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Révolutions prolétariennes
samedi 26 juin 2010, par
LA REVOLUTION RUSSE DE 1917
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Europe
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Textes de la révolution d’octobre 1917
La révolution russe vue par le général contre-révolutionnaire Dénikine
La révolution russe de 1905, vue par Léon Trotsky
La révolution russe de 1917, vue par Léon Trotsky
Défense de la révolution d’octobre par Léon Trotsky
Léon Trotsky
De la révolution bourgeoise à la révolution prolétarienne
"La Commune de Paris (1871) est la première tentative de la révolution prolétarienne pour briser la machine d’Etat bourgeoise. Elle est la forme politique enfin trouvée par quoi l’on peut et l’on doit remplacer ce qui a été brisé." Lénine dans "L’Etat et la révolution".
« Où en est la révolution ?
« De nombreux ouvriers « avancés », qui voient bien où mène la politique dite de « libération » (collaboration des classes), prennent cependant prétexte de l’ « incompréhension » et de la passivité des ouvriers du rang (que ne peuvent nier que des gens à œillères) pour rester passifs à leur tour : « les ouvriers ne comprennent pas –disent-ils -, la révolution n’est pas pour demain ». (...) Mais, en réalité, la guerre a profondément ébranlé la domination de la bourgeoisie, non seulement en Europe (où les bouleversements et la chute du niveau de vie ont été relativement les plus sensibles), mais aussi sur tout le globe. En effet, l’impérialisme ébranle constamment les cadres dans lesquels s’exerce la domination de la bourgeoisie. (...) Et les crises continuelles de ce régime fauteur de misère et de guerres ne laissent aucun répit aux masses, les poussant ainsi infailliblement, fatalement, à des explosions révolutionnaires pour renverser la bourgeoisie. »
« L’expérience des quarante dernières années ne montre-t-elle pas que l’impérialisme, avec ses guerres, engendre inévitablement la guerre civile des masses contre le capitalisme ? Les luttes révolutionnaires commencées en Russie en 1905 à la suite de la guerre russo-japonaise et qui reprirent en 1917 pendant la première guerre mondiale pour déferler sur tous les pays belligérants (Allemagne 1919, Autriche-Hongrie en 1918, France en 1917-1919 et les Révolutions d’après-guerre en Hongrie (1919), en Italie (1922) en Allemagne et en Bulgarie (1923), en Chine (1927), et celles qui ont précédé la présente guerre, en Espagne (1933-1939), en Autriche (1934), en France (1934-1938), n’ont-elles pas prouvé qu’on ne peut accuser les masses de la situation terrible où nous sommes actuellement ? »
« Les masses ont montré qu’elles savent lutter et mourir pour leur cause ; mais elles ne peuvent entrer en lutte à n’importe quel moment et dans n’importe quelles conditions. »
Albert Mathieu, dit Barta
dans la revue « Lutte des classes » organe de l’Union Communiste Internationaliste (4 août 1944)
« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours (ou plus exactement l’histoire écrite) n’a été que l’histoire de la lutte des classes. (...) Toutes les sociétés antérieures, nous l’avons vu, ont reposé sur l’antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. (...) Le but immédiat des communistes est (...) : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat. Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. »
Karl Marx et Friedrich Engels
Dans « Le Manifeste du Parti communiste » (1848)
Les révolutions de 1848 et le prolétariat
K. Marx
« Les révolutions de 1848 furent des épisodes, de tout petits craquements, de toutes petites déchirures dans l’écorce solide de la société bourgeoise. Mais elles dévoilèrent l’abîme que recouvrait cette écorce, sous laquelle bouillonnait un océan sans fin capable, une fois déchaîné, d’emporter des continents entiers. Elles annoncèrent à grand fracas l’émancipation du prolétariat, secret du XIXème siècle et de sa révolution.
Cette révolution, il est vrai, ne fut pas une trouvaille de l’année 1848. La vapeur, l’électricité et les inventions diverses avaient un caractère révolutionnaire autrement dangereux que les bourgeois Barbès, Raspail et Blanqui. Mais sentons-nous l’atmosphère que nous respirons et qui pourtant pèse sur nous d’un poids de 10.000 kilos ? La société européenne de 1848 ne sentait pas davantage l’atmosphère révolutionnaire qui la baignait et pesait sur elle de toutes parts.
Il est un fait important qui caractérise le XIXème siècle et qu’aucun parti ne saurait nier. D’un côté, ce siècle a vu naître des forces industrielles et scientifiques qu’on n’aurait pas même pu imaginer à une époque antérieure. D’autre part, les signes se multiplient d’une déchéance telle qu’elle éclipsera même la fameuse décadence des dernières années de l’empire romain.
De notre temps, toute chose parait grosse de son contraire. La machine qui possède le don prodigieux d’agréger et de féconder le travail humain, entraîne la faim et l’excès de travail. Les nouvelles forces de richesse que l’homme vient d’acquérir se transforment, par un caprice étrange du sort, en sources de misère. On dirait que chaque victoire de l’art se paie par une perte de caractère.
L’humanité acquiert la maîtrise de la nature, mais, en même temps, l’homme devient l’esclave des hommes et de sa propre infamie. La pure lumière de la science elle-même semble avoir besoin, pour resplendir, du contraste de l’ignorance. Toutes nos découvertes et tout notre progrès ont pour résultat, semble-t-il, de doter les forces matérielles d’une vie intelligente et de ravaler l’homme au niveau d’une simple force matérielle. Cet antagonisme entre la science et l’industrie modernes d’une part, la misère et la décadence modernes de l’autre, cette contradiction entre les forces productives et les conditions sociales de notre époque est un fait, un fait paient, indéniable, écrasant. Certains partis peuvent en gémir, d’autres souhaiter l’anéantissement des découvertes modernes pour se délivrer par là-même des conflits actuels. Libre à eux d’imaginer qu’un progrès aussi marqué en économie doit, pour être complet, s’accompagner d’une régression non moins marquée en politique. Quant à nous, nous ne voulons pas méconnaître l’esprit solide qui travaille activement à dénouer toutes ces contradictions. Nous savons que les nouvelles forces de la société n’ont besoin, pour faire œuvre utile, que de nouveaux hommes. Ces hommes, ce sont les ouvriers.
Les ouvriers sont le produit de l’époque actuelle en même temps que la machine elle-même. Aux signes qui mettent en émoi la bourgeoisie, l’aristocratie et les malheureux prophètes de la réaction, nous reconnaissons notre vieil ami, notre Robin Hood à nous, notre vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement : la Révolution. Les ouvriers anglais sont les premiers-nés de l’industrie moderne. Ils ne seront sûrement pas les derniers à appeler la révolution sociale, elle aussi fille de cette même industrie, révolution qui sera la libération de toute leur classe dans le monde entier et qui sera aussi internationale que l’est la domination du capital et l’esclavage du salariat. Je sais que la lutte héroïque soutenue par les ouvriers d’Angleterre depuis le milieu du siècle dernier, lutte qui n’a pas eu l’auréole de la gloire, car les historiens bourgeois l’ont laissée dans l’ombre et passée sous silence. Au moyen âge, il y avait en Allemagne un tribunal secret, la " Sainte-Vehme ", qui vengeait tous les méfaits commis par des puissants. Quand on voyait une croix rouge sur une maison, on savait que son propriétaire aurait affaire à la Sainte-Vehme. Aujourd’hui, la croix rouge mystérieuse marque toutes les maisons d’Europe. L’histoire elle-même rend la justice, et le prolétariat exécutera la sentence. »
Leçon de la révolution de 1848 : l’indépendance indispensable du prolétariat
« (...) Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite (...), il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu’à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays régnants du monde l’association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives décisives. Il ne peut s’agir pour nous de transformer la propriété privée, mais Seulement de 1’anéantir ; ni de masquer les antagonismes de classes, mais d’abolir les classes ; ni d’améliorer la société existante, mais d’en fonder une nouvelle. (...)
« Leurs efforts doivent tendre à ce que l’effervescence révolutionnaire directe ne soit pas une nouvelle fois réprimée aussitôt après la victoire. Il faut, au contraire, qu’ils la maintiennent le plus longtemps possible. Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction. Pendant et après la lutte, les ouvriers doivent en toute occasion formuler leurs propres revendications à côté de celles des démocrates bourgeois. Ils doivent exiger des garanties pour les ouvriers, dès que les bourgeois démocratiques se disposent à prendre le gouvernement en main. Il faut au besoin qu’ils obtiennent ces garanties de haute lutte et s’arrangent en somme pour obliger les nouveaux gouvernants à toutes les concessions et promesses possibles ; c’est le plus sûr moyen de les compromettre. Il faut qu’ils s’efforcent, par tous les moyens et autant que faire se peut, de contenir la jubilation suscitée par le nouvel état de choses et l’état d’ivresse, conséquence de toute victoire remportée dans une bataille de rue, en jugeant avec calme et sang-froid la situation et en affectant à l’égard du nouveau gouvernement une méfiance non déguisée. Il faut qu’à côté des nouveaux gouvernements officiels ils établissent aussitôt leurs propres gouvernements ouvriers révolutionnaires, soit sous forme d’autonomies administratives locales ou de conseils municipaux, soit sous forme de clubs ou comités ouvriers, de façon que les gouvernements démocratiques bourgeois non seulement s’aliènent aussitôt l’appui des ouvriers, mais se voient, dès le début, surveillés et menacés par des autorités qui ont derrière elles toute la masse des ouvriers. En un mot, dès les premiers instants de la victoire, on ne doit plus tant se défier des partis réactionnaires vaincus que des anciens alliés des ouvriers, que du parti qui cherche à exploiter la victoire pour lui seul. (...) »
« Les ouvriers doivent se placer non sous la tutelle de l’autorité de l’Etat mais sous celle des conseils révolutionnaires de communautés que les ouvriers auront pu faire adopter. Les armes et les munitions ne devront être rendues sous aucun prétexte. (...) »
« Ils doivent pousser à l’extrême les propositions des démocrates qui, en tout cas, ne se montreront pas révolutionnaires, mais simplement réformistes, et transformer ces propositions en attaques directes contre la propriété privée. Si, par exemple, les petits bourgeois proposent de racheter les chemins de fer et les usines, les ouvriers doivent exiger que ces chemins de fer et ces usines soient simplement et sans indemnité confisqués par l’Etat en tant que propriété de réactionnaires. Si les démocrates proposent l’impôt proportionnel, les ouvriers réclament l’impôt progressif. Si les démocrates proposent eux-mêmes un impôt progressif modéré, les ouvriers exigent un impôt dont les échelons montent assez vite pour que le gros capital s’en trouve compromis. Si les démocrates réclament la régularisation de la dette publique, les ouvriers réclament la faillite de l’Etat. Les revendications des ouvriers devront donc se régler partout sur les concessions et les mesures des démocrates. »
« Ils (les ouvriers) contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner—par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques—de l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : La révolution en permanence ! »
Karl Marx et Friedrich Engels
dans « Adresse du Comité Central à la Ligue des communistes » (1850)
La guerre civile en France de 1871
« La classe ouvrière n’espérait pas de miracle de la Commune. Elle n’a pas d’utopie toute faite à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle, cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances et les hommes. Elle n’a pas à réaliser d’idéal mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vielle société bourgeoise qui s’effondre. (...) Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains ; quand de simples ouvriers, pour la première fois, osèrent toucher au privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels », les possédants, et, dans des circonstances d’une difficulté sans exemple, accomplir leur ouvre modestement, consciencieusement, et efficacement (...) le vieux monde se tendit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la république du travail, flottant sur l’Hôtel de ville. Et pourtant, c’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris (...) Cette fraction de la classe moyenne sentait qu’il n’y avait plus qu’une alternative, la Commune ou l’empire, sous quelque nom qu’il pu reparaître. (...) La grande mesure sociale de la Commune, ce fût son existence et son action. »
Karl Marx dans « La guerre civile en France de 1871 »
La Russie révolutionnaire en 1905
« Notre grand avantage en 1905, à l’époque du prologue révolutionnaire, fut en ceci que nous autres, marxistes, étions dès lors armés dune méthode scientifique pour l’étude de l’évolution historique. Cela nous permettait d’établir une explication théorique des relations sociales que le mouvement de l’histoire ne nous présentait que par indices et allusions. Déjà, la grève chaotique de juillet 1903, dans le Midi de la Russie, nous avait fourni l’occasion de conclure que la méthode essentielle de la révolution russe serait une grève générale du prolétariat, transformée bientôt en insurrection. Les événements du 9 janvier, en confirmant d’une manière éclatante ces prévisions, nous amenèrent à poser en termes concrets la question du pouvoir révolutionnaire. Dès ce moment, dans les rangs de la social-démocratie russe, on se demande et on recherche activement quelle est la nature de la révolution russe et quelle est sa dynamique intérieure de classe. C’est précisément dans l’intervalle qui sépare le 9 janvier de la grève d’octobre 1905 que l’auteur arriva à concevoir le développement révolutionnaire de la Russie sous l’aspect qui fut ensuite fixé par la théorie dite de la " révolution permanente ". Cette désignation quelque peu abstruse voulait exprimer que la révolution russe, qui devait d’abord envisager, dans son avenir le plus immédiat, certaines fins bourgeoises, ne pourrait toutefois s’arrêter là. La révolution ne résoudrait les problèmes bourgeois qui se présentaient à elle en premier lieu qu’en portant au pouvoir le prolétariat. Et lorsque celui ci se serait emparé du pouvoir, il ne pourrait s’en tenir aux limites d’une révolution bourgeoise. Tout au contraire et précisément pour assurer sa victoire définitive, l’avant garde prolétarienne devrait, dès les premiers jours de sa domination, pénétrer profondément dans les domaines interdits de la propriété aussi bien bourgeoise que féodale. Dans ces conditions, elle devrait se heurter à des démonstrations hostiles de la part des groupes bourgeois qui l’auraient soutenue au début de sa lutte révolutionnaire, et de la part aussi des masses paysannes dont le concours l’aurait poussée vers le pouvoir. Les intérêts contradictoires qui dominaient la situation d’un gouvernement ouvrier, dans un pays retardataire où l’immense majorité de la population se composait de paysans, ne pourraient aboutir à une solution que sur le plan international, dans l’arène d’une révolution prolétarienne mondiale. Lorsque, en vertu de la nécessité historique, la révolution russe aurait renversé les bornes étroites que lui fixait la démocratie bourgeoise, le prolétariat triomphant serait contraint de briser également les cadres de la nationalité, c’est à dire qu’il devrait consciemment diriger son effort de manière à ce que la révolution russe devînt le prologue de la révolution mondiale.
Bien qu’un intervalle de douze ans se place entre ce jugement et les faits, l’appréciation que nous venons d’exposer s’est trouvée complètement justifiée. La révolution russe n’a pas pu aboutir à un régime de démocratie bourgeoise. Elle a dû transmettre le pouvoir à la classe ouvrière. Si celle ci s’est révélée trop faible en 1905 pour conquérir la place qui lui revenait, elle a pu s’affermir et mûrir non point dans la république de la démocratie bourgeoise, mais dans les retraites cachées où la confinait le tsarisme du 3 juin. Le prolétariat est arrivé au pouvoir en 1917 grâce à l’expérience acquise par 1905. Les jeunes ouvriers ont besoin de posséder cette expérience, ils ont besoin de connaître l’histoire de 1905. »
Léon Trotsky
dans Préface de 1922 à « 1905 »
Le soviet en 1905
« L’histoire du soviet des députés ouvriers de Pétersbourg, c’est l’histoire de cinquante journées. Le 13 octobre, l’assemblée constitutive du soviet tenait sa première séance. Le 3 décembre, la séance du soviet était interrompue par les soldats du gouvernement.
Il n’y avait à la première séance que quelques dizaines d’hommes ; dans la seconde moitié de novembre, le nombre des députés s’élevait à cinq cent soixante deux, dont six femmes. Ils représentaient cent quarante sept entreprises et usines, trente-quatre ateliers et seize syndicats. La majorité des députés – trois cent cinquante et un – représentaient l’industrie métallurgique. Ils jouaient un rôle décisif dans le soviet. L’industrie textile donna cinquante sept députés, celle du papier et de l’imprimerie trente deux ; les employés de commerce étaient représentés par douze députés, les comptables et les pharmaciens par sept. Le comité exécutif du soviet lui servait de ministère. Lorsque ce comité fut constitué, le 17 octobre, il se composa de trente et un membres : vingt deux députés et neufs représentants des partis (six pour les deux fractions de la social démocratie, trois pour les socialistes révolutionnaires).
Quel était le caractère essentiel de cette institution qui, très vite, conquit une place si importante dans la révolution et marqua d’un trait distinctif l’apogée de sa puissance ?
Le soviet organisait les masses ouvrières, dirigeait les grèves et les manifestations, armait les ouvriers, protégeait la population contre les pogroms. Mais d’autres organisations révolutionnaires remplirent la même tâche avant lui, à côté de lui et après lui : elles n’eurent pourtant pas l’influence dont jouissait le soviet. Le secret de cette influence réside en ceci que cette assemblée sortit organiquement du prolétariat au cours de la lutte directe, prédéterminée par les événements que mena le monde ouvrier pour la conquête du pouvoir. Si les prolétaires d’une part et la presse réactionnaire de l’autre donnèrent au soviet le titre de “gouvernement prolétarien”, c’est qu’en fait cette organisation n’était autre que l’embryon d’un gouvernement révolutionnaire. Le soviet personnalisait le pouvoir dans la mesure où la puissance révolutionnaire des quartiers ouvriers le lui garantissait ; il luttait directement pour la conquête du pouvoir, dans la mesure où celui ci restait encore entre les mains d’une monarchie militaire et policière.
Avant l’existence du soviet, nous trouvons parmi les ouvriers de l’industrie de nombreuses organisations révolutionnaires à direction surtout social démocrate. Mais ce sont des formations à l’intérieur du prolétariat ; leur but immédiat est de lutter pour acquérir de l’influence sur les masses. Le soviet devient immédiatement l’organisation même du prolétariat ; son but est de lutter pour la conquête du pouvoir révolutionnaire.
En devenant le foyer de concentration de toutes les forces révolutionnaires du pays, le soviet ne se laissait pas dissoudre dans l’élément de la démocratie révolutionnaire ; il était et restait l’expression organisée de la volonté de classe du prolétariat. Dans sa lutte pour le pouvoir, il appliquait les méthodes qui procèdent naturellement du caractère du prolétariat considéré en tant que classe – ces méthodes sont liées au rôle du prolétariat dans la production, à l’importance de ses effectifs, à son homogénéité sociale. Bien plus, en combattant pour le pouvoir à la tête de toutes les forces révolutionnaires, le soviet n’en guidait pas moins à chaque instant et de toutes les manières l’action spontanée de la classe ouvrière : non seulement il contribuait à l’organisation des syndicats, mais il intervenait même dans les conflits particuliers entre ouvriers et patrons. Et c’est précisément parce que le soviet, en tant que représentation démocratique du prolétariat pendant la période révolutionnaire, se tenait à la croisée de tous ses intérêts de classe qu’il subit dès le début l’influence toute puissante de la social démocratie. Ce parti eut là, du premier coup, la possibilité de réaliser les immenses avantages que lui donnait son initiation au marxisme ; capable d’orienter sa pensée politique dans le vaste “ chaos ”, il n’eut pour ainsi dire aucun effort à faire pour transformer le soviet, qui n’appartenait formellement pas à tel ou tel parti, en appareil de propagande et d’organisation.
La principale méthode de lutte appliquée par le soviet fut la grève politique générale. L’efficacité révolutionnaire de ce genre de grève réside en ceci que, dépassant le capital, elle désorganise le pouvoir gouvernemental. Plus l’ “anarchie” qu’elle entraîne est multiple et variée en ses objectifs, plus la grève se rapproche de la victoire. Il y faut cependant une condition indispensable : cette anarchie ne doit pas être suscitée par des moyens anarchiques. La classe qui, en suspendant momentanément tout travail, paralyse l’appareil de production et en même temps l’appareil centralisé du pouvoir, en isolant l’une de l’autre les diverses régions du pays et en créant une ambiance d’incertitude générale, cette classe doit être par elle même suffisamment organisée pour ne pas être la première victime de l’anarchie qu’elle aura provoquée. Dans la mesure où la grève abolit l’organisation gouvernementale existante, les organisateurs mêmes de la grève sont forcés d’assumer les fonctions gouvernementales. Les conditions de la grève générale, en tant que méthode prolétarienne de lutte, étaient les conditions mêmes qui permirent au soviet des députés ouvriers de prendre une importance illimitée.
Par la pression de la grève, le soviet réalise la liberté de la presse. Il organise un service régulier de patrouilles dans les rues pour la protection des citoyens. Il s’empare plus ou moins des postes, des télégraphes et des chemins de fer. Il intervient d’autorité dans les conflits économiques entre ouvriers et capitalistes. Il tente, par l’action révolutionnaire directe, d’établir le régime des huit heures. En paralysant l’activité de l’autocratie par l’insurrection gréviste, il instaure un ordre nouveau, un libre régime démocratique dans l’existence de la population laborieuse des villes.
Après le 9 janvier, la révolution avait montré qu’elle avait pour elle les masses ouvrières conscientes. Le 14 juin, par la révolte du Potemkine, elle montrait qu’elle pouvait devenir une force matérielle. Par la grève d’octobre, elle prouvait qu’elle était en mesure de désorganiser l’ennemi, de paralyser sa volonté et de le réduire au dernier degré de l’humiliation. Enfin, en organisant de tous côtés des soviets ouvriers, elle démontrait qu’elle savait constituer un pouvoir.
Le pouvoir révolutionnaire ne peut s’appuyer que sur une force révolutionnaire active. Quelque opinion que nous ayons du développement ultérieur de la révolution russe, c’est un fait que, jusqu’à présent, aucune classe sociale, à l’exception du prolétariat, ne s’est montrée capable de servir d’appui au pouvoir révolutionnaire, ni disposée à le faire. Le premier acte de la révolution, ce fut l’affrontement dans la rue entre le prolétariat et la monarchie ; la première victoire sérieuse de la révolution fut remportée par un moyen d’action qui appartient exclusivement au prolétariat, par la grève politique ; enfin, comme premier embryon du pouvoir révolutionnaire, on voit apparaître une représentation du prolétariat. Le soviet, c’est le premier pouvoir démocratique dans l’histoire de la nouvelle Russie. Le soviet, c’est le pouvoir organisé de la masse même au dessus de toutes ses fractions. C’est la véritable démocratie, non falsifiée, sans les deux chambres, sans bureaucratie professionnelle, qui conserve aux électeurs le droit de remplacer quand ils le veulent leurs députés. Le soviet par l’intermédiaire de ses membres, les députés que les ouvriers ont élus, préside directement à toutes les manifestations sociales du prolétariat dans son ensemble ou dans ses groupes, organise son action, lui donne un mot d’ordre et un drapeau. »
Léon Trotsky
dans Conclusions de « 1905 »
Russie février 1917 : premières journées révolutionnaires
« Le 23 février, c’était la « Journée internationale des Femmes ». On projetait, dans les cercles de la social-démocratie, de donner à ce jour sa signification par les moyens d’usage courant : réunions, discours, tracts. La veille encore, il ne serait venu à la pensée de personne que cette « Journée des Femmes » pût inaugurer la révolution. Pas une organisation ne préconisa la grève pour ce jour-là. Bien plus, une organisation bolcheviste et des plus combatives, le comité de rayon essentiellement ouvrier de Vyborg, déconseillait toute grève. (...) En fait, il est donc établi que la révolution de Février fut déclenchée par des éléments de la base qui surmontèrent l’opposition de leurs propres organisations révolutionnaires et que l’initiative fut spontanément prise par un contingent du prolétariat exploité et opprimé plus que tous les autres – les travailleurs du textile, au nombre desquelles, doit-on penser, l’on devait compter pas mal de femmes de soldats. La dernière impulsion vint des interminables attentes aux portes des boulangeries. Le nombre de grévistes, femmes et homes, fut ce jour-là, d’environ 90 000. (...) La journée des femmes avait réussi, elle avait été pleine d’entrain et n’avait pas causé de victimes. Mais de quoi elle était lourde nul ne se doutait encore dans la soirée. (...) Le lendemain, le mouvement, loin de s’apaiser, est doublement en recrudescence ; environ la moitié des ouvriers industriels de Pétrograd font grève le 24 février. (...) Essayons de nous représenter plus clairement la logique interne du mouvement. Sous le drapeau de la « Journée des Femmes », le 23 février, se déclencha une insurrection longtemps mûrie, longtemps contenue des masses ouvrières de Pétrograd. La première phase fut la grève. En trois jours, elle s’étendit au point de devenir pratiquement générale. Ce seul fait suffisait déjà à donner de l’assurance à la masse et à la pousser en avant. La grève, prenant un caractère de plus en plus offensif, accentué, se combina avec des manifestations qui mirent en présence les foules révolutionnaires et les troupes. Le problème était porté, dans son ensemble, sur le plan supérieur où il devait se résoudre par la force armée. (...) C’est seulement dans la nuit du 25 que le bureau du Comité central des bolcheviks décida enfin de publier un tract faisant appel à la grève générale dans toute la Russie. Au moment où cette feuille sortit, la grève générale, à Pétrograd, tournait déjà toute en insurrection armée. La direction observe de son haut, hésite, retarde, c’est-à-dire ne dirige pas. Elle est à la remorque du mouvement. Plus on s’approche des usines, plus on découvre de résolution. (...) En des heures où les hésitations touchent même les révolutionnaires les plus proches des masses, le mouvement est allé, en fait, beaucoup plus loin que ne l’imaginent les participants. La veille encore, le soir du 25, les quartiers de Vyborg se trouvèrent totalement en la possession des insurgés. (...) C’est alors que la tsarine télégraphiait au tsar : « le calme règne en ville ».(...) La pression exercée par les ouvriers sur l’armée s’accentue (...) La garnison de Pétrograd devient définitivement le point de mire des événements. (...) « Tirez sur l’ennemi commande la monarchie ». « Ne tirez pas sur vos frères et sœurs » crient les ouvriers et les ouvrières. (...) L’ouvrier s’avançait plus hardiment vers le soldat. (...) C’est ainsi que s’accomplissait la brisure. Le soldat se dépouillait de son esprit soldatesque.(...) vers le soir du 26 se mutina la 4ème compagnie du régiment Pavlovsky, garde du corps de sa majesté. (...) L’insurrection, que personne ne désignait encore par son vrai nom, était néanmoins portée à l’ordre du jour. (...) Les meneurs ouvriers, exaspérés, cherchaient des armes, en demandaient au parti. Il leur fut répondu que les armes étaient en la possession des soldats. (...) Le moment où les soldats passent à la révolution est préparé par un long processus moléculaire qui, comme tout processus naturel, atteint son point critique. Mais où se place exactement ce point ? (...) Les insurgés ne peuvent provoquer un revirement dans l’état du soldat qu’à condition d’être eux-mêmes prêts à arracher la victoire à quelque prix que ce soit, par conséquent aussi au prix du sang. Or cette détermination supérieure ne peut et ne veut jamais se passer d’armes. L’heure critique de la prise de contact de la masse assaillante avec les soldats qui lui barrent la route à sa minute critique c’est (...) quand les soldats se tiennent épaule contre épaule mais hésitent déjà, tandis que l’officier, rassemblant ce qui lui reste de courage, commande le feu. (...) Le soulèvement dans l’armée prenait entre temps un caractère d’épidémie. (...) Le tissu du régime était définitivement pourri et il n’en restait plus un fil indemne… Dans la journée du 27, la foule délivra, personne sans coup férir, les détenus politiques (...) Il n’est nullement exagéré de dire que Pétrograd a accompli seul la révolution de Février. Le reste du pays n’a fait que se joindre à lui. (...) Si l’on veut, on peut dire que le plus grand des actes démocratiques fut accompli d’une façon non démocratique. (...) Si, dans une révolution, une capital joue un rôle à tel point dominant et, à certains moments, concentre en quelque sorte les volontés de la nation, c’est précisément parce qu’elle exprime le plus vivement les tendances essentielles de la nouvelle société et les pousse jusqu’à leur fin. (...) Subsiste cependant une grosse question : qui a donc mené l’insurrection ? (...) La solution la plus simple consistait en cette formule universelle : personne n’a conduit la révolution, elle s’est fait toute seule. (...) La mystique des « forces élémentaires » n’élucide rien. Pour évaluer la situation et déterminer le moment de la levée contre l’ennemi, il était indispensable que la masse, en ses éléments dirigeants, posât ses propres revendications devant les événements historiques, et possédât ses critères pour en avoir l’estimation. (...) Il fallait que dans cette masse fussent disséminés des ouvriers qui avaient réfléchi sur l’expérience de 1905, critiqué les illusions constitutionnelles des libéraux et des mencheviks, s’étaient assimilés les perspectives de la révolution, avaient examiné maintes et maintes fois le problème de l’armée (...) qui a donc guidé la révolution de Février ? (...) des ouvriers conscients et bien trempés qui, surtout avaient été formés à l’école du parti de Lénine. Mais nous devons ajouter que cette direction, si elle était suffisante pour assurer la victoire de l’insurrection, n’était pas en mesure de mettre, dès le début, la conduite de la révolution entre les mains de l’avant-garde prolétarienne. » (...)
« Chaque pas en avant de la révolution est provoqué ou forcé par une intervention directe des masses, complètement inattendue, dans la majorité des cas, pour les partis soviétiques. Après l’insurrection de février, lorsque les ouvriers et les soldats eurent renversé la monarchie sans demander rien à personne, les leaders du Comité exécutif (les socialistes modérés du Soviet) estimèrent que le rôle des masses était rempli. Mais ils commirent une erreur fatale. Les masses ne se disposaient pas du tout à quitter la scène. Déjà, au début de mars, au moment de la campagne pour la journée de huit heures, les ouvriers avaient arraché une concession au capital, bien qu’ils fussent sous la pression des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires. Le Soviet dût enregistrer une victoire remportée sans lui et contre lui. La manifestation d’avril apporta un deuxième rajustement du même genre. Chacune des manifestations de masse, indépendamment de son but direct, est un avertissement pour la direction. L’admonestation est d’abord modérée, mais devient de plus en plus hardie. En juillet, elle devient une menace. En octobre, c’est le dénouement. »
« A tous les moments critiques, les masses interviennent comme « forces élémentaires » - obéissant en d’autres termes, à leurs propres déductions d’expérience politique (...) Les bolcheviks, en tant que parti, ne dirigeaient pas encore la campagne pour la journée de huit heures. Les bolcheviks n’avaient pas non plus appelé les masses à la manifestation d’avril. Les bolcheviks n’appelleront pas non plus de masses armées à descendre dans la rue au début de juillet. C’est seulement en octobre que le parti parviendra définitivement à prendre le pas et marchera à la tête de la masse, non plus déjà pour une manifestation, mais pour l’insurrection. »
Léon Trotsky
dans « La révolution russe – Février »
« La révolution russe
« Pour la révolution d’octobre, une série de prémisses historiques étaient nécessaire :
1° La pourriture des anciennes classes dominantes, de la noblesse, de la monarchie, de la bureaucratie ;
2° La faiblesse politique de la bourgeoisie qui n’avait aucune racine dans les masses populaires ;
3° le caractère révolutionnaire de la question agraire ;
4° Le caractère révolutionnaire du problème des nationalités opprimées ;
5° Le poids social imposant du prolétariat.
A ces prémisses organiques, il faut ajouter des conditions conjoncturelles hautement importantes :
6° La révolution de 1905 fut la grande école ou, selon l’expression de Lénine, la « répétition générale » de la révolution de 1917. Les soviets comme forme d’organisation irremplaçable du front unique prolétarien dans la révolution furent constitués pour la première fois en 1905 ;
7° La guerre impérialiste aiguisa toutes les contradictions, arracha les masses arriérées à leur état d’immobilité, et prépara ainsi le caractère grandiose de la catastrophe. Mais toutes ces conditions qui suffisaient complètement pour que la révolution éclate, étaient insuffisantes pour assurer la victoire du prolétariat dans la révolution. Pour cette victoire, une condition était encore nécessaire :
8° Le parti bolchevik. (…) Pour prendre le pouvoir, le prolétariat a besoin d’un parti qui dépasse de loin les autres partis comme clarté de pensée et comme décision révolutionnaire. »
Léon Trotsky
Conférence à Copenhague en décembre 1932
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Sur la révolution en Europe, lire sur le site :
Les puissances impérialistes pendant la vague révolutionnaire
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Révolutions prolétariennes
La révolution russe de 1905
Le dernier poilu ou la dernière boucherie guerrière ?
La classe ouvrière dans la révolution irlandaise
La révolution russe de 1917 et la vague révolutionnaire en
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La révolution russe vue par Rosa Luxemburg
La révolution allemande de 1918-19
La révolution hongroise de 1919
La révolution italienne de 1919
La lutte des classes dans la révolution chinoise
La révolution prolétarienne en Espagne en 1931
La révolution espagnole de 1936
La politique des anarchistes dans la révolution espagnole
Textes de la révolution d’octobre 1917
La révolution russe vue par le général contre-révolutionnaire Dénikine
La révolution russe de 1905, vue par Léon Trotsky
La révolution russe de 1917, vue par Léon Trotsky
Défense de la révolution d’octobre par Léon Trotsky
Léon Trotsky
De la révolution bourgeoise à la révolution prolétarienne
"La Commune de Paris (1871) est la première tentative de la révolution prolétarienne pour briser la machine d’Etat bourgeoise. Elle est la forme politique enfin trouvée par quoi l’on peut et l’on doit remplacer ce qui a été brisé." Lénine dans "L’Etat et la révolution".
« Où en est la révolution ?
« De nombreux ouvriers « avancés », qui voient bien où mène la politique dite de « libération » (collaboration des classes), prennent cependant prétexte de l’ « incompréhension » et de la passivité des ouvriers du rang (que ne peuvent nier que des gens à œillères) pour rester passifs à leur tour : « les ouvriers ne comprennent pas –disent-ils -, la révolution n’est pas pour demain ». (...) Mais, en réalité, la guerre a profondément ébranlé la domination de la bourgeoisie, non seulement en Europe (où les bouleversements et la chute du niveau de vie ont été relativement les plus sensibles), mais aussi sur tout le globe. En effet, l’impérialisme ébranle constamment les cadres dans lesquels s’exerce la domination de la bourgeoisie. (...) Et les crises continuelles de ce régime fauteur de misère et de guerres ne laissent aucun répit aux masses, les poussant ainsi infailliblement, fatalement, à des explosions révolutionnaires pour renverser la bourgeoisie. »
« L’expérience des quarante dernières années ne montre-t-elle pas que l’impérialisme, avec ses guerres, engendre inévitablement la guerre civile des masses contre le capitalisme ? Les luttes révolutionnaires commencées en Russie en 1905 à la suite de la guerre russo-japonaise et qui reprirent en 1917 pendant la première guerre mondiale pour déferler sur tous les pays belligérants (Allemagne 1919, Autriche-Hongrie en 1918, France en 1917-1919 et les Révolutions d’après-guerre en Hongrie (1919), en Italie (1922) en Allemagne et en Bulgarie (1923), en Chine (1927), et celles qui ont précédé la présente guerre, en Espagne (1933-1939), en Autriche (1934), en France (1934-1938), n’ont-elles pas prouvé qu’on ne peut accuser les masses de la situation terrible où nous sommes actuellement ? »
« Les masses ont montré qu’elles savent lutter et mourir pour leur cause ; mais elles ne peuvent entrer en lutte à n’importe quel moment et dans n’importe quelles conditions. »
Albert Mathieu, dit Barta
dans la revue « Lutte des classes » organe de l’Union Communiste Internationaliste (4 août 1944)
« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours (ou plus exactement l’histoire écrite) n’a été que l’histoire de la lutte des classes. (...) Toutes les sociétés antérieures, nous l’avons vu, ont reposé sur l’antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. (...) Le but immédiat des communistes est (...) : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat. Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. »
Karl Marx et Friedrich Engels
Dans « Le Manifeste du Parti communiste » (1848)
Les révolutions de 1848 et le prolétariat
K. Marx
« Les révolutions de 1848 furent des épisodes, de tout petits craquements, de toutes petites déchirures dans l’écorce solide de la société bourgeoise. Mais elles dévoilèrent l’abîme que recouvrait cette écorce, sous laquelle bouillonnait un océan sans fin capable, une fois déchaîné, d’emporter des continents entiers. Elles annoncèrent à grand fracas l’émancipation du prolétariat, secret du XIXème siècle et de sa révolution.
Cette révolution, il est vrai, ne fut pas une trouvaille de l’année 1848. La vapeur, l’électricité et les inventions diverses avaient un caractère révolutionnaire autrement dangereux que les bourgeois Barbès, Raspail et Blanqui. Mais sentons-nous l’atmosphère que nous respirons et qui pourtant pèse sur nous d’un poids de 10.000 kilos ? La société européenne de 1848 ne sentait pas davantage l’atmosphère révolutionnaire qui la baignait et pesait sur elle de toutes parts.
Il est un fait important qui caractérise le XIXème siècle et qu’aucun parti ne saurait nier. D’un côté, ce siècle a vu naître des forces industrielles et scientifiques qu’on n’aurait pas même pu imaginer à une époque antérieure. D’autre part, les signes se multiplient d’une déchéance telle qu’elle éclipsera même la fameuse décadence des dernières années de l’empire romain.
De notre temps, toute chose parait grosse de son contraire. La machine qui possède le don prodigieux d’agréger et de féconder le travail humain, entraîne la faim et l’excès de travail. Les nouvelles forces de richesse que l’homme vient d’acquérir se transforment, par un caprice étrange du sort, en sources de misère. On dirait que chaque victoire de l’art se paie par une perte de caractère.
L’humanité acquiert la maîtrise de la nature, mais, en même temps, l’homme devient l’esclave des hommes et de sa propre infamie. La pure lumière de la science elle-même semble avoir besoin, pour resplendir, du contraste de l’ignorance. Toutes nos découvertes et tout notre progrès ont pour résultat, semble-t-il, de doter les forces matérielles d’une vie intelligente et de ravaler l’homme au niveau d’une simple force matérielle. Cet antagonisme entre la science et l’industrie modernes d’une part, la misère et la décadence modernes de l’autre, cette contradiction entre les forces productives et les conditions sociales de notre époque est un fait, un fait paient, indéniable, écrasant. Certains partis peuvent en gémir, d’autres souhaiter l’anéantissement des découvertes modernes pour se délivrer par là-même des conflits actuels. Libre à eux d’imaginer qu’un progrès aussi marqué en économie doit, pour être complet, s’accompagner d’une régression non moins marquée en politique. Quant à nous, nous ne voulons pas méconnaître l’esprit solide qui travaille activement à dénouer toutes ces contradictions. Nous savons que les nouvelles forces de la société n’ont besoin, pour faire œuvre utile, que de nouveaux hommes. Ces hommes, ce sont les ouvriers.
Les ouvriers sont le produit de l’époque actuelle en même temps que la machine elle-même. Aux signes qui mettent en émoi la bourgeoisie, l’aristocratie et les malheureux prophètes de la réaction, nous reconnaissons notre vieil ami, notre Robin Hood à nous, notre vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement : la Révolution. Les ouvriers anglais sont les premiers-nés de l’industrie moderne. Ils ne seront sûrement pas les derniers à appeler la révolution sociale, elle aussi fille de cette même industrie, révolution qui sera la libération de toute leur classe dans le monde entier et qui sera aussi internationale que l’est la domination du capital et l’esclavage du salariat. Je sais que la lutte héroïque soutenue par les ouvriers d’Angleterre depuis le milieu du siècle dernier, lutte qui n’a pas eu l’auréole de la gloire, car les historiens bourgeois l’ont laissée dans l’ombre et passée sous silence. Au moyen âge, il y avait en Allemagne un tribunal secret, la " Sainte-Vehme ", qui vengeait tous les méfaits commis par des puissants. Quand on voyait une croix rouge sur une maison, on savait que son propriétaire aurait affaire à la Sainte-Vehme. Aujourd’hui, la croix rouge mystérieuse marque toutes les maisons d’Europe. L’histoire elle-même rend la justice, et le prolétariat exécutera la sentence. »
Leçon de la révolution de 1848 : l’indépendance indispensable du prolétariat
« (...) Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite (...), il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu’à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays régnants du monde l’association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives décisives. Il ne peut s’agir pour nous de transformer la propriété privée, mais Seulement de 1’anéantir ; ni de masquer les antagonismes de classes, mais d’abolir les classes ; ni d’améliorer la société existante, mais d’en fonder une nouvelle. (...)
« Leurs efforts doivent tendre à ce que l’effervescence révolutionnaire directe ne soit pas une nouvelle fois réprimée aussitôt après la victoire. Il faut, au contraire, qu’ils la maintiennent le plus longtemps possible. Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction. Pendant et après la lutte, les ouvriers doivent en toute occasion formuler leurs propres revendications à côté de celles des démocrates bourgeois. Ils doivent exiger des garanties pour les ouvriers, dès que les bourgeois démocratiques se disposent à prendre le gouvernement en main. Il faut au besoin qu’ils obtiennent ces garanties de haute lutte et s’arrangent en somme pour obliger les nouveaux gouvernants à toutes les concessions et promesses possibles ; c’est le plus sûr moyen de les compromettre. Il faut qu’ils s’efforcent, par tous les moyens et autant que faire se peut, de contenir la jubilation suscitée par le nouvel état de choses et l’état d’ivresse, conséquence de toute victoire remportée dans une bataille de rue, en jugeant avec calme et sang-froid la situation et en affectant à l’égard du nouveau gouvernement une méfiance non déguisée. Il faut qu’à côté des nouveaux gouvernements officiels ils établissent aussitôt leurs propres gouvernements ouvriers révolutionnaires, soit sous forme d’autonomies administratives locales ou de conseils municipaux, soit sous forme de clubs ou comités ouvriers, de façon que les gouvernements démocratiques bourgeois non seulement s’aliènent aussitôt l’appui des ouvriers, mais se voient, dès le début, surveillés et menacés par des autorités qui ont derrière elles toute la masse des ouvriers. En un mot, dès les premiers instants de la victoire, on ne doit plus tant se défier des partis réactionnaires vaincus que des anciens alliés des ouvriers, que du parti qui cherche à exploiter la victoire pour lui seul. (...) »
« Les ouvriers doivent se placer non sous la tutelle de l’autorité de l’Etat mais sous celle des conseils révolutionnaires de communautés que les ouvriers auront pu faire adopter. Les armes et les munitions ne devront être rendues sous aucun prétexte. (...) »
« Ils doivent pousser à l’extrême les propositions des démocrates qui, en tout cas, ne se montreront pas révolutionnaires, mais simplement réformistes, et transformer ces propositions en attaques directes contre la propriété privée. Si, par exemple, les petits bourgeois proposent de racheter les chemins de fer et les usines, les ouvriers doivent exiger que ces chemins de fer et ces usines soient simplement et sans indemnité confisqués par l’Etat en tant que propriété de réactionnaires. Si les démocrates proposent l’impôt proportionnel, les ouvriers réclament l’impôt progressif. Si les démocrates proposent eux-mêmes un impôt progressif modéré, les ouvriers exigent un impôt dont les échelons montent assez vite pour que le gros capital s’en trouve compromis. Si les démocrates réclament la régularisation de la dette publique, les ouvriers réclament la faillite de l’Etat. Les revendications des ouvriers devront donc se régler partout sur les concessions et les mesures des démocrates. »
« Ils (les ouvriers) contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner—par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques—de l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : La révolution en permanence ! »
Karl Marx et Friedrich Engels
dans « Adresse du Comité Central à la Ligue des communistes » (1850)
La guerre civile en France de 1871
« La classe ouvrière n’espérait pas de miracle de la Commune. Elle n’a pas d’utopie toute faite à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle, cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances et les hommes. Elle n’a pas à réaliser d’idéal mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vielle société bourgeoise qui s’effondre. (...) Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains ; quand de simples ouvriers, pour la première fois, osèrent toucher au privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels », les possédants, et, dans des circonstances d’une difficulté sans exemple, accomplir leur ouvre modestement, consciencieusement, et efficacement (...) le vieux monde se tendit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la république du travail, flottant sur l’Hôtel de ville. Et pourtant, c’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris (...) Cette fraction de la classe moyenne sentait qu’il n’y avait plus qu’une alternative, la Commune ou l’empire, sous quelque nom qu’il pu reparaître. (...) La grande mesure sociale de la Commune, ce fût son existence et son action. »
Karl Marx dans « La guerre civile en France de 1871 »
La Russie révolutionnaire en 1905
« Notre grand avantage en 1905, à l’époque du prologue révolutionnaire, fut en ceci que nous autres, marxistes, étions dès lors armés dune méthode scientifique pour l’étude de l’évolution historique. Cela nous permettait d’établir une explication théorique des relations sociales que le mouvement de l’histoire ne nous présentait que par indices et allusions. Déjà, la grève chaotique de juillet 1903, dans le Midi de la Russie, nous avait fourni l’occasion de conclure que la méthode essentielle de la révolution russe serait une grève générale du prolétariat, transformée bientôt en insurrection. Les événements du 9 janvier, en confirmant d’une manière éclatante ces prévisions, nous amenèrent à poser en termes concrets la question du pouvoir révolutionnaire. Dès ce moment, dans les rangs de la social-démocratie russe, on se demande et on recherche activement quelle est la nature de la révolution russe et quelle est sa dynamique intérieure de classe. C’est précisément dans l’intervalle qui sépare le 9 janvier de la grève d’octobre 1905 que l’auteur arriva à concevoir le développement révolutionnaire de la Russie sous l’aspect qui fut ensuite fixé par la théorie dite de la " révolution permanente ". Cette désignation quelque peu abstruse voulait exprimer que la révolution russe, qui devait d’abord envisager, dans son avenir le plus immédiat, certaines fins bourgeoises, ne pourrait toutefois s’arrêter là. La révolution ne résoudrait les problèmes bourgeois qui se présentaient à elle en premier lieu qu’en portant au pouvoir le prolétariat. Et lorsque celui ci se serait emparé du pouvoir, il ne pourrait s’en tenir aux limites d’une révolution bourgeoise. Tout au contraire et précisément pour assurer sa victoire définitive, l’avant garde prolétarienne devrait, dès les premiers jours de sa domination, pénétrer profondément dans les domaines interdits de la propriété aussi bien bourgeoise que féodale. Dans ces conditions, elle devrait se heurter à des démonstrations hostiles de la part des groupes bourgeois qui l’auraient soutenue au début de sa lutte révolutionnaire, et de la part aussi des masses paysannes dont le concours l’aurait poussée vers le pouvoir. Les intérêts contradictoires qui dominaient la situation d’un gouvernement ouvrier, dans un pays retardataire où l’immense majorité de la population se composait de paysans, ne pourraient aboutir à une solution que sur le plan international, dans l’arène d’une révolution prolétarienne mondiale. Lorsque, en vertu de la nécessité historique, la révolution russe aurait renversé les bornes étroites que lui fixait la démocratie bourgeoise, le prolétariat triomphant serait contraint de briser également les cadres de la nationalité, c’est à dire qu’il devrait consciemment diriger son effort de manière à ce que la révolution russe devînt le prologue de la révolution mondiale.
Bien qu’un intervalle de douze ans se place entre ce jugement et les faits, l’appréciation que nous venons d’exposer s’est trouvée complètement justifiée. La révolution russe n’a pas pu aboutir à un régime de démocratie bourgeoise. Elle a dû transmettre le pouvoir à la classe ouvrière. Si celle ci s’est révélée trop faible en 1905 pour conquérir la place qui lui revenait, elle a pu s’affermir et mûrir non point dans la république de la démocratie bourgeoise, mais dans les retraites cachées où la confinait le tsarisme du 3 juin. Le prolétariat est arrivé au pouvoir en 1917 grâce à l’expérience acquise par 1905. Les jeunes ouvriers ont besoin de posséder cette expérience, ils ont besoin de connaître l’histoire de 1905. »
Léon Trotsky
dans Préface de 1922 à « 1905 »
Le soviet en 1905
« L’histoire du soviet des députés ouvriers de Pétersbourg, c’est l’histoire de cinquante journées. Le 13 octobre, l’assemblée constitutive du soviet tenait sa première séance. Le 3 décembre, la séance du soviet était interrompue par les soldats du gouvernement.
Il n’y avait à la première séance que quelques dizaines d’hommes ; dans la seconde moitié de novembre, le nombre des députés s’élevait à cinq cent soixante deux, dont six femmes. Ils représentaient cent quarante sept entreprises et usines, trente-quatre ateliers et seize syndicats. La majorité des députés – trois cent cinquante et un – représentaient l’industrie métallurgique. Ils jouaient un rôle décisif dans le soviet. L’industrie textile donna cinquante sept députés, celle du papier et de l’imprimerie trente deux ; les employés de commerce étaient représentés par douze députés, les comptables et les pharmaciens par sept. Le comité exécutif du soviet lui servait de ministère. Lorsque ce comité fut constitué, le 17 octobre, il se composa de trente et un membres : vingt deux députés et neufs représentants des partis (six pour les deux fractions de la social démocratie, trois pour les socialistes révolutionnaires).
Quel était le caractère essentiel de cette institution qui, très vite, conquit une place si importante dans la révolution et marqua d’un trait distinctif l’apogée de sa puissance ?
Le soviet organisait les masses ouvrières, dirigeait les grèves et les manifestations, armait les ouvriers, protégeait la population contre les pogroms. Mais d’autres organisations révolutionnaires remplirent la même tâche avant lui, à côté de lui et après lui : elles n’eurent pourtant pas l’influence dont jouissait le soviet. Le secret de cette influence réside en ceci que cette assemblée sortit organiquement du prolétariat au cours de la lutte directe, prédéterminée par les événements que mena le monde ouvrier pour la conquête du pouvoir. Si les prolétaires d’une part et la presse réactionnaire de l’autre donnèrent au soviet le titre de “gouvernement prolétarien”, c’est qu’en fait cette organisation n’était autre que l’embryon d’un gouvernement révolutionnaire. Le soviet personnalisait le pouvoir dans la mesure où la puissance révolutionnaire des quartiers ouvriers le lui garantissait ; il luttait directement pour la conquête du pouvoir, dans la mesure où celui ci restait encore entre les mains d’une monarchie militaire et policière.
Avant l’existence du soviet, nous trouvons parmi les ouvriers de l’industrie de nombreuses organisations révolutionnaires à direction surtout social démocrate. Mais ce sont des formations à l’intérieur du prolétariat ; leur but immédiat est de lutter pour acquérir de l’influence sur les masses. Le soviet devient immédiatement l’organisation même du prolétariat ; son but est de lutter pour la conquête du pouvoir révolutionnaire.
En devenant le foyer de concentration de toutes les forces révolutionnaires du pays, le soviet ne se laissait pas dissoudre dans l’élément de la démocratie révolutionnaire ; il était et restait l’expression organisée de la volonté de classe du prolétariat. Dans sa lutte pour le pouvoir, il appliquait les méthodes qui procèdent naturellement du caractère du prolétariat considéré en tant que classe – ces méthodes sont liées au rôle du prolétariat dans la production, à l’importance de ses effectifs, à son homogénéité sociale. Bien plus, en combattant pour le pouvoir à la tête de toutes les forces révolutionnaires, le soviet n’en guidait pas moins à chaque instant et de toutes les manières l’action spontanée de la classe ouvrière : non seulement il contribuait à l’organisation des syndicats, mais il intervenait même dans les conflits particuliers entre ouvriers et patrons. Et c’est précisément parce que le soviet, en tant que représentation démocratique du prolétariat pendant la période révolutionnaire, se tenait à la croisée de tous ses intérêts de classe qu’il subit dès le début l’influence toute puissante de la social démocratie. Ce parti eut là, du premier coup, la possibilité de réaliser les immenses avantages que lui donnait son initiation au marxisme ; capable d’orienter sa pensée politique dans le vaste “ chaos ”, il n’eut pour ainsi dire aucun effort à faire pour transformer le soviet, qui n’appartenait formellement pas à tel ou tel parti, en appareil de propagande et d’organisation.
La principale méthode de lutte appliquée par le soviet fut la grève politique générale. L’efficacité révolutionnaire de ce genre de grève réside en ceci que, dépassant le capital, elle désorganise le pouvoir gouvernemental. Plus l’ “anarchie” qu’elle entraîne est multiple et variée en ses objectifs, plus la grève se rapproche de la victoire. Il y faut cependant une condition indispensable : cette anarchie ne doit pas être suscitée par des moyens anarchiques. La classe qui, en suspendant momentanément tout travail, paralyse l’appareil de production et en même temps l’appareil centralisé du pouvoir, en isolant l’une de l’autre les diverses régions du pays et en créant une ambiance d’incertitude générale, cette classe doit être par elle même suffisamment organisée pour ne pas être la première victime de l’anarchie qu’elle aura provoquée. Dans la mesure où la grève abolit l’organisation gouvernementale existante, les organisateurs mêmes de la grève sont forcés d’assumer les fonctions gouvernementales. Les conditions de la grève générale, en tant que méthode prolétarienne de lutte, étaient les conditions mêmes qui permirent au soviet des députés ouvriers de prendre une importance illimitée.
Par la pression de la grève, le soviet réalise la liberté de la presse. Il organise un service régulier de patrouilles dans les rues pour la protection des citoyens. Il s’empare plus ou moins des postes, des télégraphes et des chemins de fer. Il intervient d’autorité dans les conflits économiques entre ouvriers et capitalistes. Il tente, par l’action révolutionnaire directe, d’établir le régime des huit heures. En paralysant l’activité de l’autocratie par l’insurrection gréviste, il instaure un ordre nouveau, un libre régime démocratique dans l’existence de la population laborieuse des villes.
Après le 9 janvier, la révolution avait montré qu’elle avait pour elle les masses ouvrières conscientes. Le 14 juin, par la révolte du Potemkine, elle montrait qu’elle pouvait devenir une force matérielle. Par la grève d’octobre, elle prouvait qu’elle était en mesure de désorganiser l’ennemi, de paralyser sa volonté et de le réduire au dernier degré de l’humiliation. Enfin, en organisant de tous côtés des soviets ouvriers, elle démontrait qu’elle savait constituer un pouvoir.
Le pouvoir révolutionnaire ne peut s’appuyer que sur une force révolutionnaire active. Quelque opinion que nous ayons du développement ultérieur de la révolution russe, c’est un fait que, jusqu’à présent, aucune classe sociale, à l’exception du prolétariat, ne s’est montrée capable de servir d’appui au pouvoir révolutionnaire, ni disposée à le faire. Le premier acte de la révolution, ce fut l’affrontement dans la rue entre le prolétariat et la monarchie ; la première victoire sérieuse de la révolution fut remportée par un moyen d’action qui appartient exclusivement au prolétariat, par la grève politique ; enfin, comme premier embryon du pouvoir révolutionnaire, on voit apparaître une représentation du prolétariat. Le soviet, c’est le premier pouvoir démocratique dans l’histoire de la nouvelle Russie. Le soviet, c’est le pouvoir organisé de la masse même au dessus de toutes ses fractions. C’est la véritable démocratie, non falsifiée, sans les deux chambres, sans bureaucratie professionnelle, qui conserve aux électeurs le droit de remplacer quand ils le veulent leurs députés. Le soviet par l’intermédiaire de ses membres, les députés que les ouvriers ont élus, préside directement à toutes les manifestations sociales du prolétariat dans son ensemble ou dans ses groupes, organise son action, lui donne un mot d’ordre et un drapeau. »
Léon Trotsky
dans Conclusions de « 1905 »
Russie février 1917 : premières journées révolutionnaires
« Le 23 février, c’était la « Journée internationale des Femmes ». On projetait, dans les cercles de la social-démocratie, de donner à ce jour sa signification par les moyens d’usage courant : réunions, discours, tracts. La veille encore, il ne serait venu à la pensée de personne que cette « Journée des Femmes » pût inaugurer la révolution. Pas une organisation ne préconisa la grève pour ce jour-là. Bien plus, une organisation bolcheviste et des plus combatives, le comité de rayon essentiellement ouvrier de Vyborg, déconseillait toute grève. (...) En fait, il est donc établi que la révolution de Février fut déclenchée par des éléments de la base qui surmontèrent l’opposition de leurs propres organisations révolutionnaires et que l’initiative fut spontanément prise par un contingent du prolétariat exploité et opprimé plus que tous les autres – les travailleurs du textile, au nombre desquelles, doit-on penser, l’on devait compter pas mal de femmes de soldats. La dernière impulsion vint des interminables attentes aux portes des boulangeries. Le nombre de grévistes, femmes et homes, fut ce jour-là, d’environ 90 000. (...) La journée des femmes avait réussi, elle avait été pleine d’entrain et n’avait pas causé de victimes. Mais de quoi elle était lourde nul ne se doutait encore dans la soirée. (...) Le lendemain, le mouvement, loin de s’apaiser, est doublement en recrudescence ; environ la moitié des ouvriers industriels de Pétrograd font grève le 24 février. (...) Essayons de nous représenter plus clairement la logique interne du mouvement. Sous le drapeau de la « Journée des Femmes », le 23 février, se déclencha une insurrection longtemps mûrie, longtemps contenue des masses ouvrières de Pétrograd. La première phase fut la grève. En trois jours, elle s’étendit au point de devenir pratiquement générale. Ce seul fait suffisait déjà à donner de l’assurance à la masse et à la pousser en avant. La grève, prenant un caractère de plus en plus offensif, accentué, se combina avec des manifestations qui mirent en présence les foules révolutionnaires et les troupes. Le problème était porté, dans son ensemble, sur le plan supérieur où il devait se résoudre par la force armée. (...) C’est seulement dans la nuit du 25 que le bureau du Comité central des bolcheviks décida enfin de publier un tract faisant appel à la grève générale dans toute la Russie. Au moment où cette feuille sortit, la grève générale, à Pétrograd, tournait déjà toute en insurrection armée. La direction observe de son haut, hésite, retarde, c’est-à-dire ne dirige pas. Elle est à la remorque du mouvement. Plus on s’approche des usines, plus on découvre de résolution. (...) En des heures où les hésitations touchent même les révolutionnaires les plus proches des masses, le mouvement est allé, en fait, beaucoup plus loin que ne l’imaginent les participants. La veille encore, le soir du 25, les quartiers de Vyborg se trouvèrent totalement en la possession des insurgés. (...) C’est alors que la tsarine télégraphiait au tsar : « le calme règne en ville ».(...) La pression exercée par les ouvriers sur l’armée s’accentue (...) La garnison de Pétrograd devient définitivement le point de mire des événements. (...) « Tirez sur l’ennemi commande la monarchie ». « Ne tirez pas sur vos frères et sœurs » crient les ouvriers et les ouvrières. (...) L’ouvrier s’avançait plus hardiment vers le soldat. (...) C’est ainsi que s’accomplissait la brisure. Le soldat se dépouillait de son esprit soldatesque.(...) vers le soir du 26 se mutina la 4ème compagnie du régiment Pavlovsky, garde du corps de sa majesté. (...) L’insurrection, que personne ne désignait encore par son vrai nom, était néanmoins portée à l’ordre du jour. (...) Les meneurs ouvriers, exaspérés, cherchaient des armes, en demandaient au parti. Il leur fut répondu que les armes étaient en la possession des soldats. (...) Le moment où les soldats passent à la révolution est préparé par un long processus moléculaire qui, comme tout processus naturel, atteint son point critique. Mais où se place exactement ce point ? (...) Les insurgés ne peuvent provoquer un revirement dans l’état du soldat qu’à condition d’être eux-mêmes prêts à arracher la victoire à quelque prix que ce soit, par conséquent aussi au prix du sang. Or cette détermination supérieure ne peut et ne veut jamais se passer d’armes. L’heure critique de la prise de contact de la masse assaillante avec les soldats qui lui barrent la route à sa minute critique c’est (...) quand les soldats se tiennent épaule contre épaule mais hésitent déjà, tandis que l’officier, rassemblant ce qui lui reste de courage, commande le feu. (...) Le soulèvement dans l’armée prenait entre temps un caractère d’épidémie. (...) Le tissu du régime était définitivement pourri et il n’en restait plus un fil indemne… Dans la journée du 27, la foule délivra, personne sans coup férir, les détenus politiques (...) Il n’est nullement exagéré de dire que Pétrograd a accompli seul la révolution de Février. Le reste du pays n’a fait que se joindre à lui. (...) Si l’on veut, on peut dire que le plus grand des actes démocratiques fut accompli d’une façon non démocratique. (...) Si, dans une révolution, une capital joue un rôle à tel point dominant et, à certains moments, concentre en quelque sorte les volontés de la nation, c’est précisément parce qu’elle exprime le plus vivement les tendances essentielles de la nouvelle société et les pousse jusqu’à leur fin. (...) Subsiste cependant une grosse question : qui a donc mené l’insurrection ? (...) La solution la plus simple consistait en cette formule universelle : personne n’a conduit la révolution, elle s’est fait toute seule. (...) La mystique des « forces élémentaires » n’élucide rien. Pour évaluer la situation et déterminer le moment de la levée contre l’ennemi, il était indispensable que la masse, en ses éléments dirigeants, posât ses propres revendications devant les événements historiques, et possédât ses critères pour en avoir l’estimation. (...) Il fallait que dans cette masse fussent disséminés des ouvriers qui avaient réfléchi sur l’expérience de 1905, critiqué les illusions constitutionnelles des libéraux et des mencheviks, s’étaient assimilés les perspectives de la révolution, avaient examiné maintes et maintes fois le problème de l’armée (...) qui a donc guidé la révolution de Février ? (...) des ouvriers conscients et bien trempés qui, surtout avaient été formés à l’école du parti de Lénine. Mais nous devons ajouter que cette direction, si elle était suffisante pour assurer la victoire de l’insurrection, n’était pas en mesure de mettre, dès le début, la conduite de la révolution entre les mains de l’avant-garde prolétarienne. » (...)
« Chaque pas en avant de la révolution est provoqué ou forcé par une intervention directe des masses, complètement inattendue, dans la majorité des cas, pour les partis soviétiques. Après l’insurrection de février, lorsque les ouvriers et les soldats eurent renversé la monarchie sans demander rien à personne, les leaders du Comité exécutif (les socialistes modérés du Soviet) estimèrent que le rôle des masses était rempli. Mais ils commirent une erreur fatale. Les masses ne se disposaient pas du tout à quitter la scène. Déjà, au début de mars, au moment de la campagne pour la journée de huit heures, les ouvriers avaient arraché une concession au capital, bien qu’ils fussent sous la pression des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires. Le Soviet dût enregistrer une victoire remportée sans lui et contre lui. La manifestation d’avril apporta un deuxième rajustement du même genre. Chacune des manifestations de masse, indépendamment de son but direct, est un avertissement pour la direction. L’admonestation est d’abord modérée, mais devient de plus en plus hardie. En juillet, elle devient une menace. En octobre, c’est le dénouement. »
« A tous les moments critiques, les masses interviennent comme « forces élémentaires » - obéissant en d’autres termes, à leurs propres déductions d’expérience politique (...) Les bolcheviks, en tant que parti, ne dirigeaient pas encore la campagne pour la journée de huit heures. Les bolcheviks n’avaient pas non plus appelé les masses à la manifestation d’avril. Les bolcheviks n’appelleront pas non plus de masses armées à descendre dans la rue au début de juillet. C’est seulement en octobre que le parti parviendra définitivement à prendre le pas et marchera à la tête de la masse, non plus déjà pour une manifestation, mais pour l’insurrection. »
Léon Trotsky
dans « La révolution russe – Février »
« La révolution russe
« Pour la révolution d’octobre, une série de prémisses historiques étaient nécessaire :
1° La pourriture des anciennes classes dominantes, de la noblesse, de la monarchie, de la bureaucratie ;
2° La faiblesse politique de la bourgeoisie qui n’avait aucune racine dans les masses populaires ;
3° le caractère révolutionnaire de la question agraire ;
4° Le caractère révolutionnaire du problème des nationalités opprimées ;
5° Le poids social imposant du prolétariat.
A ces prémisses organiques, il faut ajouter des conditions conjoncturelles hautement importantes :
6° La révolution de 1905 fut la grande école ou, selon l’expression de Lénine, la « répétition générale » de la révolution de 1917. Les soviets comme forme d’organisation irremplaçable du front unique prolétarien dans la révolution furent constitués pour la première fois en 1905 ;
7° La guerre impérialiste aiguisa toutes les contradictions, arracha les masses arriérées à leur état d’immobilité, et prépara ainsi le caractère grandiose de la catastrophe. Mais toutes ces conditions qui suffisaient complètement pour que la révolution éclate, étaient insuffisantes pour assurer la victoire du prolétariat dans la révolution. Pour cette victoire, une condition était encore nécessaire :
8° Le parti bolchevik. (…) Pour prendre le pouvoir, le prolétariat a besoin d’un parti qui dépasse de loin les autres partis comme clarté de pensée et comme décision révolutionnaire. »
Léon Trotsky
Conférence à Copenhague en décembre 1932
La vague révolutionnaire en Europe 1918-1920,
vue par les dirigeants politiques de l’impérialisme
« 24 mars 1919
– Président Wilson (USA) : C’est en ce moment une véritable course contre la montre entre la paix et l’anarchie et le public commence à manifester son impatience. (...)
– Lloyd George (GB) : (...) Je propose donc, avec la Président Wilson, que nous nous réunissions entre chefs de gouvernements, deux fois par jour s’il le faut, pour aller plus vire, et que nous commencions dès demain. »
« 25 mars 1919
– Général Alby : La question du ravitaillement d’Odessa est posé par une série de télégrammes des généraux Berthelot et Franchet d’Espérey (...) nous oblige à trouver le moyen de nourrir, à Odessa et autour de cette ville, un million de personnes. Si nous ne pouvons pas le faire, il est inutile de songer à garder Odessa.
– En réponse à une question posée par M. Lloyd George sur les effectifs alliés à Odessa, le général Alby répond qu’ils s’élèvent à environ 25.000 hommes.
– Clemenceau (France) : Ce matin même, le général d’Espérey a demandé qu’on lui envoie pour Odessa des troupes polonaises d’Italie. (...)
– Général Alby : L’Italie est disposée à envoyer 7.000 Polonais (...) Les autorités russes d’Odessa demandent qu’on leur fournisse du pain à raison de 1.000 tonnes par semaine, (...) 15.000 tonnes de charbon par mois sont absolument nécessaires, sans quoi le danger d’une révolte de la population serait très grand. (...)
– Président Wilson : Je suis frappé, dans des dépêches qu’on nous a lues, de ces mots : « La population d’Odessa nous est hostile ». S’il en est ainsi, on peut se demander à quoi sert de garder cet îlot entouré, presque submergé par le bolchevisme. (...) Cela me confirme dans ma politique, qui est de laisser la Russie aux Bolcheviks – ils cuiront dans leur jus jusqu’à ce que les circonstances aient rendu les Russes plus sages - et de nous borner à empêcher le bolchevisme d’envahir d’autres parties de l’Europe.
– Lloyd George : J’ai entendu tout récemment M.Bratiano qui considère que ce qu’il y a de plus important à faire en Roumanie : 1° de nourrir la population 2° d’équiper l’armée 3° de donner la terre aux paysans. Ce sont des moyens intelligents et efficaces de préserver la Roumanie du bolchevisme. Mais devons-nous nous obstiner à garder Odessa, dont la population se soulèvera dès que les Bolcheviks feront leur apparition ? Il vaut mieux concentrer tous nos moyens de défense en Roumanie et établir là notre barrière contre le bolchevisme. (...) La population sibérienne est-elle favorable à Koltchak ou non ?
– Général Thwaites : Koltchak paraît soutenu par la population ; mais un mouvement de mécontentement et une tendance au bolchevisme se produisent dans la région occupée par les Japonais.
– Lloyd George : Si Odessa tombe, qu’arrivera-t-il ?
– Général Thwaites : Les Bolcheviks attaqueront immédiatement la Roumanie.
– Colonel Kish : (...) L’occupation d’Odessa par les Bolcheviks donnera en Russie l’impression d’une grande victoire remportée par eux sur les Alliés. L’événement serait donc important du point de vue moral. Mais c’est la seule raison sérieuse que nous ayons de garder Odessa. (...)
– Clemenceau : Le péril bolcheviste s’étend en ce moment vers le sud et vers la Hongrie ; il continuera à s’étendre tant qu’il ne sera pas arrêté ; il faut l’arrêter à Odessa et à Lemberg. (...)
– Maréchal Foch : Abandonner Odessa, c’est abandonner la Russie du sud, mais à vrai dire elle est déjà perdue et nous ne la perdrons pas une seconde fois..
– Clemenceau : je demanderai au Maréchal Foch s’il a un nom à nous fournir pour le général qui prendrait le commandement de l’armée roumaine. »
« 26 mars 1919
– Loucheur : 30 milliards minimum est (...) ce que je crois sincèrement l’Allemagne capable de payer (...)
– Lloyd George : Si les dirigeants allemands arrivent à la conclusion que ce qu’ils ont de mieux à faire est d’imiter la Hongrie et de faire alliance avec les Bolcheviks, s’ils préfèrent le risque d’une anarchie de quelques années à une servitude de trente-cinq ans que ferons-nous ? (...) Si nous avions à occuper un pays très peuplé, comme la Westphalie, tandis que l’Allemagne autour de nous se relèverait ou serait agitée par un bolchevisme contagieux, quels ne seraient pas nos dépenses et nos risques ? (...) Ma conviction est que les Allemands ne signeront pas les propositions qu’on envisage (...) L’Allemagne passera au Bolchevisme. (...)
– Président Wilson : Je ne puis qu’exprimer mon admiration pour l’esprit qui se manifeste dans les paroles de M.Lloyd George. Il n’y a rien de plus honorable que d’être chassé du pouvoir parce qu’on a eu raison. (...) le gouvernement de Weimar est sans crédit. S’il ne peut rester au pouvoir, il sera remplacé par un gouvernement tel qu’il sera impossible de traiter avec lui. (...) Nous devons à la paix du monde de ne pas donner à l’Allemagne la tentation de se jeter dans le Bolchevisme, nous ne savons que trop les relations des chefs bolcheviks avec l’Allemagne.
– Clemenceau : J’approuve fondamentalement M.Lloyd George et M. Wilson, mais je ne crois pas qu’il y ait désaccord entre eux et M.Loucheur qui, en homme d’affaires expérimenté, se garderait bien de rien faire qui pût tuer la poule aux œufs d’or. (...) Nous avons raison de craindre le bolchevisme chez l’ennemi (les pays vaincus) et d’éviter d’en provoquer le développement, mais il ne faudrait pas le répandre chez nous-mêmes. (...) soit en France soit en Angleterre. Il est bien de vouloir ménager les vaincus, mais il ne faudrait pas perdre de vue les vainqueurs. Si un mouvement révolutionnaire devait se produire quelque part, parce que nos solutions paraîtraient injustes, que ce ne soit pas chez nous.
– Lloyd George : (...) Je sais quelque chose du danger bolcheviste dans nos pays ; je le combat moi-même depuis plusieurs semaines (...) Le résultat, c’est que des syndicalistes comme Smilie, le secrétaire général des mineurs, qui auraient pu devenir un danger formidable, finissent par nous aider à éviter un conflit. Les capitalistes anglais –dieu merci ! – ont peur, et cela les rend raisonnables. Mais en ce qui concerne les conditions de paix, ce qui pourrait provoquer une explosion du bolchevisme en Angleterre, ce ne serait pas le reproche d’avoir demandé trop peu à l’ennemi, mais celui de lui avoir demandé trop. L’ouvrier anglais ne veut pas accabler le peuple allemand par des exigences excessives. (...) De toutes manières, nous allons imposer à l’Allemagne une paix très dure : elle n’aura plus de colonies, plus de flotte, elle perdra 6 ou 7 millions d’habitants, une grande partie de ses richesses naturelles : presque tout son fer, une grande partie de son charbon. Militairement, nous la réduisons à l’état de la Grèce, et au point de vue naval, à celui de la République Argentine. Et sur tous ces points nous sommes entièrement d’accord. (...) Si vous ajoutez à cela des conditions secondaires qui puissent être considérées comme injustes, ce sera peut-être la goutte d’eau qui fera déborder le vase. »
« 27 mars 1919
– Président Wilson : Je ne crains pas dans l’avenir les guerres préparées par les complots secrets des gouvernements mais plutôt les conflits créés par le mécontentement des populations. (...)
– Maréchal Foch : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. En ce qui concerne particulièrement la Roumanie, les mesures nécessaires sont prévues en détail pour envoyer à son armée les effets et équipements qui lui manquent. Cette armée sera placée sous le commandement d’un général français. Vienne sera occupée par des troupes alliées sous un commandement américain. (...) Nous sommes d’accord sur l’aide à donner à l’armée roumaine et sur l’évacuation d’Odessa, qui est liée à notre actions en Roumanie. (...) Quant à l’idée d’opérer la jonction entre les forces polonaises et roumaines pour faire face à l’est, c’est le prélude d’une marche vers et cela nous conduit à la question d’une intervention militaire en Russie. Nous avons examiné cette question plus d’une fois et nous sommes chaque fois arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas penser à une intervention militaire. (...) L’évacuation d’Odessa est considérée comme le moyen de reporter des ressources, dont l’emploi à Odessa ne pouvait conduire à aucun résultat satisfaisant, sur la Roumanie pour compléter ses moyens de défense. (...)
– Maréchal Foch (chef des armées alliées) : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. (...) Contre une maladie épidémique, on fait un cordon sanitaire : on place un douanier tous les deux cent mètres et on empêche les gens de passer.
– Orlando (Italie) : Je demande la permission de lire deux télégrammes que nous recevons de notre commissaire italien à Vienne sur la situation. Le premier nous informe qu’on a reçu à Vienne une dépêche du gouvernement révolutionnaire de Budapest, invitant le prolétariat viennois à suivre l’exemple des Hongrois. Il a été décidé par les révolutionnaires viennois de former un conseil de travailleurs, de manière à les mettre en état de prendre le pouvoir (...) Le second télégramme (...) considère l’infiltration bolcheviste comme probable si la garde populaire n’est pas désarmée. Le gouvernement est faible, mais il suffirait, pour rétablir la situation, d’envoyer à Vienne deux régiments américains qui seraient reçus avec soulagement par la majorité de la population. Une déclaration des Alliés au sujet des approvisionnements produirait un effet utile mais ne servirait à rien si elle venait après le triomphe des bolchevistes.
– Général Diaz : Le bolchevisme est un mouvement populaire qui se manifeste partout où les vivres manquent et où l’autorité centrale est faible . (...) Son succès paraît lié aux succès du mouvement bolcheviste russe.. (...) la fermentation qui se produit actuellement n’a pas lieu seulement à Vienne, mais jusque dans les pays slovènes, partout en un mot où la population souffre de l’insuffisance du ravitaillement. En occupant Vienne fortement, on tient les voies de communication et on arrête ce progrès menaçant. Ce qu’il faut c’est donner aux populations l’impression que nous apportons des vivres, l’ordre et la sécurité. Sans cela elles se jetteront instinctivement du côté du désordre.
– Général Bliss : Le mot « bolcheviste » revient si souvent dans nos débats qu’évidemment il donne le ton à tout ce qui vient d’être dit. Si nous remplacions par le mot « révolutionnaire », ce serait peut-être plus clair. Le bolchevisme est la forme prise par le mouvement révolutionnaire dans les pays arriérés qui ont particulièrement souffert. D’ailleurs nous entendons dire, tantôt que le bolchevisme russe est un produit allemand, tantôt que c’est un mouvement essentiellement russe et qui, de l’est, vient envahir l’Europe. S’il était certain qu’il vient de Russie, c’est là évidemment qu’il faudrait le tuer. Mais le problème est plus difficile. Un cordon sanitaire pourrait arrêter les bolchevistes, mais non le bolchevisme, et pour en faire une barrière véritable, il faudrait déployer des forces très considérables depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire. (...)
– Président Wilson : La question n’est-elle pas de savoir s’il est possible d’organiser une résistance armée contre le bolchevisme, ce qui veut dire : avons-nous, non seulement les troupes qu’il faut, mais les moyens matériels, et le sentiment public qui nous soutiendrait ? A mon avis, essayer d’arrêter un mouvement révolutionnaire par des armées en ligne, c’est employer un balai pour arrêter une grande marée. Les armées, d’ailleurs, peuvent s’imprégner du bolchevisme qu’elles seraient chargées de combattre. Un germe de sympathie existe entre les forces qu’on voudrait opposer. Le seul moyen d’agir contre le bolchevisme, c’est d’en faire disparaître les causes. (...) Une de ces causes est l’incertitude des populations au sujet de leurs frontières de demain, des gouvernements auxquels elles devront obéir, et, en même temps, leur détresse parce qu’elles manquent de vivres, de moyens de transport et de moyens de travail. (...) »
« 28 mars 1919
– Président Wilson : Je crains beaucoup la transformation de l’enthousiasme en désespoir aussi violent que le bolchevisme qui dit : « il n’y a pas de justice dans le monde, tout ce qu’on peut faire c’est se venger par la force des injustices commises auparavant par la force. » (...)
« 29 mars 1919
– Président Wilson : L’armistice nous autorise à envoyer des troupes en Pologne pour le maintien de l’ordre. Il faut bien faire comprendre aux Allemands que c’est dans ce but et pour protéger la Pologne des bolcheviks russes que les troupes du général Haller sont envoyées à Varsovie.
– Lloyd George : Il n’est pas de l’intérêt du gouvernement allemand de nous empêcher de former une barrière contre le bolchevisme. (...) Sachons prendre une décision ; ne faisons pas avec la Hongrie comme avec la Russie ; une Russie nous suffit. »
« 31 mars 1919
– Pichon : Que s’est-il passé (en Hongrie) ? (...) Le départ du comte Karoliyi et (. .) la chute du gouvernement (...). Une république des soviets a été proclamée. Nos missions ont été chassées et le premier acte du nouveau gouvernement a été de s’adresser à Lénine et de lui dire qu’on était prêts à marcher avec lui. (...)
– Président Wilson : Il faut avant tout éclaircir la situation. Le gouvernement de Budapest (...) est un gouvernement de soviets parce que c’est la forme de gouvernement à la mode et il peut y avoir bien des espèces de soviets. .
– Pichon : La Hongrie nous répond par la révolution, par l’expulsion de nos missions. Nous sommes liés à la Roumanie, à qui nous avons promis de libérer les populations transylvaines.
– Président Wilson : Il faut éviter, par une attitude trop dure, de pousser un pays après l’autre dans le bolchevisme. Le même danger existe à Vienne. Si nous avions à jeter là une ligne de démarcation, Vienne pourrait se jeter le lendemain dans le bolchevisme. Si de pareils événements se répètent, nous n’aurons pas de paix, parce que nous ne trouverons plus personne pour le conclure. En ce qui concerne la Hongrie (...) il ne servirait à rien de lui dire « Nous ne voulons rien avoir à faire avec vous (...) nous n’avons jamais rien eu à faire, ni les uns ni les autres, avec des gouvernements révolutionnaires. » Quant à moi, je suis prêt à entrer en conversation avec n’importe quel coquin (...)
– Lloyd George : Le comte Karolyi est un homme fatigué, qui a jeté le manche après la cognée, et le bolchevisme n’a eu qu’à prendre une place vide. »
« 8 avril 1919
– Orlando : Nous avons reçu un télégramme de notre légation en Suisse nous annonçant que la proclamation de la république des soviets à Vienne est probable pour le 14 de ce mois, à moins que Vienne ne soit occupée par les Alliés.
– Lloyd George : Qui propose-t-on d’envoyer occuper Vienne ? pourquoi, si nous suivions ces suggestions, n’occuperions-nous pas l’Europe entière ? Nos représentants à Berlin nous tiennent le même langage ; il n’y aurait plus de raison de s’arrêter. (...) J’ai reçu un télégramme du War Office me faisant connaître que la situation en Allemagne s’aggrave et que l »on craint une catastrophe. (...) Aujourd’hui, nous apprenons la proclamation de la république des soviets en Bavière. Le danger est que, quand nous demanderons aux délégués allemands : « qui représentez-vous ? », ils ne sachent que répondre. (...) Nous sommes d’accord pour examiner ce que nous aurons à faire non seulement si l’Allemagne tombe en décomposition, mais aussi si la situation s’aggrave en Autriche et dans les pays voisins. (...) »
« 16 avril 1919
– Balfour : Il y a, sur la côte de la Baltique, des troupes allemandes qui luttent contre les Bolcheviks et qui nous demandent de les aider en leur fournissant du charbon et des vivres et même en leur permettant de recevoir des renforts d’Allemagne. Nous avons consenti (...) »
« 18 avril 1919
– Le Président Wilson donne lecture du texte sur la Pologne.
– Lloyd George : Un article que je n’aime pas est celui qui demande la dissolution des conseils d’ouvriers et de soldats. L’exécution n’en est pas facile.
– Clemenceau : C’est ce que nous avons fait sur les territoires que nous occupons.
– Lloyd George : Sans doute, mais nous nous désirons précisément éviter d’avoir à occuper cette région éloignée.
« 21 avril 1919
– Orlando : Quant à moi, j’ai toujours eu le souci de calmer l’opinion. (...) Si je revenais en Italie en apportant une paix qui provoquerait un soulèvement de la population, je rendrai un mauvais service au monde entier. Si l’opinion du président Wilson prévaut, il y aura une révolution en Italie, n’en doutez pas. Récemment des échauffourées se sont produites à Rome et à Milan entre le bolchevistes et les patriotes. Ce sont les bolchevistes qui ont été battus. A Milan, deux d’entre eux ont été tués. Or cet élément nationaliste qui est si excité en ce moment ferait la révolution si la paix lui paraissait mauvaise (...) Une Italie déçue et mécontente, ce sera la révolution et un danger pour le monde entier.
– Balfour : Mais supposez que l’Italie se brouille avec les Etats-Unis, je ne vois pas comment la vie économique pourra continuer, et, dans ce cas, comment éviterez vous la révolution sociale ?
– Orlando : J’ai encore espoir d éviter la révolution sociale si je reste avec mon pays. »
« 22 avril 1919
– Lloyd George : J’ai peur d’une crise que nous ne puissions plus maîtriser (...) Notre pauvre Europe est comme un terrain semé de grenades ; si on y met le pied, tout saute. »
« 23 avril 1919
– Président Wilson : Il n’est pas possible de faire quoi que ce soit dans ce pays (l’Allemagne) avant que la population ait les vivres et les moyens de travail indispensables. La disette, au sens le plus général du mot, est le terrain sur lequel croît le bolchevisme. (...) Je ne peux pas consentir à donner à donner à l’Italie ce qui serait la cause d’une séparation dangereuse entre le monde slave et l’Europe occidentale. Nous sommes devant une alternative : ou nous attirerons les slaves du sud vers l’Europe occidentale et vers la Société des Nations, ou nous les rejetterons vers la Russie et le bolchevisme. »
« 24 avril 1919
– Président Wilson : Dans les villes (allemandes) il y a du bolchevisme. »
« 29 avril 1919
– Vandervelde : Nous avons, à l’heure présente, 800.000 chômeurs survivent avec une allocation de 777 à 14 francs par semaine. La vie, en Belgique, est trois fois plus chère qu’en 1914. Cependant l’ordre et le calme n’ont cessé d’y régner. Ce qui les a maintenus, c’est d’abord l’organisation très forte de notre parti ouvrier dont je suis fier de dire qu’elle est la plus puissante garantie d’ordre qui existe dans notre pays (...). Je ne suis pas suspect de vues extrêmes (...) Dans le discours que j’ai prononcé en séance plénière sur les conditions de travail, j’ai dit que les ouvriers belges, ayant à choisir entre la méthode anglaise et la méthode russe, avaient choisi la méthode anglaise. Mr Lloyd George m’a dit qu’il était fier de voir que les ouvriers belges reconnaissaient l’excellence de la méthode britannique. Mais pour que cela dure, il est indispensable que vous nous aidiez : il y va de l’avenir de nos travailleurs et de notre pays même. ».
« 30 avril 1919
– Lloyd George : Pour l’emploi du temps, il a été proposé d’étudier la semaine prochaine les questions relatives à la paix en Autriche. (...)
– Ce qui me rallie à la proposition de M. Lloyd George, c’est l’effet moral que la convocation aura en Autriche. Les dépêches que nous recevons de Vienne indiquent l’urgence de soutenir le gouvernement actuel. La disette, le sentiment que la paix n’est pas en vue, créent un état d’esprit dangereux (...)
– Lloyd George : Je propose d’entendre M. Tchaïkovsky le chef du gouvernement d’Arkhangel (...) Les renseignements que nous recevons indiquent que Koltchak avance et pourra sans doute rejoindre Arkhangel (...) et, d’autre part, que le gouvernement de Lénine est encore puissant, mais incline peu à peu vers une politique plus modérée.
– Clemenceau : Nos informations tendent à montrer que la puissance des Bolcheviks décline.
– Lloyd George : Ici nos informations diffèrent. (...)
– Président Wilson : Un des éléments qui troublent la paix du monde est la persécution des Juifs. Vous savez qu’ils sont particulièrement mal traités en Pologne et qu’ils sont privés des droits de citoyen en Roumanie. (...) Rappelez-vous que, quand les Juifs étaient traités en hors la loi en Angleterre, ils agissaient comme des gens hors la loi. Notre désir est de les ramener partout dans la loi commune. (...) (Suite le 3 mai) Nos gouvernements, du moins les gouvernements britannique et américain, ont pris, vis-à-vis des Juifs, l’engagement d’établir en Palestine quelque chose qui ressemble à un Etat israélite, et les Arabes y sont très opposés.
– (Suite le 17 mai) Ce n’est pas seulement un sentiment de bienveillance à l’égard des Juifs, mais par l’incertitude du danger que le traitement injuste des Juifs crée dans différentes parties de l’Europe. Le rôle des Juifs dans le mouvement bolcheviste est dû sans aucun doute à l’oppression que leur race a subi pendant si longtemps. Les persécutions empêchent le sentiment patriotique de naître et provoquent l’esprit de révolte. A moins que nous ne portions remède à la situation des Juifs, elle restera un danger pour le monde.
– (Suite 6 juin) France, Italie, Grande Bretagne, Etats-Unis, ce n’est pas sur leurs territoires que l’on trouve cet élément juif qui peut devenir un danger pour la paix en Europe, mais en Russie, en Roumanie, en Pologne, partout où les Juifs sont persécutés.
– Lloyd George : Cette difficulté subsistera jusqu’à ce que les Polonais deviennent assez intelligents pour savoir tirer parti de leurs Juifs, comme le font les Allemands.
– (Suite 23 juin) Président Wilson Le plus important est d’apaiser les inquiétudes des Juifs. Je crains toujours de laisser subsister de ce côté un ferment dangereux. »
« 2 mai 1919
– Lloyd George : On me fait savoir que, dans plusieurs villes d’Italie, des soldats anglais ont été insultés dans les rues. (...)
– Président Wilson : En jetant un cristal dans un liquide, on le fait parfois cristalliser tout entier.
– Lloyd George : Quelquefois aussi, on provoque une explosion.
– Président Wilson : L’explosion s’est déjà produite. (...) l’attitude de l’Italie est indubitablement agressive. (...) »
« 7 mai 1919
– Lloyd George : Je voudrai vous parler de la Russie La situation s’y transforme de la façon la plus remarquable : nous assistons à un véritable effondrement du bolchevisme, à tel point que le cabinet britannique sollicite de nous une décision immédiate sur notre politique en Russie. D’après nos renseignements, Koltchak est sur le point de joindre ses forces à celles d’Arkhangel ; il est possible aussi qu’il arrive à bref délai à Moscou et y établisse un nouveau gouvernement. (...)
– Président Wilson : Que fournissez-vous à Koltchak et à Dénikine ?
– Lloyd George : Des armes et des munitions. »
« 8 mai 1919
– Président Wilson : Rien n’a été décidé sur les frontières de la Russie ou celles qu’il a lieu d’établir à l’intérieur de l’ancien empire russe. »
« 9 mai 1919
– Président Wilson : Quand nous essayâmes pour la première fois d’envoyer des vivres aux populations russes (...) des troupes américaines ont assuré la police du chemin de fer entre le Pacifique et Irkoutsk. Notre gouvernement n’a pas confiance dans l’amiral Koltchak qui est soutenu par la France et l’Angleterre. (...) Dans ces conditions, nous devons ou prendre le parti de soutenir Koltchak et de renforcer notre armée d’occupation, ou nous retirer totalement. Mais si nous augmentons nos effectifs, le Japon fera de même. Quand nous sommes allés en Sibérie, nous nous étions entendus avec le Japon pour envoyer là-bas des forces équivalentes. En fait, nous avons envoyé 9000 hommes et le japon 12000. Mais, peu à peu, il a augmenté ses effectifs et les a porté à 70.000 hommes. (...) Si, d’autre part, nous renforçons les troupes qui gardent le chemin de fer, je crains une coalition entre les Cosaques et les Japonais contre nous. Pour moi j’ai toujours été d’avis de nous retirer de Russie (...)
– Lloyd George : (...) Il devient nécessaire de nous entendre sur une politique commune en Russie. D’après nos renseignements, l’amiral Koltchak avance rapidement à l’ouest de l’Oural et cela semble démontrer que les Bolcheviks n’ont plus la force de résister, ou que les moyens de transport leur manquent complètement. Quelles sont les dernières nouvelles ?
– Sir Maurice Hankey : Les derniers télégrammes montrent que l’amiral Koltchak envoie des forces à la fois dans la direction d’Arkhangel et vers le sud-ouest.
– Président Wilson : Nous avons certainement le droit de demander à Koltchak quelles sont ses intentions.
– Lloyd George : D’abord sur la question agraire, il faut lui demander s’il est bien résolu à ne pas reprendre la terre aux paysans.
– Président Wilson : D’après les informations que j’ai reçues d’un homme qui connaît très bien la Russie et sa situation présente, les paysans se sont emparés de la terre irrégulièrement et au hasard. (...)
– Lloyd George : Il faut se résigner à des irrégularité de ce genre dans une révolution : le fait s’est produit lors de la révolution française. (...)
– Lloyd George : Si l’amiral Koltchak peut nous rejoindre, c’est la fin du bolchevisme. ( ..)
– Président Wilson : Les troupes américaines d’Arkhangel ne sont pas bien sures. (...) Il est toujours dangereux de se mêler de révolutions étrangères. (...)
– Lloyd George : Ici ce sont des Russes qui agissent et nous ne ferons que les seconder. (...)
– Lord Robert Cecil : Le grand problème que nous avons à résoudre est de remettre l’Europe au travail. Partout, le chômage se développe, surtout dans les Etats nouveaux. Se borner à nourrir cette population de chômeurs serait presque sans effet au point de vue politique : s’ils sont nourris et sans travail, ils seront encore plus disposés à se révolter que dans la plus extrême détresse. (...) Ce qui est certain, c’est que si rien n’est fait, nous nous trouverons en présence du chaos et de l’anarchie. »
« 10 mai 1919
– Président Wilson : Une intransigeance de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne. et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...)
– Lloyd George : J’ai reçu ce matin un autre rapport qui me dit qu’à mesure que Koltchak avance, il se produit des désordres derrière lui. Les Bolcheviks ont quelques succès en Sibérie orientale. Cela ne veut-il pas dire que l’on croit que si Koltchak réussissait, le but final de son entourage serait le retour au passé ? Ne croit-on pas que c’est à cela que les Alliés veulent l’aider ? (...) »
« 17 mai 1919
– Maharadjah de Bikaner : Nous ne pouvons que déconseiller de la manière la plus formelle tout partage de la Turquie (...) C’est avec tout le sentiment de ma responsabilité que j’appelle votre attention sur le danger de désordre et de haine que cette question contient, non seulement pour l’Inde mais pour le monde entier.
– Montagu : Il y a un danger véritable chez les peuples musulmans. (...) Un Américain qui avait été prisonnier des Bolcheviks à Tachkent (...) a été frappé par l’attitude des Musulmans à l’égard des Alliés : le sentiment parmi eux était que la Conférence prenait position contre l’Islam. Je n’ai pas besoin de rappeler les événements récents qui se sont produits en Egypte et dans l’Afghanistan. Dans le Pendjab, des agitateurs hindous, excités par les Bolcheviks, provoquaient les populations à la révolte. (...) Il est sans exemple que l’on ait ainsi ouvert les mosquées à des prédicateurs ou à des orateurs qui n’appartenaient pas eux-mêmes à la religion musulmane. »
« 19 mai 1919
– Président Wilson : La situation à Varsovie est certainement dangereuse. L’opinion est très montée et aux excitations nationalistes se mêlent des menaces de grève générale des postes et des chemins de fer. (...) Paderewski nous avertit qu’une intransigeance complète de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...) Le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. Il n’y aurait pas de résistance. (...) On nous conseille d’envoyer à Budapest une mission politique ayant à sa tête un homme comme le général Smuts pour assurer l’établissement d’un gouvernement stable. (...)
– Lloyd George : Nous sommes au milieu des sables mouvants. (...) Avez-vous vu le télégramme de Lénine qui accuse les troupes de Denikine d’atrocités. J’ai bien peur qu’en fait les atrocités n’aient lieu des deux côtés. Que penser des victoires de Koltchak ? (...)
– Président Wilson : Même incertitude au sujet de la Hongrie. Nous recevons des rapports sur l’impopularité de la dictature du prolétariat. (...) La conclusion de mon représentant est que le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. (...)
– Clemenceau : Il me paraît bien difficile d’occuper Budapest. Que nous demandera-t-on d’occuper ensuite ? Ce n’est pas la première fois qu’on nous invite à occuper telle ou telle partie de l’Europe. (...)
– Président Wilson : J’ai donné au Département d’Etat l’instruction d’entrer directement en communication avec l’amiral Koltchak et de lui poser un certain nombre de questions, notamment sur ses intentions en ce qui concerne l’Assemblée Constituante et le régime agraire.
« 20 mai 1919
– Lord Robert Cecil : Lénine ne veut pas accepter la condition de suspension des hostilités. Après consultation avec le Conseil suprême économique, je conseille aux gouvernements de choisir entre deux politiques : il faut ou écraser les Bolcheviks ou imposer aux différents groupes belligérants de la Russie (...) qu’une Constituante soit immédiatement convoquée. En tout cas, il ne faut pas essayer de mêler les deux systèmes. (...)
– Clemenceau : Si nous cessons d’envoyer des armes à Koltchak et à Denikine, ce n’est pas cela qui arrêtera Lénine. (...)
– Lloyd George : D’un côté, nous avons des révolutionnaires violents et sans scrupules, de l’autre des gens qui prétendent agir dans l’intérêt de l’ordre, mais dont les intentions nous sont suspectes. Toutefois, nous avons le devoir de ne pas abandonner ceux dont nous avons eu besoin (...)
– Lloyd George : Nous aurons aussi à examiner la question des provinces baltiques. (. ;) Comment faire fond sur ces populations ? Nous avons à un moment donné cherché à leur distribuer des armes pour combattre contre les Bolcheviks, mais nous y avons renoncé, parce que nous trouvions trop peu de gens en qui on pût avoir confiance. »
« 21 mai 1919
– Lloyd George : Le monde musulman s’agite, vous savez nos difficultés en Egypte, l’Afghanistan est en état de guerre avec nous. Pendant la guerre nous avons levé dans les Indes plus d’un million d’hommes, presque tous musulmans, ce sont eux qui ont supporté presque tout le poids de la lutte contre la Turquie, quoique encadrés par des troupes blanches. Le monde musulman n’oublie pas cela. La division de la partie proprement turque de l’Asie Mineure serait injuste et impolitique (...)
– Général Le Rond : Les Ukrainiens n’ont que médiocrement résisté aux Bolchevistes. (...) Les Polonais sont beaucoup plus capables qu’eux d’arrêter la marche en avant du bolchevisme.
– Général Botha : Les Polonais, avec des munitions qu’ils reçoivent de nous, attaquent des gens qui ne sont pas nos ennemis (Ukraine). S’ils ont besoin de ce que nous leur donnons pour combattre les Bolchevistes, nous sommes prêts à continuer à le leur donner. (...) Si nous tolérons ce que la Pologne fait aujourd’hui, nous jetterons nous-mêmes le peuple ukrainien dans les bras des Bolcheviks.
– Président Wilson : Si Paderewski tombe et que nous coupions les vivres à la Pologne, la Pologne elle-même ne deviendra-t-elle pas bolcheviste ? Le gouvernement de Paderewski est comme une digue contre le désordre, et peut-être la seule possible.
– Lloyd George : Les Polonais estiment que le moyen de combattre les Bolchevistes n’est pas de s’unir avec les Ukrainiens contre eux, mais de supprimer les Ukrainiens. Quarante millions d’Ukrainiens, s’ils sont foulés aux pieds, se soulèveraient contre nous et pourraient créer un nouveau bolchevisme quand l’ancien se serait effondré. »
« 23 mai 1919
– Orlando : Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir nier que l’état d’esprit en Italie est fort préoccupant. C’est un aveu qui me coûte beaucoup. L’exaspération de l’opinion italienne vient en partie de la fatigue de la guerre, en partie de la sensation d’anxiété provenant du fait que l’Italie ne voit pas les questions qui l’intéressent recevoir leur solution. (...) Il en est résulté une tension qui va, je le reconnais, jusqu’à la folie de la persécution ; et cela se tourne contre le gouvernement italien lui-même.
– Président Wilson : N’est-ce pas l’Angleterre qui a fourni la plus grande partie des armes et des munitions à Koltchak et à Denikine ? Les Etats-Unis n’ont rien fourni, sauf aux Tchécoslovaques.
– Lloyd George : C’est en effet la Grande-Bretagne qui a fait la plus grande partie de ces fournitures.
– Clemenceau : Nous en avons fait aussi mais moins que vous.
– Président Wilson : Notre rôle est différent. Nous n’avons fait que venir en aide aux Tchécoslovaques et assurer en partie la garde du chemin de fer transsibérien. (...)
– Lloyd George : Il faut reprendre la question de l’armement des petits Etats de l’Europe centrale. (...)
– Nous laisserons des troupes à la Pologne à cause du voisinage de la Russie. Nous laisserons des troupes à la Roumanie pour la même raison. »
« 24 mai 1919
– Président Wilson : Nous craignons que l’amiral Koltchak, le général Denikine et le gouvernement d’Arkhangel ne soient soumis à des influences contre-révolutionnaires et que, s’ils n’ont pris aucun engagement vis-à-vis de nous, leur victoire n’aboutisse à une réaction qui conduirait sans doute à de nouveaux désordres et à une nouvelle révolution. (...)
– Lloyd George : En Angleterre, le sentiment contre l’action de toute troupe britannique en Russie est de plus en plus fort. En revanche, nous pouvons laisser tous les individus qui, de leur propre gré, s’engageront au service d’un des gouvernements russes (Koltchak ou Denikine), leur fournir cette sorte d’assistance individuelle. En fait, lorsque nous avons demandé des volontaires pour notre corps d’occupation d’Arkhangel, nous en avons trouvé beaucoup. (...) D’ailleurs, ce qu’il faut en Russie, ce sont avant tout des spécialistes, artilleurs, aviateurs, etc… (. ;) Il est peut-être mieux de ne même pas mentionner ces volontaires dans notre dépêche (...).
– Président Wilson : Ce n’est pas moi qu’il faut persuader mais le Congrès des Etats-Unis qui s’est montré jusqu’à présent hostile à l’idée de toute intervention en Russie. Je crois que cette attitude pourra changer si l’amiral Koltchak réponde d’une manière satisfaisante aux questions que nous allons lui poser. (...) Mais, pour aider l’amiral Koltchak dans sa marche vers l’ouest, nous ne lui fournissons que des moyens matériels, en laissant aux individus le droit de s’engager volontairement dans les armées russes. (...) Notre ambassadeur à Tokyo est en route pour Omsk ; il doit voir l’amiral Koltchak et se former une opinion sur lui et son entourage.
– Lloyd George : Il serait bon d’envoyer quelqu’un faire la même enquête chez le général Denikine. (...) Denikine est entouré de bons officiers mais dont les méthodes sont brutales : ils ont fusillé quinze mille bolchevistes après les avoir fait prisonniers. »
« 26 mai 1919
– Président Wilson : Le traité de Londres a été conclu dans des circonstances qu,i depuis, se sont modifiées. (...) L’opinion du monde elle-même s’est modifiée. (...) le monde n’avait pas encore compris qu’il y avait là une question qui le regardait (l’oppression des peuples colonisés menaçant de se joindre à la révolution russe et européenne) et dans laquelle son avenir même était en jeu, c’est ce qui n’a été compris que graduellement aux Etats-Unis et dans d’autres pays. (...) C’est alors que j’ai fait au Congrès mon discours sur nos buts de guerre (. ;) mes quatorze points (...). Le traité de Londres est fondé sur l’idée de l’ancienne politique européenne que la puissance la plus forte a le droit de régler le sort de la plus faible. (...) Si aujourd’hui cette idée était maintenue, elle provoquerait des réactions fatales à la paix du monde.
« 28 mai 1919
– Clemenceau : Nous allons discuter (...) pour tous les petits Etats (...) la question de la limitation de leurs armements (...)
– Président Wilson : Il y a, dans cette partie du monde, un facteur inconnu : c’est la Russie. Ne pouvons-nous pas dire que, là où ce facteur peut se faire sentir, des forces militaires pourront être maintenues suffisantes pour parer à toute éventualité ?
– Clemenceau : ce qu’il faut surtout, c’est ne pas trop hâter le désarmement des Etats d’Europe centrale.
– Lloyd George : Je crains ce qui peut arriver si ces Etats ont des armées très supérieures à celle de l’Autriche. Je n’ai pas grande confiance dans la Roumanie, dans la Serbie.
– Président Wilson : Il vaut mieux établir un régime provisoire tant que la période d’incertitude et de désordre continue. Il est impossible aujourd’hui, quand l’est de l’Europe est dans un état si critique, de militer définitivement les forces de chaque Etat. »
« 29 mai 1919
– Lloyd George : En Russie, rien n’a plus contribué à rendre les Bolcheviks populaires que l’occupation étrangère. (En Europe centrale) il faut éviter que l’occupation irrite la population, accumule les haines et crée un danger pour l’Europe entière. »
« 2 juin 1919
– Lloyd George : J’estime qu’il est de mon devoir de vous indiquer la situation de la délégation britannique en ce qui concerne le traité de paix. Elle est difficile. Notre opinion publique désire avant tout la paix (...) elle ne soutiendrait pas un gouvernement qui reprendrait la guerre. »
« 3 juin 1919
– Lloyd George : Je crains que Koltchak n’ait subi un échec sérieux. »
« 6 juin 1919
– Le président Wilson donne lecture du télégramme de l’amiral Koltchak en réponse à la demande de garanties des Alliés : (...) « Il paraît impossible de rappeler l’assemblée de 1917 élue sous un régime de violence bolcheviste et dont les membres sont maintenant en majorité dans les rangs des Soviets. »
« 9 juin1919
– Président Wilson : Je prie les membres du Conseil militaire interallié de nous faire connaître la situation militaire en Hongrie. (...)
– Lloyd George : J’ai des informations récentes d’un Anglais, venu de Budapest, et d’ailleurs très hostile à Bela Kun. Il rejette toute la faute de ce qui est arrivé sur les Roumains. (...) Bela Kun, à ce moment, était perdu. Il était isolé dans Budapest. Sa situation pouvait se comparer à celle de la Commune de Paris immédiatement avant sa chute. L’avance des Roumains a soulevé le sentiment national hongrois et donné à Bela Kun une armée (...) J’ai reçu deux télégrammes de notre représentant militaire à Prague. Le premier dit que la situation est très grave, que les Tchèques manquent de munitions, que Presbourg est menacé et que le bolchevisme se développe en Slovaquie. Le second annonce qu’à la requête du Président Masaryk, le général Pellé a été placé à la tête de l’armée tchécoslovaque et la loi martiale proclamée à Presbourg. (...) Le général Franchet d’Esperey, qui nous représente tous, a donné une première fois aux Roumains ordre de s’arrêter. Cet ordre n’a pas été obéi. (...) Je propose d’arrêter tout envoi de matériel à la Roumanie jusqu’à ce qu’elle ait obéi à notre ordre. (...) La plus grande partie de nos difficultés vient de ce que les Etats qui sont nos amis refusent de suivre nos instructions. (...)
– Président Wilson : Je n’aime pas jouer les dépôts de munitions. Cela peut produire des explosions. (...)
– Lloyd George : Les Allemands ne savent plus où ils en sont. Ils ressemblent à un homme pris dans un cyclone, à qui l’on demanderait tout à coup : « à quel prix vendez-vous votre cheval ? » D’ailleurs nous sommes un peu dans la même situation. (...) Il faut aboutir. Nous ne pourrons tenir aucune des autres nations tant que nous n’aurons pas fait la paix avec l’Allemagne. »
« 10 juin 1919
– Président Wilson : Nous vous avons convoqués, Messieurs, parce que nous sommes très préoccupés de la situation militaire en Hongrie et autour de la Hongrie. (...) Cette seconde offensive (roumaine) a eu comme conséquence la chute de Karolyi, dont l’attitude envers l’Entente était plus amicale que celle d’aucun autre homme d’Etat hongrois .C’est alors que Bela Kun s’empara du pouvoir. Son gouvernement n’était pas de nature à être accepté par les classes les plus établies de la population. Mais quand les Tchèques, à leur tour, attaquèrent le territoire hongrois. On nous rapporte que les officiers de l’ancienne armée hongroise eux-mêmes vinrent se ranger autour du gouvernement de Bela Kun. Celui-ci donc arrivé au pouvoir en conséquence de l’offensive roumaine y a été consolidé par l’offensive tchèque. Rien ne peut être plus fatal à notre politique. (...) Nous devons éviter de créer nous-mêmes le bolchevisme en donnant aux populations des pays ennemis de justes raisons de mécontentement. »
« 12 juin 1919
– Lloyd George : En réponse à l’amiral Koltchak, nous ne pouvons faire plus que lui promettre notre appui. Il est impossible de reconnaître son gouvernement comme celui de toute la Russie. (...)
– Orlando : Il y a en Italie une grève qui me préoccupe (...)
– Lloyd George : J’ai eu quelques renseignements sur ce qui s’est passé à Rome pendant la visite de Ramsay MacDonald. Les socialistes italiens étaient d’avis de faire un coup, d’accord avec les groupes ouvriers de France et d’Angleterre. (...)
– Orlando : L’agitation qui a lieu en Italie en ce moment est surtout dirigée contre la hausse des prix. Il y a eu quelques incidents sérieux à La Spezia : une personne a été tuée et deux blessées.
– Lloyd George : Cette question des prix me préoccupe beaucoup et je crois que nous devrons bientôt faire un effort pour la résoudre en commun. A mon avis, il faudra établir un système d’achats interalliés.. Autrement nous courrons à une révolution dans toute l’Europe.
« 13 juin 1919
– Lloyd George : Les moyens militaires à employer si les Allemands refusent de signer (la paix) ont été étudiés. Mais, à mon avis, le meilleur moyen d’obtenir la signature, c’est d’annoncer dès maintenant que nous nous préparons, en cas de refus, à reprendre le blocus. (...) Ce que je veux, c’est hâter la conclusion de la paix. Si la paix ne vient pas promptement, je crains un chaos qui serait bien pire que tout ce qu’ont pu faire des années de blocus (...) J’ai peur de trouver à Berlin un autre Moscou (...)
– Président Wilson : La famine a produit ailleurs le chaos et je crains qu’elle ne le produise aussi en Allemagne.
– Clemenceau : Lloyd George n’a pas envie d’aller à Berlin, moi non plus..
« 17 juin 1919
– Lloyd George : Le Conseil économique nous demande s’il n’y a pas lieu de lever le blocus de la Russie bolcheviste et de la Hongrie dès la signature du traité avec l’Allemagne. La question, en réalité, se borne à savoir si les allemands seront les seuls à avoir le droit de commercer avec la Russie. (...) Si je croyais que nous puissions écraser les Bolcheviks cette année, je serai d’avis de faire un grand effort auquel participeraient les flottes anglaise et française. Mais l’amiral Koltchak vient d’être repoussé à trois cent kilomètres en arrière. Une des ses armées est détruite. (...) Pour moi, l’amiral Koltchak ne battra pas Lénine. Il arrivera plutôt un moment où les adversaires se rapprocheront pour mettre fin à l’anarchie. Il semble que les affaires militaires des Bolcheviks soient bien conduites. Mais les observateurs qui nous renseignent disent que la pure doctrine bolcheviste est de plus en plus abandonnée et que ce qui se constitue là-bas, c’est un Etat qui ne diffère pas sensiblement d’un Etat bourgeois.
– Clemenceau : Etes-vous sûr du fait ?
– Président Wilson : Il est peut-être encore trop tôt pour le croire. (...)
– Clemenceau : Il faut, en tout cas, tenir l’engagement que nous venons de prendre vis-à-vis de l’amiral Koltchak.
– Lloyd George : Certainement. (...)
– Président Wilson : Nous ne nous sommes engagés d’ailleurs qu’à l’aider en lui fournissant du matériel. (...) La question est celle-ci : sommes-nous en guerre avec la Russie bolcheviste ?
– Lloyd George : Des troupes britanniques sont à Arkhangel. (...)
– Président Wilson : Je vous signale que le Conseil interallié des transports maritimes a donné hier l’ordre d’arrêter les navires chargés de vivres à destination des ports de la Baltique (...) Je rappelle que j’ai beaucoup insisté pour que nous commencions par l’action militaire et que nous n’ayons recours au blocus qu’en dernier lieu. (...) Je ne suis pas d’avis de réduire à la famine la population d’un grand pays, sauf si c’est le dernier moyen d’action qui nous reste (...) »
« 23 juin 1919
– Balfour : Une dépêche interceptée du gouvernement de Weimar à la délégation allemande de Versailles (...) : le gouvernement allemand se déclare prêt à signer. (...)
– Lloyd George : M. Winston Churchill viendra sous peu vous parler du rapatriement des Tchèques par Arkhangel. On réclame instamment en Bohême le retour des troupes tchèques de Russie. M. Winston Churchill est surtout préoccupé d’établir, si cela est possible, des communications entre l’amiral Koltchak et Arkhangel, et les troupes tchèques sur le retour pourraient y aider. Mais il faut pour cela qu’elles soient remplacées le long du Transsibérien par des troupes japonaises et américaines. »
« 25 juin 1919
– Clemenceau : Si nous prenons l’attitude qu’il faut, je crois qu’il y aura en Pologne des troubles locaux, mais pas de lutte armée. En tout cas, il ne faut pas laisser grandir le mouvement. (...) Le président Wilson nous prie de ne pas recommencer la guerre. Je le crois bien ! Mon pays a souffert plus que tout autre. Il s’élève en France un cri universel pour la démobilisation. (...) Toutefois, il y a un intérêt suprême qui s’élève au dessus du désir légitime d’en finir avec la guerre : il ne faut pas que les résultats de la guerre nous échappent par notre faiblesse. (...)
– Lecture d’un rapport de la commission des affaires baltiques sur l’avance allemande qui se poursuit systématiquement. Le danger du côté des Bolcheviks n’est pas moins sérieux. (...) Un rapport annexe provenant des agents des Puissances alliées et associées dans la Baltique demande l’envoi d’une mission militaire interalliée sous le commandement d’un général anglais. Il demande également l’envoi d’instructeurs et d’armes. (...)
– Lloyd George : Voilà des gens qui se battent pour leur liberté, et qui ne pourront pas continuer si nous ne leur envoyons pas d’argent. Pour ce qui est de les approvisionner en vivres et en munitions j’y suis prêt et je sui d’avis de leur envoyer la mission demandée. (...) Vous vous souvenez de l’échec et du recul de l’amiral Koltchak : il a perdu trois cent kilomètres de terrain. Mais en même temps Dénikine avance du côté du sud et les cosaques du Don se sont levés pour l’aider. (...) D’après un rapport, même si le front bolchevik était percé, les tchécoslovaques n’arriveraient pas à Arkhangel en temps voulu pour y être embarqués avant l’hiver. Nous pouvons leur proposer de faire un effort pour hâter leur libération mais nous courrons quelque risque si l’effort ne réussit pas. »
« 26 juin 1919
– Clemenceau : J’ai reçu un télégramme de Bela Kun il y a quelques jours. Il demandait des garanties dont la première était la reconnaissance de la république des soviets. Je n’ai pas répondu. (...)
– Lloyd George : Nous ne pouvons pas dire que nous ne reconnaîtrons jamais un gouvernement de soviets. Si défectueux que soit ce genre de gouvernement, il est, somme toute, plus représentatif que l’était celui du tsar.
– Clemenceau : Cette reconnaissance présenterait ici des dangers réels. »
« 28 juin 1919 (dernière réunion du Conseil des Quatre)
– Président Wilson : Je ferai observer que nos délibérations ont eu le caractère de conversations privées.
– Clemenceau : Assurément, publier ces comptes-rendus serait tout ce qu’il pourrait y avoir de plus dangereux.
– Président Wilson : (...) Si j’avais pensé que cette question se poserait, je n’aurai jamais consenti à ce qu’on prît des notes. »
« Les délibérations du Conseil des Quatre »
Compte-rendu officiel des chefs d’Etat des grandes puissances
(Wilson président des Etats-Unis, Lloyd George chef du gouvernement anglais, Clemenceau chef du gouvernement français, Orlando chef du gouvernement italien, Paderewski chef du gouvernement polonais, Montagu secrétaire d’Etat pour l’Inde)
Edition du CNRS 1955
« Ainsi, le parti de Lénine fut-il le seul en Russie à comprendre les intérêts véritables de la révolution dans cette première période, il en fut l’élément moteur en tant que seul parti qui pratiquât une politique réellement socialiste.
On comprend aussi pourquoi les bolcheviks, minorité bannie, calomniée et traquée de toutes parts au début de la révolution, parvinrent en très peu de temps à la tête du mouvement et purent rassembler sous leur drapeau toutes les masses réellement populaires : le prolétariat des villes, l’armée, la paysannerie, ainsi que les éléments révolutionnaires de la démocratie, l’aile gauche des socialistes révolutionnaires.
A l’issue de quelques mois, la situation réelle de la révolution se résumait dans l’alternative suivante : Victoire de la contre-révolution ou dictature du prolétariat, Kalédine ou Lénine. Toute révolution en arrive objectivement là une fois dissipée la première ivresse ; en Russie, c’était le résultat de deux questions brûlantes et concrètes, celle de la paix et celle de la terre qui ne pouvaient être résolues dans le cadre de la révolution bourgeoise.
En cela, la révolution russe n’a fait que confirmer l’enseignement fondamental de toute grande révolution, dont la loi vitale se formule ainsi : il lui faut avancer très rapidement et résolument, renverser d’une main de fer tous les obstacles, placer ses objectifs toujours plus loin, si elle ne veut pas être très bientôt ramenée à son fragile point de départ ni être écrasée par la contre-révolution. Une révolution ne peut pas stagner, piétiner sur place, se contenter du premier objectif atteint. En transposant les vérités terre à terre des guerres parlementaires à la petite semaine sur la tactique révolutionnaire, on fait tout juste preuve d’un manque de psychologie de la révolution, d’une méconnaissance profonde de ses lois vitales, toute expérience historique est alors un livre sept fois scellé.
Dans le déroulement de la révolution anglaise à partir du moment où elle a éclaté en 1642, comment, par la logique des choses, les tergiversations débiles des presbytériens, la guerre hésitante contre l’armée royaliste, au cours de laquelle les chefs presbytériens évitèrent délibérément une bataille décisive et une victoire contre Charles 1er, furent ce qui contraignit inéluctablement les Indépendants à les chasser du Parlement et à prendre le pouvoir. Et par la suite, il en fut de même au sein de l’armée des Indépendants : la masse subalterne et petite-bourgeoise des soldats, les « niveleurs » de Lilburn constituait les troupes de choc de tout le mouvement indépendant, et enfin les éléments prolétariens de la masse des soldats, ceux qui allaient le plus loin dans leurs perspectives de bouleversement social et s’exprimaient dans le mouvement des « diggers » représentaient pour leur part le levain du parti démocratique des « niveleurs ».
Si les éléments révolutionnaires prolétariens n’avaient pas agi sur l’esprit de la masse des soldats, si la masse démocratique des soldats n’avait exercé aucune pression sur la couche bourgeoise dirigeante du parti des Indépendants, le Long Parlement n’aurait pas été « nettoyé » des presbytériens, la guerre contre l’armée des Cavaliers et contre les Écossais n’aurait pas connu une issue victorieuse, Charles 1" n’aurait été ni jugé ni exécuté, la Chambre des Lords n’aurait pas été supprimée et la république n’aurait pas été proclamée.
Et la grande révolution française ? Après quatre ans de combat, la prise de pouvoir par les Jacobins s’avéra être le seul moyen susceptible de sauver les conquêtes de la révolution, de faire prendre corps à la république, de réduire le féodalisme en poussière, d’organiser la défense révolutionnaire à l’intérieur comme à l’extérieur, d’étouffer la conspiration de la contre-révolution, de propager la vague révolutionnaire française dans toute l’Europe.
Aucune révolution ne peut garder le « juste milieu », sa loi naturelle exige des décisions rapides : ou bien la locomotive grimpe la côte historique à toute vapeur jusqu’au bout, ou bien, entraînée par son propre poids, elle redescend la pente jusqu’au creux d’où elle était partie et elle précipite avec elle dans l’abîme, sans espoir de salut tous ceux qui, de leurs faibles forces, voulaient la retenir à mi-chemin.
(...)
Les bolcheviks ont aussitôt défini comme objectif à cette prise du pouvoir le programme révolutionnaire le plus avancé dans son intégralité ; il ne s’agissait pas d’assurer la démocratie bourgeoise mais d’instaurer la dictature du prolétariat pour réaliser le socialisme. Ils ont ainsi acquis devant l’histoire le mérite impérissable d’avoir proclame pour la première fois les objectifs ultimes du socialisme comme programme immédiat de politique pratique.
Tout le courage, l’énergie, la perspicacité révolutionnaire, la logique dont un parti révolutionnaire peut faire preuve en un moment historique a été le fait de Lénine, de Trotski et de leurs amis. Tout l’honneur et toute la faculté d’action révolutionnaires qui ont fait défaut à la social-démocratie occidentale, se sont retrouvés chez les bolcheviks. L’insurrection d’octobre n’aura pas seulement servi à sauver effectivement la révolution russe, mais aussi l’honneur du socialisme international.
(...)
A cet égard, Lénine, Trotski et leurs amis ont les premiers, par leur exemple, ouvert la voie au prolétariat mondial, ils sont jusqu’à présent encore les seuls qui puissent s’écrier comme Hutten :« J’ai osé » !
Voilà ce que la politique des bolcheviks comporte d’essentiel et de durable. En ce sens, ils conservent le mérite impérissable d’avoir ouvert la voie au prolétariat international en prenant le pouvoir politique et en posant le problème pratique de la réalisation du socialisme, d’avoir fait progresser considérablement le conflit entre capital et travail dans le monde entier. En Russie, le problème ne pouvait être que posé. Il ne pouvait être résolu en Russie. Et en ce sens, l’avenir appartient partout au ’’Bolchevisme’’. »
Rosa Luxemburg
« La révolution russe »
Janvier 1918
« L’ordre règne à Berlin
« ( ..) Cette « Semaine Spartakiste » de Berlin, que nous a-t-elle apporté, que nous enseigne-t-elle ? Au cœur de la mêlée, au milieu des clameurs de triomphe de la contre-révolution, les prolétaires révolutionnaires doivent déjà faire le bilan des événements, les mesurer, eux et leurs résultats, au grand étalon de l’histoire. La révolution n’a pas de temps à perdre, elle poursuit sa marche en avant, - par-dessus les tombes encore ouvertes, par-delà les « victoires » et les « défaites » - vers ses objectifs grandioses. Et le premier devoir de ceux qui luttent pour le socialisme internationaliste, c’est d’étudier avec lucidité sa marche et ses lignes de force.
Pouvait-on s’attendre, dans le présent affrontement, à une victoire décisive du prolétariat révolutionnaire, pouvait-on escompter la chute des Ebert-Scheidemann et l’instauration de la dictature socialiste ? Certainement pas, si l’on fait entrer en ligne de compte tous les éléments qui décident de la réponse. Il suffit de mettre le doigt sur ce qui est à l’heure actuelle la plaie de la révolution : le manque de maturité politique de la masse des soldats qui continuent de se laisser abuser par leurs officiers et utiliser à des fins contre-révolutionnaires est à lui seul la preuve que, dans ce choc-ci, une victoire durable de la révolution n’était pas possible. D’autre part, ce manque de maturité n’est lui-même que le symptôme du manque général de maturité de la révolution allemande. (...)
Mais ce qui fait défaut, c’est la coordination de la marche en avant, l’action commune qui donnerait aux coups de boutoir et aux ripostes de la classe ouvrière berlinoise une tout autre efficacité. Ensuite - et c’est de cette cause plus profonde que proviennent ces imperfections politiques - les luttes économiques, ce volcan qui alimente sans cesse la lutte de classe révolutionnaire, ces luttes économiques n’en sont encore qu’à leur stade initial. (...)
De cette contradiction entre la tâche qui s’impose et l’absence, à l’étape actuelle de la révolution, des conditions préalables permettant de la résoudre, il résulte que les luttes se terminent par une défaite formelle. Mais la révolution est la seule forme de « guerre » - c’est encore une des lois de son développement - où la victoire finale ne saurait être obtenue que par une série de « défaites ».
Que nous enseigne toute l’histoire des révolutions modernes et du socialisme ? La première flambée de la lutte de classe en Europe s’est achevée par une défaite. Le soulèvement des canuts de Lyon, en 1831, s’est soldé par un lourd échec. Défaite aussi pour le mouvement chartiste en Angleterre. Défaite écrasante pour la levée du prolétariat parisien au cours des journées de juin 1848. La Commune de Paris enfin a connu une terrible défaite. La route du socialisme - à considérer les luttes révolutionnaires - est pavée de défaites.
Et pourtant cette histoire mène irrésistiblement, pas à pas, à la victoire finale ! Où en serions-nous aujourd’hui sans toutes ces « défaites », où nous avons puisé notre expérience, nos connaissances, la force et l’idéalisme qui nous animent ? Aujourd’hui que nous sommes tout juste parvenus à la veille du combat final de la lutte prolétarienne, nous sommes campés sur ces défaites et nous ne pouvons renoncer à une seule d’entre elles, car de chacune nous tirons une portion de notre force, une partie de notre lucidité.
Les combats révolutionnaires sont à l’opposé des luttes parlementaires. En Allemagne, pendant quatre décennies, nous n’avons connu sur le plan parlementaire que des « victoires » ; nous volions littéralement de victoire en victoire. Et quel a été le résultat lors de la grande épreuve historique du 4 août 1914 : une défaite morale et politique écrasante, un effondrement inouï, une banqueroute sans exemple. Les révolutions par contre ne nous ont jusqu’ici apporté que défaites, mais ces échecs inévitables sont précisément la caution réitérée de la victoire finale.
A une condition il est vrai ! Car il faut étudier dans quelles conditions la défaite s’est chaque fois produite. Résulte-t-elle du fait que l’énergie des masses est venue se briser contre la barrière des conditions historiques qui n’avaient pas atteint une maturité suffisante, ou bien est-elle imputable aux demi-mesures, à l’irrésolution, à la faiblesse interne qui ont paralysé l’action révolutionnaire ? (...) La direction a été défaillante. Mais on peut et on doit instaurer une direction nouvelle, une direction qui émane des masses et que les masses choisissent. Les masses constituent l’élément décisif, le roc sur lequel on bâtira la victoire finale de la révolution.
Les masses ont été à la hauteur de leur tâche. Elles ont fait de cette « défaite » un maillon dans la série des défaites historiques, qui constituent la fierté et la force du socialisme international. Et voilà pourquoi la victoire fleurira sur le sol de cette défaite.
« L’ordre règne à Berlin ! » sbires stupides ! Votre « ordre » est bâti sur le sable. Dès demain la révolution « se dressera de nouveau avec fracas » proclamant à son de trompe pour votre plus grand effroi. »
Rosa Luxemburg
dans « J’étais, je suis, je serai ! »
En 1919, peu après la défaite de la révolution à Berlin et peu avant l’assassinat de Rosa Luxemburg par les corps francs, fascistes armés et organisés par les dirigeants socialistes comme Ebert alliés à l’Etat Major de l’armée.
1919 | Première publication le 18 janvier 1919, première parution française à Paris en mars 1920, dans la Revue Communiste, éditions de L’Internationale Communiste. Texte transcrit à partir d’un exemplaire du Bulletin Communiste. |
Œuvres - janvier 1919
Léon Trotsky
Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg
L’inflexible Karl Liebknecht
Nous venons d’éprouver la plus lourde perte. Un double deuil nous atteint.
Deux chefs ont été brutalement enlevés, deux chefs dont les noms resteront à jamais inscrits au livre d’or de la révolution prolétarienne : Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg.
Le nom de Karl Liebknecht a été universellement connu dès les premiers jours de la grande guerre européenne.
Dans les premières semaines de cette guerre, au moment où le militarisme allemand fêtait ses premières victoires, ses premières orgies sanglantes, où les armées allemandes développaient leur offensive en Belgique, détruisaient les forteresses belges, où les canons de 420 millimètres promettaient, semble-t-il, de mettre tout l’univers aux pieds de Guillaume II, au moment où la social-démocratie officielle, Scheidemann et Ebert en tête , s’agenouillait devant le militarisme allemands et l’impérialisme allemands auxquels tout semblait se soumettre - le monde extérieur avec la France envahie au nord et le monde intérieur non seulement avec la caste militaire et la bourgeoisie, mais aussi avec les représentants officiels de la classe ouvrière - dans ces sombres et tragiques journées, une seule voix s’éleva en Allemagne pour protester et pour maudire : celle de Karl Liebknecht.
Et cette voix retentit par le monde entier .En France, où l’esprit des masses ouvrières se trouvait alors sous la hantise de l’occupation allemande où le parti des social-patriotes au pouvoir prêchait une lutte sans trêve ni merci contre l’ennemi qui menaçait Paris, la bourgeoisie et les chauvins eux-mêmes reconnurent que seul Liebknecht faisait exception aux sentiments qui animaient le peuple allemand tout entier.
Liebknecht, en réalité, n’était déjà plus isolé : Rosa Luxemburg , femme du plus grand courage, luttait à ses côtés, bien que les lois bourgeoises du parlementarisme allemand ne lui aient pas permis de jeter sa protestation du haut de la tribune, ainsi que l’avait fait Karl Liebknecht. Il convient de remarquer qu’elle était secondée par les éléments les plus conscients de la classe ouvrière, où la puissance de sa pensée et de sa parole avaient semé des germes féconds. Ces deux personnalités, ces deux militants, se complétaient mutuellement et marchaient ensemble au même but.
Karl Liebknecht incarnait le type du révolutionnaire inébranlable dans le sens le plus large de ce mot. Des légendes sans nombre se tissaient autour de lui, entourant son nom de ces renseignements et de ces communications dont notre presse était si généreuse au temps où elle était au pouvoir.
Karl Liebknecht était - hélas ! nous ne pouvons plus en parler qu’au passé - dans la vie courante, l’incarnation même de la bonté et de l’amitié. On peut dire que son caractère était d’une douceur toute féminine, dans le meilleur sens de ce mot, tandis que sa volonté de révolutionnaire, d’une trempe exceptionnelle, le rendait capable de combattre à outrance au nom des principes qu’il professait. Il l’a prouvé en élevant ses protestations contre les représentants de la bourgeoisie et des traîtres social-démocrates du Reichstag allemand, où l’atmosphère était saturée des miasmes du chauvinisme et du militarisme triomphants. Il l’a prouvé lorsque, il leva, sur la place de Potsdam, à Berlin, l’étendard de la révolte contre les Hohenzollern et le militarisme bourgeois.
Il fut arrêté. Mais ni la prison, ni les travaux forcés n’arrivèrent à briser sa volonté et, délivré par la révolution de novembre, Liebknecht se mit à la tête des éléments les plus valeureux de la classe ouvrière allemande .
Rosa Luxemburg - Puissance de ses idées.
Le nom de Rosa Luxemburg est moins connu dans les autres pays et en Russie, mais on peut dire, sans craindre d’exagérer, que sa personnalité ne le cède en à celle de Liebknecht.
Petite de taille, frêle et maladive, elle étonnait par la puissance de sa pensée .
J’ai dit que ces deux leaders se complétaient mutuellement. L’intransigeance et la fermeté révolutionnaire de Liebknecht se combinaient avec une douceur et une aménité féminines, et Rosa Luxemburg, malgré sa fragilité, était douée d’une puissance de pensée virile.
Nous trouvons chez Ferdinand Lassalle des appréciations sur le travail physique de la pensée et sur la tension surnaturelle dont l’esprit humain est capable pour vaincre et renverser les obstacles matériels ; telle était bien l’impression de puissance que donnait Rosa Luxemburg lorsqu’elle parlait à la tribune, entourée d’ennemis. Et ses ennemis étaient nombreux. Malgré sa petite taille et la fragilité de toute sa personne, Rosa Luxemburg savait dominer et tenir en suspens un large auditoire, même hostile à ses idées.
Par la rigueur de sa logique, elle savait réduire au silence ses ennemis les plus résolus, surtout lorsque ses paroles s’adressaient aux masses ouvrières.
Ce qui aurait pu arriver chez nous pendant les journées de juillet
Nous savons trop bien comment procède la réaction pour organiser certaines émeutes populaires. Nous nous souvenons tous des journées que nous avons vécues en juillet dans le murs de Petrograd, alors que les bandes noires rassemblées par Kérensky et Tseretelli contre les bolcheviks organisaient le massacre des ouvriers, assommant les militants, fusillant et passant au fil de la baïonnette les ouvriers isolés surpris dans la rue. Les noms des martyrs prolétariens, tel celui de Veinoff, sont encore présents à l’esprit de la plupart d’entre nous. Si nous avons conservé alors Lénine, si nous avons conservé Zinoviev, c’est qu’ils ont su échapper aux mains des assassins. Il s’est trouvé alors parmi les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires des voix pour reprocher à Lénine et à Zinoviev de se soustraire au jugement, tandis qu’il leur eût été si facile de se laver de l’accusation élevée contre eux, et qui les dénonçait comme des espions allemands. De quel tribunal voulait-on parler ? De celui probablement auquel on mena plus tard Liebknecht, et à mi-chemin duquel Lénine et Zinoviev auraient été fusillés pour tentative d’évasion ? Telle aurait été sans nul doute la déclaration officielle. Après la terrible expérience de Berlin, nous avons tout lieu de nous féliciter de ce que Lénine et Zinoviev se soient abstenus de comparaître devant le tribunal du gouvernement bourgeois .
Aberration historique
Perte irréparable, trahison sans exemple ! Les chefs du parti communiste allemand ne sont plus. Nous avons perdu les meilleurs de nos frères, et leurs assassins demeurent sous le drapeau du parti social-démocrate qui a l’audace de commencer sa généalogie à Karl Max ! Voilà ce qui se passe, camarades ! Ce même parti, qui a trahi les intérêts de la classe ouvrière dès le début de la guerre, qui a soutenu le militarisme allemand, qui a encouragé la destruction de la Belgique et l’envahissement des provinces françaises du Nord, ce parti dont les chefs nous livraient à nos ennemis les militaristes allemands aux jours de la paix de Brest-Litovsk ; ce parti et ses chefs - Scheidemann et Ebert - s’intitulent toujours marxistes tout en organisant les bandes noires qui ont assassiné Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg !
Nous avons déjà été les témoins d’une semblable aberration historique, d’une semblable félonie historique, car le même tour a déjà été joué avec le christianisme. Le christianisme évangélique, idéologie de pêcheurs opprimés, d’esclaves, de travailleurs écrasés par la société idéologie du prolétariat , n’a-t-il pas été accaparé par ceux qui monopolisaient la richesse par les rois, les patriarches et les papes ? Il est hors de doute que l’abîme qui sépare le christianisme primitif tel qu’il surgit de la conscience du peuple et des bas-fonds de la société, est séparé du catholicisme et des théories orthodoxes par un abîme tout aussi profond que celui qui s’est maintenant creusé entre les théories de Marx, fruits purs de la pensée et des sentiments révolutionnaires, et les résidus d’idées bourgeoises dont trafiquent les Scheidemann et les Ebert de tous les pays.
Le sang des militants assassinés crie vengeance !
Camarades ! Je suis convaincu que ce crime abominable sera le dernier sur la liste des forfaits commis par les Scheidemann et les Ebert. Le prolétariat a supporté longtemps les iniquités de ceux que l’histoire a placés à sa tête ; mais sa patience est à bout et ce dernier crime ne restera pas impuni. Le sang de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg crie vengeance ; il fera parler les pavés des rues de Berlin et ceux de la place de Potsdam, où Karl Liebknecht a le premier levé l’étendard de la révolte contre les Hohenzollern. Et ces pavés - n’en doutez pas - serviront à ériger de nouvelles barricades contre les exécuteurs de basses œuvres, les chiens de garde de la société bourgeoise - contre les Scheidemann et les Ebert !
La lutte ne fait que commencer
Scheidemann et Ebert ont étouffé, pour un moment, le mouvement Spartakiste (communistes allemands) ; ils ont tué deux des meilleurs chefs de ce mouvement et peut-être fêtent-ils encore à l’heure qu’il est leur victoire ; mais cette victoire est illusoire, car il n’y a pas encore eu, en fait, d’action décisive. Le prolétariat allemand ne s’est pas encore soulevé pour conquérir le pouvoir politique. Tout ce qui a précédé les événements actuels n’a été de sa part qu’une puissante reconnaissance pour découvrir les positions de l’ennemi. Ce sont les préliminaires de la bataille, mais ce n’est pas encore la bataille même. Et ces manœuvres de reconnaissance étaient indispensables au prolétariat allemand, de même qu’elles nous étaient indispensables dans les journées de Juillet.
Le rôle historique des journées de juillet
Vous connaissez le cours des événements et leur logique intérieure. A la fin de février 1917 (ancien style), le peuple avait renversé l’autocratie, et pendant les premières semaines qui suivirent, il sembla que l’essentiel était accompli. Les hommes de nouvelle trempe qui surgissent des autres partis - des partis qui n’avaient jamais joué chez nous un rôle dominant - ces hommes jouirent au début de la confiance ou plutôt de la demi-confiance des masses ouvrières.
Mais Petrograd se trouvait comme il le fallait - à la tête du mouvement ; en février, comme en juillet, il représentait l’avant-garde appelant les ouvriers à une guerre déclarée contre le gouvernement bourgeois, contre les ententistes, c’est cette avant-garde qui accomplit les grandes manœuvres de reconnaissance.
Elle se heurta précisément, dans les journées de juillet, au gouvernement de Kérensky.
Ce ne fut pas encore la révolution, telle que nous l’avons accomplie en octobre : ce fut une expérience dont le sens n’était pas encore clair à ce moment à l’esprit des masses ouvrières.
Les travailleurs de Petrograd s’étaient bornés à déclarer la guerre de Kérensky ; mais dans la collision qui eut lieu, ils purent se convaincre et prouver aux masses ouvrières du monde entier qu’aucune force révolutionnaire réelle ne soutenait Kérensky et que son parti était composé des forces réunies de la bourgeoisie, de la garde blanche et de la contre-révolution.
Comme il vous en souvient, les journées de juillet se terminèrent pour nous par une défaite au sens formel de ce mot : les camarades Lénine et Zinoviev furent contraints de se cacher. Beaucoup d’entre nous furent emprisonnés ; nos journaux furent bâillonnés, le soviet des députés ouvriers et soldats réduit à l’impuissance, les typographies ouvrières saccagées, les locaux des organisations ouvrières mis sous scellés ; les bandes noires avaient tout envahi, tout détruit.
Il se passait à Petrograd exactement ce qui s’est passé en janvier 1919 dans les rues de Berlin ; mais pas in instant nous n’avons douté alors de ce que les journées de juillet ne seraient que le prélude de notre victoire.
Ces journées nous ont permis d’évaluer le nombre et la composition des forces de l’ennemi ; elles ont démontré avec évidence que le gouvernement de Kérensky et de Tseretelli représentait en réalité un pouvoir au service des bourgeois et des gros propriétaires contre-révolutionnaires.
Les mêmes faits se sont produits à Berlin
Des événements analogues ont eu lieu à Berlin. A Berlin, comme à Petrograd, le mouvement révolutionnaire a devancé celui des masses ouvrières arriérées. Tout comme chez nous, les ennemis de la classe ouvrière criaient : " Nous ne pouvons pas nous soumettre à la volonté de Berlin ; Berlin est isolé ; il faut réunir une Assemblée Constituante et la transporter dans une ville provinciale de traditions plus saines. Berlin est perverti par la propagande de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg ! " Tout ce qui a été entrepris dans ce sens chez nous, toutes les calomnies et toute la propagande contre-révolutionnaire que nous avons entendues ici, tout cela a été répandu en traduction allemande par Scheidemann et Ebert contre le prolétariat berlinois et contre les chefs du Parti communiste, Liebknecht et Rosa Luxemburg . Il est vrai que cette campagne de reconnaissances a revêtu en Allemagne des proportions plus larges que chez nous, mais cela s’explique par le fait que les Allemands répètent une manœuvre qui a déjà été accomplie une fois chez nous ; de plus, les antagonismes de classes sont plus nettement établis chez eux.
Chez nous, camarades, quatre mois se sont écoulés entre la révolution de février et les journées de juillet.
Il a fallu quatre mois au prolétariat de Petrograd pour éprouver la nécessité absolue de descendre dans la rue afin d’ébranler les colonnes qui servaient d’appui au temple de Kérensky et de Tseretelli.
Quatre mois se sont écoulés après les journées de juillet avant que les lourdes réserves de la province arrivassent à Petrograd, nous permettant de compter sur une victoire certaine et de monter à l’assaut des positions de la classe ennemie en octobre 1917 ou en novembre, nouveau style).
En Allemagne où la première explosion de la révolution a eu lieu en novembre, les événements correspondant à nos journées de juillet la suivent déjà au début de janvier. Le prolétariat allemand accomplit sa révolution selon un calendrier plus serré. Là où il nous a fallu quatre mois, il ne lui en faut plus que deux.
Et nul doute que cette mesure proportionnelle se poursuivra jusqu’au bout. Des journées de juillet allemandes à l’octobre allemand il ne se passera peut-être pas quatre mois comme chez nous ; Il ne se passera peut-être pas deux mois.
Et les coups de feu tirés dans le dos de Karl Liebknecht ont, n’en doutez pas, réveillé de puissants échos par toute l’Allemagne . Et ces échos ont dû sonner comme un glas funèbre aux oreilles des Scheidemann et des Ebert.
Nous venons ici de chanter le Requiem pour Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Nos chefs ont péri. Nous ne les reverrons plus. Mais combien d’entre vous camarades, les ont-ils approchés de leur vivant ? Une minorité insignifiante.
Et néanmoins, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg ont toujours été présents parmi vous.
Dans vos réunions, dans vos congrès vous avez souvent élu Karl Liebknecht président d’honneur . Absent, il assistait à vos réunions, il occupait la place d’honneur à votre table. Car le nom de Karl Liebknecht ne désigne pas seulement une personne déterminée et isolée, ce nom incarne pour nous tout ce qu’il y a de bon, de noble et de grand dans la classe ouvrière, dans son avant-garde révolutionnaire.
C’est tout cela que nous voyons en Karl Liebknecht. Et quand l’un d’entre nous voulait se représenter un homme invulnérablement cuirassé contre la peur et la faiblesse ; un homme qui n’avait jamais failli - nous nommons Karl Liebknecht.
Il n’était pas seulement capable de verser son sang (ce n’est peut-être pas le trait le plus grand de son caractère), il a osé lever la voix au camp de nos ennemis déchaînés, dans une atmosphère saturée des miasmes du chauvinisme, alors que toute la société allemande gardait le silence et que la militarisme primait. Il a osé élever la voix dans ces conditions et dire ceci : " Kaiser, généreux, capitalistes et vous - Scheidemann qui étouffez la Belgique, qui dévastez le nord de la France, qui voulez dominer le monde entier - je vous méprise, je vous hais, je vous déclare la guerre et cette guerre je la mènerai jusqu’au bout.
Camarades si l’enveloppe matérielle de Liebknecht a disparu, sa mémoire demeure et demeurera ineffaçable !
Mais avec le nom de Karl Liebknecht celui de Rosa Luxemburg se conservera à jamais dans les fastes du mouvement révolutionnaire universel.
Connaissez-vous l’origine des légendes des saints et de leur vie éternelle ? Ces légendes reposent sur le besoin qu’éprouvent les hommes de conserver la mémoire de ceux qui, placés à leur tête, les ont servis dans le bien et la vérité ; elles reposent sur le besoin de les immortaliser en les entourant d’une auréole de pureté.
Camarades, les légendes sont superflues pour nous ; nous n’avons nul besoin de canoniser nos héros - la réalité des événements que nous vivons actuellement nous suffit, car cette réalité est par elle-même légendaire.
Elle éveille une puissance légendaire dans l’âme de nos chefs, elle crée des caractères qui s’élèvent au-dessus de l’humanité.
Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg vivront éternellement dans l’esprit des hommes. Toujours, dans toutes les réunions où nous évoquions Liebknecht nous avons senti sa présence et celle de Rosa Luxemburg avec une netteté extraordinaire - presque matérielle.
Nous la sentons encore, à cette heure tragique, qui nous unit spirituellement avec les plus nobles travailleurs d’Allemagne, d’Angleterre et du monde entier tous accablés par le même deuil, par la même immense douleur.
Dans cette lutte et dans ces épreuves nos sentiments aussi ne connaissent pas de frontières.
Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont nos frères spirituels
Liebknecht n’est pas à nos yeux un leader allemand, pas plus que Rosa Luxemburg n’est une socialiste polonaise qui s’est mise à la tête des ouvriers allemands... Tous deux sont nos frères ; nous sommes unis à eux par des liens moraux indissolubles.
Camarades ! cela nous ne répéterons jamais assez car Liebknecht et Rosa Luxemburg avaient des liens étroits avec le prolétariat révolutionnaire russe.
La demeure de Liebknecht à Berlin était le centre de ralliement de nos meilleurs émigrés.
Lorsqu’il s’agissait de protester au parlement allemand ou dans la presse allemande contre les services que rendaient les impérialistes allemands à la réaction russe c’est à Karl Liebknecht que nous nous adressions. Il frappait à toutes les portes et agissait sur tous les cerveaux - y compris ceux de Scheidemann et d’Ebert - pour les déterminer à réagir contre les crimes de l’impérialisme.
Rosa Luxemburg avait été à la tête du parti social-démocrate polonais qui forme aujourd’hui avec le parti socialiste le Parti Communiste.
En Allemagne, Rosa Luxemburg avait, avec le talent qui la caractérisait, approfondi la langue et la vie politique du pays ; elle occupa bientôt un poste de plus en vue dans l’ancien parti social-démocrate.
En 1905, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg prirent part à tous les événements de la révolution russe. Rosa Luxemburg fut même arrêtée en sa qualité de militante active puis relâchée de la citadelle de Varsovie sous caution ; c’est alors qu’elle vint illégalement (1906) à Petrograd où elle fréquenta nos milieux révolutionnaires, visitant dans les prisons ceux d’entre nous qui étaient alors détenus et nous servant dans le sens le plus large de ce mot d’agent de liaison avec le monde socialiste d’alors. Mais en plus de ces relations toutes personnelles, nous gardons de notre communion morale avec elle - de cette communion que crée la lutte au nom des grands principes et des grands espoirs - le plus beau souvenir.
Nous avons partagé avec elle le plus grand des malheurs qui aient atteint la classe ouvrière universelle - la banqueroute honteuse de la IIe Internationale, au mois d’août 1914. Et c’est avec elle encore que les meilleurs d’entre nous ont élevé le drapeau de la IIIe Internationale et l’ont tenu fièrement dressé sans faillir un seul instant.
Aujourd’hui, camarades, dans la lutte que nous poursuivons, nous mettons en pratique les préceptes de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg. Ce sont leurs idées qui nous animent quand nous travaillons, dans Petrograd sans pain et sans feu , à la construction du nouveau régime soviétiste ; et quand nos armées avancent victorieusement sur tous les fronts c’est encore l’esprit de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg qui les anime.
A Berlin, l’avant-garde du Parti Communiste n’avait pas encore pour se défendre de forces puissamment organisées ; elle n’avait pas encore d’armée rouge comme nous n’en avions pas dans les journées de juillet quand la première vague d’un mouvement puissant mais organisé fut brisée par des bandes organisées quoique peu nombreuses. Il n’y a pas encore d’armée rouge en Allemagne mais il y a une en Russie ; l’armée rouge est un fait ; elle s’organise et croît en nombre tous les jours.
Chacun de nous se fera un devoir d’expliquer aux soldats comment et pourquoi ont péri Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg ce qu’ils étaient et quelle place leur mémoire doit occuper dans l’esprit de tout soldat, de tout paysan ; ces deux héros sont entrés à jamais dans notre panthéon spirituel.
Bien que le flot de la réaction ne cesse de monter en Allemagne, nous ne doutons pas un instant que l’octobre rouge n’y soit proche.
Et nous pouvons bien dire en nous adressant à l’esprit des deux grands défunts : Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, vous n’êtes plus de ce monde, mais vous restez parmi nous ; nous allons vivre et lutter sous le drapeau de vos idées, dans l’auréole de votre charme moral et nous jurons si notre heure vient, de mourir debout face à l’ennemi comme vous l’avez fait, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.
Les Conseils ouvriers en Bavière
René Furth
La "République des conseils de Bavière" n’a dure que trois semaines, et sa zone d’influence effective n’a pas dépassé la région comprise entre Munich, Augsbourg et Rosenheim. Mais l’existence des Conseils munichois s’étend sur une durée de six mois, de novembre 1918 au 1er mai 1919. Aucun ouvrage d’ensemble n’a été consacré a leur histoire, qui fait partie encore du "refoulé" allemand. Les historiens de la "Révolution Allemande" n’évoquent que très accessoirement la tentative bavaroise, ou les Spartakistes ne jouent qu’au tout dernier moment un rôle prédominant.
Deux facteurs particuliers caractérisent la situation en Bavière : une population rurale plus importante que dans le reste de l’Empire (51 % contre une moyenne générale de 34 %, selon les statistiques de 1907) un séparatisme commun s toute la population, le militarisme prussien étant considéré à la fois comme le principal responsable de la guerre et comme l’incarnation parfaite d’un centralisme autoritaire et envahissant. Le séparatisme bavarois s’est cependant révélé comme une arme à double tranchant la bourgeoisie ne tardera pas à l’utiliser contre les "étrangers" (juifs de surcroît) qui sont venus semer la pagaille en Bavière.
1) LE DOUBLE POUVOlR
Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1918, après une manifestation de masse organisés dans l’après-midi par le parti social-démocrate indépendant, la République est proclamée. Un Conseil provisoire des ouvriers, des soldats et des paysans est constitué. Le roi, Louis III de Bavière, apprenant qu’aucun régiment ne tirera sur les rebelles, a quitté Munich.
Le président du Conseil provisoire, Kurt EISNER, est un journaliste et écrivain originaire de Berlin, animateur du Parti social-démocrate indépendant (U. S. P. D.) de Bavière. En février 1918, il a été condamné à la prison comme principal instigateur de la grève de la métallurgie (fin janvier). L’espoir d’EISNER, c’est qu’une Bavière démocratique subira moins durement les exigences de l’Entente victorieuse.
EISNER forme un nouveau gouvernement comprenant quatre social-démocrates "majoritaires" (S.P.D.), deux indépendants, un non-affilié. Il annonce en même temps la convocation d’une Assemblés constituante. Fonctionnaires et employés, à la demande du nouveau gouvernement ; se mettent à sa disposition. D’emblée, EISNER proclame le respect de la propriété privée et refuse toute socialisation. Il se montre préoccupé surtout du rôle respectif de l’Assemblée qu’il veut susciter et des Conseils, dans lesquels il voit essentiellement un organe de contrôle et une école de démocratie active. La ligne de partage se fera bientôt entre partisans du parlementarisme et partisans des conseils, le refus de l’Assemblée devenant un des principaux mots d’ordre des éléments les plus radicaux. En fait, il n’y aura jamais coexistence réelle des deux pouvoirs. L’alternative, Conseils ou Parlement, se pose d’ailleurs dans tout l’Empire. Le premier congrès des Conseils d’ouvriers et de soldats (du 16 au 21 décembre i918 à Berlin), à forte majorité S. P. D. se prononce pour une Assemblée nationale. En Bavière, EISNER cherche à mettre sur pied une formule de synthèse, "Conseils et Parlement". Il juge qu’il n’a pas derrière lui des forces populaires suffisantes pour imposer les Conseils, et il sait en même temps qu’un régime strictement parlementaire l’éliminerait du pouvoir. Les élections sont fixées au 12 janvier 1919 (l’Assemblée nationale de Weimar doit être élue le 19) ; Le parti d’EISNER ne recueille que 3 mandats sur 156 (S.P.D. et Ligue paysanne 68 ; Parti démocrate 27 ; Parti populaire bavarois, le plus réactionnaire 38). Les communistes (un groupe Spartakiste s’est formé le 6 décembre) se prononcent pour le boycottage des élections, de même que le Conseil ouvrier révolutionnaire, dont un des animateurs est l’anarchiste Erich MUHSAM. Le 10 janvier, EISNER fait d’ailleurs arrêter douze membres du Parti communiste et du Conseil révolutionnaire, dont Max LEVIEN et MUHSAM. Une manifestation spontanée les fait libérer.
Dès que les résultats des élections sont connus, le S.P.D. et les partis de droite demandent à EISNER de se retirer.
Le 16 février, une nouvelle manifestation de masse, préparée. sur l’initiative du Conseil ouvrier révolutionnaire, exige tout le pou-voir pour les conseils. Le 21, EISNER se rend à la première réunion du Landtag (le Parlement de Bavière) pour présenter se démission de président du ministère. Il est assassiné à coups de revolver dans la rue par un jeune aristocrate. Le lendemain, l’état de siège est décrété à Munich les journaux sont occupés et suspendus pendant dix jours, La situation devient de plus en plus confuse au niveau des institutions qui sont censées exercer le pouvoir. Le landtag se disperse. Un Conseil révolutionnaire central se constitue : il est composé de représentants des conseils et du Conseil ouvrier révolutionnaire, d’un représentant des syndicats et d’un représentant du S.P.D. Le congrès des Conseils bavarois continue de fonctionner parallèlement à ce Conseil central ; il élit le 5 mars un nouveau gouvernement qui n’aura pas l’occasion de se manifester. De plus, à la suite d’un accord intervenu entre social-démocrates majoritaires et indépendants, le Congrès décide de remettre ses pouvoirs au Landtag, qui doit se réunir à nouveau la 17 mars. Cette réunion peut avoir lieu, et le Landtag met en place un ministère présidé par le social-démocrate HOFFMANN, dont la tâche essentielle sera par la suite la liquidation et la répression de la République des conseils.
En fait, pendant 45 jours, aucun pouvoir n’arrive à se faire reconnaître ni à se donner les moyens d’agir. C’est le Conseil central qui s’oppose le plus résolument au gouvernement HOFFMMAN, dénoncé dès sa formation comme un instrument de la réaction. Les communistes, représentés au Conseil central, restent dans l’expectative et s’opposent à ceux qui réclament la proclamation d’une République des conseils (Max LEVIEN, pourtant, s’était prononcé en ce sens après l’assassinat d’EISNER). Les liens des communistes munichois avec les instances centrales à Berlin semblent avoir été lâches. Leurs principaux représentants sont Max LEVIEN et Eugen LEVINE, deux émigrés russes, anciens socialistes révolutionnaires qui ont quitté leur pays après la révolution da 1905. LEVINE, un des fondateurs du K. P, D., est venu de Berlin à Munich début mars pour réorganiser la rédaction du "Drapeau Rouge" et le parti. C’est sous son influence que les communistes munichois renonceront à réclamer comme premier objectif l’instauration d’une République des conseils,
L’armée reste la force la plus stable. Le 1er mars, une "résolution des délégués des casernes munichoises" a assuré le commandant militaire de la ville de la confiance des différents corps de troupe. Le S.P.D. fait bloc avec l’autorité militaire (qui proclame son attachement au "vrai socialisme") en attendant qu’une solution parlementaire redevienne possible. La seule opposition organisée contre les conseils est menée par la "société Thule", groupement d’extrême droite où militent de futurs chefs de file nazis.
2) "LES REPUBLIOUES DES CONSEILS"
La stagnation devient de plus en plus manifeste. Depuis les élections, plus aucun passage "légal" au socialisme n’est envisageable ; la République déçoit le prolétariat munichois, qui commence à exiger qu’à la révolution politique suive la révolution sociale. L’idée d’une République des conseils se répand. Dans les premiers jours d’avril, les conseils empêchent le Landtag de se réunir. Le 5, les différentes assemblées prennent des résolutions en faveur de la République des conseils.
Elle est proclamée dans la nuit du 6 au 7 par le Conseil central, avec l’accord du S. P. D., des indépendants, des syndicats et de la Ligue paysanne. Les atermoiements du S. P. D. ont sérieusement entamé sa base ouvrière il ne prend pas le risque de se prononcer contre la République des conseils, mais ne fera rien pour la soutenir. La décision, proposée au Conseil central par l’anarchiste Gustav LANDAUER, est donc adoptée à l’unanimité. Une proclamation au peuple de Bavière, signée par le Conseil central révolutionnaire et le Conseil révolutionnaire des soldats annonce que la dictature du prolétariat est entrée dans les faits, et, comme décisions immédiates, la dissolution du Landtag et de la bureaucratie, la socialisation de la presse, la formation d’une armée rouge. "La République des conseils de Bavière suit l’exemple des peuples russes et hongrois".
Les communistes, invités à cette réunion, n’y participent pas. LEVIWE fait une apparition au milieu Des débats, pour déclarer que le K. P. D. refuse de s’associer à toute initiative à laquelle participerait le S. P. D., compromis par sa politique de guerre, que le prolétariat n’est pas mûr pour une République des conseils qui de toute façon ne pourrait pas tenir sans l’appui de l’Allemagne du nord.
D’autres villes de Bavière proclament la République des conseils. A Munich, de pleine pouvoirs sont conférés à des "délégués du peuple". Parmi d’autres, LANIDAUER est chargé de l’éducation, Sivio CESELL (théoricien de "l’économie libre" et de la "monnaie libre") des finances. Un certain Dr. LIPP, chargé des affaires étrangères, devra vite être suspendu pour troubles mentaux. Mais ces "délégués" ne disposent d’aucun moyen d’action, sinon de leur éloquence dans les réunions qui se succèdent. Pour l’opinion publique, trois hommes représentent la République des conseils ; LANDAUER, orateur entraînant, qui a une certaine influence auprès du prolétariat politisé, MUHSAM, connu comme poète et comme agitateur, le poète Ernst TOLLER, (affilié à l’U.S.P.D.), nommé président du Conseil central. Pour la bourgeoisie et pour une partie de la population bavaroise, ils incarnent la "bohême littéraire juive".
Ce sont des hommes qui comptent moins sur leurs "pleins pouvoirs" que sur l’initiative créatrice et l’action autonome des masses. La suppression de l’ancien pouvoir doit laisser le champ libre à la reconstruction sociale. Mais l’annonce de la libération ne suffit pas à déclencher le processus qu’ils attendent. De toute façon, leur temps est mesuré.
Dès le 13 avril, sur l’incitation du gouvernement H0FFMAN, réfugié à Bamberg, les "troupes de sécurité républicaines" tentent un putsch contre les conseils. Certains membres du Conseil central, dont MUHSAM, sont arrêtés. L’armée rouge résiste, soutenue par les ouvriers acquis aux conseils. Le putsch est vaincu, mais il y a déjà deja victimes : 20 morts, plus de 100 blesssés.
Les communistes, qui ont jusque là concrétisé leur opposition à la "pseudo-République des conseils" (Scheinräterepublick) en regroupant dans un nouveau Conseil central des "hommes de confiance" révolutionnaires élus dans les entreprises et les casernes, affirment à présent que la classe ouvrière a montre sa maturité en s’opposant au putsch et déclarent à leur tour la République des conseils. Ils ne se font sans doute guère d’illusions. Au moins, veulent-ils saisir une chance de galvaniser les forces révolutionnaires dans le reste de l’Allemagne, et laisser un exemple qui puisse stimuler les luttes dans l’avenir, C’est une illustration de ce que les Prudhommeaux appellent la "tragédie spartakiste".
Le pouvoir, désormais, est représenté par le Conseil des "hommes de confiance" auquel participent des Indépendants et des social-démocrates ralliés au programme communiste. Il forme un comité d’action avec un exécutif de quatre hommes : LEVIEN, LEVINE, TOLLER et un troisième russe, AXELROD. Une série de décisions est prise pour radicaliser la situation, grève générale (elle durera jusqu’au 22), confiscation du ravitaillement et des armes, socialisation du logement, arrestation d’otages. La situation devient de plus en plus difficile. Les vivres et le charbon manquent, les paysans s’opposent aux commandos de réquisition. Le manque d’informations aussi commence à ce faire sentir (les journaux ne paraissent plus). Les rumeurs les plus insensées circulent en Allemagne sur la terreur à Munich. L’antisémitisme, cette fois-ci, s’en prend aux "juifs russes". Des corps-francs se rassemblent dans le Nord et en Haute-Bavière à partir du 20 avril, les troupes gouvernementales se mettent un marche vers Munich.
Au sein du comité d’action, les tensions se font de plus en plus vives. Le 27, l’assemblée des conseils d’entreprise rejette la politique des communistes, et élit un nouveau comité d’action, où se retrouve TULLER (qui avait été promu commandant de l’armée rouge pour le secteur nord de Munich). Les communistes se retirent du Conseil, et demandent aux travailleurs de ne pas suivre le nouveau comité d’action. EGELHOFER, un marin de Kiel, est à la tête de l’armée rouge. Le 30 avril, il fait fusiller 10 otages, dont 6 en fait sont des membres de la Société Thulé qui ont pratiqué la réquisition pour leur propre compte... avec des tampons de l’armée rouge.
Le 1er mai, les troupes gouvernementales et les corps-francs entrent dans la ville. Les combats durent plusieurs jours. Il y aura 600 morts. La répression dépasse en sauvagerie celle qui a sévi ailleurs dans la même période. LANDAUER est frappé à mort, EGELHOFER fusillé sans jugement, LEVINE est condamné à mort et fusillé. TOLLER (sauvé par un mouvement de protestation international) s’en tire avec cinq ans de forteresse. LEWIEN parvient à s’enfuir, mais disparaît en 1937 dans les purges staliniennes. Plus de 4000 peines sont prononcées. En septembre 1919 encore tombent des condamnations à mort.
1927
Paru dans Clarté, no 9 du 15 mai 1927
La lutte des classes dans la révolution chinoise
Victor Serge
fin avril 1927
Voici des années que la révolution chinoise grandit sur notre horizon. Les récents événements de Shanghai posent brutalement, devant la classe ouvrière internationale, les problèmes de la lutte des classes au sein de cette grande révolution, trop souvent considérée jusqu’à présent comme essentiellement nationale, bourgeoise. Que s’est-il passé là-bas ? Ceci : le 21-22 mars, une insurrection ouvrière, à la tête de laquelle se trouvaient les Syndicats et quelques poignées de valeureux militants communistes, s’emparait, après une sévère bataille de rues livrées aux troupes de la réaction nordiste, de la vraie capitale industrielle et commerciale de la Chine, Shanghai. Le prolétariat accomplit cet exploit sous les gueules des canons anglais, français, américains, japonais, italiens (j’en passe). Moins d’un mois après, les 13-14 avril, le généralissime commandant les armées nationalistes-révolutionnaires du " Kuomintang " faisait traîtreusement désarmer et mitrailler ce prolétariat, vaincu, jugulé, en une nuit, par ses alliés officiels. Et ce mauvais coup prévu et annoncé depuis de longues semaines par la presse bourgeoise de tous les pays, était pour les militants ouvriers communistes de tous les pays, une douloureuse, une effroyable surprise... Déplorons d’abord la désolante faiblesse de notre information sur la révolution chinoise. Que savons-nous de ses luttes intérieures, des crises sociales qui provoquent de ces dénouements ? En somme : rien. L’intérêt du communisme international exigerait une information autrement attentive, complète et vivante, rendue possible par l’exigence en Chine des agences soviétiques. Mais dans l’U.R.S.S. même, cette information, beaucoup meilleure que dans tous les pays capitalistes, demeure, il faut bien le constater, très au-dessous de ce qu’elle pourrait et devrait être. Espérons qu’il sera promptement remédié à ce mal désormais incontestable.
Je ne puis songer à poser dans ces notes, forcément hâtives, l’immense problème de la révolution chinoise. Le prochain Exécutif élargi de l’I.C. l’étudiera sans nul doute. Il me semble utile d’en exposer, à la veille de ces assises de notre parti international, quelques données, quelques aspects sur lesquels l’attention des militants n’a guère porté jusqu’à présent. C’est là toute mon ambition.
Les " forces motrices " d’une révolution
On s’accorde à reconnaître à la révolution chinoise le caractère d’une révolution bourgeoise, nationale, anti-impérialiste. L’asservissement économique de la Chine aux puissances étrangères est devenu un obstacle au développement de la bourgeoisie nationale. Les grandes industries, les transports, les établissements financiers, les douanes du pays sont entre les mains des étrangers ; la bourgeoisie nationale se sent frustrée d’autant et ne peut, dans ces conditions constituer l’État solide dont elle a besoin. La jeune industrie chinoise ne peut s’assurer aucune protection douanière contre la concurrence étrangère. Les compétitions armées des généraux à la solde des puissances contribuent aussi à empêcher la création de l’État moderne, centralisé, policé, bien administré, nécessaire au bon développement des affaires... De là, les objectifs de la révolution nationale, tels que les entend la bourgeoisie chinoise : abrogation des vieux traités d’asservissement, indépendance et unité nationale, création d’un gouvernement central, ferme, ordonné, éclairé, que l’on concevrait volontiers sur le modèle américain (avec, toutefois, pour mieux tenir le prolétariat en respect, un président galonné à poigne...).
Mais la bourgeoisie chinoise est trop faible, trop peu nombreuse, trop impopulaire pour diriger la révolution qu’elle compte spolier d’une partie de ses fruits pour organiser le pays au lendemain de victoires payées du sang des classes laborieuses, et s’entendre avec les bourgeoisies impérialistes. Quelles sont les forces motrices réelles de la révolution ?
D’abord, le prolétariat (3 à 4 millions d’hommes), outrageusement exploité par les capitalistes étrangers et indigènes, le prolétariat organisé, intelligent, mûri dans les luttes des dernières années, le prolétariat dont le sang a coulé à flots, et qui a remporté aussi de mémorables victoires – à Canton, à Hankéou, à Hong-Kong, à Shanghai’, à Tientsin...
Puis, alliées naturelles du prolétariat, des masses paysannes – des centaines de millions d’hommes qui sont parmi les plus misérables des habitants de la planète – vivant de la culture intensive et pourtant primitive d’infimes parcelles de terre, exploitées par le grand propriétaire, le locataire au premier degré (le sol est souvent sous-loué), l’usurier, le chef militaire, le bureaucrate, le commerçant. Le système des douanes intérieures, résultat de la mainmise de l’étranger sur les douanes extérieures, est pour le paysan chinois, une terrible cause de misère ; les généraux lui imposent la conscription, l’entretien des troupes, des prélèvements arbitraires d’impôts. La misère des masses paysannes est telle que, d’après des enquêteurs étrangers, leur revenu coutumier est très sensiblement inférieur au coût minimum de l’existence... De sorte que leur existence même pose un constant problème attestant un record d’endurance animale. Des couches entières de la population rurale sont littéralement réduites à l’animalité. Que faut-il aux paysans chinois pour qu’ils puissent redevenir des hommes ? La fin du régime des féodaux – généraux, propriétaires fonciers – et des usuriers entretenus par les rivalités impérialistes ; l’unité du pays, une bonne organisation administrative, une fiscalité équitable. On voit que ces revendications minima coïncidentes avec celles de la révolution nationale bourgeoise – et la dépassent, puisque ne se bornant pas à l’abolition des vestiges de la féodalité, elles portent atteinte à la propriété des usuriers capitalistes.
L’industrialisation du pays, bien que très ralentie depuis dix ans, accule de plus en plus les artisans, très nombreux, à la misère ; elle les prolétarise. La misère des campagnes et les guerres intérieures incessantes sont des fléaux pour le petit commerce. Les intellectuels – étudiants, lettrés, gens de professions libérales -, assez nombreux élèvent à la conscience les plaintes et les aspirations des classes moyennes. Ils fournissent au mouvement révolutionnaire ses chefs et ses cadres.
Un exposé aussi sommaire concernant des classes sociales aussi variées, divisées et subdivisées en milieux très différents dans un pays vaste comme un continent, d’une structure économique extrêmement composite, ne peut être que déplorablement schématique. Tel quel, il autorise néanmoins quelques déductions.
Les intérêts essentiels de ces diverses classes les dressent en ce moment contre l’impérialisme. Ils n’en demeurent pas moins antagoniques par ailleurs et doivent même entrer en conflit sur la façon de finir la révolution nationale et d’en organiser le lendemain. Quel bénéfice en retireront les ouvriers ? Jusqu’où y pousseront-ils leurs conquêtes ? Jusqu’où ira la révolution agraire que le prolétariat seul peut guider et soutenir ? Ces questions sont vitales pour toutes les classes en présence.
La bourgeoisie et les couches supérieures de la petite bourgeoisie (commerçante, intellectuelle), représentent dans ces conditions une redoutable capacité de trahison et de réaction, en même temps qu’un facteur de modération dans l’élan révolutionnaire et de compromis avec l’étranger. (La bourgeoisie chinoise s’accommoderait sans doute volontiers d’une pénétration économique des capitaux étrangers " invisible ", délicate, respectueuse de ses " intérêts nationaux ", analogue en un mot à celle des capitaux français, anglais, allemands et belges en Russie de 1890 à 1914). Mais ni les prolétaires, ni les artisans, ni les paysans pauvres – et ils sont la masse – ne peuvent se contenter d’une révolution modérée, qui s’arrêterait, saisie d’un pieux respect, devant la grande propriété industrielle, les coffres-forts et les cadastres... Et ce profond conflit d’intérêts nous confirme que les seules classes révolutionnaires capables d’assurer la victoire de la révolution nationale sur les survivances féodales de l’intérieur et l’impérialisme étranger sont précisément les classes laborieuses qui ne peuvent pas, non plus, achever la révolution bourgeoise, démocratique, sans la dépasser et s’orienter vers le socialisme avec d’autant plus de force que les trahisons, les tentatives de réaction, les complots de la bourgeoisie avec l’étranger, la guerre même, peuvent nécessiter des ripostes difficiles à prévoir...
En un mot, la bourgeoisie ne peut pas accepter l’hégémonie du prolétariat dans la révolution nationale ; or, cette hégémonie est la condition de la victoire de cette révolution et, du coup, de son acheminement vers le socialisme. Ou la révolution nationale, étranglée par la bourgeoisie nationale, avortera et tout sera à recommencer dans quelques années, ou elle vaincra, guidée par le prolétariat soutenu des classes moyennes des villes et des masses paysannes pauvres ; mais elle ne pourra plus, en ce cas, se borner à la réalisation du programme démocratique de la bourgeoisie radicale, même tel que le formula Sun-Yat-Sen, elle ira plus loin, elle ira vers le socialisme à l’exemple de la révolution russe et avec l’appui du prolétariat international. Il n’y a plus, du reste, à notre époque, des limites nettement tracées entre une révolution bourgeoise et une révolution socialiste : il n’y a que des questions de force et de conscience de classe.
Les débuts de la révolution paysanne
L’histoire intérieure de la révolution chinoise est – naturellement – dominée par la lutte des classes. Dès 1922, Sun-Yat-Sen, alors soumis à l’influence américaine, ne peut se maintenir au pouvoir à Canton que grâce aux ouvriers qui imposent aux commerçants l’acceptation des billets émis par la banque gouvernementale. Mais les grèves mettent aux prises prolétaires et leaders du "Kuomintang ". Sun-Yat-Sen entreprend de réglementer le mouvement ouvrier, exige que les Congrès soient soumis à l’autorisation du gouvernement, etc. Le fossé se creuse entre le " Kuomintang " et la classe ouvrière cantonaise. Celle-ci ne comprend pas l’alliance de Sun-Yat-Sen avec Tchang-Tso-Lin contre Ou-Peï-Fou, alors maître de la Chine centrale. Le chef de la police Haï-Ho-Ping, couvert par Sun-Yat-Sen, réprime à Canton le mouvement ouvrier qui ne réagit pas quand l’armée du démagogue réactionnaire Tchen-Gou-Ming chasse Sun-Yat-Sen du pouvoir (15 et 16 juin 1922).
De cette pénible expérience date l’évolution de Sun-Yat-Sen, à gauche. Sa pensée, jusqu’alors attachée aux idées wilsoniennes, s’oriente désormais vers Lénine. Le vieux révolutionnaire infatigable va initier une nouvelle et féconde politique de rapprochement du " Kuomintang " avec les masses laborieuses et avec la République des Soviets, d’alliance avec les communistes, d’appui aux masses paysannes contre les féodaux et les propriétaires fonciers. L’année suivante (1923), Sun rencontre à Shanghai l’ambassadeur des Soviets en Chine, Ioffé. Il redevient peu après le chef du gouvernement de Canton. Ses dernières pensées à son lit de mort – il mourut à Pékin en mars 1925 – salueront la révolution russe.
La capitale du Sud reste cependant l’arène d’incessantes luttes sociales aggravées par les conflits armés qui mettent aux prises, dans les provinces voisines, les paysans et les propriétaires fonciers. Fin 1923, la lutte se polarise entre l’organisation contre-révolutionnaire du gros négoce et du patronat, les Tigres de Papier et la classe ouvrière, le petit peuple des artisans. En janvier 1924, les Tigres égorgent le leader des travailleurs du riz ; ils s’opposent bientôt après – par les armes – à la mise en circulation des billets émis par Sun-Yat-Sen ; ils tirent, le 1er mai, sur des manifestations. En mai juin, leur Congrès mobilise à Canton 15.000 hommes. Le commerce et la finance britannique de Hong-Kong, les étrangers de Shamin – le quartier des Concessions de Canton – leur accordent une protection officielle. Ils se préparent à la prise du pouvoir. Sun-Yat-Sen, louvoyant toujours, leur offre au nom du " Kuomintang " une bannière de soie (fin juin). Cela ne l’empêche pas de faire saisir leurs armes ; les commerçants en obtiennent par une grève la restitution. Les Tigres s’en servent aussitôt. Ils tirent sur des manifestations populaires, tentent un coup de force et sont battus, le 14-17 octobre, grâce à l’appui prêté au gouvernement du " Kuomintang " par le prolétariat et le bon peuple. Le général Tchen-Dziou-Min " entre en campagne afin de délivrer Canton du bolchévisme ". Une période de troubles, de conspirations militaires, de trahisons confuses s’ouvre. En mai (1925), la situation est si critique que le gouvernement doit se réfugier à l’école militaire de Wampou. Le mouvement ouvrier déploie sa force dans les grèves de Shamin et de Canton, signalées, le 23 juin, par la fusillade de Shamin où les Britanniques couchent sur le pavé, au seuil des concessions étrangères, 57 morts et plus de 200 blessés... Le gouvernement du " Kuomintang " est pris entre le mouvement ouvrier et paysan et la contre-révolution. Il doit choisir. (Juan Tin-Oueï et Liao Tchoun-Kaï (ce dernier sera assassiné le 20 août 1925) font une politique populaire, de gauche. Aidés de conseillers russes, ils réorganisent l’armée, y forment des sections d’enseignement politique et de propagande ; l’école de guerre de Wampou est conçue sur le modèle des écoles de guerre de l’armée rouge ; la Chine, pays des armées de mercenaires, sans foi ni loi, voit naître une armée dont la force sera dans sa conviction, dans sa conscience, dans sa discipline morale, dans son intelligence.
Plus encore que le mouvement ouvrier et que les agressions de la contre-révolution, c’est le commencement de la révolution agraire qui met le " Kuomintang " en demeure d’opter entre la réaction et la révolution. Quelques données permettront de juger de la misère du paysan chinois. L’enquêteur américain Taylor fixe à un revenu minimum de 187 dollars mexicains par an le niveau d’existence au-dessous duquel commence pour le paysan chinois la misère. Or, 41 % des familles de paysans étudiées ont un revenu inférieur à... 40 dollars l’an. " L’existence des gens de cette classe exige une telle tension des forces que la lutte pour la pitance quotidienne tue les germes de tout développement intellectuel, spirituel et même physique ", écrit un autre étranger, M. Dittmer. Ces enquêteurs ont étudié la Chine septentrionale ; mais telle est la situation dans l’immense pays. Les masses paysannes y sont acculées à la dégénérescence, à l’animalité – ou à la révolte. Tout ce qu’il y a d’énergique en elles se révolte – le " banditisme " prospère.
85 % des terres appartiennent dans le Kouan-Toung (la province de Canton) à des propriétaires fonciers, qui ont constitué de fortes milices de mercenaires afin de pressurer les paysans. Notre camarade, M. Alsky a raconté dans un chapitre remarquable de son petit livre Canton vainc [1] le début de la révolution paysanne dans cette contrée, en 1924-25. Il existe, dans les campagnes de la Chine, depuis des temps immémoriaux, quantité de sociétés secrètes. Une de ces sociétés, formée à Hay-Fing (Kouang-Toung), adoptait pour devise : " Que celui qui ne travaille pas ne mange pas " Une autre " Prenez aux riches, donnez aux pauvres. " Une troisième : " Faire le bien au nom du Tout-Puissant. " Un parti des pauvres existait, toujours à Hay-Fing – cette ville est au centre du mouvement paysan -, parti qui voulait " devenir l’avant-garde de la révolution des travailleurs ". Certaines de ces organisations étaient nettement anarchisantes. – Le " Kuomintang " menacé, en 1924, fit appel aux paysans et son appel fut entendu. Mais, dès lors, il dut se situer dans les incessants conflits armés entre propriétaires fonciers et organisations paysannes. Des troupes cantonaises envoyées contre les propriétaires, passèrent plusieurs fois de leur côté. Il arriva même que la garde du corps de Sun Yat-Sen passât aux propriétaires fonciers. Le " Kuomintang " brisa ces résistances et c’est même une des raisons pour lesquelles il réussit à garder le pouvoir. Fin 1925, les associations paysannes du Kouang-Toung, affermies par leurs victoires, embrassaient déjà 200.000 membres. Le " Kuomintang " décréta que le fermage des terres ne pourrait dépasser la moitié des récoltes et serait réparti ainsi : 25 % au propriétaire, 12,5 % au fisc, 12,5 % de ristourne faite par le gouvernement au cultivateur. Nous ignorons si cette mesure a été appliquée et dans quelle mesure. Mais il est certain que depuis le coup d’État du 20 mars 1926 (avènement au pouvoir, dans le " Kuomintang ", de Tchang-Kai-Shek et du centre-droite), la politique agraire du gouvernement sudiste a surtout cherché à contenir le mouvement paysan.
Quant au P.C. chinois, le camarade Tang-Pin-San exposait au VIIe Exécutif élargi de l’I.C. que l’une de ses principales erreurs avait été de ne point élaborer de programme agraire ; il constatait que le mouvement paysan s’était développé spontanément en dehors de l’influence du parti. " Nous devons, ajoutait-il, défendre les intérêts de la paysannerie ; mais nous devons aussi maintenir le front unique du mouvement national révolutionnaire ". Des communistes chinois craignant la rupture de ce front s’étaient montrés hostiles au mouvement agraire [2] . La résolution du VIIe Exécutif élargi de l’I.C. sur la situation en Chine, condamna cette erreur et souligna le rôle décisif des paysans dans la révolution.
Les luttes de la classe ouvrière
Le camarade S. Daline, qui connaît bien la Chine, à Canton, a publié, dans la " Pravda " de Moscou, deux articles exceptionnellement intéressants sur la politique ouvrière du gouvernement du " Kuomintang " [3]
On sait, qu’en fin 1926, le cabinet de Londres tenta d’instaurer une politique de rapprochement avec le gouvernement de Canton. Celui-ci répondit par la levée du blocus de Hong-Kong. Mais la réalité du boycott des bâtiments anglais était assurée par des piquets d’ouvriers syndiqués. Les Syndicats cantonais que M. Eugène Chen, ministre des Affaires étrangères, s’était abstenu de consulter, maintinrent un boycott continué victorieusement depuis seize mois. Interviewé, M. Eugène Chen déclara aux journalistes que le gouvernement saurait bien se faire obéir des ouvriers. Le gouverneur britannique de Hong-Kong se déclara, de son côté, disposé à seconder l’affermissement de l’ordre à Canton et... fit fouiller par des douaniers anglais, dans le port de la capitale nationaliste-révolutionnaire, un bateau portant le pavillon des Soviets. Le courrier diplomatique de l’U.R.S.S. fut molesté. Il fallut que le prolétariat cantonais descendît dans les rues pour que M. Eugène Chen se rétractât et pour que les espoirs des Britanniques fussent déçus, une fois encore. " Au moment où nous nous trouvâmes à Canton, écrit S. Daline, le pouvoir y appartenait à la rue révolutionnaire... Le C.C. du " Kuomintang " et le gouvernement étaient devenus des sortes de commissions d’arbitrage ".
Elles avaient fort à faire, ces commissions d’arbitrage bien tiraillées en leur propre sein ! Des manifestations – toutes menaçantes ! – patronales, ouvrières, commerçantes, et des délégations de paysans pauvres et de propriétaires fonciers l’assiégeaient de revendications impérieusement contradictoires.
Au moment de commencer la grande offensive du Nord, qui devait aboutir à la prise de Shanghai, le C.C. du " Kuomintang " lança un appel à la paix sociale pour la victoire ; l’autorité militaire interdit les grèves et les réunions ouvrières. Le prolétariat cantonais soutint l’effort militaire mais continua ses luttes de salaires. Non sans succès : une menace patronale de lock-out à l’arsenal de Canton fut brisée par l’annonce de la grève générale. – Les ouvriers cantonais sont pour la plupart organisés (plus de 200.000 syndiqués ; ce sont, en majorité, des ouvriers de métier et non d’industrie). Leurs salaires n’ont guère augmenté depuis 1917, bien que le coût de la vie ait subi une forte hausse. La journée de travail varie entre 11 et 15 heures. Et il faut des luttes incessantes pour maintenir ces misérables conditions d’existence. Les ouvriers ont été amenés à constituer des équipes armées (les " piquets "), afin de protéger les grévistes et les organisations contre les agressions des bandes formées par les patrons ; afin aussi de ne pas être à la merci d’un coup de force. On a tenté à diverses reprises de les désarmer. Le 6 août 1926, le commandant en chef de l’armée sudiste ordonnait le désarmement des ouvriers ; en décembre 1926, après, les premières grandes victoires de l’armée nationaliste révolutionnaire, dans la région du Yang-tsé-Kiang, l’on entreprenait de désarmer les organisations prolétariennes de Canton (sans d’ailleurs y réussir ni pousser les choses à fond). Le gouvernement instituait l’arbitrage obligatoire dans les conflits entre le capital et le travail. Il s’avéra tout de suite que cet arbitrage ne serait obligatoire que pour les travailleurs. Une loi du 5 janvier 1927 limita le droit de grève et interdit, en divers cas, l’usage des piquets de grève [4]. Tandis que le gouvernement exerçait ces pressions sur la classe ouvrière, le patronat formait et armait, à Canton, une confédération de syndicats jaunes. Concluons avec la revue russe de l’I.S.R. : " Les masses ouvrières ont à soutenir sur le territoire du gouvernement nationaliste, des luttes acharnées pour l’amélioration de leur situation économique. " [5]
Or, ce sont ces masses qui ont donné à la révolution chinoise ses plus grandes victoires. Les grandes grèves de Hankéou et de Shanghai, closes par des massacres ; le boycott de Hong-Kong pendant seize mois ; les victoires du " Kuomintang " sur la réaction ; la prise de la concession anglaise de Hankéou (elle fut envahie par les syndicats) ; la prise de Shanghai, voilà les traits les plus saillants de leur action.
... Quelle fut, dans ces circonstances, la politique du P.C. chinois ? Rien n’a été publié à ce sujet. Mais la disproportion des effectifs entre les syndicats (1.500.000 membres) et le parti (15.000) est impressionnante [6].
La victoire prolétarienne et le guet-apens de Shanghaï
Shanghai tomba le 21-22 mars au pouvoir des Rouges. Voici comment. L’armée sudiste approchait. Les troupes nordistes du Chantouang occupaient la ville. La journée du 21 avait été paisible. A Il heures du soir, un coup de canon retentit, signal mystérieux. Ce fut instantanément la grève générale. Les prolétaires déposant leurs outils, sortirent leurs fusils. L’insurrection commença, comme il sied, par l’assaut des postes de police. La ville chinoise se couvrit de barricades. Le général Pi-Chou-Tcheng bombarda les quartiers ouvriers. Le feu détruisit, d’après le " China Courrier ", près de 1.500 maisons. Mais, dans la matinée du 22, les insurgés donnaient l’assaut à la gare où se tenait le train blindé du général et que défendaient, en outre, des blancs-russes. Blancs-russes et nordistes écrasés durent chercher, le soir, après vingt-quatre heures de lutte, un refuge dans les concessions étrangères [7]. L’armée nationale du général Tchang-Kai-Chek pouvait entrer dans la ville.
Elle y entra et son premier soin fut de tenter de désarmer les véritables libérateurs de Shanghai !
La prise de Shanghai ne pouvait manquer d’intensifier la lutte des classes au sein de la révolution chinoise et les dissensions internes du " Kuomintang ". Hankéou et Shanghaï, puissantes cités ouvrières, s’ajoutant à Canton, l’hégémonie du prolétariat dans la Chine du Sud allait devenir un fait. Il fallait mâter ce prolétariat qui, par l’occupation de la concession britannique de Hankéou et par le soulèvement de Shanghai venait de remporter deux éclatantes victoires. La bourgeoisie, la droite du " Kuomintang ", comprit que son sort se décidait. Le " Times " et le " Temps " lui répétaient à satiété leurs formules de salut : compromis, entente de la droite modérée du " Kuomintang " avec Tchang-Tso-Lin ; " mais, se demandaient-ils, alarmés, Tchang-Kai-Tchek viendra-t-il à bout des extrémistes ? " Le grondement des canons anglo-américains déchaînés à Nankin soulignèrent efficacement la portée des conseils de la presse impérialiste. Situation classique : intervalle entre deux dictatures : ou celle de la droite, un brave général en tête, ou celle de la gauche, le prolétariat en avant. On louvoyait. Les révolutionnaires et le P.C. Chinois, soucieux de l’unité du mouvement national anti-impérialiste, espérant sans doute aussi que la bourgeoisie " n’oserait pas ", se laissèrent jouer. Une conférence du " Kuomintang " tenue à Hankéou décida le retour du leader de la gauche Ouan Tin-Ouei, sympathique aux communistes – dans quelle mesure ? – exilé depuis le coup de force de Canton, du 20 mars 1926, qui donna le pouvoir à la droite. Un nouveau gouvernement fut formé, comprenant deux droitiers, quatre centristes et deux communistes (Tang-Pin-San, ministre de l’Agriculture, et Sou-Tchan-Ging, ministre du Travail) ; Tchang-Kai-Chek, modeste, déclarait solennellement se confiner dans ses fonctions militaires : Ouan-Tin-Oueï à peine rentré d’exil signait (5 avril), au nom du " Kuomintang ", avec le secrétaire du parti communiste Tchen-Tou-Hsou, un très beau manifeste commun où il était dit que " les pays coloniaux et semi-coloniaux ne sont pas à l’étape de la transition du capitalisme au socialisme ", et constaté, avec une satisfaction candide, que " les autorités militaires de Shanghai déclaraient se soumettre aux autorités centrales. " [8] Tchang-Kai-Chek remplaçait dans l’entre-temps sans bruit les troupes douteuses par des troupes sûres, négociait avec les agents étrangers, laissait ou faisait surveiller le consulat de l’U.R.S.S., achevait en un mot, les préparatifs de son mauvais coup...
Il se passait, du reste, des choses assez singulières qui eussent dû servir d’avertissement. Une tentative de dissolution des syndicats était faite à Hankéou le 30 mars (émeute, 8 ouvriers tués). Les journaux annonçaient de nombreuses exécutions d’" émeutiers ", à Shanghai. On procédait à Hankéou à l’exécution de plusieurs militants ouvriers accusés d’avoir participé à l’invasion de la concession anglaise... Quelles têtes coupait à Shanghai le bourreau de Tchang-Kai-Chek ? Nous n’en savons rien. L’" Echo de Paris " parlait de " vermine communiste " massacrée. Des journaux annonçaient 300 exécutions. Des " échauffourées " entre " extrémistes " et " modérés " s’étant produites dans la nuit du 4 au 5 avril, l’état de siège était institué à Shanghai (le 5). L’état de siège dans une capitale du monde ouvrier est toujours une vilaine chose et des plus significatives. Il fut à peine remarqué dans la presse ouvrière.
Le chef de l’armée du " Kuomintang " avait, du reste, un aspect assez suspect, étant un des auteurs principaux du coup de force perpétré à Canton, le 20 mars 1926, qui aboutit à la création d’une direction de droite dans le parti de Sun-Yat-Sen, à l’exil de Ouan-Tin-Ouei, à une semi-dictature militaire. Un camarade russe, des mieux éclairés sur les affaires chinoises, L. Heller, pouvait dire tout récemment : " Les communistes chinois qui ne cessèrent d’affirmer que Tchang-Kaï-Chek ne différait en rien, malgré son radicalisme verbal, des droitiers du " Kuomintang " , avaient bien raison " [9].
Quoi qu’il en soit, le désarmement et la saignée infligés au prolétariat de Shanghai constituent une lourde défaite qui n’apparaît nullement comme ayant été inévitable. Il était possible de la prévoir et peut-être de l’empêcher. Les prolétaires révolutionnaires de Shanghai se sont laissés mener au guet-apens par la bourgeoisie libérale et militaire qui forme la droite du " Kuomintang ". L’I.C. ne manquera pas de rechercher les erreurs commises et de tirer la leçon de ces faits.
Le Parti communiste chinois et le Kuomintang
Le prolétariat et son parti se sont montrés au sein de la révolution chinoise soucieux au plus haut point du maintien de l’unité du mouvement national-révolutionnaire – unité qui le rendait invincible -. La bourgeoisie et sa galonnaille n’ont pas hésité à briser cette unité à coups de mitrailleuses et de coupe-têtes... Il n’y a pas eu lieu d’en être surpris : c’est le contraire qui eût été surprenant. " Les intérêts égoïstes de classe ont pris le dessus chez les capitalistes chinois ; à la lutte pour la liberté de leur pays, ils préfèrent le marchandage puis l’alliance avec les impérialistes ", écrivait l’" Humanité " du 16 avril. Parbleu ! Les communistes ne devraient jamais oublier que les capitalistes n’obéissent, n’obéiront jamais, ne peuvent obéir qu’à leurs intérêts de classe en attendre, en faveur de la révolution nationale, on ne sait quelle générosité, c’est verser dans les dangereuses illusions du socialisme utopique cultivées par l’opportunisme et si souvent réfutées par Lénine.
L’éditorial du numéro 11 de l’"Internationale Communiste " nous apprend comment le Parti communiste chinois envisageait la question de l’unité du mouvement national révolutionnaire dès la session de juin I926 de son Comité central. Le C.C. du P.C.C. prenait, en effet, à cette session d’importantes décisions concernant les rapports du Parti communiste avec le " Kuomintang " :
1. Passer de la politique de l’affiliation à celle des cartels ;
2. Avoir nettement sa propre politique communiste
3. S’efforcer de donner pour base au " Kuomintang " la petite bourgeoisie des villes ;
4. Considérer le " Kuomintang " comme devant être un parti centralisé mais un parti formé de clubs locaux.
L’éditorial du numéro II de l’I.C. considère ces décisions comme erronées et contraires à celle du VIIe Exécutif élargi de l’I.C. qui maintint l’adhésion du P.C. au " Kuomintang ". Il ne m’appartient pas d’entrer dans le fond de ce débat qui me semble être dominé par deux vérités premières :
1º au sein ou en dehors d’un " Kuomintang ", le Parti communiste ne peut jamais cesser d’être lui-même et de suivre sa propre politique prolétarienne
2º cette question est en réalité bien plus celle du rapport réel des forces que d’une affiliation formelle au parti de Sun-Yat-Sen. Le prolétariat est assez puissant et actif dans la révolution nationale pour que son parti puisse – en sachant s’y prendre – devenir le vrai parti dirigeant du mouvement national, qu’il use de la méthode des cartels avec le " Kuomintang " ou qu’il s’affilie à ce dernier, sans rien abdiquer de ses principes.
Il est vrai que voyant très bien le danger, la bourgeoisie s’efforçait d’y parer en imposant aux communistes l’unité " monolithe " du " Kuomintang " sur la doctrine en réalité purement libérale-bourgeoise [10] de Sun-Yat-Sen (nationalisme, démocratie, socialisme, – le mot socialisme compris à peu près comme le comprennent nos radicaux-socialistes bien intentionnés à l’égard du pauvre peuple). C’était nier au marxisme le droit même à l’existence. Mais la question se réduisait – et se réduit encore – en réalité à des interprétations qui ne peuvent être fondées que sur le rapport réel des forces. Sans doute, le grand Sun fut-il l’idéologue de la bourgeoisie avancée et des classes moyennes révolutionnaires ; sans doute son wilsonisme militant n’avait-il rien de commun avec le communisme ; mais ses dernières pensées furent un hommage à la révolution russe, la dernière recommandation qu’il adressa à ses disciples fut celle de collaborer avec le communisme international et la République des Soviets. Dès lors, les thèses de la compatibilité et de l’incompatibilité du Sun-Yat-Sénisme et du communisme sont également soutenables au gré des intérêts de classe qu’il s’agit de défendre. Et le certain c’est qu’un parti communiste ne peut ni ne doit jamais, sous peine de perdre sa raison d’être – et ses effectifs – admettre dans son action quotidienne la substitution à son programme du parti représentant d’autres classes. Mais on ne saurait mieux dire que Lénine dans son projet de thèses sur les questions coloniale et nationale présenté au IIe Congrès de l’I.C. (1920), et qui servit de base à la résolution adoptée : " L’Internationale Communiste ne doit soutenir les mouvements nationaux démocratiques bourgeois des colonies et des pays arriérés qu’à la condition que les éléments des futurs partis prolétariens, communistes non seulement d’une façon nominale soient, dans tous les pays arriérés, groupés et éduqués dans la conscience de leur propre mission qui est de combattre les mouvements démocratiques bourgeois au sein même de la nation : l’Internationale Communiste doit conclure des alliances provisoires avec la démocratie bourgeoise des colonies et des pays arriérés, mais non point se fondre avec elle, et maintenir inconditionnellement l’indépendance du mouvement prolétarien fût-ce le plus embryonnaire. " Ceci posé en principe, c’est-à-dire la rectitude de la politique de classe du P.C.C. assurée, le choix entre l’affiliation au " Kuomintang " ou le bloc avec ce dernier n’a plus, me semble-t-il, qu’une importance tactique et formelle. – Sous un autre angle le " Kuomintang " nous apparaît, plus encore que comme un parti proprement dit, comme l’appareil gouvernemental de la révolution nationale ; et il va de soi, dès lors, que le parti du prolétariat doit s’efforcer d’avoir la main sur quelques-uns tout au moins des leviers de cet appareil ; mais ces résultats-là, les communistes le savent bien, ne s’obtiennent pas par des transactions diplomatiques. Ils ne peuvent être que les fruits d’une politique prolétarienne ferme et clairvoyante, de l’appel constant aux masses, de l’organisation et de l’activité de celles-ci.
Vers la dictature démocratique des ouvriers et des paysans
L’empereur Nicolas II ne se doutait pas, le 22 janvier 1905, quand il faisait mitrailler devant les fenêtres du Palais d’Hiver les prolétaires venus en cortège déposer une supplique aux pieds du " petit père ", qu’il paraphait à la fois son propre arrêt de mort, celui de la dynastie et celui de son régime. La bourgeoisie chinoise pouvait très bien – l’avenir le montrera – avoir commis, en tirant dans le dos des prolétaires de Shanghai, une imprudence analogue. Les hauts faits de Tchang-Kai-Shek démontrent aux prolétaires chinois qu’ils n’ont à compter que sur eux-mêmes. S’ils avaient encore des illusions sur la bourgeoisie libérale, les voici fusillées. La leçon sera comprise, on n’en peut douter. Le prolétariat chinois a fait preuve dans les luttes actuelles d’une étonnante maturité révolutionnaire. – Sait-on que les ouvriers lock-outés d’une manufacture japonaise de Hankéou décidaient, il y a quelques semaines de remettre eux-mêmes la manufacture en activité ? [11]
Nous avons vu qu’il a pour alliées les masses paysannes dont l’activité a parfois été surprenante. Les exploits des Piques-rouges, ces Jacques de là-bas qui exproprient par endroits les riches et battent souvent les armées régulières de la contre-révolution, montrent la puissance de la révolution agraire. Une grande partie de la petite bourgeoisie, attachée par ses intérêts au prolétariat et à la paysannerie, doit les suivre. Dans le " Kuomintang " même, la trahison de la bourgeoisie – qu’il ne sera pas facile de justifier par la doctrine de Sun-Yat-Sen -, le compromis avec la contre-révolution nordiste, le compromis avec les impérialismes étrangers et le déclenchement de la guerre des classes à l’intérieur, peuvent très bien provoquer une épuration, un redressement propice à l’hégémonie du prolétariat. La bourgeoisie chinoise complice des impérialistes étrangers s’emploie avec une aveugle persévérance à enseigner aux travailleurs les lois implacables de la guerre des classes. Elle récoltera ce qu’elle sème.
Désormais le mouvement national révolutionnaire est scindé. Peut-être même y aura-t-il deux " Kuomintang ", comme il y a en ce moment deux gouvernements sudistes. La lutte des classes recouvre ses droits. Désormais, l’intransigeance doctrinale du P.C., l’armement des ouvriers – dont on a eu tort, me semble-t-il, de ne point faire jusqu’à présent un des mots d’ordre essentiels de l’action prolétarienne (c’eût été s’inspirer sagement des directives données par Lénine dès la chute de l’autocratie russe, en mars 1917 [12] – et des paysans, l’hégémonie du prolétariat dans la révolution, l’hégémonie du P.C. dans le " Kuomintang " révolutionnaire, l’extension de la révolution agraire, l’appel aux masses, le contrôle des masses sur le gouvernement révolutionnaire, la création des organisations de masses permettant ce contrôle sont les seuls chemins de l’avenir et ces chemins mènent de la révolution démocratique bourgeoise, à la révolution socialiste.
Certes, une victoire temporaire de la bourgeoisie alliée aux impérialistes étrangers, assez désireux, semble-t-il, de sauver leur situation en Chine par une politique de concessions au nationalisme réactionnaire n’est pas exclue. Il faut tenir compte de la possibilité du développement d’un mouvement inspiré du fascisme qui recruterait ses troupes parmi les classes moyennes et, muni de fusils britanniques, fournirait à la bourgeoisie chinoise – numériquement assez faible, mai’ s’appuyant sur le moyen négoce très riche, ramifié, nombreux – des troupes de choc, une véritable armée de classe. Si les masses ouvrières et paysannes qui viennent à la révolution avec d’immenses espoirs étaient déçues, si elles voyaient les fruits de leurs efforts leur échapper, si elles se sentaient mal guidées par les uns et trahies par les autres, un mouvement de reflux suivrait et la contre-révolution l’emporterait. C’est là le plus grand danger.
Quoi qu’il en soit, la situation économique et sociale de la Chine ne permet pas d’escompter, même en cas de victoire de la bourgeoisie, une stabilisation réellement durable. La bourgeoisie chinoise ne peut résoudre ni le problème agraire ni la " question ouvrière " [13]. Et la révolution chinoise n’est pas, dans sa phase actuelle, à la merci d’un pronunciamento. Elle exige des solutions autrement amples et radicales que celles du sabre. Tchang-Kai-Shek durera quelques semaines ou quelques mois. Le courant l’emportera. Les nécessités économiques, les antécédents historiques, l’élan profond qui jette en avant vers des révoltes conquérantes, des centaines de millions d’exploités, tout nous porte à croire que le soulèvement des travailleurs chinois n’en est qu’à ses débuts... Les " condottiere " de la contre-révolution nous apparaîtront peut-être demain comme ayant été les artisans involontaires de la dictature démocratique des ouvriers et des paysans.
Notes
[1] M. Alsky, Canton vainc, Edition de l’Académie communiste, Moscou, 1927.
[2] Compte rendu du VIIe Exécutif élargi de l’I.C.
[3] Pravda du 3 mars (Canton), et Pravda du 3 avril (Canton ouvrier).
[4] Voir l’éditorial du numéro 11 de l’Internationale Communiste.
[5] A. Markov. Lettre de Chine, dans le Mouvement Ouvrier International Moscou, numéro 13, du 31 mars 1917.
[6] Il fut dit, au VIIe Exécutif élargi de l’I.C. que le P.C.C. comptait environ 13.000 membres. J’ai relevé depuis dans la presse le chiffre de 15.000. Boukharine vient (Pravda du 20 avril) d’écrire 30.000.
[7] Kan-Wei. Lettre à la Pravda de Moscou du 15 avril 1927.
[8] Correspondance Internationale, numéro 41 du 13 avril 1927.
[9] Troud. Moscou, numéro du 18 avril 1927, Rapport au Bureau de l’I.S.R.
[10] Lénine la définissait en ces termes dès 1912. Voir aussi S. Daline : Dans les rangs de la révolution chinoise (Moscou 1926). Daline eut, en 1922, de nombreux entretiens avec Sun-Yat-Sen.
[11] Ne faut-il pas rapprocher ce fait mentionné dans une correspondance au Troud de Moscou, des télégrammes qui ont annoncé l’exécution, à Hankéou, des extrémistes qui avaient attenté aux biens des Japonais ?
[12] Voir les Lettres de loin, de N. Lénine, écrites en mars 1917. - Une décision du C.C. du P.C. de l’U.R.S.S., en date du 3 mars 1927, apprécie la situation à peu près en ces termes.
[13] Force m’est dans cet article de procéder par affirmations. Qu’il me soit permis de renvoyer ici le lecteur aux intéressantes analyses de la révolution chinoise, formulées par K. Radek et Boukharine. Espérons qu’elles seront traduites en français.