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Les écrits de Eftichios I. Bitsakis – C’est la nature qui est objectivement dialectique
samedi 31 août 2019, par
Les écrits de Eftichios I. Bitsakis – C’est la nature qui est objectivement dialectique
Extraits de Physique et matérialisme de E. Bitsakis :
« Avant d’aborder la question d’une dialectique des formes de la matière, il faudrait nous interroger sur la légitimité même de l’entreprise. Le mot matière n’est-il pas périmé ? Tout débat sur la matière ne relève-t-il pas éventuellement de scholastique ? Quel est vraiment le sens du mot « matière » ? (…)
On sait qu’il y a une confusion concernant le mot matière. Cette confusion remonte au moins à Newton qui utilisait ce mot comme un concept scientifique. Newton identifiait en effet la masse et la matière : « Quantité de matière : c’est cette quantité que j’entends désormais par le nom corps ou masse. » Or il n’existe pas de concept scientifique de la matière : les sciences recherchent et découvrent des formes spécifiques de la matière et des lois physiques. Leur objet n’est pas la matière comme telle, en tant que catégorie philosophique. Aussi il est vrai que le mot n’est pas aujourd’hui à la mode. Mais cet état provient d’une chose simple : du fait que les scientifiques s’occupent des formes spéciales de matière (particules, champs, molécules, gènes, etc.) et utilisent, par conséquent, surtout les concepts qui correspondent à ces réalités concrètes. Mais le mot matière, en tant qu’objet des sciences physiques, a un sens épistémologique concret.
La catégorie de la matière n’est ni devenue floue, ni carcasse vide : elle désigne ce qui existe indépendamment de nous et qui se présente devant les yeux du scientifique sous des formes diverses, plein de contenu concret et diversifié. Imaginons en effet la diversité des formes de matière que l’on connait aujourd’hui et comparons-les avec le feu d’Héraclite, les atomes de Démocrite, ou même les atomes de Démocrite, ou même les atomes de Dalton, c’est-à-dire avec le réel abstrait et non diversifié de la spéculation philosophique. La catégorie de la matière n’est pas opératoire au niveau des sciences quantitatives. Elle a pourtant une portée épistémologique et un sens philosophique. (…)
« Les physiciens – dit M. Serres dans « La matière aujourd’hui » – ont parlé d’atomes, ils ont parlé de molécules, ils ont parlé de particules, ils ont parlé de champs quantiques, ils ont parlé de choses, mais le mot « matière » n’est presque plus utilisé par eux. Il n’est utilisé que par les métaphysiciens, par exemple les matérialistes ». (…)
Au début du siècle, au moment même de l’émergence de la microphysique, beaucoup de physiciens arrivaient à des conclusions du type : « La matière disparaît. », « L’atome se dématérialise. », « Le nouveau système substitue tout bonnement l’électricité à la matière ! » Ainsi s’exprimaient physiciens et philosophes au début de la deuxième révolution scientifique. Aujourd’hui, les réactions sont « calmes » et plus nuancées, mais le fond philosophique reste le même.
Quelles étaient les données qui « réfutaient » le matérialisme ? C’est un fait que la matière s’était avérée, au niveau expérimental, plus complexe que la pensée mécaniste ne le supposait. Le monde est plus compliqué que nous ne pouvions le prévoir ! Il n’y a plus d’atomes compacts, mais des atomes formés d’électrons, de protons, etc. Plus d’atomes éternels, mais transformation des éléments ! La masse et l’énergie sont liées entre elles ! Par conséquent, la matière n’existe plus ! Ainsi, l’ancienne pensée mécaniste s’imaginait qu’elle dépassait sa propre étroitesse, bien qu’elle restait enfermée dans ses propres contradictions formelles. (…)
Il ne faut pas confondre l’image scientifique de la matière, toujours changeante, avec la définition de la matière comme catégorie philosophique. Ainsi à l’encontre du raisonnement mécaniste (matérialiste ou idéaliste), on définit la matière au-delà de ses propriétés spécifiques, au-delà de toute forme « élémentaire » et « définitive ». (…)
Engels était arrivé à la même définition exprimée dans des termes différents dans « Dialectique de la nature » : « La matière, comme telle, est pure création de la pensée et pure abstraction. Nous faisons abstraction des différences qualitatives des choses en les embrassant en tant qu’existant corporellement sous le concept de matière. La matière, comme telle, à la différence des matières déterminées existantes, n’a donc pas d’existence sensible. (…)
Personne n’a encore vu ni éprouvé autrement la matière comme telle et le mouvement comme tel, mais seulement les diverses substances et formes de mouvement existant réellement. La substance, la matière n’est pas autre chose que l’ensemble des substances duquel ce concept est abstrait ; le mouvement comme tel n’est pas autre chose que l’ensemble de toutes les formes de mouvement perceptibles par les sens ; des mots comme matière et mouvement ne sont que des abréviations, dans lesquelles nous réunissons, d’après leurs propriétés communes, beaucoup de choses différentes perceptibles par les sens. »
L’électron, le proton, le neutron, etc., sont donc des formes d’existence de la matière. Peut-on en dire autant du photon, du neutrino et du graviton, qui « n’ont pas de masse » (on reviendra sur ce problème), alors qu’on est habitué à les dissocier de la matière ? Non, selon la pensée mécaniste, qui identifie la masse et la matière. Oui, selon la conception dialectique, parce que la matière est tout ce qui existe, indépendamment de sa forme et de sa spécificité. (…)
Le concept de particule est un concept inadéquat ; les entités fondamentales de la microphysique d’aujourd’hui ne sont pas des particules au sens classique ; elles ne sont pas non plus, des ondes-particules, ou des paquets d’ondes, ainsi que le veut l’idéologie formaliste de l’Ecole de Cpenhague. Les pères historiques du concept de « paquet d’ondes » ne lui attribuent pas de signification physique. Le concept d’ « élémentaire » est tout aussi trompeur, car les particules quantiques ne sont pas élémentaires ! (…)
L’évolution de la physique a montré que la caractéristique essentielle des particules n’est pas leur masse (mesure de leur « matière », selon le matérialisme des naturalistes), mais leurs interactions. (…)
Une des marques de l’unité des contraires est la transformation mutuelle des entités du microcosme (bosons et fermions). C’est ainsi qu’un boson (un photon par exemple) se transforme dans des conditions appropriées, en un fermion et un antifermion (électron et positron). Mais la transformation inverse est aussi courante. C’est ce que l’on appelle la « dématérialisation » d’un électron et d’un positron. (…) Ce qui est « matière » devient « champ » et inversement : la frontière entre champ et matière n’est pas aussi absolue qu’on le croyait au début. Le champ et la matière ne sont que des concepts historiquement déterminés qui ont exprimé des formes différentes de la matière, dont l’unité n’était pas connue à une certaine époque de la physique. (…) Le caractère contradictoire de la matière, l’unité et la lutte des contraires sont encore plus nets dans les relations matière-antimatière. (…) Les particules et antiparticules ont même masse et sont de vie moyenne égale, de spin égal, mais de charge opposée, de moment magnétique égal mais de direction opposée, de nombre baryonique (ou leptonique) et d’étrangeté opposés. (…) L’antimatière est une matière constituée par des antiparticules. (…) Des couples particule/antiparticule sont créés à partir de certaines particules « matérielles » et vice-versa. Les photons se « matérialisent » (c’est-à-dire se transforment en couples lepton/antilepton) et vice-versa. (…) On a donc une fusion des contraires dans des formes de matière différentes. La dualité particule-antiparticule se présente comme une propriété inhérente et universelle de la matière. Ainsi, la contradiction apparaît dans le niveau d’organisation fondamental que l’on connait aujourd’hui. (…)
Il existe aujourd’hui une « chimie » véritable des transformations des particules. Ces transformations sont quelquefois extrêmement « fécondes » en nombre de particules naissantes, comme par exemple la transformation d’un proton et d’un antiproton en sept pions. (…) Les transformations des particules élémentaires ne suivent pas en général une voie unique. Dans le cas d’un proton et d’un antiproton, par exemple, on peut avoir un pion positif, un négatif et un neutre, ou trois mésons positifs et trois négatifs, ou encore deux mésons positifs, deux négatifs et deux neutres, ou trois positifs, trois négatifs et un neutre, ou enfin, six mésons neutres. Dans les transformations des particules élémentaires, on observe en général plusieurs « canaux », et l’on peut souvent calculer la probabilité pour chaque voie. (…) D’une manière analogue, on a la désintégration d’un méson éta en trois pions, ou deux pions et un photon, et on peut mesurer l’analogie entre les deux voies de désintégration. Ici aussi on peut obtenir de la même particule des produits différents. Ces produits ne sont pas contenus dans la particule initiale. La particule ne se désintègre pas en ses constituants ; elle se transforme en des êtres différents, selon des mécanismes plus ou moins inconnus.
Il est évident que, dans ces cas, la conception linéaire, univalente de la causalité n’est pas suffisante. Il nous faut ici un cadre plus large. A la place de la relation causale au sens classique, avec son résultat unique, il convient d’utiliser le concept de potentialité, c’est-à-dire d’obtenir des résultats différents dans les « mêmes » conditions initiales. (…)
Heisenberg écrivait ainsi dans « Physique et philosophie » : « Les atomes, ou les particules élémentaires elles-mêmes, ne sont pas réels ; ils constituent un monde de potentialités ou de possibilités plutôt qu’un monde de choses ou de faits. » Heisenberg découvre ici un germe de dialectique mais, en même temps et surtout, il s’efforce de justifier une négation de la dialectique objective, quand il parle de la possibilité d’une réalité et, encore plus, quand il rejette toute idée d’une réalité objective. (…) La dichotomie introduite par Heisenberg est conforme à la contradiction formelle entre le potentiel et le réel. (…) Heisenberg a développé systématiquement des conceptions idéalistes et platoniciennes, et ses idées ont eu une grande influence sur ses contemporains. Parlant des conséquences extrêmes de ces idées, A. Landé a dit : « Il n’est pas étonnant que Sir James Jeans, après avoir étudié Bohr et Heisenberg, soit arrivé à la conclusion triomphale que la matière consiste ondes de connaissance, ou en absence de connaissance dans notre esprit. » (…) La pensée mécaniste sépare l’objet des conditions de son existence. La pensée positiviste (mécaniste d’un point de vue diamétralement opposé) prend la position inverse, quand elle affirme que « l’objet n’existe pas avant l’interaction avec l’instrument » et que « la réalité est création de nos moyens d’observation ». Mais la pensée positiviste contient dans ce cas un germe de vérité. En réalité, l’objet n’a pas d’existence en dehors de conditions concrètes, en dehors de son milieu et de ses relations concrètes avec ce milieu. De ce point de vue, l’instrument d’observation « crée » la particule. Mais il ne la crée pas du néant, il la transforme, et d’un être initial donné, dans des conditions concrètes, il crée divers êtres, selon la nature de la particule initiale et les conditions de l’expérience. Les interactions de la particule avec le milieu, ou avec l’appareil de la mesure, transforment certains de ses éléments de réalité en des éléments différents. Ainsi la particule passe d’un état à un autre, ou se transforme en autre chose. Ce dynamisme interne de la matière a été considéré comme une preuve de non existence !
Au niveau quantique, les transformations des particules sont plutôt une donnée qu’un processus explicable d’une manière satisfaisante. Il y a bien sûr les symétries, les lois de conservation et les règles de sélection qui en découlent et, sur cette base, on peut prévoir la possibilité pour une transformation et exclure une autre. On peut aussi, dans plusieurs cas, calculer les rapports des probabilités des différentes possibilités, mais l’explication de ces phénomènes n’est pas « complète ». Il y a des physiciens qui affirment qu’à un niveau plus profond d’organisation de la matière les processus aléatoires du niveau quantique peuvent être expliqués dans un contexte de liaisons inconnues aujourd’hui. Mais, pour le moment, il ne s’agit que d’hypothèses. (…)
C’est dans la région des hautes énergies que la mobilité de la matière se manifeste le plus clairement, avec des multiples transformations. (…) Cette mobilité et cette fécondité indiquent que les particules dites élémentaires sont en réalité des êtres complexes, qu’on ne peut envisager la structure en dehors des interactions de la particule avec le milieu. De plus, cela indique que la notion de structure est liée à la notion de « virtuel ». Donc le concept de structure doit être un concept dynamique. (…)
Devant les faits qui montrent que les particules du niveau quantique ne sont pas « élémentaires » au sens classique, beaucoup de physiciens n’accordent aucune valeur au critère d’élémentarité. Werner Heisenberg, par exemple, écrivait, en 1957, qu’il n’y a pas de critère objectif d’élémentarité, et qu’il dépend de notre libre arbitre de déterminer quelle particule peut être considérée comme élémentaire, et quand. Louis de Broglie aussi écrivait dès 1961 : « Il semble bien, en effet, qu’on ne peut donner aucune définition univoque du corpuscule élémentaire et que, par suite, il vaut sans doute mieux ne pas introduire cette expression en physique quantique. (…) Le critère d’élémentarité est relatif, au sens dialectique et non pas au sens agnostique du terme. On peut considérer élémentaire un être au niveau quantique, s’il a des propriétés et des interactions définies, dans des conditions définies. (…) Les concepts du complexe et du simple au sens de la logique formelle ne sont pas applicables aux êtres de la physique quantique. Mais ils sont applicables au sens dialectique, comme des contraires qui s’excluent et se transforment mutuellement. (…)
Les états stationnaires de la physique sont en réalité des états d’équilibre dynamique : d’unité des contraires. Mais une perturbation peut détruire la symétrie existante et la dissymétrie momentanée conduit à un ou plusieurs nouveaux états. Ainsi un atome émet du rayonnement chaque fois qu’il est excité par le quantum de rayonnement électromagnétique. Un neutron peut détruire l’équilibre d’un noyau : le résultat est la désintégration du noyau initial, et la formation de nouveaux noyaux à partir de l’ancien. Et cela, car le noyau est une totalité contradictoire et sa cohérence est assurée par le jeu d’échanges des différents champs physiques, surtout du champ fort et du champ électromagnétique. Ainsi, une perturbation extérieure peut provoquer la rupture de cet équilibre dynamique et conduire à une désintégration ou transmutation.
Deux particules forment pendant une collision une totalité momentanée et contradictoire, qui donne naissance à d’autres particules. Ainsi, les anciennes formes, à travers un processus de fusion et de séparation, donnent naissance à d’autres formes. L’état intermédiaire est la négation de l’état initial. La négation de la négation est l’émergence de nouvelles formes. (…)
Au niveau de la microphysique on peut imaginer le mouvement simple dans l’espace comme disparition de la particule en un point et réapparition en un autre point voisin. (…) Le mouvement est ainsi analysé en une série de recréations et de destructions dont le résultat total est le changement continu de la particule dans l’espace. (…)
Engels écrivait dans « Ludwig Feuerbach » :
« La grande idée fondamentale selon laquelle le monde ne doit pas être considéré comme un complexe de choses achevées, mais comme un complexe de processus où les choses, en apparence stables, - tout autant que leur reflet intellectuel dans notre cerveau, les concepts, se développent et meurent en passant par un changement ininterrompu…, cette grande idée fondamentale a, surtout depuis Hegel, pénétré si profondément dans la conscience commune qu’elle ne trouve sous cette forme générale presque plus de contradicteurs. » (…)
La physique contemporaine a mis aussi en lumière un autre aspect du mouvement, pressenti par la pensée dialectique : la discontinuité. La constante universelle h, qui détermine la discontinuité des échanges énergétiques, détermine aussi la discontinuité du mouvement chaque fois qu’il y a échange entre deux systèmes, ou entre les parties d’un même système. (…)
Sur le caractère contradictoire du mouvement, Engels écrivait dans l’ »Anti-Dühring » : « Le mouvement lui-même est une contradiction ; déjà le simple changement mécanique de lieu lui-même ne peut s’accomplir que parce qu’à un seul et même moment un corps est à la fois dans un lieu et dans un autre lieu, en un seul et même lieu et non en lui. Et c’est dans la façon que cette contradiction a de se poser continuellement et de se résoudre en même temps, que réside précisément le mouvement. »
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