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Nouvelles du Kenya

dimanche 2 mars 2008, par Robert Paris

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Avril 2008 : Nouvelles du Kenya

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« La crise a désormais révélé son vrai visage. Celui de l’opposition entre natis et laissés-pou-compte, « élite politique bouffie de suffisance et Kenyans dans la misère » (extrait « Comment le Kenya a perdu sa voie » article du « New Stateman » par Michela Wrong le 3 janvier 2008.
cité par "Le monde dipolomatique" de février 2008 - article de Jean-Christophe Servant

Aux origines de l’explosion au Kenya

"Décrire la situation comme une inimitié tribale est trop simpliste. L’accès à la terre, l’accès au logement ou à l’eau potable sont autant de problèmes réels qui apparaissent en toile de fond des violences et dont le détonateur aura été la dispute politique", explique un travailleur humanitaire danois, qui préfère garder l’anonymat. "Il y a une dimension de classe indubitable à ces troubles qui secouent la société kenyane." explique Millicent Ogutu. Millicent Ogutu, qui travaille pour un média installé dans la capitale kenyane Nairobi, constate que depuis plus de quatre semaines, "seule une catégorie de personnes a protesté contre ce scrutin pour dénoncer les fraudes : les plus pauvres parmi les pauvres, ceux qui n’ont pas de travail et ceux qui n’ont pas de terre", dit-il. "On ne voit que les membres d’une seule classe sociale commettre des violences et accumuler de la rancune contre les tricheries de comptage", ajoute-t-il.

Ces dernières semaines, des affrontements ont éclaté dans la capitale, dans les deux principaux bidonvilles de Nairobi : Kibera et Mathare. Dans les autres régions du pays, ce sont aussi des villes pauvres et misérables qui se sont embrasées, comme Kisumu, bastion de l’opposition dans l’ouest, et les villes d’Eldoret, Molo, Nakuru ou Naivasha, dans la Vallée du Rift.

"Avez-vous vu une personne de la classe moyenne ou une tribu crier des slogans contre Odinga ou Kibaki ?", demande Raphaël Karanja, qui est journaliste pour une radio locale. "Il s’agit seulement de gens qui avaient une confiance aveugle dans le pouvoir du scrutin et qui pensaient naïvement que leur vote pourrait apporter un changement de garde et des politiques économiques qui allégeront leurs difficultés de base — comme l’absence de terre, d’habitation ou d’eau potable — qui se sont insurgés", ajoute-t-il.

"Ces dernières semaines, des affrontements ont éclaté dans la capitale, dans les deux principaux bidonvilles de Nairobi : Kibera et Mathare. Dans les autres régions du pays, ce sont aussi des villes pauvres et misérables qui se sont embrasées, comme Kisumu, bastion de l’opposition dans l’ouest, et les villes d’Eldoret, Molo, Nakuru ou Naivasha, dans la Vallée du Rift.

"Avez-vous vu une personne de la classe moyenne ou une tribu crier des slogans contre Odinga ou Kibaki ?", demande Raphaël Karanja, qui est journaliste pour une radio locale. "Il s’agit seulement de gens qui avaient une confiance aveugle dans le pouvoir du scrutin et qui pensaient naïvement que leur vote pourrait apporter un changement de garde et des politiques économiques qui allégeront leurs difficultés de base — comme l’absence de terre, d’habitation ou d’eau potable — qui se sont insurgés", ajoute-t-il.

Dans les bidonvilles de Nairobi ou ailleurs dans le pays, la plupart des manifestants semblent appartenir aux ethnies Luo et Kalenjin, tandis que la majorité des victimes seraient des Kikuyus. Mais derrière cette simplification ethnique des combats, se cache en réalité une division profonde et historique des ressources et des richesses du Kenya.

"Le plus gros problème est la terre", confie un professeur d’économie à l’Université de Nairobi. Il souhaite conserver l’anonymat parce qu’il est employé par le gouvernement. "L’Etat a fait preuve d’une partialité flagrante en faveur d’une tribu lors de l’indépendance, lorsque les terres laissées par les Britanniques ont été distribuées au peuple. Les Kikuyus ont pu acheter la plupart des terres, y compris dans des régions qui n’étaient pas dominées par cette ethnie, parce qu’ils étaient majoritaires dans la première administration du président Jomo Kenyatta et qu’ils ont pu bénéficier de prêts", explique-t-il.

"Ils possèdent donc aujourd’hui de nombreuses terres, y compris dans la fertile Vallée du Rift, une région qui est la proie des violences après chaque scrutin depuis l’instauration du multipartisme en 1992 au Kenya — comme ce fut le cas cette année-là, mais aussi en 1997", constate le professeur."

"Dans la capitale Kenyane se côtoient les signes de l’opulence et de la misère. Nairobi concentre sans doute les plus belles avenues d’Afrique, mais aussi les plus grands bidonvilles du continent. Kibéra en est le plus célèbre. Plongé dans le dénuement et l’insécurité, l’endroit croule sous une densité explosive. La violence peut éclater à tout moment. " écrivait M’bengue en novembre 2006.

"Les raisons de la crise sont plutôt à chercher du côté de l’exaspération d’une grande partie de la population, oubliée de la croissance économique du pays. « Le développement du tourisme a généré beaucoup d’argent, explique Gérard Prunier. Or, les richesses n’ont pas du tout été redistribuées.70% de la population de Nairobi vit dans des bidonvilles. Les prix sont très hauts, comparables même à ceux des capitales européennes, alors que la plupart des gens ne gagnent pas plus de 300 euros par mois ! Les jeunes chômeurs des bidonvilles se disent : il y a de l’argent, mais nous, nous n’avons rien. Résultat : une atmosphère de tensions exacerbées , avec une criminalité très forte. » A Mathare, par exemple, où la pauvreté est extrême, les « Mungikis », un groupe de voyous, étrange mélange de secte et de gang, sèment la terreur, rackettant les commerçants et les conducteurs de taxis, tuant les habitants. Ils seraient ainsi responsables de plus de 120 assassinats entre mai et novembre dernier. » écrit Anneguion.

La situation en 2002 d’après Daniel Bourmaud :
"Le passif économique et social est considérable. Au cours des quinze dernières années, le revenu par tête a décru annuellement de 1,5 %, la croissance économique est restée toujours inférieure à la croissance démographique. Les indicateurs sociaux traduisent la dégradation des conditions de vie d’une population de plus en plus pauvre. Les estimations varient mais convergent. Selon l’économiste Robert Shaw, l’indice de pauvreté serait passé de 26,1 % en 1997 à 34,5 % en 2001[6]. D’autres calculs montrent que plus de la moitié des Kenyans vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1 dollar par jour. La mortalité infantile des moins de 5 ans a augmenté de 74 % en 1992 à 105 % en 1998 et le taux de scolarisation dans l’enseignement a diminué de 95 % en 1989 à 67,6 % en 2000[7]. Les services publics, dont le Kenya pouvait, souvent à juste titre, s’enorgueillir il y a vingt-cinq ans, sont aujourd’hui dévastés. Le réseau routier qui, là encore, distinguait le pays de ses voisins, est à réhabiliter dans sa quasi-totalité."

Notre point de vue :
Le Kenya est, depuis l’indépendance, aux mains d’une bourgeoisie parfaitement intégrée à l’ordre impérialiste, considérée jusque récemment comme le "bon élève du FMI", c’est-à-dire capable de ponctionner tous les services publics au service d’une bourgeoisie privée liée à l’ordre mondial. Pour les USA, c’était un modèle : Washington lui a octroyé plus de 500 millions d’aide bilatérale en 2007.

La population subit durement cet ordre capitaliste. L’indice boursier a flambé de plus de 800% en six ans. Le pays a un taux annuel de croissance supérieur à 5%, et même 6% en 2007. Il ne s’agit bien évidemment pas du taux de croissance du bien être de la population ! La misère, par contre, s’est accrue dans des proprotions incroyables dont témoigne notamment l’accroissement de la population de l’immense bidonville de Nairobi (plus d’un cinquième de la population de la capitale) devenu une véritable poudrière révolutionnaire. "Le Monde Diplomatique" de février 2008 écrit : "Ces zones de relégation sont connues pour être parmi les plus vastes et les plus explosives d’Afrique subsaharienne. (...) Dans les bidonvilles de Mombasa, Nairobi et Kisumu végète une population jeune (majoritairement âgée de moins de 40 ans), (...) qui vit la précarité régulant les quartiers pauvres : protection des rues, extorsion de loyers, rackets des transports en commun, approviionnement illégal en électricité, gestion sauvage des rares latrines..."

C’est dire que l’explosion qui a eu lieu n’est pas sue simplement au caractère de la dictature politique (refus de l’alternance "démocratique") et encore moins à une révolte dont la racine serait ethnique. La classe dirigeante a vu, ces dernières années, monter une révolte sociale. Contrairement aux classes opprimées, cette classe dirigeante s’est préparée à détourner la révolution sociale qui montait er affrontemens ethniques. Elle a ainsi fait croire qu’elle protégeait la population kikuyu. Mais ce régime n’en a rien à faire bien entendu de la population, qu’elle soit kikuyu ou pas ! Elle veut seulement maintenir son ordre social injuste issu de l’indépendance.

Si le pays obtient finalement son indépendance en 1963, après une violente lutte contre le colonialisme anglais (le mouvement mau-mau - voir l’annexe en fin de texte), cela ne signifiait pas effectivement une victoire pour les combattants comme le rapporte la romancière NGugi Wa thiongo dans « Pétales de sang » :
« C’était à la veille de l’indépendance. Alors, vous pouviez imaginer ce que cela représentait pour moi d’émotions, d’espoirs et de souvenirs. (…) Tout allait changer. Plus jamais, je ne verrai le Blanc se moquer de nos efforts. (…) Les usines, les plantations, tout allait être à nous. (…) Des mois et des semaines après, je chantais encore le chant de l’espérance. J’ai attendu la réforme agraire et la redistribution des terres. J’ai attendu un emploi. (…) J’ai entendu dire qu’on donnait des prêts pour permettre d’acheter les fermes des Européens. Je n’ai pas compris pourquoi il me faudrait acheter des terres déjà payées au prix du sang. (…) J’ai attendu. Je me suis dit : OK. Je me fais muet, je me fais sourd. Et j’ai regardé les choses évoluer. J’ai vu les événements. J’ai vu la tension monter entre les Noirs."

Le 25 mai 1990, en même temps que la révolte parcourait le reste des dictature d’Afrique, des émeutes éclataient à Nairobi le 25 mai 1990. Ces émeutes montraient au pouvoir que la dictature mise en place après l’indépendance n’était pas éternelle. le pouvoir allait tenter de se maintenir comme les autres, en ne changeant que la forme et pas l’essentiel. Du coup, si la richesse s’accumulait à un pôle et la apuvreté à un autre, on allait nécessairemnt vers de nouvelles explosions, malgré le multipartisme mis en place au Kenya fin 1991.

COLETTE BRAECKMAN
mardi 15 janvier 2008
"La vraie fracture du Kenya" :

"Les violences qui ont ravagé le Kenya ont détruit la réputation de stabilité que ce pays s’était donnée depuis des décennies et ravivé les pires clichés à propos de l’Afrique : luttes tribales, massacres interethniques, voire « sauvagerie » toujours prête à resurgir… C’est oublier que la crise s’inscrit avant tout sur un malaise que les chantres de la « stabilité » avaient sous-estimé : le vrai moteur de la violence, qui grondait depuis des années, c’est la frustration d’une population qui, toutes ethnies confondues, a vu se creuser le fossé entre les élites politiques et le plus grand nombre accablé par la misère.

La croissance du pays, bien réelle et saluée par les bailleurs de fonds internationaux, s’est développée sur une base de profonde inégalité : dans les villes, des supermarchés de luxe ou des complexes résidentiels gardés comme des forteresses coexistent avec d’immenses bidonvilles générés par l’exode rural. C’est là qu’échouent des paysans chassés de leurs terres car priorité a été donnée à des cultures d’exportation (fleurs coupées – qui rapportent 100 millions de dollars par an –, haricots et fraises de contre-saison), là où, avant, les cultures vivrières nourrissaient les familles.

La corruption des élites, leur train de vie fastueux tranchant avec la misère des sans-logis et des sans-travail, a fini par alimenter une rancune que la moindre étincelle pouvait faire éclater. En réalité, le modèle kenyan était à la fois orgueilleux par ses succès, et fragile par ses lacunes sociales. C’est dans ce contexte que la compétition politique a trouvé toute son âpreté, les groupes soutenant « leurs » candidats sur une base ethnique et non idéologique, espérant avant tout que le futur élu ferait pencher en leur faveur la balance d’une redistribution de la richesse. Dans d’autres pays d’Afrique aussi, l’apparition de nouvelles élites branchées sur les réseaux de pouvoir internationaux et dédaigneuses de masses rurales ou urbaines de plus en plus déshéritées porte en elle le même germe d’une violence qui sera qualifiée à tort d’« ethnique ».

La « haine ethnique », si facilement dénoncée, n’est jamais que le détournement d’autres crises, nées d’une injuste répartition des ressources…"

Le régime mis en place à l’indépendance n’est pas véritablement issu de la révolte mau-mau :

L’affrontement entre le peuple kenyan et le colonialisme anglais (rompant la prétention de ce colonialisme d’avoir pris en compte pacifiquement le passage à l’indépendance, comme en Inde et au Ghana), sera le fait exclusif de la révolte populaire d’un côté et des forces coloniales de l’autre. Des leaders petits bourgeois, comme Jomo Kenyatta, vont faire maintes fois des offres de services au colonialisme anglais en se présentant comme un autre N’Krumah, mais sans succès. Son parti, le Kenyan African Union, est pacifiste, c’est-à-dire contre la violence révolutionnaire des masses africaines – la violence du colonialisme, il n’y peut rien bien sûr -. Il réclame seulement l’élargissement de la participation des Africains à un conseil qui n’a aucun pouvoir. Le KAU a une influence réformiste sur les syndicats qu’il entraîne dans son réformisme et la classe ouvrière ne jouera qu’un petit rôle dans la lutte. C’est le colonialisme anglais qui radicalisme la situation en affirmant, contre l’évidence, que le mouvement populaire des campagnes, le Mau-Mau, serait manipulé par le KAU. Ce mouvement de révolte a éclaté en 1952, parmi le peuple Kikuyu exaspéré par les exactions des Blancs qui volent les terres, le Kenya étant considéré par les Anglais comme une colonie de peuplement comme l’Afrique du sud et les propriétaires Blancs, 1% de la population, possèdent 25% des terres. Elle se traduit par des attaques physiques individuelles de colons blancs dans leurs fermes. Le colonialisme anglais le présente comme une lutte de sauvages barbares, et décide, en juin 1953, de déclencher une guerre d’extermination contre l’ensemble du peuple kikuyu. C’est la chasse à l’homme contre des paysans quasi complètement désarmés. 50.000 soldats britanniques et rhodésiens réalisent l’une des plus sanglantes répressions coloniales. Hommes, femmes et enfants sont déchiquetés par les bombardements des villages. Le pays tout entier est ratissé par l’armée. Ceux qui résistent sont abattus.

Extraits de « Le mouvement ’’Mau-Mau’’ » de Robert Buijtenhuij :
« Le premier syndicat permanent du Kenya, le « Kenya Indian Labour Trade Union », fondé en avril 1935 par Makhan Singh, était une affaire entièrement indienne. Les syndicats africains brillaient à cette époque par leur absence (…). Ce n’est qu’en juillet 1939 que les dockers de Mombasa ont déclenché – plus ou moins spontanément – la première grève « noire ». Quels faits nouveaux nous frappent dans l’activité politique du Kenya après la seconde guerre mondiale ? Le fait, d’abord, que le réveil politique a commencé à toucher toutes les ethnies du Kenya sans exception (…) Il y a ensuite le fait que les Africains du Kenya ont trouvé dans les activités syndicales un nouveau champ de bataille. Après une nouvelle grève à Mombasa en 1947, grève générale cette fois à laquelle participaient 15 000 Africains et qui a eu un succès retentissant. Son organisateur, Chege Kibachia, a en effet fondé le premier syndicat africain, la « Africain Workers Federation ». Considérée avec méfiance par le gouvernement, cette organisationa été de courte durée ; elle s’est progressivement dissoute après l’arrestation de son président en août 1947. L’action de Chege Kibachia a cependant été à l’origine d’un mouvement syndical qui comptait en 1952, 27.588 membres en 13 syndicats ; à la même époque, il y aurait eu au Tanganika un seul syndicat avec 381 membres et en Ouganda trois organisations ouvrières avec 259 membres. Nous verrons que cette activité syndicale fait partie intégrante du cadre dans lequel il convient de situer la révolte mau-mau. L’événement qui cependant caractérise le mieux la nouvelle orientation de la vie politique (…) : le fondation du premier mouvement politique, la « Kenya African Union » dont l’origine remonte à 1944. (…) Jomo Kenyatta, revenu au Kenya en 1946, (…) devint président de cette nouvelle organisation en juin 1947. (…) C’était d’abord un mouvement de masse qui avait en 1952 au moins 100.000 membres et dont certains meetings attiraient des foules de 20.000 à 25.000 personnes. (…) Le KAU a posé dès le début le problème de l’Indépendance (…). Les colons, qui suivaient avec inquiétude l’évolution politique de la « Gold Coast », parlaient avec horreur du « Gold Coatism » pour désignet toute mesure favorable aux Africains. (…)
Le 25 novembre 1952, l’éviction de 2.500 squatters travaillant sur les fermes de Leshaw Ward pour des raisons de sécurité et par représailles à la suite de l’assassinat du commandant Meiklejohn et de son épouse, ces mesures inspirées par la peur et excécutées dans un climat de panique voisin de l’hystérie, ont été d’autant plus ressenties par l’ensemble des squatters que les évictions avaient été effectuées manu militari et que des méthodes particulièrement dures avaient été employées pour briser toute tentative de résistance ou de protestation. (…) Un exode soudain (…) a amné vers les réserves kikuyu une masse de squatters dont le nombre a été évalué de 100.000 à 200.000 personnes. (…)
Dans une première phase qui a duré de 1948 jusqu’en 1950, le mouvement a pris naissance parmi les masses déshéritées (…) Ce n’est que dans une deuxième phase qui a duré du début 1950 jusqu’à la déclaration de l’état d’urgence en octobre 1952, que des évolués et des leaders nationaux ont pris le pas sur les masses populaires anonymes. Puis, après la déclaration de l’état d’urgence et l’arrestation de la quasi-totalité des leaders nationaux kikuyus, les masses paysannes se sont retrouvées de nouveau seules pour s’engager dans la résistance armée. (…)
Cette armée paysanne sans armes, sans expérience militaire et sans cadres instruits, a malgré tout résisté durant près de quatre ans à l’armée moderne anglaise et, jusqu’en 1954, elle n’a pas seulement su garder ses positions, mais même les améliorer à certians égards. (…) Un facteur qui explique la durée de la résistance kikuyu est l’existence, à Nairobi et dans les réserves, d’un réseau de soutien, remarquablement bien organisé, qui a fonctionné pendant plusieurs années grâce à la complicité active ou passive de la grande majorité du peuple kikuyu. (…) Les structures territoriales de l’armée favorisaient les liaisons étroites entre les unités combattantes et les comités mau-mau dans les villages ou les communes d’origine des maquisards. (…) Ces comités mau-mau du réseau de soutien ont pu tenter sérieusement de se substituer au gouvernement colonial en créant une véritable « administration parallèle ». (…) Le réseau de soutien de Nairobi s’occupait surtout du ravitaillement des armées de la forêt en armes et en nouvelles recrues, et de la collecte des fonds nécessaires à la défense des membres du mouvement devant les cours de justice et à l’entretien des familles des membres du mouvement détenus ou disparus au combat. (…) Cependant, les leaders mau-mau de Nairobi n’ont jamais tenté d’exploiter leur contrôle sur la population africaine pour ouvrir un deuxième ou troisième front contre le gouvernement colonial. (…) L’exception (…) est une campagne de résistance passive lancée à Nairobi en 1953 et qui comprenait entre autres le boycottage des autobus municipaux européens et des boutiques de thé tenues par des Asiatiques ainsi que l’interdiction de fumer en public, de boire de la bière européenne et de porter des chapeaux. (…) Aucune grève générale et très peu de grèves partielles n’ont été mentionnées par les leaders du mouvement mau-mau (…)
Dans les réserves kikuyu, la politique (des Anglais) des « hameaux stratégiques » a été mise en œuvre pour empêcher le contact entre les combattants mau-mau et leurs supporters dans les campagnes. (…) A partir du début de 1954, le pays kikuyu commença à ressembler à un immense camp de concentration. Toute la population concentrée dans des villages nouveaux, devait d’ailleurs construire de ses propres mains, villages fortifiés et entourés de barricades et de barbelés, dont les habitants ne pouvaient sortir qu’une heure par jour (et encore sous escorte militaire) pour se ravitailler. (…) A partir de l’été 1954, l’armée mau-mau a été contrainte de se replier sur elle-même. La forêt devint alors sa seule dimension, son dernier sanctuaire dont elle ne sortait plus guère. (…)
Au fur et à mesure qu’approchait l’indépendance, les survivants (de l’armée mau-mau) se sont manifestés avec une audace croissante pour devenir, à la fin de 1963, un véritable problème pour les nouveaux responsables du pays. (…) A partir de l’été 1961, (…) la libération de Jomo Kenyatta était imminente et l’indépendance commençait à devenir une réalité relativement proche. La question des anciens combattants devenait brûante : quelle serait leur place dans le Kenya indépendant ? (…) le nouveau gouvernement de Jomo Kenyatta n’était pas prêt à leur accorder des faveurs (propriétés des anciens colons ou postes gouvernementaux). (…) En ce qui concerne les fermes, le gouvernement n’avait nullement l’intention d’exproprier les colons blancs. (…) Le Kenya de Jomo Kenyatta n’était ni radical ni socialiste (…) La révolte mau-mau était une révolution nationale et une révolte sociale en même temps, et en temps que révolte sociale elle réclamait les terres cultivées par les colons européens pour le peuple africain. Pour Jomo Kenyatta, par contre, la décolonisation signifiait avant tout l’indépendance politique et il entendait rester en bons termes avec les Anglais et les colons sur le plan économique. (…) Dès sa libération en 1961, Jomo Kenyatta a annoncé la couleur (…) « Nous n’avons pas l’intention de former un gouvernement de gangsters … Nous dissiperons les appréhensions des gens qui craignent qu’un Kenya indépendant ne se jette sur leurs propriétés pour les confisquer. » (cité par le Monde du 28 août 1961) (…) A l’égard de ceux qui croyaient pouvoir en toute impunité prêter serment d’allégeance à des organisations clandestines de résistance à la politique libérale officielle, Mr Kenyatta a déclaré (durant l’été 1963) : « Nous serons impitoyables à l’égard de ceux qui fabriquent des fusils dans la brousse. » l’indépendance elle-même n’a rien changé à cet état de choses. (…) En novembre 1963, un mois avant l’indépendance, un appel du gouvernement kenyatta aux derniers combattants leur enjoignait de se « rendre » avant la célébration officielle de l’indépendance. (…) Le premier à répondre à l’appel du gouvernement Kenyatta en vue d’une capitulation fut Mwariama, qui se présenta le 8 décembre 1963 à la résidence de Jomo Kenyatta à Gattundu. (…) Le maréchal Mwariama a été condamné en mars 1964 à cinq ans et trois mois de prison pour outrage à un agent de police en fonction et possession illégale d’armes. (…) Parmi les personnalités du nouveau régime, on ne compte à notre connaissance aucun ancien combattant de la forêt et peu d’anciens détenus (…). Sur le plan purement matériel aussi, très peu de choses ont été faites pour les anciens combattants. »

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