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Les réformistes Dion et Platon, à l’œuvre à Syracuse pour détourner et empêcher la révolution sociale contre le dictateur Denys le jeune

vendredi 8 octobre 2021, par Robert Paris

Dion de Syracuse, celui qui ne voulait pas devenir un dictateur mais ne voulait pas non plus que le peuple travailleur dicte sa loi

Dion présente Platon à Denys le jeune

Les réformistes Dion et Platon, à l’œuvre à Syracuse pour détourner et empêcher la révolution sociale contre le dictateur Denys le jeune

On se souvient de la leçon que Platon a retenu de la condamnation à mort de Socrate est qu’il ne faut pas être révolutionnaire. Il attribuera même à Socrate l’idée qu’il vaut mieux subir l’oppression que la faire subir, ce qui nous semble tout à fait étranger aux conceptions de Socrate. En tout cas, il affirme que les révolutions ne portent aucun fruit comestible alors que les guerres sont très utiles. Pour que la cité soit bien gouvernée, il préconise qu’elle le soit par des hommes qui ont de solides connaissances philosophiques et se comportent en conformité stricte avec leurs idées. C’est à la fois une conception politique et morale.

C’est tout cela que nous allons le voir appliquer non seulement en termes d’enseignement dans son Académie, mais en grandeur réelle, dans une situation politique critique, lors de la chute d’une dictature, celle de Denys à Syracuse.

Le premier à disparaître est Denys l’ancien qui meurt de mort naturelle et cède la place à son fils, Denys le jeune. La dictature de Denys a été solide, établie avec l’aide de mercenaires étrangers, des Gaulois et bien d’autres, et elle a été solidement constituée par la capacité de Denys de tenir en respect les troupes carthaginoises. Denys a été très prudent, se préparant sans cesse contre toute conspiration et coup d’état, au point qu’il a tenu à l’écart des affaires publiques son fils Denys le jeune, qui devient chef d’Etat sans y être du tout préparé. Mais il a intronisé un jeune neveu appelé Dion comme son favori et ce dernier a eu une formation militaire, intellectuelle et politique. Et Dion a montré de grandes capacités intellectuelles et organisationnelles ainsi qu’une indépendance non seulement de sa famille de grands propriétaires nobles mais de la cour de Denys. Cette indépendance personnelle et intellectuelle lui a permis de prendre des leçons de philosophie auprès de Platon. Mais, comme on l’a dit précédemment, la philosophie de Platon, contrairement à celle de Socrate, ne consistait pas à armer idéologiquement des jeunes pour renverser la dictature. Il souhaitait non renverser les classes dirigeantes mais influencer certains éléments éclairés de celles-ci, ce qu’il va faire avec Dion puis, grâce à ce dernier, avec Denys le jeune.

Quand Denys le jeune succède à son père, il ne dispose au sein de Syracuse d’aucun soutien politique, social ou militaire, il n’a aucune expérience des affaires publiques, il n’a aucun poids personnel. Dion, lui, est un chef militaire et politique reconnu, et il l’est de nombreuses classes de la société, de la cour, de la garnison, de la noblesse, des petites gens. Cependant, pour des raisons de moralisme, Platon lui a conseillé de ne pas enlever le pouvoir à Denys le jeune mais de le former, de l’influencer, de l’éduquer politiquement et philosophiquement, ce que Dion va faire, mettant d’énormes efforts à aider Denys le jeune à devenir un vrai chef de l’Etat, conscient de ses devoirs et un vrai philosophe.

Au début, cela donne à Syracuse non pas une démocratie ou un régime de royauté constitutionnelle, ni quelque chose d’une royauté éclairée et populaire, mais quand même quelques mesures politiques sont prises, comme de libérer des prisonniers et de faire revenir des exilés, de revenir sur des mesures trop iniques, de surveiller toute la population et particulièrement la cour, etc. Un petit air de libéralisation souffle mais cela ne va pas durer énormément. Ces réformes ne touchent pas au fond même de la dictature or la population ne peut pas s’en contenter. Déjà elle ne supporte plus de dépendre des mercenaires étrangers et de leurs violences. Et surtout, elle ne supporte pas le gouffre béant entre richesse et misère, entre grands propriétaires terriens et paysans sans terre.

Pendant que Dion aidé bientôt de Platon, Dion ayant convaincu Denys le jeune de le faire venir pour en devenir l’élève en philosophie et en politique, discuter à perte de vue sur des constitutions, sur des conceptions philosophiques, sur des lois mathématiques, sur les lois philosophiques de Platon, sur la suprématie des concepts préétablis sur le monde réel, la population de Syracuse manque de tout. Les plus démunis ont des revendications précises dont, en premier, le partage des terres. Ni Dion, ni Platon n’ont nullement l’intention de soutenir cette aspiration. Le peuple veut qu’on renvoie les mercenaires. Ni Dion, ni Platon ne soutiennent cette revendication. Ils estiment que le peuple de Syracuse n’est pas préparé à la démocratie du type athénienne ou autre. Ils estiment avoir encore besoin des mercenaires.

Le réformisme de Dion et Platon signifie qu’ils n’ont pas confiance dans le peuple travailleur, même si ce dernier, du moins au début, leur fait une grande confiance et a même une grande admiration pour eux.

Non seulement Dion ne va pas renverser Denys le jeune et sa dictature, mais il va d’abord essayer de la fortifier, de la mettre en état de tenir le plus longtemps possible. Réformer est les maître-mot de Dion et Platon et ils l’opposent sans cesse à révolutionner, alors que le peuple opprimé souhaite de plus la révolution sociale.

Tous ces efforts pour concilier le peuple travailleur et le pouvoir ne vont pas désarmer les partisans d’une répression exercée par la dictature. Les mercenaires qui se savent menacés à court ou à long terme se révoltent les premiers et menacent Denys le jeune, lequel recule devant eux. D’autres chefs militaires comme le Grec Héraclide, dirigeant des armées, mènent leur propre guerre civile interne.

Finalement, Denys le jeune s’oppose lui-même à Dion qu’il oblige à s’exiler, Platon étant obligé, lui, de rester à Syracuse pour continuer la formation du dictateur.

Cette formation, loin d’en faire un chef d’état éclairé, obéissant à des principes moraux, ne lui donne que des moyens de se faire obéir mais pas de critères de vie plus moraux, et Denys sombre dans l’alcoolisme et la luxure et son régime avec.

La perspective qu’a tenté Platon, éduquer une chef d’Etat, a échoué et Dion suit alors ses amis qui préparent une force armée pour détrôner Denys le jeune.

Si les réformistes Platon et Dion rejettent la révolution sociale des opprimés de Syracuse, ils ne rejettent pas la guerre, organisée par des militaires, comme tous les réformistes qui ne sont contre la violence que lorsqu’elle est révolutionnaire.

A partir de ce moment, Syracuse va être l’objet de toutes les revendications militaires, de toutes les forces armées, sans que la population travailleuse qui se révoltait n’ait les moyens de s’organiser pour ses propres intérêts car ni Dion ni Platon, que le peuple travailleur de Syracuse soutenaient, ne le souhaitaient ainsi.

La population de Syracuse sera plusieurs fois massacrée, violée, violentée, ses maisons brûlées, ses femmes et enfants brutalement frappés sans que la société en sorte plus libre, plus démocratique, moins misérable et inégalitaire.

La solution consistant à rendre plus philosophe le dictateur a montré ses limites !

Le rejet de la révolution sociale, et notamment du partage des terres, a désarmé le camp de la révolution sociale. La popularité de dirigeants politiques soi-disant aux critères moraux et philosophiques élevés a trompé le peuple travailleur.

Dion a finalement gouverné et il a été lui aussi un dictateur, malgré les belles leçons de Platon mais il n’a pas défendu son régime par la force du peuple et il a été assassiné, laissant Syracuse aux mains de toutes les sortes de bandes armées.

La philosophie idéaliste de Platon n’a pas triomphé nulle part, aucun autre dictateur ou enfant de dictateur ne devenant platonicien, mais elle l’a emporté au sein du christianisme, de nombreux chefs de ce courant tirant du platonisme la philosophie chrétienne et cette dernière ne servira pas davantage à libérer exploités et opprimés de leurs chaînes…

Sources :

Vies de Dion et Timoléon de Plutarque

Lettres, La République et Le Banquet de Platon

Politique d’Aristote

Sur les forfaitures de l’Ambassade de Démosthène

Sur l’ambassade infidèle d’Eschine

Histoire, livres 15 et 16 de Diodore de Sicile

Le masque d’Apollon de Mary Renault

Lire aussi :

Lettres de Platon

Denys l’ancien

Denys le jeune

Platon

Dion de Syracuse

Platon et le christianisme

La République de Platon

Lettre de Platon

Platon, le rêve du roi philosophe

Le masque d’Apollon, Mary Renault

Mercenaires et partis politiques à Syracuse

Vie de Dion, par Plutarque

Comparaison de Dion et de Brutus par Plutarque

Dion, par Plutarque

Politique d’Aristote

Lettres de Platon, Dion et Denys

Autobiographie de Platon

Platon et Socrate

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