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Pourquoi nous divergeons avec l’organisation française Lutte Ouvrière

jeudi 28 juin 2012, par Robert Paris

Débat organisé par Lutte Ouvrière lors de sa fête à Presles, alors que cette organisation reconnaît ne pas vouloir débattre devant les travailleurs avec les autres courants politiques se réclamant des idées révolutionnaires car c’est, selon elle, perdre du temps qu’il faudrait consacrer au travail en direction des entreprises... Opposer la clarification politique et le travail ouvrier, voilà qui caractérise Lutte Ouvrière. Lire sur ce point les numéros du journal Lutte Ouvrière du 12 mai 1995 et du 28 avril 1995 sur la manière dont cette organisation conçoit le parti ! Citons l’un de ces articles écrit par l’ancien dirigeant Hardy : "Ces discussions durent depuis des années et nous ne voulons pas être paralysés par ce genre de polémique." Loin de vouloir discuter avec d’autres courants militants, Hardy développait l’idée qu’il s’agissait seulement d’organiser les sympathies pour la candidature présidentielle d’Arlette Laguiller...

Pourquoi nous divergeons avec l’organisation française Lutte Ouvrière

Un lecteur nous interpelle de la manière suivante (j’espère ne pas trahir sa pensée en la résumant ainsi) :

LO se revendique du trotskysme contrairement aux autres organisations d’extrême gauche. Elle dénonce les politiciens de gauche et le réformisme. Elle se bat publiquement au nom du communisme. Elle n’a pas donné le nom de communiste aux dictatures de l’Est, d’Asie ou de Cuba. LO prône le renversement du capitalisme et, dans l’intervalle, une radicalisation des luttes ouvrières pour faire reculer les patrons et l’Etat. Vous défendez la même version du léninisme, pour la construction d’un parti de militants professionnels, pour une formation marxiste stricte, pour le principe de la participation aux élections et aux syndicats sans compromissions. D’autre part, LO est une organisation de taille conséquente alors que vous n’êtes qu’un petit groupe. Est-il nécessaire que vous restiez indépendants ce qui affaiblit nécessairement le courant révolutionnaire ?

Réponse de Robert Paris :

 Tout d’abord nous faisons partie d’une série de militants qui ont été exclus de Lutte Ouvrière et les raisons disciplinaires de cette exclusion cachent difficilement des divergences politiques. D’ailleurs, pour ma part, j’estime qu’en m’excluant Lutte Ouvrière n’a fait que rompre un fil qui devait l’être et ce pour des raisons politiques. Le cirque mis à part - et il y en a eu dans cette exclusion plus que dans d’autres -, la nécessité de la rupture politique m’apparaît aujourd’hui évidente et cela me semble une séparation voulue de part et d’autre. Chacun a repris sa liberté qui est toujours celle de militants par rapport à une organisation. Je ne partage pas avec la Fraction de Lutte Ouvrière le désir de continuer à se revendiquer de LO, ce qui est bien sûr parfaitement leur droit. Ce que je ne partage pas avec Lutte Ouvrière dans cette exclusion, c’est le refus de discuter politiquement des divergences, refus qu’elle a manifesté ainsi une nouvelle fois – car ce n’était nullement la première fois ! Lutte Ouvrière a ainsi exclus ceux qui estimaient que la nature de la Russie avait changé et ceux qui estimaient qu’on pouvait aller franchement vers un parti plus ouvert...

 La faiblesse du courant révolutionnaire est certes un problème mais la vraie question n’est pas l’existence de groupes séparés les uns des autres. S’il s’avère qu’ils convergent, ils sauront le constater. Mais pour converger, encore faut-il mettre ses choix en discussion avec d’autres militants, courants, groupes, cercles ou partis et ce n’est pas le cas de l’organisation Lutte Ouvrière qui estime franchement ne pas vouloir y consacrer du temps et des préoccupations.

Nous divergeons complètement sur ce point. Discuter avec d’autres militants et courants, ce n’est nullement perdre du temps dans la direction d’un parti révolutionnaire. Bien sûr, l’activité en direction du prolétariat nécessite du temps, mais peut-on dire que boire nécessite du temps et que, du coup, on ne va pas manger ? Est-ce que nos prédécesseurs Marx, Engels, Lénine ou Trotsky pour ne citer que ceux-là ont négligé les débats avec d’autres courants ou groupes ? Pas du tout ! Leur particularité politique a été essentiellement connue par ces polémiques. L’attitude de LO consistant à dire qu’on s’adresse au milieu des entreprises touché par notre propagande et qu’on n’a pas le temps de discuter avec les autres courants ne peut, selon nous, être celle qui mène au parti. Cela mène à des grands groupes politiques mais, ensuite, il y a blocage et déclin inévitable.

Des années et des années d’une telle pratique ne peuvent que mener à des dérives de toutes sortes. Et c’est ce que nous allons tenter de montrer dans ce texte.

 Mais commençons par rappeler que nous n’avons aucune animosité vis-à-vis des dirigeants et des militants de LO. Nous ne voulons pas simplement dénoncer leurs dérives. Nous ne nous plaçons pas sur le terrain de la morale mais sur le terrain des choix politiques. Nous voulons discuter de leurs conceptions, non pour réformer les leurs, mais pour définir ce qui nous semble indispensable aux révolutionnaires et qui leur semble parfaitement accessoire. Il ne s’agit donc pas de simples divergences, de désaccords de formulations, de coupages de cheveux en quatre servant simplement à exister séparément. Nous pensons militer dans des buts très différents. C’est ce que nous allons donc expliquer dans ce texte.

 Qu’attendre d’un groupe, d’un cercle ou d’un parti révolutionnaire, telle est la divergence. Pourquoi construire une organisation de ce type dans un pays où, dans l’immédiat, la révolution sociale n’a pas encore pointé son nez. Quel intérêt de préparer à l’avance une telle organisation alors que le prolétariat révolutionnaire n’est pas en pleine action, en est à peine à se poser péniblement la question de se défendre, n’est pas encore conscient de ses tâches, ne s’est pas auto-organisé spontanément et n’est pas en situation de le faire massivement dans l’immédiat ? On pourrait se dire qu’entretenir de telles organisations en dehors de situations où elles peuvent jouer un rôle indispensable est superflu, voire nuisible car elles peuvent dériver en s’adaptant à la situation. Et c’est exactement ce qui se produit avec l’extrême gauche en France, et pas seulement en France !

Et pourtant… Pourtant, si on attend la fameuse situation révolutionnaire, nous ne serons en rien prêts à jouer le rôle qui est celui des militants révolutionnaires. En effet, nous n’aurons ni les liens avec des militants ouvriers, avec la classe ouvrière elle-même et, surtout, nous ne saurons nullement gagner sa confiance. Mais ce n’est encore pas l’essentiel : nous n’aurons ni l’analyse de la situation, ni la compétence pour définir une politique permettant d’y faire face. Les situations révolutionnaires se développent en quelques années et même mois. On ne forme pas politiquement des militants révolutionnaires en un temps aussi court. Et surtout on ne les forme pas en dehors d’une participation réelle et immédiate aux luttes de classes, quel qu’en soit le niveau.

 Donc la question que nous voulons poser est la suivante : est-ce que l’activité telle que la conçoit Lutte Ouvrière va former les militants révolutionnaires dont il y aura besoin demain. C’est de cette question que découlera tout le reste, l’analyse que nous pouvons faire de son rôle plus ou moins positif.

Effectivement, on n’attend pas qu’arrivent de nouveaux virus pour former des gens capables d’étudier les virus. Comment se forment les biologistes, les médecins, les physiciens, les astronomes ? Ils étudient et ils pratiquent. C’est de la même manière que se forment les révolutionnaires : ils étudient et ils pratiquent. Mais on n’a pas encore tout dit bien sûr car il y a bien des manières d’étudier et bien des manières de pratiquer.

Par exemple, on peut étudier les connaissances de manière métaphysique, comme si les connaissances tombaient du ciel, étaient indiscutables, immuables, éternelles, ne devaient jamais être remises en question. Cela peut servir à des savants en chambre mais cela ne peut pas être le mode de fonctionnement d’une vraie science et en particulier pas le monde de formation d’une pensée révolutionnaire.

On n’imagine pas des scientifiques qui ne seraient pas sans cesse en train de remettre en question tout, y compris les acquis fondamentaux. Ce qui suppose bien entendu s’en emparer pour les acquérir et pas les remettre en question parce qu’on ne les a pas étudiés bien entendu. Mais, pour des révolutionnaires, on ne peut étudier les leçons du passé qu’en les rediscutant à la lueur du présent et on ne peut discuter le présent qu’à la lueur de l’histoire. Cela suppose qu’on considère le monde comme une histoire et non comme un monde figé.

Tout cela est certainement nécessaire au militant révolutionnaire car le simple fait de dire ce qui se passe en ce moment n’est pas une évidence. La réalité n’est nullement ce qui s’impose aux yeux et pour lequel il suffirait de regarder pour comprendre !

 Ces préambules nous disent déjà qu’avec Lutte Ouvrière nous avons une organisation qui lit de nombreux ouvrages mais qui demande surtout à ses militants s’ils admettent les leçons qui sont dans ces livres ou s’ils ne les admettent pas. Ensuite, cette organisation a un point de vue qu’elle fait lire et demande au sympathisant s’il est d’accord ou pas. Mais elle ne lui dit pas : fais connaissance avec tous les autres points de vue et discute-en, car nous aussi nous continuons à discuter avec eux. Elle ne l’entraîne pas à se confronter fraternellement avec les autres courants révolutionnaires. Il ne s’agit pas de discuter avec ces courants dans le but exclusif de les gagner. Il s’agit d’estimer qu’on ne peut développer un point de vue révolutionnaire en dehors de la confrontation et non en cercle fermé.

En cela, nous divergeons totalement de LO. Pour cette organisation, il y a le juste et le faux, le bien et le mal, le révolutionnaire et celui qui ne l’est pas, la position de l’organisation et celui qu’elle ne convainc pas, et rien entre les deux. Il n’y a pas un point de vue vivant et dynamique qui se discute, qui se construit au sein du groupe, en voie de se former, des désaccords en permanence se développant et se réglant… ou pas. Il n’y a pas nécessairement séparation parce qu’on est en désaccord. On ne perd pas de temps parce qu’on discute en extérieur et en intérieur. On n’a pas besoin de présenter vers l’extérieur un visage uni si on a des désaccords à l’intérieur. Le militant révolutionnaire ne doit défendre que des points de vue dont il est convaincu, quitte à expliquer à l’extérieur deux points de vue, le sien et celui du groupe.

L’organisation révolutionnaire n’est pas une citadelle assiégée au point qu’il faille que les extérieurs ne soient pas informés des discussions en son sein. Celui qui est en désaccord n’est pas en train d’affaiblir l’organisation. Pour le révolutionnaire, discuter n’est pas un droit, c’est une tâche indispensable. Les idées, le programme, la stratégie, l’analyse de la situation, des rapports de force de classe se discutent sans la moindre clandestinité, sans la moindre réserve ni gène, à l’intérieur comme à l’extérieur. C’est ainsi qu’ont pratiqué les révolutionnaires dans des pays et des situations bien plus difficiles et même des situations critiques. Ce sont nos adversaires de classe, sociaux-démocrates, bureaucrates syndicaux et staliniens qui ont instauré l’idée que discuter, critiquer, ce serait diviser et affaiblir, quand ce n’est pas favoriser le camp d’en face… Notre principe est inverse : une critique incisive vaut mille fois tous les accords factices et les flatteries superficielles et mensongères. Nous sommes donc aux antipodes sur ce plan de la position de Lutte Ouvrière qui estime perdre son temps dans les débats avec d’autres courants. Nous pensons qu’une politique juste ne peut naître que de tels débats, qu’un militant révolutionnaire ne peut se former qu’en y combattant pour ses idées personnelles – qui ne sont pas nécessairement ni intégralement celles du groupe -, qu’un groupe révolutionnaire, qu’une direction révolutionnaire, et a fortiori qu’un parti révolutionnaire ne peut provenir que des combats de ce type avec les autres courants. Même les bolcheviks après avoir réussi la révolution d’Octobre estimaient devoir convaincre les autres courants et ne pensaient pas perdre leur temps en débats avec eux…

On ne doit pas demander à quiconque de faire confiance sur parole en une quelconque direction politique. La confiance a son importance au sein du courant révolutionnaire comme ailleurs, pour construire un groupe révolutionnaire comme dans d’autres domaines de la vie. Mais l’accord politique, lui, ne repose pas sur la confiance. Bien des fois, la majorité des bolcheviks n’était pas du côté de Lénine, ce qui semblerait incroyable dans l’organisation Lutte Ouvrière, en tout cas vis-à-vis de son ancien dirigeant Hardy qui était loin d’être un Lénine, comme il le disait lui-même.

 Donc l’élaboration politique, la rédaction politique, la formation, le recrutement de militants révolutionnaires, la lutte politique et sociale, tout cela a besoin de libres débats entre militants et pas avec d’un côté une direction auto-proclamée et, de l’autre, ses élèves les militants et sympathisants. Sans parler de la masse des travailleurs. Il n’y a pas d’un côté ceux qui savent et de l’autre ceux qui n’ont qu’à apprendre. La meilleure direction au monde est à l’école des travailleurs les plus simples car c’est d’eux que viendront les signes des changements politiques et pas de la direction. C’est seulement si cette direction accepte d’être remise en question, si elle doit s’expliquer, convaincre et non être crue sur parole, si elle discute en son sein, qu’elle peut apprendre son travail de direction politique et organisationnelle et peut un jour être capable de diriger une révolution. Si elle demande à être suivie par confiance et à ne pas se contester ni au sein de la direction ni par les militants, elle n’a aucune chance de préparer ni les militants ni la direction prétendue au rôle en question. Car le événements révolutionnaires devront être analysés avec une grande capacité de réactivité, avec une absence totale de conformisme et de conservatisme, et aucun enfermement intellectuel organisationnel même s’il s’agit d’une grande organisation ou d’un parti. Les révolutions sont des situations changeantes parfois toutes les heures. Les masses changent à toute vitesse et il faut avoir appris à réagir, à raisonner de manière dynamique c’est-à-dire dialectique.

Une direction qui n’a en rien une conception dialectique ne peut nullement se préparer à de tels événements. Une organisation politique qui classe les choses en noir et blanc (période de progression et période de recul, par exemple) ne risque pas de distinguer les nuances changeantes et contradictoires des périodes agitées ni de savoir y adapter des méthodes et des perspectives elles aussi changeantes et contradictoires.

 Etre capable de faire face à ces situations de changement brutal n’a rien d’évident car, alors, les centrales syndicales et forces réformistes ont une grande force de frappe et ne restent pas l’arme au pied. Croire que, si la situation sociale se radicalise, cela ouvrira un boulevard aux révolutionnaires, c’est s’illusionner. Avant que les masses perdent toutes leurs illusions dans les directions réformistes, il peut passer de l’eau sous les ponts, s’il n’y a pas eu une direction révolutionnaire ayant une analyse juste. J’ai bien dit une analyse et pas seulement des forces militantes importantes. Parce que des forces militantes sans une perspective claire, ce n’est rien. Par contre, des forces peu importantes avec une politique juste, cela peut compter.

Lutte Ouvrière est éduquée complètement de manière diamétralement opposée à tout ce que je viens de développer. Le nombre l’impressionne. Les forces en nombre de militants lui semblent l’essentiel. La force politique, la capacité de sentir des créneaux d’intervention ne la préoccupe pas.

Rien de tout cela ne devrait nous empêcher de discuter avec Lutte Ouvrière, sa direction et ses militants si l’organisation n’éduquait ceux-ci en leur disant : c’est perdre son temps !

Un autre point empêche toute discussion : le fait qu’on peut difficilement attraper la véritable politique de Lutte Ouvrière tant cette organisation est politiquement à géométrie variable suivant le niveau auquel elle s’adresse. Il y a au moins un triple discours suivant que les textes visent le milieu militant, le milieu sympathisant et le milieu extérieur, le grand public. Il y a également un discours différent suivant que le militant agit en membre de LO ou en délégué ou responsable syndical ou encore conseiller municipal. Ces discours divers de LO peuvent être complètement opposés entre eux sous prétexte de se faire comprendre des travailleurs, de ne pas les démoraliser, de tenir compte de leur niveau de conscience et de leur mobilisation faible ou forte. Les militants se convainquent que tout cela n’est pas contradictoire et que c’est la manière de faire preuve de réalisme mais ils ont tort. Cela leur fait perdre à eux-mêmes plus que ces calculs ne peuvent le faire gagner de crédit dans quelque milieu que ce soit.

 A la racine de cette évolution vers l’opportunisme, il y a le désir de réussir à construire une organisation qui devienne importante et reconnue dans la classe ouvrière, désir qui n’est pas nuisible en soi bien entendu. Mais cultiver l’illusion qu’on va construire l’organisation en développant surtout des participations aux élections et aux syndicats, c’est parfaitement absurde pour des révolutionnaires ! Bien sûr, chacun sait que Lénine a combattu les gauchistes qui estimaient que, par principe, ce serait trahir que de participer aux syndicats et aux élections. De là à estimer que cela suffit pour former les militants et construire le parti, il y a de la marge. De là à accepter de prendre des positions plus qu’ambigües sur les trahisons des dirigeants des centrales… il n’y a malheureusement pas un si long chemin. Et lorsque ces centrales envoient dans le mur le mouvement des retraites, Lutte Ouvrière va estimer publiquement que les travailleurs ne l’avaient pas suivi assez massivement au lieu de dire que les travailleurs n’auraient pas du suivre les traîtres aux intérêts ouvriers.

Cela signifie que, publiquement du moins, lors des mouvements sociaux, Lutte Ouvrière a cessé de mettre en avant les comités de grève. De même, dans la campagne électorale, la perspective communiste que Lutte Ouvrière a prétendu incarner a totalement et volontairement omis d’évoquer les comités de travailleurs comme perspective politique d’avenir face à l’effondrement du système capitaliste. Pourtant, la seule solution face à l’Etat de la bourgeoisie n’est-elle pas pour des communistes révolutionnaires : l’Etat des conseils ouvriers ? Face à une crise systémique, n’est-il pas nécessaire d’entamer une propagande systématique en faveur de ces conseils de travailleurs en s’appuyant sur les leçons des luttes passées qui montrent combien cette auto-organisation y a fait défaut ?

 Car cette politique (construire le parti par l’activité dans les syndicats et les élections) entraîne d’autres dérives. Et cela touche le cœur même de la position fondamentale des révolutionnaires : celle concernant l’Etat. Certes Lutte Ouvrière n’a pas franchi le pas décisif : celui qui consisterait à admettre que, dans certaines circonstances de crise sociale, il pourrait participer à un gouvernement populaire, qui resterait en fait un gouvernement bourgeois puisque l’appareil d’Etat n’aurait pas été détruit. Mais, cette organisation a franchi un pas politique : celui de cesser de défendre publiquement la nécessité de détruire l’Etat bourgeois, ses parlements, ses administrations, sa police, son armée, sa justice, ses prisons, tout son appareil au service des classes dirigeantes. Tout le travail légal de l’organisation Lutte Ouvrière, justement parce qu’il a un peu marché, a pesé de tout son poids dans ce sens. Lutte Ouvrière en est venu à demander plus de « police de proximité », à accepter des alliances avec les maires de gauche, y compris à fermer les yeux sur certaines politiques inacceptables de ceux-ci, à accepter le référendums sur des constitutions alors que cette organisation avait expliqué une position diamétralement opposée sur le plan des principes. Asseyez-vous sur vos principes et, si vous commencez à peser de quelque poids, ils finiront bien par céder, disent toujours les opportunistes. Jusqu’où peut aller l’opportunisme de Lutte Ouvrière, nous n’en savons rien et ce n’est pas à nous de le dire. Il nous suffit de constater que cette organisation ne sert nullement de boussole, ni aux luttes, ni à la conscience de classe, ni à la compréhension de la nature de l’Etat bourgeois. Il ne suffit pas de stipendier les politiciens et d’écrire à longueur de colonnes qu’on ne changera pas la société par les élections si… on le dit surtout aux élections !

 Pour Marx ou Lénine, l’importance de l’organisation politique prolétarienne provenait du fait que le prolétariat ne pouvait prendre conscience de son rôle que s’il le voyait, non d’un simple point de vue économique et revendicatif, mais du point de vue politique, en tant que perspective nouvelle pour toute la société. Dans ce sens là, Lutte Ouvrière n’est nullement en train de bâtir une telle perspective communiste prolétarienne comme elle le prétend. Les seules campagnes politiques d’ampleur de Lutte Ouvrière sont électorales sous le prétexte que c’est le moment où les gens s’intéresseraient à la politique. Quitte à s’adapter « aux gens », il vaudrait mieux alors que LO constitue une équipe géniale de foot, ils auraient carrément un succès mondial !!!

la suite ...

Messages

  • C’est Hollande, Valls, Macron qui ont coulé le PS et pas l’extrême gauche !

    LO est, en effet, une organisation « récidiviste » du soutien au Parti « Socialiste » et au Parti « Communiste » Français :

     lors des élections législatives qui ont suivi Mai 68 : appel à voter pour les candidats de la Fédération de la Gauche Démocrate et « Socialiste » (FGDS) et du Parti dit communiste

     aux présidentielles de 1974 : appel à voter pour François Mitterrand

     lors des présidentielles de 1981 : appel à voter « sans illusion mais sans réserve ( !!) » pour François Mitterrand

     lors des élections législatives de 1997 : appel à voter pour les candidats du P « S » et du P.« C ».F. s’ils doivent affronter en duel un candidat du Front National…

    Cette position est doublement erronée. D’une part, parce qu’appeler à voter pour le P « S » et le P « C » contre le FN revient à dédouaner ces deux partis de leurs propres politiques racistes : foyer pour immigrés rasé au bulldozer par le P « C »F, chasse aux sans-papiers orchestrée par le P « S » (construction des « centres de rétention administrative » à partir de 1981, expulsions de sans-papiers…). D’autre part,
    parce que cela revient à établir une distinction (étonnante) entre le RPR (l’actuelle UMP) et le FN (puisque LO n’appelle pas à voter pour la « gauche » en cas de duel « gauche » - RPR, seulement en cas de duel « gauche » - FN).

    Pour justifier leur soutien au P « S », les militants LO mettaient en avant le fait qu’ils ne veulent pas se couper des masses. L’argument ne tient pas du tout la route car – au risque d’enfoncer des portes ouvertes – les masses ne sont pas au P « S », qui compte moins de 200 000 adhérents (dont tous ne sont pas des salariés et dont une grosse partie n’a aucune activité militante).

    Les fois où les classes populaires votent pour ce parti, cela ne signifie pas qu’elles aient beaucoup d’illusions à son sujet : il s’agit d’un vote « par défaut », pour ce qu’elles pensent (à tort) être le « moins pire », sûrement pas d’un vote d’adhésion. En outre, les présidentielles de 2002 ont bien montré à quel point les « masses » n’avaient pas d’illusions dans le PS : à cette occasion, 88,8% des citoyens inscrits sur les listes électorales n’ont pas voté pour ce parti. Si on prend en compte le fait
    qu’il y avait en plus environ 4 millions de non-inscrits, c’est en fait moins de 10% des citoyens en âge de voter qui ont opté pour le PS le 21 avril 2002.

    De toute façon, même si les masses étaient pleines d’illusions au sujet du P « S », rien ne justifierait qu’une organisation qui se prétend révolutionnaire appelle à voter pour lui, puisque ce parti est – tout autant que l’UMP, le Modem, le FN – au service de la bourgeoisie.

    On ne peut simultanément se prétendre l’avant-garde du prolétariat et suivre les masses dans ce qu’elles ont de plus réactionnaire sous prétexte de ne pas vouloir se couper d’elles. Les communistes devraient normalement savoir que la vérité est révolutionnaire (comme disait Trotsky) et qu’ils ont tout à gagner à la dévoiler aux exploités. L’extrême-gauche recrée des illusions au sujet de la social-démocratie (en se fourvoyant dans des appels à voter pour ses candidats ou – pire encore ! – dans la constitution de listes communes avec les « socialistes ») au lieu de rappeler son histoire honteuse et criminelle pour la discréditer définitivement : soutien à la tuerie impérialiste de 14-18 (15 millions de prolétaires et de paysans sont morts pour permettre aux bourgeoisies européennes de déterminer laquelle d’entre elles aura la plus grande part du « gâteau » en Afrique), défense de l’Algérie française (Mitterrand : « L’Algérie c’est la France »), soutien sans faille (depuis le sionisme affiché par Blum en 1948 à celui de Strauss-Kahn, Delanoë, Kouchner, Royal et consorts aujourd’hui) à l’État colonial israélien, aide apportée aux bouchers islamistes qui combattaient la Russie en Afghanistan, alignement sur la position des anticommunistes primaires Ronald Reagan et Margaret Thatcher lors de la crise des euromissiles, attentat contre le
    Rainbow Warrior en 1985, participation à la guerre contre l’Irak en 1991 (autant de morts dans les bombardements de Bagdad qu’à Nagasaki en 1945…), implication dans le génocide rwandais, participation à la guerre de l’OTAN contre la Serbie en 1999, soutien à celle contre l’Afghanistan en 2001, privatisations massives (au moins autant que quand la droite est au pouvoir), aides colossales (des dizaines de milliards d’euros) au patronat, lois liberticides (« Loi sur la Sécurité Quotidienne » (LSQ) votée sous Jospin)…

    Il faut maintenant rajouter les horreurs de l’état d’urgence et des guerres tous azimuts du PS au pouvoir sous Hollande-Valls-Cazeneuve...

  • Pour justifier sa caution des journées d’action syndicales inutiles et même nuisibles, Lutte ouvrière (organisation autrefois trotskiste) écrivait :

    « Les luttes peuvent surgir spontanément, mais elles pourraient être aussi organisées par les directions syndicales… Les journées d’action, si elles sont renouvelées, peuvent démontrer aux travailleurs eux-mêmes qu’ils sont nombreux à pouvoir et à vouloir se battre. Une journée d’action réussie peut encourager et entraîner un plus grand nombre de travailleurs à participer à la suivante, à condition de l’avoir annoncée à l’avance comme menace contre le patronat et l’Etat, et comme perspective pour les travailleurs. Des journées d’action se succédant et se renforçant dans un temps relativement court peuvent préparer et conduire à une grève générale. »

    citation de la LDC (Luttes de classes !!!) n°109 brochure éditée par Lutte ouvrière de Dec/janv 2008, à la fin du texte "situation intérieure

  • « Si, dans sa période d’expansion, le syndicalisme se considérait comme une avant-garde et combattait pour le rôle dirigeant de la minorité d’avant-garde au sein des masses, les épigones du syndicalisme luttent maintenant contre les mêmes souhaits de l’avant-garde communiste, essayant, quoique sans succès, de se baser sur le manque de développement et les préjugés des parties les plus rétrogrades de la classe ouvrière. (…) Les faits démontrent que des syndicats politiquement “indépendants” n’existent nulle part. Il n’y en a jamais eu. L’expérience et la théorie indiquent qu’il n’y en aura jamais. (…) Le droit d’un parti politique d’agir pour gagner les syndicats à son influence ne doit pas être nié, mais cette question doit être posée : Au nom de quel programme et de quelle tactique cette organisation agit-elle ? » écrivait déjà Léon Trotsky dans « Syndicalisme et communisme », 14 octobre 1929

  • Lutte ouvrière en est arrivée là pour justifier dans l’appareil les positions de ses militants…

    Un militant communiste ne prend pas de responsabilité syndicale si c’est pour faire du syndicalisme.

    Si un militant communiste brigue un mandat syndical c’est sur des positions claires :

    1 il ne se fait pas élire sur les bases de l’orientation du syndicat

    2 il défend l’indépendance des travailleurs vis à vis de l’appareil syndical

    3 il défend les comités de grève, il conteste la direction des luttes par les syndicats même si ces syndicats étaient dirigés par des révolutionnaires

    4 il dénonce le caractère collaborationniste des instances représentatives du personnel et le caractère anti démocratique des élections professionnelles (les travailleurs doivent passer par le cadre bureaucratique des OS pour pouvoir se présenter). En opposition met en avant la démocratie ouvrière et la nécessité des comités d’usines dans la situation actuelle.

    5 il intervient dans ces instances pour briser toutes illusions que pourraient avoir les travailleurs dedans... il montre les limites de ces instances qui ne sont ni plus ni moins qu’un bureau des plaintes sans aucun pouvoir puisque les votes au CE, CCE et CHSCT sont consultatifs

    et puis surtout toute son activité doit se tourner vers une organisation indépendante, de classe des travailleurs mais aussi au travers de celle-ci par l’intermédiaire de prise de positions notamment tenter de démasquer les bureaucrates aux yeux des travailleurs

  • « Les mencheviks d’Occident se sont bien plus solidement "incrustés" dans les syndicats, et une "aristocratie ouvrière " corporative, étroite, égoïste, sans entrailles, cupide, philistine, d’esprit impérialiste, soudoyée et corrompue par l’impérialisme, y est apparue bien plus puissante que chez nous. Cela est indiscutable. La lutte contre les Gompers, contre MM. Jouhaux, Henderson, Merrheim, Legien et Cie en Europe occidentale, est beaucoup plus difficile que la lutte contre nos mencheviks qui représentent un type politique et social parfaitement analogue. Cette lutte doit être impitoyable et il faut absolument la pousser, comme nous l’avons fait, jusqu’à déshonorer complètement et faire chasser des syndicats tous les incorrigibles leaders de l’opportunisme et du social-chauvinisme. (...) Nous luttons contre "l’aristocratie ouvrière" au nom de la masse ouvrière et pour la gagner à nous ; nous combattons les leaders opportunistes et social-chauvins pour gagner à nous la classe ouvrière. Il serait absurde de méconnaître cette vérité élémentaire et évidente entre toutes. »

    (Lénine, « La maladie infantile du communisme, le gauchisme » )

  • Les tâches pour les communistes révolutionnaires :

     militer en développant le maximum de liens avec la classe ouvrière et pas seulement avec ses militants organisés

     ne jamais s’isoler de la masse des travailleurs et les faire juges de nos positions, de nos orientations et de nos combats par tous les moyens (prises de paroles, affiches, tracts publics)

     participer à l’activité syndicale mais en ayant conscience que l’on intervient en terrain miné, en préparant les camarades non seulement aux combats avec les bureaucrates mais aux pressions multiples et aux déformations que représente la participation aux organismes syndicaux

     ne jamais participer à des responsabilités syndicales tant qu’on n’a pas de groupes autour de soi sur des bases politiques claires et tant que l’on n’a pas de parution publique régulière communiste révolutionnaire sur l’entreprise

     ne briguer des responsabilités syndicales que sur la base d’un soutien clair et sur des objectifs écrits et votés des travailleurs

     s’interdire de diriger une lutte en tant que syndicaliste sans se donner les moyens d’organiser tous les travailleurs en lutte en faisant élire des organes de direction de cette lutte.

     Et ne jamais oublier que prôner la grève générale et même la révolution sans l’organisation de comités de grève, de comité central de grève, de comité d’usine et de soviets, c’est envoyer la classe ouvrière à la défaite et même bien pire…

     Démarcation claire sur le rôle de l’Etat bourgeois qu’ils n’appellent pas à agir en faveur des travailleurs et des milieux populaires et sur lequel ils ne sèment aucune illusion

     Démarcation claire vis-à-vis de tous les appareils institutionnels de la bourgeoisie, y compris les appareils syndicaux

     Développement de la conscience politique de classe au travers de tous les événements petits et grands et de toutes les luttes, petites et grandes

     Diffuser les leçons de ces luttes et, en particulier, montrer que l’organisation indépendante des travailleurs est la clef des succès futurs

     Aider dans toutes les circonstances possibles à l’auto-organisation des travailleurs et des milieux populaires même si ces derniers ne sont pas spontanément portés vers ce type d’organisation

     Face à l’effondrement actuel du capitalisme, ne semer aucune illusion sur la pérennité du système qui fait croire qu’il veut seulement nous faire payer un peu mais parviendra à se maintenir au travers de "la crise".

  • « L’oubli des grands points théoriques fondamentaux pour les intérêts immédiats et passagers, la lutte et la course aux succès momentanés sans se soucier des conséquences ultérieures, le sacrifice de l’avenir du mouvement au présent du mouvement - tout cela a peut-être des mobiles « honnêtes » mais cela est et reste de l’opportunisme. Or l’opportunisme « honnête » est peut-être le plus dangereux de tous. »

    Engels, Critique du projet de programme social-démocrate d’Erfurt de 1891

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