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L’unité, dialectiquement contradictoire, de la Science et de la Philosophie
mardi 20 février 2018, par
L’unité, dialectiquement contradictoire, de la Science et de la Philosophie
« Sciences et Philosophie », d’après Eftichios Bitsakis
Le moment est venu d’examiner en détail la question : la philosophie est-elle une science ?
On trouve souvent deux réponses diamétralement opposées : la philosophie est une science. La philosophie n’est pas une science. Mais on a l’impression que dans les deux cas il y a une confusion sous-jacente, en ce qui concerne la définition de la science ainsi que celle de la philosophie.
Si l’on définit la science comme l’étude des lois d’un domaine particulier du réel et en même temps comme le corps des connaissances acquises par cette étude, alors la philosophie n’est pas une science : son objet n’est pas tel ou tel domaine particulier du réel.
La philosophie a pourtant un objet : la recherche des lois générales du mouvement du réel. La philosophie peut devenir une construction arbitraire, même si elle se réclame des sciences et « utilise » leurs acquisitions. Elle peut pourtant être une philosophie scientifique dans le sens défini auparavant : dans le sens d’une objectivité historiquement déterminée, et d’une adéquation par rapport aux nécessités de la pratique.
Le matérialisme dialectique prétend être une philosophie scientifique. Cette prétention – l’histoire l’a d’ailleurs confirmé – n’est pas gratuite. Mais comme c’est une philosophie en gestation, le marxisme doit affirmer à chaque moment son caractère scientifique.
L’objet de la philosophie est différent de l’objet des sciences particulières ; ses méthodes aussi. Pourtant, le général se dégage à travers le particulier. Ainsi, les méthodes des sciences et le critère de la pratique ne sont pas étrangers à la recherche philosophique.
Ainsi, nous pouvons affirmer l’unité des sciences et de la philosophie, une unité qui n’exclue pas la contradiction avec les philosophies irrationalistes, ou bien l’exploitation idéologique par la philosophie des données des sciences.
L’unité des sciences et de la philosophie ne peut pas dissimuler son caractère spécifique, son autonomie relative par rapport aux sciences, et sa différence qualitative par rapport à elles. La science formule et définit des concepts (le concept de matière, d’espace, de temps, de champ, de particule, d’onde, de mouvement, etc.) et des relations entre les concepts. La philosophie formule et définit les catégories philosophiques, qui portent sur les caractères et les lois générales de l’être et de la pensée.
Pour la métaphysique, les catégories ont un caractère a priori. Pour le matérialisme dialectique, les catégories se dégagent du réel, et leur contenu a une évolution dans le temps, parallèle à l’évolution de la connaissance et de la connaissance scientifique plus spécifiquement. Le fait, d’ailleurs, que plusieurs concepts (espace, temps, causalité, interaction, etc.) scientifiques sont en même temps, mais à un autre niveau, des catégories philosophiques, est une preuve de l’unité intrinsèque des sciences et de la philosophie.
On dit souvent que la dialectique porte, non sur telle ou telle catégorie, mais sur l’enchaînement des catégories. Cette conception est unilatérale. La dialectique porte sur le contenu de chaque catégorie, qui est, bien sûr, inséparable de son enchaînement avec les autres catégories philosophiques, de la même façon qu’elle porte sur ce qui change et sur ce qui est stable dans leur contenu.
Mais si la philosophie est qualitativement différente des sciences, elle est en même temps en relation dialectique avec elles. Une philosophie coupée des sciences, c’est un discours vide. Ce serait le « système » par excellence. Mais il n’y pas eu de tel système arbitraire dans l’histoire de la philosophie.
On peut constater au contraire le lien profond entre la philosophie et les sciences, et ce lien est plus marqué aux moments les plus importants de la pensée philosophique : depuis les matérialistes grecs jusqu’aux matérialistes anglais du XVIIe et les Français du XVIIIe siècle, et la philosophie de Hegel, de Marx, d’Engels et de Lénine. Mais lien, unité, connexion, ne signifie pas identification, même pas identification asymptotique, à la limite. La différence entre les sciences particulières et la philosophie n’est pas quantitative. Elle est une différence de statut.
De quelle manière s’effectue le passage de la science à la philosophie ? Comment passe-t-on du concept à la catégorie philosophique ? Il paraît qu’il n’y a pas de réponse unique, car les philosophies spéculatives adaptent le matériel scientifique aux impératifs du système, tandis que le matérialisme dialectique s’efforce de dégager ses catégories à travers une mise en valeur philosophique des acquisitions des sciences. Ainsi, il se transforme dans le temps et ses catégories deviennent de plus en plus riches ; de nouvelles catégories sont élaborées et d’autres, vieilles catégories de la philosophie du passé, acquièrent un contenu nouveau et se transforment en catégories dialectiques.
La science est l’étude du particulier. L’épistémologue et le philosophe peuvent rechercher des dialectiques concrètes qui sont en œuvre dans tel ou tel domaine du réel. Ces dialectiques concrètes ne sont que la réalisation du général dans le particulier. Par une analyse de ces dialectiques concrètes, et par le dégagement de ce qui est commun dans plusieurs domaines du réel (déjà accessibles à la connaissance), on peut aboutir à la formulation des lois générales de la dialectique. Les philosophes sont souvent hostiles à ce schéma, qui n’a d’ailleurs aucune prétention ni l’exclusivité, ni à l’originalité. Mais il serait utile s’ils pouvaient nous indiquer d’autres passages, d’autres voies par lesquelles se réalise la jonction entre les sciences et la philosophie. Parce que cette jonction se réalise dans la pratique philosophique, et là où le passage ne se réalise pas, on assiste à un discours philosophique, élégant peut-être, mais en circuit fermé.
Ainsi, les sciences ont une portée philosophique. Et tout d’abord, une portée ontologique : une ontologie antispéculative est une « science » de l’être. Elle doit donc aborder des questions telles que les attributs généraux de la matière et du mouvement, l’espace et le temps, la causalité, les relations entre le fini et l’infini, etc. Comment peut-elle les analyser sans la connaissance des données des sciences ? (…)
Les progrès scientifiques ne sont pas seulement une confirmation (ou réfutation) de telle ou telle conception philosophique. La philosophie n’a pas formulé toutes les vérités, pour pouvoir de son trône attendre la confirmation de ses thèses par la science. L’évolution de la connaissance scientifique découvre des domaines nouveaux du réel, des lois nouvelles, des connexions souvent inattendues, elle pose donc de nouveaux problèmes philosophiques, elle renouvelle la philosophie de façon souvent révolutionnaire. Il suffit de rappeler les nouveaux aspects de la dialectique de la structure de la matière, de l’unité de la matière et du mouvement, des propriétés de l’espace et du temps et de leur liaison avec la matière, les nouveaux aspects de l’unité du fini et de l’infini, du continu et du discontinu, le matériel concret sur l’interaction de l’interdépendance mutuelle, les bouleversement de la problématique du déterminisme, les nouvelles réalités de la dialectique du vivant, etc., le grand nombre en bref des problèmes philosophiques ou de nouveaux aspects d’anciens problèmes, que le progrès de la science a posés pendant les cinquante dernières années. Nous avons ici une démonstration concrète de l’unité de la philosophie et de la science dans l’univers de la connaissance.
On pourrait définir l’épistémologie comme l’étude du devenir des sciences : de leur constitution et de leur développement, des révolutions scientifiques, de leurs structures logiques, des relations entre le formalisme et la réalité physique, des relations entre les différentes sciences et du statut de la vérité scientifique. Ainsi, l’épistémologie, discipline qui se situe entre les sciences et la philosophie, étudie à un autre niveau, leur liaison et leurs influences mutuelles.
S’il y a une unité entre les sciences et la philosophie, il y a en même temps une différence épistémique et même une contradiction. La différence concerne leur définition statutaire ; la contradiction naît du caractère de la philosophie spéculative. Pythagore, Platon, Hegel, le positivisme et la phénoménologie ont tiré beaucoup des sciences de leur temps. Ils ont pourtant adapté ses données aux impératifs du système et à son idéologie, d’où la contradiction qui naît de l’intérieur de leur pénétration mutuelle. »
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