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Le discours anti-paysan de Lutte Ouvrière n’a rien à voir avec le marxisme, qui voit cinq classes sociales dans les campagnes, dont une seule estl’ennemi du prolétariat

jeudi 29 février 2024

Dans son éditorial Renverser la dictature du capital ou la subir toujours plus et l’article Travailleurs des champs, travailleurs des villes  : sous le joug du capital de sa revue Lutte de Classe, Lutte Ouvrière fait des paysans de futures troupes du fascisme, troupes qui par contre ne pourront jamais, alliées au prolétariat, combattre le grand capital, comme cela eut par exemple lieu en Octobre 1917 :

Quant à Le Pen et Bardella, ils draguent les agriculteurs en leur parlant de souveraineté nationale. Plusieurs dirigeants de la Coordination rurale s’affichent pour le RN. Mais si Le Pen arrive au pouvoir, elle se soumettra comme les autres aux exigences des capitalistes et des financiers, oubliant les promesses faites aux agriculteurs comme aux travailleurs qui se laisseraient berner.

Cette idylle entre le RN et certains agriculteurs doit être un avertissement pour les travailleurs. Dans cette période où l’économie capitaliste s’enfonce dans la crise, les difficultés des petits agriculteurs, commerçants, artisans ne peuvent que s’aggraver et alimenter leur rage.

Encadrés par des démagogues d’extrême droite, ces petits patrons pourraient s’en prendre aux salariés qui ne travaillent « que 35h » ; aux chômeurs accusés de ne pas venir ramasser leurs pommes ; aux habitants des quartiers pauvres accusés d’être des assistés. S’en prendre aux travailleurs ne sauvera pas les petits patrons de la faillite, mais servira les intérêts des capitalistes.

Et encadrées par des ouvriers bolcheviks ? Que donneraient ces troupes ? Trotsky, chef d’une Armée rouge paysanne, dirigée par le prolétariat, n’a-t-il jamais existé ?

Certes le conditionnel "pourraient" est employé par LO, mais c’est un fatalisme pseudo-marxiste, l’attachement à la petite propriété, qui entraînerait les paysans, comme les artisans, du côté de la réaction :

Toutes ces contradictions font de ces petits patrons ou auto-entrepreneurs, enragés par leurs difficultés qui ne peuvent que s’aggraver dans cette période où l’économie capitaliste s’enfonce dans la crise, des forces potentielles pour agir sur un terrain extra-parlementaire  ; des troupes prêtes à faire le coup de poing contre des travailleurs en grève pour leur salaire, à s’en prendre aux chômeurs, accusés de ne pas vouloir travailler, ou à se mobiliser pour réclamer la réduction des droits sociaux, toujours trop coûteux à leurs yeux. La sympathie affichée pour le RN et les idées de souveraineté nationale par nombre d’agriculteurs mobilisés n’est pas anodine. Cela doit être un avertissement pour les travailleurs conscients.
(...)
le renversement du capitalisme, ne peut être portée que par ceux qui n’ont pas de propriété, de terres ou de petite entreprise à défendre, par ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre, c’est-à-dire les travailleurs salariés.

Ainsi, un glissement verbal fait des "petits agriculteurs, commerçants, artisans", les transforme en : "ces petits patrons ou auto-entrepreneurs". Du point de vue marxiste, un patron est un exploiteur de la main d’oeuvre salariées. Pour LO, cette catégorie de l’économie marxiste disparait, un "petit agriculteur" ou "commerçant" ou "auto-entrepreneur" qui ne vivraient que de leur travail sont mis dans le même sac qu’un patron qui a quelques salariés !

La distinction entre bourgeois et prolétaires n’existe pas pour LO dans les campagnes.

Lutte Ouvrière excite la rivalité des ouvriers contre les paysans, qui seraient "bien traités" par la police :

Cette révolte des exploitants agricoles a été traitée par le gouvernement avec une bienveillance qui tranchait avec la fermeté affichée face aux luttes des travailleurs salariés ou à la répression menée contre les gilets jaunes.

Rappelons que LO a dénoncé les Gilets jaunes, exactement comme elle dénonce actuellement les paysans. LO ne mentionne pas le récent mouvement de "luttes des travailleurs" des retraites, car justement, le gouvernement l’a très bien traité puisqu’il était encadré du début à la fin par les confédérations syndicales (CGT etc) autant dévouées à la bourgeoisie que la FNSEA.

Lutte Ouvrière organise un concours puéril entre ouvriers et paysans sur le thème : "qui produit le plus" :

Les agriculteurs peuvent affirmer avec fierté qu’ils nourrissent le pays. Mais, sans les ouvriers qui fabriquent tracteurs et moissonneuses, sans ceux des abattoirs, sans les camionneurs et les caissières, la nourriture n’arriverait pas dans les assiettes. Les travailleurs de l’agroalimentaire, de l’énergie, de l’automobile, de la santé… sont aussi indispensables à la société. Et sans les ouvriers, les hospitaliers, les maçons ou les agents du nettoyage, la société s’arrêterait brutalement.

Lutte Ouvrière néglige la question paysanne

Ces citations illustrent premièrement le peu d’intérêt que Lutte Ouvrière a pour le mouvement des paysans, alors que LO est en campagne électorale pour les élections européennes, appuyant sa campagne sur une brochure qui ne dit pas un mot sur les paysans !

Le mouvement des retraites de 2023, auquel LO a appelé les ouvriers à participer massivement, donnerait l’occasion de comparer les mouvements ouvriers et paysans, leurs liens. Pas un mot là-dessus ! Et cela de la part d’un parti qui se présente comme le seul digne de diriger la révolution. Mais LO devrait expliquer pourquoi ce mouvement a exclu les paysans.

La pseudo théorie de LO, comme quoi ce seraient les salariés et eux seuls qui produiraient toutes les richesses est jetée par dessus bord puisque LO reconnaît enfin que les paysans non salariés produisent eux aussi des richesses. La "théorie" de LO se transforme en : les salariés sont comme les paysans des producteurs de richesse (ce qui était déjà une évidence).

Les classes sociales à la campagne selon LO

LO décrit ainsi les classes sociales :

dans l’agriculture comme dans toutes les branches économiques, il y a des gros et des petits. Si les petits agriculteurs ont du mal à se verser un smic, malgré de lourdes semaines de travail, les gros sont de véritables capitalistes, à l’image d’Arnaud Rousseau, patron de la grande firme d’agroalimentaire Avril (Lesieur, Isio, Puget, etc.) et président du principal syndicat des exploitants agricoles, la FNSEA.

les "branches économiques" sont plutôt pour les marxistes de "secteurs du capitalisme". Les "gros" et les "petits", des classes sociales dans une revue qui se veut "théorique ! La distinction entre bourgeois et prolétaires sur laquelle s’appuie le marxisme est remplacée par celle des "gros" et des "petits". Et les "petits" sont réactionnaires car LO les transforme, on l’a vu plus haut, par la magie du verbe, en des "petits patrons".

La catégorie des "fermiers" n’apparait même pas dans ces textes ! Certes le termes de "ferme" est employé par LO, mais, faute de précision, dans le sens que lui donne un citadins qui en visite à la campagne voit des poules et des vaches près d’une habitation, et appelle cela une "ferme".

Or quand on se veut marxiste, quand on veut analyser l’agriculture comme une branche du capitalisme, cette classe sociale est centrale :

Le point de départ de la production agricole capitaliste est l’existence d’ouvriers salariés travaillant la terre pour le compte d’un capitaliste, le fermier, pour lequel l’agriculture est une branche spéciale de production permettant l’exploitation de son capital. Ce fermier-capitaliste paie à des échéances déterminées, annuellement par exemple, au propriétaire foncier, le propriétaire de la terre qu’il exploite, une somme d’argent fixée contractuelle ment (comme l’intérêt), afin de pouvoir appliquer son capital à cette production spéciale. Cette somme d’argent constitue la rente foncière, qu’elle soit payée pour une terre arable, un terrain à bâtir, une mine, une pêcherie, une forêt, et elle doit être acquittée pendant toute la durée du contrat par lequel le propriétaire foncier loue son fonds au fermier. La rente foncière est donc la forme sous laquelle se fait la réalisation économique, la, mise en valeur de la propriété foncière, et nous avons de nouveau devant nous les trois classes qui se trouvent en opposition dans le cadre de la société moderne les travailleurs salariés, les capitalistes industriels et les propriétaires fonciers.

Le Capital - Livre III § 6 : La transformation d’une partie du profit en rente foncière
Chapître XXXVII : Introduction

LO néglige complètement cette base de l’analyse marxiste. De plus dans le même chapitre Marx explique que le capitalisme dans l’agriculture a tendance à s’opposer à la propriété privée de la terre.

Une analyse plus directement politique est fournie par les Thèses sur la question agraire. On y retrouve pas une analyse en termes de "gros" et "petits", mais une distinction fondamentale encore d’actualité entre 5 classes.

Les 5 classes sociales des campagnes
Tout d’abord

1°) Le prolétariat agricole composé de journaliers ou valets de ferme, embauchés à l’année, à terme ou à la journée, et qui gagnent leur vie par leur travail salarié dans les diverses entreprises capitalistes d’économie rurale et industrielle. L’organisation de ce prolétariat en une catégorie distincte et indépendante des autres groupes de la population des campagnes (au point de vue politique, militaire, professionnel, coopératif, etc.), une propagande intense dans ce milieu, destinée à l’amener au pouvoir soviétique et à la dictature du prolétariat, telle est la tâche fondamentale des partis communistes dans tous les pays ;

Ensuite notre second allié

2°) Les demi-prolétaires ou les paysans, travaillant en qualité d’ouvriers embauchés, dans diverses entreprises agricoles, industrielles ou capitalistes, ou cultivant le lopin de terre qu’ils possèdent ou louent et qui ne leur rapporte que le minimum nécessaire pour assurer l’existence de leur famille. Cette catégorie de travailleurs ruraux est très nombreuse dans les pays capitalistes (..)

En organisant bien le travail du Parti communiste, ce groupe social pourra devenir un fidèle soutien du communisme, car la situation de ces demi-prolétaires est très précaire et l’adhésion leur vaudra des avantages énormes et immédiats.

Dans certains pays, il n’existe pas de distinction claire entre ces deux premiers groupes ; il serait donc loisible, suivant les circonstances, de leur donner une organisation commune ;

Organiser ensemble des salariés et des petits propriétaires ! Lénine et Trotsky seraient aujourd’hui exclus de LO !

La troisième classe sociale est également un allié potentiel du prolétariat :

3°) Les petits propriétaires, les petits fermiers qui possèdent ou louent de petits lopins de terre et peuvent satisfaire aux besoins de leur ménage et de leur famille sans embaucher des travailleurs salariés. Cette catégorie de ruraux a beaucoup à gagner à la victoire du prolétariat ;

Rappelons que les petits fermiers peuvent ne pas être propriétaires du tout. Mais Lénine et Trotsky basaient leur analyse sur celle de Marx que nous avons citée plus haut. La propriété de la terre ne joue pas le rôle central que LO veut lui attribuer.

La quatrième classe sociale n’est pas un ennemi irréconciliable, l’objectif est sa neutralisation :

4. Les « paysans moyens » sont au point de vue économique de petits propriétaires ruraux qui possèdent ou prennent à terme, eux aussi, des lopins de terre peu considérables sans doute, mais leur permettant quand même, sous le régime capitaliste, non seulement de nourrir leur famille et d’entretenir en bon état leur petite propriété rurale, mais de réaliser encore un excédent de bénéfices, pouvant, tout au moins dans les années de bonne récolte, être transformé en économies relativement importantes ; ces paysans embauchent assez souvent des ouvriers

(...)

Le penchant de cette couche de la population tantôt vers un parti politique, tantôt vers un autre, est inévitable et, probablement, sera-t-il au commencement de la nouvelle époque et dans les pays foncièrement capitalistes, favorable à la bourgeoisie. Tendance d’ailleurs fort naturelle, l’esprit de propriété privée jouant chez elle un rôle prépondérant. Le prolétariat vainqueur améliorera immédiatement la situation économique de cette couche de la population en supprimant le système du bail, les dettes hypothécaires et en introduisant dans l’agriculture l’usage des machines et l’emploi de l’électricité. Cependant, dans la plupart des pays capitalistes, le pouvoir prolétarien ne devra pas abolir sur le champ et complètement le droit de propriété privée, mais il devra affranchir cette classe de toutes les obligations et impositions auxquelles elle est sujette de la part des propriétaires fonciers ; le pouvoir soviétique assurera aux paysans pauvres et d’aisance moyenne la possession de leurs terres, dont il cherchera même à augmenter la superficie, en mettant les paysans en possession de terres qu’ils affermaient autrefois (abolition du fermage).

Toutes ces mesures, suivies d’une lutte sans merci contre la bourgeoisie, assureront le succès complet de la politique de neutralisation.

La propriété de la terre n’est donc pas un obstacle à cette neutralisation, et cette propriété qui entraine les paysans moyen du côté de la réaction sera pourtant consolidée par un pouvoir prolétarien ! On comprend pourquoi LO ne cite pas Lénine et Trotsky, qui par avance, signalons-le au passage, dénonçaient la collectivisation que Staline mettra en place : C’est avec la plus grande circonspection que le pouvoir prolétarien doit passer à l’agriculture collectiviste, progressivement, à force d’exemples, et sans la moindre mesure de coercition à l’égard des paysans « moyens ».

La seule classe ennemi irréconciliable est la 5ème :

5. Les paysans riches et aisés sont les entrepreneurs capitalistes de l’agriculture ; ils cultivent habituellement leurs terres avec le concours des travailleurs salariés et ne sont rattachés à la classe paysanne que par leur développement intellectuel très restreint, par leur vie rustique et par le travail personnel qu’ils font en commun avec les ouvriers qu’ils embauchent. Cette couche de la population rurale est très nombreuse et représente en même temps l’adversaire le plus invétéré du prolétariat révolutionnaire. Aussi, tout le travail politique des partis communistes dans les campagnes doit-il se concentrer dans la lutte contre cet élément, pour émanciper la majorité de la population rurale laborieuse et exploitée, de l’influence morale et politique, si pernicieuse, de ces exploiteurs ruraux..

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