mardi 30 avril 2013, par
Ci-dessous un paradigme très connu (paradigme dit réductionniste, par opposition à la vision dite holiste) : celui de l’atome-boule et de la particule-boule bâtissant, comme dans un jeu de construction, les molécules et toute la matière
A tort ou à raison, à bon ou à mauvais escient, nous sommes sans cesse contraints d’utiliser des images qui remplacent la réalité vécue et observée, sans lesquelles nous ne pourrions ni décrire une situation qui n’est pas devant nous, ni réfléchir dessus et ces images deviennent parfois de véritables faisceaux de conceptions sur le monde.
Nous ne pouvons pas en effet observer directement le monde sans utiliser des catégories qui nous permettent à la fois de comparer, de mesurer, de décrire, de communiquer et surtout de comprendre le monde. Ce sont des concepts, des modes de raisonnement, des manières de concevoir qui, lorsqu’ils agissent dans des cas multiples et d’origines très diverses, s’appellent un paradigme. Le paradigme n’est pas une simple description d’une grande famille de phénomènes mais déjà une interprétation, une manière de traiter, une conception d’ensemble, une philosophie.
On peut ainsi parler du paradigme de la lutte des classes, celui du socialisme, celui de l’impérialisme ou de celui de la démocratie. Ces conceptions ne sont pas de la propagande mais des orientations et analyses indispensables pour s’orienter dans les événements ou phénomènes. Ils se combattent parfois mutuellement ou sont reliés ensemble par diverses théories.
On pourrait croire que l’on ne trouve ce genre de choses que dans les sciences dites molles (philosophie, sociologie, linguistique, économie ou politique) et que les sciences dures, la physique par exemple, n’utiliseraient pas les paradigmes. C’est tout à fait faux. Toutes les notions physiques de base, tous les concepts de paramètres descriptifs en sciences reposent sur des paradigmes et pas sur de simples observations directes, que ce soit l’atome-boule, l’énergie ou la fréquence. Il y a bien sûr un rapport entre les paradigmes et les observations mais il ne sont pas tirés du même domaine et se contredisent parfois. Il y a dans le paradigme une vision d’ensemble que la seule observation ne pourra jamais donner. D’autre part, le paradigme s’applique à des domaines qui n’ont parfois aucun élément matériel commun à part leur mode de fonctionnement dynamique et, du coup, la manière dont on peut les traiter, les étudier, les mesurer.
Des notions comme la numération des objets, leur mesure, leur poids, leur action, leur énergie, la force, l’énergie, la pression, le mouvement, l’irréversibilité, la périodicité sont des paradigmes. Ils ont nécessité des exemples qui nous semblent immédiats, que l’on croit voir de manière limpide et qui ont subi une généralisation, souvent inattendue. Et parfois, on a complètement oublié le paradigme qui avait été à la base ou qui avait donné l’image de la notion physique, du paramètre ou du concept.
Qui se souvient que les grandes découvertes de Planck et Einstein en physique quantique (ils l’ont ainsi inventée) proviennent d’un paradigme de l’univers conçu comme un ensemble d’oscillateurs harmoniques, décrivant chacun un état vibratoire, que ce soit dans la matière ou dans le vide. Ils ont ainsi interprété aussi bien le rayonnement thermique du corps noir que les vibrations d’un réseau d’atomes dans un solide, et bien d’autres phénomènes qu’on allait par la suite dire quantiques…
Le paradigme des quanta a partiellement renversé le paradigme de la continuité de l’énergie qui avait cours précédemment. Pour Thomas Kuhn, un des théoriciens de cette notion de paradigme, les paradigmes se suivent et l’on passe de l’un à l’autre par une révolution car ils sont inconciliables. A un moment de l’histoire, le paradigme qui modèle la science normale d’une époque rencontre des difficultés. Il s’ensuit une crise. Par une révolution, qui est un changement radical, on l’abandonne et l’on passe au paradigme suivant qui, à son tour, va rencontrer des anomalies qui provoqueront une crise, et ainsi de suite. Cependant, du fait des limites d’application d’un paradigme, l’un ne reverse jamais entièrement l’autre… Même la physique quantique n’est pas fondée sur un seul paradigme et cette science a eu plusieurs étapes ou niveaux et la plupart de ces étages restent fonctionnels suivant le problème abordé. Les physiciens eux-mêmes ne connaissent souvent que certaines étapes de la physique quantique et n’ont pas été jusqu’aux quantifications de Feynman et aux quantifications du vide. Un paradigme n’a donc pas totalement chassé les autres contrairement à ce que pensait Kuhn… D’autre part, l’ensemble de la physique n’est pas soumis à un seul paradigme mais à plusieurs qui ne se contredisent pas nécessairement. Certains de ces paradigmes s’emboîtent, appartiennent à des familles de pensée communes. Certains autres ont un rôle dans des phénomènes à des niveaux différents ou encore n’ont qu’une validité limitée.
Les physiciens ont eux-mêmes parlé de nouveau paradigme à propos du chaos déterministe, du tas de sable, de la physique de l’état granulaire, des systèmes dynamiques, de l’émergence, de la non-linéarité loin de l’équilibre, etc…
Nous allons citer quelques uns des principaux paradigmes des sciences, en partant des plus anciens, et le domaine dans lequel ils sont appliqués, le paramètre ou la loi scientifique qu’ils décrivent :
le grain de sable et le tas, ou le paradigme du saut qualitatif
compter les moutons, ou le paradigme de la numération
l’œuf et la poule, ou le paradigme de la recherche sans fin des causes premières
le crétois menteur ou le paradigme de la contradiction dans la logique formelle
le rayon lumineux, ou le paradigme de la droite géométrique
l’eau qui coule, ou le paradigme de l’illusion du continu dans la matière
la surface d’eau, ou le paradigme du plan solide
l’eau qui bout ou le paradigme de la transition de phase
Achille et la tortue, ou le paradigme des contradictions de la continuité du temps et de l’espace avec le mouvement matériel
la poussée d’Archimède ou le paradigme de la pression
la toupie ou le paradigme de l’inertie de rotation
la roue de vélo qui tourne, ou le paradigme de la stabilité globale dans la dynamique
la chute de la pomme, ou le paradigme de la force physique ou de l’accélération
le boulet de canon, ou le paradigme du mouvement décrit par la cinématique du point matériel
les vagues, la corde vibrante, ou le paradigme des ondes de Maxwell
la boule, ou le paradigme de la structure matérielle (corpuscule ou atome)
les courbes de niveau en géographie, ou le paradigme du potentiel physique
l’arc en ciel, ou le paradigme de la réfraction de la lumière
la balançoire, ou le paradigme de l’oscillateur harmonique
la boule sur une pointe, ou le paradigme de l’équilibre instable
le cheminement de l’alcoolique, ou paradigme du mouvement brownien
le mélange de deux gaz, ou le paradigme de la perte d’ordre (deuxième principe de la thermodynamique)
l’atome, ou le paradigme du réductionnisme
la machine de Turing ou la paradigme du robot rationnel
le ressort cassé, ou le paradigme de l’irréversibilité
le nuage, ou la structure émergente auto-organisée issue du non-équilibre
le tourbillon, ou le paradigme de l’attracteur étrange de David Ruelle
le tas de sable, ou le paradigme de l’équilibre ponctué et de la criticalité autorganisée de Per Bak
les pinsons de Darwin, ou le paradigme de l’évolution
la reine rouge, ou le paradigme de la coévolution
le schiste de Burgess, ou l’explosion de diversité en macro-évolution de Stephen Jay Gould
le chat de Schrödinger, ou le paradigme (en physique quantique) de la discontinuité causée par la mesure
les fentes de Young, ou le paradigme de la double nature onde/corpuscule de la matière et de la lumière
le battement d’ailes de papillon, ou le chaos déterministe de Lorenz
la chute de l’Empire romain, ou la précarité des civilisations
le nez de Cléopâtre, ou le rôle de l’individu dans l’Histoire
Quelques exemple :
Le paradigme des structures émergentes issues du non-équilibre
Le paradigme de l’impérialisme
Le paradigme de l’irréversibilité
Le paradigme de l’élémentarité
Le paradigme du chat de Schrödinger
Le paradigme du chaos déterministe