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La question du programme international du communisme révolutionnaire

mercredi 12 juin 2024, par Robert Paris

La Question du Programme de l’Internationale Communiste

(Remarques préliminaires)

Karl Radek

Karl Radek, « La Question du programme de l’I.C. » Bulletin communiste, n° 14 ; 5 avril
1923, pp. 126-128.

Contrairement à ce que pensent certains imbéciles, les membres du Parti bolchevik ne
subissent pas la règle du perinde ac cadaver ("[well-disciplined] like a corpse") ; ils
discutent au contraire avec passion toutes les questions posées par le mouvement
révolutionnaire. Au 4° Congrès mondial, Boukharine et Radek se trouvèrent
momentanément en désaccord sur le point de savoir si le « programme de transition »
devait trouver place dans le Programme général et théorique de l’Internationale : la
délégation russe, après un copieux débat, donna tort à Boukharine, qui le prit de fort
bonne humeur. Ces « remarques préliminaires » de Radek, écrites pour l’intimité du
Congrès et non destinées à la publicité, aideront nos camarades à s’orienter dans la
discussion.

A la première séance de la Commission du Programme, une discussion générale eut lieu
sur la question de savoir si un programme de l’Internationale Communiste est possible et
nécessaire, ainsi que sur les points qu’il devait contenir. J’ai essayé rie présenter mon point
de vue par des remarques introductives. Naturellement, elles ne pouvaient avoir la forme
précise d’un exposé écrit. Les explications qui suivent sont plus exactes que ne peut l’être la
parole, mais l’argumentation n’en est pas assez ample ni détaillée, défaut qui sera réparé par
un article de l’Internationale Communiste. J’envoie ces remarques aux membres de la
Commission du programme et aux camarades qui avaient demandé à la rédaction de
l’Internationale Communiste de se prononcer au plus tôt dans ses colonnes sur cette
question de la plus haute importance. Ces remarques ne sont pas destinées à la publicité,
mais elles doivent accélérer et faciliter la discussion de la Commission du Programme en
formulant nettement une nuance des conceptions.

Un programme de l’Internationale : est-il possible et nécessaire ?

L’Internationale n’a point jusqu’à présent de programme écrit, c’est-à-dire de formule de
ses conceptions générales des forces actives de l’évolution du capitalisme au communisme
et de la voie que le Comintern se propose de suivre : elle a cependant précisé son point de
vue, le définissant clairement dans beaucoup de résolutions isolées. Il suffit de rappeler les
thèses de Lénine au premier Congrès du Comintern, l’appel-programme du même Congrès,
les thèses du deuxième sur le parlementarisme, sur les syndicats et le rôle du Parti, les
thèses du 3e Congrès sur la tactique. Dans la mesure où il est donc question de la conception
générale de révolution du capitalisme au Communisme, nous n’avons plus qu’à codifier, à
réunir ; ce travail est nécessaire et doit être accompli. Il est d’ailleurs facile, car les questions
relatives au caractère général de l’époque de la révolution sociale ne provoquent pas la
moindre divergence dans nos rangs.

Mais on n’aura fait ainsi que le plus facile du travail. Tous les Partis Communistes se sont
rendu compte, au cours de leur pratique, que les conceptions générales de l’époque ne
suffisent guère ni dans leur agitation et leur propagande, ni dans leur action politique.
L’époque de la révolution sociale sur l’échelle mondiale, époque qui durera
vraisemblablement des dizaines d’années, ne permet pas, ne serait-ce que par sa durée, de
se contenter des perspectives générales ; elle place les Partis Communistes devant un
certain nombre de questions concrètes qu’ils avaient résolues jusqu’à présent d’une manière
purement empirique ; telles sont les questions économiques et politiques comme, par
exemple, l’attitude à l’égard de la défense de la démocratie bourgeoise, à l’égard de la
politique économique et des impôts de la bourgeoisie, à l’égard de la politique mondiale du
capitalisme. (Voyez les différends entre les Partis français et allemand sur la question des
réparations, la question de la politique étrangère de la Russie Soviétique.) Sons toutes ces
questions, il y a celle du caractère particulier de la phase actuelle du développement de la
révolution mondiale, celle de savoir si nous devons lancer des revendications de transition
qui ne concrétisent nullement la dictature du prolétariat, comme, par exemple, les
revendications concrètes du programme de Spartacus, mais qui doivent mener la classe
ouvrière à la lutte qui n’aura pour but direct la Dictature qu’après avoir été approfondie et
généralisée. Pouvons-nous résoudre ces questions d’une manière générale valable pour tous
les pays, ou cela est-il impossible en raison de la différence des conditions ?
Il n’y a pas le moindre doute que si le développement mondial suit une direction générale
unique, permettant facilement de caractériser la voie générale du capitalisme au
communisme, il se réalise cependant en des conditions toutes spéciales dans les diverses
parties du monde. Les différents pays se trouvent à des degrés variés du développement de
la révolution mondiale, ils placent les Partis Communistes devant des tâches diverses.
Autre est la situation des Partis Communistes en Amérique et en Angleterre, autre en
Allemagne, en Italie, autre encore en France, dans les pays Scandinaves, dans les pays
balkaniques et autres, enfin, en Russie soviétique. Il est clair qu’il est impossible d’établir
dans tous leurs détails les mots d’ordre de combat pour tous ces pays, de se servir, dans toute
situation, des mêmes revendications comme d’un levier pour la mobilisation de la classe
ouvrière. Mais, en principe, les questions qui se posent devant les Partis Communistes dans
tous les pays, sont les mêmes. Ce sont celles de savoir :

1° Pouvons-nous lancer aux gouvernements bourgeois des revendications de transition
qui ne correspondent pas du tout à ce que nous exigerions si nous tenions le pouvoir en nos
mains ?

2° Quelle attitude devons-nous avoir à l’égard des questions du capitalisme d’Etat,
qu’elles surgissent grâce aux tendances monopolisatrices des trusts capitalistes ou grâce à
notre lutte défensive contre les nouveaux impôts (par exemple, le mot d’ordre de saisie de
l’or en Allemagne) ou, enfin, grâce à notre lutte contre l’abaissement des salaires ?
(Revendication du pool national dans les mines anglaises, en réponse à la tentative des rois
du charbon de réduire les salaires selon le profit de chaque mine.)

3° Quelle doit être notre attitude devant l’offensive de la réaction ? Ici se pose la question
de la coalition ; nous repoussons la coalition avec la grande bourgeoisie, mais la repoussons-
nous aussi avec le paysan, qui lutte contre la bourgeoisie de la ville, comme par exemple en
Bulgarie, quoiqu’il ne s’agisse nullement d’un paysan mi-prolétarisé ?
La question du front unique, c’est-à-dire, politiquement parlant, du bloc avec les Partis
social-démocrates et les syndicats, ainsi que la question du gouvernement ouvrier, rentrent
dans ce chapitre. On pourrait énumérer toute une série de questions analogues, par
exemple la question militaire, extrêmement différente dans les divers pays ; toutes, elles
soulèvent la question de savoir si, outre les revendications générales économiques de
transition de capitalisme d’état et de contrôle de l’industrie par les organisations ouvrières, il
convient d’établir aussi des revendications politiques correspondantes de transition telles
que celle de gouvernement ouvrier.

On répond souvent que ce sont là des questions de tactique et non de programme. Nous
n’acceptons pas cette réponse. Une séparation aussi tranchée des questions de tactique de
celles de programme constituaient jusqu’à présent une des caractéristiques de
l’opportunisme, qui veillait volontiers à la « pureté » du programme pour se permettre
toutes sortes de saloperies sur le terrain du travail pratique, rendant ainsi le programme
illusoire et sans force.

L’attitude de la classe ouvrière à l’égard des autres classes ou celle de l’avant-garde du
prolétariat, du Parti à l’égard de la classe ouvrière en général, voilà des questions de
tactique. Si la tactique ne doit pas dégénérer en un empirisme plein de contradictions, il faut
la baser sur une conception claire de la spécificité de la situation générale, dans laquelle se
trouve le Comintern dans la période donnée entre la deuxième et la troisième vague de la
révolution mondiale.

Notre programme doit donc fournir au Comintern, dans son ensemble et à ses divers
Partis, la possibilité de prendre sans hésitation une attitude conforme aux principes, c’est-à-
dire aux intérêts généraux de la classe ouvrière dans les questions concrètes, qui se
modifient, surgissant sous une forme toujours nouvelle.

Et il n’en sera ainsi que si, outre la caractéristique générale des tendances menant au
communisme, on présente, après la caractéristique de notre premier grand but de la
dictature du prolétariat et du régime des Soviets, un tableau concret du développement de la
révolution mondiale, des questions soulevées par elle.

Dans ce tableau doivent être caractérisées les tendances contradictoires ; les types et les
formes concrètes dans les divers pays ou groupes de pays ne doivent pas seulement être
indiqués par leurs noms communs, il faut, au contraire, les décrire aussi dans leurs
particularités. De la sorte, le terrain sur lequel surgissent les questions de transition serait
clairement préparé et la méthode pour leur solution serait indiquée. Et, alors, il ne resterait
plus, dans le programme, à prendre une attitude que sur les principales questions concrètes
indiquées plus haut. Cela suffirait parfaitement pour donner aux Partis Communistes un fil
d’Ariane leur permettant de trouver la sortie du labyrinthe des tendances contradictoires,
des situations changeantes. Nous en venons ainsi à la réponse : ce n’est pas seulement la
caractéristique des tendances générales menant du capitalisme au communisme qui est
possible et nécessaire, mais aussi la caractéristique des voies particulières du
développement et des questions spéciales devant lesquelles il place des Partis Communistes.

Le contenu concret du programme de transition

Lorsqu’on aura non seulement décrit, mais aussi analysé le cours suivi jusqu’à présent par
la révolution mondiale, il faudra encore établir les principaux mots d’ordre qui constituent,
dans cette période de transition, comme les moyens de la mobilisation des masses ouvrières
en vue de la lutte pour la dictature.

Ce sont, sur le terrain économique, les mots d’ordre de capitalisme d’Etat et de contrôle
de la production ; sur le terrain politique, dans les pays agricoles, ceux de gouvernement de
coalition avec les partis paysans d’opposition pour la victoire sur la bourgeoisie ; dans les
pays industriels, ceux du gouvernement ouvrier, c’est-à-dire de coalition avec les Partis
social-démocrates et les autres partis et organisations ouvriers.

Quant à la première question, je n’ai pas besoin de la traiter ici en détail ; je renvoie aux « 
Thèses sur les questions d’impôts pendant l’époque du capitalisme consolidé et pendant celle
de sa ruine ». que la commission composée des camarades Heckert, Koritschener, Skata,
Varga, Kuusinen et moi-même avait élaborées l’année dernière eu automne. Ces thèses sont
commentées dans l’article du camarade Varga sur les questions d’impôt, publié dans
l’Internationale Communiste, ainsi que dans ma brochure, parue sous le pseudonyme « 
Bremer », sur l’écroulement de la bourgeoisie allemande et les questions les plus pressantes
du Parti Communiste allemand, et réimprimée dans l’Internationale Communiste. Cette
brochure analyse aussi le rapport de nos mots d’ordre économiques de transition avec les
questions de gouvernement ouvrier.

Voici quelques remarques succinctes que je voudrais placer ici : la ruine industrielle, le
chaos économique croissant s’accompagnent de la cartellisation continue de l’industrie dans
tous les pays capitalistes. Cela met partout à l’ordre du jour la question : monopole
capitaliste privé ou monopole d’état ? Le monopole d’état sons la domination de la
bourgeoisie, c’est le capitalisme d’état, il signifie, en période de stabilisation de la
bourgeoisie, la consolidation de sa domination, mais un même temps l’extension du front de
combat du prolétariat. A l’époque actuelle, où la domination de la bourgeoisie est sans cesse
minée, à ses tendances de monopole privé correspondant simultanément les tendances à
l’établissement du contrôle de l’industrie par la classe ouvrière. Si la révolution mondiale se
développe avec lenteur, si la ruine de l’économie capitaliste se poursuit lentement, la lutte
contre l’anarchie capitaliste, même dans les cadres du capitalisme deviendra pour le
prolétariat une question vitale.

Il se renforcera par la défensive contre la charge des impôts et de ces deux sources jaillira
la lutte pour la subordination de l’industrie à l’état et pour le contrôle de l’industrie par les
organisations ouvrières. Dans les pays où l’industrie est peu développée, cette question
acquiert une grande importance du point de vue des impôts et de l’influence sur lès paysans.
Ces revendications économiques de transition amènent à la question du pouvoir d’Etat,
car il n’y a pas de doute que la bourgeoisie prend dans la période d’après-guerre une
attitude très énergique envers les tendances de capitalisme d’état. S’il n’est pas exclu en
théorie, que sous la pression du mouvement ouvrier des gouvernements capitalistes ou
social-démocrates bourgeois puissent être contraints de passer à la politique du capitalisme
d’Etat, il est du moins très vraisemblable que les grandes luttes sociales qui se produisent
autour de cette question mèneront dans bien des pays aux gouvernements de coalition
ouvrière comme à une étape sur la voie vers la dictature et le gouvernement des Soviets.
Sans affirmer abstraitement que le développement en Occident doive nécessairement
traverser partout celle étape des gouvernements ouvriers, nous avons toutefois beaucoup
de raisons d’aiguiller la lutte sur cette voie, car elle nous facilite au plus haut degré la
tactique du front général.

Dans ces cadres, il est aussi facile de résoudre les questions de l’attitude à regard de la
république bourgeoise et de sa défense, ainsi qu’a l’égard de la force armée de l’Etat.
Alors que, dans les pays où la situation n’est pas encore révolutionnaire, où la tendance à
transformer l’année du service général obligatoire en une armée mercenaire prédomine
dans la bourgeoise, nous devons défendre le service militaire obligatoire pour tous, afin que
les ouvriers puissent conserver les armes, il est clair, par contre, que nous devons partout,
comme corollaire du gouvernement ouvrier, lancer le mot d’ordre de milice ouvrière.
Lorsque la période de transition actuelle est ainsi caractérisée, que les principales
revendications de transition sont établies, le terrain est préparé pour les programmes
concrets de transition de chaque Parti du Comintern pour qui le programme de ce dernier
doit constituer comme une introduction obligatoire.

Conclusions

Certains camarades objectent contre la conception ci-dessus exposée qu’elle pourrait
bien être bientôt dépassée par les faits, c’est-à-dire par le cours plus rapide de la révolution
mondiale. Un cours pareil rendrait immédiatement le programme suranné ; il ne faut donc
pas chercher à gêner par le programme les sinuosités et les méandres du développement.
Ainsi, par exemple, le Parti Communiste russe a transformé ses mesures de communisme
de guerre en un programme qui, au tournant historique actuel, ne formule plus nettement
les buts immédiats du Parti.

Voici ce qu’on peut répondre à cela :

1° Dans sa pratique du communisme de guerre, le Parti Communiste de Russie avait
besoin d’un fil directeur, et c’eût été un plus grand malheur de ne l’avoir pas eu dans la lutte
que de l’avoir vu devenir suranné avec le temps. Que ce fil directeur ait porté le nom d’une
résolution de tactique, cela ne change rien au fait qu’il était un programme du Parti. Mais
celle comparaison, outre qu’elle n’est pas fondée, n’a aucun rapport avec les questions qui
nous préoccupent ici. Le développement de la révolution mondiale peut prendre un cours
plus rapide dans les temps prochains, mais seulement dans certains pays, notre programme
ne doit pas le perdre de vue.

La révolution mondiale ne saurait, elle, en aucun cas, triompher d’un seul coup.
Ainsi donc, si lent ou si rapide que soit le cours du développement, nous avons besoin
d’un programme du transition.

La tâche d’un programme consiste à tracer la démarcation entre les efforts d’un certain
parti et ceux de tous les autres.

Nous nous distinguons de tous les Partis ouvriers non seulement par le mot d’ordre de la
dictature et du régime des Soviets, mais aussi par nos revendications de transition. Alors que
celles de tous les Partis social-démocrates doivent non seulement être réalisées sur le terrain
du capitalisme, mais encore servir à la réformer, les nôtres servent à la lutte pour la
conquête du pouvoir par la classe ouvrière pour la destruction du capitalisme.

C’est ce qu’il faut nettement exprimer dans notre programme de transition.

Karl Radek

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