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L’invention des "Indo-Européens", nos glorieux ancêtres

vendredi 30 septembre 2016, par Robert Paris

« Aucune théorie reposant sur l’hypothèse indo-européenne n’est étayée sur des faits. En l’absence de traces indiscutables d’un peuple originel, il est donc permis de douter de son existence. Le modèle indo-européen, dans sa forme centrifuge et diffusioniste simpliste, apparaît en réalité d’abord comme une construction idéologique, autrement dit un mythe. [...] Il n’est pas exclu qu’un hardi peuple originel soit parti un jour de quelque part pour répandre partout sa langue et ses valeurs. Mais rien ne le démontre non plus, ni dans le champ de la linguistique, ni dans celui de l’archéologie, ni dans celui de la mythologie, ni dans celui de l’anthropologie physique. S’il peut un jour être rendu compte des ressemblances constatées, ce sera certainement dans le cadre d’un modèle très complexe, où s’intriqueront phénomènes de diffusions, de mélanges, d’acculturations, de convergences, etc. Le problème du modèle diffusioniste-centrifuge, ce n’est pas seulement sa simplicité naïve ; c’est aussi sa longue histoire. »

Jean-Paul Demoule, avril 1998, dans Les Indo-Européens, un mythe sur mesure

« L’indo-européanisme tient une place importante dans l’imaginaire racial des extrêmes droites, en particulier en Allemagne. Thème dominant de la Nouvelle Droite contemporaine, cette construction à prétention scientifique n’est que le véhicule de la quête infernale de la pureté de la race. [...] Le modèle indo-européen n’est pas neutre, et le nazisme, comme l’extrême droite en général, en sont le débouché naturel. »

Jean-Paul Demoule, juillet 1999, dans Destin et usages des Indos-Européens

Quand le colonialisme européen s’inventait d’illustres origines, les prétendus Indo-européens, comme fondement de la soi-disant « civilisation occidentale »…

Extraits de Jean-Paul Demoule, dans « Mais où sont passés les Indo-Européens ? » :

Sir William Jones, administrateur colonial à l’esprit curieux est le premier découvreur et la date de sa découverte serait précisément le 2 février 1786, lors d’une conférence prononcée à Calcutta à l’occasion du troisième anniversaire de la société savante fondée par les colonisateurs :

« Les Hindous… ont une immémoriale affinité avec les anciens Perses, Ethiopiens et Egyptiens, Phéniciens, Grecs et Tuscans, Scythes ou Goths, et Celtes, Chinois, Japonais et Péruviens ; comme il n’y a aucune raison de penser qu’ils furent une colonie de l’une de ces nations, ou que l’une de ces nations fut colonisée par eux, nous pouvons assurément conclure qu’ils proviennent tous d’une quelconque région « centrale », dont l’identification fera l’objet de mes prochaines conférences… » (…)

L’Inde et ses abords sont pour la grande majorité des chercheurs, dès la « découverte » de William Jones et pendant les deux derniers tiers du XIXe siècle, le lieu par excellence du Foyer originel. De là vient dès le début l’appellation d’ « Aryen » comme synonyme d’ « Indo-Européen »...

L’hypothèse d’une localisation en Inde est explicite dès le livre de Schlegel (1808) et se précise assez vite : le foyer se trouve au nord de l’Inde, sur ces hauts plateaux du Pamir et de l’Hindou Kouch qui, à l’extrémité occidentale de la chaîne himalayenne, se partagent de nos jours entre le Pakistan, l’Afghanistan et le Tadjikistan et donnent naissance aux grands fleuves d’Asie Centrale, l’Amou-Daria (l’antique Oxus) et le Syr-Daria. De nombreux ouvrages, tout au long du XIXe siècle, réaffirmeront avec force et arguments cette localisation. Les causes mêmes du départ originaire seront expliquées dès 1820 par un érudit allemand, Johann Gottlieb Rhode : un brusque refroidissement climatique, qu’on pourrait inférer d’un passage obscur de l’Avesta, texte sacré de la religion persane zoroastrienne qui remonte sans doute au début du Ier millénaire avant notre ère…

Mais c’est à un officier d’artillerie suisse, Adolphe Pictet, que l’on doit la description la plus détaillée de la vie quotidienne dans ce foyer originaire. Sa grande œuvre, « Les Origines indo-européennes ou les Aryas primitifs, essai de paléontologie liguistique » (1859-1863), se fonde sur une méthode dont il sera l’un des premiers à faire un large usage, la paléontologie linguistique : les mots qui sont restés communs à la plupart des langues indo-européennes doivent logiquement avoir désigné l’environnement, les techniques et les institutions du Peuple primordial avant son éclatement. Son travail comprend cinq parties, qui décrivent successivement la géographie et l’ethnographie, puis l’histoire naturelle, la civilisation matérielle, la vie sociale, enfin la vie intellectuelle, morale et religieuse de ces « Aryas primitifs », « race destinée par la Providence à dominer un jour sur le globe entier, (…) privilégiée entre toutes les autres par la beauté de son sang et par les dons d’intelligence, au sein d’une nature grandiose mais sévère » ; une « race féconde qui travaillait à se créer (…) une langue admirable par sa richesse, sa vigueur, son harmonie et la perfection de ses formes », « Aryas » dont il vantait d’enthousiasme en conclusion « l’équilibre harmonieux des facultés et des aptitudes, qui se révèle déjà à un haut degré dans la formation même de leur langue, et qui a présidé dès le début à leur organisation sociale. Un naturel heureux, où l’énergie était tempérée par la douceur, une imagination vive et une raison forte, une intelligence active et un esprit ouvert aux impressions du beau, un sentiment vrai du droit et du devoir, une moralité saine et des instincts religieux d’un caratère élevé, telles sont les qualités dont l’ensemble leur donnait, avec la conscience de leur valeur propre, l’amour de la liberté, et le désir constant du progrès. » Cette « nature grandiose mais sévère » om s’ébattaient les « Aryas », c’est la Bactriane antique, dans l’actuel Afghanistan, un paysage de montagnes qui n’était pas sans rappeler la Suisse de Pictet… En 1864, juste après la publication de Pictet, Alexandre Bertrand, directeur de la « Revue archéologique » et qui allait prendre en main le nouveau musée des Antiquités nationales conçu par Napoléon III, pouvait considérer l’origine asiatique de la « civilisation aryenne » comme un « axiome inattaquable », scientifiquement démontré et accepté « part ous les corps savants de l’Europe » : « l’attaquer, c’est, en un mot, attaquer la science elle-même »…

Antoine Meillet, principal élève français de Saussure, va dominer en France, sinon en Europe, jusqu’à sa mort en 1936, toute la grammaire comparée indo-européenne et une grande partie de la linguistique….

Il écrit dans son « Introduction à l’étude comparative des langues indo-européennes » : « Rien n’autorise à parler d’une « race indo-européenne », mais il y a eu – on ne sait ni en quel lieu ni en quel temps exactement – une « nation indo-européenne » (…)

Les populations, dont l’indo-européen étaient l’idiome, tout en sentant leur parenté, tout en ayant des mœurs et des institutions communes, tout en étant capables de se fédérer et d’agir ensemble, à l’occasion, ne formaient pas un groupe politique un, n’admettaient pas d’une manière durable un chef unique, et ne comportaient aucun unité politique permanente. C’est l’autonomie des cités grecques et non l’unité de l’empire achéménide qui donne une idée de la situation politique du monde indo-européen ancien… Les populations de langue indo-européenne étaient conduites par une aristocratie qui avait un grand sens politique, puisqu’elle a été capable d’imposer à presque toute l’Europe et à une large part de l’Asie sa langue avec son organisation sociale à la fois ferme et souple, mais qui ne se prêtait que par occasion à obéir à une direction unique »… Mais sur quoi reposent ces certitudes si souveraines ?… Sur à peu près rien. L’état des connaissances sur le Peuple originel et ses institutions est… une évidence négative…

En juin 2009, un communiqué de presse du CNRS annonça, couplé avec une visioconférence : « On a retrouvé les Indo-Européens. » En réalité, les travaux de cette équipe franco-russe portaient sur l’analyse génétique de vingt-six squelettes datés entre le milieu du IIe millénaire avant notre ère et celui du Ier millénaire de notre ère dans la région de Krasnoïarsk en Sibérie. Une majorité de ces défunts avaient eu de leur vivant des yeux et des cheveux clairs. Dans une extrapolation un peu hâtive, les chercheurs en déduisaient que ces vingt-six individus répartis sur deux millénaires provenaient nécessairement des steppes du nord de la mer Noire et qu’ils validaient donc l’hypothèse de Marija Gimbutas quand à une provenance steppique du Peuple originel indo-européen supposé. Toutefois, dans la théorie steppique en question, la dispersion originelle date des Ve et IVe millénaires. Les individus analysés peuvent donc provenir de régions fort diverses, y compris du Proche-Orient – une des hypothèses concurrentes de celles des steppes. En outre, en termes de marqueurs, les ressemblances génétiques de ces individus avec des humains actuels vont vers l’Europe centrale, et pas du tout vers les steppes du nord de la mer Noire…

L’Inde occupe une position symbolique dans la question des migrations indo-européennes, puisqu’elle figure dans leur nom ; et que, depuis Voltaire ou Schlegel, l’Inde a hanté la recherche des origines, au point d’avoir été un temps le premier Foyer originel supposé des Indo-Européens… Les archéologues britanniques, Sir Mortimer Wheeler en premier lieu, l’un des fondateurs de la méthode de fouille dite stratigraphique, échafaudèrent un scénario historique toujours vivace, qui combinait données archéologiques et interprétations des plus anciens textes indiens, les hymnes védiques. Selon ce scénario, qui figure tjours dans de nombreux manuels scolaires indiens, des envahisseurs indo-européens venus du nord sur des chars de guerre attelés à des chevaux, les « Aryas » des textes védiques (d’où le nom d’ « Aryens » comme synonyme d’Indo-Européens », qui peut qualifier aussi la langue, dite « indo-aryenne », ce qui ne simplifie rien), auraient mis à bas les cités de l’Indus et provoqué l’effondrement de toute cette civilisation, faisant d’ailleurs place à une période archéologique très peu documentée. Le scénario a été enrichi de l’hypothèse que les porteurs de la civilisation de l’Indus auraient parlé des langues dravidiennes (groupe linguistique très éloigné des langues indo-européennes) et se seraient repliés dans le sud de l’Inde, où ces langues sont actuellement parlées. Les hautes castes de l’Inde, singulièrement celle des brahmanes (les prêtres) et celle des « kshatriya » (les guerriers), descendraient en revanche directement des envahisseurs « Aryas » - et seraient censées posséder souvent une peau et des yeux plus clairs. Symptomatiquement, ce scénario convenait aussi bien aux colonisateurs britanniques (qui ne faisaient que le rejouer) qu’aux hautes castes. Mais c’est aussi celui que retiennent les historiens et hommes politiques marxistes indiens, qui ne font qu’en renverser l’interprétation : la domination de ces hautes castes est celle d’envahisseurs illégitimes, qui doivent être remis en place – un peu comme la noblesse française sous la Révolution, qui s’était prétendue d’ascendance franque… Les données concernant les Indo-Européens en Inde impliquent, comme ailleurs, la linguisitique, l’archéologie et accessoirement l’anthropologie biologique, avec, comme ailleurs, un risque permanent de cercles vicieux interdisciplinaires, chaque science pensant l’hypothèse bien établie chez sa voisine…

Les ressemblances entre les plus anciens textes de l’Inde (les hymnes védiques, dont le « Rig-Veda ») et les plus anciens textes de l’Iran (l’Avesta) suggèrent une séparation, si séparation il ya eu, pas trop éloignée dans le temps…

Comme l’on a eu tendance ces dernières années à remonter la date des textes iraniens et que les textes védiques sont datés traditionnellement de la seconde moitié du IIe millénaire avant notre ère, cette séparation remonterait au plus tard au IIe millénaire avant notre ère. Une telle chronologie s’accorderait donc avec l’effondrement de la civilisation de l’Indus, bien datée des environs de 1700 avant notre ère. Le problème est que les dernières décennies ont vu s’amenuiser de plus en plus les preuves archéologiques d’une invasion guerrière qui aurait mis bas ladite civilisation. Les grandes cités de l’Indus ne sont pas incendiées ou détruites, mais lentement abandonnées. Les cadavres qui, pour les archéologues britanniques des générations précédentes tels Mortimer Wheeler ou Raymond et Bridget Allchin, jonchaient les rues des villes dévastées se sont révélés provenir de tombes très normales et d’ailleurs postérieures. Les chevaux ne sont pas présents en Inde en plus grand nombre après l’effondrement de la civilisation de l’Indus qu’avant. Ainsi, l’avis général des archéologues est désormais que cette brillante civilisation urbaine, contemporaine de celles de l’Egypte, de la Mésopotamie ou encore de Jiroft en Iran, surdimensionnée par rapport à ses possibilités environnementales et sociales, s’est effondrée sur elle-même, peut-être fragilisée par des oscillations climatiques. Elle ne fait pas place à une nouvelle culture totalement différente, celle des envahisseurs supposés, mais à des communautés villageoises traditionnelles et moins hiérarchisées, mieux à même d’exploiter les ressources…

Pour le modèle indo-européen steppique canonique, ces cultures de l’Adie centrale sont censées provenir des steppes européennes du nord de la mer Noire. Or rien n’est moins sûr…

Les preuves du caractère « indo-iranien » de ces cultures sont assez faibles…

Mais ce sont surtout les preuves d’un mouvement vers le sud, et jusqu’en Inde et en Iran, qui font défaut… Une chose est au moins admise : si ces civilisations urbaines, celle de l’Oxus comme celle de l’Indus, s’effondrèrent dans la première moitié du IIe millénaire, ce n’est pas sous les coups des barbares steppiques andronoviens. Il s’agit de la lente décomposition d’un pouvoir centralisé autoritaire, qui ne laisse pas la place à un champ de ruines, mais seulement à des agglomérations villageoises de taille plus modeste. Et nulle trace d’objets andronoviens au sud de la civilisation de l’Oxus, pas plus qu’en direction de l’Inde, via les passes de l’Hindou Kouch. Et nulle trace non plus, on l’a vu, dans la vallée de l’Indus. »

L’ « hypothèse » des Indo-européens, sans aucune réalité

La grande duperie de la prétendue « civilisation occidentale »

Le mythe des indo-européens ou l’obstination dans l’erreur

La « civilisation » n’est pas un long fleuve tranquille…

L’utilisation du mythe aryen pour… coloniser

Les Aryens n’ont pas créé la civilisation en Inde

Le mythe de l’invasion aryenne et les racines de la civilisation indienne

La confusion entre aryen et indo-européen

Mal-penser les Indo-Européens

Les Indo-Européens, ce mythe dont se sont emparés les nazis...

Le mythe nazi

Pas toujours si supérieure que ça !

Les Indo-Européens : réalité éclairante ou mythe dangereux. Avec Jean-Paul Demoule

Les croisades de la « civilisation occidentale »

La France, un pays indo-européen ?

Un entretien avec Jean-Paul Demoule

Quand l’extrême droite continue d’agiter le mythe

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L’extrême-droite et les Indo-Européens

Les mythes de l’extrême-droite

Mais où sont passés les Indo-Européens ?

Les indo-européens : du mythe à l’obsession

Messages

  • Gogol dans “Les âmes mortes” :

    « L’homme de science a peur de s’engager. Il se demande timidement : « Touchons-nous ici les origines ? N’est-ce point ce coin de la terre qui a donné son nom au pays ? » ou bien « Le document n’appartiendrait-il pas à une époque plus récente ? » ; ou encore « Sous la dénomination donnée à cette peuplade, ne doit-on pas en entendre telle ou telle autre ? » Et notre homme de citer aussitôt tous les écrivains de l’Antiquité ; dès qu’il découvre, ou croit avoir découvert chez l’un d’eux la moindre allusion à sa théorie, il prend courage, traite les anciens de pair à compagnon, leur pose des questions, répond à leur place et perd complètement de vue la modestie de son exorde. Tout lui paraît clair, évident, irréfutable. « Oui, conclut-il ; voilà ce qui s’est passé ; voilà le vrai nom de cette peuplade ; voilà comment il faut envisager la nouvelle vérité, qui fait bientôt le tour du monde en recrutant d’enthousiastes sectateurs. »

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