lundi 3 février 2014, par
Le mythe de Gandhi est l’un des plus grands de l’histoire du monde, un des plus mensongers aussi. Il a été traité à la fois de héros de l’indépendance, de père de la nation, de plus grand ascète et mystique et surtout de plus grand découvreur d’une nouvelle méthode politique et sociale, le pacifisme, ayant montré également son efficacité par la naissance de l’Inde indépendante. Oui, tout cela est complètement inventé même si nombre de gens croient que c’est la vérité.
Les choix politiques de Gandhi et le prétendu pacifisme
Il convient de remarquer que ses débuts d’avocat en Afrique du sud ont été souvent commentés comme le début de son engagement militant mais les commentateurs ont sciemment omis un point : si Gandhi a défendu les droits des Indiens en Afrique du sud où ils étaient une couche moyenne sur laquelle s’appuyait la minorité blanche contre les noirs, il a soutenu la guerre du colonisateur anglais contre les Boers, premiers occupants blancs d’origine hollandaise. Or cette guerre a amené les Anglais à utiliser pour la première fois une véritable méthode de violence de masse aussi systématique et destructrice avec de véritables camps de la mort. Alors qu’il a plusieurs fois eu l’occasion de constater que les Indiens étaient traités par les Anglais comme de vulgaires coolies et presque comme les Noirs, ayant été même bastonné après avoir fait signer une pétition par les indiens, Gandhi a choisi d’appeler les Indiens d’Afrique du sud à s’impliquer dans le conflit aux côtés des colonisateurs anglais et s’est lui-même engagé personnellement dans les forces armées anglaises dans des forces d’ambulanciers dans la guerre des Boers débutée en octobre 1899. Alors que la communauté indienne d’Afrique du sud s’était toujours tenue à l’écart des conflits entre les Anglais et leurs adversaires en Afrique du sud, Gandhi a personnellement milité, avec succès, pour que les Indiens s’impliquent aux côtés des Anglais dans la guerre. Il a mis en place un corps d’ambulanciers de l’armée anglaise qui lui a valu une médaille militaire anglaise de la guerre des Boers dont il s’est longtemps dit fier.
Il est, déjà en Afrique du sud, dans la logique qui va être la sienne tout au long de sa vie en Inde : ne pas combattre l’adversaire colonisateur par la révolution d’appuyant sur les masses populaires mais en tentant de convaincre la puissance coloniale de son propre intérêt à s’appuyer sur les dirigeants des classes dirigeantes indiennes.
Un autre point mérite d’être souligné : Gandhi ne va pas en Inde pour y défendre le peuple indien mais comme avocat d’une grande entreprise de la bourgeoisie indienne, la firme Meman de Porhandar qui souhaitait qu’un avocat indien d’une famille proche s’occupe d’une de ses affaires juridiques.
Sur son passage en Afrique du sud, il faut remarquer que Gandhi ne voit pas trop les Noirs et est seulement polarisé par les relations des blancs avec les Indiens. Dans son « Autobiographie », il note : « Tandis que j’accostai à Durban, port du Natal, je remarquai que l’on n’avait pas beaucoup d’égards pour les Indiens. ». Le premier combat qu’il a mené à consisté à revendiquer que les Indiens puissent être voyager en train dans les wagons réservés aux Blancs et pas dans ceux réservés aux Noirs…S’il commence très rapidement à militer pour l’égalité des droits, c’est uniquement en faveur des Indiens et pas en faveur des droits humains en général, c’est-à-dire des droits des Noirs !
Si Gandhi lance la pétition pour le droit de vote des Indiens du Natal, jamais il n’imagine la même chose en liaison avec les Noirs. S’il fonde le parti du Congrès des Indiens du Natal, dont il devient le dirigeant, jamais il ne fait le moindre geste pour s’adresser ou entrer en contact avec des représentants de la communauté noire. Tous ses gestes, il les réserve aux Blancs et aux autorités. Gandhi expose dans son Autobiographie : « Le Congrès se mit au service des Indiens originaires de la colonie et déjà éduqués. L’association était surtout composée de jeunes gens éduqués. La propagande du Congrès consistait en un effort pour faire connaître aux Anglais d’Afrique du Sud et d’Angleterre et aux Indiens de notre pays la vérité sur la situation au Natal ».
On remarquera non seulement qu’il n’est pas fait mention des Noirs mais aussi des Boers, donc des communautés les plus nombreuses du pays !
La première brochure de Gandhi s’intitule significativement : « Appel à tous les Anglais d’Afrique du Sud » ! La deuxième est « Le droit de vote des Indiens ».
Il mène ensuite campagne contre une nouvelle taxe frappant la main d’œuvre indienne des champs de canne à sucre du Natal.
Mais, toujours son sentiment à l’égard de la puissance coloniale, aussi oppressive soit elle, est de la sympathie. Il écrit ainsi dans son Autobiographie, au chapitre 26 intitulé « deux passions » :
« Je crois bien n’avoir jamais connu personne qui ait nourri dans son cœur autant de loyauté que moi envers la Constitution Britannique… Dans toutes les réunions auxquelles j’assistai, au Natal, l’usage était de chanter le God Save The King. J’estimais de mon devoir de joindre ma voix à celle de mes compagnons. Non que je n’eusse conscience des imperfections de la domination britannique ; mais, dans l’ensemble, je la jugeais acceptable. Je croyais que la domination anglaise était en somme bienfaisante pour ceux sur qui elle s’étendait. Le préjugé racial, que je pouvais constater en Afrique du Sud, était, me disais-je, l’opposé absolu de la tradition anglaise, et je croyais avoir à faire à un phénomène purement passager et local. Je rivalisais donc de loyalisme avec les Anglais. Avec application et persévérance, j’avais appris l’air de « l’hymne national » et je l’entonnais avec les autres, chaque fois que l’occasion s’en présentait. Je m’empressais de saisir au bond la moindre chance d’exprimer mon loyalisme sans simagrées ostentatoires… On se préparait à célébrer le Jubilée de Diamant de la reine Victoria, lors de mon retour aux Indes. On m’invita à faire partie du comité constitué à cette intention à Râjkot. J’acceptai… Je n’avais épargné ni ténacité ni labeur pour faire un exposé impartial de l’affaire (le sort des Indiens en Afrique du Sud), y compris le point de vue de l’homme blanc d’Afrique du Sud, auquel je donnai sa juste valeur. L’expérience m’a montré que le moyen le plus rapide d’obtenir justice, c’est de rendre justice à l’adversaire. »
Sur la question de l’oppression des Noirs en Afrique du Sud, le témoignage de Gandhi lui-même dans son « Autobiographie » est plus qu’éclairant. Il écrit :
« A la déclaration de guerre contre les Boers, ma loyauté envers la domination britannique me conduisit à prendre parti pour l’Angleterre dans cette guerre. Mon sentiment était que, si je réclamais pour moi les droits de citoyen britannique, il était aussi de mon devoir, à ce titre, de participer à la défense de l’Empire Britannique. J’estimais, alors, que l’Inde ne pouvait arriver à l’émancipation complète que dans le cadre de l’Empire, et grâce à lui. Je réuni donc autant de camarades que je le pus et, non sans grandes difficultés, je parvins à faire accepter leurs services sous forme d’un corps d’ambulanciers… La conviction générale était que l’on allait sûrement assister au redressement des torts faits aux Indiens….
J’exerçais à Johannesburg à l’époque de la « Révolte » des Zoulous du Natal, qui survint peu après la guerre des Boers. J’eus le sentiment qu’il était de mon devoir d’offrir mes services au gouvernement du Natal, en de telles circonstances. Nous verrons dans un autre chapitre que cette offre fut acceptée… Je dus renoncer à mon foyer à Johannesburg pour pouvoir me consacrer à ma tâche durant la « Révolte »…. La « Révolte » n’absorba pas plus de six semaines de ma vie, mais cette brève période fit, en définitive, époque dans mon existence… »
La légende a prétendu que les ambulanciers de Gandhi avaient soigné les Zoulous par réaction humanitaire. Mais c’est omettre ce que Gandhi lui-même rapporte : les Anglais, en plus des soins aux soldats anglais, les chargeaient de soigner les Zoulous, et seulement ceux qui étaient favorables à l’armée anglaise et dont certains avaient été blessés dans la guerre ou dans la répression, parfois même par erreur et par racisme par cette même armée :
Dans son Autobiographie, au chapitre « La révolte des Zoulous », on peut lire :
« Les journaux nous apportèrent la nouvelle de la « révolte » des Zoulous au Natal. Je n’avais aucune raison d’en vouloir aux Zoulous : ils n’avaient jamais fait de mal à un Indien. J’avais de grands doutes sur cette « révolte » en soi. Mais je croyais que l’Empire Britannique existait pour le bien du monde. Un sentiment sincère de loyalisme m’empêchait ne fût-ce que de souhaiter qu’il arrivât malheur à l’Empire. Que la « révolte » fût bien ou mal fondée, ne pouvait donc vraisemblablement affecter ma décision. Le Natal avait créé une Force de Volontaires de la Défense, et il ne tenait qu’à celle-ci de recruter le plus d’hommes possible. Les journaux disaient que l’on avait déjà mobilisé cette force pour réprimer la « révolte ». Je me tenais citoyen du Natal, étant donné l’intimité des liens qui m’unissaient à ce pays. J’écrivis donc au Gouvernement pour lui faire savoir que j’étais prêt, si besoin était, à former un Corps d’Ambulanciers indiens. Il me répondit aussitôt en acceptant mon offre…. Je me rendis à Durban et lançai un appel pour l’enrôlement de volontaires… Le Médecin-Major en Chef me nomma au grade temporaire de Sergent-Major… Notre Corps fut en service actif pendant six semaines… J’appris au quartier général que l’essentiel de notre travail serait de soigner les blessés zoulous… Les blessés qu’on nous avait confiés n’avaient pas reçu leurs blessures en combattant. Un groupe d’entre eux étaient retenus à titre de suspects. Le général les avait condamnés à recevoir le fouet. Le fouet avait causé des plaies sérieuses. Comme on ne les avait pas soignés, leurs plaies étaient en train de s’envenimer. Les autres blessés étaient des Zoulous fidèles. On avait eu beau leur distribuer des insignes pour les distinguer de l’ « ennemi », les soldats avaient ouvert le feu sur eux par erreur. En plus de ce travail, je devais préparer et dispenser les remèdes prescrits aux soldats blancs. Je m’en tirais sans trop de mal, étant donné la formation que j’avais reçue. Cette mission me valut des rapports étroits avec nombre d’Européens… La « révolte » des Zoulous fut, pour moi, un trésor de nouvelles expériences et me donna beaucoup à penser. La guerre des Boers était loin de m’avoir permis de toucher du doigt à tel point les horreurs de la guerre : la « révolte » me les montra sous un jour des plus crus. Cela n’avait rien d’une guerre : c’était la chasse à l’homme… Mais je vidais cette coupe d’amertume, me consolant à l’idée que la mission de mon Corps d’Ambulanciers se limitait aux soins à donner aux blessés zoulous… »
Quand il fut avéré que la participation indienne aux guerres des Anglais contre les Boers et les Zoulous n’avaient pas du tout rendu les colons anglais plus réceptifs aux revendications des Indiens, ces derniers se retournèrent contre Gandhi et celui-ci le rapporte ainsi :
« - C’est sur vos instances que la communauté a fourni une aide durant la guerre ; avec quel résultat ! – vous le voyez maintenant…
Ainsi les gens me harcelaient-ils. Mais en vain.
Je ne regrette pas de vous avoir donné ce conseil, répondais-je. Je maintiens que nous avons bien fait de participer à la guerre. Ce faisant, nous n’avons que rempli notre devoir. Peut-être ne devons-nous pas espérer de récompense pour prix de nos peines ; mais c’est ma ferme conviction que toute bonne action finit par porter ses fruits. »
Rajoutons que la guerre des Boers qui n’avait pas suffi à ouvrir les yeux de Gandhi sur le caractère de son soutien au colonialisme était pourtant l’une des pires horreurs commises par l’impérialisme britannique, fût-elle une atroce répression commise par des Blancs contre d’autres Blancs et les historiens n’ont pas craint de comparer les camps de Boers prisonniers aux camps de la mort nazis !
Mais la guerre contre la révolte zoulou n’a pas eu non plus cet effet. Non seulement, nous ne pouvons accéder à l’argument sur le caractère pacifique des ambulanciers d’autant que Gandhi donnait un appui politique clair à la guerre du pouvoir colonial et allait en faire autant en Inde durant la première guerre mondiale…
Quand Gandhi rentre définitivement en Inde en 1914, il règne une énorme effervescence contre l’occupation britannique parmi le peuple indien. L’événement fondateur pour le nationalisme des Indiens n’est pas l’action de Gandhi en Afrique du sud, qui lui a cependant permis de se construire une grande notoriété, mais c’est la guerre victorieuse du Japon contre la Russie, première victoire d’un peuple asiatique contre les puissances européennes, des Jaunes contre les Blancs, une véritable révolution dans les esprits pour les esclaves coloniaux d’Asie !
Alors que les milieux populaires et jusqu’aux classes dirigeantes sont attirés par l’indépendance totale vis-à-vis du colonisateur, Gandhi défend au contraire les revendications de droits politiques et sociaux mais sous la direction du régime britannique, sans rupture avec l’Empire, avec les blancs, avec la colonisation et sans action des masses populaires, sans action terroriste non plus comme l’ont organisé les classes dirigeantes du Bengale.
Gandhi expose lui-même son point de vue sur la première guerre mondiale dans son Autobiographie dans son chapitre « Mon rôle pendant la guerre » :
« La déclaration de guerre datait du 4 août. C’est le 6 que nous débarquâmes à Londres…Quel était mon devoir, face à cette guerre ? Nous provoquâmes une assemblée publique des Indiens résidant en Grande-Bretagne et en Irlande. Et je leur exposai ma façon de voir. Mon sentiment était que les Indiens résidant en Angleterre avaient une place à tenir dans la guerre. Les étudiants anglais s’engageaient comme volontaires dans l’armée ; les Indiens ne pouvaient faire moins. Ce raisonnement suscita un certain nombre d’objections. Il y avait, soutint-on, un monde de différence entre Indiens et Anglais. Ceux-ci étaient les maîtres ; nous n’étions que les esclaves. Comment l’esclave pouvait-il collaborer avec le maître, en des circonstances critiques pour ce dernier ? N’était-ce pas le devoir de l’esclave, qui cherche la liberté de profiter, au contraire, de la position critique du maître ? A l’époque, cette argumentation n’éveilla en moi aucun écho. Je me rendais parfaitement compte de la différence de statut séparant l’Indien de l’Anglais ; mais je me refusais encore à croire que l’on nous eût entièrement réduit en esclavage. Il me semblait, alors, que la faute incombait bien plus à tel ou tel fonctionnaire britannique isolé qu’au système impérial anglais, et que l’amour, s’opposant à la haine, nous permettrait de convertir ces individus. Si nous voulions améliorer notre statut en faisant appel à l’aide et à l’esprit de coopération des Britanniques, notre devoir exigeait que, pour gagner leur appui, nous fussions avec eux en ces heures difficiles. Sans doute le système en question ne manquait pas de défauts ; mais il ne paraissait pas intolérable au point où il l’est devenu pour moi, aujourd’hui…
J’estimais, moi, que nous n’avions pas à profiter des difficultés de l’Angleterre, et que la dignité et la clairvoyance voulaient au contraire que nous ne missions pas l’accent sur nos revendications tant que durerait la guerre. Je persistai donc dans mon opinion et j’invitai tous les volontaires à s’enrôler. La réponse fut bonne : presque toutes les provinces et toutes les religions furent représentées parmi les volontaires…
C’est un fait que le même genre de raisonnement qui m’avait convaincu de participer à la guerre des Boers, m’avait encore entraîné cette fois-ci. Il ne m’échappait nullement que le fait de participer à une guerre était absolument incompatible avec ma profession de foi de non-violence (ahimsâ). Mais il n’est pas toujours donné de voir avec la même clarté où se tient le devoir. Celui qui s’est voué à la vérité, ne peut faire autrement, souvent, que de tâtonner dans le noir.
Le principe de non-violence est vaste et souple. Nous ne sommes que de pauvres mortels sans défense, pris dans l’immense heurt des forces de la violence (l’himsâ). Le dicton selon lequel la vie se nourrit de vie, a une signification profonde. L’homme ne peut vivre un seul instant sans accomplir vers l’extérieur un acte de violence (himsâ), consciemment ou non. Le fait même qu’il vit – qu’il mange, boit et se meut à l’entour – implique nécessairement une part de himsâ, de destruction de vi, si infime soit-ell. Celui qui a fait vœu d’ahimsâ demeure donc fidèle à sa foi si tous ses actes ont pour ressort la compassion, s’il s’applique du mieux qu’il peut à éviter de détruire jusqu’au plus minuscule des êtres vivants, s’il s’efforce d’épargner tout ce qui vit et lutte ainsi sans trêve pour se libérer de l’étreinte mortelle des forces de himsâ. Retenue et compassion ne cesseront de grandir en lui ; ce qui n’empêche qu’il n’arrivera jamais à se libérer entièrement et à ne pas commettre vers l’extérieur des actes de himsâ. »
On voit tout le jésuitisme de la position de Gandhi, qui préconise la non-violence à l’égard de toute vie animale et… des Anglais mais la violence à l’égard des Boers, des Zoulous et des ennemis des Anglais dans la guerre mondiale et parvient à justifier tout cela au nom d’une théosophie du respect de toute vie….
La non-violence, Gandhi, savait parfaitement la violer et pas pour des raisons philosophiques mais par intérêt politique, celui de l’avenir des Indiens comme classe dirigeante de son futur pays, et la vie des êtres humains (ou vivants) ne l’arrêtait pas dans ses calculs politiques pour y parvenir…. Il avait choisi la collaboration avec les Anglais et même quand il allait choisir une forme de combat contre eux, il n’allait pas changer sur le fond : se cacher derrière des principes philosophiques pour camoufler les intérêts des classes dirigeantes indiennes…
Il l’explique lui-même :
« J’avais mis mon espoir dans l’Empire Britannique pour obtenir, pour moi-même et pour mon peuple, un statut meilleur. Tant que j’étais en Angleterre, je bénéficiais de la protection de la Flotte anglaise, et cherchant asile comme je le faisais, au sein de sa force armée, je participais donc directement de son potentiel de violence. Si donc je désirais ne pas rompre les liens avec l’Empire et vivre sous sa bannière, trois routes s’ouvraient devant moi : je pouvais, soit proclamer ma volonté de m’opposer ouvertement à la guerre et, conformément à la loi de Satyâgraha (résistance passive), boycotter l’Empire jusqu’à ce qu’il ait changé de politique militaire – soit aller au-devant de la prison par la désobéissance civile à telles lois impériales qui s’y prêtaient – soit me ranger dans la guerre au côté de l’Empire, et par là même acquérir les titres et aptitudes nécessaires qui me permettraient de m’opposer à la guerre. Titres et aptitudes me faisaient défaut : j’estimai donc qu’il n’y avait pas d’autre solution que de prendre du service. »
Le plus grand massacre entre êtres humains se profilait et Gandhi, le non-violent, ne voyait pas d’autre solution que d’y participer activement, volontairement et consciemment… par calcul politique. Voilà où menait sa prétendue philosophie de non-violence…
Cette fois-ci, Gandhi était pour la participation et pas seulement comme ambulanciers et il trouvait là aussi des justifications pour ce retournement de position (cité du même ouvrage dans le même chapitre) :
« Du point de vue de l’ahimsâ, je ne fais aucune différence entre combattants et non-combattants. Qui se met volontairement au service d’une bande de bandits, soit en qualité de porteur, soit pour faire le guet pendant qu’ils sont à leur affaire, soit pour les soigner lorsqu’ils sont blessés, est aussi coupable de banditisme que les bandits eux-mêmes. Pareillement ceux qui se contentent de soigner les blessés sur le champ de bataille, ne peuvent être absous du crime de guerre…. J’arrivai à la conclusion qu’il était de mon devoir de servir dans cette guerre. Même aujourd’hui, je ne trouve pas la moindre faille dans ce raisonnement ; pas plus que je ne regrette mon geste – aussi bien, n’étais-je pas, alors, favorable dans ma façon de voir, aux liens avec l’Angleterre ? »
Comme on le voit, Gandhi n’a pas regretté ensuite cette politique de participer à la grande boucherie mondiale des peuples et c’est le grand Mahatma qui parle là. Mais quand il a pris sa décision, il était déjà le brahmane, abandonnant les avantages matériels pour la sagesse pure, abandonnant la mise en cause de toute forme de vie animale, celui qu’il n’allait pas cesser d’être ensuite. C’est donc avec l’intégralité de son point de vue de grand mystique de l’hindouisme qu’il prenait la décision de participer à la guerre la plus meurtrière de l’Histoire, une participation active, politique, personnelle et collective, suivant la guerre et même y appelant…
La preuve donnée ensuite que les autorités coloniales continuaient à traiter les soldats ou ambulanciers indiens, enrégimentés dans l’armée anglaise, comme du bétail, n’a pas davantage suffi à faire changer d’avis Gandhi. Il s’est contenté dès lors de se tenir en dehors de ce sujet et s’est consacré dès lors à mettre en place son âshram personnel…
Il est intervenu dans un conflit du travail en 1917, alors que tout le pays commençait à exploser en revendications. Certes, il a soutenu la grève mais en exigeant que la situation explosive ne se développe pas, que les grévistes en restent à croiser les bras pacifiquement, sans s’en prendre aux jaunes, aux patrons, sans élargir leur action, etc. La grève alors échoué et Gandhi a fait une grève de la faim pour dénoncer… la trahison des grévistes qui avaient abandonné la grève sous le prétexte qu’ils ne pouvaient plus nourrir leurs familles. Mais, tout au long de son intervention dans la grève, Gandhi restait l’ami personnel des patrons des ouvriers en grève. Le meilleur moyen de comprendre Gandhi reste encore de le citer dans ces événements dans son Autobiographie, dans son chapitre « Contacts avec le prolétariat » où il explique comment il est intervenu à la demande des frères qui étaient patrons filateurs, Shrîmati Anasouyâbâi et Sjt Ambâlâl Sârâbhâi sur lequels Ghandi précise :
« Ainsi que je l’ai déjà indiqué dans un précédent chapitre, j’entretenais des relations intimes et cordiales avec les patrons filateurs. »
Voici donc comment Ghandi est intervenu dans la grève en se faisant passer pour leader des ouvriers alors qu’il était venu sur place à la demande des patrons :
« M’arrivait une lettre de Shrîmati Anasouyâbi sur l’agitation des travailleurs d’Ahmedâbâd. Les salaires étaient bas ; les ouvriers s’agitaient depuis longtemps en demandant de l’augmentation, et j’avais le désir de les guider au cas où je le pourrais…. Je saisis la première occasion qui se présenta pour partir pour Ahmedâbâd… Le propre frère de Shrîmati Anasouyâbi, Stj. Ambâlâl Sârâbhâi combattait en tête, en champion, des patrons filateurs. J’entretenais avec ceux-ci des rapports amicaux, et cela compliquait singulièrement la lutte. Je conférai avec eux… J’expliquai aux ouvriers les conditions sans lequelles je ne pouvais les soutenir :
1) Ne jamais recourir à la violence
2) Ne jamais molester les « jaunes »
3) Ne jamais dépendre de la solidarité publique
4) Ne jamais lâcher prise, si longue que doive être la grève, en faisant un autre travail pendant la grève pour gagner son pain, en se livrant à n’importe quel autre travail honorable.
Les chefs des grévistes comprirent et acceptèrent mes conditions.
J’exigeai aussi que l’objectif de la grève ne soit pas l’augmentation mais que les patrons consentent simplement à porter la querelle devant un tribunal d’arbitrage…
Tous les jours, il y avait réunion publique des grévistes à l’ombre d’un arbre sur la berge de la Sâbarmati. Ils étaient des milliers qui venaient à ces réunions, et dans les discours, je leur rappelai leur serment et leur devoir : garder le calme et la dignité personnelle. Tous les jours, ils défilaient dans les rues de la ville en cortège pacifique… La grève dura vingt et un jours. Pendant tout ce temps, j’allai voir de temps à autre les patrons… Durant les deux premières semaines de la grève des ouvriers filateurs d’Ahmedäbâd, les ouvriers des filatures montrèrent beaucoup de courage et de modération et tinrent quotidiennement des réunions publiques monstres. En chacune de ces occasions, je leur rappelai leur serment, et eux, m’assuraient en retour, par leurs cris, qu’ils aimeraient mieux mourir que de manquer à leur parole.
Mais à la fin ils donnèrent des signes de relâchement. De même que la faiblesse physique se manifeste chez l’homme par l’irritabilité du caractère, leur attitude envers les « jaunes » devint de plus en plus menaçante, à mesure que la grève semblait faiblir ; et je commençai à redouter de leur part une explosion de violence. L’assiduité aux réunions quotidiennes se mit aussi à baisser graduellement et l’accablement et le désespoir étaient écrits sur le visage de ceux qui continuaient à venir.
Finalement, on m’apporta la nouvelle que les grévistes avaient commencé à lâcher pied… »
Au lieu d’y voir une faille dans la politique qu’il a proposé aux grévistes, Gandhi va trouver moyen de les rendre coupables à leurs propres yeux au lieu qu’ils se tournent contre la politique qu’il leur avait fait mener :
« Je n’arrivais pas à voir clairement ma voie… Les mots me vinrent aux lèvres :
Si, déclarai-je aux hommes assemblés, les grévistes ne se ressaisissent pas et ne poursuivent pas la grève jusqu’à conclusion d’un accord, ou jusqu’à leur départ définitif des usines, je ne prendrai plus aucune nourriture.
Les ouvriers furent littéralement stupéfaits. Les larmes se mirent à couler sur les joues d’Anasoyâbehn. De tous côtés, des cris montèrent :
Ce n’est pas à vous, c’est à nous de jeûner. Ce serait une monstruosité si vous deviez jeûner. Nous vous en prions, pardonnez-nous notre défaillance ; nous voulons désormais rester fidèles jusqu’au bout à notre serment… »
On peut se demander si Gandhi n’est pas en train d’aider les ouvriers à reprendre courage et si sa grève de la faim n’est pas un moyen d’attaquer quand même les patrons et de soutenir les travailleurs mais Gandhi lui-même, dans son ouvrage, supprime cette illusion dans un passage que nous avons déjà partiellement cité :
« Mon jeûne n’allait pas sans un grave vice à la base. Car, ainsi que je l’ai indiqué dans un précédent chapitre, j’entretenais des relations intimes et cordiales avec les patrons filateurs, et mon jeûne ne pouvait qu’exercer une influence sur leur décision. En ma qualité de satyâgrahi (partisan de la résistance passive), je savais que mon jeûne n’avait pas le droit d’être dirigé contre eux, mais que je devais les laisser libres de ne subir qu’une seule pression, celle des ouvriers. Mon jeûne n’avait pas pour raison un manque de parole des patrons, mais bien la défaillance des ouvriers – défaillance à laquelle je me sentais associé, du fait que j’étais leur représentant. Auprès des patrons, je ne pouvais que plaider ; diriger contre eux mon jeûne, cela serait revenu à de la coercition…
J’essayai de mettre les patrons à leur aise :
Ne vous croyez nullement obligés de battre en retraite, leur dis-je…
L’homme qui était surtout responsable de l’attitude inflexible des patrons à l’égard de la grève, c’était Sheth Ambâlâl. Sa résolution, sa volonté, sa sincérité limpide étaient extraordinaires et firent la conquête de mon cœur… La position difficile dans laquelle mon jeûne mettait l’opposition patronale – dont il était le chef – me blessait donc à vif…. »
On pourrait penser que Gandhi va souhaiter que ce soient les ouvriers qui reprennent son action de grève de la faim puisqu’il est partisan de ce type d’action. Pas du tout ! Voici comment il l’expose :
« Anasouyâbehn et un certain nombre d’autres amis et d’ouvriers partagèrent mon jeûne, le premier jour. Mais, non sans difficultés, je parvins à les dissuader de continuer. »
Gandhi ne veut surtout pas que son jeûne soit assimilé à une action des ouvriers contre les patrons. Voici comment il expose le résultat de son jeûne : avoir arrêté la lutte !
« Le bénéfice de tout cela fut que l’on vit naître de part et d’autre une atmosphère de bonne volonté. Les patrons furent touchés jusqu’au cœur et décidèrent de chercher un moyen de régler le conflit… La grève prit fin – je n’avais jeûné que trois jours. Les patrons célébrèrent l’événement par une distribution de friandises aux ouvriers. Ainsi arriva-t-on à un règlement après vingt et un jours de grève. Les patrons et le Commissaire étaient présents à la réunion publique que l’on tint pour fêter l’accord intervenu. Aux ouvriers des filatures, le Commissaire donna en l’occurrence le conseil suivant :
Vous devriez faire un principe de toujours régler vos actions sur les conseils de Mr. Gandhi. »
Des félicitations d’autant plus compréhensibles qu’il n’est plus question des revendications premières des ouvriers !
La méthode de Gandhi dans la lutte sociale, commentée par lui-même, prend un jour particulièrement sinistre…
Et le soutien à l’Empire Britannique continuait à être prôné par Gandhi. A l’occasion de la Conférence du Vice-Roi des Indes avec les chefs politiques indiens, conférence visant à mobiliser toutes les ressources de l’Inde pour la guerre des Anglais, qui eût lieu le 26 avril 1918 à Delhi, Gandhi écrivit une lettre au Vice-Roi dans laquelle il renouvelait son soutien à l’Empire dans la guerre mondiale malgré des prises de position contraires de nombreux dirigeants politiques indiens (en particulier le développement de la campagne pour le Home Rule en Inde adoptée par le parti du Congrès) et malgré les horreurs commises au cours de cette guerre et le maintien des horreurs de la colonisation notamment en Inde nullement atténuées par la guerre :
« Je reconnais qu’en cette grave conjoncture nous devons accorder, comme nous avons décidé de le faire, une aide sans équivoque et généreuse à l’Empire dont nous aspirons à devenir, dans un proche avenir, les associés au même titre que les Dominions d’au-delà des mers… Si c’était en mon pouvoir d’inciter mes compatriotes à revenir sur leurs pas, je les convaincrais de retirer toutes les résolutions adoptées par le Congrès, et de cesser toute propagande en faveur du « Home Rule » ou d’un « Gouvernement Responsable », tant que durera cette guerre. Je convaincrais l’Inde d’offrir tous ses fils valides en sacrifice à l’Empire à une heure aussi critique ; et je sais que l’Inde, par ce geste même, deviendrait l’associée la plus favorisée de l’Empire et que les distinctions raciales n’appartiendraient plus qu’au passé. Mais presque toute la partie éduquée de l’Inde a décidé de choisir une route moins efficace, et il n’est plus possible de dire que cette section de l’Inde est sans influence sur les masses… Il s’agit là d’esprits assez attentifs et conscients pour comprendre qu’il leur faut être prêts, dans une part égale, à se sacrifier pour l’Empire, au sein duquel ils espèrent et désirent trouver enfin leur statut définitif. Il s’ensuit que nous ne pouvons qu’accélérer notre marche en direction de ce but, en nous vouant, dans le silence et la simplicité, cœur et âme, à l’œuvre de délivrer l’Empire du danger qui le menace. Ce serait un suicide national que de ne pas reconnaître cette vérité élémentaire… J’écris ces mots parce que j’aime d’amour la nation anglaise et mon désir est d’évoquer en tout Indien l’image de la loyauté du peuple anglais. »
Mais les efforts de Gandhi pour éviter que le peuple de l’Inde ne s’affronte au colonisateur étaient sans effet. Le Bengale notamment avait commencé une action insurrectionnelle pour en finir avec le colonialisme et l’Inde entière était en effervescence. La réponse du colonisateur était brutale. Suite au rapport de la Commission Rowlatt, une loi fut édictée considérant comme du terrorisme tout acte contre la colonisation et répréhensible comme un crime toute mobilisation.
Gandhi va peser de tout son poids pour éviter la confrontation et tout d’abord pour faire comme s’il prenait la tête de celle-ci afin de la freiner. Pour cela, il lance une journée de grève générale pacifique suivi d’un jeûne de 24 heures. Mais, au dernier moment, il annule le mouvement qui n’a lieu qu’au Pandjab. Puis, devant son succès massif, il appelle à la désobéissance pacifique en exigeant que les participants ne s’attaquent pas directement aux forces de répression même si celles-ci commettaient des assassinats de masse contre les manifestants. Devant les affrontements qui ont quand même lieu, Gandhi pratique des journées de jeûne personnelles dans lesquels il se punit du fait que les manifestants n’ont pas respecté ses consignes de pacifisme face aux troupes anglaises qui massacrent sans retenue. Il dénonce toute action insurrectionnelle des masses indiennes. Il explique lui-même que, lorsque les autorités sont vraiment débordées par l’insurrection, elles font appel à lui pour ramener la paix :
« Il y avait eu des troubles à Ahmedâbâd… Les ouvriers des filatures, quand la rumeur avait couru que Anasouyâbehn avait été aussi arrêtée, avaient perdu tout contrôle d’eux-mêmes, cessé le travail et commis des actes de violence : un sergent y avait trouvé la mort.
Je partis pour Ahmedâbâd. J’appris que l’on avait tenté d’arracher les rails non loin de la gare de Nariyâd, que l’on avait assassiné un fonctionnaire gouvernemental à Vîramghâm et que la loi martiale était proclamée à Ahmedâbâd… »
On pourrait penser que Gandhi vient pour appuyer la lutte, va discuter avec ses leaders et leur faire ses propositions. Pas du tout ! Il est venu voir les forces de répression et du colonisateur et leur faire ses propositions :
« Je rencontrai Mr. Pratt, le Commissaire… Je lui parlai doucement et lui exprimai mes regrets pour les troubles. Je suggérai que la loi martiale n’était pas nécessaire et me déclarai tout prêt à collaborer à n’importe quel effort pour ramener le calme. Je sollicitai la permission de tenir une réunion publique dans l’enceinte de l’âshram de Sâbarmati. L’idée lui plut : la réunion eut lieu un dimanche. Le même jour, ou le lendemain, l’état de siège était levé. Prenant la parole au cours de la réunion publique, j’essayai de pénétrer les gens du sentiment qu’ils avaient eu tort ; je décrétai pour moi-même un jeûne de pénitence de trois jours ; je lançai un appel au peuple pour jeûner également durant vingt-quatre heures et je proposai que ceux qui s’étaient rendu coupables d’actes de violence fissent l’aveu de leur culpabilité. »
Comme on le voit, les jeûnes de Gandhi ne signifient pas qu’il en fasse une arme non violente contre le colonialisme mais une arme contre la violence révolutionnaire des masses révoltées par le colonialisme !
On l’a vu dans la guerre, la tactique dite non violente n’exclue pas pour Gandhi l’emploi de la violence. Le 11 août 1920, pour prendre la tête du mouvement de révolte, il appelle même dans son journal « Young India » à la lutte violente contre le colonisateur mais c’est pour mieux la diriger vers le compromis et le retour au calme !
Plus que jamais, malgré les violences des forces coloniales, Gandhi réaffirme ses positions dites « non-violentes » et favorables à l’ordre :
« Avant d’être apte à pratiquer la désobéissance civile, l’on doit avoir fait volontairement et respectueusement obéissance aux lois de l’Etat. La plupart d’entre nous obéissent à ces lois par peur des sanctions qu’entraîne la contravention ; et cette remarque vaut notamment pour ce qui est de celles de ces lois qui n’impliquent aucun principe moral…. Se plier de la sorte n’a rien de commun avec l’obéissance librement consentie et spontanée que l’on exige d’un satyâgrahi. Le satyâgrahi obéit intelligemment et de son propre accord aux lois de la société, parce qu’il considère cette attitude comme un devoir sacré. »
Et Gandhi poursuit ainsi en se disant désolé d’avoir commis une grande erreur en appelant le peuple à la désobéissance civile alors que ce peuple n’était pas encore capable d’y participer en restant pacifique :
« Mon erreur tenait dans le fait que je n’avais pas su observer cette limite nécessaire. J’avais lancé au peuple l’appel de désobéissance civile avant qu’il fût qualifié pour y répondre et cette erreur m’apparaissait dans son ampleur, grosse comme l’Himalaya. »
Il s’agit maintenant pour Gandhi, apparu comme chef de file de la contestation par son initiative, de prendre l’initiative de la fin du mouvement, en annonçant que ce n’est que partie remise et qu’on se préparera mieux la prochaine fois :
« Je me rendais compte que, avant qu’un peuple fût en mesure de pratiquer la désobéissance civile, il devait en comprendre entièrement la signification la plus intime. Cela étant, avant de lancer à nouveau dans la désobéissance civile à l’échelle des masses, il fallait former un groupe de volontaires bien éprouvés et au cœur pur, et comprenant parfaitement les rigueurs du Satyâgraha. Eux pourraient expliquer ces rigueurs au peuple et, par une vigilance de tous les instants, le tenir sur le droit chemin. »
Loin de donner comme objectif à la lutte le combat contre les injustices et violences de la colonisation, Gandhi lance en 1921 la campagne pour… le rouet ! Il donnait ainsi comme drapeau à la lutte, le retour au traditionalisme et à la vieille société indienne…
Cela signifiait le retour au tissu indien fait à la main et le refus d’acheter les produits étrangers et donc un fondement au nationalisme parfaitement réactionnaire. Le Congrès indien s’est alors rallié pour la première fois à sa proposition de désobéissance civile. La puissance coloniale a immédiatement répliqué par la répression et de arrestations de masse, le peuple indien répliquant par la montée de la lutte. Gandhi en a une fois de plus tiré la leçon que le peuple n’était pas mûr. Une fois de plus, il a annulé le mouvement le 12 février 1922 et s’est puni lui-même pour les violences en se forçant à un jeûne de pénitence. Désormais, Gandhi parcours l’Inde en faisant d’abord et avant tout de la propagande pour le rouet et le tissage à main…
Alors qu’en 1930, le pays tout entier commençait à prendre parti pour l’indépendance, Gandhi choisit de lancer le Congrès sur un autre objectif : l’abolition de la taxe du sel… Il s’agissait d’appeler les Indiens à ramasser du sel au bord de la mer sans s’acquitter de la gabelle. De mai à décembre 1930, il y eut cent mille arrestations dont tous les leaders du parti du Congrès. Loin de calmer la population, cette arrestation enlevait au peuple indien les principaux canalisateurs du mouvement social et le 26 janvier 1931, Gandhi et une trentaine de dirigeants étaient libérés sans condition.
Loin de s’en tenir aux positions du mouvement qu’il avait lui-même lancé, Gandhi signait alors un accord politique avec Lord Irwin le 4 mars 1931. Le peuple indien n’avait rien obtenu et cet accord n’était qu’un répit pour le colonisateur. Bien des militants radicaux nationalistes ont alors hué Gandhi, même si les dirigeants de la bourgeoisie nationaliste qui commandaient le Congrès lui ont conservé leur soutien.
Maintes fois, il prend la tête du mécontentement montant puis, devant le caractère explosif du mouvement, s’excuse des violences, arrête la lutte, mène un jeûne, est discrédité momentanément par l’arrêt du mouvement et recrédité par son arrestation par le pouvoir colonial. Ce mouvement d’avance et recul, de lutte de masse suivi d’arrêt, de jeûne de repentance a eu lieu en 1932 et 1933 comme en 1931… En 1934, le Parlement anglais modifie le statut de l’Inde sans donner satisfaction à une seule des revendications nationalistes mais Gandhi affirme qu’il a confiance dans le processus et soutient les hommes politiques qui y participent, se tenant ainsi sur la droite du parti du Congrès. Puis suit une phase où Gandhi se retire du parti du Congrès et joue le rôle de personnalité influente mais se tenant hors du courant politique. En 1935, la révolution sociale gronde dans le petit Etat de Râjkot. Le peuple de cet Etat est en insurrection pour renverser le souverain. Gandhi sort de sa relative retraite pour sauver ce souverain… Du 3 au 7 mars, il pratique un nouveau jeûne pour pousser le peuple à la paix et à la négociation avec le rajah. Comme on le voit, sa solidarité n’allait jamais aux efforts révolutionnaires du peuple indien…
Entre temps, Gandhi avait changé d’attitude vis-à-vis de l’Angleterre. Il avait longuement discuté avec Mussolini, échangé des courriers avec Hitler et voyait la guerre mondiale qui venait d’un autre regard qu’il ne l’avait fait de la première.
Il acceptait de participer à l’effort de guerre anglais à la condition que la défense du territoire de l’Inde soit remis à des forces indiennes ce que l’Angleterre refusa. Gandhi et le parti du Congrès refusèrent dès lors leur soutien à l’Angleterre en guerre. Gandhi menait dès lors campagne contre la participation des Indiens à la guerre mais on peut constater qu’il ne s’agit nullement en l’occurrence de l’application d’un quelconque principe de non violence.
Voici un extrait de l’Autobiographie de Gandhi où il justifie sa politique :
Lire en dessous, toujours dans son autobiographie, sur le jeûne de Gandhi à Ahmedabad pour sortir les patrons et les ouvriers d’un face à face explosif et révolutionnaire …
Le prétendu pacifisme des conceptions religieuses et morales du « Mahatma » Gandhi
Nous avons choisi de débuter ce texte par les actes et déclarations politiques de Gandhi car ce sont elles et le poids qu’il a eu dans le lutte du peuple indien qui l’ont fait connaître. Mais lui n’a cessé de souligner qu’il estimait que ces faits étaient moins importants pour lui que ses actes privés liés à ses conceptions religieuses et morales. Nous allons maintenant examiner ce que signifie la non violence sur le plan religieux et moral pour Gandhi et on verra que cette conception est ultra réactionnaire et en réalité très violente… J’estime que cette violence est démontrée par les citations de Gandhi lui-même, une violence à l’égard de ses propres sentiments, de ses goûts, de son corps, de sa santé, de sa femme et de ses enfants… Chacun pourra en juger en le lisant.
Gandhi a toujours expliqué que l’essentiel pour lui était son propre cheminement vers la pureté d’un sage de la foi, évolution dans laquelle il entendait entraîner sa petite communauté, son âshram et notamment sa famille. Ses choix sociaux et politiques, disait-il, découlaient de ses convictions religieuses et morales. Il explique que son idée de Satyâgraha, ou résistance passive, provient de ses choix de brahmane :
« Aujourd’hui, il m’apparaît clairement que tous les principaux événements de ma vie, dont l’apogée fut le vœu de brahmacharya, me préparaient secrètement à cette fin. Le principe, qui porte le nom de Satyâgraha, connut le jour avant même que l’on eût trouvé le nom qui le désignerait… En goujrâti même, nous nous servions de l’expression anglaise de « résistance passive » pour décrire ce principe… Ce fut Maganlâl Gandhi qui forgea le mot de « Sadagraha » (de sat = vérité et âgraha = fermeté)…Mais pour plus de clarté, je changeai le mot en « Satyâgraha » qui, depuis, est devenu terme courant en goujrâti pour désigner notre lutte. »
Donc l’action politique et sociale décrite précédemment est inséparable des choix philosophiques et pratiques du brahmane Gandhi.
Pour Gandhi, la découverte de ses principes et leur application eut essentiellement un caractère intérieur, personnel puis domestique, lié à son entourage proche, bien avant de prendre un caractère de défense publique de principes de vie que Gandhi allait résumer par une philosophie « de la retenue » qu’il appelait « ma satyâgraha domestique »… On y trouve la retenue devant les sensations, les sentiments, les besoins matériels, sexuels, mentaux, aussi bien que dans l’action sociale et politique.
Mais, en fait, le terme de retenue, choisi par Gandhi ne reflète pas bien ses actes. Il faudrait plutôt dire répression, inhibition, interdit, refus des tendances spontanées, rejet de ses propres réactions naturelles, et en tout cela, violence à son propre égard comme à l’égard des autres….
Il n’y a pas que le jeûne, le refus du plaisir sexuel, le rejet des plaisirs en général, le rejet de toute nourriture en dehors du végétérianisme, le rejet des biens matériels. Il y a aussi le rejet des soins médicaux, le rejet des progrès techniques, le rejet des facilités liées au progrès matériel. Gandhi choisit de préférer tout ce qui fait souffrir, tout ce qui est plus dur, tout ce qui peut mettre dans la souffrance, à la limite de la mort… C’est cela que j’appelle de la violence à son propre égard comme à l’égard des autres. Il préfère que sa femme accouche sans sage-femme. Il préfère refuser des soins médicaux pour lui et pour sa famille, au risque de sa vie et de la leur. Il tient même à l’avoir fait en précisant qu’il a choisi volontairement de prendre ce risque pour éprouver sa foi. Ce sont de tels choix mystiques qui sont en fait antihumains et non pas sages comme le prétendent les adeptes de Gandhi.
Gandhi ne s’est pas contenté de suivre la tradition. Il n’avait pas été éduqué dans une croyance religieuse bien précise ni très pratiquante ce qui fait qu’il a exploré longtemps toutes les religions comme le christianisme, le protestantisme, l’Islam et les religions de l’Inde. Il a fini, tardivement, en 1906, par se convertir au brahmanisme et par chercher, tout le reste de sa vie, à devenir un sage brahmane, détaché des buts terrestres.
Il expose lui-même ses buts dans son Autobiographie au chapitre « Brahmacharya » :
« Le brahmacharya, c’est le contrôle des sens, tant en pensée qu’en paroles et qu’en acte… L’aspirant au brahmacharya ne cessera jamais d’avoir conscience de ses manquements, ne cessera jamais de traquer les passions qui rampent encore dans les recoins les plus obscurs de son cœur, et luttera sans relâche pour s’en débarrasser. »
L’amour humain est donc le principal adversaire du sage tel que le conçoit Gandhi…
Et cela commence par l’amour de l’homme pour la femme, fût-ce pour sa propre femme…
Cela continue par le fait que l’âme doit se détacher du corps, donnant l’égalité d’esprit. Le détachement des biens matériels est un point important. Le but doit être d’aller vers la non possession matérielle pour atteindre l’égalité d’âme. Il y a d’abord un retour à la simplicité de l’habillement, des soins, de la nourriture, des besoins. Mais ce ne sont pas seulement les biens matériels : il faut aller jusqu’à une certaine insensibilité à ce que font les proches et les autres personnes…
Il précisait ainsi : « J’acquis la conviction que la procréation et, par voie de conséquence, le souci des enfants sont incompatibles avec le dévouement à l’intérêt public. »
Pour ma part, je préciserai qu’il a acquis cette certitude au moment où il a choisi de se dévouer… aux intérêts de l’Empire britannique en s’engageant à ses côtés lors de la révolte des Zoulous dans l’armée anglaise du Natal ! En effet, la phrase précédemment citée est suivie de celle-ci : « Je dus renoncer à mon foyer de Johannesburg pour pouvoir me consacrer à ma « tâche » durant la Révolte ».
Il rajoute : « Au cours des marches pénibles qu’il nous fallut faire alors, l’idée m’illumina soudain que, si je désirais me vouer ainsi au service de la communauté, je devais abjurer tout désir d’avoir des enfants et de m’enrichir, et mener la vie d’un moine errant – d’un homme qui s’abstrait des soucis d’un foyer. La Révolte n’absorba pas plus de six semaines de ma vie, mais cette brève période fit, en définitive, époque dans mon existence. L’importance des vœux s’imposa plus clairement que jamais à mon esprit. Je me rendis compte qu’un vœu, loin de fermer la porte à la vraie liberté, l’ouvrait… Je me rendis compte qu’en refusant de se vouer, l’homme se laissait entraîner vers la tentation. »
Donc, on le voit, sa participation à une guerre d’extermination de type raciale et aux côtés des troupes racistes anti-Noirs a été son révélateur mystique et psychologique. Cela seul en dit long…
Et le fait que ces six semaines se soient déroulées devant des violences inouïes, par leur ampleur, par leur caractère anti-humain, par leur horreur ne vient même pas sous sa plume à cette occasion. Là-dessus, pas un mot sur l’horreur de la violence…
Sa deuxième pensée d’élève brahmane est qu’il faut qu’il abandonne toute relation physique avec sa femme :
« Supprimer tous rapports charnels avec son épouse semblait une chose étrange. Mais je me jetais à l’eau, mettant ma foi en Dieu et en Sa Force pour me soutenir. »
Au fait, on peut se demander pourquoi lui est venue l’idée qu’il fallait accomplir ce geste là. Voilà ce que répond Gandhi :
« Le couple n’accomplira jamais l’acte d’union sexuelle pour satisfaire le désir charnel, mais dans les seuls moments où il désire un enfant. J’estime que c’est le comble de l’ignorance que de croire que l’acte sexuel est une fonction indépendante et nécessaire comme de dormir ou de manger. Le monde dépend, pour son existence, de l’acte de procréation ; et, comme le monde est le terrain de jeu de Dieu et le miroir où se reflète sa Gloire, l’acte de procréation doit être contrôlé pour que la croissance du monde s’effectue dans l’ordre. Qui comprend bien cela, maîtrisera coûte que coûte le désir charnel, se nantira de la connaissance nécessaire au bien-être physique, mental et spirituel de sa progéniture, et étendra le bénéfice de cette connaissance à sa postérité. »
Cela signifie que Gandhi s’interdit toute action liée au plaisir sexuel, l’interdit à sa femme et à ses enfants, ainsi qu’à tous ceux qui voudront vivre à proximité de lui…
Gandhi précise que l’enfant n’a pas d’autre avenir que celui de ses parents :
« Jamais l’enfant n’apprendra autant que dans les cinq premières années de sa vie, quand tout ce qu’il fait et pense dépend entièrement de ses parents. »
La manière dont Gandhi concevait ses relations en famille, il les rapporte dans le chapitre « Un souvenir qui m’est sacré » :
« Loin de me contenter de voir ma femme porter les vases d’urine (des étrangers reçus dans sa maison), j’aurais voulu qu’elle s’acquittât joyeusement de sa tâche. Et je lui dis, haussant le ton :
je ne tolèrerai pas ce genre de sottise dans ma maison !
Ces mots la percèrent comme un trait.
Gardez-la pour vous, votre maison, et laissez-moi m’en aller ! me cria-elle en retour.
Je me mis en devoir d’ouvrir le portail, dans l’intention de la jeter dehors. Elle pleurait à chaudes larmes.
Vous n’avez pas honte ! criait-elle. Comment pouvez-vous vous oublier à ce point ? Où voulez-vous que j’aille ? Je n’ai pas de parents, pas de proches ici, pour me recevoir. Parce que je suis votre femme, vous pensez que je dois supporter que vous me frappiez du poing et du pied ? Pour l’amour du ciel, contenez-vous et fermez ce portail ! Que l’on ne nous voie pas en train de nous faire une scène pareille ! »
Et Gandhi explique que c’est cet argument qui l’a décidé mais il s’en sert surtout pour affirmer :
« Qu’il me suffise de dire ici que, avec la disparition graduelle des appétits charnels, ma vie domestique est devenue, et continue à devenir, de plus en plus paisible, douce et heureuse. »
Comprenez donc que les hommes qui n’ont pas renoncé à toute relation sexuelle hors procréation son justifiés de se comporter comme des barbares avec les femmes !!!!
Et Gandhi poursuit ce chapitre ainsi :
« Que l’on n’aille pas conclure de ce rappel d’un souvenir sacré que nous formons le moins du monde un couple idéal, ou qu’il existe entre nous une complète identité d’idéal et de pensée. Ma femme Kastourbâi elle-même est peut-être incapable de dire si elle a, indépendamment de moi, un idéal ou une idée. Il est probable que beaucoup de mes actes n’ont pas son approbation, même à l’heure actuelle. Nous n’en discutons jamais ; je ne sois pas le bien de telles discussions. Mais elle a, Dieu merci, une grande qualité, et ce, à un degré considérable – qualité que possèdent dans une certaine mesure toutes les épouses hindoues : volontairement ou non, consciemment ou non, elle a considéré que c’était une bénédiction pour elle que de marcher sur ma trace, et jamais elle ne m’a contrecarré dans mes efforts pour mener une vie de retenue. Si bien que, en dépit de l’abîme qui nous sépare, intellectuellement, j’ai toujours eu le sentiment que notre existence était toute de contentement, de bonheur et de progrès. »
Mais, comme il l’a dit lui-même, on ne peut pas savoir si sa femme a le même sentiment car Gandhi s’en moque : les femmes hindoues sont « heureusement » assez soumises pour ne pas s’opposer….
Si cela n’est pas de la violence dans les relations….
Ceux qui ne seraient pas encore convaincus devraient lire ceci dans son deuxième chapitre « Brahmacharya » :
« Le dévouement du domestique me paraissent mille fois plus dignes de louanges que celui de la femme pour son mari. Ce dernier sentiment n’a rien de surprenant, du fait des liens indissolubles qui unissent le couple. Alors que nourrir un dévouement égal, entre maître et serviteur, exigeait un effort tout particulier… »
On peut se dire : bon, Gandhi pâtit des préjugés des hommes de son temps, dans son pays, c’est clair mais il est un courageux combattant sur d’autres questions. Il affronte les préjugés de caste par exemple, ce qui est remarquable par contre dans l’Inde de l’époque.
Effectivement, il a très vite eu à subir le diktat de sa caste qui lui a interdit de faire ses études à l’étranger et il a bravé cette décision ainsi que son excommunication qui en est résulté. Une fois encore, c’est Gandhi qui se charge de redresser cette histoire : Gandhi s’est bien gardé d’affronter sa caste et il s’en flatte comme d’une intelligence particulière, celle consistant à ne jamais s’affronter de face à l’adversaire qu’il appliquera ensuite en toutes circonstances, comme face au colonisateur….
Citons-le :
« J’évitai scrupuleusement de blesser leurs sentiments. Je respectai entièrement les règles de la caste en matière d’excommunication. Selon ces règles, aucun membre de ma parenté, y compris mon beau-père et ma belle-mère, et jusqu’à ma sœur et à mon beau-frère, n’avait le droit de me recevoir ; et je me refusai de toucher même à une goutte d’eau chez eux pour respecter la décision de la caste… Le résultat de cette conduite scrupuleuse fut que jamais je n’eus d’ennuis avec ma caste – que dis-je, je n’ai jamais reçu que preuves d’affection et de générosité de la grande majorité du clan qui me considère toujours comme un excommunié. »
Faites attention : de sa part, ce n’est pas de l’humour, mais un choix de comportement profond.
Il rajoute en effet :
« Je suis convaincu que tous ces bons résultats ont eu pour cause ma non résistance. »
Si Gandhi a aussi prôné fréquemment la non résistance aux Anglais, soyez bien convaincus que jamais le colonialisme n’aurait choisi de quitter l’Inde sans l’explosion révolutionnaire qui menaçait la colonie après la deuxième guerre mondiale…
Si la non résistance à la caste prônée par Gandhi a eu un résultat, c’est celui qu’on connait actuellement en Inde : la bourgeoisie indienne a pris le pouvoir mais elle n’a nullement supprimé tous les attributs d’oppression précédents dont l’oppression de caste, de clan, de féodalisme, de religion et l’oppression de la femme aussi…
Parmi les idées réactionnaires que propage Gandhi, dont le retour au rouet et au tissage à main, il convient de citer le refus de la médecine, le refus de l’université, du lycée et de l’école, le retour aux travaux domestiques à l’ancienne, à la main, sans moyens techniques, le refus de toute technologie un tant soit peu moderne, le refus de toute relation humaine qui ne soit pas strictement dirigée par l’esprit religieux et moraliste….
Pour finir, parlons du respect de toute vie animale qui soutend toute la philosophie gandhiste et que nous avons vue à l’œuvre quand il s’agissait des êtres humains dans les guerres sud-africaines contre les Boers, les Zoulous, les autres Africains, dans les guerres mondiales. Là, tuer n’était pas un interdit absolu. Par contre, tuer un mouton l’est :
« Pour moi, la vie de l’agneau n’est pas moins précieuse que celle de l’homme. Jamais je ne consentirais à sacrifier au corps humain la vie d’un agneau. »
Par contre, en Inde où à l’époque crever de faim était ultra classique, il ne pense pas que la vie humaine vaille la peine d’y repenser…
Pour ce mystique, mourir n’est rien ! Sauf pour un agneau, parce qui compte n’est pas de vivre mais de rester pur…
Eh bien, je conclurais en disant que cette philosophie dite de non violence est ultra violente à l’égard des êtres humains, qu’elle a considérablement retardé la libération des esclaves coloniaux indiens et l’a amenée dans les pires conditions…
L’un des grands mythes construits par les propagandistes de Gandhi est que l’indépendance de l’Inde a été gagnée au moyen des protestations pacifiques menées par le ‘Mahatma’. La réalité est différente. D’un côté, tant qu’elle voulait garder l’Inde et maintenir sa répression, y compris la répression violente, la Grande-Bretagne a pu endiguer et mépriser le mouvement de Gandhi. D’un autre côté, après la deuxième Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne n’a tout simplement plus été en mesure de maintenir sa domination sur l’Inde. La Grande-Bretagne est sortie endettée et ravagée par la guerre. Mais tant que le capital britannique pouvait continuer à exploiter les régions dominées par la Grande-Bretagne, l’Etat britannique pouvait évacuer ses colonies et accorder l’indépendance.
En Inde, la domination britannique était menacée par des luttes radicales de masses, qui pour la plupart n’avaient rien à voir avec Gandhi. Si la Grande-Bretagne avait tenté de se maintenir physiquement, ces luttes de masses se seraient radicalisées d’autant plus, menaçant le capitalisme lui-même. Quelles étaient ces formes de lutte ?
Sous l’influence de la révolution russe, une frange des nationalistes indiens avancés fut attirée vers le marxisme et un parti communiste fut établi. Le PC avec d’autres organisations révolutionnaires et syndicats militants, gagna du poids à la fin des années 1920, qui vit une série de soulèvement paysans. Avec l’irruption de la deuxième Guerre Mondiale, une nouvelle vague de révoltes paysannes et de grèves déferla, en même temps qu’une montée en puissance des forces indépendantistes, choses qui ont été complètement effacées du portrait officiel de l’indépendance indienne. Le Congrès National Indien avait été marginalisé par la croissance des forces révolutionnaires et par son incapacité à faire face à la répression que les Britanniques avaient déchaînée lors du massacre d’Amritsar en 1919.
Gandhi lança la salt satyagraha [mouvement de résistance non-violent contre le monopole du sel détenu par les Britanniques] au début des années en 1930, en partie pour regagner de l’influence au sein du Congrès. Pendant la deuxième Guerre Mondiale, pour reprendre l’initiative face à une activité de masses beaucoup plus radicale, le Congrès arbora le slogan ‘Quit India’ en 1942.
Cependant, c’était la continuation des luttes de masses qui permirent d’en finir avec la domination britannique. A la fin de la guerre, il y eut un mouvement de grève massif, pendant lequel 1.700 personnes furent tuées par la police coloniale. Il y eut des mutineries massives de marins indiens, et la résistance à la domination britannique grandissait dans les forces armées indiennes. Les organisations paysannes radicales et les syndicats se développaient, en taille et en influence, et les actions armées devenaient de plus en plus monnaie courante. Dans le Bengale, les femmes jouaient un rôle non négligeable dans les groupes armés.
Les colonisateurs anglais constatant qu’il y a un mouvement révolutionnaire irrésistible, préfèrent céder le pouvoir d’eux-mêmes aux bourgeois nationalistes du Congrès avec lesquels ils tentent des accords pour conserver leurs intérêts économiques plutôt que de risquer que les masses populaires ne s’embrasent. Le travailliste, le major Attlee qui a succédé à Churchill déclare qu’il craint un soulèvement révolutionnaire des masses en Inde et c’est comme cela qu’il obtient très rapidement l’accord de la bourgeoisie anglaise pour céder à toute vitesse l’indépendance ce que l’Angleterre n’envisageait absolument pas un an plus tôt. En octobre 1946 il explique à la chambre que tout retard dans l’accession à l’indépendance provoquera des graves troubles révolutionnaires selon le compte rendu de la mission ministérielle qu’il a envoyée sur place et que selon lui il sera inutile et impossible d’amener suffisamment de renforts sur place. Il est certain que la population anglaise qui réclamait d’abord et avant tout sa démobilisation et qui venait de faire chuter Churchill le représentant de tous les sacrifices consentis au nom de l’effort de guerre ne se sentait pas prête à verser son sang pour lutter contre la population de l’Inde soulevée. Et en février 47 à la chambre des lords Pethic-Lawrence déclare que l’on a déjà trop tardé que selon ses termes « il existe en Inde une situation et un danger révolutionnaire extrême, que si le transfert du pouvoir ne s’effectue pas à bref délai la révolution dont l’éruption a été momentanément retardée par l’annonce de la préparation de l’indépendance par la mission ministérielle éclatera inévitablement ». L’exemple Birman montre toute l’utilité d’aller vers l’indépendance qui a permis en janvier 1947 un rapprochement entre l’Angleterre et le nationaliste Ang San ce qui leur a permis de casser l’alliance entre les nationalistes modérés et radicaux. En Inde la direction incontestée de la bourgeoisie nationale est le parti du congrès de Gandhi. Sa position est caractéristique vis à vis de la classe ouvrière : aucune indépendance syndicale. Ainsi la seule organisation syndicale qui lui soit liée, celle des ouvriers du textile d’Ahmedabad qui lui sont liées, est organisées syndicalement au sein du parti séparément du reste du mouvement ouvrier qui appartient à une fédération unifiée regroupant tous les autres syndicalistes des staliniens aux réformistes et aux militants radicaux. Le mouvement ouvrier organisé compte autant de membres que le parti du congrès soit 400 000 membres chacun en 1935. Mais plus la revendication politique devient prépondérante, plus la distance s’accroît en faveur de la formation nationaliste bourgeoise faute d’une politique du mouvement ouvrier. Directement lié aux propriétaires fonciers, industriels et commerçants, le parti du congrès est réticent à inclure toute mesure sociale y compris un programme agraire dans ses revendications ce qui laisserait une énorme marge pour un mouvement ouvrier révolutionnaire afin de s’adresser à une paysannerie en révolte. Tout mouvement à caractère révolutionnaire contre l’impérialisme anglais déborderait inévitablement le mouvement politique bourgeois puisque celui-ci s’interdit toute insurrection armée contre les Anglais.
L’année 1946 est marquée par la montée des luttes ouvrières et par une véritable maturation révolutionnaire qui débute par une mutinerie militaire. Les marins d’une caserne d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement le 18 février 1946. Le lendemain il s’agit déjà d’un véritable soulèvement de plus de 20 000 marins casernés à Bombay et de 20 bâtiments ancrés dans le port. Les marins soulevés élisent un comité central de grève. Et à Karachi des troubles semblables se produisent. Face à la menace de répression violente le comité central de grève de la flotte en appelle aux travailleurs. Le parti du congrès et la ligue musulmane, les organisations indépendantistes de la bourgeoisie refusent leur soutien au soulèvement. Les 22 et 23 février la bataille fait rage dans Bombay où la population ouvrière qui a pris le parti des mutinés est violemment réprimée : 250 morts. Parti du Congrès et Ligue musulmane contraignent finalement les marins à se rendre et le comité de grève déclare : « nous nous rendons à l’Inde mais pas à l’Angleterre ». Les mutins sont sévèrement condamnés par les partis bourgeois. Gandhi les traite de « racaille » et de combinaison impie d’hindous et de musulmans ». Les dirigeants musulmans déclarent que la flotte doit être disciplinée. C’est là le point commun que ces partis bourgeois ont avec l’Angleterre : la crainte commune du déclenchement d’un mouvement de masse révolutionnaire. Et cela alors qu’ont lieu aussi des troubles dans l’armée anglaise des Indes. Les tommies qui veulent rentrer plus vite et sentent que ça va chauffer manifestent pour rentrer plus vite en Angleterre que ce soit à Delhi ou dans l’Uttar Pradesh. Au même moment, les luttes grévistes des travailleurs sont au point le plus élevé jamais atteint avec la grève insurrectionnelle de deux millions de travailleurs dans un climat de tension extraordinaire.
Pour faire diversion ces formations nationalistes, la Ligue musulmane et le Hindu Masahabha, organisent des manifestations d’opposition inter-ethnique, principalement dans le Bengale et dans le Bihar avec des heurts sanglants entre les communautés religieuses. La Ligue musulmane annonce qu’elle réclame la partition du pays sur des bases religieuses hindous d’un côté et musulmans de l’autre. Cette idée a été en fait discutée par la Ligue à Londres et c’est l’impérialisme anglais qui en a fait lui-même la suggestion pour détourner le mécontentement.
Malgré la répression et malgré les diversions racistes, dans les mois qui suivent, le pays plonge dans le soulèvement et le chaos. Dans des régions entières, plus personne n’obéit plus à l’administration colonialiste. Dans ces conditions, l’Angleterre accélère à toute vitesse le plan d’accession à l’indépendance. Signé début juillet 1947, le plan de partage en Inde et Pakistan, est adopté le 18 juillet et le nouveau pouvoir installé le 15 août 1947. On n’aura jamais vu un pouvoir colonial aussi pressé de donner sa place ! La menace prolétarienne en Inde était tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Les salariés représentaient 55% de population des villes et les travailleurs indépendants n’exploitant personne 32% alors que les employeurs n’y étaient que 1%. L’essentiel du prolétariat travaillait dans de grandes entreprises industrielles et près des trois quarts vivaient dans de très grandes cités. Et la lutte s’est déroulée essentiellement dans les villes. Il y aurait eu pour une révolution prolétarienne un énorme potentiel de soutien d’une paysannerie très exploitée et révoltée. L’influence de la grande bourgeoisie sur le petite et moyenne était faible et c’est l’absence politique des travailleurs alors que les possédants ont eu des dirigeants de haut niveau capables d’unir toutes les classes possédantes indiennes qui a permis aux grands propriétaire, banquiers et grands commerçants de tenir le haut du pavé. Le parti communiste indien ne risquait pas de représenter même de manière déformée une politique de classe pour les travailleurs, lui qui proclamait vouloir « un gouvernement de démocratie populaire qui sera celui de tous les groupes, individus et partis démocratiques représentant les ouvriers, les paysans, les classes moyennes et la bourgeoisie nationale, celle qui est favorable à une véritable industrialisation du pays et à l’indépendance de l’Inde ». Pour se donner un visage plus radical que celui qu’il a eu au moment de l’indépendance, le parti communiste soutient un soulèvement paysan armé de deux régions en 1948 l’Andhra et Telengana où sur un territoire de 4000 km² 2000 villages sont organisés en comités populaires, soulèvement qui est réprimé dans le sang par la nouvelle armée de l’Inde indépendante, en guise d’avertissement aux couches populaires. La classe ouvrière a très vite eu à s’opposer à ce nouveau pouvoir avec notamment une grande grève générale de la ville de Calcutta.
Et l’absence d’une politique ouvrière indépendante n’est pas due à l’absence de soutien qu’il rencontrerait dans la population. Ainsi aux premières élections générales en Inde, le parti communiste recueille quand même plus de 6 millions de voix et quatre autres groupes se réclamant de l’extrême gauche font respectivement 2,5 millions de voix, 1,1 millions, un million et 400 000 voix à rajouter aux 22, 8 millions de voix obtenues par l’opposition socialiste et communiste. Citons l’ouvrage de Charles Bettelheim « L’Inde indépendante » :
« depuis de longs mois, on assiste à une maturation révolutionnaire qui est accélérée par l’action syndicale et ouvrière. Le 18 février les marins d’un centre d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement, nombre de leurs doléances n’étant pas satisfaites depuis longtemps. Dès le 19 au matin, on est en présence d’un véritable soulèvement auquel participent plus de 20 000 marins casernés à Bombay et dans ses environs ainsi que 30 bâtiments à l’ancre dans le port. Les marins soulevés élisent un Comité central de grève. (…) Le 21 février au matin, la bataille s’engage. Le Comité central de grève de la Flotte fait appel au soutien de la population et des organisations politiques. Le Congrès et la Ligue musulmane se refusent à apporter tout soutien aux marins ; par contre, les syndicats de Bombay et le parti communiste leur apportent leur concours et décident d’une grève générale qui commence effectivement le 22 février. Les 22 et 23 février, la bataille fait rage dans Bombay et une répression, massive et brutale, s’abat sur la population, faisant plus de 250 morts. Le Congrès et la Ligue font alors pression sur le Comité central de grève pour que les marins se rendent. Le Comité central de grève décide finalement de céder, en déclarant : « Nous nous rendons à l’Inde, non à l’Angleterre. » Gandhi condamne sévèrement la « combinaison impie » des hindous et des musulmans qui, si elle avait triomphé aurait « livré l’Inde à la racaille », tandis que Valabhbhai Patel déclare que « la flotte doit être disciplinée. » Ainsi se confirme la volonté de la direction du Congrès d’éviter le déclenchement ou l’expansion d’un mouvement de masse qui pourrait mettre en cause non seulement la domination étrangère mais le régime social. A partir de la mi-août 1946, les heurts sanglants entre les communautés religieuses se multiplient, principalement au Bengale et dans le Bihar. A l’action de la Ligue musulmane, les organisations politico-religieuses hindoues, et principalement le Hindu Mahasabha qui, dans cette situation, reprend des forces, répondent également par la violence. Parallèlement, les luttes revendicatives se développent, englobant près de 2 millions de travailleurs dans des mouvements de grève. Un tel chiffre n’avait jamais été atteint jusque là. C’est dans ces conditions que le vice-roi décide de constituer le premier gouvernement intérimaire. Celui-ci entre en fonctions le 2 septembre 1946. Il est dirigé par Jawaharlal Nehru, Premier ministre. (…) La situation est telle que l’Assemblée constituante décide de s’ajourner jusqu’à avril. La formation du gouvernement intérimaire, en effet, n’a pas mis fin à la détérioration de la situation intérieure. En dépit de la répression massive et de milliers d’arrestations, le pays glisse vers le chaos et l’administration elle-même cesse par endroits de fonctionner. (…) Le 20 avril 1947, alors que la situation intérieure indienne se détériore rapidement, le Premier ministre britannique, Clément Attlee, déclare que le gouvernement de sa Majesté est « décidé à prendre les mesures nécessaires pour transférer le pouvoir en des mains indiennes responsables, au plus tard en juin 1948. » En même temps le Premier ministre annonce (…) que lord Mountbattent est nommé vice-roi de l’Inde en remplacement de lord Wavell. Lord Mountbatten, aussitôt arrivé en Inde, prépare un plan de partage de l’Inde. Celle-ci doit être divisée en deux dominions : l’Union indienne et le Pakistan, tandis que les Etats princiers conserveront leur indépendance et joindront, après négociations, l’un des deux dominions. Le parti du Congrès et la Ligue musulmane acceptent ces propositions (…). Au début de juillet 1947, le plan est soumis au gouvernement britannique qui le discute et l’adopte en un temps record, faisant preuve d’un remarquable réalisme, étant donné la place tenue par l’Inde dans l’empire britannique. Le 18 juillet 1947, la loi d’indépendance de l’Inde est adoptée par le parlement britannique. »
Depuis de longs mois, on assiste à une maturation révolutionnaire qui est accélérée par l’action syndicale et ouvrière. Le 18 février les marins d’un centre d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement, nombre de leurs doléances n’étant pas satisfaites depuis longtemps. Dès le 19 au matin, on est en présence d’un véritable soulèvement auquel participent plus de 20 000 marins casernés à Bombay et dans ses environs ainsi que 30 bâtiments à l’ancre dans le port. Les marins soulevés élisent un Comité central de grève. (…) Le 21 février au matin, la bataille s’engage. Le Comité central de grève de la Flotte fait appel au soutien de la population et des organisations politiques. Le Congrès et la Ligue musulmane se refusent à apporter tout soutien aux marins ; par contre, les syndicats de Bombay et le parti communiste leur apportent leur concours et décident d’une grève générale qui commence effectivement le 22 février. Les 22 et 23 février, la bataille fait rage dans Bombay et une répression, massive et brutale, s’abat sur la population, faisant plus de 250 morts. Le Congrès et la Ligue font alors pression sur le Comité central de grève pour que les marins se rendent. Le Comité central de grève décide finalement de céder, en déclarant : « Nous nous rendons à l’Inde, non à l’Angleterre. » Gandhi condamne sévèrement la « combinaison impie » des hindous et des musulmans qui, si elle avait triomphé aurait « livré l’Inde à la racaille », tandis que Valabhbhai Patel déclare que « la flotte doit être disciplinée. » Ainsi se confirme la volonté de la direction du Congrès d’éviter le déclenchement ou l’expansion d’un mouvement de masse qui pourrait mettre en cause non seulement la domination étrangère mais le régime social. A partir de la mi-août 1946, les heurts sanglants entre les communautés religieuses se multiplient, principalement au Bengale et dans le Bihar. A l’action de la Ligue musulmane, les organisations politico-religieuses hindoues, et principalement le Hindu Mahasabha qui, dans cette situation, reprend des forces, répondent également par la violence. Parallèlement, les luttes revendicatives se développent, englobant près de 2 millions de travailleurs dans des mouvements de grève. Un tel chiffre n’avait jamais été atteint jusque là. C’est dans ces conditions que le vice-roi décide de constituer le premier gouvernement intérimaire. Celui-ci entre en fonctions le 2 septembre 1946. Il est dirigé par Jawaharlal Nehru, Premier ministre. (…) La situation est telle que l’Assemblée constituante décide de s’ajourner jusqu’à avril. La formation du gouvernement intérimaire, en effet, n’a pas mis fin à la détérioration de la situation intérieure. En dépit de la répression massive et de milliers d’arrestations, le pays glisse vers le chaos et l’administration elle-même cesse par endroits de fonctionner. (…) Le 20 avril 1947, alors que la situation intérieure indienne se détériore rapidement, le Premier ministre britannique, Clément Attlee, déclare que le gouvernement de sa Majesté est « décidé à prendre les mesures nécessaires pour transférer le pouvoir en des mains indiennes responsables, au plus tard en juin 1948. » En même temps le Premier ministre annonce (…) que lord Mountbattent est nommé vice-roi de l’Inde en remplacement de lord Wavell. Lord Mountbatten, aussitôt arrivé en Inde, prépare un plan de partage de l’Inde. Celle-ci doit être divisée en deux dominions : l’Union indienne et le Pakistan, tandis que les Etats princiers conserveront leur indépendance et joindront, après négociations, l’un des deux dominions. Le parti du Congrès et la Ligue musulmane acceptent ces propositions (…). Au début de juillet 1947, le plan est soumis au gouvernement britannique qui le discute et l’adopte en un temps record, faisant preuve d’un remarquable réalisme, étant donné la place tenue par l’Inde dans l’empire britannique. Le 18 juillet 1947, la loi d’indépendance de l’Inde est adoptée par le parlement britannique. »
On a déjà longuement parlé de l’autre mythe qui veut que Gandhi fût un grand pacifiste et un défenseur intransigeant de l’indépendance indienne. En réalité, il avait soutenu l’impérialisme britannique pendant la première Guerre Mondiale et avait encouragé les Indiens à se battre pour la Grande-Bretagne. Il avait lui-même tenté par deux fois de se faire incorporer dans l’armée. Gandhi prétendait que l’Empire Britannique avait un « fondement spirituel ». Tout en soutenant l’impérialisme armé, il s’opposait à la révolte de Chauri Chaura de 1921 et exigeait la cessation du Mouvement National pour la Non-Coopération. Gandhi soutenait la Home Rule [l’autonomie] plutôt que l’indépendance. A ce moment, ses opinions différaient de celles de nombre de leaders du mouvement indépendantiste. Par exemple, sa position sur la première Guerre Mondiale rencontrait l’opposition du Ghadar Party, plus radical.
A cette époque, la plupart des intellectuels avancés étaient hostiles à la domination britannique, depuis les années 1880. Ils remarquaient que celle-ci arrêtait le développement économique et social du sous-continent (et lui faisait même faire marche arrière). Malgré cela, jusqu’à la fin des années 1920, Gandhi continua à rejeter le mouvement indépendantiste indien, en faveur de la Home Rule. Certains leaders du Congrès exprimaient leur frustration à l’endroit de ses illusions vis-à-vis des Britanniques et de son refus de faire avancer la lutte à un niveau supérieur.
Une autre fable nous le dépeint en homme simple, en homme du peuple et en homme qui renonce au pouvoir personnel. Mais, même après la première Guerre Mondiale, son opinion était que les masses indiennes, par une modération exemplaire, allaient pouvoir impressionner les Britanniques (et lui-même) et montrer qu’elles méritaient l’indépendance. En même temps, tout le temps en réalité, il prenait lui-même toutes les décisions en ce qui concerne la tactique et la stratégie.
D’autres membres du Congrès manifestaient fréquemment leurs désaccords envers son comportement autocratique. Il prétendait répondre à un appel de l’au-delà, comme le font souvent les autocrates, et Gandhi ignorait purement et simplement les décisions du Congrès avec lesquelles il n’était pas d’accord, et n’en faisait qu’à sa tête. Il préférait travailler avec une petite coterie élitiste plutôt qu’avec l’organisation en tant qu’ensemble, et se servait de la pratique du jeûne pour contrôler le mouvement du Congrès. Face à ses jeûnes, ses opposants devaient abandonner leurs récriminations et suivre ses décisions.
Il aimait dire aux masses indiennes comment se comporter, mais il était moins sourcilleux en ce qui concerne la classe capitaliste indienne. Par exemple, il était proche des Birlas, une famille de capitalistes qui donnait de l’argent à la clique de Gandhi et lui prodiguait des conseils en matière de politique économique.
Un autre boniment présente Gandhi comme un grand champion des Dalits, qui aurait tenté d’abolir le statut d’intouchable. Mais Ambedkar critiquait Gandhi pour être trop passif à ce sujet. L’attitude de Gandhi vis-à-vis des Dalits, cohérente avec ses idées élitistes en général, était paternaliste. Il voulait les libérer, non qu’ils se libèrent eux-mêmes. Il en vint même à se mettre en grève de la faim pour que les Dalits n’aient pas de siège au parlement indien, bien qu’il soutînt le droit des autres minorités à y siéger. En effet, Gandhi soutenait la structure sociale hindoue. Il voulait l’améliorer graduellement, en retirant les barrières érigées contre l’accès des Dalits à l’égalité, mais il ne voulait pas défier la structure sociale elle-même.
Qui plus est, il mettait sans cesse en valeur les obligations des opprimés, sans faire l’équivalent du côté des Britanniques. Dans sa vision du monde, les droits des opprimés avaient moins d’importance que leur obéissance à son code de valeurs morales. Il n’est peut-être pas inopportun de remarquer que ce fils d’un haut bureaucrate d’un Etat princier expliquait que « nous ne sommes pas connus pour avoir partie liée avec des bandes de brigands ». Il n’a jamais abandonné son idée féodale selon laquelle les masses n’ont pas de droits propres, uniquement des devoirs.
Gandhi est aussi connu pour être très spirituel. C’est peut-être vrai. Mais quelles conséquences cela a-t-il eu pour l’Inde ? Ses idées sur la religion et la spiritualité, ainsi que le type d’Inde d’après l’indépendance qu’il voulait voir émerger, correspondait non pas à la longue association du sous-continent avec la science et le rationalisme, mais plutôt avec une certaine mise à l’écart exotique de l’Inde. Apparemment, Dieu était son ami proche. Il aimait à personnaliser cette relation, en disant souvent « Dieu m’a averti de… » pour que les autres lui obéissent. En outre, il utilisait les textes religieux pour propager l’idéalisme pacifiste, avec souvent des résultats tragiques, non pas comme moyen de mobiliser les masses. (D’autres leaders utilisaient parfois les textes religieux, mais pour susciter la résistance, non la passivité).
Il idéalisait l’existence paysanne et le village, plutôt que la modernisation et l’émancipation. Mais une Inde faite de millions de petits villages arriérés n’était pas la voie vers une terre de liberté et d’abondance. Un aspect de son aura spirituelle et religieuse est son prêche pour l’abstinence. Cela permettait de consolider le puritanisme moral. Mais cela avait aussi un côté dégoûtant. Par exemple, à la fin de sa vie, Gandhi commença à coucher avec des jeunes femmes et de très jeunes filles – en prétendant qu’il s’agissait pour lui de tester ses « résolutions platoniques ».
En tant que sergent major, Gandhi a remporté des médailles à la guerre des Boers et, quatre ans plus tard, durant la guerre anglo-zouloue. Il a donné sa bénédiction à une sorte de prince, le nawab de Malerkotla, qui avait donné l’ordre de fusiller dix musulmans pour chaque hindou tué sur son territoire. Et, lors d’une réunion de prière, en juin 1947, quelques mois avant sa mort, il a déclaré : « Si nous avions la bombe atomique, nous l’aurions utilisée contre les Britanniques. » La non violence de Gandhi est surtout liée à l’idée que l’on ne doit pas faire de révolution prolétarienne...
Appartenant à une caste supérieure, il s’opposait à une proposition des autorités britanniques d’accorder aux « intouchables » (la plus basse classe sociale) un statut électoral séparé afin que leurs intérêts puissent être mieux représentés. Son jeûne était censé durer jusqu’à la mort. Il a duré cinq jours, c’est-à-dire jusqu’à ce que les dirigeants hindous aient fait pression sur le leader des intouchables pour qu’il refuse les réformes britanniques.
Sur les autres plans aussi, Gandhi a propagé sciemment une mythologie de sa personne...Il a toujours été pratiquement impossible de toucher à son image. Quand on a appris qu’il « autorisait » des adolescentes de son ashram à dormir nues avec lui (et des milliers d’entre elles se disputaient ce privilège), on nous a expliqué qu’il s’agissait d’une façon de « mettre son vœu de chasteté à l’épreuve ». On sait également qu’au nom de sa cause, il devait endurer nu les massages que lui faisaient subir ces mêmes filles pendant une heure chaque jour. Elles lui administraient également un lavement d’eau salée quotidien.
Sa conception de la place des femmes, comme celle des enfants, ou encore celle des exploités ou des opprimés est très loin de la non violence proclamée…
Voici par exemple une manière d’éduquer les jeunes de la communauté qu’il dirige en utilisant le jeûne comme moyen de chantage pour imposer ses choix à ces jeunes.