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1956, la gauche française, élue sur le programme de paix en Algérie, lance une nouvelle guerre coloniale

lundi 18 mai 2015, par Robert Paris

Guy Mollet et Mitterrand

Mitterrand met en place la guerre, l’intervention militaire sans limite et la torture en Algérie

Voilà les hauts faits d’armes de ces hommes politiques :

Les élections anticipées en France donnent une majorité relative au Front républicain (gauche soutenue par le PCF sous le programme "paix en Algérie"). Le nouveau président du Conseil, Guy Mollet, s’est initialement dit partisan de l’indépendance, et même de l’indépendance rapide. Mais, sous prétexte de la journée dite des tomates et de la difficulté d’obtenir une majorité parlementaire sur l’Algérie, il modifie sa position vers le triptyque « cessez-le-feu, élections, négociations », puis vers la répression massive et violente contre le FLN et l’attaque de ses soutiens extérieurs (crise de Suez) continue.

Le 12 mars, le gouvernement Mollet fait voter la loi sur les « pouvoirs spéciaux » de l’armée. Cette dernière prend de plus en plus de pouvoirs jusque-là tenus par des civils (police, justice). Elle est adoptée par la plupart des groupes parlementaires, du Parti communiste au Centre national des indépendants et paysans (le plus grand parti de droite à l’époque).

Le 11 avril, alors que l’Assemblée algérienne est dissoute, de nouveaux soldats du contingent sont envoyés. Il y a 400 000 soldats en juillet 1956 contre 200 000 en janvier 1956. Dès janvier 1957 ces "pouvoirs spéciaux" serviront à cautionner la guerre très spéciale avec usage systématique de la torture par les paras. François Mitterrand cautionne la violence de masse et la torture en écrivant : « Sans l’Afrique, il n’y aura pas d’histoire de France au XXIe siècle. »

Il rajoute : "En s’attaquant à nos compatriotes Algériens, les meurtriers et les émeutiers ont dressé contre eux la force française. Cette force défendra la justice, en maintenant l’unité nationale, en protégeant ceux qui travaillent et ceux qui peinent, en rétablissant la paix civique. L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne. Le seul arbitre des différents entre les citoyens, c’est l’État. Le seul responsable de l’ordre, c’est l’État et il ne peut y avoir d’autre juge que lui et d’autres autorités que la sienne lorsque l’unité nationale est en jeu."

En 1956, Mitterrand soutient Guy Mollet contre Mendès-France, obtient le ministère de la Justice, couvre la répression en Algérie, et place la justice sous l’autorité de l’armée dans les départements algériens. Ce qui a pour but entre autre de permettre a l’armée de torturer les prisonniers.

« J’adresse ce message à tous les membres de nos forces armées, qu’ils appartiennent aux troupes métropolitaines ou à celles de l’union françaises. Après tant d’autres, de nouveaux efforts, de nouveaux sacrifices vous sont demandés. Vous jouez un rôle essentiel, vous devez être conscients de son caractère décisif, le maintien de notre indépendance, le rayonnement de notre civilisation sont en jeu. »

François Mitterrand a approuvé plus de trente exécutions capitales de militants du FLN entre 1956 et 1957 pendant la guerre d’Algérie alors qu’il était garde des Sceaux. Mais il a fait bien plus : il a justifié et cautionné tous les crimes des forces armées commis sans aucun jugement.

Un tract est diffusé :

À bas la guerre d’Afrique du nord.

Chaque jour des soldats de nos contingents sont expédiés au Maroc ou en Algérie, plusieurs sont mariés, certains pères de famille. Demain cela sera peut-être notre tour.

Chaque jour, des jeunes de notre âge sont tués ou blessés grièvement. La Guerre d’Algérie a déjà ses veuves, ses orphelins, ses invalides.

Pourquoi ?

Même si nous ne partons pas nous-mêmes, les deux ans nous guettent.

Alors qu’en Angleterre, en Belgique, en Italie on réduit le temps de service et qu’il n’est partout question que de détente, pour nous cela sera encore 10 ou 15 mois d’inactivité, d’ennui, de temps perdu.

Ouvriers, au lieu d’apprendre un métier, nous oublions le nôtre. Étudiants, nous ne pouvons pas poursuivre nos études. Paysans, on a besoin de nous dans nos fermes. Disponibles nous venons de perdre des situations que nous avons souvent eues du mal à avoir.

On brise notre avenir, pour quelle cause ! ?

Ouvriers, étudiants, paysans, qu’avez-vous perdu à la paix en Indochine ? Vous-même, rien !

On vous dit que la négociation n’est pas possible avec les nationalistes, c’est un mensonge. Depuis l’autonomie interne Français et Tunisiens collaborent en paix. Pourquoi ne pas suivre la même voie ?

Officiers, sous-officiers de carrière, on veut déshonorer notre armée dans des besognes de très basses polices. Vous ne devez pas être les gardes-chiourmes méprisés et haïs d’un ordre injuste et périmé, étaient-ce là vos ambitions de jeunesse ?

Nous ne voulons pas de la Guerre d’Afrique du Nord !

Le Comité des officiers, sous-officiers, soldats, marins, aviateurs de la Région parisienne. »

Printemps et été 1956 - Guerre d’Algérie : les rappelés manifestaient contre leur départ

Il y a cinquante ans, le 11 avril 1956, le gouvernement du "socialiste" Guy Mollet décidait donc de rappeler 70000 soldats du contingent « disponibles » pour intensifier la guerre contre le peuple algérien en lutte pour son indépendance. Le service militaire passait de 18 mois à 27 mois. Cette décision allait soulever le mécontentement de ces « rappelés », soutenus par une partie de la population.

En août 1955, Edgar Faure avait déjà procédé au rappel de disponibles, provoquant les premières manifestations. Mais, incapable de sortir de la crise, le gouvernement d’Edgar Faure dut dissoudre l’Assemblée nationale le 2 décembre, provoquant de nouvelles élections en janvier 1956.

Le gouvernement socialiste de Guy Mollet intensifie la guerre

La coalition de « Front républicain », composée essentiellement de socialistes et de radicaux, gagna les élections avec 30% des voix et 170 députés, grâce à une campagne pour « la paix en Algérie ». Le dirigeant du Parti Socialiste Guy Mollet se retrouva à la tête du gouvernement avec le soutien du Parti Communiste (qui représentait 26% des voix et 150députés). Pourtant si Guy Mollet prétendait que « l’objectif de la France, la volonté du gouvernement c’est avant tout de rétablir la paix », il ajoutait également : « Dans l’immédiat, le potentiel militaire des forces déployées en Algérie ne peut encore être diminué. Les besoins des troupes seront satisfaits et leur relève assurée. » Mais le PCF fit comme s’il n’avait pas entendu.

Le 12 mars 1956, les pouvoirs spéciaux furent votés avec l’apport du PCF. Ce vote signifiait pourtant la suspension de toutes les libertés individuelles en Algérie et l’intensification de la répression. Un mois plus tard, le gouvernement Guy Mollet décidait de mobiliser les rappelés.

Les manifestations de rappelés dès avril 1956

Les manifestations de rappelés commencèrent dans les jours qui suivirent cette décision. La plupart de ces soldats avaient un travail et n’avaient aucune envie de quitter leur famille, ni de risquer de se faire tuer pour une guerre dont ils pensaient qu’elle ne les concernait pas. Ils bénéficiaient souvent du soutien d’une partie de la population. Parfois, dans une usine, quand un ouvrier recevait sa feuille de route, les ouvriers débrayaient en signe de protestation.

Comme en 1955, les rappelés tentaient de bloquer les trains, refusaient de monter, saccageaient la gare, insultaient les officiers et, une fois dans le train, tiraient les sonnettes d’alarme pour l’arrêter. Ce fut le cas le mercredi 18avril à Vauvert dans le Gard, où un millier de personnes bloquèrent l’autorail qui devait emmener les douze rappelés de la commune. Des faits similaires se produisirent le 3mai à Lésignan, le 10mai à Saint-Aignan-des-Noyers dans le Loir-et-Cher, le 17mai au Mans. Le 18mai, à Grenoble, des milliers de manifestants s’opposèrent au départ d’un train de rappelés. Le même jour, 700rappelés mettaient à sac la gare de Dreux aux cris de « Lacoste au poteau » (Lacoste était le ministre socialiste résident à Alger), « Mollet au poteau ».

Dans les ports aussi des mouvements eurent lieu, le 24mai au Havre, le 28mai à Saint-Nazaire où 8000 ouvriers débrayèrent et manifestèrent à la gare avec 200 rappelés du contingent. Et cela continua durant tout le mois de juin et au début juillet. Partout, on assistait à peu près au même scénario : des manifestants accompagnaient les rappelés en bloquant les voies, en coulant du ciment dans les aiguillages ou en décrochant les attelages des voitures. Souvent suivaient des affrontements avec les CRS.

Les casernes connurent aussi des troubles. Le 19 mai, les soldats rappelés du 92eRI forcèrent les grilles de la caserne de Montluçon à près de 800. Le même jour, à Évreux, cinq cents rappelés du 9erégiment d’infanterie coloniale manifestèrent dans les rues et à l’intérieur de la caserne aux cris de : « Pas d’envoi de disponibles ! », « Paix en Algérie ». Le 8 juillet encore, au camp de Mourmelon, trois mille rappelés conspuèrent leurs officiers et prirent le contrôle du camp et du dépôt d’armes.

Ces explosions étaient aussi brèves que soudaines, et les rappelés finissaient par partir. Hormis quelques rares cas de soldats qui refusèrent de combattre, ils se retrouvèrent pris dans l’engrenage de cette « sale guerre » coloniale. Et de 200000 hommes début 1956, les troupes en Algérie passèrent à 450000 en juillet 1956, et à 500000 en 1957.

Les rappelés livrés à eux-mêmes

Les rappelés se battaient sans soutien des syndicats, ni des partis. De ce fait, une fois l’explosion de colère passée, ils ne savaient pas quoi faire de plus. Certes, il se trouva nombre de militants ouvriers, de syndicalistes, de militants du Parti Communiste pour initier ces mouvements, et même pour les organiser. Mais ces militants étaient aussi livrés à eux-mêmes.

Ne parlons pas du Parti Socialiste qui était au pouvoir et dont le dirigeant, Guy Mollet, avait pris l’initiative d’intensifier la guerre. Mais le PCF, qui condamnait la guerre en parole, dans les colonnes de l’Humanité, n’entreprit rien pour gêner le gouvernement. Son vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, que le PCF justifia par la nécessité de préserver l’unité entre ouvriers communistes et socialistes, signifiait clairement qu’il comptait lui laisser carte blanche pour faire la guerre. En fait, le Parti Communiste voulait se préserver des chances pour gouverner à nouveau avec les socialistes.

Même sa propagande était limitée. Le PCF réclamait la « paix en Algérie », des « négociations pour un cessez-le-feu » et dénonçait la répression. L’Algérie était une « nation en formation ». Il parlait du « fait national algérien ». En un mot, il ne prenait pas clairement position pour l’indépendance immédiate et sans condition de l’Algérie. Le Parti Communiste ne chercha pas à appuyer les manifestations, à les coordonner, à donner des perspectives concrètes à tous ces militants qui tentaient de réagir comme ils le pouvaient. Ce faisant, il écœura nombre de militants ouvriers français, parmi les rappelés en particulier, qui se sentaient à juste titre « lâchés ».

Au plus fort des manifestations des rappelés, on pouvait lire dans l’Humanité daté du 30 mai 1956 : « Ce qu’il faut faire ? On l’entend journellement dans les gares, on le lit sur les murs : c’est négocier avec ceux qui peuvent faire taire les armes, avec ceux contre qui on se bat. Dans les jours à venir, des millions de Français s’emploieront à le faire savoir aux députés. » Voilà tout ce que proposait le PCF, l’organisation de délégations auprès de députés qui soutenaient Guy Mollet dans sa politique de répression !

Le Parti Communiste fit encore moins appel au reste de la classe ouvrière, qui seule pouvait paralyser l’effort de guerre. Là encore, il laissait les militants livrés à eux-mêmes.

Le PCF ne prit pas non plus d’initiatives en ce qui concernait la solidarité avec les travailleurs algériens en France, ou pour défendre les militants algériens contre la répression. Il laissa les travailleurs algériens réagir seuls, sans soutien des travailleurs français, contribuant à creuser le fossé entre travailleurs algériens et travailleurs français. Ce fut le cas le 5juillet 1956, lorsque les travailleurs algériens furent appelés à faire une journée de grève générale en Algérie et en France. L’Humanité en fit le compte rendu : 3000 ouvriers algériens en grève à Renault, 1100 chez Panhard, également à Citroën, à Chausson. La liste était longue, mais le PCF n’avait pas appelé les travailleurs français à les rejoindre dans cette grève. L’attitude générale de la CGT, liée au PCF, fut identique.

Le PCF, comme la CGT, ne firent vraiment rien pour tenter d’arrêter cette guerre coloniale. En s’appuyant sur cette mobilisation des mois de mai et juin 1956, il aurait pourtant peut-être été possible d’y parvenir. L’immense majorité des rappelés voulait simplement ne pas partir. Mais, avec le soutien du reste de la classe ouvrière, il y avait peut-être une possibilité d’empêcher l’impérialisme français de mener à bien la répression contre le peuple algérien. En tout cas, même si cette tentative n’avait pas été couronnée de succès, cela aurait au moins permis que les travailleurs algériens n’aient pas le sentiment de ne rien avoir à attendre de la classe ouvrière française.

Les grandes organisations se réclamant de la classe ouvrière se firent de fait les complices de l’impérialisme français.

Le 2 Mars 1956, le Bureau politique du P.C.F. publie une déclaration qui sera à la base de la lutte du P.C.F. à un moment où il escompte sortir de l’isolement : « Nous sommes pour l’existence et pour la permanence des liens politiques, économiques et culturels, particuliers entre la France st l’Algérie... »

En janvier 1956, la coalition de « Front républicain », composée essentiellement de socialistes et de radicaux, gagna les élections avec 30% des voix et 170 députés, grâce à une campagne pour « la paix en Algérie ». Le dirigeant du Parti Socialiste Guy Mollet se retrouva à la tête du gouvernement avec le soutien du Parti Communiste (qui représentait 26% des voix et 150députés). Pourtant si Guy Mollet prétendait que « l’objectif de la France, la volonté du gouvernement c’est avant tout de rétablir la paix », il ajoutait également : « Dans l’immédiat, le potentiel militaire des forces déployées en Algérie ne peut encore être diminué. Les besoins des troupes seront satisfaits et leur relève assurée. » Mais le PCF fit comme s’il n’avait pas entendu.

Le 12 mars 1956, les pouvoirs spéciaux furent votés avec l’apport du PCF. Ce vote signifiait pourtant la suspension de toutes les libertés individuelles en Algérie et l’intensification de la répression.

Le 11 avril 1956, le gouvernement du socialiste Guy Mollet décidait de rappeler 70000 soldats du contingent « disponibles » pour intensifier la guerre contre le peuple algérien en lutte pour son indépendance. Le service militaire passait de 18 mois à 27 mois.

Les manifestations de rappelés commencèrent dans les jours qui suivirent cette décision. La plupart de ces soldats avaient un travail et n’avaient aucune envie de quitter leur famille, ni de risquer de se faire tuer pour une guerre dont ils pensaient qu’elle ne les concernait pas. Ils bénéficiaient souvent du soutien d’une partie de la population. Parfois, dans une usine, quand un ouvrier recevait sa feuille de route, les ouvriers débrayaient en signe de protestation.

Comme en 1955, les rappelés tentaient de bloquer les trains, refusaient de monter, saccageaient la gare, insultaient les officiers et, une fois dans le train, tiraient les sonnettes d’alarme pour l’arrêter. Ce fut le cas le mercredi 18avril à Vauvert dans le Gard, où un millier de personnes bloquèrent l’autorail qui devait emmener les douze rappelés de la commune. Des faits similaires se produisirent le 3mai à Lésignan, le 10mai à Saint-Aignan-des-Noyers dans le Loir-et-Cher, le 17mai au Mans. Le 18mai, à Grenoble, des milliers de manifestants s’opposèrent au départ d’un train de rappelés. Le même jour, 700rappelés mettaient à sac la gare de Dreux aux cris de « Lacoste au poteau » (Lacoste était le ministre socialiste résident à Alger), « Mollet au poteau ».

Dans les ports aussi des mouvements eurent lieu, le 24 mai au Havre, le 28 mai à Saint-Nazaire où 8000 ouvriers débrayèrent et manifestèrent à la gare avec 200 rappelés du contingent. Et cela continua durant tout le mois de juin et au début juillet. Partout, on assistait à peu près au même scénario : des manifestants accompagnaient les rappelés en bloquant les voies, en coulant du ciment dans les aiguillages ou en décrochant les attelages des voitures. Souvent suivaient des affrontements avec les CRS.

Les casernes connurent aussi des troubles. Le 19 mai, les soldats rappelés du 92e RI forcèrent les grilles de la caserne de Montluçon à près de 800. Le même jour, à Évreux, cinq cents rappelés du 9erégiment d’infanterie coloniale manifestèrent dans les rues et à l’intérieur de la caserne aux cris de : « Pas d’envoi de disponibles ! », « Paix en Algérie ». Le 8 juillet encore, au camp de Mourmelon, trois mille rappelés conspuèrent leurs officiers et prirent le contrôle du camp et du dépôt d’armes.

Ces explosions étaient aussi brèves que soudaines, et les rappelés finissaient par partir. Hormis quelques rares cas de soldats qui refusèrent de combattre, ils se retrouvèrent pris dans l’engrenage de cette « sale guerre » coloniale. Et de 200000 hommes début 1956, les troupes en Algérie passèrent à 450000 en juillet 1956, et à 500000 en 1957.

Les rappelés se battaient sans soutien des syndicats, ni des partis. De ce fait, une fois l’explosion de colère passée, ils ne savaient pas quoi faire de plus. Certes, il se trouva nombre de militants ouvriers, de syndicalistes, de militants du Parti Communiste pour initier ces mouvements, et même pour les organiser. Mais ces militants étaient aussi livrés à eux-mêmes.

Ne parlons pas du Parti Socialiste qui était au pouvoir et dont le dirigeant, Guy Mollet, avait pris l’initiative d’intensifier la guerre. Mais le PCF, qui condamnait la guerre en parole, dans les colonnes de l’Humanité, n’entreprit rien pour gêner le gouvernement. Son vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, que le PCF justifia par la nécessité de préserver l’unité entre ouvriers communistes et socialistes, signifiait clairement qu’il comptait lui laisser carte blanche pour faire la guerre. En fait, le Parti Communiste voulait se préserver des chances pour gouverner à nouveau avec les socialistes.

Même sa propagande était limitée. Le PCF réclamait la « paix en Algérie », des « négociations pour un cessez-le-feu » et dénonçait la répression. L’Algérie était une « nation en formation ». Il parlait du « fait national algérien ». En un mot, il ne prenait pas clairement position pour l’indépendance immédiate et sans condition de l’Algérie. Le Parti Communiste ne chercha pas à appuyer les manifestations, à les coordonner, à donner des perspectives concrètes à tous ces militants qui tentaient de réagir comme ils le pouvaient. Ce faisant, il écœura nombre de militants ouvriers français, parmi les rappelés en particulier, qui se sentaient à juste titre « lâchés ».

Au plus fort des manifestations des rappelés, on pouvait lire dans l’Humanité daté du 30 mai 1956 : « Ce qu’il faut faire ? On l’entend journellement dans les gares, on le lit sur les murs : c’est négocier avec ceux qui peuvent faire taire les armes, avec ceux contre qui on se bat. Dans les jours à venir, des millions de Français s’emploieront à le faire savoir aux députés. » Voilà tout ce que proposait le PCF, l’organisation de délégations auprès de députés qui soutenaient Guy Mollet dans sa politique de répression !

Le Parti Communiste fit encore moins appel au reste de la classe ouvrière, qui seule pouvait paralyser l’effort de guerre. Là encore, il laissait les militants livrés à eux-mêmes.

Le PCF ne prit pas non plus d’initiatives en ce qui concernait la solidarité avec les travailleurs algériens en France, ou pour défendre les militants algériens contre la répression. Il laissa les travailleurs algériens réagir seuls, sans soutien des travailleurs français, contribuant à creuser le fossé entre travailleurs algériens et travailleurs français. Ce fut le cas le 5juillet 1956, lorsque les travailleurs algériens furent appelés à faire une journée de grève générale en Algérie et en France. L’Humanité en fit le compte rendu : 3000 ouvriers algériens en grève à Renault, 1100 chez Panhard, également à Citroën, à Chausson. La liste était longue, mais le PCF n’avait pas appelé les travailleurs français à les rejoindre dans cette grève. L’attitude générale de la CGT, liée au PCF, fut identique.

Dans son discours à l’Assemblée du 20 Mars 1957, L. Casanova résume clairement cette politique : « Notre parti tient compte des données de fait complémentaires que voici, d’abord l’existence entre la France et l’Algérie de liens historiques concrets. Ensuite, la présence sur le sol d’Afrique, depuis plusieurs générations d’une population algérienne d’origine française et européenne dont les intérêts n’ont rien à voir avec le colonialisme. Enfin, l’assistance dont les peuples nouvellement émancipés ont besoin pour combler le retard que le régime colonial leur a imposé ».

A partir de telles prémisses, le P.C.F. se prononce (Fajon, 13-4-56) « pour l’existence de liens durables entre la France et l’Algérie dans l’ordre politique, économique et culture ! au sein d’une véritable Union Française ».

En 1956, dans les Cahiers du Communisme, L. Feix explicite les fondements doctrinaux de l’attitude du P.C.F. :

« Certains dirigeants nationalistes préconisent la fusion des trois pays au sein d’un Maghreb arabe ou musulman, lié à tous les pays arabes ou musulmans, depuis le Maroc jusqu’au Pakistan. C’est là une vieille idée de la Ligue arabe, reprise et impulsée par les milieux bourgeois dirigeants du Caire et de Karachi... Voilà longtemps que Lénine et Staline ont montré le caractère forcément réactionnaire des courants basés sur la race ou la religion. Il est tout naturel que les Algériens, les Tunisiens, les Marocains éprouvent les uns pour les autres des sentiments fraternels. Il est également naturel qu’ils éprouvent une grande sympathie pour les peuples du Proche et du Moyen-Orient, tant en raison de la communauté de religion et de la similitude de langue, que du soutien qu’ils ont reçu de ces peuples au cours de ces dernières années. Mais cela ne justifie pas une communauté politique contre laquelle jouent tant d’éléments historiques, géographiques, économiques et autres. Une autre voie est possible ou mieux, encore possible, pour les peuples d’Afrique du Nord : la voie de l’Union Française ».

« S’il est possible pour les Français en Alsace et en Lorraine d’avoir un statut religieux spécial... pourquoi l’ayant admis une fois dans l’esprit de l’unité française, ne pourrions-nous le consentir pour la même raison aux musulmans d’Algérie ? »

« Unir tous les hommes qui veulent vivre libres... tous les Français de France et tous les Français d’Algérie, les Français naturalisés, les israélites et vous aussi les musulmans arabes et berbères, tous les fils unis par le sang, du moins par le cœur de la grande révolution française ».

« Le droit au divorce n’entraîne pas l’obligation de divorcer », affirme M. Thorez qui conclut à la nécessité de l’union.

Le PCF, comme la CGT, ne firent vraiment rien pour tenter d’arrêter cette guerre coloniale. En s’appuyant sur cette mobilisation des mois de mai et juin 1956, il aurait pourtant peut-être été possible d’y parvenir. L’immense majorité des rappelés voulait simplement ne pas partir. Mais, avec le soutien du reste de la classe ouvrière, il y avait peut-être une possibilité d’empêcher l’impérialisme français de mener à bien la répression contre le peuple algérien. En tout cas, même si cette tentative n’avait pas été couronnée de succès, cela aurait au moins permis que les travailleurs algériens n’aient pas le sentiment de ne rien avoir à attendre de la classe ouvrière française.

Les grandes organisations se réclamant de la classe ouvrière se firent de fait une fois de plus les complices de l’impérialisme français.

Messages

  • La première explosion de lutte de classe provoquée par la guerre, ce fut une vague de mutineries de soldats qui refusaient d’aller en Algérie ; dans beaucoup de cas, ils étaient appuyés par des grèves ouvrières. Ces manifestations, qui ont commencé en septembre 1955, moins d’un an après les premières attaques de guérilla du FLN, et ont duré à peu près jusqu’à juin 1956, ont touché des dizaines de villes françaises grandes et moyennes, impliquant souvent des centaines d’ouvriers dans des batailles rangées avec la police.

    Une des premières révoltes de soldats, et parmi les plus importantes, eut lieu à Rouen. Le 6 octobre 1955, il y eut une révolte de 600 soldats en bivouac à la caserne Richepanse, à Petit-Quevilly, sur le point d’être envoyés en Algérie. Ils chassèrent leurs officiers, mirent à sac leurs baraquements et barricadèrent les entrées. Le jour suivant, les dockers, les cheminots et d’autres ouvriers des usines environnantes, répondant à un tract distribué par la jeunesse du PCF et des syndicalistes de la CGT, se mirent en grève en soutien aux soldats. Lorsque les CRS essayèrent de reprendre la caserne, plusieurs milliers d’ouvriers les encerclèrent et firent pleuvoir des briques sur eux. Les affrontements se poursuivirent tard dans la nuit. Des tas de flics blessés étaient évacués des lieux, et 60 cars de CRS durent être dépêchés en renfort depuis d’autres villes.

    Au printemps 1956, les grèves de 24 heures contre la guerre commençaient à toucher des villes et des régions entières, surtout dans les régions minières, où il y avait une part importante d’ouvriers algériens parmi la main-d’oeuvre. Le 30 avril 1956, des ouvriers en grève, manifestant contre la guerre, paralysèrent la ville minière de Firminy pendant 24 heures. Le 9 mai, dans toute la région de la Loire, 9.000 mineurs débrayaient pendant 24 heures contre la guerre d’Algérie et pour des augmentations de salaire. Le 20 mai, Saint-Julien était paralysé par une grève d’une journée contre la guerre. Et une semaine plus tard, quelque 10.000 mineurs du bassin minier du Gard dans le sud de la France firent 24 heures de grève, appelant à un « cessez-le-feu » en Algérie, en plus de leurs revendications salariales.

    Le seul livre ou presque qui daigne mentionner un minimum ce mouvement sans précédent c’est la Guerre d’Algérie (1981) du PCF, en trois tomes, édité par Henri Alleg, ancien dirigeant du Parti communiste algérien. Mais Alleg ne cite les manifestations que pour mieux argumenter qu’elles avaient « une valeur surtout symbolique », « une ampleur limitée », et qu’elles « ont eu souvent une durée très limitée », que « les effectifs rassemblés sont souvent très limités ». En réalité, les dirigeants staliniens firent tout leur possible – dans le cadre de leur soutien au gouvernement de front populaire dirigé par les socialistes qui était en train d’intensifier brutalement la guerre –– pour empêcher les révoltes de soldats et d’ouvriers contre leurs officiers de se transformer en une lutte consciente contre le gouvernement, ce qui aurait pu conduire à une situation révolutionnaire. L’Humanité, journal du PCF, se contentait de publier une sorte d’encadré style « résultat des courses », en pages intérieures, contenant un résumé laconique des révoltes de la journée précédente (bien souvent, les militants du PCF n’entendaient parler des manifestations des villes voisines que lorsqu’ils étaient arrêtés et se retrouvaient en prison avec leurs camarades d’autres villes). Personne n’a essayé d’écrire l’histoire de cette formidable explosion de lutte de classe. En fait les seules traces écrites que nous ayons –– en attendant que les archives de la police et du PCF soient accessibles –– ce sont de brèves allusions dans l’Humanité et dans la presse bourgeoise, ainsi que des anecdotes publiées par d’anciens participants (la plus grande partie de ce que j’ai appris sur les événements de Rouen vient d’interviews avec un ancien participant, qui m’a donné des copies de vieilles coupures de journaux et des tracts).

    Les dirigeants de la classe ouvrière étant ceux qui soit directement menaient la guerre, soit soutenaient le gouvernement, les manifestations de soldats et d’ouvriers s’étiolèrent, mais les grèves sur des revendications économiques continuèrent de monter en flèche. En 1957, le nombre de grèves était supérieur à tout ce qu’il y avait eu depuis 1936, l’année de la grève générale (Edward Shorter et Charles Tilly, Strikes in France, 1830-1968 [Les grèves en France, 1830-1968], 1974). Il y avait une participation importante d’ouvriers algériens (qui étaient près d’un demi-million en France à la fin de la guerre), potentiellement un pont humain vers la lutte de classe en Algérie. Même le journal du PCF admettait que « les ouvriers algériens sont parmi les plus combatifs dans les luttes communes » (l’Algérien en France, octobre 1956).

    Pendant ce temps-là, l’Algérie était parcourue par une vague de grèves sans précédent, particulièrement des puissants dockers, qui paralysèrent le pays à plusieurs reprises (à part quelques références d’Alleg, il n’en est fait mention dans aucune des histoires de la guerre d’Algérie, y compris celles écrites par des nationalistes algériens). En décembre 1954, six semaines après les premières attaques de guérilla du FLN, les dockers d’Oran, parmi lesquels il y avait une forte minorité d’ouvriers d’origine européenne, refusaient de décharger des cargaisons d’armes destinées à l’armée française. Lorsque les dockers d’Oran furent lock-outés, les dockers d’Alger se mirent en grève en solidarité. En juin 1955, la police française attaqua une réunion syndicale à Philippeville [Skikda] et arrêta trois dirigeants syndicaux, provoquant une grève nationale des dockers qui paralysa tous les ports du pays pour plusieurs jours. En juillet 1956, le FLN et l’UGTA, la fédération syndicale qu’il venait de former et qu’il dirigeait, appelèrent à une grève générale de 24 heures pour marquer l’anniversaire de l’intervention coloniale française de 1830. Malgré l’explosion d’une bombe terroriste au quartier général de l’UGTA et l’arrestation de la direction de l’UGTA toute entière, ce fut la plus grande grève que l’Algérie ait jamais vue, démontrant clairement la puissance sociale de la classe ouvrière de ce pays, malgré sa taille relativement petite. Chose intéressante, la grève mobilisa aussi un nombre significatif d’ouvriers d’origine européenne. Des milliers d’ouvriers furent licenciés pour avoir participé à cette grève, y compris bon nombre d’ouvriers juifs et d’ouvriers d’origine européenne (l’Algérien en France, août 1956).

    Les ouvriers algériens continuèrent à se battre pendant tout l’automne de 1956. Le 10 août, une grève des dockers d’Alger contre un attentat terroriste dans la Casbah dura plusieurs jours et se transforma en grève générale de la capitale. Le 1er novembre 1956, jour anniversaire du début de l’insurrection du FLN, une grève générale appelée par l’UGTA paralysa la presque totalité du pays (et les ouvriers tunisiens s’y joignirent). Finalement, en janvier 1957, le FLN lança une grève générale catastrophique d’une semaine, tentative illusoire (et vaine) d’influencer un débat sur l’Algérie programmé à l’ONU. Le premier ministre socialiste, Guy Mollet, venait de donner à l’armée française les pleins pouvoirs en Algérie (par le décret des Pouvoirs spéciaux qui était passé avec le soutien du PCF), et la grève fut brutalement écrasée. Dans la vague de terreur qui s’ensuivit pendant plusieurs mois, et qui est connue sous le nom de « Bataille d’Alger », des milliers de personnes furent arrêtées, battues et torturées. Le FLN, bien que momentanément déraciné dans la capitale, allait continuer la lutte de guérilla dans les campagnes. Mais l’UGTA avait été écrasée. Durant le reste de la guerre d’indépendance, la classe ouvrière algérienne participera à bon nombre de grèves nationales appelées par le FLN, mais seulement en tant que partie du « peuple » sous une direction nationaliste petite-bourgeoise, et non plus comme une force de classe séparée avec ses propres organisations de masse.

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