vendredi 15 mai 2020, par
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Chacun aura remarqué les deux poids deux mesures entre la manière dont la petite bourgeoisie est frappée par les mesures gouvernementales dites de confinement et celle par laquelle les grands trusts sont défendus au point qu’aucune somme n’est considérée comme excessive pour les sauver. Ainsi, le gouvernement fait fermer d’autorité les restaurants mais pas les supermarchés et pas Airbus Industries qui n’est pourtant pas une activité vitale…
On aura remarqué que des centaines de millions sont déjà parvenues entre les mains des trusts et des banques et des centaines de milliards leur sont promises si nécessaire, contre seulement 1500 euros aux petits patrons que ces derniers devront rembourser alors que cela ne sera pas le cas des milliards donnés sur argent public à Air France ou Renault comme à BNP ou Société Générale !
Les gouvernants capitalistes, dans leur politique face à l’effondrement du capitalisme mensongèrement intitulé « crise de la pandémie » ou « interuption générale de l’activité liée au confinement », cassent sciemment la petite entreprise pour favoriser le grand capital : cassent la restauration et les PME de l’agroalimentaire pour favoriser les grandes surfaces, ferment les petites entreprises et rouvrent les grandes, donnent de l’argent aux grandes entreprises et grands capitalistes et font traîner toute aide aux petits patrons, petits artisans, petits commerçants, petits restaurateurs, petits autoentrepreneurs en faillite ou menacés, l’essentiel des fonds de solidarité avec les entreprises a servi aux trusts et aux banques, les impôts et taxes des grands capitalistes étant alors annulés, ce qui n’est pas le cas des petits patrons, etc. Les aides ou retard de paiement d’impôts ou de taxes de la grande majorité des PME sont remboursables et ne sont pas des cadeaux de l’Etat alors que les trusts et les banques ne sont pas contraints de rembourser. Un milliard pour toute la petite entreprise et des centaines de milliards pour les grandes !!! Le différentiel, c’est que les grands reprennent tout ce qui était occupé par les petites, dans un contexte de baisse de la consommation et des revenus de la population… Des millions de petites entreprises sollicitent actuellement l’Etat qui a annoncé vouloir les aider mais ils se heurtent à une machine bureaucratique bien décidée à ne financer que l’aide au grand capital !Tout ce que vont toucher les petits patrons dont l’entreprise a été bloquée par le confinement, c’est 1500 euros, alors que la capital va plutôt toucher 1500 milliards.
Les gouvernants sont même prêts, si nécessaire, à saisir toutes les épargnes de la petite bourgeoisie et d’une partie de la classe ouvrière, mesure qu’elle a préparé dans la loi Sapin II. Elle aura ainsi complètement détruit tout espoir de la petite bourgeoisie de remonter à la surface…
De l’effondrement des petits patrons, des petits artisans, des petits commerçants, il va résulter non seulement un effondrement économique et social énorme de toute la société, mais UNE SITUATION POLITIQUE ET SOCIALE HISTORIQUEMENT TOTALEMENT NOUVELLE.
En effet, ce qui a caractérisé l’ensemble de toute la situation du système capitaliste depuis ses débuts, c’est une alliance profonde t durable entre le grand capital et le petit, alliance qui a rendu le système très solide car, lorsque la classe moyenne appuie le système durablement, il n’est pas menacé de mort. C’est cette alliance qui a donné une solidité politique et sociale aux pseudo-démocraties bourgeoises qui sont en fait des dictatures du grand capital. C’est ce qui a permis de faire croire que, via les élections, l’opinion publique dirigeait la société. Ce mythe tombe dorénavant.
C’est un fondement social et politique solide du capitalisme qui disparaît même si la société n’en a pas encore conscience, y compris la petite bourgeoisie elle-même et plus encore le prolétariat. Ce dernier est habitué à considérer tous les patrons comme un bloc.
La stabilité du capitalisme ne peut consister dans l’appui des seuls capitalistes qui sont moins d’un pourcent de la planète, mais dans l’alliance avec le petit capital (la petite bourgeoisie) que sont les petits patrons, commerçants, producteurs tant qui leur ait garanti un certain développement et source de revenu. Dans l’Histoire, le règne du grand capital n’a risqué d’être renversé que lorsqu’il perdait momentanément cette alliance du fait d’une crise grave qui plongeait la petite bourgeoisie dans le marasme économique et la faillite. Eh bien, dorénavant, avec l’effondrement du capitalisme, il l’a perdue définitivement !!! C’est dire les possibilités politiques et sociales du prolétariat dès lors qu’il prend conscience et exploite sciemment cette cassure… C’est dire aussi combien les sauveurs « de gauche » du grand capital craignent cette situation… Le réformisme ne s’est pas fondé que sur les illusions des prolétaires mais sur le fait de noyer ceux-ci dans la grande masse de la petite-bourgeoise. Les succès des tromperies réformistes sont d’abord et avant tout fondées sur des illusions petites-bourgeoises.
Est-ce que cette situation exceptionnelle, la rupture réelle entre grand capital et petite bourgeoisie, profitera nécessairement aux prolétaires ? Certainement pas ! Elle peut être exploitée par une politique prolétarienne révolutionnaire d’union contre le grand capital mais elle peut aussi l’être par une politique capitaliste de type fasciste, consistant à monter les petits bourgeois exaspérés contre les salariés présentés comme des causes de la chute économique et sociale des couches moyennes…
Le crime des dirigeants réformistes de gauche et opportunistes prétendument d’extrême gauche consistera alors à peser de tout leur poids contre une alliance révolutionnaire du peuple travailleur (peuple qui englobe les petits bourgeois qui n’exploitent personne) tournée comme une armée contre le grand capital. Ils l’ont déjà fait face à la vague révolutionnaire de giletjaunisation des luttes sociales et politiques.
La chute de la classe moyenne signifie un véritable tsunami politique et social. Bien entendu, les prolétaires considèrent justement qu’eux-mêmes sont ou vont être très frappés par la vague de licenciements, de chômage, de misère, d’inflation, et autres maux engendrés par les capitalistes. Et les réformistes en profitent pour attiser la haine de tous les petits bourgeois dans la classe ouvrière ou pour aller dans un autre sans réformiste qui est la fausse solidarité avec les petits commerçants consistant simplement à consommer dans leurs boutiques. Mais ce type de fausse solidarité en reste au soutien de la société capitaliste de la même manière que celle des syndicalistes qui appuient le déconfinement et la reprise économique « si elle se fait dans des conditions de sécurité suffisantes ». Rester dans le cadre du capitalisme, c’est le plus grand risque pour le prolétariat et notamment parce qu’alors il n’a aucune chance de gagner les petits bourgeois frappés ou menacés à ses perspectives propres de changement global de la société.
Bien sûr, les réformistes politiques et syndicaux prétendront que les travailleurs ne doivent pas trop se radicaliser, car rester modérés leur permettrait de « ne pas faire peur aux classes moyennes » et de ne pas les pousser dans les bras des réactionnaires, fascistes ou partisans de la dictature militaire. Si cela est possible quand les classes moyennes sont calmes, croient à leur avenir sous le capitalisme et ne sont pas violemment attaquées, ne sont pas révoltées, ne sont pas affolées par l’effondrement, mais dans le cas contraire, les classes moyennes ne peuvent suivre que des révolutionnaires, anticapitalistes et radicaux comme l’ont bien montré les bandes brunes qui se paraient de toutes ces qualités au nom du national-socialisme. C’est lorsque le prolétariat ne semble alors offrir aucun changement radical de la société que les plus révoltés des classes moyennes ne pouvant plus se tourner du côté du prolétariat, peuvent tomber dans les bras des fascistes et autres dictatures. C’est ce que le fascisme a démontré en négatif. Et, en positif, c’est par exemple le mouvement des Gilets jaunes qui a démontré, après la Commune de Paris et la révolution russe, qu’un prolétariat agissant et radical est capable d’entraîner la fraction révoltée de la petite bourgeoisie.
Les extrêmes gauches opportunistes ou faussement radicales prétendent parfois qu’en s’unissant aux petits bourgeois, les travailleurs y perdraient leur pureté de classe, se feraient blouser ou récupérer et détourner de la lutte des classes. Certains d’entre eux ne sont pas gênés pour autant de participer à des alliances de classe avec les appareils syndicaux bourgeois, les sociaux-démocrates de la bourgeoisie et autres gauches gouvernementales, dans des pactes de type de « front populaire » qui ne sont que des fronts avec les représentants bourgeois de la petite bourgeoisie.
Marx et Engels, qui n’ont cessé de repousser tout réformisme, ne repoussaient nullement l’alliance politique du prolétariat avec la petite bourgeoisie contre le grand capital et reprochaient même à la social-démocratie de rejeter les couches petites bourgeoises comme une seule masse réactionaire » tout en s’alliant avec les représentants bourgeois de la petite bourgeoisie au lieu de faire l’inverse.
Engels, « Sur la fondation de la social-démocratie allemande » :
« On commence par accepter la phrase ronflante, mais historiquement fausse, selon laquelle : face à la classe ouvrière, toutes les autres classes forment une seule masse réactionnaire. Cette phrase n’est vraie que dans quelques cas exceptionnels… »
Critique par Karl Marx du programme de la social-démocratie allemande dans ses « Gloses marginales au programme du Parti ouvrier allemand » :
« C’est une citation lassalienne de la plus belle eau « [la classe ouvrière] en face de laquelle toutes les autres classes ne forment qu’une masse réactionnaire ». Dans le Manifeste communiste, il est dit : « De toutes les classes qui, à l’heure présente, s’opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec la grande industrie ; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus authentique. » La bourgeoisie est ici considérée comme une classe révolutionnaire, - en tant qu’elle est l’agent de la grande industrie, - vis-à-vis des féodaux et des classes moyennes résolus à maintenir toutes les positions sociales qui sont le produit de modes de production périmés. Féodaux et classes moyennes ne forment donc pas avec la bourgeoisie une même masse réactionnaire. D’autre part, le prolétariat est révolutionnaire vis-à-vis de la bourgeoisie parce que, issu lui-même de la grande industrie, il tend à dépouiller la production de son caractère capitaliste que la bourgeoisie cherche à perpétuer. Mais le Manifeste ajoute que « les classes moyennes... sont révolutionnaires... en considération de leur passage imminent au prolétariat ». De ce point de vue, c’est donc une absurdité de plus que de faire des classes moyennes, conjointement avec la bourgeoisie, et, par-dessus le marché, des féodaux « une même masse réactionnaire » en face de la classe ouvrière. Lors des dernières élections, a-t-on crié aux artisans, aux petits industriels, etc., et aux paysans : « Vis-à-vis de nous, vous ne formez, avec les bourgeois et les féodaux, qu’une seule masse réactionnaire » ? Lassalle savait par cœur le Manifeste communiste, de même que ses fidèles savent les saints écrits dont il est l’auteur. S’il le falsifiait aussi grossièrement, ce n’était que pour farder son alliance avec les adversaires absolutistes et féodaux contre la bourgeoisie. Dans le paragraphe précité, sa maxime est d’ailleurs bien tirée par les cheveux, sans aucun rapport avec la citation défigurée des statuts de l’internationale. Il s’agit donc ici simplement d’une impertinence et, à la vérité, une impertinence qui ne peut-être nullement déplaisante aux yeux de M. Bismarck : une de ces grossièretés à bon compte comme en confectionne le Marat berlinois. »
Karl Marx, « Idéologie allemande » :
« Toute classe qui aspire à la domination, même si sa domination détermine l’abolition de toute l’ancienne forme sociale et de la domination en général, comme c’est le cas pour le prolétariat, doit conquérir d’abord le pouvoir politique en montrant que son intérêt propre n’est rien d’autre que l’intérêt général… Pour que l’aliénation soit abolie, il faut que son pouvoir devienne insupportable, c’est-à-dire une puissance contre laquelle on fait la révolution, il est nécessaire qu’elle ait fait de la masse de l’humanité une masse totalement "privée de propriété", qui se trouve en même temps en contradiction avec un monde de richesse et de culture existant réellement, choses qui supposent toutes deux un grand accroissement de la force productive, c’est-à-dire un stade élevé de son développement… Du simple fait qu’elle affronte une classe, la classe révolutionnaire se présente d’emblée non pas comme classe, mais comme représentant la société tout entière, elle apparaît comme la masse entière de la société en face de la seule classe dominante. Cela lui est possible parce qu’au début son intérêt est vraiment encore intimement lié à l’intérêt commun de toutes les autres classes non-dominantes et parce que, sous la pression de l’état de choses antérieur, cet intérêt n’a pas encore pu se développer comme intérêt particulier d’une classe particulière. De ce fait, la victoire de cette classe est utile aussi à beaucoup d’individus des autres classes qui, elles, ne parviennent pas à la domination ; mais elle l’est uniquement dans la mesure où elle met ces individus en état d’accéder à la classe dominante. »
Karl Marx, « Les luttes de classes en France » :
« La petite bourgeoisie ne peut garder une position révolutionnaire face à la bourgeoisie que quand le prolétariat est avec elle… Les ouvriers français ne pouvaient faire un seul pas en avant, ni toucher à un seul cheveu du régime bourgeois, avant que la masse de la nation placée entre le prolétariat et la bourgeoisie, la paysannerie et la petite bourgeoisie soulevées contre ce régime, contre la domination du capital, ait été contrainte par la marche de la révolution à se rallier aux prolétaires comme à leur avant-garde. »
Léon Trotsky dans « Le tournant de l’Internationale Communiste et la situation en Allemagne »
« A chaque tournant de la route de l’histoire, à chaque crise sociale, il faut encore et toujours réexaminer le problème des rapports existant entre les trois classes de la société actuelle : la grande bourgeoisie avec à sa tête le capital financier, la petite bourgeoisie oscillant entre les deux principaux camps, et, enfin, le prolétariat. La grande bourgeoisie qui ne constitue qu’une fraction infime de la nation ne peut se maintenir au pouvoir sans appui dans la petite bourgeoisie de la ville et de la campagne, c’est-à-dire parmi les derniers représentants des anciennes couches moyennes, et dans les masses qui constituent aujourd’hui les nouvelles couches moyennes. A l’heure actuelle, cet appui revêt deux formes principales, politiquement antagoniques, mais historiquement complémentaires : la social-démocratie et le fascisme. En la personne de la social-démocratie, la petite bourgeoisie, qui est à la remorque du capital financier, entraîne derrière elle des millions de travailleurs. Divisée, la grande bourgeoisie allemande hésite aujourd’hui. Les désaccords internes ne portent que sur le choix du traitement à appliquer aujourd’hui à la crise sociale. La thérapeutique sociale-démocrate rebute une partie de la grande bourgeoisie, parce que ses résultats ont un caractère incertain et qu’elle risque d’entraîner de trop grands frais généraux (impôts, législation sociale, salaires). L’intervention chirurgicale fasciste apparaît à l’autre partie trop risquée et non justifiée par la situation. En d’autres termes, la bourgeoisie financière dans son ensemble hésite quant à l’appréciation de la situation, car elle ne trouve pas encore de raisons suffisantes pour proclamer l’avènement de sa "troisième période", où la social-démocratie doit céder impérativement la place au fascisme ; de plus, chacun sait que lors du règlement de comptes général, la social-démocratie sera récompensée pour les services rendus par un pogrome général. Les hésitations de la grande bourgeoisie - vu l’affaiblissement de ses principaux partis - entre la social-démocratie et le fascisme sont le symptôme le plus manifeste d’une situation pré-révolutionnaire. Il est évident que ces hésitations cesseraient sur-le-champ, dès l’apparition d’une situation réellement révolutionnaire. 4. La petite bourgeoisie et le fascisme Pour que la crise sociale puisse déboucher sur la révolution prolétarienne, il est indispensable, en dehors des autres conditions, que les classes petites bourgeoises basculent de façon décisive du côté du prolétariat. Cela permet au prolétariat de prendre la tête de la nation, et de la diriger. »
Léon Trotsky dans « Où va la France » :
« Le fascisme ne peut devenir une force de masse qu’en conquérant la petite bourgeoisie… Il ne faut pas en conclure que la classe ouvrière doive tourner le dos à la petite bourgeoisie et la laisser à son malheur. Non, se rapprocher des paysans et des petites gens des villes, les attirer de notre côté, c’est la condition nécessaire du succès de la lutte contre le fascisme, pour ne pas parler de la conquête du pouvoir. Il faut seulement poser correctement le problème. Mais, pour cela, il faut comprendre clairement la nature des "classes moyennes". Rien n’est plus dangereux en politique, surtout dans une période critique, que de répéter des formules générales sans examiner le contenu social qu’elles recouvrent… La société contemporaine se compose de trois classes : la grande bourgeoisie, le prolétariat et les classes moyennes, ou petite bourgeoisie. Les relations entre ces trois classes déterminent en fin de compte la situation politique. Les classes fondamentales sont la grande bourgeoisie et le prolétariat. Seules ces deux classes peuvent avoir une politique indépendante, claire et conséquente. La petite bourgeoisie est caractérisée par sa dépendance économique et son hétérogénéité sociale. Sa couche supérieure touche directement la grande bourgeoisie. Sa couche inférieure se fond avec le prolétariat et tombe même dans le lumpen-prolétariat. Conformément à sa situation économique, la petite bourgeoisie ne peut avoir de politique indépendante. Elle oscille constamment entre les capitalistes et les ouvriers. Sa propre couche supérieure la pousse à droite ; ses couches inférieures, opprimées et exploitées sont capables, dans certaines conditions, de tourner brusquement à gauche… La petite bourgeoisie, incarnée par les masses ruinées des villes et des campagnes, commence à perdre patience. Elle prend une attitude de plus en plus hostile à sa propre couche supérieure : elle se convainc en fait de l’inconsistance et de la perfidie de sa direction politique. Le paysan pauvre, l’artisan, le petit commerçant se convainquent qu’un abîme les sépare de tous ces maires, ces avocats, ces arrivistes politiques… qui, par leur mode de vie et leurs conceptions, sont de grands bourgeois. C’est précisément cette désillusion de la petite bourgeoisie, son impatience et son désespoir que le fascisme exploite. Ses agitateurs stigmatisent et maudissent la démocratie parlementaire qui épaule les carriéristes et les staviskrates, mais ne donne rien aux petits travailleurs. Ces démagogues brandissent le poing contre les banquiers, les gros commerçants, les capitalistes. Ces paroles et ces gestes répondent pleinement aux sentiments des petits propriétaires qui se sentent dans l’impasse. Les fascistes montrent de l’audace, descendent dans la rue, s’attaquent à la police, tentent de chasser le Parlement par la force. Cela en impose au petit bourgeois qui sombrait dans le désespoir… Les réformistes s’imaginent que la petite bourgeoisie est avant tout attachée à la démocratie, et que c’est précisément pourquoi il faudrait s’allier aux partis bourgeois « démocratiques » ! Quelle monstrueuse aberration ! La démocratie n’est qu’une forme politique. La petite bourgeoisie ne se soucie pas de la coquille, mais du fruit. Que la démocratie se révèle impuissante, et au diable la démocratie ! Ainsi raisonne ou réagit chaque petit bourgeois. C’est dans la révolte grandissante des couches inférieures de la petite bourgeoisie contre ses couches supérieures, "instruites", municipales, cantonales, parlementaires, que se trouve la source politique et socialiste principale du fascisme. Il faut y ajouter la haine de la jeunesse intellectuelle, écrasée par la crise, pour les avocats, les professeurs, les députés et les ministres parvenus : les intellectuels petits-bourgeois inférieurs se rebellent eux aussi contre leurs supérieurs. Cela signifie-t-il que le passage de la petite bourgeoisie sur la voie du fascisme soit inéluctable ? Non, une telle conclusion relèverait d’un honteux fatalisme. Ce qui est réellement inéluctable, c’est la fin du réformisme et de tous les groupements politique qui lient leur sort au sien Dans les conditions de la décadence capitaliste, il ne reste plus de place pour un parti de réformes démocratiques et de progrès "pacifique"… Mais cela ne signifie pas du tout que les masses qui suivent le réformisme doivent inévitablement reporter leurs espoirs sur le fascisme. Certes, la partie la plus démoralisée, la plus déclassée et la plus avide de la jeunesse des classes moyennes a déjà fixe son choix dans cette direction. C’est dans ce réservoir que puisent surtout les bandes fascistes. Mais les lourdes masses petites-bourgeoises des villes et des campagnes n’ont pas encore choisi. Elles hésitent devant une grave décision. C’est précisément parce qu’elles hésitent qu’elles continuent encore, mais déjà sans avoir confiance, à voter pour les réformistes. Ces hésitations, cette irrésolution ne dureront pourtant pas des années, mais seulement des mois. Le développement politique va prendre, dans la période qui vient, un rythme fébrile. La petite bourgeoisie ne repoussera la démagogie du fascisme que si elle a foi dans une autre voie. L’autre voie, c’est la révolution prolétarienne. La petite bourgeoisie est économiquement dépendante et politiquement morcelée. C’est pourquoi elle ne peut avoir une politique propre. Elle a besoin d’un "chef" qui lui inspire confiance. Ce chef, individuel ou collectif, individu ou parti, peut lui être donné par l’une ou l’autre des deux classes fondamentales, soit par la grande bourgeoisie, soit par le prolétariat. Le fascisme unit et arme les masses disséminées ; d’une "poussière humaine"-selon notre expression-il fait des détachements de combat. Il donne ainsi à la petite bourgeoisie l’illusion d’être une force indépendante. Elle commence à s’imaginer qu’elle commandera réellement à l’Etat. Rien d’étonnant à ce que ces espoirs et ces illusions lui montent à la tête. Mais la petite bourgeoisie peut aussi trouver son chef dans la personne du prolétariat. Elle l’a trouvé en Russie, partiellement en Espagne. Elle y tendit en Italie, en Allemagne et en Autriche. Malheureusement les partis du prolétariat ne s’y montrèrent pas à la hauteur de leur tâche historique. Pour gagner la petite bourgeoisie, le prolétariat doit conquérir sa confiance. Il faut pour cela qu’il ait lui-même confiance en sa propre force. Il lui faut un programme d’action clair et une détermination à lutter pour le pouvoir par tous les moyens. Soudé par son parti révolutionnaire, pour une lutte décisive et impitoyable, le prolétariat dit aux paysans et aux petites gens des villes : "Je lutte pour le pouvoir. Voici mon programme : je suis prêt à m’entendre avec vous pour en modifier tel ou tel point. Je n’emploierai la force que contre le grand capital et ses laquais ; avec vous, travailleurs, je veux conclure une alliance sur la base d’un programme donné." Un tel langage, le paysan le comprendra. Il suffit qu’il ait confiance dans la capacité du prolétariat de s’emparer du pouvoir. Mais il faut pour cela épurer le Front unique de toute équivoque, de toute indécision, de toutes les phrases creuses : il faut comprendre la situation et se mettre sérieusement sur la voie de la lutte révolutionnaire… Le parti ouvrier ne doit pas s’occuper d’une tentative sans espoir pour sauver le parti des faillis ; il doit au contraire accélérer de toutes ses forces le processus par lequel les masses s’affranchissent de l’emprise réformiste. Plus il mettra dans ce travail de zèle et de hardiesse, plus vite il préparera la véritable alliance de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie. Il faut prendre les classes dans leur mouvement, se régler sur leur tête et non sur leur queue. Malheur à qui reste sur place !... La lutte pour le pouvoir doit partir de l’idée fondamentale que si une opposition contre l’aggravation de la situation des masses dans le cadre du capitalisme est encore possible, aucune amélioration réelle de leur situation n’est concevable sans incursion révolutionnaire dans le droit de propriété capitaliste… Les programmes du fascisme sont fantastiques, mensongers, démagogiques. Mais le fascisme mène une lutte enragée pour le pouvoir. Le socialisme peut lancer le programme le plus savant, sa valeur sera nulle si l’avant-garde du prolétariat ne déploie pas une lutte hardie pour s’emparer de l’Etat. La crise sociale, dans son expression politique, est la crise du pouvoir. Le vieux maître a fait faillite. Il en faut un nouveau. Si le prolétariat révolutionnaire ne s’empare pas du pouvoir, c’est le fascisme qui le prendra, inévitablement ! Un programme de revendications transitoires pour les "classes moyennes", peut naturellement revêtir une grande importance s’il répond, d’une part, à leurs besoins réels, et de l’autre aux exigences de la marche vers le socialisme. Mais, encore une fois, le centre de gravité ne se trouve pas actuellement dans tel ou tel programme particulier. Les classes moyennes ont vu et entendu bien des programmes. Ce qu’il leur faut, c’est la confiance que ce programme sera bien réalisé. Quand le paysan se dira : "Cette fois, il semble bien que le parti ouvrier ne reculera pas", la cause du socialisme sera gagnée. Mais, pour y arriver, il faut d’abord démontrer par des actes que nous sommes fermement prêts à briser sur notre route tous les obstacles… Les forces potentielles de la révolution dépassent de beaucoup les forces du fascisme et, en général, celles de toute la réaction réunie. Les sceptiques qui pensent que tout est perdu doivent être impitoyablement chassés des rangs ouvriers… Bien comprendre la situation et en tirer toutes les conclusions pratiques -hardiment, sans peur, jusqu’au bout- c’est assurer la victoire du socialisme. »