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Quel crime contre les Protestants a été commis en France le 24 août 1572 ?
vendredi 21 août 2015, par
C’est la Saint-Barthélemy !!!
Au plus haut sommet de l’Etat, c’est à cette date que les classes dirigeantes ont décidé d’organiser depuis Paris un grand massacre de toutes les populations protestantes de France, un véritable génocide, un Rwanda. Elles l’ont fait pour des raisons qui ne sont pas religieuses, qui ne sont pas idéologiques mais sociales : le protestantisme représentait la poussée de la bourgeoisie s’appuyant sur les masses populaires contre la féodalité. Elles se sont appuyé sur le fait que la bourgeoisie de Paris, soutenue par le clergé et les masses populaires, était localement hostile au protestantisme.
Le cardinal de Lorraine préparant l’assassinat des Protestants : "Je voudrais qu’en ce jour ont nous eut accordé, le sang des Navarrois et celui des Condés"
Le Cardinal de Lorraine, bénissant les assassins de la St Barthélemy : "courez et servez bien le Dieu des nations Je repand sur vous tous, ses bénédictions. Si dans ce grand projet quelqu’un de vous expire Dieu promet à son front les palmes du martyre"
L’assassinat de Coligny
Le massacre systématique des Protestants de Paris
L’ordonnatrice du massacre, la reine-mère
Que s’est-il passé en France le 24 août 1572 ?
Jean-Marie Darmian écrit :
« Que s’est-il passé le 24 août 1572 ? Quel lycéen français, titulaire du bac, est capable de répondre à cette question. Lui a-t-on enseigné qu’il soit de confession musulmane, juive ou chrétienne les conséquences de l’intolérance criminelle découlant du fanatisme religieux exploité par les fous de dieux hypothétiques ? La Saint Barthélémy c’était il y a 452 ans en plein Paris… Au cours de cette nuit : les assassinats ciblés des chefs protestants se transforment en massacre généralisé de tous les protestants, sans considération d’âge, de sexe ou de rang social. Alertés par le bruit et l’agitation de l’opération militaire, les Parisiens les plus exaltés se laissent emporter par la peur et la violence. Ils attribuent à tort le trouble nocturne aux protestants et se mettent à les poursuivre, pensant agir pour la défense de leur ville. La tuerie dure plusieurs jours, malgré les tentatives du roi pour la faire arrêter. Enfermés dans une ville quadrillée par la milice bourgeoise, les protestants ont peu de chance de s’en sortir. Leurs maisons sont pillées et leurs cadavres dénudés et jetés dans la Seine. Certains parviennent à se réfugier chez des proches mais les maisons des catholiques tenus en suspicion sont également fouillées. Ceux qui manifestent leur hostilité au massacre prennent le risque de se faire assassiner. Le massacre touche également les étrangers, notamment les Italiens…Suivant un rituel purificateur, le cadavre de Coligny, retrouvé par la foule, est émasculé, plongé dans la Seine où il pourrit trois jours avant d’être pendu au gibet de Mont faucon. Il faudra vraiment attendre le siècle des Lumières en France pour que s’affaiblissent cette haine artificiellement entretenus par des prêches incendiaires. Que font de différent les bandits sanguinaires actuels au Moyen Orient et partout ailleurs ? »
Le grand génocide français du 24 août 1572
« Forts de deux mille hommes à peine, Condé et Coligny, en leur incrédible impavidité, s’en étaient venus bloquer dans Paris – ville immense tout entière gagnée aux papistes – les vingt-mille soldats du Connétable de Montmorency.
C’était merveille : la mouche assiégeait l’éléphant. Elle faisait pis : elle l’affamait. Pillant les villages (hors ceux de Sa int-Denis, de Saint-Ouen, et d’Aubervilliers qu’elle occupait), elle vidait les granges, arrêtait les charrois. Le pain de Gonesse n’entrait plus dans la capitale. Le marché de Saint-Cloud était vide, beurre et chair n’arrivant plus de Normandie.
Les trois-cent mille Parisiens, travaillés par la faim et plus encore aigris de haine par leurs stridents prédicateurs, rêvaient de courir sus à cette poignée d’effrontés huguenots dont l’audace moquait leur grand’ville. Mais le Connétable temporisait. Il ne voulait point encore engager le fer, non qu’il ménageât, comme on l’en accusait, Condé et Coligny, lesquels étaient pourtant ses propres neveux (beau symbole de cette guerre fratricide !) mais prudent à l’excès, et très insuffisant dans son outrecuidance, il désirait attendre l’arrivée des renforts espagnols avant d’attaquer.
Cependant, les Parisiens lui faisant des tumultes l’y contraignirent et, courroucé qu’ils lui eussent forcé la main, le Connétable, pour se revancher, plaça en avant-garde et devant même les Suisses, leurs corps de volontaires, gros bourgeois galonnés d’or et cachant leurs bedondaines sous des armes étincelantes. Coligny et ses maigres hères, vêtus de blanc, se ruèrent sur eux, les bousculèrent, les mirent en vaudéroute. Et refluant, nos gros compères jetèrent le désordre dans le rang des Suisses, ce que le Connétable, qui avait l’espri court, n’avait pas su prévoir. (…)
Le chef des armées royales tué, notre petite armée, trop petite pour vaincre, se retira, invaincue, à Montereau, où elle tâcha d’étoffer ses rangs, tandis que Paris, léchant les morsures des loups huguenots, travaillait à grossir les siens. Ainsi s’établit uen sorte de trève qui dura tout l’hiver, chacun des deux partis se fortifiant pour l’assaut décisif… Le printemps de l’an 1568 fut beau. Par malheur, il ne ravivait pas que la sève, il ravivait aussi la guerre que l’hiver avait endormie dans les boues infinies. Notre armée huguenote n’était plus réduite aux deux mille vaillants qui avaient fait si grand peur à Paris en osant l’assiéger. Grossie des deix mille reîtres et lansquenets que l’électeur Palatin lui avait dépêchés, ayant reçu de conséquents renforts du Rouergue, du Quercy et du Dauphiné, elle était forte de trente mille hommes que Condé et Coligny incontinent lancèrent sur Chartres, grenier et boulevard de la capitale.
Le Connétable mort, la Médicis avait confié à son fils chéri, à son mignon, à son petit cœur, le duc d’Anjou, le commandement de l’armée royale. Cependant, le trésor, comme à l’accoutumée, était vide. Et si les huguenots prenaient Chartres, que deviendraient les beaux blés de Beauce ? (…) La Médicis traita, et Condé, qui n’avait pas un seul sol vaillant pour payer les reîtres d’Allemagne, consentit à signer avec elle la paix de Longjumeau, laquelle n’était qu’une trompeuse trève, qui eut pu en douter ? L’encre du traité avait à peine séché que déjà, dans le royaume entier, les persécutions contre les protestants, ça et là, recommencèrent.
Le traité de Longjumeau fut signé le 23 mars 1568 et la guerre reprenait en 1570. Quand Tavannes (qui commandait les royaux du duc d’Anjou) apparut sur la rive droite de la Charente, au pont de Chateauneuf, Condé occupait Bassac et Coligny, Jarnac. Et l’Amiral, au lieu de se rabattre incontinent sur Condé, perdit un temps inouï à rappeler ses coureurs et quand enfin il dut combattre, Tavannes le pressant, il fut à deux doigts d’être accablé sous le nombre et appela Condé à l’aide. « La male heure, écrivit Rouffignac, voulut que ce Prince, en mettant le pied à l’étrier, eût la jambe cassée, le cheval de La Rochefoucauld l’ayant toqué du sabot – et tant cassé que l’os lui saillait hors de la botte. Il n’en voulut pas moins charger ; grimaçant, il se hissa à grand labour sur sa monture. » (…)
On sait la suite ; Condé soulagea fort Coligny, mais enveloppé par les profondes masses des royaux, isolé, son cheval tué sous lui, il s’adossa à un arbre et, jetant ses pirtolets inutiles, tira épée et dague, et bec et ongles se batit… Montesquiou, marchant à longues jambes, arma son pistolet sans dire mot ni miette, et passant derrière le Prince (qui avait été fait prisonnier par les royaux), lui cassa la tête, un œil lui pendant hors de l’orbite, la balle étant par là ressortie. Tuer un homme désarmé ! Un Prince de sang ! C’est vilainie ! Le commandement venait du ducd’Anjou de dépêcher à la chaude tous les capitaines huguenots capturés, et par-dessus tout, Condé et Coligny s’ils tombaient aux mains des royaux… C’était une odieuse meutrerie et par surcroît une faute car il eût été plus facile au Roi de s’entendre avec Condé qu’avec Coligny… Il n’y avait pas un sol en 1570 pour la terminaison de la guerre… Et voilà négociée, bâclée, conclue, la paix de Saint-Germain, une paix qui ne devait nullement empêcher la guerre de se rallumer entre papistes et huguenots…
Pour assister à la noce de sa sœur Margot et du Prince Henri de Navarre, marquant la réconciliation des huguenots et des papistes, le Roi avait convoqué à Paris tous les nobles de province, qu’ils soient catholiques ou de la religion réformée… Coligny passait alors pour être en grande faveur auprès de Charles IX… Mais, en réalité, la Médicis était l’âme de l’Etat, elle qui n’a pas d’âme. Paris déteste les huguenots. Le Guise intrigue. Les prêtres papistes hurlent contre les huguenots, les vouant à l’extermination.
Déjà, d’aucuns pensent que le Roi n’embrasse Coligny que pour mieux l’étouffer, et avec lui tous les nobles huguenots accourus à Paris pour les noces… Déjà les taverniers ont reçu commandement du Prévôt du Châtelet de s’enquérir curieusement des noms et demeures de ceux qui giteront chez eux, ainsi que de leurs chevaux et de leurs armes…
– N’est-ce pas émerveillable ? Tous les huguenots du royaume tremblaient au seul nom d’Henri II, et Paris ne lui obéissait pas !
– Paris est une rebelle et une maillotinière qui ne souffre ni frein ni loi ! Elle se prend pour le Roi même et n’appète que son bon plaisir, ne se plaisant qu’au désordre, aux tumultes et aux fornications ! Pour qu’elle fléchisse le genou, fût-ce devant le Roi, il faudrait lui tordre un par un ses trois cent mille cous ! (…)
Le roi est comme un toton qu’une main fait tourner qui cy qui là, mais toujours en ronflant, en s’encourrouçant, en jetant feu et flammes et tout soudain démordant, et faisant tout le rebours de ce qu’il a juré…
Pour le moment, Coligny a seul l’oreille du Roi. Il le séduit par son projet de guerre dans les Flandres où papistes et huguenots se jetteraient tous ensemble pour secourir la révolte des gueux contre l’Espagnol. Le Roi aime le rêve de ce fracas guerrier, lui qui pourtant ne peut tenir plus d’un jour à cheval sans toussir à mourir et raquer ses poumons.
J’observai que nous approchions de l’église Saint-Eustache, qu’y affluait un grand concours de peuple venant des rues circonvoisines.
– Ce Maillard, dis-je, est-il si docte ?
– Point du tout. Il n’est qu’un de ces milliers de prêtres et de moines qui façonnent l’opinion des Parisiens.
– Des milliers ? dis-je, béant. Y en a-t-il tant ?
– Ils pullulent ! Il y en a au moins dix par rue, et il y a quatre cents treize rues dans la capitale… Gardez-vous de sourire ou de rire, à ce que dira d’absurde ce Maillard : ses fidèles vous écharperaient….
Ha ! lecteur ! Le curé Maillard, quand il apparut en chaire ! Quelle basse et violente trogne il montrait à ses ouailles, le nez gros et comme lubrique, la bouche large et saignante, l’œil enflammé, les sourcils broussailleux, la peau rouge et boutonneuse et des mains de mazelier plus propres à manier le cotel de boucherie qu’à donner l’absolution.
– Ce jour d’hui, dit-il, l’œil baissé et d’une voix basse et sourde qui en son prêche allait soudain s’enfler comme un tonnerre, je parlerai des femmes et des hérétiques.
Ayant dit, il s’accoisa et parut prier, et encore que le peuple fût fort nombreux en l’église, il se fit un tant grand silence que vous eussiez pu ouïr fuser un pet de nonne.
– Ha ! femmes ! Ha ! filles ! Ha ! demoiselles ! dit le curé Maillard en martelant son pupitre du poing, vous ne vivez que de vanités et de lubricités, prenez garde ! Vous qui ne savez que faire pour induire les hommes en tentation ! Vous qui vous mettez sur la tête ces belles perruques et retepenades dont le cheveu blond s’éparpille et ondoye sur vos fronts emperlés ! Ha ! femmes que faites-vous ? Le Seigneur vous a donné un visage et vous vous en inventez un autre ! Le Seigneur vous a donné un corps et vous vous en façonnez un autre ! (…) Pour punition de vos vanités et débordements, les diables en Enfer vous mettront nues ; les diables mille et mille fois vous traîneront nues par tout l’Enfer, non devant un homme, mais devant cent mille qui à gorge déployée riront et se gausseront de vous, voyant vos hontes et vergognes. (…)
Il reprit de sa voix sourde :
– Si grands que soient les débordements des femmes, et si justes que soient les punitions dont elles seront dans l’Enfer impiteusement visitées, les une et les autres ne seront rien en comparaison des crimes affreux et répétés commis contre notre Sainte Mère l’Eglise, contre la benoîte Vierge Mère de Dieu, contre tous nos saints, contre Dieu même, par les sanguinaires suppôts de la religion prétendûment réformée. Ha ! mes frères ! Depuis un mois, on a vu ces huguenots maudits affluer par centaines, et encore par centaines, en cette Paris que voici, riant et ricanant comme diables cachés en alcôves adultères, pour assister à ce mariage infâme – je dis bien mariage infâme ! – qui doit unir, Dieu lui-même s’en voilant la face, une grande Princesse catholique, sœur de notre souverain, avec le faux et cauteleux renard réformé de Navarre. Ha ! ciel ! Peut-on unir l’eau et le feu en une union contre nature et, j’ose dire, prostituée ! Se trouvera-t-il en ce royaume un seul évêque renégat pour la célébrer, alors que s’y oppose de toutes ses forces notre Saint Père le Pape ? (…)
Ha ! frères ! Souffrirons-nous plus outre d’être empoisonnés en cette Paris que voici par ces hôtes indésirés qui, grouillant comme vers en charogne, s’introduisent en vos logis pour corrompre vos croyances et s’ils y faillisent, ne rêvent que de vous détruire tout à plein, et vos âmes, et vos corps. Ha ! mes frères ! Quel malheur est le vôtre s’il vous faut garder ce venin diabolique en l’estomac et le laisser gagner votre foie pour l’étouffer plutôt que de le raquer pour être allégés et guéris ! Ha ! mes frères ! Croyez-moi ! Il ne faut qu’un peu de cœur et de courage pour vous débarrasser à jamais de cette vermine foisonnante et mettre enfin à exécution l’œuvre de sainte extermination recommandée par le Saint-Père, laquelle vous mettra à jamais en repos, vous, vos femmes, vos enfants et les enfants de vos enfants. Ha ! mes frères bien-aimés ! Que si vous participez à cette bonne œuvre tout soudain vous saisissant du plus sacré des glaives pour extirper par ses humaines racines l’hérésie maudite de Dieu, alors je vous le dis, au nom de Dieu le Père, du Christ et du Saint-Esprit, votre salut sera à jamais assuré en le séjour des bienheureux et vous entrerez tout droit au Paradis, sans passer par le Purgatoire, le sang d’un seul hérétique, je dis bien d’un seul , vous purifiant de tous les péchés que vous aurez pu auparavant commettre. Oui, les bien-aimés frères, je vous le dis en vérité : eussiez-vous commis jusque la minute même où je parle toutes sortes de crimes, d’offenses, de paillardises et d’atrocités, eussiez-vous-même tué père, mère, frère, sœur et cousin, tous ces péchés vous seront remis quand vous armerez vos bras pour venger Dieu de ces méchants et sauver la Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine des puants hérétiques qui tâchent de la jeter bas. (…)
– Avez-vous bien ouï Maillard ? Un huguenot m’a prêté cent écus. Je l’encontre. Il me réclame son dû. Je l’occis. Ma dague devient dès lors « le plus sacré des glaives ». Et me voilà sauvé de la hart, absous, et promis sans purgatoire au séjour des bienheureux. Cuidez-vous que Maillard soit le seul à prêcher cette doctrine-là ? A la vérité, le huguenot a remplacé le juif dans la détestation de notre Sainte Eglise. « Tue ! Tue ! Tue ! » Voilà ce qui se dit et se crie, et se huche chaque dimanche en tous les prônes du royaume…
– Les huguenots, ils veulent nous supprimer tous nos saints !
– Nos saints ? dis-je, mais d’aucuns, même en l’Eglise catholique, opinent qu’ils sont trop…
– Des saints, il n’y en aura jamais assez !
– Et pourquoi donc ? dis-je béant.
– Pour ce que nous les chômons ! Et que ces bons saints (que le Seigneur Dieu et la benoîte Vierge les bénissent à jamais de leur bégninité !) allègent notre tant dur labour de cinquante-cinq jours l’an, nous donnant, bon mois, mal mois, autant de dimanches en plus. Ainsi en cet août que voilà, nous en avons trois (sans compter l’Assomption), saint Laurent, saint Pierre ès Liens et saint Barthélemy. Par malheur, la Saint-Barthélemy est un dimanche…
D’où je réfléchis que l’Eglise papiste, si tyrannique que se montrât son pouvoir, et parfois tant cruel et si excessive que fût sa complaisance à la superstition populaire, était peut-être mieux accordée aux besoins des pauvres que la protestante, leur apportant, de par les fêtes de ses inumérables saints, tout à la fois les réjouissances et le repos sans lesquels leur vis n’eût été qu’un trébuchant calvaire. Tant est qu’hormis même les prêches sanguinaires de ses curés zélés, on pouvait à la fin entendre pourquoi le petit peuple de Paris tenait les huguenots en si grande et stridente détestation : leur triomphe eût allongé de cinquante-deux jours par an son infinie géhenne.,
Catherine, la vraie souveraine du royaume depuis la mort d’Henri II, était sans zèle aucun. Nièce d’un pape tant mensonger en ses discours que personne ne le voulait croire quand il disait la vérité, on eût dit que ce Machiavel en cotillon avait en ses alentours gagné une intempérie qui ne se pouvait mieux désigner que par le mot « indifférence » et qui autour d’elle, de proche en proche, avait infecté toute la Cour. Catholicisme, Réforme, c’était tout un pour Catherine. Pour convaincre le cardinal de Bourbon d’officier le 18 août et d’unir Margot à Navarre, elle fabriqua une lettre de son ambassadeur auprès du pape, laquelle lettre annonçait faussement que le Saint Père baillait son autorisation à ce mariage « contre nature ». Il était si peu déconnu, en fait, que Catherine n’avait cure de l’hérésie de son futur gendre, que les curés et le peuple de Paris, qui la haïssaient, l’appelaient « Jézabel » et, la couvrant de boue, la vouaient aux gémonies.
Ce n’est point pour défendre une religion dont elle se souciait comme un poisson d’une pomme mais par calcul politique, pour engarder son pouvoir personnel contre Coligny qu’elle trébucha de par l’imprévisible concaténation des causes, du meurtre d’un homme au massacre le plus vil de notre Histoire. Quand Navarre, contraint de se renier après la Saint-Barthélemy, alla à messe pour la première fois, Catherine, tournée vers les ambassadeurs étrangers et les envisageant, rit à gueule bec, comme si l’horrible apocalypse que le royaume avait connu dans la nuit du 24 août n’avait été à ses yeux qu’une farce de batellerie, et la conversion d’un prince, acquise le cotel sur la gorge, un sujet d’immense gausserie…
Le 17 août eurent lieu les fiançailles de la princesse Margot et d’Henri de Navarre… et c’est sur l’estrade devant Notre-Dame que serait donnée la bénédiction, Navarre refusant à pénétrer dans la nef pour ouïr la messe…un grand
Le parvis de Notre-Dame, rehaussé d’une estrade, permettait au peuple de voir les princiers époux, le roi, la reine-mère et les princes… Entourant cette estrade, se tenait un très fort cordon de Suisses et de Gardes françaises, ceux du roi, mais aussi du duc d’Anjou, reconnaissables à leurs mantelets rouges…
Dans un grand remuement de pages et d’officiers et une grande vacarme de trompettes, de cloches sonnant à la volée et de coups de canon, le roi apparut enfin, donnant le bras à la reine-mère et suivi de sa reine, vêtu (je parle du roi) en satin jaune pâle, sur lequel un soleil avec ses rayons était figuré par des fils d’or soulignés de pierreries.
Catherine de Médicis, ayant pour une fois abandonné le noir qu’elle portait depuis la mort d’Henri II, se montrait somptueusement vêtue de soie bleue et couverte, je dis bien couverte, de pied en cap de ses célèbres joyaux florentins, les plus beaux de l’univers, lesquels jetaient mille feux de leurs mille facettes, à telle enseigne qu’elle paraissait ravir à son fils le soleil dont il était habillé, comme à la vérité elle lui avait ravi, depuis son couronnement, la réalité du pouvoir.
Derrière le roi, venaient ses frères, le duc d’Anjou et le duc d’Alençon, vêtus eux aussi de satin jaune pâle ainsi qu’Henri de Navarre qui les suivait, mais à vrai dire, je doute que le populaire, du bas de l’estrade, pût les voir tant le roi et ses officiers et la reine-mère, celle-ci entourée d’une bonne douzaine de dames d’atour (sur les quatre-vingt que comptait ce galant escadron), tenaient le devant de la scène.
Le roi et la reine-mère furent fort médiocrement salués par le peuple, lequel paraissait mi-grondant, mi-content, et comme partagé entre le plaisir que lui donnaient ces fastes royaux et l’âpre ressentiment de ce mariage « infâme » que le roi et sa mère lui avaient forcé dans la gorge au rebours de son estomac.
Cependant, ces maigres acclamations s’étoffèrent quand apparut, splendidement ornée, la princesse Margot, venant de l’Evêché où on murmurait qu’elle avait passé la nuit en de fort mauvais rêves (pour ce qu’elle aimait toujours son Guise) et que menait à la main le vieux cardinal de Bourbon, trompé ou feignant de l’être, par la dépêche de Rome fabriquée par la Médicis.
Marguerite de France était vêtue d’une robe de velours violet enrichie de fleurs de lys brodées à fil d’or, les épaules succombant sous le poids d’un magnifique manteau de velous dont la traînante queue longue de quatre aunes était soulevée par trois princesses ; sur le chef, une couronne impériale étincelante de perles, de diamants et de rubis, lesquelles précieuses pierres parsemaient aussi la petite corsette d’hermine qu’elle portait par-dessus sa robe et qui devait fort ajouter à la touffeur du jour, comme je m’apensais en lui voyant la sueur couler sur les joues tandis qu’elle restait immobile en son triomphe, fort applaudie par le populaiure et, cependant, l’air maussade et chagrin comme pour signifier urbi et orbi que ce mariage la ragoûtait peu.
A telle enseigne que le pauvre cardinal de Bourbon, pour la faire mouvoir plus outre, dut lui prendre la main et quasiment la traîner derrière lui comme une Iphigénie qu’on eût conduite au supplice. Voyant quoi, la plèbe croyant que Margot se rebèquait à marier un hérétique, et voyant du zèle là où il n’y avait que physique répugnance, redoubla ses vivats, tout ensemble s’atendrézant sur la triste fortune de la princesse et admirant ses magnifiques atours…
Cependant le roi qui, combien qu’il fût habillé en soleil, avait, dans le fait, un air fort éteint, dit d’une voix rogue en tournant la tête :
– Or çà ! Poursuivons sans tant languir ! Où est Navarre ?
On vit alors s’avancer Henri de Navarre en même temps que le duc d’Anjou, lequel le tenait par la main, et, pour ainsi dire, le menait à sa sœur pour la lui donner en mariage.
La vue du roi de Navarre hérissa tant le poil du populaire qu’on entendit comme un grondement, lequel, toutefois, rentra dans les gorges quand ont vit qui le flanquait, le duc d’Anjou venant immédiatement après le duc de Guise dans la faveur des Parisiens pour ce qu’il avait vaincu les huguenots à Jarnac et Moncontour. Tant qu’à la fin du fin, ne sachant plus s’il devait huer Navarre ou acclamer le duc, le peuple s’accoisa, fort interdit que le duc lui-même jetât sa tendre sœur en pâture à un suppôt du Diable.
Ledit suppôt, tandis qu’il faisait ses révérences et ses compliments au roi, à Catherine de Médicis et à sa future épousée (laquelle fut de marbre et ne répondit miette). Il était vêtu de satin jaune pâle, comme le roi et ses frères, et encore qu’à la prière de sa défunte mère, il eût fait pour ce mariage un grand effort pour « accomoder sa crasse », il faut bien confesser qu’il avait en sa tournure je ne sais quoi de truste qui sentait davantage le laboureur et le soldat que l’homme de cour. Mais combien que sa face, où trônait un nez fort long, ne fût point belle, il y avait en sa physionomie un air tout à la fois de fausse naïveté, de finesse et de gausserie…
Mais, lecteur, sans vouloir te donner offense si tu es de la religion du roi, qu’interminable malgré son faste me parut cette messe, laquelle dura quatre mortelles heures, à croire que les chanoines du sacré chapitre l’avaient tout exprès allongée pour picanier Navarre et les réformés, lesquels pendant ce temps marchaient qui cy qui là dans le cloître de l’Evêché, en butte aux grondements et huées du populaire qui, tout vaillants seigneurs qu’ils fussent, les eût accablés sous le nombre et à main nue déchiquetés, sans les Gardes françaises et les Suisses. Mais, d’après ce que j’ouïs plus tard, les paroles sales et fâcheuses prirent le relais et il n’est injure ni menace dont on ne les accablât et jusqu’à dire : « Ha ! Chiens d’hérétiques ! Méchants bougres ! Suppôts d’Enfer ! Vous ne voulez la messe ouïr ! Mais nous saurons bien vous y forcer ! » A cela, les nôtres, guère plus sages ni avisés, répondaient en gasconnant de gros gausseries sur Marie et les saints qu’assurément ils eussent mieux faits de tenir enfermées dans l’enclos de leurs dents, pour ce qu’elles portaient à tant de flammes la stridente haine dont ils étaient l’objet qu’on eût dit que le massacre allait incontinent saillir du pavé brûlant de Paris…
Pendant quatre jours et quatre longues nuits après le mariage de Margot, ce ne fut au Louvre que banquets, bals et festoiements…
Le 20 aoüt, sur une immense estrade érigée devant l’hôtel du Petit Bourbon, nos princes donnèrent une pantomine, laquelle nous resta fort au-travers de la gorge.
Une poignée de chevaliers maudits – Navarre, Condé, La Rochefoucauld – attaquaient le Paradis que figuraient douze gracieuses nymphes parmi lesquelles Margot et Marie de Clèves, l’épouse de Condé que le de duc d’Anjou aimait d’une chagrine amour. Des anges – à savoir le roin Anjou et Alençon – intervenant alors, défaisaient les méchants et les repoussaient en Enfer, à la senestre de l’estrade, où brûlaient, où brûlaient des feux de bengale en de sulfureuses vapeurs. Qoi fait, les anges dansaient avec les nymphes fort longuement, tandis que les diables tourmentaient les captifs, lesquels étaient à la fin pardonnés et délivrés, mais sur l’intercession des belles, et non point de leurs propres forces. Dénouement qui, en sa contrefaite douceur, ajoutait à l’outrage de l’allégorie.
Le 21, ce fut pis. Des Turcs, figurés, comme bien entendu, par Navarre et Condé qu’on avait grotesquement costumés, s’en prenaient à des mazones – que jouaient, le sein nu, le roi et ses deux frères – lesquels =, toutes femmes qu’ils fussent en l’occasion, les vainquaient en un tournemain…
Ce même jour, le père Victor faisait son prêche. Martelant des deux poings son pupitre, il parla deux grosses heures contre le mariage princier, impiété fameuse dont le châtiment visiterait non seulement « ceux qui l’avaient fait », mais hélas, le peuple entier. A la parfin, mettant en croix ses bras musculeux, et le col en arrière renversé, le père Victor envisagea le ciel comme s’il y puisait – quasi à la source même – une inspiration sacrée et s’écria d’une voix qui ébranla les voûtes :
– Dieu ne souffrira pas cet exécrable accouplement !
A quoi les fidèles qui l’avaient ouï, béants et le souffle suspendu, répondirent par un murmure d’assentiement qui, se gonflant de proche en proche, devint un grondement tant farouche et terrible que je ne peux mieux le comparer qu’à celui d’une meute de dogues à l’attache, tirant tous ensemble sur leurs laisses, la gueule large ouverte et les babines découvrant les crocs…
Rue de Béthisy, au fond d’une placette, s’élevait la maison que Coligny avait louée en Paris et qui appartenait aux Du Bourg, descendants du martyr huguenot supplicié sous Henri II. C’est là que l’Amiral venait de subir une arquebusade qui lui était tirée d’une maison qui s’élève contre le cloître de Saint-Germain. La balle frappa l’index de la main dextre, et plus bas et en oblique, la base de l’avant-bras senestre… Il y avait devant la maison et dedans une grande presse de gentilhommes du parti huguenot, tout fort indignés et échauffés de cet attentement et le clamant fort haut en français et en oc (beaucoup étant gascons ou de nos provinces du Midi), d’aucuns pleurant, et d’autres courroucés, la main sur la poignée de l’épée et criant qu’ils se revancheraient durement sur les assassins, qu’ils voulaient leur sang, qu’ils les tueraient tous !...
Chaque heure qui s’écoulait accroissait les périls… Paris bouillonnait et s’attroupait partout, on bravait les huguenots ou ceux qu’on prenait pour tels plus qu’à l’accoutumée, certains criant : « A la cause ! A Madame la Cause ! » : mots injurieux par lesquels le populaire désignait l’Eglise réformée…
Si le roi semblait n’être pour rien dans l’attentement comme sa visite au navré semblait le prouver, on ne pouvait être assuré d’autant pour Catherine et le duc d’Anjou dont, tout au rebours, on ne pouvait douter qu’ils tinssent l’un et l’autre l’Amiral en grande détestation, la première parce qu’il lui voulait dérober l’autorité qu’elle tenait sur son fils et dans l’Etat, le second parce que l’Amiral, craignant son pouvoir, le voulait voir régner en Pologne.
- Je suis bien aise, dit Catherine, que la balle ne soit point demeurée en la blessure, d’autant qu’il se peut qu’on l’ait empoisonnée.
La rumeur publique associait si volontiers à la Florentine le mot poison, comme on l’avait murmuré partout lors des mystérieux décès des deux frères de Coligny, Odet de Châtillon et d’Andelot, pour ne même point parler céans de Jeanne d’Albret, la reine de Navarre, si subitement morte au Louvre, après qu’elle eut signé le contrat de mariage d’Henri et de Margot, et aussi de l’attentement contre Coligny lui-même, quelques années plus tôt, par le moyen d’une poudre blanche que l’assassinateur avait failli à administrer…
L’Amiral, parlant à la reine-mère, mettait quelque raideur en sa courtoisie, comme s’il l’eût soupçonnée de ne point être si affligée qu’elle le voulait paraître. Tant est qu’il déclina tout à plein d’être transporté au Louvre, encore que le roi l’en priât aussi, disant qu’il était céans fort bien curé par les médecins et chirurgiens du roi, ce dont il remerciait mille et mille fois Sa Majesté. Là-dessus le roi, protestant derechef qu’il lui rendrait justice de ce lâche attentement, la reine-mère excessivement renchérit, disant bien haut que ledit attentement n’atteignait pas seulement M. l’Amiral mais que « c’était un grand outrage fait au Roi et que si l’on supportait cela aujourd’hui, demain on prendrait la hardiesse d’en faire de même dedans le Louvre »…
Le roi de Navarre, le prince de Condé et les autres princes de l’entourage de Coligny redescendirent dans la salle basse, d’où ils passèrent dans la chambre de l’enseigne Cornaton où se tint ex abrupto une sorte de conseil des principaux gentilshommes protestants…
M. de Guerchy déclara :
– J’opine que l’attentement contre l’Amiral est le premier acte d’une tragédie qui, en toute apparence, finira par le meurtre général de tous ses adhérents. Depuis le mariage du roi de Navarre, nous en avons reçu des avis de tous les côtés, et si clairs et si manifestes qu’il n’est que d’ouvrir les yeux et les oreilles pour les voir et ouïr. « Ce mariage », a prédit un personnage des plus conséquents de l’Etat il y a une semaine à peine, « fera couler plus de sang que de vin. » Et je tiens de sûre source qu’hier un président du Parlement a conseillé à un seigneur protestant de ses amis de quitter incontinent Paris avec les siens et de retirer pour quelques temps en sa maison des champs. En outre, M. de La Rochefoucauld pourra vous dire l’avertissement que lui a donné M. de Monluc avant son département pour la Pologne.
– Ha ! dit La Rochefoucauld, bien je me ramentois ce que Monluc m’a confié à l’oreille : « Quelques caresses qu’on vous fasse à la Cour, gardez-vous de vous y laisser prendre. Trop de fiance vous jettera dans de grands périls. Prenez du champ tant qu’il en est possible. »
– il n’est que de jeter un œil à l’alentour, reprit Jean de Ferrières, que voyons-nous ? Paris s’arme en tous quartiers, et si la populace nous court sus, que ferons-nous à cent contre un, les chaînes tendues aux ponts, les portes des murailles fermées, les places et carrefours occupés par les milices bourgeoises ?
– Que concluez-vous Ferrières ? dit le prince de Condé.
– Qu’il faut échapper à cette nasse ! dit M. de Ferrières avec véhémence, et sans délayer une minute : enlever sur l’heure l’Amiral en litière, monter à cheval et, tous l’épée au poing, saillir de Paris. (…)
A quoi je voyais que la majorité des seigneurs qui étaient là inclinaient, sauf, hélas, les plus conséquents : le gendre de l’Amiral et les deux princes de sang, Condé et Navarre – Navarre surtout, lequel étant beau-frère du roi, lui devait bien quelque ménagement, ce qui ne laissa pas de faire entendre.
– Départir de Paris, dit-il, avec cet accent béarnais qui prêtait telle rondeur à ses moindres propos qu’on eût cru ouïr des galets roulés par le flot d’un gave, départir de Paris n’est point facile pour M. l’Amiral. A quérir le congé du Roi, il ne l’obtiendrait pas. A ne pas le quérir, ce serait outrager le Roi. Et il en faudrait craindre les conséquences, et pour l’Amiral et pour la paix….
Alité, l’Amiral fut cependant interrogé et répondit :
– Ha ! Ma guerre des Flandres ! Y peux-je renoncer ? (…)
Assurément, c’était un grave et grand projet e détourner l’esprit rebelle, remuant et maillotinier des huguenots vers la guerre extérieure – au coude à coude avec les Français papistes – au lieu que de les laisser derechef se couper la gorge entre eux. Mais d’un autre cotel, n’était-ce pas chimère que d’attenter de persuader la Cour de soutenir par les armes contre Philippe II d’Espagne (le plus sûr rempart de la papauté) les geux protestants des Flandres ? Et n’était-ce pas chimère aussi, mais de toute autre sorte, d’essayer de détacher ce roi tant faible et léger de sa mère, au cotillon de qui il avait si bien cousu en ses enfances, et par elle et par les conseillers dont elle l’avait entouré ?
Coligny s’accoisait. Pour lui, départir de Paris voulait dire affronter le roi, perdre sa faveur, et perdre du même coup son grand dessein : réconcilier les sujets du royaume en une guerre qui abaisserait Philippe II. Je ne faillis pas toutefois à lui représenter les dangers qui s’accumulaient sur nos têtes, le piège où nous étions pris dans cette grande ville dont les mâchoires allaient sur nous se refermant, et qu’adonc on pouvait tout perdre, et point seulement notre cause, mais la vie même, à demeurer céans, tant il était tentant pour nos ennemis – tous les chefs huguenots s’encontrant resserés en ces murs – de gagner par surprise et sans frais une grande bataille dans Paris et de nous égorger tous dans cette embûche.
– je sais tout cela, dit Coligny. Que départe qui veut et à sa sûreté pourvoie. Quant à moi, je peux quitter cette vie : j’ai vécu assez.
Et, répondant à M. de Ferrières :
– Mon ami, je ne peux sortir de Paris sans réveiller la guerre civile et j’aime mieux mourir que de la recommencer. Mais, j’en suis assuré, je ne serai pas trahi. J’ai confiance en mon Roi.
Paroles fort nobles, assurément, mais où je trouvai – que mon Créateur me pardonne ! – un grain d’absurdité, étant bien manifeste à toute tête politique que la meurtrerie de l’Amiral et des siens n’éteindrait pas la guerre civile, mais lui fournirait, bien au rebours, une nouvelle raison de flamber jusqu’au ciel. Et quant à Charles, comment M. de Coligny, eût-il pu entendre la complexion de ce tortilleux ver de terre ?
Je m’avisai en rapportant tristement ce message de Coligny blessé au conseil des seigneurs protestants que cet homme de religion se confortait en une foi quasi religieuse en la parole du roi. Le souverain lui cachait l’homme, lequel était pourtant tant enfantin, inconstant et instable qu’il n’y avait pas à faire fond sur lui davantage que sur le sable mouvant…
Samedi matin, toutes les échoppes des marchands gardaient l’œil clos, n’ayant point ôté leurs paupières de chêne, et je ne laissais pas d’imaginer que derrière ces contrevents cadenassés, et ces portes si bien barrées, nos bourgeois, remparés et claquemurés, en étaient à fourbir leurs armes de milice, dans l’appétit où ils étaient d’une grande meurtrerie des huguenots et de la succulente pillerie de leurs biens, de leurs bijoux, de leurs vêtures, de leurs chevaux, car les huguenots n’étaient pas venus démunis au mariage princier, voulant faire honneur au roi en ces fastes et tenir bravement leur rang. Ha ! pensai-je, la bonne aubaine, quand la picorée et le meurtre deviennent – foi de prédicateur papiste ! – autant de reluisants mérites pour gagner le ciel ! (…)
– Tiens-tu donc qu’une émotion civile doive irrompre incontinent, dis-je à ma petite papiste.
– Qui ne le croit ? Vous connaissez mal cette grande ville que voilà. Céans au moindre souffle, les pavés d’eux-mêmes se déterrent, tant Paris est de sa complexion rebelle et maillotinière, dès lors qu’on lui veut faire avaler potage au rebours de son estomac. Or, oyez-moi bien, ceci n’est pas souffle, mais tempête. Nos bons curés nous le vont répétant depuis hier : ces chiens d’hérétiques se veulent revancher de la navrure de l’Amiral sur la maison des Guise, que tant nous aimons et vénérons pour ce qu’elle est le plus sûr bastion de la chrétienté. Raison pourquoi chacun ce matin s’arme dans sa chacunière, pour défendre les Guise et courir sus à ces démons. Benoîte Vierge ! A la première cloche, nous écraserons cette vermine !
– Quoi ? Vos voisins mêmes ?
– Nos voisins ? cria-t-elle, haussant le col comme pour raquer ses tripes. Qui voudrait des serpents pour voisins ? Ce que j’ai vu m’a fort réjoui. Sur les six heures, notre cinquantenier marquait à la croix de charbon blanc de certaines maisons en la rue Tirechappe où vivent ces suppôts, le dizenier les lui désignait un papier à la main.
– Cinquantenier, dizenier ? dis-je pour celer mon effroi. Qu’est-ce cela ? Que veut dire ce jargon ?
– Fi donc ! dit-elle avec un air d’immense piaffe. Ne les avez-vous donc pas en vos provinces ? Ce sont nos officiers de ville. Les quarteniers commandent les quartiers dont il y a seize en Paris et dans chaque quartier dix dizains, et dans chaque dizain, cinquante rues et ruelles, chacune commandée par un cinquantenier. Ainsi, nous avons nos chefs qui nous rassemblent et commandent, quand nous prenons les armes.
– Quoi ? Sans l’aveu du Roi ?
– Ha ! Il se pourrait que cette fois-ci on s’en passât, si ce petit reyet de merdre s’obstine à soutenir l’Amiral… Soyez assuré que si l’émotion civile éclate ce jour d’hui ou demain… on pourfendra jusqu’aux femmes et enfants de ces chiens de huguenots.
– Qu’oi-je de ta bouche ? Les femmes ? Les enfants ? Les tuera-t-on aussi ? N’est-ce pas infâme et impiteux ?
– Je le croyais aussi mais le curé Maillard dit que non et qu’il serait cruel, en l’occurrence, de ne pas ête inhumain, pour ce que Dieu même nous a commandé d’extirper une fois pour toutes cette maudite engeance de la surface de la terre, chiennes et chiots compris.
– Ces chiennes sont des femmes comme toi, ces chiots sont tout semblables à ton petit, sauf que celui-ci est catholique par la naissance, et que les autres enfantelets sont nés par hasard huguenots. S’il faut les occire pour cela, c’est qu’alors le Livre Saint se trompe et qu’Hérode a eu raison de massacrer les innocents !
– Mais, si nous ne les tuons pas, c’est eux qui nous tueront !
– Et comment le pourraient-ils, sotte caillette, étant si peu nombreux ? Le Roi au surplus contre eux, et les régiments du Roi ! Et le plus gros du peuple !
– Mais que font-ils eux-mêmes de nos enfantelets, sinon les occire en vos provinces, quand ils sont les plus forts ?
– Ha ! Il se peut bien qu’une bête féroce comme le Baron des Adrets ait commis ces horreurs, mais je ne les crois en aucune sorte générales, pour ce que j’ai vu de ces yeux que voilà la « Michelade » de Nismes, et encore qu’on y ait versé cruellement bien du sang catholique, on y a épargné au moins celui des femmes et des enfants !
– Quoi ! Te voilà défendant ces méchants hérétiques !
– J’ai de bonnes raisons pour cela ! Je suis un de ces chiens dont tu parles… Sache seulement que ma mère m’a élevé dans la religion catholique jusqu’à l’âge de dix ans et qu’alors je fus converti tambour battant à la religion réformée par mon père, raison pour quoi me voici de présent, à tes yeux, chien d’hérétique, suppôt d’enfer, vermine, serpent, gibier de bûcher, que sais-je encore ?
– Ha ! ne huche pas tant haut ! Ces murs ont des oreilles et si on t’oyait, tu serais sur l’heure mis en pièces par les voisins. (…)
L’Amiral avait bien reposé, sa fièvre était prou descendue et il attendait la venue d’Ambroise Paré pour refaire les pansements… Je contais ce que j’avais appris le matin touchant la façon dont les prêtres papistes agitaient Paris en faisant courre le bruit que les huguenots allaient attaquer la maison de Guise, et que Paris, en conséquence, s’armait derrière les contrevents clos, quarteniers et dizeniers marquant les maisons des nôtres.
– Ha ! dit M. de Ferrières, il est hélas bien manifeste que cette villasse va nous tomber sus et que pourrons-nous faire, étant trois mille et ces Parisiens, trois cent mille ? Les signes d’une proche tempête se vont d’heure en heure multipliant. Savez-vous que Montmorency qui, ès qualité de gouverneur de Paris, devrait l’ordre garder, vient fort opportunément de quitter la ville pour aller sa mère visiter.
– Mais je le croyais cousin de Coligny et fort ami de lui.
– Il l’est, mais il est aussi papiste, très ménager de la faveur du Roi et point du tout insoucieux de son avancement. Voyant le vent tourner, il a fui devant la tempête, ponce-pilatant le sang de l’Amiral… C’est demence de demeurer céans, fondant tout espoir sur la volonté du Roi, laquelle n’existe pas. Charles n’a jamais tourné un œuf en son Louvre sans que sa mère le sût. Et il ne met rien au feu que survenant, elle ne le lui dérobe et cuise le rôt à sa propre sauce.
Ambroise Paré, sur ces mots, survenant et l’Amiral ouvrant les yeux, on quit de lui qu’il voulût bien se lever et sur un siège s’asseoir, cette position étant mieux accomodée au pansement de ses navrures. A quoi il acquiesça d’une voix affermie, et, sans aide aucune, se leva et sur une escabelle prit place, la face pâle assez du sang qu’il avait de moins, mais les traits fermes. Les plaies étaient belles et nettes sans pus ni odeur, et il n’y avait rien à y reprendre, sauf à retirer deux ou trois esquilles d’os à celle du coude pour non point que les chairs en fussent infectées ; ce que Paré fit de ses pinces avec une admirable dextérité…
L’enseigne Cornaton me dit qu’on me voulait dans sa chambre où les principaux des chefs protestants s’étaient à nouveau réunis…
– Il est maintenant avéré, dit le doux et bénin Téligny, que l’arquebusade ne vient pas de la Cour pour ce que les juges commis pour informer ont arrêté l’homme qui tenait le cheval tout prêt pour l’assassinateur après son méchant coup. Et cet homme a avoué qu’il était aux Guise.
– Malgré tout, dit Geoffroy de Caumont, il se peut qu’il y ait eu plus d’une main à tremper dans cette meurtrerie. Savez-vous, Téligny, que l’arquebuse toute fumante que Guerchy a trouvée contre la fenêtre treillisée appartient à un garde du Duc d’Anjou. Ce garde l’eût-il prêtée sans l’aveu de son maître ?
– Le Duc d’Anjou n’est pas le Roi, dit enfin Téligny, et vous savez bien, tout le rebours, dans quelle détestation le souverain le tient. En vérité, je ne vois pas ce qui peut bien nous mettre en doute des bonnes dispositions de Charles à notre endroit. Je tiens de source assurée que le Duc de Guise et son oncle le Duc d’Aumale, se plaignant d’être iniquement accusés de la meurtrerie, lui ont ce matin demandé leur congé de quitter Paris, ce que le Roi leur a accordé roidement, et faisant fort le renfrogné.
– Ha ! dit Jean de Ferrières, les Ducs ont fait mine seulement d’abandonner la place, et sortant par la porte Saint-Antoine, sont rentrés en Paris par la porte Saint-Denis. Eussent-ils agi ainsi s’ils n’étaient pas assurés de grandes connivences à la Cour, lesquelles sont fort proches du Roi ? Et pourquoi sont-ils céans demeurés, sinon dans l’espérance de présider au grand carnage des nôtres sitôt que la Cour lâchera la laisse aux chiens courants. Je le quiers de vous : la Cour elle-même est-elle hors de nos soupçons ? On a vu ce midi nombre de crocheteurs transportant des armes depuis l’Arsenal jusqu’au Louvre autour duquel et dans lequel les régiments du Roi ont pris position. A quoi rime, pensez-vous, ce déploiement ?
– C’est sans doute, dit Téligny, que le Roi craint d’être attaqué en son Louvre par les bourgeois de Paris.
– S’arment-ils contre lui ou contre nous ? s’écria Jean de Ferrières, en levant les deux mains en l’air en son exaspération, tant il lui semblait que Téligny voulait faire à force forcée le rassurant et le modéré. (…)
Pendant ce temps, Navarre était au Louvre auprès du Roi. La garde-robe de Navarre – laquelle était séparée de ses appartements par une simple tapisserie – était garnie d’une bonne trentaine de gentilshommes protestants parmi lesquels je reconnus Piles, Paradaillan et Soubise… Ces gentilshommes se trouvaient là fort serrés, la plupart sur des escabelles assis, les genoux se touchant, d’aucun d’entre eux conversant, d’autres jouant aux dés et au tric-trac et se disposant à passer la nuit dans la gaîté et l’insouciance…
Sa Majesté avait averti le roi de Navarre de faire venir au Louvre tout ce qu’il avait de gens à lui, et gens d’une valeur éprouvée. Sa Majesté avait dit qu’il s’agissait de prévenir l’insolence des Guise qui, dans l’agitation des esprits, pourraient s’appuyer sur le peuple de Paris pour entreprendre quelque méchant coup. Pourtant, ce mensonge paraissait incrédivle tant bien remparé et en murs et en hommes et en canons qu’était Le Louvre ! (…)
Dès que Charles eut donné le signal de la meurtrerie générale en faisant donner la grosse cloche de Saint-Germain l’Auxerrois, M. de Nançay vint trouver ces malheureux en la garde-robe de Navarre et leur dit que d’ordre du roi, ils eussent à se rassembler dans la cour du Louvre. Ce qu’ils firent, sans méfiance aucune, cuidant que le château était attaqué par le populaire et que le souverain requérait l’appui de leurs bras. Mais à peine eurent-ils mis le pied dans ladite cour que, tout soudain enveloppés par les gardes, ils furent désarmés, poussés hors des murs, et assassinés. Quand vint le tour de M. de Piles, voyant le monceau de morts dont il allait augmenter le nombre, il s’écria :
– Est-ce là la parole du Roi ? Est-ce là son hospitalité ? Juste juge, vengez un jour une perfidie si odieuse ! (…)
Tous ces beaux gentilshommes ayant été de la sorte occis, les soldats les dépouillèrent de leur vêture – comme ils avaient fait sur le Golgotha pour le divin supplicié – et à grands cris se la disputèrent. Après quoi, ils coururent, haletants, vers d’autres meurtres et pilleries, laissant les pauvres cadavres nus sur le pavé, se promettant de revenir à eux au matin pour les jeter en la rivière de Seine, laquelle, en ces sinistres heures, devint le cimetière des huguenots massacrés.
A peine les soldats furent-ils partis que la reine-mère et ses dames d’atour vinrent, riant et caquetant, à la lumière des torches que portaient des valets, se repaître la vue de ces martyrs, Jézabel se faisant montrer entre tous le corps de Soubise qu’elle envisagea fort curieusement et de fort près, ainsi que ces dames, pour ce que son épouse l’avait réputé impuissant ; Ha ! lecteur ! est-ce là une reine de France ? ou une infernale succube couronnée ? Agrippa d’Aubigné n’errait pas quand il disait de Catherine de Médicis « Elle est l’âme de l’Etat, elle qui n’a pas d’âme ».
Ni âme, hélas, ni cœur, ni entrailles, et de remords cette serpente n’en eut jamais le moindre jusqu’à la fin de ses jours détestables, elle qui, pourtant, avait incliné par ses fallaces son faible fils à giboyer sur ses sujets…
Les portes de la ville étaient fermées. Les chaînes étaient mises aux ponts, lesquels étaient gardés, de surcroît, par les milices bourgeoises.
En descendant les grands degrés qui conduisaient à la cour du Louvre, je vis devant moi toutes les compagnies des gardes, tant suisses et écossaises que françaises, lesquelles, dans le peu de temps où j’étais resté dans la garde-robe, s’étaient déployées en bataille, armées en guerre et hallebarde au poing.
Navarre se rembrunit fort quand il vit, en arrivant rue de Béthisy, que le pavé devant le logis de l’Amiral était occupé par quarante arquebusiers de la Première Enseigne, lesquels s’accomodant pour leur corps de garde des deux boutiques qui s’encontraient là, avaient allumé devant elles, le jour tombant déjà, leurs falots de rempart comme s’ils se fussent disposés à passer la nuit.
– Ventre Saint-gris ! dit-il entre ses dents, je n’aime pas cela !
– Garde, qui te commande ?
– Le maître de camp Cossain, dit l’arquebusier.
– Cossain ! répéta Navarre, et il se renfrogna davantage. (…)
Guerchy, dit Navarre dès que nous fûmes hors d’ouïe, qu’est cela ? Que fait ici Cossain ?
– Il est là pour protéger M. l’Amiral d’une émotion civile….
– Mais qui protègera l’Amirak de Cossain ?
– C’est là tout justement le point, dit Guerchy. (…)
Ha ! lecteur ! Ce n’était point tant la peur de mourir qui me poignait en cette funèbre veillée – et funèbre elle l’était déjà avant même que le premier huguenot fût massacré – que le désespoir de nous sentir tant haïs par le grand nombre de ces bonnes gens, lesquels étaient membres d’une même nation que nous, sujets du même souverain, soumis comme nous à la même humaine condition, ébaudis des mêmes liesses, pâtissant des mêmes intempéries, mêmement effrayés des assauts de la vieillesse sur nos corps périssables, nos frères enfin, comme nous sommes les leurs à n’en point douter, et non point « ce rameau pourri de l’arbre France » qu’il fallait à force forcée retrancher, comme Jézabel disait au même instant au Louvre à son fils pour arracher à ses doutances le décret de notre mort.
– Oui dis-je, et dis-je encore, en tous points leurs frères et non ces êtres que les papistes en leur prèches insufférablement sous trayaient à la commune humanité, nous ravalant à l’état de « chiens », de « serpents » et de « vermine » que Dieu même commandait d’écraser. (…)
– Qu’est cela, La Bonne ? dit le ministre Merlin en se dressant sur son séant, l’air fort effaré.
– C’est Cossain qui requiert qu’on lui ouvre, dit La Bonne de sa voix douce et suave.
– N’ouvrez pas, La Bonne ! cria Merlin en se jetant de son fauteuil, et les yeux par uen soudaine terreir agrandis.
– La Bonne, dit alors l’Amiral, calme et composé comme à son ordinaire, ouvrez. C’est Cossain. Peut-être que le Roi est attaqué en son Louvre. Ouvrez, La Bonne et m’en donnez nouvelle…
La Bonne mit la clef dans la serrure, tourna et tirant la porte à lui, se trouva œil à œil avec Cossain qui, sans dire un mot, incontinent le dagua…
Déjà les gardes étaient dedans. Il y eut alors, nous sur les degrés et eux sur le bas, un beau chamaillis d’épées et de pertuisanes, d’autant qu’on savait à peine dans le semi-noir qui était qu’est-ce, le branle n’étant éclairé que par le falot des assaillants, la chandelle de La Bonne s’étant éteinte dans sa chute…
L’Amiral s’était levé pour ce que, je pense, il voulait mourir debout et se tenait accoté au mur, se ressentant assurément encore de sa navrure, mais l’œil serein, la mine tranquille et sans s’émouvoir autrement des furieux coups de hache que les gardes donnaient dans la porte de la chambre…
Cossain était parmi les cinq ou six qui étaient là mais quoiqu’il eût l’épée à la main et eût commandé l’assaut d’ordre du roi, il ne semble pas qu’il voulût être l’assassinateur, pour ce qu’il laissa passer devant (lui qui pourtant était si piaffeur) une sorte de reître qui, l’épieu à la main, hurla :
– Est-ce toi l’Amiral ?
– C’est moi, dit Coligny qui élevant son chandelier le plaça devant son visage.
– Ha ! traître ! dit l’homme en lui enfonçant son épieu dans le ventre…
A une toise, éclairés par un falot que tenait un valet, une troupe nombreuse se tenait, avec derrière eux le bâtard d’Angoulême et le duc de Guise, lequel levant la tête vers la fenêtre de l’étage, cria avec impatience :
– Est-ce fait Besme ?
– C’est fait, dit la voix du reître.
– M. d’Angoulême, reprit le Guise, ne le croira qu’il n’ait vu le corps à ses pieds.
Lequel corps, incontinent, fut défenestré par le reître que le duc avait interpellé et qui était, comme nous le sûmes depuis, un Allemand originaire de Bohême (raison pour quoi on l’appelait Besme) et domestique de la maison de Guise.
Le bâtard s’écria d’une voix forte :
– Mes amis, courrons partout achever une œuvre qui fut si bien commencée céans !
Un malheureux chut à moins d’une toise de nous dans les fanges, défenestré de l’étage d’un logis que les massacreurs avaient éventré, et d’où nous ouïmes crier à la mort des voix stridentes de femmes…
Les assassinateurs portaient un chiffon blanc au bras et une croisette au chapeau pour se mieux reconnaître. Les bandes de massacreurs hurlaient « A la cause ! ». Tapis dans une encoignure, nous regardions ces vaillants courir vers d’autres exploits – les cloches maintenant tues, mais de toutes parts retentissaient l’escopetterie, les coups sourds des madriers et des haches contre les huis défoncés, les courses haletantes sur le pavé, les huchements de mort des assassins rués à la curée, les cris de terreur des martyrs surpris en leur logis, s’ensauvant en chemise, repris impiteusement égorgés, dévêtus, mutilés, traînés par les fanges des rues.
C’est dans la rivière Seine qu’on noyait, morts ou vifs, les huguenots qu’on avait pris, d’aucuns traînés nus dans les fanges par des cordes passées sous les aisselles, d’autres menés là sous escorte, battus, assommés, dévêtus, jetés en l’eau…
Il n’était point aisé d’approcher du quai au Foin tant la presse était grande d’hommes et de garces, lesquelles, je le dis à vergogne, huchaient et huaient comme furies en Enfer.
Le lendemain, le Roi avait fait proclamer un ban à son de trompe, lequel commande aux manants et habitants de sa bonne ville de Paris de ne pas cacher, nourrir ou donner assistance aux hérétiques à la fuite, sous peine de perdre eux-mêmes la vie…
Le carnage se poursuivait en la capitale, bien que moins apparent, y ayant moins de gens à tuer. Quant à Navarre et Condé, sommés par le roi de choisir entre messe et mort, ils étaient quasiment prisonniers en leurs appartements, leur avenir précaireet leur garde dissoute. Et surtout des messages du roi, encore que successifs et se contredisant, étaient partis pour les provinces, commandant qu’on y massacrât les hérétiques, sans épargner personne, commandement obéi ou désobéi selon la complexion piteuse ou impiteuse des gouverneurs et des sénéchaux… Le pape, à recevoir la tête de Coligny, avait entonné un Te Deum en Saint-Pierre et fait allumer des feux de joie en Rome…
Je vis deux fois le bâtard d’Angoulême, à la lumière d’une torche en cette nuit sinistre de la Saint-Barthélemy, l’épée dégaînée et poussant du pied le cadavre de Coligny que ses assassins venaient de défenestrer de sa maison de la rue de Béthisy…
Le massacre des protestants lors de la Saint-Barthélemy à Paris, raconté ci-dessus est extrait de « Paris ma bonne ville », un des tomes de « Fortune de France » de Robert Merle.
Interprétations et explications
Comment expliquer le massacre des Protestants parisiens puis français ?
La Saint-Barthélemy et la bourgeoisie parisienne
Charles IX devant la saint-Barthélemy
Jacques Collin de Plancy, dans son célèbre Dictionnaire infernal (1863) :
« Les Matines de Paris, appelées de ce nom chez les protestants, sont ces sanglantes représailles que les Catholiques connaissent sous le nom de massacre de la Saint-Barthélemy, écrit Collin de Plancy. Représailles en effet, ajoute-t-il, comme il est facile de l’établir ; coup d’État politique où la religion ne fut pour rien, comme on l’a démontré ; horreur dans tous les cas, mais produite par d’autres horreurs qui la surpassent.
Ce massacre, qui a flétri le règne court de Charles IX, pauvre jeune roi mort adolescent, est pourtant un de ces faits historiques que l’on ne peut complètement apprécier que par des études nouvelles. Voltaire, dans les descriptions passionnées qu’il en a faites, n’a pas cherché pour coloris la vérité, mais l’intérêt de ses préventions ; et l’opinion s’est moulée sur les représentations que les ennemis de l’Église en ont habilement faites.
Mézeray — historien qui vécut au XVIIe siècle —, quoiqu’il ait peint avec une certaine énergie d’expression le roi Charles IX, de sa fenêtre du Louvre, canardant les protestants avec sa grande arquebuse à giboyer, n’avait vu, de ce grand coup d’État, que les superficies. Lorsque Napoléon (alors on ne l’appelait que Bonaparte) fut maître de Rome, il fit transporter à Paris les archives du Vatican, immense et précieux trésor qui, bien fouillé, pourrait changer en grande partie l’histoire moderne. Mais, pour explorer ce vaste amas de renseignements, il eût fallu une armée de chartriers et de savants sans préjugés.
Rien ne se fit, sinon quelques recherches isolées. Chateaubriand, entre autres, compulsa une partie des nombreux documents qui concernent la triste nuit du 24 août 1572. Plus tard, son ambassade à Rome lui permit de continuer ses investigations et le mit en possession des dépêches de Salviati, chargé d’affaires de la cour de Rome à Paris lors du massacre. « Ces dépêches, dit-il dans ses Études historiques, sont d’un grand intérêt. » Et il ajoute : « Je les publierai peut-être un jour, en y joignant, par forme d’introduction, l’histoire complète de la Saint-Barthélemy. » Ce travail n’a sans doute pas été fait.
Les Anglais ont chez eux, sur ce fait si saillant, de curieux détails qui manquent à la France. Ils ont compulsé aussi les archives du Vatican, ouvertes à tout le monde ; et, en attendant une histoire précise, un des hommes éminents qui enrichissent de travaux si remarquables la Revue d’Édimbourg, un protestant (notez bien ce point, précise Collin de Plancy), a publié sur le massacre de la Saint-Barthélemy, des données assez neuves.
Capefigue avait déjà éclairé la question, en faisant voir qu’avant le coup d’État du 24 août les protestants avaient fait un grand nombre de massacres plus horribles sur les catholiques. Dans un de ses livres, Balzac a bien établi comment, le 30 août 1572, si on ne les eût pas arrêtés le 24, les protestants enlevaient Charles IX dans une fête du Préaux-Clercs, et proclamaient la république. Mais suivons l’auteur anglais.
Avant d’aller plus loin, notons cependant que les protestants sont plus justes envers nous que nous-mêmes, quand ils veulent être de bonne foi, et qu’en Prusse, par exemple, on n’a pas permis les Huguenots de Meyerbeer, où l’on ne voyait qu’une calomnie exagérée.
Le massacre de la Saint-Barthélemy, dit l’auteur anglais en débutant, est encore un problème historique. Jamais événement ne justifia davantage le scepticisme de l’histoire. Remontez aux sources, écoutez les contemporains, ils ne s’entendent sur aucun point. Péréfixe, évêque catholique, qui n’avait pas intérêt à grossir le martyrologe protestant, élève très haut le nombre des victimes ; Sully, huguenot, en compte un tiers de moins ; de Thou, philosophe, moitié moins que Sully ; Papyre-Masson, deux fois moins que de Thou. L’abbé Caveyrac, qui avait longuement étudié la question, ne porte qu’à deux mille le nombre des protestants tués. Dans cette divergence de calculs, le chiffre que l’écrivain protestant paraît adopter est celui de l’historien de Thou : trente mille.
Mais ce point n’est qu’un accessoire. Une grande question se présente aussitôt. La Saint-Barthélemy a-t-elle été préparée et méditée de longue main ? A côté se lève l’opinion soutenue avec beaucoup de raison par le docteur Lingard, que l’égorgement fut un soulèvement populaire, une émeute passagère et violente ; que le roi, qui eut la main forcée, sanctionna de son autorité, après une longue résistance, pour satisfaire et assouvir la vengeance des masses fanatisées.
On ne trouve pas, dit Caveyrac, dans l’exécution de cette tragédie, l’uniformité de dispositions, la simplicité de plan qu’aurait exigées une préméditation. La cour, s’il en eût été ainsi, n’aurait pas manqué de faire massacrer tous les protestants le même jour dans toutes les villes de France. Au contraire, le massacre eut lieu à Paris, le 24 août ; à Meaux, le 25 ; à la Charité, le 26 ; à Orléans, à Saumur et à Angers, le 29 ; à Lyon, le 30 ; à Troyes, le 11 septembre ; à Bourges, le 11 ; à Rouen, le 17 ; à Romans, le 20 ; à Toulouse, le 23 ; à Bordeaux, le 3 octobre.
A voir ces différentes dates, dit l’écrivain anglais, on ne peut s’empêcher de penser que l’exemple du fanatisme assassin donné par les protestants n’ait fait naître l’assassinat de représailles, et le meurtre se répandit à travers la France comme une traînée de poudre qui s’enflamme sur la roule qu’elle parcourt. Nous pourrions exposer ici un tableau épouvantable des excès et des cruautés de tout genre commises par les protestants avant la Saint-Barthélemy et après.
Contentons-nous de citer, non les dévastations entières de villes et de cantons (ces détails seraient forcément trop longs), mais les quelques petits faits rassemblés par l’abbé Cazeaux, curé de Sufflenheim, et publiés simplement par le Moniteur catholique. Nous y ajouterons deux passages de Meyer (Galerie philosophique du seizième siècle).
« 1. Trente catholiques étaient renfermés dans la même prison à Angoulême. On en fit trois catégories : les uns furent attachés deux à deux, de manière à rester maîtres d’une partie de leurs mouvements, puis laissés sans nourriture, afin que, poussés par le désespoir de la faim, ils s’entre-dévorassent.
« Les autres furent appliqués longitudinalement sur un câble neuf fortement tendu, sur lequel on fit faire la navette à leurs corps, à la façon d’un rabot, jusqu’à ce qu’ils fussent sciés en deux.
« Ceux de la troisième catégorie furent liés à deux poteaux, près desquels on alluma un grand feu, qui était assez actif pour rôtir leurs corps et assez éloigné pour prolonger leurs souffrances, enrichissant ainsi sur le supplice de saint Laurent.
« 2. A Chasseneuil, près d’Angoulême, les huguenots plongèrent et replongèrent dans de l’huile bouillante les deux bras d’un prêtre nommé Louis Fayard, jusqu’à ce que la chair se fût détachée des os. Ensuite on lui infusa dans la bouche de cette même huile, et on l’acheva à coups de pistolet.
« Colin Gillebaut, prêtre, après avoir subi une honteuse mutilation, fut enfermé dans une caisse de bois dont le couvercle était percé de trous, par lesquels on fit tomber sur lui une pluie d’huile bouillante.
« 3. Maître (magister) Jean Bachellon fut condamné à se tenir sur un fer rougi au feu, et étranglé lorsque ses pieds furent entièrement consumés. Maître Octave Ronier fut ferré à la manière des chevaux, puis suspendu à un arbre où il servit de cible.
« 4. A Rivières, on arracha la langue à un prêtre en la tirant par une ouverture pratiquée sous le menton. A Saint-Macaire, on ouvrit le ventre à plusieurs prêtres, et on en tira les entrailles en les roulant sur un cylindre que deux hommes tournaient dans leurs mains. A Mancine, plusieurs prêtres furent enterrés vifs, et l’on hacha une foule de petits enfants catholiques par un procédé renouvelé d’Hérode. Dans une localité appelée urbs Vasatum (c’est Bazas, en Gironde), deux huguenots se saisirent d’une veuve catholique, et, lui ayant introduit dans le corps de la poudre à tirer, ils y mirent le feu et lui firent sauter le ventre.
« 5. A Montbrison, le baron des Adrets fit précipiter plusieurs catholiques du haut d’une tour, au pied de laquelle des soldats les recevaient sur leurs hallebardes. Plusieurs prêtres eurent le nez et les oreilles coupés et les yeux arrachés de leur orbite, puis laissés vivants. Un huguenot se fit et porta un collier composé en entier d’oreilles de prêtres. On ouvrit le ventre à un prêtre, et on y jeta de l’avoine, puis on amena un âne qui, en mangeant l’avoine, arrachait les entrailles de la victime.
« A Audenaerde, un homme vénérable, nommé maître Pierre, fut précipité dans une rivière, après qu’on lui eut lié ensemble, au moyen de nœuds coulants, les mains et les pieds derrière le dos.
« 6. Dans le voisinage d’Ypres, on enterra plusieurs prêtres jusqu’au cou, puis on lança contre leurs têtes les boules d’un jeu de quilles. Dans une autre ville des Pays-Bas, les huguenots firent souffrir toute une série de tortures au père Corneille Mussius, confesseur des religieuses de Sainte-Agathe. D’abord il fut suspendu par les poignets à une échelle, ayant deux poids énormes attachés aux gros orteils. Après ce supplice, on le remplit d’eau, au moyen d’un entonnoir placé dans sa bouche ; puis on lui frappa et comprima le ventre, pour en faire jaillir le liquide par toutes les ouvertures. Enfin, on le suspendit par les gros orteils, et, après qu’on l’eut écorché vif, on traîna son cadavre dans les rues.
« 7. Maître Jean-Jérôme fut traité avec une atrocité dont on devrait croire incapable l’homme le plus cruel. On le lia nu sur une table, et on lui posa sur le ventre un vase renversé, sous lequel se trouvaient des rats vivants ; puis on plaça du feu sur ce vase. Aussitôt que les rats sentirent la chaleur, ils devinrent furieux, et ne trouvant aucune issue, ils se creusèrent une retraite dans le ventre du malheureux Jérôme... »
Passons aux fragments conservés par Meyer, dans le chapitre VII de sa Galerie philosophique du seizième siècle ; ce sont les réactions, quelques-unes du moins, des protestants contre les catholiques :
Lettre écrite du Mans, le 26 juin 1588.
« C’est une pitié d’entendre et d’ouïr les désordres que font partout ici les troupes d’Épernon et Jarsai ; ils pillent, tuent, saccagent, ravissent, emportent les petits enfants du berceau, pour faire courir après les pères et mères, et extorquer leur rançon. Ils pendent les pauvres gens aux portes des églises avec leurs curés, tiennent les autres prisonniers, et leur coupent les oreilles : chose si commune, que nous ne voyons en cette ville que de pauvres gens se venir plaindre de pareilles cruautés. Dans un seul village, ils ont compté deux cents oreilles à la porte d’une église. Ils pillent les églises, ils enlèvent les ornements et calices d’argent. Ils menacent d’en faire autant à Paris et dans les autres villes.
« Ils n’en veulent qu’aux catholiques, on ne voit pas une seule maison de huguenots où ils aient seulement fait tort d’un poulet. »
Fragments d’une lettre du 18 juillet 1588, écrite du Maine.
« Les soldats attachaient par les oreilles les vaincus, les laissaient tirailler et languir, et puis, comme par grâce, les leur venaient trancher ; qui devenaient toutes sanglantes, et les pauvres hommes tombaient demi-morts d’un autre côté.
« Se jouant de la vie des pauvres catholiques, ils disaient aux uns : Je veux te montrer de quelle couleur est ta cervelle, et là-dessus lui fendaient tout le test en deux ; aux autres : Je veux le montrer comme on peut couper les deux yeux d’un seul coup ; ferme les yeux ; et à l’instant lui donnaient un grand coup de coutelas au travers de la vue, dont le test et la cervelle allaient d’un côté, et le corps tombait mort en terre... »
Papyre Masson, de Thou, Camille Capilupi, dont M. Aignan a traduit et publié l’apologie du 24 août 1572 dans sa Bibliothèque étrangère soutiennent que la préméditation a eu lieu. Voltaire s’est emparé de leur opinion ; il l’a étendue, appuyée. Il était payé par les Anglais pour glorifier la réforme dans sa Henriade, comme il le fut par les mêmes pour outrager la France dans la Pucelle, et par Catherine II pour faire de Pierre Ier un héros. L’opinion en question repose toutefois sur des vraisemblances, et Capefigue pense que « le projet de se défaire des huguenots par un moyen quelconque fut posé et peut-être convenu dans l’entrevue de Bayonne ».
A cette entrevue, en effet, il fut résolu, dit l’auteur des Mémoires de Tavannes, que les deux couronnes (espagnole et française) se protégeraient, maintiendraient la religion catholique, vaincraient leurs rebelles, et que les chefs des séditieux seraient châtiés. Le duc d’Albe, que l’on a si diversement jugé, avait recommandé surtout qu’on ne laissât échapper aucun des meneurs. Il avait répété son fameux mot, qu’il appliqua en Belgique aux comtes d’Egmont et de Horn, qu’une tête de saumon valait plus que cent têtes de grenouilles. Le Laboureur, dans ses commentaires sur Castelnau, dit aussi que « les huguenots étaient bien avertis de la trame qu’on brassait contre eux presque à découvert, depuis l’entrevue de Bayonne ».
Quoique prévenus, ils restaient en permanence de rébellion ; rien n’égalait leur insolence à la cour. On n’eût pas dit des hommes tolérés. Us exerçaient, dit l’écrivain protestant de la Revue d’Édimbourg, sur les catholiques du midi de la France les plus atroces cruautés. C’était de toutes parts assaut de crimes épouvantables. Qui l’emporta dans cette lutte ? A qui resta la palme de la barbarie ? En 1567 et 1569, les rues de Nîmes furent teintes littéralement du sang des catholiques. Rien de plus affreux que la Michelade, comme l’ont nommée les gens du pays, massacre exécuté par les protestants en 1567, avec une horrible régularité, le jour de la Saint-Michel.
« Les catholiques, enfermés dans l’hôtel de ville et gardés à vue, furent égorgés par leurs ennemis d’une manière qui ressemble tout à fait aux massacres de septembre pendant la révolution française. On fit descendre l’un après l’autre dans les caveaux les malheureux que l’on voulait mettre à mort, et que les protestants attendaient pour les tuer à coups de dague.
« On avait placé sur le beffroi et sur les fenêtres du clocher des gens armés de torches pour mieux éclairer cette boucherie, qui dura deux heures ; la plupart des victimes furent jetées dans un puits qui avait quarante-deux pieds de profondeur, plus de quatre pieds de diamètre, et qui fut comblé au point que l’eau, mêlée de sang, se répandait au dehors ; et longtemps après on entendait encore les cris étouffés et les gémissements des malheureux qui se trouvaient écrasés par les cadavres. On fil une recherche exacte dans les maisons catholiques. Cette tuerie dura de onze heures du soir à six heures du matin. »
« Les mêmes faits se reproduisent à travers la France entière, sans qu’on puisse affirmer que l’un ou l’autre parti ait pris l’initiative du meurtre. Là où le protestantisme se trouvait en majorité, comme à Nîmes, les catholiques succombaient. Là où les protestants avaient le dessous, comme à Paris, les catholiques se chargeaient de la vengeance. Maurevel tuait Coligny, Poltrot assassinait le duc de Guise. Contraints de s’armer et de se discipliner pour leur propre défense, les huguenots formaient un camp au milieu de la France.
« La position du trône et de la cour devenait insoutenable ; le roi ne représentait plus aucun des intérêts qui agitaient si violemment la masse. Le trône qui n’a de sympathie avec aucune des passions contemporaines est un trône impuissant ; et l’énergie royale s’efface quand les sujets se groupent pour défendre des passions et des idées étrangères ou hostiles aux intérêts monarchiques. C’est ce qui arriva sous Charles IX et sous Henri III. A droite et à gauche de la couronne royale s’élevèrent deux couronnes : celle du protestantisme, portée par Coligny ; celle du catholicisme, portée par les Guise. Dénuée de force, la cour s’arma de politique. »
On nous pardonnera ces citations ; elles étaient nécessaires. Nous adoptons la pensée de l’écrivain anglais, qu’il faut prendre un milieu entre les deux opinions qui ont jugé la Saint-Barthélemy : œuvre préméditée, mais faiblement exécutée par les passions populaires, qu’un moment de colère mit en mouvement.
Catherine de Médicis (autre proie de longues calomnies, que toutefois nous n’entendons pas défendre sans réserves), à l’entrevue de Bayonne, avait répondu au conseil du duc d’Albe d’exterminer les hérétiques, « qu’elle ne prendrait ce parti qu’à la dernière extrémité, et qu’elle essayerait d’abord de prévenir l’effusion du sang et de ramener les huguenots dans le sein de l’Église par la conciliation et la douceur ».
D’un autre côté, quand Charles IX apprit l’attentat de Maurevel sur Coligny, il jouait à la paume. Il s’arrêta hors de lui et s’écria : Par la mort ! ne serai-je donc jamais tranquille ! Lorsqu’on l’obséda pour ordonner le massacre, il résista longtemps, et dit enfin avec fureur : Puisque vous trouvez bon qu’on les tue, que du moins il n’en reste pas un seul qui puisse me le reprocher ! L’ordre fut obtenu. Mais était-ce là une préméditation froide ?
Quant à l’assertion que la nation entière, bien plus encore que la cour, a commis le crime, les pamphlets contemporains lui sont favorables. Le cri de joie poussé à cette occasion par la populace éclate dans plus de mille pages sanglantes en prose et en vers inspirés par cet événement. La Marmite renversée des hérétiques, la Juste Vengeance de Dieu sur les hérétiques, attestent la fureur des masses. Les gravures de l’époque sont dans le même sens. A entendre les complaintes populaires du temps, on voit que Charles IX n’a pas dirigé son peuple, mais qu’il a été entraîné par lui.
Voilà de graves matières à méditation. On trouvera dans la galerie de Meyer, que nous avons citée, des lettres de Charles IX qui peignent le caractère de cet enfant sous un jour favorable. Ce jeune roi était poète, et poète bien supérieur à Ronsard, à qui il écrivait, dans un style dont Ronsard aurait dû imiter le naturel et l’élégance :
« Tous deux également nous portons des couronnes ;
Mais, roi, je la reçois ; poète, tu la donnes... »
Parmi les anecdotes plus ou moins controuvées dont on a entouré l’histoire de cette déplorable tragédie, nous ne citerons aujourd’hui que la mort de Jean Goujon, l’illustre artiste, le Phidias français, le Corrège de la sculpture. C’était un catholique et un artiste, deux titres à la haine des huguenots, qui anéantissaient l’art partout, en poursuivant partout la foi romaine. Comme en travaillant au Louvre sur son échafaudage, il fut tué d’une balle partie on ne sait d’où, mais assurément d’une main ennemie des arts ou d’un cœur jaloux, et non d’une carabine catholique, et, comme le jour de sa mort était le 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy, on a trouvé bon de mêler ce fait au massacre qui avait eu lieu cette nuit-là.
Nous croyons qu’on peut redresser ce fait, aussi mal fondé que l’emprisonnement de Cervantes, attribué à l’inquisition.
Correspondance du roi Charles IX et du sieur de Mandelot, gouverneur de Lyon, pendant l’année 1572
Une thèse politique justificatrice du massacre des Protestants
Un exemple de l’autojustification des catholiques après les massacres
Un deuxième exemple accusant les Protestants de massacre
Un autre exemple de la part des historiens
La Saint-Barthélemy, drame de Charles de Rémusat
La Saint-Barthélemy, rapportée par un curé
La Saint-Barthélemy par Ponson du Terrail
Théâtre, Charles IX ou la Saint-Barthélemy
Les conséquences de la Saint-Barthélemy dans le diocèse de Bayeux
Les bandes fascistes catholiques génocidaires des Protestants parcourant les rues de Paris :
Messages
1. Que s’est-il passé en France le 24 août 1572 ?, 28 août 2015, 07:24
Tapez "24 août" dans google, vous ne débouchez pas direct sur le massacre de la Saint-Barthelémy !
Tapez "24 août" dans Matière et Révolution (recherche en haut à droite)...
2. Que s’est-il passé en France le 24 août 1572 ?, 16 octobre 2015, 07:32
Voltaire, Dictionnaire philosophique :
« Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. Guyon, Patouillet, Chaudon, Nonotte, l’ex-jésuite Paulian, ne sont que des fanatiques du coin de la rue, des misérables à qui on ne prend pas garde : mais un jour de Saint-Barthélemy ils feraient de grandes choses… Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait. »