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Les guerres de religion en France et les luttes de classes

dimanche 25 juillet 2021, par Robert Paris

En Allemagne aussi la guerre de religion cachait une guerre de classes, bourgeoisie contre féodalité :

« Malgré les expériences récentes, l’idéologie allemande continue à ne voir dans le luttes du moyen-âge que de violentes querelles théologiques. Si les gens de cette époque avaient seulement su s’entendre au sujet des choses célestes, ils n’auraient eu, de l’avis de nos historiens et hommes d’État, aucune raison de se disputer sur les choses de ce monde. Ces idéologues sont assez crédules pour prendre pour argent comptant toutes les illusions qu’une époque se fait sur elle-même, ou que les idéologues d’une époque se font sur elle. Cette sorte de gens ne voient, par exemple, dans la Révolution de 1789, qu’un débat un peu violent sur les avantages de la monarchie, constitutionnelle, par rapport à la monarchie absolue (...) Les luttes de classes qui se poursuivent à travers tous ces bouleversements, et dont la phraséologie politique inscrite sur les drapeaux des partis en lutte n’est que l’expression, ces luttes entre classes nos idéologues, aujourd’hui encore, les soupçonnent à peine, quoique la nouvelle non seulement leur en vienne assez directement de l’étranger, mais retentisse aussi dans le grondement et la colère de milliers et de milliers de prolétaires de chez nous. Même dans ce qu’on appelle les guerres de religion du XVIe siècle, il s’agissait, avant tout, de très positifs intérêts matériels de classes, et ces guerres étaient des luttes de classes, tout autant que les collisions qui se produisirent plus tard en Angleterre et en France. Si ces luttes de classes avaient, à cette époque, un caractère religieux, si les intérêts, les besoins, les revendications des différentes classes se dissimulaient sous le masque de la religion, cela ne change rien à l’affaire et s’explique facilement par les conditions de l’époque. (...) Il est donc clair que que toutes les attaques dirigées en général contre le féodalisme devaient être avant tout des attaques contre l’église, toutes les doctrines révolutionnaires, sociales et politiques, devaient être, en même temps et principalement, des hérésies théologiques. Pour pouvoir toucher aux conditions sociales existantes, il fallait leur enlever leur caractère sacré. L’opposition révolutionnaire se poursuit pendant tout le moyen-âge. Elle apparaît, selon les circonstances, tantôt sous forme de mystique, tantôt sous forme d’hérésie ouverte, tantôt sous forme d’insurrection armée. (...) Les différentes classes qui adhèrent à ces idées [de la Réforme] ou les rejettent concentrent la nation, à vrai dire d’une façon tout à fait précaire et approximative, en trois grands camps : le camp catholique ou réactionnaire, le camp luthérien bourgeois-réformateur et le camp révolutionnaire. Si dans ce grand morcellement de la nation on trouve peu de logique, si l’on retrouve parfois les mêmes éléments dans les deux premiers camps, cela s’explique par l’état de décomposition dans lequel se trouvaient, à cette époque, la plupart des ordres officiels hérités du moyen-âge, et par la décentralisation qui, dans des régions différentes, poussait momentanément les mêmes ordres dans des directions opposées. Nous avons eu si souvent l’occasion, au cours de ces dernières années [écrit en 1850], en Allemagne, de constater des phénomènes analogues qu’un tel pêle-mêle apparent des ordres et des classes dans les conditions beaucoup plus complexes du XVIe ne saurait nous étonner. »

F. Engels dans « La guerre des paysans en Allemagne »

Les guerres de religion en France et les luttes de classes

Le protestantisme du point de vue matérialiste

Friedrich Engels

(extrait de Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande 1888)

« Le besoin de compléter l’Empire mondial par une religion universelle apparaît clairement dans les tentatives faites en vue de faire admettre à Rome, à côté des dieux indigènes, tous les dieux étrangers dignes de quelque respect et de leur procurer des autels. Mais une nouvelle religion universelle ne se crée pas de cette façon, au moyen de décrets impériaux. La nouvelle religion universelle, le christianisme, s’était déjà constituée clandestinement par un amalgame de la théologie orientale universalisée, surtout de la théologie juive, et de la philosophie grecque vulgarisée, surtout le stoïcisme. Pour connaître l’aspect qu’il avait au début, il faut procéder d’abord à des recherches minutieuses, car la forme officielle sous laquelle il nous a été transmis n’est que celle sous laquelle il devint religion d’État et fut adapté à ce but par le concile de Nicée. A lui seul, le fait qu’il devint religion d’État 250 ans seulement après sa naissance prouve qu’il était la religion correspondant aux conditions de l’époque.

Au moyen âge, il se transforma, au fur et à mesure du développement du féodalisme, en une religion correspondant à ce dernier, avec une hiérarchie féodale correspondante. Et lorsque apparut la bourgeoisie, l’hérésie protestante se développa, en opposition au catholicisme féodal, d’abord dans le midi de la France, chez les Albigeois, à l’époque de la plus grande prospérité des villes de cette région. Le moyen âge avait annexé à la théologie toutes les autres formes de l’idéologie : philosophie, politique, jurisprudence et en avait fait des subdivisions de la première. Il obligeait ainsi tout mouvement social et politique à prendre une forme théologique ; pour provoquer une grande tempête, il fallait présenter à l’esprit des masses nourri exclusivement de religion leurs propres intérêts sous un déguisement religieux. Et de même que, dès le début, la bourgeoisie donna naissance dans les villes à tout un cortège de plébéiens, de journaliers et de domestiques de toutes sortes, non possédants et n’appartenant à aucun ordre reconnu, précurseurs du futur prolétariat, de même l’hérésie se divise très tôt en une hérésie bourgeoise modérée et une hérésie plébéienne révolutionnaire, abhorrée même des hérétiques bourgeois.

L’indestructibilité de l’hérésie protestante correspondait à l’invincibilité de la bourgeoisie montante ; lorsque celle-ci fut devenue suffisamment forte, sa lutte contre la noblesse féodale, de caractère jusque-là presque exclusivement local, commença à prendre des proportions nationales. La première grande action eut lieu en Allemagne : c’est ce qu’on appelle la Réforme. La bourgeoisie n’était ni assez forte, ni assez développée pour pouvoir grouper sous sa bannière les autres ordres révoltés : les plébéiens des villes, la petite noblesse des campagnes et les paysans. La noblesse fut battue la première ; les paysans se soulevèrent dans une insurrection qui constitue le point culminant de tout ce mouvement révolutionnaire ; les villes les abandonnèrent, et c’est ainsi que la révolution succomba devant les armées des princes, lesquels en tirèrent tout le profit. De ce jour, l’Allemagne va disparaître pour trois siècles du rang des pays qui jouent un rôle autonome dans l’histoire. Mais à côté de l’Allemand Luther, il y avait eu le Français Calvin. Avec une rigueur bien française, Calvin mit au premier plan le caractère bourgeois de la Réforme, républicanisa et démocratisa l’Église. Tandis qu’en Allemagne la Réforme luthérienne s’enlisait et menait le pays à la ruine, la Réforme calviniste servit de drapeau aux républicains à Genève, en Hollande, en Écosse, libéra la Hollande du joug de l’Espagne et de l’Empire allemand et fournit au deuxième acte de la révolution bourgeoise, qui se déroulait en Angleterre, son vêtement idéologique. Ici le calvinisme s’avéra a être le véritable déguisement religieux des intérêts de la bourgeoisie de l’époque, aussi ne fut-il pas reconnu intégralement lorsque la révolution de 1689 s’acheva par un compromis entre une partie de la noblesse et la bourgeoisie. L’Église nationale anglaise fut rétablie, non pas sous sa forme antérieure, en tant qu’Église catholique avec le roi pour pape, mais fortement calvinisée. La vieille Église nationale avait célébré le joyeux dimanche catholique et combattu le morne dimanche calviniste, la nouvelle Église embourgeoisée introduisit ce dernier qui embellit aujourd’hui encore l’Angleterre.

En France, la minorité calviniste fut, en 1685, opprimée, convertie au catholicisme ou expulsée du pays. Mais à quoi cela servit-il ? Déjà à cette époque, le libre penseur Pierre Bayle était à l’oeuvre, et, en 1694, naquit Voltaire. La mesure draconienne de Louis XIV (révocation de l’Edit de Nantes) ne fit que faciliter à la bourgeoisie française la réalisation de sa révolution sous la forme irréligieuse, exclusivement politique, la seule qui convînt à la bourgeoisie développée. Au lieu de protestants, ce furent des libres penseurs qui siégèrent dans les assemblées nationales. Par-là le christianisme était parvenu à son dernier stade. Il était devenu incapable de servir à l’avenir de manteau idéologique aux aspirations d’une classe progressive quelconque ; il devint de plus en plus la propriété exclusive des classes dominantes qui l’emploient comme simple moyen de gouvernement pour tenir en lisière les classes inférieures. A remarquer que chacune des différentes classes utilise la religion qui lui est conforme : l’aristocratie foncière avec le jésuitisme catholique ou le rigorisme protestant, la bourgeoisie libérale et radicale avec le rationalisme ; et que ces messieurs croient ou non à leurs religions respectives, cela ne fait aucune différence.

Nous voyons par conséquent que la religion, une fois constituée, a toujours un contenu traditionnel, et aussi que, dans tous les domaines idéologiques, la tradition est une grande force conservatrice. Mais les changements que subit ce contenu ont leur source dans les rapports de classes, par conséquent dans les rapports économiques entre les hommes qui procèdent à ces changements. Et, cela suffit ici. »

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