu’avaient eue les staliniens de dicter, au nom du marxisme, des résultats aux savants. On se souvient des chasses aux sorcières qui en ont découlé, notamment parmi les biologistes russes avec l’affaire Lyssenko. On n’a pas oublié, par exemple, la situation catastrophique de la biologie russe mise sous la direction de l’autoproclamé « maître génial des sciences » Staline, et notamment le sort tragique de Nicolaï Vavilov, biologiste victime du stalinisme, décédé en 1943 suite aux mauvais traitements de la bureaucratie russe. Au nom du culte stalinien d’une prétendue « science prolétarienne » (idée toujours combattue par Lénine et Trotsky). On se souvient également d’une soi-disant « loi du progrès » opposée à la théorie de l’évolution de Charles Darwin (une thèse qui n’a rien à voir avec la « dialectique de la nature » proposée par Marx et Engels) proposée par le biologiste Trofim Denissovitch Lyssenko et imposée par Staline contre Vavilov en même temps que le retour vers l’héritage des caractères acquis contre la thèse de l’évolution des espèces. Vavilov n’a pas accepté la thèse imposée, mais a succombé devant la méthode de la falsification et du mensonge et devant la violence de ses bourreaux. Comme l’avait démontré Léon Trotsky notamment dans « La révolution trahie », les idées marxistes révolutionnaires ainsi que les intérêts des travailleurs et du socialisme avaient été, déjà vingt ans avant, sacrifiées par Staline et la bureaucratie au nom du « socialisme dans un seul pays » (n’ayant de socialisme que le nom). On se rappelle également des dictatures idéologiques invraisemblables, avec d’épisodes ridicules comme celui des chirurgiens chinois brandissant le petit livre rouge de Mao avant toute opération, à l’époque de la « révolution culturelle ».

Ceci n’est pas notre point de vue. Ce n’était pas non plus celui de Marx et Engels, ni de leurs véritables continuateurs, Lénine et Trotsky. Le marxisme véritable n’a jamais préconisé qu’une idéologie dicte ses résultats à la science même s’ils affirmaient que la philosophie moderne ne pouvait se tenir à l’écart des débats scientifiques. Friedrich Engels, l’un des fondateurs du marxisme, appelait la philosophie à s’emparer des questions posées par les sciences en ces termes : « Le temps est venu que la philosophie s’élève jusqu’à la science ». Il rappelait que la nature ne nous livre pas directement ses lois, ni de manière évidente. « Ici, qu’on le veuille ou non, il faut penser : on ne peut observer l’atome et la molécule, etc, à l’aide du microscope, mais seulement au moyen de la pensée. (...) Les savants croient se libérer de la philosophie en l’ignorant ou en la vitupérant. Mais, comme sans pensée ils ne progressent pas d’un pas et que, pour penser, ils ont besoin de catégories logiques, comme, d’autre part, ils prennent ces catégories, sans en faire la critique, (...) ils n’en sont pas moins sous le joug de la philosophie, et la plupart du temps, hélas, de la plus mauvaise. Ceux qui vitupèrent le plus la philosophie sont précisément esclaves des pires restes vulgarisés des pires doctrines philosophiques. (...) Physique, garde toi de la métaphysique ! C’est tout à fait juste mais dans un autre sens. (...) Ce n’est que lorsque la science de la nature aura assimilé la dialectique que tout le bric-à-brac philosophique – à l’exception de la pure théorie de la pensée – deviendra superflu. » expliquait Friedrich Engels dans « Dialectique de la nature ».

Loin de vouloir dicter ses lois aux sciences lorsqu’il parlait d’une « dialectique de la nature », il affirmait, dans l’ancienne préface à l’ « Anti-Dühring », « Le monde réel n’est pas la copie de l’idée. (...) Dans tout le monde scientifique, dans la nature comme dans l’histoire, il faut partir des faits donnés, donc dans la science de la nature des diverses formes réelles et formes de mouvement de la matière. En conséquence, dans la science théorique, les enchaînements ne doivent pas être introduits dans les faits par construction, mais découverts en partant d’eux, et, une fois découverts, ils doivent être attestés par l’expérience (...) » Dans l’« Anti-Dühring », il précisait que « Le matérialisme moderne (...) est essentiellement dialectique et n’a que faire d’une philosophie placée au dessus des autres sciences. (...) Il ne pouvait s’agir pour moi de faire entrer par construction les lois dialectiques dans la nature, mais de les y découvrir et de les en extraire. » Cela rend justice de l’affirmation de certains auteurs anti-marxistes, dont nombre de scientifiques, selon lesquels, sous l’intitulé « Dialectique de la nature », Engels aurait produit une idéologie prétendant se placer au dessus des sciences. Leur interprétation d’un seul passage de « Dialectique de la nature » d’Engels, citant des formulations de Hegel sur les « lois de la dialectique », est un contresens. Engels rejette l’idéalisme, philosophie qui recherche une formule abstraite à placer au dessus du fonctionnement réel du monde. Dans l’ « Idéologie allemande », Marx et Engels ont rompu avec les conceptions idéalistes de Hegel et des hégéliens. Mais cela ne les pas amenés à rompre avec les avancées de la philosophie dialectique de Hegel et à affirmer qu’ils étaient en partie hégéliens dans leur démarche d’étude scientifique du monde.

Bien sûr, il y a de nombreuses réticences à voir la philosophie tenir sa place en sciences et, tout particulièrement, le marxisme. Tout le monde se souvient de la chape de plomb du stalinisme qui a pesé longtemps sur les sciences en Russie. Ignorant les positions réelles d’Engels (ce qu’il reconnaissait explicitement, racontant n’avoir lu que les auteurs staliniens), le biologiste Jacques Monod, dans « Le hasard et la nécessité », accusait la théorie de Engels et de Marx d’être responsable des crimes du stalinisme. Aujourd’hui, on retrouve le même type d’accusations chez nombre d’intellectuels et pas seulement des historiens ou des sociologues. Dans les conférences de l’Université de tous les savoirs des janvier 2000, un biologiste nommé Pierre Boistard accuse : « Le matérialisme dialectique est un des édifices idéologiques qui conduisait Lyssenko à nier la théorie du gène comme déterminant héréditaire invariant au travers de générations. » Un grand nombre de scientifiques prétendent que le marxisme n’a rien à voir avec la science ou même que la science contredit les thèses marxistes. Ainsi, le prix Nobel de Médecine 1981, Roger Sperry, prétend que : « Le type de valeurs soutenues par la doctrine marxiste est presque diamétralement opposée de celles qui émergent de l’approche scientifique en termes modernes. »

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Karl Marx, dans Le Capital Livre III :

« Toute science serait superflue s’il y avait coïncidence immédiate entre la forme phénoménale et l’essence des choses. »

Friedrich Engels, dans Anti-Dühring :

« Pour le métaphysicien, les choses et leurs reflets dans la pensée, les concepts, sont des objets d’étude isolés, à considérer l’un après l’autre et l’un sans l’autre, fixes, rigides, donnés une fois pour toutes. Il ne pense que par antithèses sans moyen terme : il dit oui, oui, non, non ; ce qui va au-delà ne vaut rien. Pour lui, ou bien une chose existe, ou bien elle n’existe pas ; une chose ne peut pas non plus être à la fois elle-même et une autre. Le positif et le négatif s’excluent absolument ; la cause et l’effet s’opposent de façon tout aussi rigide. Si ce mode de penser nous paraît au premier abord tout à fait plausible, c’est qu’il est celui de ce qu’on appelle le bon sens. Mais si respectable que soit ce compagnon tant qu’il reste cantonné dans le domaine prosaïque de ses quatre murs, le bon sens connaît des aventures tout à fait étonnantes dès qu’il se risque dans le vaste monde de la recherche, et la manière de voir métaphysique, si justifiée et si nécessaire soit-elle dans de vastes domaines dont l’étendue varie selon la nature de l’objet, se heurte toujours, tôt ou tard, à une barrière au-delà de laquelle elle devient étroite, bornée, abstraite, et se perd en contradictions insolubles : la raison en est que, devant les objets singuliers, elle oublie leur enchaînement ; devant leur être, leur devenir et leur périr ; devant leur repos, leur mouvement ; les arbres l’empêchent de voir la forêt. Pour les besoins de tous les jours, nous savons, par exemple, et nous pouvons dire avec certitude, si un animal existe ou non ; mais une étude plus précise nous fait trouver que ce problème est parfois des plus embrouillés, et les juristes le savent très bien, qui se sont évertués en vain à découvrir la limite rationnelle à partir de laquelle tuer un enfant dans le sein de sa mère est un meurtre ; et il est tout aussi impossible de constater le moment de la mort, car la physiologie démontre que la mort n’est pas un événement unique et instantané, mais un processus de très longue durée. Pareillement, tout être organique est, à chaque instant, le même et non le même ; à chaque instant, il assimile des matières étrangères et en élimine d’autres, à chaque instant des cellules de son corps dépérissent et d’autres se forment ; au bout d’un temps plus ou moins long, la substance de ce corps s’est totalement renouvelée, elle a été remplacée par d’autres atomes de matière, de sorte que tout être organisé est constamment le même et cependant un autre. A considérer les choses d’un peu près, nous trouvons encore que les deux pôles d’une contradiction, comme positif et négatif, sont tout aussi inséparables qu’opposés et qu’en dépit de toute leur valeur d’antithèse, ils se pénètrent mutuellement ; pareillement, que cause et effet sont des représentations qui ne valent comme telles qu’appliquées à un cas particulier, mais que, dès que nous considérons ce cas particulier dans sa connexion générale avec l’ensemble du monde, elles se fondent, elles se résolvent dans la vue de l’action réciproque universelle, où causes et effets permutent continuellement, où ce qui était effet maintenant ou ici, devient cause ailleurs ou ensuite, et vice versa.

Tous ces processus, toutes ces méthodes de pensée n’entrent pas dans le cadre de la pensée métaphysique. Pour la dialectique, par contre, qui appréhende les choses et leurs reflets conceptuels essentiellement dans leur connexion, leur enchaînement, leur mouvement, leur naissance et leur fin, les processus mentionnés plus haut sont autant de vérifications du comportement qui lui est propre. La nature est le banc d’essai de la dialectique et nous devons dire à l’honneur de la science moderne de la nature qu’elle a fourni pour ce banc d’essai une riche moisson de faits qui s’accroît tous les jours, en prouvant ainsi que dans la nature les choses se passent, en dernière analyse, dialectiquement et non métaphysiquement, que la nature ne se meut pas dans l’éternelle monotonie d’un cycle sans cesse répété, mais parcourt une histoire effective. Avant tout autre, il faut citer ici Darwin, qui a porté le coup le plus puissant à la conception métaphysique de la nature en démontrant que toute la nature organique actuelle, les plantes, les animaux et, par conséquent, l’homme aussi, est le produit d’un processus d’évolution qui s’est poursuivi pendant des millions d’années. Mais comme jusqu’ici on peut compter les savants qui ont appris à penser dialectiquement, le conflit entre les résultats découverts et le mode de pensée traditionnel explique l’énorme confusion qui règne actuellement dans la théorie des sciences de la nature et qui met au désespoir maîtres et élèves, auteurs et lecteurs.

Une représentation exacte de l’univers, de son évolution et de celle de l’humanité, ainsi que du reflet de cette évolution dans le cerveau des hommes, ne peut donc se faire que par voie dialectique, en tenant constamment compte des actions réciproques universelles du devenir et du finir, des changements progressifs et régressifs. Et c’est dans ce sens que s’est immédiatement affirmée la philosophie allemande moderne. Kant a commencé sa carrière en résolvant le système solaire stable de Newton et sa durée éternelle - une fois donné le fameux choc initial - en un processus historique : la naissance du soleil et de toutes les planètes à partir d’une masse nébuleuse en rotation. Et il en tirait déjà cette conclusion qu’étant donné qu’il était né, le système solaire devait nécessairement mourir un jour. Cette vue, un demi-siècle plus tard, a été confirmée mathématiquement par Laplace et, un siècle après, le spectroscope a démontré l’existence dans l’univers de semblables masses gazeuses incandescentes à différents degrés de condensation. »

Lénine dans « La portée du matérialisme militant » :

« Nous devons comprendre qu’à défaut d’un solide fondement philosophique, il n’est point de science de la valeur, point de matérialisme qui pussent soutenir la lutte contre les pressions des idées bourgeoises et la restauration de la conception bourgeoise du monde. Pour soutenir cette lutte et la mener à terme avec un entier succès, le spécialiste des sciences de la nature doit être un matérialiste moderne, un partisan conscient du matérialisme tel que l’a présenté Marx, c’est-à-dire que son matérialisme doit être dialectique. (...) Nous pouvons et devons élaborer cette dialectique dans tous ses aspects, publier des extraits des principales œuvres de Hegel, les interpréter dans un esprit matérialiste. (...) Les spécialistes modernes des sciences de la nature trouveront (s’ils cherchent et si nous apprenons à les aider) dans la dialectique de Hegel interprétée de manière matérialiste un bon nombre de réponses aux questions philosophiques que pose la révolution dans la science. Faute de cela, les grands savants seront aussi souvent que par le passé impuissants dans leurs conclusions et généralisations philosophiques. Car les sciences de la nature progressent si vite, traversent une période de bouleversements révolutionnaires dans tous les domaines si profonde, qu’elles ne pourront se passer en aucun cas de conclusions philosophiques. »

« Outre l’alliance avec les matérialistes conséquents qui n’appartiennent pas au Parti communiste, ce qui n’est pas moins, sinon plus, important pour l’œuvre dont aura à s’acquitter le matérialisme militant, c’est l’alliance avec les représentants des sciences modernes de la nature qui penchent vers le matérialisme et ne craignent pas de le défendre et de le propager contre les flottements philosophiques en vogue dans ce qu’on appelle la « société cultivée », et orientés vers l’idéalisme et le scepticisme… Nous devons comprendre qu’à défaut d’une base philosophique solide, il n’est point de science de la nature ni de matérialisme qui puissent résister à l’envahissement des idées bourgeoises et à la renaissance de la conception bourgeoise du monde. Pour soutenir cette lutte et la mener à bonne fin, le savant doit être un matérialiste moderne, un partisan éclairé du matérialisme représenté par Marx, c’est-à dire qu’il doit être un matérialiste dialecticien. »

Source

Trotsky dans « Le Marxisme et notre époque » :

« Certains arguments de Marx, particulièrement dans le premier chapitre, le plus difficile, peuvent paraître au lecteur non initié beaucoup trop discursifs, oiseux ou métaphysiques En réalité, cette impression tient au fait que l’on n’a pas l’habitude de considérer scientifiquement des phénomènes très familiers. La marchandise est devenue un élément si universellement répandu, si familier, de notre existence quotidienne, que nous n’essayons même pas de nous demander pourquoi les hommes se séparent d’objets de première importance, nécessaires à l’entretien de la vie, pour les échanger contre de petits disques d’or ou d’argent qui n’ont par eux-mêmes d’utilité sur aucun continent. La marchandise n’est pas le seul exemple d’une telle attitude. Toutes les catégories de l’éco¬nomie marchande sont acceptées sans analyse, comme allant de soi, comme si elles constituaient la base naturelle des rapports entre les hommes. Cependant, tandis que les réalités du processus économique sont le travail humain, les matières premières, les outils, les machines, la division du travail, la nécessité de distribuer les produits manufacturés entre tous ceux qui participent au processus de la production, etc..., des catégories telles que la marchandise, la monnaie, les salaires, le capital, le profit, l’impôt, etc..., ne sont, dans la tête de la plupart des hommes, que les reflets à moitié mystiques des différents aspects d’un processus économique qu’ils ne comprennent pas, et qui échappe à leur contrôle. Pour les déchiffrer, une analyse scientifique est indispensable.

Aux États-Unis, où un homme qui possède un million est considéré comme « valant » un million, les concepts de l’économie de marché sont tombés plus bas que n’importe où ailleurs. Jusque tout récemment, les Américains n’accordaient que très peu d’attention à la nature des rap¬ports économiques. Dans le pays du système économique le plus puissant, les théories économiques restaient extrêmement pauvres. Il a fallu la profonde crise récente de l’économie américaine pour mettre brutalement l’opinion publique en face des problèmes fondamentaux de la société capitaliste. Quoi qu’il en soit, celui qui n’a pas perdu l’habitude d’accep¬ter passivement, sans esprit critique, les reflets idéologiques du développement économique, celui qui n’a pas pénétré, à la suite de Marx, la nature essentielle de la marchandise en tant que cellule fondamentale de l’organisme capitaliste, celui-là restera toujours incapable de comprendre scientifiquement les plus importants phénomènes de notre époque.

Ayant défini la science comme la connaissance des lois objectives de la nature, l’homme s’est efforcé avec obstination de se soustraire lui¬-même à la science, se réservant des privilèges spéciaux, sous forme de prétendus rapports avec des forces supra-sensibles (religion), ou avec des préceptes moraux éternels (idéalisme). Marx a définitivement privé l’homme de ces odieux privilèges, en le considérant comme un chaînon du processus d’évolution de la nature matérielle ; en considérant la société humaine comme l’organisation de la production et de la distri¬bution ; en considérant le capitalisme comme un stade du développementde la société humaine…. Dans un discours pour la défense de la science prononcé le 7 décem¬bre 1937, le docteur Robert A. Millikan, un des meilleurs physiciens d’Amérique, fit cette remarque : "Les statistiques des Etats-Unis montrent que le pourcentage de la population active n’a cessé d’augmenter pendant les cinquante dernières années, années durant lesquelles la science a eu le plus d’applications." Cette défense du capitalisme sous la forme d’une défense de la science ne peut être considérée comme très heureuse. C’est précisément pendant le dernier demi-siècle que "la chaîne du temps s’est rompue", et que les rapports entre l’économie et la technique se sont profondément altérés. La période dont parle Millikan comprend le commencement du déclin capitaliste aussi bien que l’apogée de la prospérité capitaliste. Voiler le commencement de ce déclin, qui est mondial, c’est se faire l’apologiste du capitalisme. Reje¬tant le socialisme d’une manière désinvolte, avec des arguments à peine dignes de Henry Ford lui-même, le docteur Millikan nous dit qu’aucun système de distribution ne peut satisfaire les besoins de l’homme sans élever le niveau de la production. C’est indiscutable. Mais il est regret¬table que le célèbre physicien n’ait pas expliqué aux millions de chô¬meurs américains comment, en fait, ils pourraient participer à l’augmen¬tation du revenu national. Les sermons sur la grâce miraculeuse de l’initiative individuelle et sur la haute productivité du travail ne procu¬reront certainement pas d’emplois aux chômeurs, pas plus qu’ils ne combleront le déficit du budget, ni ne sortiront l’économie nationale de l’impasse.

Ce qui distingue Marx, c’est l’universalité de son génie, son aptitude à comprendre les phénomènes et les processus appartenant à des domai¬nes différents et les connexions qui leur sont inhérentes. Sans être un spécialiste des sciences naturelles, il fut un des premiers à apprécier la signification des grandes découvertes dans ce domaine : du darwi¬nisme, par exemple. Ce qui lui assurait une telle prééminence, ce n’était pas tant la puissance de son esprit que celle de sa méthode. Les savants imprégnés d’idées bourgeoises peuvent se croire au-dessus du socialisme ; pourtant, le cas de Robert Millikan démontre une fois de plus que, dans le domaine de la sociologie, ils ne sont que des charlatans sans espoir. Les possibilités de production et la propriété privée. »

Au cours de toute leur vie, Marx et Engels ont suivi avec attention l’évolution de la science de la nature, accomplissant la généralisation philosophique de ses résultats et éclairant ceux-ci du Point de vue de la théorie du matérialisme dialectique. Les questions de la théorie de la science occupent une Place éminente dans un ouvrage de la littérature marxiste aussi important que l’Anti-Dühring d’Engels, où se trouve un exposé développé des fondements de la doctrine de Marx. On rencontre dans toute une série d’autres ouvrages des deux maîtres, compris dans l’œuvre principale de Marx : « Le Capital », une foule d’observations sur les problèmes des sciences de la nature. La correspondance de Marx et d’Engels révèle aussi la grande attention que tous deux apportaient aux questions scientifiques. Mais l’exposé le plus développé, embrassant toutes les branches essentielles de la science de la nature et des mathématiques, Engels l’a donné dans sa « Dialectique de la nature », œuvre restée inachevée mais remarquable par sa richesse de pensée, à laquelle il a travaillé en étroit contact avec Marx.

Lénine dans « Karl Marx » :

« "La grande idée fondamentale, écrit Engels, selon laquelle le monde ne doit pas être considéré comme un complexe de choses achevées, mais comme un complexe de processus où les choses, en apparence stables, tout autant que leurs reflets intellectuels dans notre cerveau, les idées, passent par un changement ininterrompu de devenir et dépérissement - cette grande idée fondamentale a, notamment depuis Hegel, pénétré si profondément dans la conscience courante qu’elle ne trouve, sous cette forme générale, presque plus de contradiction. Mais la reconnaître en paroles et l’appliquer dans la réalité, en détail, à chaque domaine soumis à l’investigation, sont deux choses différentes." "Il n’y a rien de définitif, d’absolu, de sacré devant elle [la philosophie dialectique] ; elle montre la caducité de toutes choses et en toutes choses, et rien n’existe pour elle que le processus ininterrompu du devenir et du transitoire, de l’ascension sans fin de l’inférieur au supérieur, dont elle n’est elle-même que le reflet dans le cerveau pensant." Donc, selon Marx, la dialectique est "la science des lois générales du mouvement, tant du monde extérieur que de la pensée humaine".

C’est cet aspect révolutionnaire de la philosophie de Hegel que Marx adopta et développa. Le matérialisme dialectique "n’a que faire d’une philosophie placée au-dessus des autres sciences". La partie de l’ancienne philosophie qui subsiste, c’est "la doctrine de la pensée et de ses lois - la logique formelle et la dialectique". Or, dans la conception de Marx, comme dans celle de Hegel, la dialectique inclut ce que l’on appelle aujourd’hui la théorie de la connaissance ou gnoséologie, qui doit considérer son objet également au point de vue historique, en étudiant et en généralisant l’origine et le développement de la connaissance, le passage de l’ignorance à la connaissance.

A notre époque, l’idée du développement, de l’évolution, a pénétré presque entièrement la conscience sociale, mais par d’autres voies que la philosophie de Hegel. Cependant, cette idée, telle que l’ont formulée Marx et Engels en s’appuyant sur Hegel, est beaucoup plus vaste et plus riche de contenu que l’idée courante de l’évolution. Un développement qui semble reproduire des stades déjà connus, mais sous une autre forme, à un degré plus élevé ("négation de la négations") ; un développement pour ainsi dire en spirale et non en ligne droite ; un développement par bonds, par catastrophes, par révolutions, "par solutions de continuités" ; la transformation de la quantité en qualité ; les impulsions internes du développement, provoquées par la contradiction, le choc des forces et tendances diverses agissant sur un corps donné, dans le cadre d’un phénomène donné ou au sein d’une société donnée ; l’interdépendance et la liaison étroite, indissoluble, de tous les aspects de chaque phénomène (et ces aspects, l’histoire en fait apparaître sans cesse de nouveaux), liaison qui détermine le processus universel du mouvement, processus unique, régi par des lois, tels sont certains des traits de la dialectique, en tarit que doctrine de l’évolution plus riche de contenu (que la doctrine usuelle). (Voir la lettre de Marx à Engels en date du 8 janvier 1868, où il se moque des "trichotomies rigides" de Stein, qu’il serait absurde de confondre avec la dialectique matérialiste.) »

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