L’idéologie allemande K. Marx - F. Engels
Feuerbach
On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion et par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils commencent à produire leurs moyens d’existences, pas en avant qui est la conséquence même de leur organisation corporelle. En produisant leurs moyens d’existence, les hommes produisent indirectement leur vie matérielle elle-même.
La façon dont les hommes produisent leurs moyens d’existence, dépend d’abord de la nature des moyens d’existence déjà donnés et qu’il leur faut reproduire. Il ne faut pas considérer ce mode de production de ce seul point de vue, à savoir qu’il est la reproduction de l’existence physique des individus. Il représente au contraire déjà un mode déterminé de l’activité de ces individus, une façon déterminée de manifester leur vie, un mode de vie déterminé. La façon dont les individus manifestent leur vie reflète très exactement ce qu’ils sont. Ce qu’ils sont coïncide donc avec leur production, aussi bien avec ce qu’ils produisent qu’avec la façon dont ils le produisent. Ce que sont les individus dépend donc des conditions matérielles de leur production.
Cette production n’apparaît qu’avec l’accroissement de la population. Elle-même présuppose pour sa part des relations [6] des individus entre eux. La forme de ces relations est à son tour conditionnée par la production.
Les rapports des différentes nations entre elles dépendent du stade de développement où se trouve chacune d’elles en ce qui concerne les forces productives, la division du travail et les relations intérieures. Ce principe est universellement reconnu. Cependant, non seulement les rapports d’une nation avec les autres nations, mais aussi toute la structure interne de cette nation elle-même, dépendent du niveau de développement de sa production et de ses relations intérieures et extérieures. L’on reconnaît de la façon la plus manifeste le degré de développement qu’ont atteint les forces productives d’une nation au degré de développement qu’a atteint la division du travail. Dans la mesure où elle n’est pas une simple extension quantitative des forces productives déjà connues jusqu’alors (défrichement de terres par exemple), toute force de production nouvelle a pour conséquence un nouveau perfectionnement de la division du travail.
La division du travail à l’intérieur d’une nation entraîne d’abord la séparation du travail industriel et commercial, d’une part, et du travail agricole, d’autre part ; et, de ce fait, la séparation de la ville et de la campagne et l’opposition de leurs intérêts. Son développement ultérieur conduit à la séparation du travail commercial et du travail industriel. En même temps, du fait de la division du travail à l’intérieur des différentes branches, on voit se développer à leur tour différentes subdivisions parmi les individus coopérant à des travaux déterminés. La position de ces subdivisions particulières les unes par rapport aux autres est conditionnée par le mode d’exploitation du travail agricole, industriel et commercial (patriarcat, esclavage, ordres et classes). Les mêmes rapports apparaissent quand les échanges sont plus développés dans les relations des diverses nations entre elles.
Les divers stades de développement de la division du travail représentent autant de formes différentes de la propriété ; autrement dit, chaque nouveau stade de la division du travail détermine également les rapports des individus entre eux pour ce qui est de la matière, des instruments et des produits du travail.
La première forme de la propriété est la propriété de la tribu [7]. Elle correspond à ce stade rudimentaire de la production où un peuple se nourrit de la chasse et de la pêche, de l’élevage du bétail ou, à la rigueur, de l’agriculture. Dans ce dernier cas, cela suppose une grande quantité de terres incultes. À ce stade, la division du travail est encore très peu développée et se borne à une plus grande extension de la division naturelle telle que l’offre la famille. La structure sociale se borne, de ce fait, à une extension de la famille : chefs de la tribu patriarcale, avec au-dessous d’eux les membres de la tribu et enfin les esclaves. L’esclavage latent dans la famille ne se développe que peu à peu avec l’accroissement de la population et des besoins, et aussi avec l’extension des relations extérieures, de la guerre tout autant que du troc.
La seconde forme de la propriété est la propriété communale et propriété d’État qu’on rencontre dans l’antiquité et qui provient surtout de la réunion de plusieurs tribus en une seule ville, par contrat ou par conquête, et dans laquelle l’esclavage subsiste. À côté de la propriété communale, la propriété privée, mobilière et plus tard immobilière, se développe déjà, mais comme une forme anormale et subordonnée à la propriété communale. Ce n’est que collectivement que les citoyens exercent leur pouvoir sur leurs esclaves qui travaillent, ce qui les lie déjà à la forme de la propriété communale. Cette forme est la propriété privée communautaire des citoyens actifs, qui, en face des esclaves, sont contraints de conserver cette forme naturelle d’association. C’est pourquoi toute la structure sociale fondée sur elle et avec elle la puissance du peuple, se désagrège dans la mesure même où se développe en particulier la propriété privée immobilière. La division du travail est déjà plus poussée. Nous trouvons déjà l’opposition entre la ville et la campagne et plus tard l’opposition entre les États qui représentent l’intérêt des villes et ceux qui représentent l’intérêt des campagnes, et nous trouvons, à l’intérieur des villes elles-mêmes, l’opposition entre le commerce maritime et l’industrie. Les rapports de classes entre citoyens et esclaves ont atteint leur complet développement.
Le fait de la conquête semble être en contradiction avec toute cette conception de l’histoire. Jusqu’à présent, on a fait de la violence, de la guerre, du pillage, du brigandage, etc. la force motrice de l’histoire. Force nous est ici de nous borner aux points capitaux et c’est pourquoi nous ne prenons qu’un exemple tout à fait frappant, celui de la destruction d’une vieille civilisation par un peuple barbare et la formation qui s’y rattache d’une nouvelle structure sociale qui repart à zéro. (Rome et les barbares, la féodalité et la Gaule, le Bas-Empire et les Turcs.) Chez le peuple barbare conquérant, la guerre elle-même est encore, ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, un mode de rapports normal qui est pratiqué avec d’autant plus de zèle que l’accroissement de la population crée de façon plus impérieuse le besoin de nouveaux moyens de production, étant donné le mode de production traditionnel et rudimentaire qui est pour ce peuple le seul possible. En Italie, par contre, on assiste à la concentration de la propriété foncière réalisée par héritage, par achat et endettement aussi ; car l’extrême dissolution des mœurs et la rareté des mariages provoquaient l’extinction progressive des vieilles familles et leurs biens tombèrent aux mains d’un petit nombre. De plus, cette propriété foncière fut transformée en pâturages, transformation provoquée, en dehors des causes économiques ordinaires, valables encore de nos jours, par l’importation de céréales pillées ou exigées à titre de tribut et aussi par la pénurie de consommateurs pour le blé italien, qui s’ensuivait. Par suite de ces circonstances, la population libre avait presque complètement disparu, les esclaves eux-mêmes menaçaient sans cesse de s’éteindre et devaient être constamment remplacés. L’esclavage resta la base de toute la production. Les plébéiens, placés entre les hommes libres et les esclaves, ne parvinrent jamais à s’élever au-dessus de la condition du Lumpenproletariat [8] . Du reste, Rome ne dépassa jamais le stade de la ville ; elle était liée aux provinces par des liens presque uniquement politiques que des événements politiques pouvaient bien entendu rompre à leur tour.
Avec le développement de la propriété privée, on voit apparaître pour la première fois les rapports que nous retrouverons dans la propriété privée moderne, mais à une plus vaste échelle. D’une part, la concentration de la propriété privée qui commença très tôt à Rome, comme l’atteste la loi agraire de Licinius [9], et progressa rapidement à partir des guerres civiles et surtout sous l’Empire ; d’autre part, en corrélation avec ces faits, la transformation des petits paysans plébéiens en un prolétariat à qui sa situation intermédiaire entre les citoyens possédants et les esclaves interdit toutefois un développement indépendant.
La troisième forme est la propriété féodale [10] ou celle des divers ordres. Tandis que l’antiquité partait de la ville et de son petit territoire, le moyen âge partait de la campagne. La population existante, clairsemée et éparpillée sur une vaste superficie et que les conquérants ne vinrent pas beaucoup grossir, conditionna ce changement de point de départ. À l’encontre de la Grèce et de Rome, le développement féodal débute donc sur un terrain bien plus étendu, préparé par les conquêtes romaines et par l’extension de l’agriculture qu’elles entraînaient initialement. Les derniers siècles de l’Empire romain en déclin et la conquête des barbares eux-mêmes anéantirent une masse de forces productives : l’agriculture avait décliné, l’industrie était tombée en décadence par manque de débouchés, le commerce était en veilleuse ou interrompu par la violence, la population, tant rurale qu’urbaine, avait diminué. Cette situation donnée et le mode d’organisation de la conquête qui en découla, développèrent, sous l’influence de l’organisation militaire des Germains, la propriété féodale. Comme la propriété de la tribu et de la commune, celle-ci repose à son tour sur une communauté en face de laquelle ce ne sont plus les esclaves, comme dans le système antique, mais les petits paysans asservis qui constituent la classe directement productive. Parallèlement au développement complet du féodalisme apparaît en outre l’opposition aux villes. La structure hiérarchique de la propriété foncière et la suzeraineté militaire qui allait de pair avec elle conférèrent à la noblesse la toute-puissance sur les serfs. Cette structure féodale, tout comme l’antique propriété communale, était une association contre la classe productrice dominée, à ceci près que la forme de l’association et les rapports avec les producteurs étaient différents parce que les conditions de production étaient différentes.
A cette structure féodale de la propriété foncière correspondait, dans les villes, la propriété corporative, organisation féodale du métier. Ici, la propriété consistait principalement dans le travail de chaque individu : la nécessité de l’association contre la noblesse pillarde associée, le besoin de marchés couverts communs en un temps où l’industriel se doublait d’un commerçant, la concurrence croissante des serfs qui s’évadaient en masse vers les villes prospères, la structure féodale de tout le pays firent naître les corporations ; les petits capitaux économisés peu à peu par les artisans isolés et le nombre invariable de ceux-ci dans une population sans cesse accrue développèrent la condition de compagnon et d’apprenti qui fit naître dans les villes une hiérarchie semblable à celle de la campagne.
La propriété principale consistait donc pendant l’époque féodale, d’une part, dans la propriété foncière à laquelle est enchaîné le travail des serfs, d’autre part dans le travail personnel à l’aide d’un petit capital régissant le travail des compagnons. La structure de chacune de ces deux formes était conditionnée par les rapports de production bornés, l’agriculture rudimentaire et restreinte et l’industrie artisanale. À l’apogée du féodalisme, la division du travail fut très peu poussée. Chaque pays portait en lui-même l’opposition ville-campagne. La division en ordres était à vrai dire très fortement marquée, mais à part la séparation en princes régnants, noblesse, clergé et paysans à la campagne, et celle en maîtres, compagnons et apprentis, et bientôt aussi en une plèbe de journaliers, dans les villes, il n’y eut pas de division importante du travail. Dans l’agriculture, elle était rendue plus difficile par l’exploitation. morcelée à côté de laquelle se développa l’industrie domestique des paysans eux-mêmes ; dans l’industrie, le travail n’était nullement divisé à l’intérieur de chaque métier et fort peu entre les différents métiers. La division entre le commerce et l’industrie existait déjà dans des villes anciennes, mais elle ne se développa que plus tard dans les villes neuves, lorsque les villes entrèrent en rapport les unes avec les autres.
La réunion de pays d’une certaine étendue en royaumes féodaux était un besoin pour la noblesse terrienne comme pour les villes. De ce fait, l’organisation de la classe dominante, c’est-à-dire de la noblesse, eut partout un monarque à sa tête.
Voici donc les faits : des individus déterminés qui ont une activité productive selon un mode déterminé entrent dans des rapports sociaux et politiques déterminés. Il faut que dans chaque cas isolé, l’observation empirique montre dans les faits, et sans aucune spéculation ni mystification, le lien entre la structure sociale et politique et la production. La structure sociale et l’État résultent constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus non point tels qu’ils peuvent s’apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire, tels qu’ils œuvrent et produisent matériellement ; donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté. Les représentations que se font ces individus sont des idées soit sur leurs rapports avec la nature, soit sur leurs rapports entre eux, soit sur leur propre nature. Il est évident que, dans tous ces cas, ces représentations sont l’expression consciente réelle ou imaginaire de leurs rapports et de leur activité réels, de leur production, de leur commerce, de leur organisation politique et sociale. Il n’est possible d’émettre l’hypothèse inverse que si l’on suppose en dehors de l’esprit des individus réels, conditionnés matériellement, un autre esprit encore, un esprit particulier. Si l’expression consciente des conditions de vie réelles de ces individus est imaginaire, si, dans leurs représentations, ils mettent la réalité la tête en bas, ce phénomène est encore une conséquence de leur mode d’activité matériel borné et des rapports sociaux étriqués qui en résultent.
La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore comme l’émanation directe de leur comportement matériel. Il en va de même de la production intellectuelle telle qu’elle se présente dans la langue de la politique, celle des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc. de tout un peuple. Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leur représentations, de leurs idées, etc., mais les hommes réels, agissants, tels qu’ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et des rapports qui y correspondent, y compris les formes les plus larges que ceux-ci peuvent prendre. La conscience ne peut jamais être autre chose que l’être conscient [11] et l’être des hommes est leur processus de vie réel. Et si, dans toute l’idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une camera obscure [12], ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique.
A l’encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c’est de la terre au ciel que l’on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s’imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu’ils sont dans les paroles, la pensée, l’imagination et la représentation d’autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os ; non, on part des hommes dans leur activité réelle, c’est à partir de leur processus de vie réel que l’on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital. Et même les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations résultant nécessairement du processus de leur vie matérielle que l’on peut constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles. De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d’autonomie. Elles n’ont pas d’histoire, elles n’ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Dans la première façon de considérer les choses, on part de la conscience comme étant l’individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond à la vie réelle, on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l’on considère la conscience uniquement comme leur conscience.
Cette façon de considérer les choses n’est pas dépourvue de présuppositions. Elle part des prémisses réelles et ne les abandonne pas un seul instant. Ces prémisses, ce sont les hommes, non pas isolés et figés, de quelque manière imaginaire, mais saisis dans leur processus de développement réel dans des conditions déterminées, développement visible empiriquement. Dès que l’on représente ce processus d’activité vitale, l’histoire cesse d’être une collection de faits sans vie, comme chez les empiristes, qui sont eux-mêmes encore abstraits, ou l’action imaginaire de sujets imaginaires, comme chez les idéalistes.
C’est là où cesse la spéculation, c’est dans la vie réelle que commence donc la science réelle, positive, l’analyse de l’activité pratique, du processus, de développement pratique des hommes. Les phrases creuses sur la conscience cessent, un savoir réel doit les remplacer. Avec l’étude de la réalité la philosophie cesse d’avoir un milieu où elle existe de façon autonome. À sa place, on pourra tout au plus mettre une synthèse des résultats les plus généraux qu’il est possible d’abstraire de l’étude du développement historique des hommes. Ces abstractions, prises en soi, détachées de l’histoire réelle, n’ont absolument aucune valeur. Elles peuvent tout au plus servir à classer plus aisément la matière historique, à indiquer la succession de ses stratifications particulières. Mais elles ne donnent en aucune façon, comme la philosophie, une recette, un schéma selon lequel on peut accommoder les époques historiques. La difficulté commence seulement, au contraire, lorsqu’on se met à étudier et à classer cette matière, qu’il s’agisse d’une époque révolue ou du temps présent, et à l’analyser réellement. L’élimination de ces difficultés dépend de prémisses qu’il nous est impossible de développer ici, car elles résultent de l’étude du processus de vie réel et de l’action des individus de chaque époque. Nous allons prendre ici quelques-unes de ces abstractions dont nous nous servirons vis-à-vis de l’idéologie et les expliquer par des exemples historiques. 1. Histoire
Avec les Allemands dénués de toute présupposition, force nous est de débuter par la constatation de la présupposition première de toute existence humaine, partant de toute histoire, à savoir que les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir "faire l’histoire" [13]. Mais pour vivre, il faut avant tout boire, manger, se loger, s’habiller et quelques autres choses encore. Le premier fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c’est même là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire que l’on doit, aujourd’hui encore comme il y a des milliers d’années, remplir jour par jour, heure par heure, simplement pour maintenir les hommes en vie. Même quand la réalité sensible est réduite à un bâton, au strict minimum, comme chez saint Bruno [14], elle implique l’activité qui produit ce bâton. La première chose, dans toute conception historique, est donc d’observer ce fait fondamental dans toute son importance et toute son extension, et de lui faire droit. Chacun sait que les Allemands ne l’ont jamais fait ; ils n’ont donc jamais eu de base terrestre pour l’histoire et n’ont par conséquent jamais eu un seul historien. Bien qu’ils n’aient vu la connexité de ce fait avec ce qu’on appelle l’histoire que sous l’angle le plus étroit, surtout tant qu’ils restèrent emprisonnés dans l’idéologie politique, les Français et les Anglais n’en ont pas moins fait les premiers essais pour donner à l’histoire une base matérialiste, en écrivant d’abord des histoires de la société bourgeoise, du commerce et de l’industrie.
Le second point est que le premier besoin une fois satisfait lui-même, l’action de le satisfaire et l’instrument déjà acquis de cette satisfaction poussent à de nouveaux besoins, — et cette production de nouveaux besoins est le premier fait historique. C’est à cela que l’on reconnaît aussitôt de quel bois est faite la grande sagesse historique des Allemands ; car là où ils sont à court de matériel positif et où l’on ne débat ni stupidités théologiques, ni stupidités politiques ou littéraires, nos Allemands voient, non plus l’histoire, mais les "temps préhistoriques" ; ils ne nous expliquent du reste pas comment l’on passe de cette absurdité de la "préhistoire" à l’histoire proprement dite — bien que, par ailleurs, leur spéculation historique se jette tout particulièrement sur cette "préhistoire", parce qu’elle s’y croit à l’abri des empiétements du "fait brutal" et aussi parce qu’elle peut y lâcher la bride à son instinct spéculatif et qu’elle peut engendrer et jeter bas les hypothèses par milliers.
Le troisième rapport, qui intervient ici d’emblée dans le développement historique, est que les hommes, qui renouvellent chaque jour leur propre vie, se mettent à créer d’autres hommes, à se reproduire ; c’est le rapport entre homme et femme, parents et enfants, c’est la famille. Cette famille, qui est au début le seul rapport social, devient par la suite un rapport subalterne (sauf en Allemagne), lorsque les besoins accrus engendrent de nouveaux rapports sociaux et que l’accroissement de la population engendre de nouveaux besoins ; par conséquent, on doit traiter et développer ce thème de la famille d’après les faits empiriques existants et non d’après le "concept de famille", comme on a coutume de le faire en Allemagne [15]. Du reste, il ne faut pas comprendre ces trois aspects de l’activité sociale comme trois stades différents, mais précisément comme trois aspects tout simplement, ou, pour employer un langage clair pour des Allemands trois "moments" qui ont coexisté depuis le début de l’histoire et depuis les premiers hommes et qui se manifestent aujourd’hui encore dans l’histoire. Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d’autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double : d’une part comme un rapport naturel, d’autre part comme un rapport social, — social en ce sens que l’on entend par là l’action conjuguée de plusieurs individus, peu importe dans quelles conditions, de quelle façon et dans quel but. Il s’ensuit qu’un mode de production ou un stade industriel déterminés sont constamment liés à un mode de coopération ou à un stade social déterminés, et que ce mode de coopération est lui-même une "force productive" ; il s’ensuit également que la masse des forces productives accessibles aux hommes détermine l’état social, et que l’on doit par conséquent étudier et élaborer sans cesse l’"histoire des hommes" en liaison avec l’histoire de l’industrie et des échanges. Mais il est tout aussi clair qu’il est impossible d’écrire une telle histoire en Allemagne, puisqu’il manque aux Allemands, pour la faire, non seulement la faculté de la concevoir et les matériaux, mais aussi la "certitude sensible", et que l’on ne peut pas faire d’expériences sur ces choses de l’autre côté du Rhin puisqu’il ne s’y passe plus d’histoire. Il se manifeste donc d’emblée une interdépendance matérialiste des hommes qui est conditionnée par les besoins et le mode de production et qui est aussi vieille que les hommes eux-mêmes, — interdépendance qui prend sans cesse de nouvelles formes et présente donc une "histoire" même sans qu’il existe encore une quelconque absurdité politique ou religieuse qui réunisse les hommes par surcroît.
Et c’est maintenant seulement, après avoir déjà examiné quatre moments, quatre aspects des rapports historiques originels, que nous trouvons que l’homme a aussi de la "conscience" [16]. Mais il ne s’agit pas d’une conscience qui soit d’emblée conscience "pure". Dès le début, une malédiction pèse sur "l’esprit", celle d’être "entaché" d’une matière qui se présente ici sous forme de couches d’air agitées, de sons, en un mot sous forme du langage. Le langage est aussi vieux que la conscience, — le langage est la conscience réelle, pratique, existant aussi pour d’autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi et, tout comme la conscience, le langage n’apparaît qu’avec le besoin, la nécessité du commerce avec d’autres hommes. Ma conscience c’est mon rapport avec ce qui m’entoure. Là où existe un rapport, il existe pour moi. L’animal "n’est en rapport" avec rien, ne connaît somme toute aucun rapport. Pour l’animal, ses rapports avec les autres n’existent pas en tant que rapports. La conscience est donc d’emblée un produit social et le demeure aussi longtemps qu’il existe des hommes. Bien entendu, la conscience n’est d’abord que la conscience du milieu sensible le plus proche et celle d’une interdépendance limitée avec d’autres personnes et d’autres choses situées en dehors de l’individu qui prend conscience ; c’est en même temps la conscience de la nature qui se dresse d’abord en face des hommes comme une puissance foncièrement étrangère, toute-puissante et inattaquable, envers laquelle les hommes se comportent d’une façon purement animale et qui leur en impose autant qu’au bétail ; par conséquent une conscience de la nature purement animale (religion de la nature).
On voit immédiatement que cette religion de la nature, ou ces rapports déterminés envers la nature, sont conditionnés par la forme de la société et vice versa. Ici, comme partout ailleurs, l’identité de l’homme et de la nature apparaît aussi sous cette forme, que le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux, et que leur comportement borné entre eux conditionne à son tour leurs rapports bornés avec la nature, précisément parce que la nature est encore à peine modifiée par l’histoire et que, d’autre part, la conscience de la nécessité d’entrer en rapport avec les individus qui l’entourent marque pour l’homme le début de la conscience de ce fait qu’il vit somme toute en société. Ce début est aussi animal que l’est la vie sociale elle-même à ce stade ; il est une simple conscience grégaire et l’homme se distingue ici du mouton par l’unique fait que sa conscience prend chez lui la place de l’instinct ou que son instinct est un instinct conscient. Cette conscience grégaire ou tribale se développe et se perfectionne ultérieurement en raison de l’accroissement de la productivité, de l’augmentation des besoins et de l’accroissement de la population qui est à la base des deux éléments précédents. Ainsi se développe la division du travail qui n’était primitivement pas autre chose que la division du travail dans l’acte sexuel, puis devint la division du travail qui se fait d’elle-même ou "par nature" en vertu des dispositions naturelles (vigueur corporelle par exemple), des besoins, des hasards, etc. La division du travail ne devient effectivement division du travail qu’à partir du moment où s’opère une division du travail matériel et intellectuel [17]. À partir de ce moment la conscience peut vraiment s’imaginer qu’elle est autre chose que la conscience de la pratique existante, qu’elle représente réellement quelque chose sans représenter quelque chose de réel. À partir de ce moment, la conscience est en état de s’émanciper du monde et de passer à la formation de la théorie "pure", théologie, philosophie, morale, etc. Mais même lorsque cette théorie, cette théologie, cette philosophie, cette morale, etc., entrent en contradiction avec les rapports existants, cela ne peut se produire que du fait que les rapports sociaux existants sont entrés en contradiction avec la force productive existante ; d’ailleurs, dans une sphère nationale déterminée, cela peut arriver aussi parce que, dans ce cas, la contradiction se produit, non pas à l’intérieur de cette sphère nationale, mais entre cette conscience nationale et la pratique des autres nations, c’est-à-dire entre la conscience nationale d’une nation et sa conscience universelle [18].
Peu importe du reste ce que la conscience entreprend isolément ; toute cette pourriture ne nous donne que ce résultat : ces trois moments, la force productive, l’état social et la conscience, peuvent et doivent entrer en conflit entre eux car, par la division du travail, il devient possible, bien mieux il arrive effectivement que l’activité intellectuelle et matérielle, — la jouissance et le travail, la production et la consommation échoient en partage à des individus différents ; et alors la possibilité que ces éléments n’entrent pas en conflit réside uniquement dans le fait qu’on abolit à nouveau la division du travail. Il va de soi du reste que "fantômes", "liens", "être suprême", "concept", "scrupules" [19] ne sont que l’expression mentale idéaliste, la représentation apparente de l’individu isolé, la représentation de chaînes et de limites très empiriques à l’intérieur desquelles se meut le mode de production de la vie et le mode d’échanges qu’il implique.
Cette division du travail, qui implique toutes ces contradictions et repose à son tour sur la division naturelle du travail dans la famille et sur la séparation de la société en familles isolées et opposées les unes aux autres, — cette division du travail implique en même temps la répartition du travail et de ses produits, distribution inégale en vérité tant en quantité qu’en qualité ; elle implique donc la propriété, dont la première forme, le germe, réside dans la famille où la femme et les enfants sont les esclaves de l’homme. L’esclavage, certes encore très rudimentaire et latent dans la famille, est la première propriété, qui d’ailleurs correspond déjà parfaitement ici à la définition des économistes modernes d’après laquelle elle est la libre disposition de la force de travail d’autrui. Du reste, division du travail et propriété privée sont des expressions identiques - on énonce, dans la première, par rapport à l’activité ce qu’on énonce, dans la seconde, par rapport au produit de cette activité.
De plus, la division du travail implique du même coup la contradiction entre l’intérêt de l’individu singulier ou de la famille singulière et l’intérêt collectif de tous les individus qui sont en relations entre eux ; qui plus est, cet intérêt collectif n’existe pas seulement, mettons dans la représentation, en tant qu’"intérêt général", mais d’abord dans la réalité comme dépendance réciproque des individus entre lesquels se partage le travail. Enfin la division du travail nous offre immédiatement le premier exemple du fait suivant : aussi longtemps que les hommes se trouvent dans la société naturelle, donc aussi longtemps qu’il y a scission entre l’intérêt particulier et l’intérêt commun, aussi longtemps donc que l’activité n’est pas divisée volontairement, mais du fait de la nature, l’action propre de l’homme se transforme pour lui en puissance étrangère qui s’oppose à lui et l’asservit, au lieu qu’il ne la domine. En effet, dès l’instant où le travail commence à être réparti, chacun a une sphère d’activité exclusive et déterminée qui lui est imposée et dont il ne peut sortir ; il est chasseur, pêcheur ou berger ou critique critique [20], et il doit le demeurer s’il ne veut pas perdre ses moyens d’existence ; tandis que dans la société communiste, où chacun n’a pas une sphère d’activité exclusive, mais peut se perfectionner dans la branche qui lui plaît, la société réglemente la production générale ce qui crée pour moi la possibilité de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de pratiquer l’élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique. Cette fixation de l’activité sociale, cette pétrification de notre propre produit en une puissance objective qui nous domine, échappant à notre contrôle, contrecarrant nos attentes, réduisant à néant nos calculs, est un des moments capitaux du développement historique jusqu’à nos jours. C’est justement cette contradiction entre l’intérêt particulier et l’intérêt collectif qui amène l’intérêt collectif à prendre, en qualité d’État, une forme indépendante, séparée des intérêts réels de l’individu et de l’ensemble et à faire en même temps figure de communauté illusoire, mais toujours sur la base concrète des liens existants dans chaque conglomérat de famille et de tribu, tels que liens du sang, langage, division du travail à une vaste échelle et autres intérêts ; et parmi ces intérêts nous trouvons en particulier, comme nous le développerons plus loin, les intérêts des classes déjà conditionnées par la division du travail, qui se différencient dans tout groupement de ce genre et dont l’une domine toutes les autres. Il s’ensuit que toutes les luttes à l’intérieur de l’État, la lutte entre la démocratie, l’aristocratie et la monarchie, la lutte pour le droit de vote, etc., etc., ne sont que les formes illusoires sous lesquelles sont menées les luttes effectives des différentes classes entre elles (ce dont les théoriciens allemands ne soupçonnent pas un traître mot, bien qu’à ce sujet on leur ait assez montré la voie dans les Annales franco-allemandes et dans La Sainte Famille [21]) ; et il s’ensuit également que toute classe qui aspire à la domination, même si sa domination détermine l’abolition de toute l’ancienne forme sociale et de la domination en général, comme c’est le cas pour le prolétariat, il s’ensuit donc que cette classe doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général, ce à quoi elle est contrainte dans les premiers temps. Précisément parce que les individus ne cherchent que leur intérêt particulier, — qui ne coïncide pas pour eux avec leur intérêt collectif, l’universalité n’étant somme toute qu’une forme illusoire de la collectivité, — cet intérêt est présenté comme un intérêt qui leur est "étranger", qui est "indépendant" d’eux et qui est lui-même à son tour un intérêt "général" spécial et particulier, ou bien ils doivent se mouvoir [22] eux-mêmes dans cette dualité comme c’est le cas dans la démocratie,
Par ailleurs le combat pratique de ces intérêts particuliers, qui constamment se heurtent réellement aux intérêts collectifs et illusoirement : collectifs, rend nécessaire l’intervention pratique et le refrènement par l’intérêt "général" illusoire sous forme d’État. La puissance sociale, c’est-à-dire la force productive décuplée qui naît de la coopération des divers individus conditionnée par la division du travail, n’apparaît pas à ces individus comme leur propre puissance conjuguée, parce que cette coopération elle-même n’est pas volontaire, mais naturelle ; elle leur apparaît au contraire comme une puissance étrangère, située en dehors d’eux, dont ils ne savent ni d’où elle vient ni où elle va, qu’ils ne peuvent donc plus dominer et qui, à l’inverse, parcourt maintenant une série particulière de phases et de stades de développement, si indépendante de la volonté et de la marche de l’humanité qu’elle dirige en vérité cette volonté et cette marche de l’humanité.
Cette "aliénation", — pour que notre exposé reste intelligible aux philosophes —, ne peut naturellement être abolie qu’à deux conditions pratiques. Pour qu’elle devienne une puissance "insupportable", c’est-à-dire une puissance contre laquelle on fait la révolution, il est nécessaire qu’elle ait fait de la masse de l’humanité une masse totalement "privée de propriété", qui se trouve en même temps en contradiction avec un monde de richesse et de culture existant réellement, choses qui supposent toutes deux un grand accroissement de la force productive, c’est-à-dire un stade élevé de son développement. D’autre part, ce développement des forces productives (qui implique déjà que l’existence empirique actuelle des hommes se déroule sur le plan de l’histoire mondiale au lieu de se dérouler sur celui de la vie locale), est une condition pratique préalable absolument indispensable, car, sans lui, c’est la pénurie qui deviendrait générale, et, avec le besoin, c’est aussi la lutte pour le nécessaire qui recommencerait et l’on retomberait fatalement dans la même vieille gadoue. Il est également une condition pratique sine qua non, parce que des relations universelles du genre humain peuvent être établies uniquement par ce développement universel des forces productives et que, d’une part, il engendre le phénomène de la masse "privée de propriété" simultanément dans tous les pays (concurrence universelle), qu’il rend ensuite chacun d’eux dépendant des bouleversements des autres et qu’il a mis enfin des hommes vivant empiriquement l’histoire mondiale, à la place des individus vivant sur un plan local. Sans cela : 1° le communisme ne pourrait exister que comme phénomène local ; 2° les puissances des relations humaines elles-mêmes n’auraient pu se développer comme puissances universelles, et de ce fait insupportables, elles seraient restées des "circonstances" relevant de superstitions locales, et 3° toute extension des échanges abolirait le communisme local. Le communisme n’est empiriquement possible que comme l’acte "soudain" et simultané des peuples dominants, ce qui suppose à son tour le développement universel de la force productive et les échanges mondiaux étroitement liés au communisme. Autrement, comment la propriété, par exemple, aurait-elle pu somme toute avoir une histoire, prendre différentes formes ? Comment, disons, la propriété foncière aurait-elle pu, selon les conditions diverses qui se présentaient, passer en France, du morcellement à la centralisation dans les mains de quelques-uns, et en Angleterre de la centralisation entre les mains de quelques-uns au morcellement, comme c’est effectivement le cas aujourd’hui ? Ou bien comment se fait-il encore que le commerce, qui pourtant représente l’échange des produits d’individus et de nations différentes et rien d’autre, domine le monde entier par le rapport de l’offre et de la demande, — rapport qui, selon un économiste anglais, plane au-dessus de la terre comme la fatalité antique et distribue, d’une main invisible, le bonheur et le malheur parmi les hommes, fonde des empires, anéantit des empires, fait naître et disparaître des peuples, — tandis qu’une fois abolie la base, la propriété privée, et instaurée la réglementation communiste de la production, qui abolit chez l’homme le sentiment d’être devant son propre produit comme devant une chose étrangère, la puissance du rapport de l’offre et de la demande est réduite à néant, et les hommes reprennent en leur pouvoir l’échange, la production, leur mode de comportement réciproque.
Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes.
Du reste, la masse d’ouvriers qui ne sont qu’ouvriers — force de travail massive, coupée du capital ou de toute espèce de satisfaction même bornée — suppose le marché mondial ; comme le suppose aussi du coup, du fait de la concurrence, la perte de ce travail en tant que source assurée d’existence, et non plus à titre temporaire.
Le prolétariat ne peut donc exister qu’à l’échelle de l’histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l’action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu’en tant qu’existence "historique universelle". Existence historique universelle des individus, autrement dit, existence des individus directement liée à l’histoire universelle.
La forme des échanges, conditionnée par les forces de production existant à tous les stades historiques qui précèdent le nôtre et les conditionnant à leur tour, est la société civile qui, comme il ressort déjà de ce qui précède, a pour condition préalable et base fondamentale la famille simple et la famille composée, ce que l’on appelle le clan, dont les définitions plus précises ont déjà été données ci-dessus. Il est donc déjà évident que cette société bourgeoise est le véritable foyer, la véritable scène de toute histoire et l’on voit à quel point la conception passée de l’histoire était un non-sens qui négligeait les rapports réels et se limitait aux grands événements historiques et politiques retentissants. Jusqu’ici nous n’avons examiné qu’un seul aspect de l’activité humaine, la transformation de la nature par les hommes. L’autre aspect, la transformation des hommes par les hommes... La société bourgeoise embrasse l’ensemble des rapports matériels des individus à l’intérieur d’un stade de développement déterminé des forces productives. Elle embrasse l’ensemble de la vie commerciale et industrielle d’une étape et déborde par là même l’État et la nation, bien qu’elle doive, par ailleurs, s’affirmer à l’extérieur comme nationalité et s’organiser à l’intérieur comme État. Le terme de société civile [23] apparut au XVIII° siècle, dès que les rapports de propriété se furent dégagés de la communauté antique et médiévale. La société civile en tant que telle ne se développe qu’avec la bourgeoisie ; toutefois, l’organisation sociale issue directement de la production et du commerce, et qui forme en tout temps la base de l’État et du reste de la superstructure idéaliste, a toutefois été constamment désignée sous le même nom.
(...)
Le communisme se distingue de tous les mouvements qui l’ont précédé jusqu’ici en ce qu’il bouleverse la base de tous les rapports de production et d’échanges antérieurs et que, pour la première fois, il traite consciemment toutes les conditions naturelles préalables comme des créations des hommes qui nous ont précédé jusqu’ici, qu’il dépouille celles-ci de leur caractère naturel et les soumet à la puissance des individus unis [68]. De ce fait, son organisation est essentiellement économique, elle est la création matérielle des conditions de cette union ; elle fait des conditions existantes les conditions de l’union. L’état de choses que crée le communisme est précisément la base réelle qui rend impossible tout ce qui existe indépendamment des individus — dans la mesure toutefois où cet état de choses existant est purement et simplement un produit des relations antérieures des individus entre eux. Pratiquement, les communistes traitent donc les conditions créées par la production et le commerce avant eux comme des facteurs inorganiques, mais ils ne s’imaginent pas pour autant que le plan ou la raison d’être des générations antérieures ont été de leur fournir des matériaux, et ils ne croient pas davantage que ces conditions aient été inorganiques aux yeux de ceux qui les créaient. La différence entre l’individu personnel et l’individu contingent n’est pas une distinction du concept, mais un fait historique. Cette distinction a un sens différent à des époques différentes : par exemple, l’ordre [en tant que classe sociale] pour l’individu au XVIII° siècle, et la famille aussi plus ou moins. C’est une distinction que nous n’avons pas, nous, à faire pour chaque époque, mais que chaque époque fait elle-même parmi les différents éléments qu’elle trouve à son arrivée, et cela non pas d’après un concept, mais sous la pression des conflits matériels de la vie. Ce qui apparaît comme contingent à l’époque postérieure, par opposition à l’époque antérieure, même parmi les éléments hérités de cette époque antérieure, est un mode d’échanges qui correspondait à un développement déterminé des forces productives. Le rapport entre forces productives et forme d’échanges est le rapport entre le mode d’échanges et l’action ou l’activité des individus. (La forme fondamentale de cette activité est naturellement la forme matérielle dont dépend toute autre forme intellectuelle, politique, religieuse, etc. Bien entendu, la forme différente que prend la vie matérielle est chaque fois dépendante des besoins déjà développés, et la production de ces besoins, tout comme leur satisfaction, est elle-même un processus historique que nous ne trouverons jamais chez un mouton ou chez un chien (argument capital de Stirner adversus hominem [69], à faire dresser les cheveux sur la tête) bien que moutons et chiens, sous leur forme actuelle, soient, mais malgré eux, des produits d’un processus historique.) Tant que la contradiction n’est pas apparue, les conditions dans lesquelles les individus entrent en relations entre eux sont des conditions inhérentes à leur individualité ; elles ne leur sont nullement extérieures et seules, elles permettent à ces individus déterminés et existant dans des conditions déterminées, de produire leur vie matérielle et tout ce qui en découle ; ce sont donc des conditions de leur affirmation active de soi et elles sont produites par cette affirmation de soi [70]. En conséquence, tant que la contradiction n’est pas encore intervenue, les conditions déterminées, dans lesquelles les individus produisent, correspondent donc à leur limitation effective, à leur existence bornée, dont le caractère limité ne se révèle qu’avec l’apparition de la contradiction et existe, de ce fait, pour la génération postérieure. Alors, cette condition apparaît comme une entrave accidentelle, alors on attribue aussi à l’époque antérieure la conscience qu’elle était une entrave.
Ces différentes conditions, qui apparaissent d’abord comme conditions de la manifestation de soi, et plus tard comme entraves de celle-ci, forment dans toute l’évolution historique une suite cohérente de modes d’échanges dont le lien consiste dans le fait qu’on remplace la forme d’échanges antérieure, devenue une entrave, par une nouvelle forme qui correspond aux forces productives plus développées, et, par là même, au mode plus perfectionné de l’activité des individus, forme qui à son tour devient une entrave et se trouve alors remplacée par une autre. Étant donné qu’à chaque stade ces conditions correspondent au développement simultané des forces productives, leur histoire est du même coup l’histoire des forces productives qui se développent et sont reprises par chaque génération nouvelle et elle est de ce fait l’histoire du développement des forces des individus eux-mêmes.
Ce développement se produisant naturellement, c’est-à-dire n’étant pas subordonné à un plan d’ensemble établi par des individus associés librement, il part de localités différentes, de tribus, de nations, de branches de travail différentes, etc., dont chacune se développe d’abord indépendamment des autres et n’entre que peu à peu en liaison avec les autres. De plus, il ne procède que très lentement ; les différents stades et intérêts ne sont jamais complètement dépassés, mais seulement subordonnés à l’intérêt qui triomphe et ils se traînent encore pendant des siècles à ses côtés. Il en résulte que, à l’intérieur de la même nation, les individus ont des développements tout à fait différents, même abstraction faite de leurs conditions de fortune, et il s’ensuit également qu’un intérêt antérieur, dont le mode d’échange particulier de relations est déjà supplanté par un autre correspondant à un intérêt postérieur, reste longtemps encore en possession d’une force traditionnelle dans la communauté apparente et qui est devenue autonome en face des individus (État, droit) ; seule une révolution est, en dernière instance, capable de briser ce système. C’est ce qui explique également pourquoi, lorsqu’il s’agit de points singuliers, qui permettent une synthèse plus générale, la conscience peut sembler parfois en avance sur les rapports empiriques contemporains, si bien que dans les luttes d’une période postérieure, on peut s’appuyer sur des théoriciens antérieurs comme sur une autorité.
Par contre, dans les pays comme l’Amérique du Nord, qui débutent d’emblée dans une période historique déjà développée, le développement se fait avec rapidité. De tels pays n’ont pas d’autre condition naturelle préalable que les individus qui s’y établissent et qui y furent amenés par les modes d’échanges des vieux pays, qui ne correspondent pas à leurs besoins. Ces pays commencent donc avec les individus les plus évolués du vieux monde, et par suite avec la forme de relations la plus développée correspondant à ces individus, avant même que ce système d’échanges ait pu s’imposer dans les vieux pays [71]. C’est le cas de toutes les colonies dans la mesure où elles ne sont pas de simples bases militaires ou commerciales. Carthage, les colonies grecques et l’Islande aux XI° et XII° siècles, en fournissent des exemples. Un cas analogue se présente dans la conquête, lorsqu’on apporte tout fait dans le pays conquis le mode d’échanges qui s’est développé sur un autre sol ; dans son pays d’origine, cette forme était encore grevée par les intérêts et les conditions de vie des époques précédentes, mais ici, au contraire, elle peut et doit s’implanter totalement et sans entraves, ne fût-ce que pour assurer une puissance durable au conquérant. (L’Angleterre et Naples après la conquête normande, où elles connurent la forme la plus accomplie de l’organisation féodale.)
Donc, selon notre conception, tous les conflits de l’histoire ont leur origine dans la contradiction entre les forces productives et le mode d’échanges. Il n’est du reste pas nécessaire que cette contradiction soit poussée à l’extrême dans un pays pour provoquer des conflits dans ce pays même. La concurrence avec des pays dont l’industrie est plus développée, concurrence provoquée par l’extension du commerce international, suffit à engendrer une contradiction de ce genre, même dans les pays dont l’industrie est moins développée (par exemple, le prolétariat latent en Allemagne dont la concurrence de l’industrie anglaise provoque l’apparition).
Cette contradiction entre les forces productives et le mode d’échanges qui, comme nous l’avons déjà vu, s’est produite plusieurs fois déjà dans l’histoire jusqu’à nos jours, sans toutefois en compromettre la base fondamentale, a dû chaque fois éclater dans une révolution, prenant en même temps diverses formes accessoires, telles que totalité des conflits, heurts de différentes classes, contradictions de la conscience, lutte idéologique, etc., lutte politique, etc. D’un point de vue borné, on peut dès lors abstraire l’une de ces formes accessoires et la considérer comme la base de ces révolutions, chose d’autant plus facile que les individus dont partaient les révolutions se faisaient eux-mêmes des illusions sur leur propre activité, selon leur degré de culture et le stade de développement historique.
La transformation par la division du travail des puissances personnelles (rapports) en puissances objectives ne peut pas être abolie du fait que l’on s’extirpe du crâne cette représentation générale, mais uniquement si les individus soumettent à nouveau ces puissances objectives et abolissent la division du travail [72]. Ceci n’est pas possible sans la communauté. C’est seulement dans la commun [avec d’autres que chaque] individu a les moyens de développer ses facultés dans tous les sens ; c’est seulement dans la communauté que la liberté personnelle est donc possible. Dans les succédanés de communautés qu’on a eus jusqu’alors, dans l’État, etc., la liberté personnelle n’existait que pour les individus qui s’étaient développés dans les conditions de la classe dominante et seulement dans la mesure où ils étaient des individus de cette classe. La communauté apparente, que les individus avaient jusqu’alors constituée, prit toujours une existence indépendante vis-à-vis d’eux et, en même temps, du fait qu’elle représentait l’union d’une classe face à une autre, elle représentait non seulement une communauté tout à fait illusoire pour la classe dominée, mais aussi une nouvelle chaîne. Dans la communauté réelle, les individus acquièrent leur liberté simultanément à leur association, grâce à cette association et en elle.
Il découle de tout le développement historique jusqu’à nos jours que les rapports collectifs dans lesquels entrent les individus d’une classe et qui étaient toujours conditionnés par leurs intérêts communs vis-à-vis d’un tiers, furent toujours une communauté qui englobait ces individus uniquement en tant qu’individus moyens, dans la mesure où ils vivaient dans les conditions d’existence de leur classe ; c’était donc là, en somme, des rapports auxquels ils participaient non pas en tant qu’individus, mais en tant que membres d’une classe. Par contre, dans la communauté des prolétaires révolutionnaires qui mettent sous leur contrôle toutes leurs propres conditions d’existence et celles de tous les membres de la société, c’est l’inverse qui se produit : les individus y participent en tant qu’individus. Et, (bien entendu à condition que l’association des individus s’opère dans le cadre des forces productives qu’on suppose maintenant développées), c’est cette réunion qui met les conditions du libre développement des individus et de leur mouvement sous son contrôle, tandis qu’elles avaient été jusque là livrées au hasard et avaient adopté une existence autonome vis-à-vis des individus, précisément du fait de leur séparation en tant qu’individus et de leur union nécessaire, impliquée par la division du travail, mais devenue, du fait de leur séparation en tant qu’individus, un lien qui leur était étranger. L’association connue jusqu’ici n’était nullement l’union volontaire (que l’on nous représente par exemple dans Le Contrat social [73]), mais une union nécessaire, sur la base des conditions à l’intérieur desquelles les individus jouissaient de la contingence (comparer, par exemple, la formation de l’État de l’Amérique du Nord et les républiques de l’Amérique du Sud). Ce droit de pouvoir jouir en toute tranquillité de la contingence à l’intérieur de certaines conditions, c’est ce qu’on appelait jusqu’à présent la liberté personnelle. — Ces conditions d’existence ne sont naturellement que les forces productives et les modes d’échanges de chaque période.
Si l’on considère, du point de vue philosophique, le développement des individus dans les conditions d’existence commune des ordres et des classes qui se succèdent historiquement et dans les représentations générales qui leur sont imposées de ce fait, on peut, il est vrai, s’imaginer facilement que le genre ou l’homme se sont développés dans ces individus ou qu’ils ont développé l’homme ; vision imaginaire qui donne de rudes camouflets à l’histoire [74]. On peut alors comprendre ces différents ordres et différentes classes comme des spécifications de l’expression générale, comme des subdivisions du genre, comme des phases de développement de l’homme.
Cette subordination des individus à des classes déterminées ne peut être abolie tant qu’il ne s’est pas formé une classe qui n’a plus à faire prévaloir un intérêt de classe particulier contre la classe dominante.
Les individus sont toujours partis d’eux-mêmes, naturellement pas de l’individu "pur" au sens des idéologues, mais d’eux-mêmes dans le cadre de leurs conditions et de leurs rapports historiques donnés. Mais il apparaît au cours du développement historique, et précisément par l’indépendance qu’acquièrent les rapports sociaux, fruit inévitable de la division du travail, qu’il y a une différence entre la vie de chaque individu, dans la mesure où elle est personnelle, et sa vie dans la mesure où elle est subordonnée à une branche quelconque du travail et aux conditions inhérentes à cette branche. (Il ne faut pas entendre par là que le rentier ou le capitaliste, par exemple, cessent d’être des personnes ; mais leur personnalité est conditionnée par des rapports de classe tout à fait déterminés et cette différence n’apparaît que par opposition à une autre classe et ne leur apparaît à eux-mêmes que le jour où ils font banqueroute). Dans l’ordre (et plus encore dans la tribu), ce fait reste encore caché ; par exemple, un noble reste toujours un noble, un roturier reste toujours un roturier, abstraction faite de ses autres rapports ; c’est une qualité inséparable de son individualité. La différence entre l’individu personnel opposé à l’individu en sa qualité de membre d’une classe, la contingence des conditions d’existence pour l’individu n’apparaissent qu’avec la classe qui est elle-même un produit de la bourgeoisie. C’est seulement la concurrence et la lutte des individus entre eux qui engendrent et développent cette contingence en tant que telle. Par conséquent, dans la représentation, les individus sont plus libres sous la domination de la bourgeoisie qu’avant, parce que leurs conditions d’existence leur sont contingentes ; en réalité, ils sont naturellement moins libres parce qu’ils sont beaucoup plus subordonnés à une puissance objective. La différence avec l’ordre apparaît surtout dans l’opposition entre bourgeoisie et prolétariat. Lorsque l’ordre des citoyens des villes, les corporations, etc. apparurent en face de la noblesse terrienne, leurs conditions d’existence, propriété mobilière et travail artisanal, qui avaient déjà existé de façon latente avant qu’ils ne fussent séparés de l’association féodale, apparurent comme une chose positive, que l’on fit valoir contre la propriété foncière féodale et qui, pour commencer, prit donc à son tour la forme féodale à sa manière. Sans doute les serfs fugitifs considéraient leur état de servitude précédent comme une chose contingente à leur personnalité : en cela, ils agissaient simplement comme le fait toute classe qui se libère d’une chaîne et, alors, ils ne se libéraient pas en tant que classe, mais isolément. De plus, ils ne sortaient pas du domaine de l’organisation par ordres, mais formèrent seulement un nouvel ordre et conservèrent leur mode de travail antérieur dans leur situation nouvelle et ils élaborèrent ce mode de travail en le libérant des liens du passé qui ne correspondaient déjà plus au point de développement qu’il avait atteint [75].
Chez les prolétaires, au contraire, leurs conditions de vie propre, le travail et, de ce fait, toutes les conditions d’existence de la société actuelle, sont devenues pour eux quelque chose de contingent, sur quoi les prolétaires isolés ne possèdent aucun contrôle et sur quoi aucune organisation sociale ne peut leur en donner. La contradiction entre la personnalité du prolétaire en particulier, et les conditions de vie qui lui sont imposées, c’est-à-dire le travail, lui apparaît à lui-même, d’autant plus qu’il a déjà été sacrifié dès sa prime jeunesse et qu’il n’aura jamais la chance d’arriver dans le cadre de sa classe aux conditions qui le feraient passer dans une autre classe. Donc, tandis que les serfs fugitifs ne voulaient que développer librement leurs conditions d’existence déjà établies et les faire valoir, mais ne parvenaient en dernière instance qu’au travail libre, les prolétaires, eux, doivent, s’ils veulent s’affirmer en valeur en tant que personne, abolir leur propre condition d’existence antérieure, laquelle est, en même temps, celle de toute la société jusqu’à nos jours, je veux dire, abolir le travail [76]. Ils se trouvent, de ce fait, en opposition directe avec la forme que les individus de la société ont jusqu’à présent choisie pour expression d’ensemble, c’est-à-dire en opposition avec l’État et il leur faut renverser cet État pour réaliser leur personnalité.
Notes
Texte en rouge : Passage biffé dans le manuscrit Texte en bleu : En français dans le texte.
[68] A la place de ce terme, Marx emploiera plus tard celui d’associés (association au lieu d’union, etc.).
[69] Contre l’homme.
[70] En face de cette phrase, Marx a écrit dans la colonne de droite : Production du mode d’échanges lui même.
[71] Énergie personnelle des individus de différentes nations Allemands et Américains énergie déjà du fait du croisement de races de là les Allemands véritables crétins en France, en Angleterre, etc., des peuples étrangers transplantés sur un sol déjà évolué et sur un sol entièrement neuf en Amérique, en Allemagne la population primitive n’a absolument pas bougé. (M. E.).
[72] En face de cette phrase, Engels a écrit dans la colonne de droite : (Feuerbach : Être et Essence).
[73] Il s’agit du célèbre ouvrage de Jean Jacques Rousseau.
[74] La phrase qu’on rencontre fréquemment chez saint Max Stirner : “chacun est tout ce qu’il est grâce à l’État” revient au fond à dire que le bourgeois n’est qu’un exemplaire de l’espèce bourgeoise, phrase qui présuppose que la classe des bourgeois doit avoir existé avant les individus qui la constituent *. * Cette phrase est mise entre crochets par Marx qui remarque dans la colonne de droite : PRÉ EXISTENCE de la classe chez les philosophes.
[75] N.B. N’oublions pas que la nécessité du servage, pour exister, et l’impossibilité de la grande exploitation, qui amena la répartition des allotements * entre les serfs, réduisirent très vite les obligations de ceux ci envers le seigneur féodal à une moyenne de livraisons en nature et de corvées ; cela donnait au serf la possibilité d’accumuler les biens meubles, favorisait son évasion de la propriété du seigneur et lui donnait la perspective de réussir à aller comme citoyen à la ville ; il en résulta aussi une hiérarchisation parmi les serfs, de sorte que ceux qui s’évadent sont déjà des demi bourgeois. Il saute donc aux yeux que les vilains qui connaissaient un métier avaient le maximum de chance d’acquérir des biens meubles. (M. E.). * Parcelles
[76] Plus tard Marx, précisant cette notion de travail préconisera l’abolition du seul travail salarié.