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La révolution russe de 1917 et la vague révolutionnaire en Europe

lundi 19 avril 2010, par Robert Paris

Sommaire du site

Sur la révolution en Europe, lire sur le site :

Les puissances impérialistes pendant la vague révolutionnaire
en Europe


Révolutions prolétariennes

La révolution russe de 1905
Le dernier poilu ou la dernière boucherie guerrière ?
La classe ouvrière dans la révolution irlandaise
La révolution russe de 1917 et la vague révolutionnaire en
Europe

La révolution russe vue par Rosa Luxemburg
La révolution allemande de 1918-19

La révolution hongroise de 1919
La révolution italienne de 1919
La lutte des classes dans la révolution chinoise
La révolution chinoise de 1925-1927
La révolution prolétarienne en Espagne en 1931
La révolution espagnole de 1936
La politique des anarchistes dans la révolution espagnole
Textes de la révolution d’octobre 1917
La révolution russe vue par le général contre-révolutionnaire Dénikine
La révolution russe de 1905, vue par Léon Trotsky
La révolution russe de 1917, vue par Léon Trotsky
Défense de la révolution d’octobre par Léon Trotsky
Léon Trotsky
De la révolution bourgeoise à la révolution prolétarienne

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Le mouvement révolutionnaire mondial

Les années d’après-guerre sont marquées par un essor inouï du mouvement révolutionnaire. En mars 1917, se produisit le renversement du tsarisme en Russie ; en mai 1917 se développe, en Angleterre, un mouvement gréviste ; en novembre de la même année, le prolétariat russe s’empare du pouvoir gouvernemental. Je ne dissimulerai pas que, à cette époque, la prise du pouvoir dans les autres pays d’Europe nous semblait bien plus proche qu’elle n’est en réalité. En novembre 1918 se produisit le renversement des monarchies allemande et austro-hongroise. Le mouvement gréviste embrasse une série de pays d’Occident. En mars 1919, la République Soviétiste est proclamée en Hongrie. Depuis la fin de 1919, les Etats-Unis sont bouleversés par les grèves orageuses des métallurgistes, des mineurs et des cheminots. La France atteint l’apogée de sa tension politique intérieure en mai 1920. En Italie se développe en septembre 1920, un mouvement du prolétariat pour prendre possession des usines. Le prolétariat tchèque, en décembre 1920, recourt à la grève générale politique. En mars 1921 se soulèvent les ouvriers de l’Allemagne centrale, et les mineurs anglais commencent leur grève gigantesque.

L’année écoulée a été également marquée par des défaites de la classe ouvrière. En août 1920 se termina malheureusement l’offensive de l’Armée Rouge sur Varsovie. En septembre 1920 demeura sans résultats le mouvement du prolétariat Italien. Si M. Turati déclare que ce mouvement a échoué parce que les ouvriers italiens n’étaient pas mûrs pour s’emparer de l’industrie et la diriger, nous sommes obligés de constater avec regret que le mouvement italien ne s’est pas encore débarrassé de M. Turati et des turatistes. De même se termina sans succès immédiat l’insurrection des ouvriers allemands en mars 1921.
La situation économique mondiale

Discours au 3e Congrès de l’Internationale Communiste

Léon Trotsky (13 juin 1921)

"Russie février 1917 : premières journées révolutionnaires « Le 23 février, c’était la « Journée internationale des Femmes ». On projetait, dans les cercles de la social-démocratie, de donner à ce jour sa signification par les moyens d’usage courant : réunions, discours, tracts. La veille encore, il ne serait venu à la pensée de personne que cette « Journée des Femmes » pût inaugurer la révolution. Pas une organisation ne préconisa la grève pour ce jour-là. Bien plus, une organisation bolcheviste et des plus combatives, le comité de rayon essentiellement ouvrier de Vyborg, déconseillait toute grève. (...) En fait, il est donc établi que la révolution de Février fut déclenchée par des éléments de la base qui surmontèrent l’opposition de leurs propres organisations révolutionnaires et que l’initiative fut spontanément prise par un contingent du prolétariat exploité et opprimé plus que tous les autres – les travailleurs du textile, au nombre desquelles, doit-on penser, l’on devait compter pas mal de femmes de soldats. La dernière impulsion vint des interminables attentes aux portes des boulangeries. Le nombre de grévistes, femmes et homes, fut ce jour-là, d’environ 90 000. (...) La journée des femmes avait réussi, elle avait été pleine d’entrain et n’avait pas causé de victimes. Mais de quoi elle était lourde nul ne se doutait encore dans la soirée. (...) Le lendemain, le mouvement, loin de s’apaiser, est doublement en recrudescence ; environ la moitié des ouvriers industriels de Pétrograd font grève le 24 février. (...) Essayons de nous représenter plus clairement la logique interne du mouvement. Sous le drapeau de la « Journée des Femmes », le 23 février, se déclencha une insurrection longtemps mûrie, longtemps contenue des masses ouvrières de Pétrograd. La première phase fut la grève. En trois jours, elle s’étendit au point de devenir pratiquement générale. Ce seul fait suffisait déjà à donner de l’assurance à la masse et à la pousser en avant. La grève, prenant un caractère de plus en plus offensif, accentué, se combina avec des manifestations qui mirent en présence les foules révolutionnaires et les troupes. Le problème était porté, dans son ensemble, sur le plan supérieur où il devait se résoudre par la force armée. (...) C’est seulement dans la nuit du 25 que le bureau du Comité central des bolcheviks décida enfin de publier un tract faisant appel à la grève générale dans toute la Russie. Au moment où cette feuille sortit, la grève générale, à Pétrograd, tournait déjà toute en insurrection armée. La direction observe de son haut, hésite, retarde, c’est-à-dire ne dirige pas. Elle est à la remorque du mouvement. Plus on s’approche des usines, plus on découvre de résolution. (...) En des heures où les hésitations touchent même les révolutionnaires les plus proches des masses, le mouvement est allé, en fait, beaucoup plus loin que ne l’imaginent les participants. La veille encore, le soir du 25, les quartiers de Vyborg se trouvèrent totalement en la possession des insurgés. (...) C’est alors que la tsarine télégraphiait au tsar : « le calme règne en ville ».(...) La pression exercée par les ouvriers sur l’armée s’accentue (...) La garnison de Pétrograd devient définitivement le point de mire des événements. (...) « Tirez sur l’ennemi commande la monarchie ». « Ne tirez pas sur vos frères et sœurs » crient les ouvriers et les ouvrières. (...) L’ouvrier s’avançait plus hardiment vers le soldat. (...) C’est ainsi que s’accomplissait la brisure. Le soldat se dépouillait de son esprit soldatesque.(...) vers le soir du 26 se mutina la 4ème compagnie du régiment Pavlovsky, garde du corps de sa majesté. (...) L’insurrection, que personne ne désignait encore par son vrai nom, était néanmoins portée à l’ordre du jour. (...) Les meneurs ouvriers, exaspérés, cherchaient des armes, en demandaient au parti. Il leur fut répondu que les armes étaient en la possession des soldats. (...) Le moment où les soldats passent à la révolution est préparé par un long processus moléculaire qui, comme tout processus naturel, atteint son point critique. Mais où se place exactement ce point ? (...) Les insurgés ne peuvent provoquer un revirement dans l’état du soldat qu’à condition d’être eux-mêmes prêts à arracher la victoire à quelque prix que ce soit, par conséquent aussi au prix du sang. Or cette détermination supérieure ne peut et ne veut jamais se passer d’armes. L’heure critique de la prise de contact de la masse assaillante avec les soldats qui lui barrent la route à sa minute critique c’est (...) quand les soldats se tiennent épaule contre épaule mais hésitent déjà, tandis que l’officier, rassemblant ce qui lui reste de courage, commande le feu. (...) Le soulèvement dans l’armée prenait entre temps un caractère d’épidémie. (...) Le tissu du régime était définitivement pourri et il n’en restait plus un fil indemne… Dans la journée du 27, la foule délivra, personne sans coup férir, les détenus politiques (...) Il n’est nullement exagéré de dire que Pétrograd a accompli seul la révolution de Février. Le reste du pays n’a fait que se joindre à lui. (...) Si l’on veut, on peut dire que le plus grand des actes démocratiques fut accompli d’une façon non démocratique. (...) Si, dans une révolution, une capital joue un rôle à tel point dominant et, à certains moments, concentre en quelque sorte les volontés de la nation, c’est précisément parce qu’elle exprime le plus vivement les tendances essentielles de la nouvelle société et les pousse jusqu’à leur fin. (...) Subsiste cependant une grosse question : qui a donc mené l’insurrection ? (...) La solution la plus simple consistait en cette formule universelle : personne n’a conduit la révolution, elle s’est fait toute seule. (...) La mystique des « forces élémentaires » n’élucide rien. Pour évaluer la situation et déterminer le moment de la levée contre l’ennemi, il était indispensable que la masse, en ses éléments dirigeants, posât ses propres revendications devant les événements historiques, et possédât ses critères pour en avoir l’estimation. (...) Il fallait que dans cette masse fussent disséminés des ouvriers qui avaient réfléchi sur l’expérience de 1905, critiqué les illusions constitutionnelles des libéraux et des mencheviks, s’étaient assimilés les perspectives de la révolution, avaient examiné maintes et maintes fois le problème de l’armée (...) qui a donc guidé la révolution de Février ? (...) des ouvriers conscients et bien trempés qui, surtout avaient été formés à l’école du parti de Lénine. Mais nous devons ajouter que cette direction, si elle était suffisante pour assurer la victoire de l’insurrection, n’était pas en mesure de mettre, dès le début, la conduite de la révolution entre les mains de l’avant-garde prolétarienne. » (...) « Chaque pas en avant de la révolution est provoqué ou forcé par une intervention directe des masses, complètement inattendue, dans la majorité des cas, pour les partis soviétiques. Après l’insurrection de février, lorsque les ouvriers et les soldats eurent renversé la monarchie sans demander rien à personne, les leaders du Comité exécutif (les socialistes modérés du Soviet) estimèrent que le rôle des masses était rempli. Mais ils commirent une erreur fatale. Les masses ne se disposaient pas du tout à quitter la scène. Déjà, au début de mars, au moment de la campagne pour la journée de huit heures, les ouvriers avaient arraché une concession au capital, bien qu’ils fussent sous la pression des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires. Le Soviet dût enregistrer une victoire remportée sans lui et contre lui. La manifestation d’avril apporta un deuxième rajustement du même genre. Chacune des manifestations de masse, indépendamment de son but direct, est un avertissement pour la direction. L’admonestation est d’abord modérée, mais devient de plus en plus hardie. En juillet, elle devient une menace. En octobre, c’est le dénouement. » « A tous les moments critiques, les masses interviennent comme « forces élémentaires » - obéissant en d’autres termes, à leurs propres déductions d’expérience politique (...) Les bolcheviks, en tant que parti, ne dirigeaient pas encore la campagne pour la journée de huit heures. Les bolcheviks n’avaient pas non plus appelé les masses à la manifestation d’avril. Les bolcheviks n’appelleront pas non plus de masses armées à descendre dans la rue au début de juillet. C’est seulement en octobre que le parti parviendra définitivement à prendre le pas et marchera à la tête de la masse, non plus déjà pour une manifestation, mais pour l’insurrection. »

Léon Trotsky dans « La révolution russe – Février »

« La révolution russe

« Pour la révolution d’octobre, une série de prémisses historiques étaient nécessaire : 1° La pourriture des anciennes classes dominantes, de la noblesse, de la monarchie, de la bureaucratie ; 2° La faiblesse politique de la bourgeoisie qui n’avait aucune racine dans les masses populaires ; 3° le caractère révolutionnaire de la question agraire ; 4° Le caractère révolutionnaire du problème des nationalités opprimées ; 5° Le poids social imposant du prolétariat. A ces prémisses organiques, il faut ajouter des conditions conjoncturelles hautement importantes : 6° La révolution de 1905 fut la grande école ou, selon l’expression de Lénine, la « répétition générale » de la révolution de 1917. Les soviets comme forme d’organisation irremplaçable du front unique prolétarien dans la révolution furent constitués pour la première fois en 1905 ; 7° La guerre impérialiste aiguisa toutes les contradictions, arracha les masses arriérées à leur état d’immobilité, et prépara ainsi le caractère grandiose de la catastrophe. Mais toutes ces conditions qui suffisaient complètement pour que la révolution éclate, étaient insuffisantes pour assurer la victoire du prolétariat dans la révolution. Pour cette victoire, une condition était encore nécessaire : 8° Le parti bolchevik. (…) Pour prendre le pouvoir, le prolétariat a besoin d’un parti qui dépasse de loin les autres partis comme clarté de pensée et comme décision révolutionnaire. »

Léon Trotsky Conférence à Copenhague en décembre 1932

La vague révolutionnaire en Europe 1918-1920, vue par les dirigeants politiques de l’impérialisme « 24 mars 1919

Président Wilson (USA) : C’est en ce moment une véritable course contre la montre entre la paix et l’anarchie et le public commence à manifester son impatience. (...)

Lloyd George (GB) : (...) Je propose donc, avec la Président Wilson, que nous nous réunissions entre chefs de gouvernements, deux fois par jour s’il le faut, pour aller plus vire, et que nous commencions dès demain. »

« 25 mars 1919

Général Alby : La question du ravitaillement d’Odessa est posé par une série de télégrammes des généraux Berthelot et Franchet d’Espérey (...) nous oblige à trouver le moyen de nourrir, à Odessa et autour de cette ville, un million de personnes. Si nous ne pouvons pas le faire, il est inutile de songer à garder Odessa.

En réponse à une question posée par M. Lloyd George sur les effectifs alliés à Odessa, le général Alby répond qu’ils s’élèvent à environ 25.000 hommes.

Clemenceau (France) : Ce matin même, le général d’Espérey a demandé qu’on lui envoie pour Odessa des troupes polonaises d’Italie. (...)

Général Alby : L’Italie est disposée à envoyer 7.000 Polonais (...) Les autorités russes d’Odessa demandent qu’on leur fournisse du pain à raison de 1.000 tonnes par semaine, (...) 15.000 tonnes de charbon par mois sont absolument nécessaires, sans quoi le danger d’une révolte de la population serait très grand. (...)

Président Wilson : Je suis frappé, dans des dépêches qu’on nous a lues, de ces mots : « La population d’Odessa nous est hostile ». S’il en est ainsi, on peut se demander à quoi sert de garder cet îlot entouré, presque submergé par le bolchevisme. (...) Cela me confirme dans ma politique, qui est de laisser la Russie aux Bolcheviks – ils cuiront dans leur jus jusqu’à ce que les circonstances aient rendu les Russes plus sages - et de nous borner à empêcher le bolchevisme d’envahir d’autres parties de l’Europe.

Lloyd George : J’ai entendu tout récemment M.Bratiano qui considère que ce qu’il y a de plus important à faire en Roumanie : 1° de nourrir la population 2° d’équiper l’armée 3° de donner la terre aux paysans. Ce sont des moyens intelligents et efficaces de préserver la Roumanie du bolchevisme. Mais devons-nous nous obstiner à garder Odessa, dont la population se soulèvera dès que les Bolcheviks feront leur apparition ? Il vaut mieux concentrer tous nos moyens de défense en Roumanie et établir là notre barrière contre le bolchevisme. (...) La population sibérienne est-elle favorable à Koltchak ou non ?

Général Thwaites : Koltchak paraît soutenu par la population ; mais un mouvement de mécontentement et une tendance au bolchevisme se produisent dans la région occupée par les Japonais.

Lloyd George : Si Odessa tombe, qu’arrivera-t-il ?

Général Thwaites : Les Bolcheviks attaqueront immédiatement la Roumanie.

Colonel Kish : (...) L’occupation d’Odessa par les Bolcheviks donnera en Russie l’impression d’une grande victoire remportée par eux sur les Alliés. L’événement serait donc important du point de vue moral. Mais c’est la seule raison sérieuse que nous ayons de garder Odessa. (...)

Clemenceau : Le péril bolcheviste s’étend en ce moment vers le sud et vers la Hongrie ; il continuera à s’étendre tant qu’il ne sera pas arrêté ; il faut l’arrêter à Odessa et à Lemberg. (...)

Maréchal Foch : Abandonner Odessa, c’est abandonner la Russie du sud, mais à vrai dire elle est déjà perdue et nous ne la perdrons pas une seconde fois..

Clemenceau : je demanderai au Maréchal Foch s’il a un nom à nous fournir pour le général qui prendrait le commandement de l’armée roumaine. »

« 26 mars 1919

Loucheur : 30 milliards minimum est (...) ce que je crois sincèrement l’Allemagne capable de payer (...)

Lloyd George : Si les dirigeants allemands arrivent à la conclusion que ce qu’ils ont de mieux à faire est d’imiter la Hongrie et de faire alliance avec les Bolcheviks, s’ils préfèrent le risque d’une anarchie de quelques années à une servitude de trente-cinq ans que ferons-nous ? (...) Si nous avions à occuper un pays très peuplé, comme la Westphalie, tandis que l’Allemagne autour de nous se relèverait ou serait agitée par un bolchevisme contagieux, quels ne seraient pas nos dépenses et nos risques ? (...) Ma conviction est que les Allemands ne signeront pas les propositions qu’on envisage (...) L’Allemagne passera au Bolchevisme. (...)

Président Wilson : Je ne puis qu’exprimer mon admiration pour l’esprit qui se manifeste dans les paroles de M.Lloyd George. Il n’y a rien de plus honorable que d’être chassé du pouvoir parce qu’on a eu raison. (...) le gouvernement de Weimar est sans crédit. S’il ne peut rester au pouvoir, il sera remplacé par un gouvernement tel qu’il sera impossible de traiter avec lui. (...) Nous devons à la paix du monde de ne pas donner à l’Allemagne la tentation de se jeter dans le Bolchevisme, nous ne savons que trop les relations des chefs bolcheviks avec l’Allemagne.

Clemenceau : J’approuve fondamentalement M.Lloyd George et M. Wilson, mais je ne crois pas qu’il y ait désaccord entre eux et M.Loucheur qui, en homme d’affaires expérimenté, se garderait bien de rien faire qui pût tuer la poule aux œufs d’or. (...) Nous avons raison de craindre le bolchevisme chez l’ennemi (les pays vaincus) et d’éviter d’en provoquer le développement, mais il ne faudrait pas le répandre chez nous-mêmes. (...) soit en France soit en Angleterre. Il est bien de vouloir ménager les vaincus, mais il ne faudrait pas perdre de vue les vainqueurs. Si un mouvement révolutionnaire devait se produire quelque part, parce que nos solutions paraîtraient injustes, que ce ne soit pas chez nous.

Lloyd George : (...) Je sais quelque chose du danger bolcheviste dans nos pays ; je le combat moi-même depuis plusieurs semaines (...) Le résultat, c’est que des syndicalistes comme Smilie, le secrétaire général des mineurs, qui auraient pu devenir un danger formidable, finissent par nous aider à éviter un conflit. Les capitalistes anglais –dieu merci ! – ont peur, et cela les rend raisonnables. Mais en ce qui concerne les conditions de paix, ce qui pourrait provoquer une explosion du bolchevisme en Angleterre, ce ne serait pas le reproche d’avoir demandé trop peu à l’ennemi, mais celui de lui avoir demandé trop. L’ouvrier anglais ne veut pas accabler le peuple allemand par des exigences excessives. (...) De toutes manières, nous allons imposer à l’Allemagne une paix très dure : elle n’aura plus de colonies, plus de flotte, elle perdra 6 ou 7 millions d’habitants, une grande partie de ses richesses naturelles : presque tout son fer, une grande partie de son charbon. Militairement, nous la réduisons à l’état de la Grèce, et au point de vue naval, à celui de la République Argentine. Et sur tous ces points nous sommes entièrement d’accord. (...) Si vous ajoutez à cela des conditions secondaires qui puissent être considérées comme injustes, ce sera peut-être la goutte d’eau qui fera déborder le vase. »

« 27 mars 1919

Président Wilson : Je ne crains pas dans l’avenir les guerres préparées par les complots secrets des gouvernements mais plutôt les conflits créés par le mécontentement des populations. (...)

Maréchal Foch : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. En ce qui concerne particulièrement la Roumanie, les mesures nécessaires sont prévues en détail pour envoyer à son armée les effets et équipements qui lui manquent. Cette armée sera placée sous le commandement d’un général français. Vienne sera occupée par des troupes alliées sous un commandement américain. (...) Nous sommes d’accord sur l’aide à donner à l’armée roumaine et sur l’évacuation d’Odessa, qui est liée à notre actions en Roumanie. (...) Quant à l’idée d’opérer la jonction entre les forces polonaises et roumaines pour faire face à l’est, c’est le prélude d’une marche vers et cela nous conduit à la question d’une intervention militaire en Russie. Nous avons examiné cette question plus d’une fois et nous sommes chaque fois arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas penser à une intervention militaire. (...) L’évacuation d’Odessa est considérée comme le moyen de reporter des ressources, dont l’emploi à Odessa ne pouvait conduire à aucun résultat satisfaisant, sur la Roumanie pour compléter ses moyens de défense. (...)

Maréchal Foch (chef des armées alliées) : Pour arrêter l’infiltration bolcheviste il faut créer une barrière en Pologne et en Roumanie, fermant la brèche de Lemberg, et assainir les points de l’arrière qui peuvent être infectés, comme la Hongrie, en assurant le maintien des communications par Vienne. (...) Contre une maladie épidémique, on fait un cordon sanitaire : on place un douanier tous les deux cent mètres et on empêche les gens de passer.

Orlando (Italie) : Je demande la permission de lire deux télégrammes que nous recevons de notre commissaire italien à Vienne sur la situation. Le premier nous informe qu’on a reçu à Vienne une dépêche du gouvernement révolutionnaire de Budapest, invitant le prolétariat viennois à suivre l’exemple des Hongrois. Il a été décidé par les révolutionnaires viennois de former un conseil de travailleurs, de manière à les mettre en état de prendre le pouvoir (...) Le second télégramme (...) considère l’infiltration bolcheviste comme probable si la garde populaire n’est pas désarmée. Le gouvernement est faible, mais il suffirait, pour rétablir la situation, d’envoyer à Vienne deux régiments américains qui seraient reçus avec soulagement par la majorité de la population. Une déclaration des Alliés au sujet des approvisionnements produirait un effet utile mais ne servirait à rien si elle venait après le triomphe des bolchevistes.

Général Diaz : Le bolchevisme est un mouvement populaire qui se manifeste partout où les vivres manquent et où l’autorité centrale est faible . (...) Son succès paraît lié aux succès du mouvement bolcheviste russe.. (...) la fermentation qui se produit actuellement n’a pas lieu seulement à Vienne, mais jusque dans les pays slovènes, partout en un mot où la population souffre de l’insuffisance du ravitaillement. En occupant Vienne fortement, on tient les voies de communication et on arrête ce progrès menaçant. Ce qu’il faut c’est donner aux populations l’impression que nous apportons des vivres, l’ordre et la sécurité. Sans cela elles se jetteront instinctivement du côté du désordre.

Général Bliss : Le mot « bolcheviste » revient si souvent dans nos débats qu’évidemment il donne le ton à tout ce qui vient d’être dit. Si nous remplacions par le mot « révolutionnaire », ce serait peut-être plus clair. Le bolchevisme est la forme prise par le mouvement révolutionnaire dans les pays arriérés qui ont particulièrement souffert. D’ailleurs nous entendons dire, tantôt que le bolchevisme russe est un produit allemand, tantôt que c’est un mouvement essentiellement russe et qui, de l’est, vient envahir l’Europe. S’il était certain qu’il vient de Russie, c’est là évidemment qu’il faudrait le tuer. Mais le problème est plus difficile. Un cordon sanitaire pourrait arrêter les bolchevistes, mais non le bolchevisme, et pour en faire une barrière véritable, il faudrait déployer des forces très considérables depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire. (...)

Président Wilson : La question n’est-elle pas de savoir s’il est possible d’organiser une résistance armée contre le bolchevisme, ce qui veut dire : avons-nous, non seulement les troupes qu’il faut, mais les moyens matériels, et le sentiment public qui nous soutiendrait ? A mon avis, essayer d’arrêter un mouvement révolutionnaire par des armées en ligne, c’est employer un balai pour arrêter une grande marée. Les armées, d’ailleurs, peuvent s’imprégner du bolchevisme qu’elles seraient chargées de combattre. Un germe de sympathie existe entre les forces qu’on voudrait opposer. Le seul moyen d’agir contre le bolchevisme, c’est d’en faire disparaître les causes. (...) Une de ces causes est l’incertitude des populations au sujet de leurs frontières de demain, des gouvernements auxquels elles devront obéir, et, en même temps, leur détresse parce qu’elles manquent de vivres, de moyens de transport et de moyens de travail. (...) »

« 28 mars 1919

Président Wilson : Je crains beaucoup la transformation de l’enthousiasme en désespoir aussi violent que le bolchevisme qui dit : « il n’y a pas de justice dans le monde, tout ce qu’on peut faire c’est se venger par la force des injustices commises auparavant par la force. » (...)

« 29 mars 1919

Président Wilson : L’armistice nous autorise à envoyer des troupes en Pologne pour le maintien de l’ordre. Il faut bien faire comprendre aux Allemands que c’est dans ce but et pour protéger la Pologne des bolcheviks russes que les troupes du général Haller sont envoyées à Varsovie.

Lloyd George : Il n’est pas de l’intérêt du gouvernement allemand de nous empêcher de former une barrière contre le bolchevisme. (...) Sachons prendre une décision ; ne faisons pas avec la Hongrie comme avec la Russie ; une Russie nous suffit. »

« 31 mars 1919

Pichon : Que s’est-il passé (en Hongrie) ? (...) Le départ du comte Karoliyi et (. .) la chute du gouvernement (...). Une république des soviets a été proclamée. Nos missions ont été chassées et le premier acte du nouveau gouvernement a été de s’adresser à Lénine et de lui dire qu’on était prêts à marcher avec lui. (...)

Président Wilson : Il faut avant tout éclaircir la situation. Le gouvernement de Budapest (...) est un gouvernement de soviets parce que c’est la forme de gouvernement à la mode et il peut y avoir bien des espèces de soviets.

Pichon : La Hongrie nous répond par la révolution, par l’expulsion de nos missions. Nous sommes liés à la Roumanie, à qui nous avons promis de libérer les populations transylvaines.

Président Wilson : Il faut éviter, par une attitude trop dure, de pousser un pays après l’autre dans le bolchevisme. Le même danger existe à Vienne. Si nous avions à jeter là une ligne de démarcation, Vienne pourrait se jeter le lendemain dans le bolchevisme. Si de pareils événements se répètent, nous n’aurons pas de paix, parce que nous ne trouverons plus personne pour le conclure. En ce qui concerne la Hongrie (...) il ne servirait à rien de lui dire « Nous ne voulons rien avoir à faire avec vous (...) nous n’avons jamais rien eu à faire, ni les uns ni les autres, avec des gouvernements révolutionnaires. » Quant à moi, je suis prêt à entrer en conversation avec n’importe quel coquin (...)

Lloyd George : Le comte Karolyi est un homme fatigué, qui a jeté le manche après la cognée, et le bolchevisme n’a eu qu’à prendre une place vide. »

« 8 avril 1919

Orlando : Nous avons reçu un télégramme de notre légation en Suisse nous annonçant que la proclamation de la république des soviets à Vienne est probable pour le 14 de ce mois, à moins que Vienne ne soit occupée par les Alliés.

Lloyd George : Qui propose-t-on d’envoyer occuper Vienne ? pourquoi, si nous suivions ces suggestions, n’occuperions-nous pas l’Europe entière ? Nos représentants à Berlin nous tiennent le même langage ; il n’y aurait plus de raison de s’arrêter. (...) J’ai reçu un télégramme du War Office me faisant connaître que la situation en Allemagne s’aggrave et que l »on craint une catastrophe. (...) Aujourd’hui, nous apprenons la proclamation de la république des soviets en Bavière. Le danger est que, quand nous demanderons aux délégués allemands : « qui représentez-vous ? », ils ne sachent que répondre. (...) Nous sommes d’accord pour examiner ce que nous aurons à faire non seulement si l’Allemagne tombe en décomposition, mais aussi si la situation s’aggrave en Autriche et dans les pays voisins. (...) »

« 16 avril 1919

Balfour : Il y a, sur la côte de la Baltique, des troupes allemandes qui luttent contre les Bolcheviks et qui nous demandent de les aider en leur fournissant du charbon et des vivres et même en leur permettant de recevoir des renforts d’Allemagne. Nous avons consenti (...) »

« 18 avril 1919

Le Président Wilson donne lecture du texte sur la Pologne.

Lloyd George : Un article que je n’aime pas est celui qui demande la dissolution des conseils d’ouvriers et de soldats. L’exécution n’en est pas facile.

Clemenceau : C’est ce que nous avons fait sur les territoires que nous occupons.

Lloyd George : Sans doute, mais nous nous désirons précisément éviter d’avoir à occuper cette région éloignée. « 21 avril 1919
Orlando : Quant à moi, j’ai toujours eu le souci de calmer l’opinion. (...) Si je revenais en Italie en apportant une paix qui provoquerait un soulèvement de la population, je rendrai un mauvais service au monde entier. Si l’opinion du président Wilson prévaut, il y aura une révolution en Italie, n’en doutez pas. Récemment des échauffourées se sont produites à Rome et à Milan entre le bolchevistes et les patriotes. Ce sont les bolchevistes qui ont été battus. A Milan, deux d’entre eux ont été tués. Or cet élément nationaliste qui est si excité en ce moment ferait la révolution si la paix lui paraissait mauvaise (...) Une Italie déçue et mécontente, ce sera la révolution et un danger pour le monde entier.

Balfour : Mais supposez que l’Italie se brouille avec les Etats-Unis, je ne vois pas comment la vie économique pourra continuer, et, dans ce cas, comment éviterez vous la révolution sociale ?

Orlando : J’ai encore espoir d’éviter la révolution sociale si je reste avec mon pays. »

« 22 avril 1919

Lloyd George : J’ai peur d’une crise que nous ne puissions plus maîtriser (...) Notre pauvre Europe est comme un terrain semé de grenades ; si on y met le pied, tout saute. »

« 23 avril 1919

Président Wilson : Il n’est pas possible de faire quoi que ce soit dans ce pays (l’Allemagne) avant que la population ait les vivres et les moyens de travail indispensables. La disette, au sens le plus général du mot, est le terrain sur lequel croît le bolchevisme. (...) Je ne peux pas consentir à donner à donner à l’Italie ce qui serait la cause d’une séparation dangereuse entre le monde slave et l’Europe occidentale. Nous sommes devant une alternative : ou nous attirerons les slaves du sud vers l’Europe occidentale et vers la Société des Nations, ou nous les rejetterons vers la Russie et le bolchevisme. »

« 24 avril 1919

Président Wilson : Dans les villes (allemandes) il y a du bolchevisme. »

« 29 avril 1919

Vandervelde : Nous avons, à l’heure présente, 800.000 chômeurs survivent avec une allocation de 777 à 14 francs par semaine. La vie, en Belgique, est trois fois plus chère qu’en 1914. Cependant l’ordre et le calme n’ont cessé d’y régner. Ce qui les a maintenus, c’est d’abord l’organisation très forte de notre parti ouvrier dont je suis fier de dire qu’elle est la plus puissante garantie d’ordre qui existe dans notre pays (...). Je ne suis pas suspect de vues extrêmes (...) Dans le discours que j’ai prononcé en séance plénière sur les conditions de travail, j’ai dit que les ouvriers belges, ayant à choisir entre la méthode anglaise et la méthode russe, avaient choisi la méthode anglaise. Mr Lloyd George m’a dit qu’il était fier de voir que les ouvriers belges reconnaissaient l’excellence de la méthode britannique. Mais pour que cela dure, il est indispensable que vous nous aidiez : il y va de l’avenir de nos travailleurs et de notre pays même. ».

« 30 avril 1919

Lloyd George : Pour l’emploi du temps, il a été proposé d’étudier la semaine prochaine les questions relatives à la paix en Autriche. (...)
Ce qui me rallie à la proposition de M. Lloyd George, c’est l’effet moral que la convocation aura en Autriche. Les dépêches que nous recevons de Vienne indiquent l’urgence de soutenir le gouvernement actuel. La disette, le sentiment que la paix n’est pas en vue, créent un état d’esprit dangereux (...)

Lloyd George : Je propose d’entendre M. Tchaïkovsky le chef du gouvernement d’Arkhangel (...) Les renseignements que nous recevons indiquent que Koltchak avance et pourra sans doute rejoindre Arkhangel (...) et, d’autre part, que le gouvernement de Lénine est encore puissant, mais incline peu à peu vers une politique plus modérée.

Clemenceau : Nos informations tendent à montrer que la puissance des Bolcheviks décline.

Lloyd George : Ici nos informations diffèrent. (...)
Président Wilson : Un des éléments qui troublent la paix du monde est la persécution des Juifs. Vous savez qu’ils sont particulièrement mal traités en Pologne et qu’ils sont privés des droits de citoyen en Roumanie. (...) Rappelez-vous que, quand les Juifs étaient traités en hors la loi en Angleterre, ils agissaient comme des gens hors la loi. Notre désir est de les ramener partout dans la loi commune. (...) (Suite le 3 mai) Nos gouvernements, du moins les gouvernements britannique et américain, ont pris, vis-à-vis des Juifs, l’engagement d’établir en Palestine quelque chose qui ressemble à un Etat israélite, et les Arabes y sont très opposés.

(Suite le 17 mai) Ce n’est pas seulement un sentiment de bienveillance à l’égard des Juifs, mais par l’incertitude du danger que le traitement injuste des Juifs crée dans différentes parties de l’Europe. Le rôle des Juifs dans le mouvement bolcheviste est dû sans aucun doute à l’oppression que leur race a subi pendant si longtemps. Les persécutions empêchent le sentiment patriotique de naître et provoquent l’esprit de révolte. A moins que nous ne portions remède à la situation des Juifs, elle restera un danger pour le monde.

(Suite 6 juin) France, Italie, Grande Bretagne, Etats-Unis, ce n’est pas sur leurs territoires que l’on trouve cet élément juif qui peut devenir un danger pour la paix en Europe, mais en Russie, en Roumanie, en Pologne, partout où les Juifs sont persécutés.
Lloyd George : Cette difficulté subsistera jusqu’à ce que les Polonais deviennent assez intelligents pour savoir tirer parti de leurs Juifs, comme le font les Allemands.

(Suite 23 juin) Président Wilson Le plus important est d’apaiser les inquiétudes des Juifs. Je crains toujours de laisser subsister de ce côté un ferment dangereux. »

« 2 mai 1919

Lloyd George : On me fait savoir que, dans plusieurs villes d’Italie, des soldats anglais ont été insultés dans les rues. (...)

Président Wilson : En jetant un cristal dans un liquide, on le fait parfois cristalliser tout entier.

Lloyd George : Quelquefois aussi, on provoque une explosion.
Président Wilson : L’explosion s’est déjà produite. (...) l’attitude de l’Italie est indubitablement agressive. (...) »

« 7 mai 1919

Lloyd George : Je voudrai vous parler de la Russie La situation s’y transforme de la façon la plus remarquable : nous assistons à un véritable effondrement du bolchevisme, à tel point que le cabinet britannique sollicite de nous une décision immédiate sur notre politique en Russie. D’après nos renseignements, Koltchak est sur le point de joindre ses forces à celles d’Arkhangel ; il est possible aussi qu’il arrive à bref délai à Moscou et y établisse un nouveau gouvernement. (...)

Président Wilson : Que fournissez-vous à Koltchak et à Dénikine ?

Lloyd George : Des armes et des munitions. » « 8 mai 1919
Président Wilson : Rien n’a été décidé sur les frontières de la Russie ou celles qu’il a lieu d’établir à l’intérieur de l’ancien empire russe. »

« 9 mai 1919

Président Wilson : Quand nous essayâmes pour la première fois d’envoyer des vivres aux populations russes (...) des troupes américaines ont assuré la police du chemin de fer entre le Pacifique et Irkoutsk. Notre gouvernement n’a pas confiance dans l’amiral Koltchak qui est soutenu par la France et l’Angleterre. (...) Dans ces conditions, nous devons ou prendre le parti de soutenir Koltchak et de renforcer notre armée d’occupation, ou nous retirer totalement. Mais si nous augmentons nos effectifs, le Japon fera de même. Quand nous sommes allés en Sibérie, nous nous étions entendus avec le Japon pour envoyer là-bas des forces équivalentes. En fait, nous avons envoyé 9000 hommes et le japon 12000. Mais, peu à peu, il a augmenté ses effectifs et les a porté à 70.000 hommes. (...) Si, d’autre part, nous renforçons les troupes qui gardent le chemin de fer, je crains une coalition entre les Cosaques et les Japonais contre nous. Pour moi j’ai toujours été d’avis de nous retirer de Russie (...)
Lloyd George : (...) Il devient nécessaire de nous entendre sur une politique commune en Russie. D’après nos renseignements, l’amiral Koltchak avance rapidement à l’ouest de l’Oural et cela semble démontrer que les Bolcheviks n’ont plus la force de résister, ou que les moyens de transport leur manquent complètement. Quelles sont les dernières nouvelles ?

Sir Maurice Hankey : Les derniers télégrammes montrent que l’amiral Koltchak envoie des forces à la fois dans la direction d’Arkhangel et vers le sud-ouest.

Président Wilson : Nous avons certainement le droit de demander à Koltchak quelles sont ses intentions.

Lloyd George : D’abord sur la question agraire, il faut lui demander s’il est bien résolu à ne pas reprendre la terre aux paysans.

Président Wilson : D’après les informations que j’ai reçues d’un homme qui connaît très bien la Russie et sa situation présente, les paysans se sont emparés de la terre irrégulièrement et au hasard. (...)

Lloyd George : Il faut se résigner à des irrégularité de ce genre dans une révolution : le fait s’est produit lors de la révolution française. (...)
Lloyd George : Si l’amiral Koltchak peut nous rejoindre, c’est la fin du bolchevisme. ( ..)
Président Wilson : Les troupes américaines d’Arkhangel ne sont pas bien sures. (...) Il est toujours dangereux de se mêler de révolutions étrangères. (...)
Lloyd George : Ici ce sont des Russes qui agissent et nous ne ferons que les seconder. (...)
Lord Robert Cecil : Le grand problème que nous avons à résoudre est de remettre l’Europe au travail. Partout, le chômage se développe, surtout dans les Etats nouveaux. Se borner à nourrir cette population de chômeurs serait presque sans effet au point de vue politique : s’ils sont nourris et sans travail, ils seront encore plus disposés à se révolter que dans la plus extrême détresse. (...) Ce qui est certain, c’est que si rien n’est fait, nous nous trouverons en présence du chaos et de l’anarchie. » « 10 mai 1919
Président Wilson : Une intransigeance de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne. et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...)
Lloyd George : J’ai reçu ce matin un autre rapport qui me dit qu’à mesure que Koltchak avance, il se produit des désordres derrière lui. Les Bolcheviks ont quelques succès en Sibérie orientale. Cela ne veut-il pas dire que l’on croit que si Koltchak réussissait, le but final de son entourage serait le retour au passé ? Ne croit-on pas que c’est à cela que les Alliés veulent l’aider ? (...) » « 17 mai 1919
Maharadjah de Bikaner : Nous ne pouvons que déconseiller de la manière la plus formelle tout partage de la Turquie (...) C’est avec tout le sentiment de ma responsabilité que j’appelle votre attention sur le danger de désordre et de haine que cette question contient, non seulement pour l’Inde mais pour le monde entier.
Montagu : Il y a un danger véritable chez les peuples musulmans. (...) Un Américain qui avait été prisonnier des Bolcheviks à Tachkent (...) a été frappé par l’attitude des Musulmans à l’égard des Alliés : le sentiment parmi eux était que la Conférence prenait position contre l’Islam. Je n’ai pas besoin de rappeler les événements récents qui se sont produits en Egypte et dans l’Afghanistan. Dans le Pendjab, des agitateurs hindous, excités par les Bolcheviks, provoquaient les populations à la révolte. (...) Il est sans exemple que l’on ait ainsi ouvert les mosquées à des prédicateurs ou à des orateurs qui n’appartenaient pas eux-mêmes à la religion musulmane. » « 19 mai 1919
Président Wilson : La situation à Varsovie est certainement dangereuse. L’opinion est très montée et aux excitations nationalistes se mêlent des menaces de grève générale des postes et des chemins de fer. (...) Paderewski nous avertit qu’une intransigeance complète de notre part aurait pour résultat une révolution en Pologne et, pour commencer, la chute de son gouvernement. (...) Le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. Il n’y aurait pas de résistance. (...) On nous conseille d’envoyer à Budapest une mission politique ayant à sa tête un homme comme le général Smuts pour assurer l’établissement d’un gouvernement stable. (...)
Lloyd George : Nous sommes au milieu des sables mouvants. (...) Avez-vous vu le télégramme de Lénine qui accuse les troupes de Denikine d’atrocités. J’ai bien peur qu’en fait les atrocités n’aient lieu des deux côtés. Que penser des victoires de Koltchak ? (...)
Président Wilson : Même incertitude au sujet de la Hongrie. Nous recevons des rapports sur l’impopularité de la dictature du prolétariat. (...) La conclusion de mon représentant est que le seul moyen de régler la question hongroise est une intervention militaire. (...)
Clemenceau : Il me paraît bien difficile d’occuper Budapest. Que nous demandera-t-on d’occuper ensuite ? Ce n’est pas la première fois qu’on nous invite à occuper telle ou telle partie de l’Europe. (...)
Président Wilson : J’ai donné au Département d’Etat l’instruction d’entrer directement en communication avec l’amiral Koltchak et de lui poser un certain nombre de questions, notamment sur ses intentions en ce qui concerne l’Assemblée Constituante et le régime agraire. « 20 mai 1919
Lord Robert Cecil : Lénine ne veut pas accepter la condition de suspension des hostilités. Après consultation avec le Conseil suprême économique, je conseille aux gouvernements de choisir entre deux politiques : il faut ou écraser les Bolcheviks ou imposer aux différents groupes belligérants de la Russie (...) qu’une Constituante soit immédiatement convoquée. En tout cas, il ne faut pas essayer de mêler les deux systèmes. (...)
Clemenceau : Si nous cessons d’envoyer des armes à Koltchak et à Denikine, ce n’est pas cela qui arrêtera Lénine. (...)
Lloyd George : D’un côté, nous avons des révolutionnaires violents et sans scrupules, de l’autre des gens qui prétendent agir dans l’intérêt de l’ordre, mais dont les intentions nous sont suspectes. Toutefois, nous avons le devoir de ne pas abandonner ceux dont nous avons eu besoin (...)
Lloyd George : Nous aurons aussi à examiner la question des provinces baltiques. (. ;) Comment faire fond sur ces populations ? Nous avons à un moment donné cherché à leur distribuer des armes pour combattre contre les Bolcheviks, mais nous y avons renoncé, parce que nous trouvions trop peu de gens en qui on pût avoir confiance. » « 21 mai 1919
Lloyd George : Le monde musulman s’agite, vous savez nos difficultés en Egypte, l’Afghanistan est en état de guerre avec nous. Pendant la guerre nous avons levé dans les Indes plus d’un million d’hommes, presque tous musulmans, ce sont eux qui ont supporté presque tout le poids de la lutte contre la Turquie, quoique encadrés par des troupes blanches. Le monde musulman n’oublie pas cela. La division de la partie proprement turque de l’Asie Mineure serait injuste et impolitique (...)
Général Le Rond : Les Ukrainiens n’ont que médiocrement résisté aux Bolchevistes. (...) Les Polonais sont beaucoup plus capables qu’eux d’arrêter la marche en avant du bolchevisme.
Général Botha : Les Polonais, avec des munitions qu’ils reçoivent de nous, attaquent des gens qui ne sont pas nos ennemis (Ukraine). S’ils ont besoin de ce que nous leur donnons pour combattre les Bolchevistes, nous sommes prêts à continuer à le leur donner. (...) Si nous tolérons ce que la Pologne fait aujourd’hui, nous jetterons nous-mêmes le peuple ukrainien dans les bras des Bolcheviks.
Président Wilson : Si Paderewski tombe et que nous coupions les vivres à la Pologne, la Pologne elle-même ne deviendra-t-elle pas bolcheviste ? Le gouvernement de Paderewski est comme une digue contre le désordre, et peut-être la seule possible.
Lloyd George : Les Polonais estiment que le moyen de combattre les Bolchevistes n’est pas de s’unir avec les Ukrainiens contre eux, mais de supprimer les Ukrainiens. Quarante millions d’Ukrainiens, s’ils sont foulés aux pieds, se soulèveraient contre nous et pourraient créer un nouveau bolchevisme quand l’ancien se serait effondré. » « 23 mai 1919
Orlando : Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir nier que l’état d’esprit en Italie est fort préoccupant. C’est un aveu qui me coûte beaucoup. L’exaspération de l’opinion italienne vient en partie de la fatigue de la guerre, en partie de la sensation d’anxiété provenant du fait que l’Italie ne voit pas les questions qui l’intéressent recevoir leur solution. (...) Il en est résulté une tension qui va, je le reconnais, jusqu’à la folie de la persécution ; et cela se tourne contre le gouvernement italien lui-même.
Président Wilson : N’est-ce pas l’Angleterre qui a fourni la plus grande partie des armes et des munitions à Koltchak et à Denikine ? Les Etats-Unis n’ont rien fourni, sauf aux Tchécoslovaques.
Lloyd George : C’est en effet la Grande-Bretagne qui a fait la plus grande partie de ces fournitures.
Clemenceau : Nous en avons fait aussi mais moins que vous.
Président Wilson : Notre rôle est différent. Nous n’avons fait que venir en aide aux Tchécoslovaques et assurer en partie la garde du chemin de fer transsibérien. (...)
Lloyd George : Il faut reprendre la question de l’armement des petits Etats de l’Europe centrale. (...)
Nous laisserons des troupes à la Pologne à cause du voisinage de la Russie. Nous laisserons des troupes à la Roumanie pour la même raison. » « 24 mai 1919
Président Wilson : Nous craignons que l’amiral Koltchak, le général Denikine et le gouvernement d’Arkhangel ne soient soumis à des influences contre-révolutionnaires et que, s’ils n’ont pris aucun engagement vis-à-vis de nous, leur victoire n’aboutisse à une réaction qui conduirait sans doute à de nouveaux désordres et à une nouvelle révolution. (...)
Lloyd George : En Angleterre, le sentiment contre l’action de toute troupe britannique en Russie est de plus en plus fort. En revanche, nous pouvons laisser tous les individus qui, de leur propre gré, s’engageront au service d’un des gouvernements russes (Koltchak ou Denikine), leur fournir cette sorte d’assistance individuelle. En fait, lorsque nous avons demandé des volontaires pour notre corps d’occupation d’Arkhangel, nous en avons trouvé beaucoup. (...) D’ailleurs, ce qu’il faut en Russie, ce sont avant tout des spécialistes, artilleurs, aviateurs, etc… (. ;) Il est peut-être mieux de ne même pas mentionner ces volontaires dans notre dépêche (...).
Président Wilson : Ce n’est pas moi qu’il faut persuader mais le Congrès des Etats-Unis qui s’est montré jusqu’à présent hostile à l’idée de toute intervention en Russie. Je crois que cette attitude pourra changer si l’amiral Koltchak réponde d’une manière satisfaisante aux questions que nous allons lui poser. (...) Mais, pour aider l’amiral Koltchak dans sa marche vers l’ouest, nous ne lui fournissons que des moyens matériels, en laissant aux individus le droit de s’engager volontairement dans les armées russes. (...) Notre ambassadeur à Tokyo est en route pour Omsk ; il doit voir l’amiral Koltchak et se former une opinion sur lui et son entourage.
Lloyd George : Il serait bon d’envoyer quelqu’un faire la même enquête chez le général Denikine. (...) Denikine est entouré de bons officiers mais dont les méthodes sont brutales : ils ont fusillé quinze mille bolchevistes après les avoir fait prisonniers. » « 26 mai 1919
Président Wilson : Le traité de Londres a été conclu dans des circonstances qu,i depuis, se sont modifiées. (...) L’opinion du monde elle-même s’est modifiée. (...) le monde n’avait pas encore compris qu’il y avait là une question qui le regardait (l’oppression des peuples colonisés menaçant de se joindre à la révolution russe et européenne) et dans laquelle son avenir même était en jeu, c’est ce qui n’a été compris que graduellement aux Etats-Unis et dans d’autres pays. (...) C’est alors que j’ai fait au Congrès mon discours sur nos buts de guerre (. ;) mes quatorze points (...). Le traité de Londres est fondé sur l’idée de l’ancienne politique européenne que la puissance la plus forte a le droit de régler le sort de la plus faible. (...) Si aujourd’hui cette idée était maintenue, elle provoquerait des réactions fatales à la paix du monde. « 28 mai 1919
Clemenceau : Nous allons discuter (...) pour tous les petits Etats (...) la question de la limitation de leurs armements (...)
Président Wilson : Il y a, dans cette partie du monde, un facteur inconnu : c’est la Russie. Ne pouvons-nous pas dire que, là où ce facteur peut se faire sentir, des forces militaires pourront être maintenues suffisantes pour parer à toute éventualité ?
Clemenceau : ce qu’il faut surtout, c’est ne pas trop hâter le désarmement des Etats d’Europe centrale.
Lloyd George : Je crains ce qui peut arriver si ces Etats ont des armées très supérieures à celle de l’Autriche. Je n’ai pas grande confiance dans la Roumanie, dans la Serbie.
Président Wilson : Il vaut mieux établir un régime provisoire tant que la période d’incertitude et de désordre continue. Il est impossible aujourd’hui, quand l’est de l’Europe est dans un état si critique, de militer définitivement les forces de chaque Etat. » « 29 mai 1919
Lloyd George : En Russie, rien n’a plus contribué à rendre les Bolcheviks populaires que l’occupation étrangère. (En Europe centrale) il faut éviter que l’occupation irrite la population, accumule les haines et crée un danger pour l’Europe entière. » « 2 juin 1919
Lloyd George : J’estime qu’il est de mon devoir de vous indiquer la situation de la délégation britannique en ce qui concerne le traité de paix. Elle est difficile. Notre opinion publique désire avant tout la paix (...) elle ne soutiendrait pas un gouvernement qui reprendrait la guerre. » « 3 juin 1919
Lloyd George : Je crains que Koltchak n’ait subi un échec sérieux. » « 6 juin 1919
Le président Wilson donne lecture du télégramme de l’amiral Koltchak en réponse à la demande de garanties des Alliés : (...) « Il paraît impossible de rappeler l’assemblée de 1917 élue sous un régime de violence bolcheviste et dont les membres sont maintenant en majorité dans les rangs des Soviets. » « 9 juin1919
Président Wilson : Je prie les membres du Conseil militaire interallié de nous faire connaître la situation militaire en Hongrie. (...)
Lloyd George : J’ai des informations récentes d’un Anglais, venu de Budapest, et d’ailleurs très hostile à Bela Kun. Il rejette toute la faute de ce qui est arrivé sur les Roumains. (...) Bela Kun, à ce moment, était perdu. Il était isolé dans Budapest. Sa situation pouvait se comparer à celle de la Commune de Paris immédiatement avant sa chute. L’avance des Roumains a soulevé le sentiment national hongrois et donné à Bela Kun une armée (...) J’ai reçu deux télégrammes de notre représentant militaire à Prague. Le premier dit que la situation est très grave, que les Tchèques manquent de munitions, que Presbourg est menacé et que le bolchevisme se développe en Slovaquie. Le second annonce qu’à la requête du Président Masaryk, le général Pellé a été placé à la tête de l’armée tchécoslovaque et la loi martiale proclamée à Presbourg. (...) Le général Franchet d’Esperey, qui nous représente tous, a donné une première fois aux Roumains ordre de s’arrêter. Cet ordre n’a pas été obéi. (...) Je propose d’arrêter tout envoi de matériel à la Roumanie jusqu’à ce qu’elle ait obéi à notre ordre. (...) La plus grande partie de nos difficultés vient de ce que les Etats qui sont nos amis refusent de suivre nos instructions. (...)
Président Wilson : Je n’aime pas jouer les dépôts de munitions. Cela peut produire des explosions. (...)
Lloyd George : Les Allemands ne savent plus où ils en sont. Ils ressemblent à un homme pris dans un cyclone, à qui l’on demanderait tout à coup : « à quel prix vendez-vous votre cheval ? » D’ailleurs nous sommes un peu dans la même situation. (...) Il faut aboutir. Nous ne pourrons tenir aucune des autres nations tant que nous n’aurons pas fait la paix avec l’Allemagne. » « 10 juin 1919
Président Wilson : Nous vous avons convoqués, Messieurs, parce que nous sommes très préoccupés de la situation militaire en Hongrie et autour de la Hongrie. (...) Cette seconde offensive (roumaine) a eu comme conséquence la chute de Karolyi, dont l’attitude envers l’Entente était plus amicale que celle d’aucun autre homme d’Etat hongrois .C’est alors que Bela Kun s’empara du pouvoir. Son gouvernement n’était pas de nature à être accepté par les classes les plus établies de la population. Mais quand les Tchèques, à leur tour, attaquèrent le territoire hongrois. On nous rapporte que les officiers de l’ancienne armée hongroise eux-mêmes vinrent se ranger autour du gouvernement de Bela Kun. Celui-ci donc arrivé au pouvoir en conséquence de l’offensive roumaine y a été consolidé par l’offensive tchèque. Rien ne peut être plus fatal à notre politique. (...) Nous devons éviter de créer nous-mêmes le bolchevisme en donnant aux populations des pays ennemis de justes raisons de mécontentement. » « 12 juin 1919
Lloyd George : En réponse à l’amiral Koltchak, nous ne pouvons faire plus que lui promettre notre appui. Il est impossible de reconnaître son gouvernement comme celui de toute la Russie. (...)
Orlando : Il y a en Italie une grève qui me préoccupe (...)
Lloyd George : J’ai eu quelques renseignements sur ce qui s’est passé à Rome pendant la visite de Ramsay MacDonald. Les socialistes italiens étaient d’avis de faire un coup, d’accord avec les groupes ouvriers de France et d’Angleterre. (...)
Orlando : L’agitation qui a lieu en Italie en ce moment est surtout dirigée contre la hausse des prix. Il y a eu quelques incidents sérieux à La Spezia : une personne a été tuée et deux blessées.
Lloyd George : Cette question des prix me préoccupe beaucoup et je crois que nous devrons bientôt faire un effort pour la résoudre en commun. A mon avis, il faudra établir un système d’achats interalliés.. Autrement nous courrons à une révolution dans toute l’Europe. « 13 juin 1919
Lloyd George : Les moyens militaires à employer si les Allemands refusent de signer (la paix) ont été étudiés. Mais, à mon avis, le meilleur moyen d’obtenir la signature, c’est d’annoncer dès maintenant que nous nous préparons, en cas de refus, à reprendre le blocus. (...) Ce que je veux, c’est hâter la conclusion de la paix. Si la paix ne vient pas promptement, je crains un chaos qui serait bien pire que tout ce qu’ont pu faire des années de blocus (...) J’ai peur de trouver à Berlin un autre Moscou (...)
Président Wilson : La famine a produit ailleurs le chaos et je crains qu’elle ne le produise aussi en Allemagne.
Clemenceau : Lloyd George n’a pas envie d’aller à Berlin, moi non plus.. « 17 juin 1919
Lloyd George : Le Conseil économique nous demande s’il n’y a pas lieu de lever le blocus de la Russie bolcheviste et de la Hongrie dès la signature du traité avec l’Allemagne. La question, en réalité, se borne à savoir si les allemands seront les seuls à avoir le droit de commercer avec la Russie. (...) Si je croyais que nous puissions écraser les Bolcheviks cette année, je serai d’avis de faire un grand effort auquel participeraient les flottes anglaise et française. Mais l’amiral Koltchak vient d’être repoussé à trois cent kilomètres en arrière. Une des ses armées est détruite. (...) Pour moi, l’amiral Koltchak ne battra pas Lénine. Il arrivera plutôt un moment où les adversaires se rapprocheront pour mettre fin à l’anarchie. Il semble que les affaires militaires des Bolcheviks soient bien conduites. Mais les observateurs qui nous renseignent disent que la pure doctrine bolcheviste est de plus en plus abandonnée et que ce qui se constitue là-bas, c’est un Etat qui ne diffère pas sensiblement d’un Etat bourgeois.
Clemenceau : Etes-vous sûr du fait ?
Président Wilson : Il est peut-être encore trop tôt pour le croire. (...)
Clemenceau : Il faut, en tout cas, tenir l’engagement que nous venons de prendre vis-à-vis de l’amiral Koltchak.
Lloyd George : Certainement. (...)
Président Wilson : Nous ne nous sommes engagés d’ailleurs qu’à l’aider en lui fournissant du matériel. (...) La question est celle-ci : sommes-nous en guerre avec la Russie bolcheviste ?
Lloyd George : Des troupes britanniques sont à Arkhangel. (...)
Président Wilson : Je vous signale que le Conseil interallié des transports maritimes a donné hier l’ordre d’arrêter les navires chargés de vivres à destination des ports de la Baltique (...) Je rappelle que j’ai beaucoup insisté pour que nous commencions par l’action militaire et que nous n’ayons recours au blocus qu’en dernier lieu. (...) Je ne suis pas d’avis de réduire à la famine la population d’un grand pays, sauf si c’est le dernier moyen d’action qui nous reste (...) » « 23 juin 1919
Balfour : Une dépêche interceptée du gouvernement de Weimar à la délégation allemande de Versailles (...) : le gouvernement allemand se déclare prêt à signer. (...)
Lloyd George : M. Winston Churchill viendra sous peu vous parler du rapatriement des Tchèques par Arkhangel. On réclame instamment en Bohême le retour des troupes tchèques de Russie. M. Winston Churchill est surtout préoccupé d’établir, si cela est possible, des communications entre l’amiral Koltchak et Arkhangel, et les troupes tchèques sur le retour pourraient y aider. Mais il faut pour cela qu’elles soient remplacées le long du Transsibérien par des troupes japonaises et américaines. » « 25 juin 1919
Clemenceau : Si nous prenons l’attitude qu’il faut, je crois qu’il y aura en Pologne des troubles locaux, mais pas de lutte armée. En tout cas, il ne faut pas laisser grandir le mouvement. (...) Le président Wilson nous prie de ne pas recommencer la guerre. Je le crois bien ! Mon pays a souffert plus que tout autre. Il s’élève en France un cri universel pour la démobilisation. (...) Toutefois, il y a un intérêt suprême qui s’élève au dessus du désir légitime d’en finir avec la guerre : il ne faut pas que les résultats de la guerre nous échappent par notre faiblesse. (...)
Lecture d’un rapport de la commission des affaires baltiques sur l’avance allemande qui se poursuit systématiquement. Le danger du côté des Bolcheviks n’est pas moins sérieux. (...) Un rapport annexe provenant des agents des Puissances alliées et associées dans la Baltique demande l’envoi d’une mission militaire interalliée sous le commandement d’un général anglais. Il demande également l’envoi d’instructeurs et d’armes. (...)
Lloyd George : Voilà des gens qui se battent pour leur liberté, et qui ne pourront pas continuer si nous ne leur envoyons pas d’argent. Pour ce qui est de les approvisionner en vivres et en munitions j’y suis prêt et je sui d’avis de leur envoyer la mission demandée. (...) Vous vous souvenez de l’échec et du recul de l’amiral Koltchak : il a perdu trois cent kilomètres de terrain. Mais en même temps Dénikine avance du côté du sud et les cosaques du Don se sont levés pour l’aider. (...) D’après un rapport, même si le front bolchevik était percé, les tchécoslovaques n’arriveraient pas à Arkhangel en temps voulu pour y être embarqués avant l’hiver. Nous pouvons leur proposer de faire un effort pour hâter leur libération mais nous courrons quelque risque si l’effort ne réussit pas. » « 26 juin 1919
Clemenceau : J’ai reçu un télégramme de Bela Kun il y a quelques jours. Il demandait des garanties dont la première était la reconnaissance de la république des soviets. Je n’ai pas répondu. (...)
Lloyd George : Nous ne pouvons pas dire que nous ne reconnaîtrons jamais un gouvernement de soviets. Si défectueux que soit ce genre de gouvernement, il est, somme toute, plus représentatif que l’était celui du tsar.
Clemenceau : Cette reconnaissance présenterait ici des dangers réels. » « 28 juin 1919 (dernière réunion du Conseil des Quatre)
Président Wilson : Je ferai observer que nos délibérations ont eu le caractère de conversations privées.
Clemenceau : Assurément, publier ces comptes-rendus serait tout ce qu’il pourrait y avoir de plus dangereux.
Président Wilson : (...) Si j’avais pensé que cette question se poserait, je n’aurai jamais consenti à ce qu’on prît des notes. »

« Les délibérations du Conseil des Quatre » Compte-rendu officiel des chefs d’Etat des grandes puissances (Wilson président des Etats-Unis, Lloyd George chef du gouvernement anglais, Clemenceau chef du gouvernement français, Orlando chef du gouvernement italien, Paderewski chef du gouvernement polonais, Montagu secrétaire d’Etat pour l’Inde) Edition du CNRS 1955

« Ainsi, le parti de Lénine fut-il le seul en Russie à comprendre les intérêts véritables de la révolution dans cette première période, il en fut l’élément moteur en tant que seul parti qui pratiquât une politique réellement socialiste.

On comprend aussi pourquoi les bolcheviks, minorité bannie, calomniée et traquée de toutes parts au début de la révolution, parvinrent en très peu de temps à la tête du mouvement et purent rassembler sous leur drapeau toutes les masses réellement populaires : le prolétariat des villes, l’armée, la paysannerie, ainsi que les éléments révolutionnaires de la démocratie, l’aile gauche des socialistes révolutionnaires.

A l’issue de quelques mois, la situation réelle de la révolution se résumait dans l’alternative suivante : Victoire de la contre-révolution ou dictature du prolétariat, Kalédine ou Lénine. Toute révolution en arrive objectivement là une fois dissipée la première ivresse ; en Russie, c’était le résultat de deux questions brûlantes et concrètes, celle de la paix et celle de la terre qui ne pouvaient être résolues dans le cadre de la révolution bourgeoise.

En cela, la révolution russe n’a fait que confirmer l’enseignement fondamental de toute grande révolution, dont la loi vitale se formule ainsi : il lui faut avancer très rapidement et résolument, renverser d’une main de fer tous les obstacles, placer ses objectifs toujours plus loin, si elle ne veut pas être très bientôt ramenée à son fragile point de départ ni être écrasée par la contre-révolution. Une révolution ne peut pas stagner, piétiner sur place, se contenter du premier objectif atteint. En transposant les vérités terre à terre des guerres parlementaires à la petite semaine sur la tactique révolutionnaire, on fait tout juste preuve d’un manque de psychologie de la révolution, d’une méconnaissance profonde de ses lois vitales, toute expérience historique est alors un livre sept fois scellé.

Dans le déroulement de la révolution anglaise à partir du moment où elle a éclaté en 1642, comment, par la logique des choses, les tergiversations débiles des presbytériens, la guerre hésitante contre l’armée royaliste, au cours de laquelle les chefs presbytériens évitèrent délibérément une bataille décisive et une victoire contre Charles 1er, furent ce qui contraignit inéluctablement les Indépendants à les chasser du Parlement et à prendre le pouvoir. Et par la suite, il en fut de même au sein de l’armée des Indépendants : la masse subalterne et petite-bourgeoise des soldats, les « niveleurs » de Lilburn constituait les troupes de choc de tout le mouvement indépendant, et enfin les éléments prolétariens de la masse des soldats, ceux qui allaient le plus loin dans leurs perspectives de bouleversement social et s’exprimaient dans le mouvement des « diggers » représentaient pour leur part le levain du parti démocratique des « niveleurs ».

Si les éléments révolutionnaires prolétariens n’avaient pas agi sur l’esprit de la masse des soldats, si la masse démocratique des soldats n’avait exercé aucune pression sur la couche bourgeoise dirigeante du parti des Indépendants, le Long Parlement n’aurait pas été « nettoyé » des presbytériens, la guerre contre l’armée des Cavaliers et contre les Écossais n’aurait pas connu une issue victorieuse, Charles 1" n’aurait été ni jugé ni exécuté, la Chambre des Lords n’aurait pas été supprimée et la république n’aurait pas été proclamée.

Et la grande révolution française ? Après quatre ans de combat, la prise de pouvoir par les Jacobins s’avéra être le seul moyen susceptible de sauver les conquêtes de la révolution, de faire prendre corps à la république, de réduire le féodalisme en poussière, d’organiser la défense révolutionnaire à l’intérieur comme à l’extérieur, d’étouffer la conspiration de la contre-révolution, de propager la vague révolutionnaire française dans toute l’Europe.

Aucune révolution ne peut garder le « juste milieu », sa loi naturelle exige des décisions rapides : ou bien la locomotive grimpe la côte historique à toute vapeur jusqu’au bout, ou bien, entraînée par son propre poids, elle redescend la pente jusqu’au creux d’où elle était partie et elle précipite avec elle dans l’abîme, sans espoir de salut tous ceux qui, de leurs faibles forces, voulaient la retenir à mi-chemin. (...) Les bolcheviks ont aussitôt défini comme objectif à cette prise du pouvoir le programme révolutionnaire le plus avancé dans son intégralité ; il ne s’agissait pas d’assurer la démocratie bourgeoise mais d’instaurer la dictature du prolétariat pour réaliser le socialisme. Ils ont ainsi acquis devant l’histoire le mérite impérissable d’avoir proclame pour la première fois les objectifs ultimes du socialisme comme programme immédiat de politique pratique.

Tout le courage, l’énergie, la perspicacité révolutionnaire, la logique dont un parti révolutionnaire peut faire preuve en un moment historique a été le fait de Lénine, de Trotski et de leurs amis. Tout l’honneur et toute la faculté d’action révolutionnaires qui ont fait défaut à la social-démocratie occidentale, se sont retrouvés chez les bolcheviks. L’insurrection d’octobre n’aura pas seulement servi à sauver effectivement la révolution russe, mais aussi l’honneur du socialisme international. (...) A cet égard, Lénine, Trotski et leurs amis ont les premiers, par leur exemple, ouvert la voie au prolétariat mondial, ils sont jusqu’à présent encore les seuls qui puissent s’écrier comme Hutten :« J’ai osé » !

Voilà ce que la politique des bolcheviks comporte d’essentiel et de durable. En ce sens, ils conservent le mérite impérissable d’avoir ouvert la voie au prolétariat international en prenant le pouvoir politique et en posant le problème pratique de la réalisation du socialisme, d’avoir fait progresser considérablement le conflit entre capital et travail dans le monde entier. En Russie, le problème ne pouvait être que posé. Il ne pouvait être résolu en Russie. Et en ce sens, l’avenir appartient partout au ’’Bolchevisme’’. » Rosa Luxemburg « La révolution russe » Janvier 1918

« L’ordre règne à Berlin « ( ..) Cette « Semaine Spartakiste » de Berlin, que nous a-t-elle apporté, que nous enseigne-t-elle ? Au cœur de la mêlée, au milieu des clameurs de triomphe de la contre-révolution, les prolétaires révolutionnaires doivent déjà faire le bilan des événements, les mesurer, eux et leurs résultats, au grand étalon de l’histoire. La révolution n’a pas de temps à perdre, elle poursuit sa marche en avant, - par-dessus les tombes encore ouvertes, par-delà les « victoires » et les « défaites » - vers ses objectifs grandioses. Et le premier devoir de ceux qui luttent pour le socialisme internationaliste, c’est d’étudier avec lucidité sa marche et ses lignes de force. Pouvait-on s’attendre, dans le présent affrontement, à une victoire décisive du prolétariat révolutionnaire, pouvait-on escompter la chute des Ebert-Scheidemann et l’instauration de la dictature socialiste ? Certainement pas, si l’on fait entrer en ligne de compte tous les éléments qui décident de la réponse. Il suffit de mettre le doigt sur ce qui est à l’heure actuelle la plaie de la révolution : le manque de maturité politique de la masse des soldats qui continuent de se laisser abuser par leurs officiers et utiliser à des fins contre-révolutionnaires est à lui seul la preuve que, dans ce choc-ci, une victoire durable de la révolution n’était pas possible. D’autre part, ce manque de maturité n’est lui-même que le symptôme du manque général de maturité de la révolution allemande. (...) Mais ce qui fait défaut, c’est la coordination de la marche en avant, l’action commune qui donnerait aux coups de boutoir et aux ripostes de la classe ouvrière berlinoise une tout autre efficacité. Ensuite - et c’est de cette cause plus profonde que proviennent ces imperfections politiques - les luttes économiques, ce volcan qui alimente sans cesse la lutte de classe révolutionnaire, ces luttes économiques n’en sont encore qu’à leur stade initial. (...) De cette contradiction entre la tâche qui s’impose et l’absence, à l’étape actuelle de la révolution, des conditions préalables permettant de la résoudre, il résulte que les luttes se terminent par une défaite formelle. Mais la révolution est la seule forme de « guerre » - c’est encore une des lois de son développement - où la victoire finale ne saurait être obtenue que par une série de « défaites ». Que nous enseigne toute l’histoire des révolutions modernes et du socialisme ? La première flambée de la lutte de classe en Europe s’est achevée par une défaite. Le soulèvement des canuts de Lyon, en 1831, s’est soldé par un lourd échec. Défaite aussi pour le mouvement chartiste en Angleterre. Défaite écrasante pour la levée du prolétariat parisien au cours des journées de juin 1848. La Commune de Paris enfin a connu une terrible défaite. La route du socialisme - à considérer les luttes révolutionnaires - est pavée de défaites. Et pourtant cette histoire mène irrésistiblement, pas à pas, à la victoire finale ! Où en serions-nous aujourd’hui sans toutes ces « défaites », où nous avons puisé notre expérience, nos connaissances, la force et l’idéalisme qui nous animent ? Aujourd’hui que nous sommes tout juste parvenus à la veille du combat final de la lutte prolétarienne, nous sommes campés sur ces défaites et nous ne pouvons renoncer à une seule d’entre elles, car de chacune nous tirons une portion de notre force, une partie de notre lucidité. Les combats révolutionnaires sont à l’opposé des luttes parlementaires. En Allemagne, pendant quatre décennies, nous n’avons connu sur le plan parlementaire que des « victoires » ; nous volions littéralement de victoire en victoire. Et quel a été le résultat lors de la grande épreuve historique du 4 août 1914 : une défaite morale et politique écrasante, un effondrement inouï, une banqueroute sans exemple. Les révolutions par contre ne nous ont jusqu’ici apporté que défaites, mais ces échecs inévitables sont précisément la caution réitérée de la victoire finale. A une condition il est vrai ! Car il faut étudier dans quelles conditions la défaite s’est chaque fois produite. Résulte-t-elle du fait que l’énergie des masses est venue se briser contre la barrière des conditions historiques qui n’avaient pas atteint une maturité suffisante, ou bien est-elle imputable aux demi-mesures, à l’irrésolution, à la faiblesse interne qui ont paralysé l’action révolutionnaire ? (...) La direction a été défaillante. Mais on peut et on doit instaurer une direction nouvelle, une direction qui émane des masses et que les masses choisissent. Les masses constituent l’élément décisif, le roc sur lequel on bâtira la victoire finale de la révolution. Les masses ont été à la hauteur de leur tâche. Elles ont fait de cette « défaite » un maillon dans la série des défaites historiques, qui constituent la fierté et la force du socialisme international. Et voilà pourquoi la victoire fleurira sur le sol de cette défaite. « L’ordre règne à Berlin ! » sbires stupides ! Votre « ordre » est bâti sur le sable. Dès demain la révolution « se dressera de nouveau avec fracas » proclamant à son de trompe pour votre plus grand effroi. » Rosa Luxemburg dans « J’étais, je suis, je serai ! »

En 1919, peu après la défaite de la révolution à Berlin et peu avant l’assassinat de Rosa Luxemburg par les corps francs, fascistes armés et organisés par les dirigeants socialistes comme Ebert alliés à l’Etat Major de l’armée.

Œuvres - janvier 1919 Léon Trotsky
Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg

L’inflexible Karl Liebknecht

Nous venons d’éprouver la plus lourde perte. Un double deuil nous atteint. Deux chefs ont été brutalement enlevés, deux chefs dont les noms resteront à jamais inscrits au livre d’or de la révolution prolétarienne : Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Le nom de Karl Liebknecht a été universellement connu dès les premiers jours de la grande guerre européenne. Dans les premières semaines de cette guerre, au moment où le militarisme allemand fêtait ses premières victoires, ses premières orgies sanglantes, où les armées allemandes développaient leur offensive en Belgique, détruisaient les forteresses belges, où les canons de 420 millimètres promettaient, semble-t-il, de mettre tout l’univers aux pieds de Guillaume II, au moment où la social-démocratie officielle, Scheidemann et Ebert en tête , s’agenouillait devant le militarisme allemands et l’impérialisme allemands auxquels tout semblait se soumettre - le monde extérieur avec la France envahie au nord et le monde intérieur non seulement avec la caste militaire et la bourgeoisie, mais aussi avec les représentants officiels de la classe ouvrière - dans ces sombres et tragiques journées, une seule voix s’éleva en Allemagne pour protester et pour maudire : celle de Karl Liebknecht. Et cette voix retentit par le monde entier .En France, où l’esprit des masses ouvrières se trouvait alors sous la hantise de l’occupation allemande où le parti des social-patriotes au pouvoir prêchait une lutte sans trêve ni merci contre l’ennemi qui menaçait Paris, la bourgeoisie et les chauvins eux-mêmes reconnurent que seul Liebknecht faisait exception aux sentiments qui animaient le peuple allemand tout entier. Liebknecht, en réalité, n’était déjà plus isolé : Rosa Luxemburg , femme du plus grand courage, luttait à ses côtés, bien que les lois bourgeoises du parlementarisme allemand ne lui aient pas permis de jeter sa protestation du haut de la tribune, ainsi que l’avait fait Karl Liebknecht. Il convient de remarquer qu’elle était secondée par les éléments les plus conscients de la classe ouvrière, où la puissance de sa pensée et de sa parole avaient semé des germes féconds. Ces deux personnalités, ces deux militants, se complétaient mutuellement et marchaient ensemble au même but. Karl Liebknecht incarnait le type du révolutionnaire inébranlable dans le sens le plus large de ce mot. Des légendes sans nombre se tissaient autour de lui, entourant son nom de ces renseignements et de ces communications dont notre presse était si généreuse au temps où elle était au pouvoir. Karl Liebknecht était - hélas ! nous ne pouvons plus en parler qu’au passé - dans la vie courante, l’incarnation même de la bonté et de l’amitié. On peut dire que son caractère était d’une douceur toute féminine, dans le meilleur sens de ce mot, tandis que sa volonté de révolutionnaire, d’une trempe exceptionnelle, le rendait capable de combattre à outrance au nom des principes qu’il professait. Il l’a prouvé en élevant ses protestations contre les représentants de la bourgeoisie et des traîtres social-démocrates du Reichstag allemand, où l’atmosphère était saturée des miasmes du chauvinisme et du militarisme triomphants. Il l’a prouvé lorsque, il leva, sur la place de Potsdam, à Berlin, l’étendard de la révolte contre les Hohenzollern et le militarisme bourgeois. Il fut arrêté. Mais ni la prison, ni les travaux forcés n’arrivèrent à briser sa volonté et, délivré par la révolution de novembre, Liebknecht se mit à la tête des éléments les plus valeureux de la classe ouvrière allemande . Rosa Luxemburg -

Puissance de ses idées.

Le nom de Rosa Luxemburg est moins connu dans les autres pays et en Russie, mais on peut dire, sans craindre d’exagérer, que sa personnalité ne le cède en à celle de Liebknecht. Petite de taille, frêle et maladive, elle étonnait par la puissance de sa pensée . J’ai dit que ces deux leaders se complétaient mutuellement. L’intransigeance et la fermeté révolutionnaire de Liebknecht se combinaient avec une douceur et une aménité féminines, et Rosa Luxemburg, malgré sa fragilité, était douée d’une puissance de pensée virile. Nous trouvons chez Ferdinand Lassalle des appréciations sur le travail physique de la pensée et sur la tension surnaturelle dont l’esprit humain est capable pour vaincre et renverser les obstacles matériels ; telle était bien l’impression de puissance que donnait Rosa Luxemburg lorsqu’elle parlait à la tribune, entourée d’ennemis. Et ses ennemis étaient nombreux. Malgré sa petite taille et la fragilité de toute sa personne, Rosa Luxemburg savait dominer et tenir en suspens un large auditoire, même hostile à ses idées. Par la rigueur de sa logique, elle savait réduire au silence ses ennemis les plus résolus, surtout lorsque ses paroles s’adressaient aux masses ouvrières.

Ce qui aurait pu arriver chez nous pendant les journées de juillet.

Nous savons trop bien comment procède la réaction pour organiser certaines émeutes populaires. Nous nous souvenons tous des journées que nous avons vécues en juillet dans le murs de Petrograd, alors que les bandes noires rassemblées par Kérensky et Tseretelli contre les bolcheviks organisaient le massacre des ouvriers, assommant les militants, fusillant et passant au fil de la baïonnette les ouvriers isolés surpris dans la rue. Les noms des martyrs prolétariens, tel celui de Veinoff, sont encore présents à l’esprit de la plupart d’entre nous. Si nous avons conservé alors Lénine, si nous avons conservé Zinoviev, c’est qu’ils ont su échapper aux mains des assassins. Il s’est trouvé alors parmi les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires des voix pour reprocher à Lénine et à Zinoviev de se soustraire au jugement, tandis qu’il leur eût été si facile de se laver de l’accusation élevée contre eux, et qui les dénonçait comme des espions allemands. De quel tribunal voulait-on parler ? De celui probablement auquel on mena plus tard Liebknecht, et à mi-chemin duquel Lénine et Zinoviev auraient été fusillés pour tentative d’évasion ? Telle aurait été sans nul doute la déclaration officielle. Après la terrible expérience de Berlin, nous avons tout lieu de nous féliciter de ce que Lénine et Zinoviev se soient abstenus de comparaître devant le tribunal du gouvernement bourgeois .

Aberration historique

Perte irréparable, trahison sans exemple ! Les chefs du parti communiste allemand ne sont plus. Nous avons perdu les meilleurs de nos frères, et leurs assassins demeurent sous le drapeau du parti social-démocrate qui a l’audace de commencer sa généalogie à Karl Max ! Voilà ce qui se passe, camarades ! Ce même parti, qui a trahi les intérêts de la classe ouvrière dès le début de la guerre, qui a soutenu le militarisme allemand, qui a encouragé la destruction de la Belgique et l’envahissement des provinces françaises du Nord, ce parti dont les chefs nous livraient à nos ennemis les militaristes allemands aux jours de la paix de Brest-Litovsk ; ce parti et ses chefs - Scheidemann et Ebert - s’intitulent toujours marxistes tout en organisant les bandes noires qui ont assassiné Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg ! Nous avons déjà été les témoins d’une semblable aberration historique, d’une semblable félonie historique, car le même tour a déjà été joué avec le christianisme. Le christianisme évangélique, idéologie de pêcheurs opprimés, d’esclaves, de travailleurs écrasés par la société idéologie du prolétariat , n’a-t-il pas été accaparé par ceux qui monopolisaient la richesse par les rois, les patriarches et les papes ? Il est hors de doute que l’abîme qui sépare le christianisme primitif tel qu’il surgit de la conscience du peuple et des bas-fonds de la société, est séparé du catholicisme et des théories orthodoxes par un abîme tout aussi profond que celui qui s’est maintenant creusé entre les théories de Marx, fruits purs de la pensée et des sentiments révolutionnaires, et les résidus d’idées bourgeoises dont trafiquent les Scheidemann et les Ebert de tous les pays. Le sang des militants assassinés crie vengeance !

Camarades ! Je suis convaincu que ce crime abominable sera le dernier sur la liste des forfaits commis par les Scheidemann et les Ebert. Le prolétariat a supporté longtemps les iniquités de ceux que l’histoire a placés à sa tête ; mais sa patience est à bout et ce dernier crime ne restera pas impuni. Le sang de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg crie vengeance ; il fera parler les pavés des rues de Berlin et ceux de la place de Potsdam, où Karl Liebknecht a le premier levé l’étendard de la révolte contre les Hohenzollern. Et ces pavés - n’en doutez pas - serviront à ériger de nouvelles barricades contre les exécuteurs de basses œuvres, les chiens de garde de la société bourgeoise - contre les Scheidemann et les Ebert !

La lutte ne fait que commencer

Scheidemann et Ebert ont étouffé, pour un moment, le mouvement Spartakiste (communistes allemands) ; ils ont tué deux des meilleurs chefs de ce mouvement et peut-être fêtent-ils encore à l’heure qu’il est leur victoire ; mais cette victoire est illusoire, car il n’y a pas encore eu, en fait, d’action décisive. Le prolétariat allemand ne s’est pas encore soulevé pour conquérir le pouvoir politique. Tout ce qui a précédé les événements actuels n’a été de sa part qu’une puissante reconnaissance pour découvrir les positions de l’ennemi. Ce sont les préliminaires de la bataille, mais ce n’est pas encore la bataille même. Et ces manœuvres de reconnaissance étaient indispensables au prolétariat allemand, de même qu’elles nous étaient indispensables dans les journées de Juillet. Le rôle historique des journées de juillet
Vous connaissez le cours des événements et leur logique intérieure. A la fin de février 1917 (ancien style), le peuple avait renversé l’autocratie, et pendant les premières semaines qui suivirent, il sembla que l’essentiel était accompli. Les hommes de nouvelle trempe qui surgissent des autres partis - des partis qui n’avaient jamais joué chez nous un rôle dominant - ces hommes jouirent au début de la confiance ou plutôt de la demi-confiance des masses ouvrières. Mais Petrograd se trouvait comme il le fallait - à la tête du mouvement ; en février, comme en juillet, il représentait l’avant-garde appelant les ouvriers à une guerre déclarée contre le gouvernement bourgeois, contre les ententistes, c’est cette avant-garde qui accomplit les grandes manœuvres de reconnaissance. Elle se heurta précisément, dans les journées de juillet, au gouvernement de Kérensky. Ce ne fut pas encore la révolution, telle que nous l’avons accomplie en octobre : ce fut une expérience dont le sens n’était pas encore clair à ce moment à l’esprit des masses ouvrières. Les travailleurs de Petrograd s’étaient bornés à déclarer la guerre de Kérensky ; mais dans la collision qui eut lieu, ils purent se convaincre et prouver aux masses ouvrières du monde entier qu’aucune force révolutionnaire réelle ne soutenait Kérensky et que son parti était composé des forces réunies de la bourgeoisie, de la garde blanche et de la contre-révolution. Comme il vous en souvient, les journées de juillet se terminèrent pour nous par une défaite au sens formel de ce mot : les camarades Lénine et Zinoviev furent contraints de se cacher. Beaucoup d’entre nous furent emprisonnés ; nos journaux furent bâillonnés, le soviet des députés ouvriers et soldats réduit à l’impuissance, les typographies ouvrières saccagées, les locaux des organisations ouvrières mis sous scellés ; les bandes noires avaient tout envahi, tout détruit. Il se passait à Petrograd exactement ce qui s’est passé en janvier 1919 dans les rues de Berlin ; mais pas in instant nous n’avons douté alors de ce que les journées de juillet ne seraient que le prélude de notre victoire. Ces journées nous ont permis d’évaluer le nombre et la composition des forces de l’ennemi ; elles ont démontré avec évidence que le gouvernement de Kérensky et de Tseretelli représentait en réalité un pouvoir au service des bourgeois et des gros propriétaires contre-révolutionnaires. Les mêmes faits se sont produits à Berlin
Des événements analogues ont eu lieu à Berlin. A Berlin, comme à Petrograd, le mouvement révolutionnaire a devancé celui des masses ouvrières arriérées. Tout comme chez nous, les ennemis de la classe ouvrière criaient : " Nous ne pouvons pas nous soumettre à la volonté de Berlin ; Berlin est isolé ; il faut réunir une Assemblée Constituante et la transporter dans une ville provinciale de traditions plus saines. Berlin est perverti par la propagande de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg ! " Tout ce qui a été entrepris dans ce sens chez nous, toutes les calomnies et toute la propagande contre-révolutionnaire que nous avons entendues ici, tout cela a été répandu en traduction allemande par Scheidemann et Ebert contre le prolétariat berlinois et contre les chefs du Parti communiste, Liebknecht et Rosa Luxemburg . Il est vrai que cette campagne de reconnaissances a revêtu en Allemagne des proportions plus larges que chez nous, mais cela s’explique par le fait que les Allemands répètent une manœuvre qui a déjà été accomplie une fois chez nous ; de plus, les antagonismes de classes sont plus nettement établis chez eux. Chez nous, camarades, quatre mois se sont écoulés entre la révolution de février et les journées de juillet. Il a fallu quatre mois au prolétariat de Petrograd pour éprouver la nécessité absolue de descendre dans la rue afin d’ébranler les colonnes qui servaient d’appui au temple de Kérensky et de Tseretelli. Quatre mois se sont écoulés après les journées de juillet avant que les lourdes réserves de la province arrivassent à Petrograd, nous permettant de compter sur une victoire certaine et de monter à l’assaut des positions de la classe ennemie en octobre 1917 ou en novembre, nouveau style). En Allemagne où la première explosion de la révolution a eu lieu en novembre, les événements correspondant à nos journées de juillet la suivent déjà au début de janvier. Le prolétariat allemand accomplit sa révolution selon un calendrier plus serré. Là où il nous a fallu quatre mois, il ne lui en faut plus que deux. Et nul doute que cette mesure proportionnelle se poursuivra jusqu’au bout. Des journées de juillet allemandes à l’octobre allemand il ne se passera peut-être pas quatre mois comme chez nous ; Il ne se passera peut-être pas deux mois. Et les coups de feu tirés dans le dos de Karl Liebknecht ont, n’en doutez pas, réveillé de puissants échos par toute l’Allemagne . Et ces échos ont dû sonner comme un glas funèbre aux oreilles des Scheidemann et des Ebert. Nous venons ici de chanter le Requiem pour Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Nos chefs ont péri. Nous ne les reverrons plus. Mais combien d’entre vous camarades, les ont-ils approchés de leur vivant ? Une minorité insignifiante. Et néanmoins, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg ont toujours été présents parmi vous. Dans vos réunions, dans vos congrès vous avez souvent élu Karl Liebknecht président d’honneur . Absent, il assistait à vos réunions, il occupait la place d’honneur à votre table. Car le nom de Karl Liebknecht ne désigne pas seulement une personne déterminée et isolée, ce nom incarne pour nous tout ce qu’il y a de bon, de noble et de grand dans la classe ouvrière, dans son avant-garde révolutionnaire. C’est tout cela que nous voyons en Karl Liebknecht. Et quand l’un d’entre nous voulait se représenter un homme invulnérablement cuirassé contre la peur et la faiblesse ; un homme qui n’avait jamais failli - nous nommons Karl Liebknecht. Il n’était pas seulement capable de verser son sang (ce n’est peut-être pas le trait le plus grand de son caractère), il a osé lever la voix au camp de nos ennemis déchaînés, dans une atmosphère saturée des miasmes du chauvinisme, alors que toute la société allemande gardait le silence et que la militarisme primait. Il a osé élever la voix dans ces conditions et dire ceci : " Kaiser, généreux, capitalistes et vous - Scheidemann qui étouffez la Belgique, qui dévastez le nord de la France, qui voulez dominer le monde entier - je vous méprise, je vous hais, je vous déclare la guerre et cette guerre je la mènerai jusqu’au bout. Camarades si l’enveloppe matérielle de Liebknecht a disparu, sa mémoire demeure et demeurera ineffaçable ! Mais avec le nom de Karl Liebknecht celui de Rosa Luxemburg se conservera à jamais dans les fastes du mouvement révolutionnaire universel. Connaissez-vous l’origine des légendes des saints et de leur vie éternelle ? Ces légendes reposent sur le besoin qu’éprouvent les hommes de conserver la mémoire de ceux qui, placés à leur tête, les ont servis dans le bien et la vérité ; elles reposent sur le besoin de les immortaliser en les entourant d’une auréole de pureté. Camarades, les légendes sont superflues pour nous ; nous n’avons nul besoin de canoniser nos héros - la réalité des événements que nous vivons actuellement nous suffit, car cette réalité est par elle-même légendaire. Elle éveille une puissance légendaire dans l’âme de nos chefs, elle crée des caractères qui s’élèvent au-dessus de l’humanité. Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg vivront éternellement dans l’esprit des hommes. Toujours, dans toutes les réunions où nous évoquions Liebknecht nous avons senti sa présence et celle de Rosa Luxemburg avec une netteté extraordinaire - presque matérielle. Nous la sentons encore, à cette heure tragique, qui nous unit spirituellement avec les plus nobles travailleurs d’Allemagne, d’Angleterre et du monde entier tous accablés par le même deuil, par la même immense douleur. Dans cette lutte et dans ces épreuves nos sentiments aussi ne connaissent pas de frontières.

Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont nos frères spirituels
Liebknecht n’est pas à nos yeux un leader allemand, pas plus que Rosa Luxemburg n’est une socialiste polonaise qui s’est mise à la tête des ouvriers allemands... Tous deux sont nos frères ; nous sommes unis à eux par des liens moraux indissolubles. Camarades ! cela nous ne répéterons jamais assez car Liebknecht et Rosa Luxemburg avaient des liens étroits avec le prolétariat révolutionnaire russe. La demeure de Liebknecht à Berlin était le centre de ralliement de nos meilleurs émigrés. Lorsqu’il s’agissait de protester au parlement allemand ou dans la presse allemande contre les services que rendaient les impérialistes allemands à la réaction russe c’est à Karl Liebknecht que nous nous adressions. Il frappait à toutes les portes et agissait sur tous les cerveaux - y compris ceux de Scheidemann et d’Ebert - pour les déterminer à réagir contre les crimes de l’impérialisme. Rosa Luxemburg avait été à la tête du parti social-démocrate polonais qui forme aujourd’hui avec le parti socialiste le Parti Communiste. En Allemagne, Rosa Luxemburg avait, avec le talent qui la caractérisait, approfondi la langue et la vie politique du pays ; elle occupa bientôt un poste de plus en vue dans l’ancien parti social-démocrate. En 1905, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg prirent part à tous les événements de la révolution russe. Rosa Luxemburg fut même arrêtée en sa qualité de militante active puis relâchée de la citadelle de Varsovie sous caution ; c’est alors qu’elle vint illégalement (1906) à Petrograd où elle fréquenta nos milieux révolutionnaires, visitant dans les prisons ceux d’entre nous qui étaient alors détenus et nous servant dans le sens le plus large de ce mot d’agent de liaison avec le monde socialiste d’alors. Mais en plus de ces relations toutes personnelles, nous gardons de notre communion morale avec elle - de cette communion que crée la lutte au nom des grands principes et des grands espoirs - le plus beau souvenir. Nous avons partagé avec elle le plus grand des malheurs qui aient atteint la classe ouvrière universelle - la banqueroute honteuse de la IIe Internationale, au mois d’août 1914. Et c’est avec elle encore que les meilleurs d’entre nous ont élevé le drapeau de la IIIe Internationale et l’ont tenu fièrement dressé sans faillir un seul instant. Aujourd’hui, camarades, dans la lutte que nous poursuivons, nous mettons en pratique les préceptes de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg. Ce sont leurs idées qui nous animent quand nous travaillons, dans Petrograd sans pain et sans feu , à la construction du nouveau régime soviétiste ; et quand nos armées avancent victorieusement sur tous les fronts c’est encore l’esprit de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg qui les anime. A Berlin, l’avant-garde du Parti Communiste n’avait pas encore pour se défendre de forces puissamment organisées ; elle n’avait pas encore d’armée rouge comme nous n’en avions pas dans les journées de juillet quand la première vague d’un mouvement puissant mais organisé fut brisée par des bandes organisées quoique peu nombreuses. Il n’y a pas encore d’armée rouge en Allemagne mais il y a une en Russie ; l’armée rouge est un fait ; elle s’organise et croît en nombre tous les jours. Chacun de nous se fera un devoir d’expliquer aux soldats comment et pourquoi ont péri Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg ce qu’ils étaient et quelle place leur mémoire doit occuper dans l’esprit de tout soldat, de tout paysan ; ces deux héros sont entrés à jamais dans notre panthéon spirituel. Bien que le flot de la réaction ne cesse de monter en Allemagne, nous ne doutons pas un instant que l’octobre rouge n’y soit proche. Et nous pouvons bien dire en nous adressant à l’esprit des deux grands défunts : Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, vous n’êtes plus de ce monde, mais vous restez parmi nous ; nous allons vivre et lutter sous le drapeau de vos idées, dans l’auréole de votre charme moral et nous jurons si notre heure vient, de mourir debout face à l’ennemi comme vous l’avez fait, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.

Les Conseils ouvriers en Bavière René Furth

La "République des conseils de Bavière" n’a duré que trois semaines, et sa zone d’influence effective n’a pas dépassé la région comprise entre Munich, Augsbourg et Rosenheim. Mais l’existence des Conseils munichois s’étend sur une durée de six mois, de novembre 1918 au 1er mai 1919. Aucun ouvrage d’ensemble n’a été consacré a leur his­toire, qui fait partie encore du "refoulé" allemand. Les historiens de la "Révolution Allemande" n’évoquent que très accessoirement la tentative bavaroise, ou les Spartakistes ne jouent qu’au tout dernier moment un rôle prédominant.

Deux facteurs particuliers caractérisent la situation en Bavière : une population rurale plus importante que dans le reste de l’Empire (51 % contre une moyenne générale de 34 %, selon les statisti­ques de 1907) un séparatisme commun s toute la population, le militarisme prussien étant considéré à la fois comme le principal responsable de la guerre et comme l’incarnation parfaite d’un centralisme autori­taire et envahissant. Le séparatisme bavarois s’est cependant révélé comme une arme à double tranchant la bourgeoisie ne tardera pas à l’u­tiliser contre les "étrangers" (juifs de surcroît) qui sont venus semer la pagaille en Bavière.

1) LE DOUBLE POUVOlR

Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1918, après une manifestation de masse organisés dans l’après-midi par le parti social-démocrate indé­pendant, la République est proclamée. Un Conseil provisoire des ouvriers, des soldats et des paysans est constitué. Le roi, Louis III de Bavière, apprenant qu’aucun régiment ne tirera sur les rebelles, a quitté Munich.

Le président du Conseil provisoire, Kurt EISNER, est un jour­naliste et écrivain originaire de Berlin, animateur du Parti social-démo­crate indépendant (U. S. P. D.) de Bavière. En février 1918, il a été condamné à la prison comme principal instigateur de la grève de la métal­lurgie (fin janvier). L’espoir d’EISNER, c’est qu’une Bavière démocratique subira moins durement les exigences de l’Entente victorieuse.

EISNER forme un nouveau gouvernement comprenant quatre social-démocrates "majoritaires" (S.P.D.), deux indépendants, un non-affilié. Il annonce en même temps la convocation d’une Assemblés constituante. Fonctionnaires et employés, à la demande du nouveau gouvernement ; se met­tent à sa disposition. D’emblée, EISNER proclame le respect de la proprié­té privée et refuse toute socialisation. Il se montre préoccupé surtout du rôle respectif de l’Assemblée qu’il veut susciter et des Conseils, dans lesquels il voit essentiellement un organe de contrôle et une école de démocratie active. La ligne de partage se fera bientôt entre parti­sans du parlementarisme et partisans des conseils, le refus de l’Assem­blée devenant un des principaux mots d’ordre des éléments les plus radi­caux. En fait, il n’y aura jamais coexistence réelle des deux pouvoirs. ­L’alternative, Conseils ou Parlement, se pose d’ailleurs dans tout l’Empire. Le premier congrès des Conseils d’ouvriers et de soldats (du 16 au 21 décembre i918 à Berlin), à forte majorité S. P. D. se prononce pour une Assemblée nationale. En Bavière, EISNER cherche à mettre sur pied une formule de synthèse, "Conseils et Parlement". Il juge qu’il n’a pas derrière lui des forces populaires suffisantes pour imposer les Conseils, et il sait en même temps qu’un régime strictement parlementaire l’éliminerait du pouvoir. Les élections sont fixées au 12 janvier 1919 (l’Assemblée nationale de Weimar doit être élue le 19) ; Le parti d’EISNER ne recueille que 3 mandats sur 156 (S.P.D. et Ligue paysanne 68 ; Parti démocrate 27 ; Parti populaire bavarois, le plus réactionnaire 38). Les communistes (un groupe Spartakiste s’est formé le 6 décembre) se prononcent pour le boycottage des élections, de même que le Conseil ouvrier révolutionnaire, dont un des animateurs est l’anarchiste Erich MUHSAM. Le 10 janvier, EISNER fait d’ailleurs arrêter douze membres du Parti communiste et du Conseil révolutionnaire, dont Max LEVIEN et MUHSAM. Une manifestation spontanée les fait libérer.

Dès que les résultats des élections sont connus, le S.P.D. et les partis de droite demandent à EISNER de se retirer.

Le 16 février, une nouvelle manifestation de masse, préparée. sur l’initiative du Conseil ouvrier révolutionnaire, exige tout le pou-voir pour les conseils. Le 21, EISNER se rend à la première réunion du Landtag (le Parlement de Bavière) pour présenter se démission de président du ministère. Il est assassiné à coups de revolver dans la rue par un jeune aristocrate. Le lendemain, l’état de siège est décrété à Munich les journaux sont occupés et suspendus pendant dix jours, La situation devient de plus en plus confuse au niveau des institutions qui sont censées exercer le pouvoir. Le landtag se disperse. Un Conseil révolutionnaire central se constitue : il est composé de représentants des conseils et du Conseil ouvrier révolutionnaire, d’un représentant des syndicats et d’un représentant du S.P.D. Le congrès des Conseils bavarois conti­nue de fonctionner parallèlement à ce Conseil central ; il élit le 5 mars un nouveau gouvernement qui n’aura pas l’occasion de se manifes­ter. De plus, à la suite d’un accord intervenu entre social-démocrates ma­joritaires et indépendants, le Congrès décide de remettre ses pouvoirs au Landtag, qui doit se réunir à nouveau la 17 mars. Cette réunion peut avoir lieu, et le Landtag met en place un ministère présidé par le social-démocrate HOFFMANN, dont la tâche essentielle sera par la suite la liquidation et la répression de la République des conseils.

En fait, pendant 45 jours, aucun pouvoir n’arrive à se faire reconnaître ni à se donner les moyens d’agir. C’est le Conseil central qui s’oppose le plus résolument au gouvernement HOFFMMAN, dénoncé dès sa formation comme un instrument de la réaction. Les communistes, représen­tés au Conseil central, restent dans l’expectative et s’opposent à ceux qui réclament la proclamation d’une République des conseils (Max LEVIEN, pourtant, s’était prononcé en ce sens après l’assassinat d’EISNER). Les liens des communistes munichois avec les instances centrales à Berlin semblent avoir été lâches. Leurs principaux représentants sont Max LEVIEN et Eugen LEVINE, deux émigrés russes, anciens socialistes révolutionnaires qui ont quitté leur pays après la révolution da 1905. LEVINE, un des fon­dateurs du K. P, D., est venu de Berlin à Munich début mars pour réorga­niser la rédaction du "Drapeau Rouge" et le parti. C’est sous son influence que les communistes munichois renonceront à réclamer comme premier ob­jectif l’instauration d’une République des conseils,

L’armée reste la force la plus stable. Le 1er mars, une "réso­lution des délégués des casernes munichoises" a assuré le commandant mili­taire de la ville de la confiance des différents corps de troupe. Le S.P.D. fait bloc avec l’autorité militaire (qui proclame son attache­ment au "vrai socialisme") en attendant qu’une solution parlementaire redevienne possible. La seule opposition organisée contre les conseils est menée par la "société Thule", groupement d’extrême droite où mili­tent de futurs chefs de file nazis.

2) "LES REPUBLIOUES DES CONSEILS"

La stagnation devient de plus en plus manifeste. Depuis les élections, plus aucun passage "légal" au socialisme n’est envisageable ; la République déçoit le prolétariat munichois, qui commence à exiger qu’à la révolution politique suive la révolution sociale. L’idée d’une République des conseils se répand. Dans les premiers jours d’avril, les conseils empêchent le Landtag de se réunir. Le 5, les différentes assemblées prennent des résolutions en faveur de la République des conseils.

Elle est proclamée dans la nuit du 6 au 7 par le Conseil cen­tral, avec l’accord du S. P. D., des indépendants, des syndicats et de la Ligue paysanne. Les atermoiements du S. P. D. ont sérieusement entamé sa base ouvrière il ne prend pas le risque de se prononcer contre la République des conseils, mais ne fera rien pour la soutenir. La décision, proposée au Conseil central par l’anarchiste Gustav LANDAUER, est donc adoptée à l’unanimité. Une proclamation au peuple de Bavière, signée par le Conseil central révolutionnaire et le Conseil révolutionnaire des sol­dats annonce que la dictature du prolétariat est entrée dans les faits, et, comme décisions immédiates, la dissolution du Landtag et de la bureau­cratie, la socialisation de la presse, la formation d’une armée rouge. "La République des conseils de Bavière suit l’exemple des peuples russes et hongrois".

Les communistes, invités à cette réunion, n’y participent pas. LEVIWE fait une apparition au milieu Des débats, pour déclarer que le K. P. D. refuse de s’associer à toute initiative à laquelle participerait le S. P. D., compromis par sa politique de guerre, que le prolétariat n’est pas mûr pour une République des conseils qui de toute façon ne pourrait pas tenir sans l’appui de l’Allemagne du nord.

D’autres villes de Bavière proclament la République des conseils. A Munich, de pleine pouvoirs sont conférés à des "délégués du peuple". Parmi d’autres, LANIDAUER est chargé de l’éducation, Sivio CESELL (théoricien de "l’économie libre" et de la "monnaie libre") des finances. Un certain Dr. LIPP, chargé des affaires étrangères, devra vite être suspendu pour troubles mentaux. Mais ces "délégués" ne disposent d’aucun moyen d’action, sinon de leur éloquence dans les réunions qui se succèdent. Pour l’opinion publique, trois hommes représentent la Républi­que des conseils ; LANDAUER, orateur entraînant, qui a une certaine influ­ence auprès du prolétariat politisé, MUHSAM, connu comme poète et comme agitateur, le poète Ernst TOLLER, (affilié à l’U.S.P.D.), nommé président du Conseil central. Pour la bourgeoisie et pour une partie de la population bavaroise, ils incarnent la "bohême littéraire juive".

Ce sont des hommes qui comptent moins sur leurs "pleins pou­voirs" que sur l’initiative créatrice et l’action autonome des masses. La suppression de l’ancien pouvoir doit laisser le champ libre à la recons­truction sociale. Mais l’annonce de la libération ne suffit pas à déclencher le processus qu’ils attendent. De toute façon, leur temps est mesuré.

Dès le 13 avril, sur l’incitation du gouvernement H0FFMAN, réfu­gié à Bamberg, les "troupes de sécurité républicaines" tentent un putsch contre les conseils. Certains membres du Conseil central, dont MUHSAM, sont arrêtés. L’armée rouge résiste, soutenue par les ouvriers acquis aux conseils. Le putsch est vaincu, mais il y a déjà deja victimes : 20 morts, plus de 100 blesssés.

Les communistes, qui ont jusque là concrétisé leur opposition à la "pseudo-République des conseils" (Scheinräterepublick) en regroupant dans un nouveau Conseil central des "hommes de confiance" révolutionnaires élus dans les entreprises et les casernes, affirment à présent que la classe ouvrière a montre sa maturité en s’opposant au putsch et déclarent à leur tour la République des conseils. Ils ne se font sans doute guère d’illusions. Au moins, veulent-ils saisir une chance de galvaniser les forces révolutionnaires dans le reste de l’Allemagne, et laisser un exem­ple qui puisse stimuler les luttes dans l’avenir, C’est une illustration de ce que les Prudhommeaux appellent la "tragédie spartakiste".

Le pouvoir, désormais, est représenté par le Conseil des "hommes de confiance" auquel participent des Indépendants et des social-démocrates ralliés au programme communiste. Il forme un comité d’action avec un exécutif de quatre hommes : LEVIEN, LEVINE, TOLLER et un troisième russe, AXELROD. Une série de décisions est prise pour radi­caliser la situation, grève générale (elle durera jusqu’au 22), confiscation du ravitaillement et des armes, socialisation du logement, arres­tation d’otages. La situation devient de plus en plus difficile. Les vivres et le charbon manquent, les paysans s’opposent aux commandos de réquisition. Le manque d’informations aussi commence à ce faire sentir (les journaux ne paraissent plus). Les rumeurs les plus insensées cir­culent en Allemagne sur la terreur à Munich. L’antisémitisme, cette fois-ci, s’en prend aux "juifs russes". Des corps-francs se rassemblent dans le Nord et en Haute-Bavière à partir du 20 avril, les troupes gouvernementales se mettent un marche vers Munich.

Au sein du comité d’action, les tensions se font de plus en plus vives. Le 27, l’assemblée des conseils d’entreprise rejette la politique des communistes, et élit un nouveau comité d’action, où se retrouve TULLER (qui avait été promu commandant de l’armée rouge pour le secteur nord de Munich). Les communistes se retirent du Conseil, et demandent aux travailleurs de ne pas suivre le nouveau comité d’action. EGELHOFER, un marin de Kiel, est à la tête de l’armée rouge. Le 30 avril, il fait fu­siller 10 otages, dont 6 en fait sont des membres de la Société Thulé qui ont pratiqué la réquisition pour leur propre compte... avec des tampons de l’armée rouge.

Le 1er mai, les troupes gouvernementales et les corps-francs entrent dans la ville. Les combats durent plusieurs jours. Il y aura 600 morts. La répression dépasse en sauvagerie celle qui a sévi ailleurs dans la même période. LANDAUER est frappé à mort, EGELHOFER fusillé sans jugement, LEVINE est condamné à mort et fusillé. TOLLER (sauvé par un mouvement de protestation international) s’en tire avec cinq ans de for­teresse. LEWIEN parvient à s’enfuir, mais disparaît en 1937 dans les purges staliniennes. Plus de 4000 peines sont prononcées. En septembre 1919 encore tombent des condamnations à mort.

Messages

  • A présent que l’image de la révolution russe et notamment de son oeuvre surgit claire et
    précise malgré la cuisine mystificatrice des commentateurs bourgeois intéressés, on peut
    dégager et retenir à travers le fouillis des détails certains traits fondamentaux de ces
    événements prodigieux.

    En ce moment, la Russie confirme une fois de plus cette vieille expérience historique : il
    n’est rien de plus invraisemblable, de plus impossible, de plus fantaisiste qu’une révolution
    une heure avant qu’elle n’éclate ; il n’est rien de plus simple, de plus naturel et de plus évident qu’une révolution lorsqu’elle a livré sa première bataille et remporté sa première victoire. On n’a cessé, dans la presse allemande notamment, de rendre compte jour après jour, des troubles
    internes, des crises, des fermentations dans l’empire du tsar, et pourtant, à cette heure encore,
    l’opinion publique allemande et le monde entier ont manifestement le souffle coupé devant le spectacle soudain et prodigieux de la révolution russe. On aurait pu, une semaine encore
    avant qu’elle n’éclatât, avancer cent raisons prouvant qu’elle était impossible : le peuple accablé par une guerre terrible, par le besoin et la misère ; les classes bourgeoises, guéries à tout jamais du rêve de liberté par les souvenirs de la révolution d’il y a dix ans et, de plus,
    enchaînées au tsarisme par les plans de conquête impérialistes ; de vastes couches de la
    classe ouvrière démoralisées par la fureur nationaliste à laquelle la guerre avait donné libre
    cours, ses troupes socialistes d’élite décimées par la saignée de la guerre, dispersées par la
    dictature du sabre, privées d’organisation, de presse, de chef... On pouvait prouver par a plus b et par le menu qu’en Russie, les explosions de désespoir et l’anarchie étaient aujourd’hui
    possibles, mais qu’une révolution politique moderne, aux objectifs clairs, guidée par un idéal,
    était tout bonnement impensable. Et maintenant ? Tout cela n’était que mensonges, phrases,
    bavardages ! La révolution s’est légitimée par la seule voie qu’emprunte dans l’histoire tout
    mouvement nécessaire par le combat et la victoire.

    Rosa Luxemburg

  • Les conditions objectives de la guerre impérialiste nous garantissent que la révolution ne se bornera pas à la première étape de la révolution russe, que la révolution russe ne se bornera pas à la Russie.

    Le prolétariat allemand est l’allié le plus fidèle, le plus sûr, de la révolution prolétarienne russe et mondiale.

    Lorsque notre parti lança en novembre 1914 le mot d’ordre : « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » des opprimés contre les oppresseurs, pour le socialisme, ce mot d’ordre fut accueilli par l’hostilité et les sarcasmes des social-patriotes, par le silence méfiant et sceptique, veule et attentiste, des sociaux-démocrates du « centre ». Le social-chauvin et social-impérialiste allemand David le qualifia « d’insensé », et le porte-parole du social-chauvinisme russe (et anglo-francais), socialisme en paroles et impérialisme en fait, Monsieur Plékhanov l’appela une « chimère saugrenue » (Mittelding zwischen Traum und Komödie). Quant aux représentants du centre, ils gardèrent le silence ou se livrèrent à de plates plaisanteries sur cette « ligne droite tracée dans le vide de l’espace éthéré ».

    Depuis mars 1917, il n’est plus que des aveugles pour ne pas voir que ce mot d’ordre est juste. La transformation de la guerre impérialiste en guerre civile devient un fait.
    Vive la révolution prolétarienne qui commence en Europe !

    Lénine en Suisse, le 26 mars 1917

  • « L’exacerbation de la lutte de classe commencée déjà pendant la guerre, a amené la rupture du front impérialiste sur son secteur le plus vulnérable, en Russie. Ainsi, la Révolution d’Octobre accomplie par le prolétariat de Russie, qui renversa le régime bourgeois grâce à des conditions particulièrement favorables, a ouvert l’ère de la révolution prolétarienne universelle dont elle est le premier chaînon.

    Les insurrections prolétariennes qui ont suivi et qui, après un succès passager, se sont terminées par la défaite du prolétariat (Finlande, Hongrie, Bavière) ou ont été arrêtées à mi-chemin par la trahison de la social-démocratie, ennemie active du communisme révolutionnaire (Autriche, Allemagne) ont été dans le développement de la Révolution internationale des étapes au cours desquelles se sont évanouies les illusions bourgeoises du prolétariat et se sont concentrées les forces de la révolution communiste.

    Le seul fait de l’existence de l’Union soviétiste, centre organisateur du mouvement prolétarien universel, revêt donc une importance exceptionnelle. L’Union Soviétiste, par sa seule existence, est un coin enfoncé dans le système capitaliste, en maintenant sur la sixième partie du globe un régime opposé par principe au régime capitaliste. D’autre part, elle est le détachement le plus ferme du mouvement prolétarien, car la classe ouvrière y a à sa disposition tous les moyens et ressources.

    Dans la révolution internationale en voie de développement, la social-démocratie avec les syndicats qu’elle dirige est devenue le facteur contre-révolutionnaire le plus important. Elle ne s’est pas bornée à trahir pendant la guerre les intérêts des ouvriers en soutenant dans chaque pays « son » gouvernement impérialiste (social-patriotisme, social-chauvinisme) ; elle a défendu les traités de rapines (Brest-Litovsk, Versailles) ; elle a été une force active aux côtés des généraux pendant la répression sanglante des insurrections prolétariennes (Noske) ; elle a combattu par les armes la première République prolétarienne (Russie) ; elle a vendu le prolétariat arrivé au pouvoir (Hongrie) ; elle est entrée dans l’association de brigandage qui a nom « la Société des Nations » (Thomas). Elle s’est rangée ouvertement du côté des maîtres contre les esclaves coloniaux (le Labour Party anglais). L’aile pacifiste de la social-démocratie (centre) a démoralisé la classe ouvrière par toutes sortes d’illusions pacifistes et par sa propagande de non-résistance par quoi elle a donné au capital, principalement dans les moments critiques de la révolution, la meilleure des armes. Ainsi donc, la social-démocratie est la dernière réserve de la société bourgeoise, son plus ferme rempart. Au même titre que la social-démocratie par l’intermédiaire et au moyen de laquelle la bourgeoisie réprime les ouvriers ou endort leur vigilance, le fascisme est une autre forme d’exploitation du mécontentement des masses, orientant ce mécontentement dans la voie contre- révolutionnaire. Ces deux méthodes, inconnues du capitalisme « normal », manifestent la crise générale du capitalisme et, en même temps, entravent la marche de la Révolution. »

    Boukharine, Projet de programme de l’Internationale Communiste, 1924

  • En 1919, la bourgeoisie européenne était en plein désarroi ; c’était pour elle une époque de terreur panique, réellement folle, devant le bolchevisme qu’elle s’imaginait sous une forme vague et d’autant plus menaçante, et que les affiches, à Paris, montraient sous les traits d’un homme au couteau entre les dents. En réalité, la bourgeoisie européenne personnifiait dans le fantôme bolchevik au couteau la peur du châtiment pour les crimes commis par elle pendant la guerre. Elle savait, en tout cas, à quel point les résultats de la guerre ne répondaient pas aux promesses qu’elle avait faites. Elle connaissait exactement l’étendue des sacrifices en hommes et en biens. Elle craignait le règlement des comptes. L’année 1919 fut, sans aucun doute, l’année la plus critique pour la bourgeoisie. En 1920 et 1921, on voit son assurance lui revenir de plus en plus, et en même temps son appareil gouvernemental qui, immédiatement après la guerre dans certains pays, en Italie par exemple, s’est trouvé en pleine décomposition, se renforce sans aucun doute. L’aplomb de la bourgeoisie a pris sa forme la plus frappante en Italie après la lâche trahison du parti socialiste, au mois de septembre. La bourgeoisie croyait rencontrer sur son chemin des brigands menaçants et des assassins ; et elle s’est aperçue qu’elle n’avait devant elle que des poltrons... Une maladie m’ayant empêché, ces temps derniers, de m’adonner à un travail actif, j’ai eu la possibilité de lire en grand nombre les feuilles étrangères et j’ai amassé tout un dossier de coupures qui caractérisent clairement le changement de sentiments de la bourgeoisie et son appréciation nouvelle de la situation politique mondiale. Tous les témoignages se réduisent à un seul : le moral de la bourgeoisie est en ce moment, sans aucun doute, beaucoup meilleur qu’en 1919 et même qu’en 1920. Ainsi, par exemple, les correspondances publiées dans une feuille suisse sérieuse et nettement capitaliste, la Neue Züricher Zeitung, sur la situation politique en France, en Italie et en Allemagne, sont très intéressantes sous ce rapport. La Suisse, dépendant de ces pays, s’intéresse beaucoup à leur situation intérieure. Voici, par exemple, ce qu’écrivait ce journal au sujet des événements de mars en Allemagne :

    « L’Allemagne de 1921 ne ressemble plus à celle de 1918. La conscience gouvernementale s’est raffermie partout, à ce point que les méthodes communistes rencontrent actuellement une vive résistance dans toutes les couches de la population, bien que la force des communistes, qui n’étaient représentés pendant la révolution que par un petit groupement d’hommes résolus, ait augmenté depuis de plus de dix fois ».

    En avril, le même journal, à l’occasion des élections au parlement italien, peint la situation intérieure de l’Italie de la façon suivante :

    « Année 1919 : la bourgeoisie est en désarroi, le bolchevisme attaque en rangs serrés. Année 1921 : le bolchevisme est battu et dispersé, la bourgeoisie attaque en rangs serrés ».

    Un journal influent français, Le Temps, a écrit à l’occasion du 1er. Mai de cette année que pas une trace n’est restée de cette menace d’un coup d’état révolutionnaire qui avait empoisonné l’atmosphère en France au mois de mai de l’année passée, etc.

    Ainsi le fait que la classe bourgeoise ait repris courage n’est pas douteux, comme n’est pas non plus douteux le renforcement de l’appareil policier des Etats après la guerre. Mais ce fait, tout important qu’il soit, ne résout nullement le problème, et nos ennemis en tout cas se pressent un peu trop d’en tirer des conclusions au sujet de la faillite de notre programme. Assurément, nous avons espéré que la bourgeoisie serait par terre en 1919. Mais il est évident que nous n’en étions pas sûrs, et que certainement ce n’est pas en vue de cette échéance précise que nous avons fondé notre plan d’action. Quand les théoriciens des Internationales 2 et 2 1/2 disent que nous avons fait faillite en ce qui concerne nos prophéties, on peut croire qu’il s’est agi de prédire un phénomène astronomique : que nous nous sommes trompés dans notre calcul mathématique, suivant lequel une éclipse aurait lieu à une certaine date, et il est apparu ainsi que nous étions de mauvais astronomes. Cependant, en réalité, il ne s’agit nullement de cela : nous n’avons pas prédit une éclipse de soleil, c’est-à-dire un phénomène en dehors de notre volonté et du champ de notre action. Il s’agissait d’un événement historique qui devait s’accomplir et qui s’accomplira avec notre participation. Lorsque nous parlions de la révolution qui devait résulter de la guerre mondiale, cela signifiait que nous tentions et que nous tentons encore d’exploiter les suites de cette guerre, afin d’accélérer l’avènement d’une révolution universelle. Si la révolution n’a pas eu lieu jusqu’à ce jour dans le monde entier ou du moins en Europe, cela ne signifie nullement que « l’I.C. ait fait faillite », son programme n’étant pas basé sur des dates astronomiques. Ceci est clair pour tout communiste qui a analysé tant soit peu son point de vue. Mais la révolution n’étant pas venue sur les traces chaudes de la guerre, il est tout à fait évident que la bourgeoisie a profité d’un moment de répit sinon pour réparer, du moins pour masquer les conséquences les plus terribles et les plus menaçantes de la guerre. Y a-t-elle réussi ? Elle y a réussi en partie. Dans quelle mesure ? C’est le fond même de la question qui touche le rétablissement de l’équilibre capitaliste.

    Léon Trotsky, Nouvelle étape

  • Les bolcheviks n’avaient-ils pas surestimé la vague révolutionnaire en Europe pour miser exclusivement sur ce pari douteux ?

  • A cette époque, le pouvoir capitaliste ne tenait qu’à un fil. Le premier ministre anglais Lloyd George écrivait dans un mémorandum à Clemenceau, chef d’Etat français :

    « Toute l’Europe est remplie d’un esprit révolutionnaire. Il existe parmi les travailleurs un sentiment profond non seulement de mécontentement mais de colère et de révolte contre les conditions de l’avant-guerre. Tout l’ordre existant, dans ses aspects politiques, sociaux et économiques, est mis en question par la masse de la population d’un bout à l’autre de l’Europe. »

    Un article du journal anglais « Times » du 19 juillet 1918 écrivait :

    « L’esprit de désordre domine le monde entier. De l’Amérique à l’ouest jusqu’à la Chine, de la mer Noire à la mer Baltique, aucune société, aucune civilisation n’est assez assurée, aucune constitution assez démocratique, pour se dérober à son influence néfaste. Partout existent des signes montrant que les liens élémentaires de la société sont déchirés et décomposés par une longue fatigue. »

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