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L’accroissement de la « complexité » est-elle la loi de base du monde ?

jeudi 19 juillet 2018, par Robert Paris

L’accroissement de la « complexité » est-elle la loi de base du monde ?

La nature a bâti spontanément des structures complexes et continue tous les jours d’en bâtir de nouvelles : structures de la matière vivante mais aussi structures de la matière inerte.

Mais qu’est-ce que la complexité et qu’est-ce qui la produit ?

Tout va-t-il du simple au complexe, pourquoi et comment ?

Il peut sembler que la matière est un vaste jeu de construction dans lequel les plus petits éléments servent de matériaux pour la fabrication de mondes plus grands et plus compliqués. Mais on va voir que ce n’est pas nécessairement le plus grand qui est le plus complexe et que les éléments de construction sont eux-mêmes très complexes.

« Il y a un monde dans l’électron » disait un grand physicien. Et l’électron est une structure extraordinairement complexe et pas un élément simple.

Et nous ne sommes qu’un tout petit élément de notre Terre, qui n’est qu’un tout petit élément du système solaire, lui-même un tout petit élément de la galaxie, elle-même un tout petit élément de l’amas de galaxies et de l’amas d’amas, des immenses filaments de matière qui enserrent les encore plus immenses bulles de vides

Croyez-vous vraiment que nous différons de l’amas de galaxies parce que nous serions.. plus simple ?

Avec la « théorie de la complexité », celle-ci est devenue une interprétation du fonctionnement de l’Univers, à commencer par la vie sur Terre et l’évolution des espèces, tout allant, selon cette thèse, du plus simple au plus complexe… Mais est-ce une thèse vraiment valable ? Et surtout, est-ce qu’on comprend bien ce que l’on entend par complexe ?

Selon cette thèse, l’énigme principale de la compréhension de l’univers serait de décrypter comment le monde peut devenir de plus en plus complexe ? N’y a-t-il pas de loi thermodynamique qui impose une perte graduelle d’organisation, donc une baisse, spontanée et générale, de la complexité ?

Bien sûr, cette loi étant globale, on remarquera qu’une petite zone peut voir sa complexité augmenter du moment qu’une grande zone autour va dans le sens inverse.

Mais la montée de la complexité est-elle un phénomène réellement étonnant ? Pouvons-nous y réfléchir à partir d’exemples simples à notre portée ?

Qui n’a pas vu quelqu’un jeter un rouleau de corde au sol et le récupérer de manière inopportune, en tirant sur le mauvais brin, de sorte que le filin se noue, puis tirer encore sur un autre brin, provoquant de nouveaux nœuds, au point qu’il faille ensuite un temps très long pour défaire une quantité de nœuds, de manière très compliquée parce que ces nœuds se nouent les uns les autres, y compris à plusieurs niveaux si on es tombé sur le bon filin ? C’est un exemple très éclairant : contrairement à ce que l’on croit souvent, l’augmentation du désordre peut être synonyme d’augmentation de la complexité.

Prenons un exemple de la vie quotidienne. Qui n’a pas vécu qu’un voyage très bien organisé, avec des horaires de transports successifs très bien calculés, très précis, va basculer dans le désordre le plus complet, et le plus compliqué, du fait d’un simple changement d’un seul horaire au sein du programme. Un désordre qui provoque une situation d’une complexité inextricable puisque l’on essaie de trouver toutes les solutions possibles. N’oublions pas que la nature suit également toutes les voies possibles… Et on constate une fois de plus que la complexification d’une situation théoriquement très simple ne nécessite rien de plus qu’un petit changement dans l’ordre.

Peut-on donner un exemple simple d’une situation qui, du fait de touts petits changements, entraine des conséquences complètement différentes alors qu’on partait exactement du même point de départ, au même moment et au même endroit. Vous me direz : on ne peut pas faire au même moment et au même endroit des expériences différentes, même avec des conditions de départ très peu différentes. Eh bien si ! La nature l’a fait pour nous : c’est le système solaire.

On sait que les planètes du système solaire sont complètement différentes les unes des autres. Pourtant, elles ont toutes pour origine le même nuage de gaz et de poussières, dans les mêmes conditions de température, de pression, de consistance, etc. Un petit changement cependant : la distance différente au soleil. Résultat : ce ne sont pas les mêmes matériaux qui dominent dans les différentes planètes ! Les unes ont perdu leurs gaz et les autres sont essentiellement gazeuses, et on passe des divergences complètes.

Un petit changement au départ, et un grand changement à l’arrivée…

La multiplication des planètes diverses, c’est là qu’est, dans cet exemple, la complexification. Au départ, un même nuage de gaz et de poussières. A l’arrivée, un système solaire complexe, avec de multiples éléments différents…

Mais la complexité n’est pas toujours le produit d’une augmentation du désordre. Elle peut résulter d’une augmentation de… l’ordre !!! Ou plus exactement, elle est toujours le produit de la dialectique ordre/désordre, c’est-à-dire d’un combat permanent entre tendances adverses de l’organisation.

Ainsi, de la particule virtuelle à la particule réelle, de la particule de matière au noyau, du noyau à l’atome, de l’atome à la molécule, de la molécule à la macromolécule, puis aux rétroactions de l’ADN, de l’ARN et des protéines, au vivant, on assiste à une augmentation de l’organisation, et pourtant aussi à une augmentation du désordre du milieu. Mais il y a aussi une augmentation de l’énergie d’interaction, donc du désordre ! Eh oui, c’est cette dialectique, celle des contraires interpénétrés et interchangés, qui est reliée à la complexification.

Et tout d’abord la dialectique ordre/désordre. C’est le désordre des interactions qui est à la base de l’ordre. C’est vrai au niveau du vivant comme de l’inerte. C’est le hasard des interactions inter-moléculaires qui permet à la molécule d’ADN d’accomplir son rôle en fonction des rencontres, au hasard, de protéines. Mais c’est aussi le hasard de l’agitation brownienne, le désordre aléatoire, qui pilote la formation si ordonnée des cristaux.
Mais est-il exact qu’en suivant les échelons de l’organisation de la matière, on augmente en complexité, comme le croient les partisans de la théorie de la complexité ?

Le vide quantique, celui du virtuel qui est à la base du monde réel, est-il « moins complexe » que le monde classique, celui des objets à notre échelle ? Absolument pas ! On trouve au sein du vide quantique toutes les structures de la matière que l’on trouve au niveau durable dit réel, mais elles ont infiniment plus agitées, plus complexes dans leurs interactions.

La particule est-elle moins complexe que la matière à notre échelle ? Pas du tout ! Sans cesse, la particule saute d’une particule virtuelle à une autre. Sans cesse, elle est collisionnée par des particules et antiparticules virtuelles, avec lesquelles elle échange des photons virtuels, etc.

Ce qui différencie le niveau du noyau atomique et celui de l’atome, est-ce une question de complexité ? Les nuages électroniques sont-ils plus complexe que le noyau atomique ? Ce n’est pas à ce niveau que l’on peut appréhender leur formation et ce n’est pas dans un sens d’une augmentation de la complexité. En tout cas, actuellement, ce qui nous semble le plus « complexe », c’est le noyau atomique et pas le nuage électronique !!! Donc il n’y a aucune évidence selon laquelle, à chaque nouveau niveau d’organisation, on trouverait également une augmentation de la complexité.

Même au sein de la « matière vivante », aucune évidence d’une plus grande complexité à grande échelle qu’à une petite échelle. Aucune évidence que les espèces actuelles soient « plus complexes » que les anciennes !

Les bactéries actuelles sont-elles plus complexes que les anciennes ? Les virus actuels plus complexes que les anciens ? Les algues actuelles plus complexes que les anciennes ? Tout cela ne semble nullement vérifié.

Y a-t-il un sens irréversible à la croissance de la complexité ? Si cela était vrai on ne pourrait pas sortir d’un état de cristaux qui est le plus organisé… Ce n’est pas le cas.

Cela supposerait qu’il n’y ait pas une dialectique ordre/désordre mais une tendance de l’univers à aller vers l’ordre et ce n’est pas ce que l’on constate.

Le vide est en permanence une dialectique de l’apparition de matière éphémère et de sa disparition. Les particules dites réelles sont sans cesse construites et détruites. Tous les ordres de la matière quantique apparaissent et disparaissent sans cesse spontanément. Voilà pour la dialectique de la microphysique. Mais il en va de même des autres échelons de la hiérarchie de la matière.

Ainsi, sur Terre, des roches se forment sans cesse par cristallisation, et sans cesse des roches sont également détruites.

Au sein du vivant, il en va de même. Sans cesse des macromolécules sont construites et d’autres détruites. Sans cesse, des cellules sont construites et d’autres détruites.

C’est cette dialectique de la construction et de la destruction, et non une tendance générale à la complexité, qui produit l’organe que nous, humains, estimons le summum de la complexité : le cerveau humain !!!

En effet, la sculpture des réseaux neuronaux cérébraux provient de la production au hasard de toutes les liaisons neuronales possibles et de la destruction par apoptose de celles qui ne sont pas connectées au fonctionnement du corps. C’est l’un des mécanismes les plus élémentaires du vivant, le suicide cellulaire, qui produit l’organe apparemment le plus complexe ! Et c’est bel et bien la dialectique de la construction et de la destruction qui le fabrique et non une tendance de plus en plus poussée à la complexité !!!

Le mécanisme de structuration des messages cérébraux par le cerveau est lui aussi fondé sur une telle dialectique ordre/désordre puisque le cerveau est sans cesse producteur de messages qui sont, tout aussi systématiquement et spontanément, détruits.

De l’Univers à grande échelle au monde à l’échelle microscopique, on assiste au même ballet dialectique de la vie et de la mort des structures, des amas d’amas de galaxies à la plus « simple » particule.

Mais, en fait, on n’a jamais trouvé de structure élémentaire simple, le vide lui-même étant un complexe du virtuel de virtuel…

Le complexe-simplexe à une échelle est produit par le complexe-simplexe à une échelle inférieure. Et, à toutes ces échelles, l’ordre est issu du désordre et le désordre est issu de l’ordre…

Un système à l’équilibre ne fait pas apparaître, ni disparaître, des structures. L’équilibre ne se marie pas avec l’apparition de complexité. Et sans dialectique des contraires, il n’y a pas de dynamique du non-équilibre.

Donc la tendance à la complexité ne peut exister qu’en présence de son contraire, dialectique !

Qu’est-ce que la théorie de la complexité

La complexité du vivant construite par la destruction

Qu’est-ce que l’auto-organisation ?

Cascades de structures dissipatives

Qu’est-ce que l’émergence ?

La dialectique ordre/désordre

Comment se construit la complexité du cerveau

Les particules sont-elle simples

Le vide quantique, constructeur et destructeur

Vers une pensée dialectique du complexe

Messages

  • Contre la théorie de la complexité croissante du Vivant :

    « L’exercice consistant à prendre en compte tout l’éventail des variations nous oblige à repenser la nature des tendances de l’évolution et l’histoire des systèmes naturels. C’est parce que nous n’avons pas appliqué ce principe que nous en sommes venus à ignorer le fait pourtant incontestable que nous sommes encore et sans doute pour toujours à l’ère des bactéries. Nous aimerions croire que l’histoire de la vie est celle d’une marche vers la complexité. C’est bien sûr vrai en ce sens que les êtres les plus complexes ont eu tendance à se complexifier davantage : mais ce n’est pas l’histoire de la vie, c’est l’histoire des êtres les plus complexes... Nous voudrions croire que l’aspect le plus fondamental de l’arbre de la vie est cette tendance à la complexification, mais ce n’est pas le cas. Pour moi le trait le plus fondamental de l’arbre de la vie est la constance du mode bactérien. Mon livre n’est qu’un plaidoyer pour considérer tout l’éventail de la variation. »

    Stephen Jay Gould dans une interview

    Source

  • Comme les huit doigts de la main de Stephen Jay Gould :

    « La vie n’a pas présenté de tendance à l’accroissement de la complexité dans le sens où on l’entend habituellement – elle a seulement opéré une expansion asymétrique de la diversité autour d’un point de départ qui ne pouvait qu’être obligatoirement simple. »

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