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La science, ce sont seulement des faits ?

vendredi 7 novembre 2014, par Ramata, Robert Paris

La science, ce sont seulement des faits ?

« Les faits parlent d’eux-mêmes. »

Plaute, L’Aululaire

« La seule vraie science est la connaissance des faits. »

Georges-Louis Leclerc de Buffon

« Thucydide est à mon gré le vrai modèle des historiens.
Il rapporte les faits sans les juger, mais il n’omet aucune des circonstances propres à nous en faire juger nous-mêmes. »

Rousseau, L’Emile

« Les faits sont la chose la plus obstinée du monde. »

Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite

« À l’aide des théories physiques nous cherchons à trouver notre chemin à travers le labyrinthe des faits observés, d’ordonner et de comprendre le monde de nos impressions sensibles. Nous désirons que les faits observés suivent logiquement de notre concept de réalité. Sans la croyance qu’il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques, sans la croyance en l’harmonie inteme de notre monde, il ne pourrait pas y avoir de science. Cette croyance est et restera toujours le motif fondamental de toute création scientifique. À travers tous nos efforts, dans chaque lutte dramatique entre les conceptions anciennes et les conceptions nouvelles, nous reconnaissons l’éternelle aspiration à comprendre, la croyance toujours ferme en l’harmonie de notre monde, continuellement raffermie par les obstacles qui s’opposent à notre compréhension. »

Einstein et Infeld, "L’évolution des idées en physique"

« On fait la science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres : mais une accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison. »

Henri Poincaré, « La science et l’hypothèse »

« Très souvent, surtout dans les sciences physiques, on explique les « raisons » d’une façon tautologique : le mouvement de la terre s’explique par la « force d’attraction » du soleil. Mais qu’est donc la force d’attraction ? Un mouvement aussi ! !. De la tautologie creuse : pourquoi cet homme va-t-il à la ville ? A cause de la force d’attraction de la ville ! Il arrive aussi que la science donne d’abord comme « raison » les molécules, l’éther, « la matière électrique », etc.., et puis on s’aperçoit « qu’ils » (ces concepts) « sont plutôt des déterminations déduites de ce qu’elles sont censées fonder, des hypothèses et des inventions découlant d’une réflexion non critique »... Ou bien on dit que « nous ne connaissons pas l’essence intérieure de ces forces et matières elles-mêmes »... , alors il ne resterait plus rien à « expliquer » mais simplement à se limiter aux faits... »

Lénine, Résumé de la Science de la logique de Hegel

« Rien n’est plus proche du vrai que le faux… Si les faits ne correspondent pas à la théorie, changez les faits. » (ce qui signifie essayez de regarder autrement « les faits »)

Albert Einstein

« Le principe rationaliste : Il n’y a rien dans le réel que l’on soit fondé à considérer comme radicalement réfractaire à la raison humaine. [...] Mais le principe rationaliste n’implique pas que la science puisse, en fait, épuiser le réel ; il nie seulement que l’on ait le droit de regarder aucune partie de la réalité, aucune catégorie de faits comme invinciblement irréductible à la pensée scientifique, c’est-à-dire comme irrationnelle dans son essence. Le rationalisme ne suppose nullement que la science puisse jamais s’étendre jusqu’aux limites dernières du donné ; mais qu’il n’y a pas, dans le donné, de limites que la science ne puisse jamais franchir. »

Emile Durkheim, L’éducation morale

« Si nous envisageons deux esprits semblables au nôtre observant l’univers à deux dates différentes, séparées par exemple par des millions d’années, chacun de ces esprits bâtira une science, qui sera un système de lois déduites des faits observés.
Il est probable que ces sciences seront très différentes et en ce sens on pourrait dire que les lois ont évolué. Mais quelque grand que soit l’écart, on pourra toujours concevoir une intelligence de même nature encore que la nôtre, mais de portée beaucoup plus grande, ou appelée à une vie plus longue, qui sera capable de faire la synthèse et de réunir dans une formule unique, parfaitement cohérente, les deux formules fragmentaires et approchées auxquelles les deux chercheurs éphémères étaient parvenus dans le peu de temps dont ils disposaient. Pour elle, les lois n’auront pas changé, la science sera immuable, ce seront seulement les savants qui auront été imparfaitement informés. »

Henri Poincaré, Dernières pensées

Il est bien plus difficile qu’il n’y paraît de distinguer « les faits » de la théorie, des idées, de l’imagination, de la philosophie.

Ce qu’on appelle les faits, c’est le plus souvent des idées, des propositions reconnues par la société ou la communauté des scientifiques mais ce n’est pas directement des communications du réel car cela n’existe pas…

Si aujourd’hui chacun admet que la terre et le soleil ne sont pas le centre de l’univers, que la terre n’est pas plate, que la matière est composée d’atomes qui s’agitent sans cesse même dans un matériau au repos, que la matière n’est pas un continuum mais des quanta discrets, que rien ne va plus vite que la vitesse de la lumière, que le vide peut produire de la matière et la matière peut se décomposer en énergie du vide, que les espèces se transforment, etc, etc., ce n’est pas parce que cela se voit à l’œil nu ni par la simple opération scientifique et philosophique du bon sens utilisant seulement des observations, c’est-à-dire ce qu’on appelle des faits bruts. Le véritable « fait scientifique » est un mélange dialectique avec de multiples rétroactions entre imagination humaine (la théorie) et expérimentation (elle aussi humaine et pas simple observation).

Il n’est pas possible de partir des seuls faits car nous partons de l’ensemble du capital de nos connaissances et préjugés précédents et c’est heureux car sinon il faudrait repartir à zéro pour chaque étude.

Ce que la plupart des gens appellent des faits sont des énoncés auxquels on peut répondre par oui ou par non. On sait que le caractère dialectique de la réalité empêche ce type d’énoncés d’être valides. Répondre : oui ou non c’est une onde ou c’est corpuscule n’a pas de sens par exemple. Mais aussi : oui ou non, le corpuscule détecté existe réellement, cela n’en a pas non plus car cela peut dépendre de l’énergie de l’observateur, la matière n’étant pas diamétralement différente des états du vide ! Répondre matière ou énergie ne peut pas non plus être une réponse par oui ou par non. On ne peut pas davantage répondre : ces deux événements ont eu lieu en même temps ou non. Et ainsi de suite, on ne peut pas davantage répondre diamétralement, par oui ou non (exclusivement), aux alternatives : vivant ou inerte, cellule totipotente ou non, végétal ou animal, arbre ou plante non arbre, etc…

Donc les faits ne posent pas seulement la question de leur interprétation faillible par l’homme mais de leur caractère intrinsèquement contradictoire au sens dialectique. Celui qui ignore la dialectique aura tendance à penser que la réalité du monde est impénétrable…

Le fait privilégie l’actuel alors qu’en physique on sait que les lois ne relient pas entre eux les états actuels mais l’ensemble des états potentiels, ce qui est très différent, l’état actuel n’étant que l’un des états potentiels. Le véritable fait physique est l’ensemble des faits potentiels. Il en va de même dans les autres domaines, l’histoire n’est ni pur hasard ni pure application des lois car là aussi ce qui se succède est un ensemble de potentialités. Les faits actuels ne se succèdent pas… Considérer, comme seuls faits, le seuls qui se manifestent donc les actuels, c’est ne voir de la réalité que ce qui en est perceptible à notre échelle, humaine, et pas aux autres échelles (par exemple l’échelle microscopique, quantique, ou l’échelle du vide. Or nous sommes des êtres macroscopiques qui faisons essentiellement des observations macroscopiques mais le monde physique n’est pas macroscopique au niveau fondamental et nos observations peuvent avoir une apparence de réalité et être des illusions.

Le réel est voilé, bien souvent. L’illusion est toujours forte et nous entraîne loin du vrai fonctionnement mais ce véritable mode d’existence du réel existe et peut être trouvé. Utiliser la philosophie adéquate dans ce but n’a rien d’évident mais cela signifie que la réalité a un sens, même s’il est partiellement caché. La réalité n’est pas un simple amas de faits se suivant sans ordre, sans nécessité, sans logique. Elle a une signification. Encore faut-il disposer d’une philosophie permettant d’entendre ses raisons !

La science a inéluctablement besoin d’une philosophie et, de préférence, que cette philosophie soit aussi pesée, réfléchie, raisonnée que l’est cette science. Il n’existe pas de domaine de la pensée – et les sciences appartiennent à la pensée autant qu’à l’observation – qui puisse se passer de philosophie. Examinons d’abord pourquoi ce besoin.

Tout d’abord, en observant la nature, on ne se contente pas de voir, on compare, on généralise, on construit des concepts, on bâtit des paramètres, des lois, on soupçonne des régularités et on tente de les vérifier. Tout cela est une activité intellectuelle et nécessite une méthode, une manière de généraliser, de comparer, de théoriser, en somme une philosophie.

Une philosophie, d’une manière générale, sert à répondre à un problème précis : trouver une attitude face à ce que l’on ignore.
Or, quoique nous fassions, nous nous heurtons sans cesse à des choses que nous ignorons, à commencer par ce qui va se passer après. Nous ne savons pas bien de quoi est fait le monde, comment il fonctionne, ce que nous pouvons ni ne devons y faire, et si c’est une bonne idée de le faire. Nous ne savons pas vraiment qui nous sommes, de quoi nous sommes capables, ce que nous devrions penser et faire. Et, plus encore, nous ignorons ce qui se passerait si nous faisions ou pensions autrement. Et, à toutes ces interrogations auxquelles la simple observation du passé ou du présent ne peut entièrement répondre, notre philosophie donne par contre des réponses, qu’elles nous satisfassent ou pas. A certains hommes, c’est la religion qui la leur fournit. A d’autres ou aux mêmes, c’est leur morale personnelle. A d’autre encore, c’est leur logique. A d’autres, c’est la conception sociale, collective et individuelle, plus ou moins imposée ou choisie.

Si le monde obéissait seulement à une logique formelle, l’univers serait non-dynamique et n’aurait aucune histoire, serait donc comme rien car seuls les changements ont un sens. Ce qui ne change pas, ou trop régulièrement, est comme rien en physique comme en psychologie ou en sciences sociales. Rappelons-nous que notre regard ne remarque que ce qui bouge, que la matière ne connaît que ce qui change et que ce qui bouge avec accélération. Le reste n’interagit pas et ne peut pas être remarqué.

Si le oui ne peut jamais se changer en non, alors on a d’un côté le oui et d’un autre le non et rien ne changera puisqu’il n’existerait aucun mécanisme d’interaction ni de transformation.

Si la matière est toujours matière et la lumière est toujours lumière et si les deux sont des réalités qui ne s’interpénètrent pas, comment l’atome pourrait-il tirer spontanément de son sein un photon lumineux ? Comment deux matières qui se choquent violemment pourraient-elles se transformer entièrement en lumière ?

Si la vie était le contraire formel de la mort, comment se ferait-il que les spécialistes affirment que l’essentiel des propriétés de la cellule vivante serait de se tuer elle-même par apoptose ou suicide cellulaire en faisant agir gène et protéines de la mort ?

Ce n’est pas un apriori philosophique qui nous pousse à vouloir à toute force introduire la dialectique au sein des sciences physiques, biologiques, évolutionnistes, humaines, psychologiques, sociales et politiques. Nous n’avons pas besoin d’ailleurs de l’introduire mais seulement de l’y observer.

Si nous refusions d’accepter l’existence de contraires, de pôles, qui s’interchangent, qui s’interpénètrent, qui s’associent dans une unité, qui se secondent, qui interagissent entre niveaux hiérarchiques de structures, qui s’accordent, se complexifient mutuellement, c’est là que nous resterions sans réponse face à nos observations.

Si nous voulons absolument que la matière soit ou onde ou corpuscule que nous restons bouche bée devant l’observation quantique ! C’est là que nous en restons à nos aprioris.

Si nous tenons à penser qu’il y a d’un côté la matière et de l’autre le vide, c’est là que nous sommes bouche bée devant la remarque d’Einstein selon laquelle la matière courbe le vide, ou celle de la physique quantique selon laquelle la propriété de masse de la matière saute d’une particule virtuelle du vide à une autre. La matière est un passage d’un vide à un autre vide et ne peut donc être diamétralement opposée au vide, pas plus que la vie ne peut être diamétralement opposée à la mort, ni le mouvement à l’immobilité, ni la détermination à l’indétermination. Rappelons que la physique quantique a remarqué que, plus on détermine exactement un paramètre d’un système, plus on indétermine un autre paramètre du système…

Ce n’est pas une faiblesse de la science de l’homme que l’on révèle ainsi mais une marque du fonctionnement du monde qui fait que ce monde est animé, historique, dynamique, se transformant spontanément sans intervention extérieure et de manière brutale et qualitative.

Une théorie scientifique peut-elle être confirmée ou infirmée par les seuls faits ?

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A nouveau sur la philosophie des mathématiques et celle des sciences

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La valeur de la science

Qu’est-ce qui fait que la physique fondamentale contemporaine est purement mathématique et n’est plus conceptuelle ?

Poincaré écrivait :

« Ne pouvons-nous nous contenter de l’expérience toute nue ?
Non, cela est impossible ; ce serait méconnaître complètement le véritable caractère de la science. Le savant doit ordonner ; on fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison.

Et avant tout le savant doit prévoir. Carlyle a écrit quelque part quelque chose comme ceci : « Le fait seul importe ; Jean sans Terre a passé par ici, voilà ce qui est admirable, voilà une réalité pour laquelle je donnerais toutes les théories du monde ». Carlyle était un compatriote de Bacon ; mais Bacon n’aurait pas dit cela. C’est là le langage de l’historien. Le physicien dirait plutôt : « Jean sans Terre a passé par ici ; cela m’est bien égal, puisqu’il n’y repassera plus ».
Nous savons tous qu’il y a de bonnes expériences et qu’il y en a de mauvaises. Celles-ci s’accumuleront en vain ; qu’on en ait fait cent, qu’on en ait fait mille, un seul travail d’un vrai maître, d’un Pasteur par exemple, suffira pour les faire tomber dans l’oubli. Bacon aurait bien compris cela, c’est lui qui a inventé le mot experimentum crucis. Mais Carlyle ne devait pas le comprendre. Un fait est un fait ; un écolier a lu tel nombre sur son thermomètre, il n’avait pris aucune précaution ; n’importe, il l’a lu, et s’il n’y a que le fait qui compte, c’est là une réalité au même titre que les pérégrinations du roi Jean sans Terre. Pourquoi le fait que cet écolier a fait cette lecture est-il sans intérêt, tandis que le fait qu’un physicien habile aurait fait une autre lecture serait au contraire très important ? C’est que de la première lecture nous ne pouvons rien conclure. Qu’est-ce donc qu’une bonne expérience ? C’est celle qui nous fait connaître autre chose qu’un fait isolé ; c’est celle qui nous permet de prévoir, c’est-à-dire celle qui nous permet de généraliser.

Car sans généralisation, la prévision est impossible. Les circonstances où l’on a opéré ne se reproduiront jamais toutes à la fois. Le fait observé ne recommencera donc jamais ; la seule chose que l’on puisse affirmer, c’est que dans des circonstances analogues, un fait analogue se produira. Pour prévoir il faut donc au moins invoquer l’analogie, c’est-à-dire déjà généraliser.

Si timide que l’on soit, il faut bien que l’on interpole ; l’expérience ne nous donne qu’un certain nombre de points isolés, il faut les réunir par un trait continu ; c’est là une véritable généralisation. Mais on fait plus, la courbe que l’on tracera passera entre les points observés et près de ces points ; elle ne passera pas par ces points eux-mêmes. Ainsi on ne se borne pas à généraliser l’expérience, on la corrige ; et le physicien qui voudrait s’abstenir de ces corrections et se contenter vraiment de l’expérience toute nue serait forcé d’énoncer des lois bien extraordinaires.

Les faits tout nus ne sauraient donc nous suffire ; c’est pourquoi il nous faut la science ordonnée ou plutôt organisée.

On dit souvent qu’il faut expérimenter sans idée préconçue. Cela n’est pas possible ; non seulement ce serait rendre toute expérience stérile, mais on le voudrait qu’on ne le pourrait pas. Chacun porte en soi sa conception du monde dont il ne peut se défaire si aisément. Il faut bien, par exemple, que nous nous servions du langage, et notre langage n’est pétri que d’idées préconçues et ne peut l’être d’autre chose. Seulement ce sont des idées préconçues inconscientes, mille fois plus dangereuses que les autres.

Dirons-nous que si nous en faisons intervenir d’autres, dont nous aurons pleine conscience, nous ne ferons qu’aggraver le mal ! je ne le crois pas ; j’estime plutôt qu’elles se serviront mutuellement de contrepoids, j’allais dire d’antidote ; elles s’accorderont généralement mal entre elles ; elles entreront en conflit les unes avec les autres et par là elles nous forceront à envisager les choses sous différents aspects. C’est assez pour nous affranchir : on n’est plus esclave quand on peut choisir son maître.

Ainsi, grâce à la généralisation, chaque fait observé nous en fait prévoir un grand nombre ; seulement nous ne devons pas oublier que le premier seul est certain, que tous les autres ne sont que probables. Si solidement assise que puisse nous paraître une prévision, nous ne sommes jamais sûrs absolument que l’expérience ne la démentira pas, si nous entreprenons de la vérifier. Mais la probabilité est souvent assez grande pour que pratiquement nous puissions nous en contenter. Mieux vaut prévoir sans certitude que de ne pas prévoir du tout.

On ne doit donc jamais dédaigner de faire une vérification, quand l’occasion s’en présente. Mais toute expérience est longue et difficile, les travailleurs sont peu nombreux ; et le nombre des faits que nous avons besoin de prévoir est immense ; auprès de cette masse, le nombre des vérifications directes que nous pourrons faire ne sera jamais qu’une quantité négligeable.

De ce peu que nous pouvons directement atteindre, il faut tirer le meilleur parti ; il faut que chaque expérience nous permette le plus grand nombre possible de prévisions et avec le plus haut degré de probabilité qu’il se pourra. Le problème est pour ainsi dire d’augmenter le rendement de la machine scientifique.

Qu’on me permette de comparer la Science une bibliothèque qui doit s’accroître sans cesse ; le bibliothécaire ne dispose pour ses achats que de crédits insuffisants ; il doit s’efforcer de ne pas les gaspiller.
C’est la physique expérimentale qui est chargée des achats ; elle seule peut donc enrichir la bibliothèque.

Quant à la physique mathématique, elle aura pour mission de dresser le catalogue. Si ce catalogue est bien fait, la bibliothèque n’en sera pas plus riche. Mais il pourra aider le lecteur à se servir de ces richesses.

Et même en montrant au bibliothécaire les lacunes de ses collections, il lui permettra de faire de ses crédits un emploi judicieux ; ce qui est d’autant plus important que ces crédits sont tout à fait insuffisants.
Tel est donc le rôle de la physique mathématique ; elle doit guider la généralisation de façon à augmenter ce que j’appelais tout à l’heure le rendement de la science. Par quels moyens y parvient-elle, et comment peut-elle le faire sans danger, c’est ce qu’il nous reste à examiner. »

Jean-Paul Jouary :

« De façon croissante depuis deux siècles, nos vies (individuelles et collectives) se voient encadrées par des règles édictées au nom de la science, comme autant de vérités indiscutables et dont on ne discutera donc pas. « Les faits sont les faits » est-il ajouté, et il est vrai que les anciens dogmes s’imposaient aux humains en dépit de toute expérience sensible. En même temps, la science présente des formules mathématiques et des concepts abstraits, sans lesquels « les faits » nous maintiendraient dans toutes les illusions possibles : nous voyons le soleil tourner autour de la Terre, les espèces paraissent n’avoir jamais pu dériver les unes des autres, l’espace et le temps sont vécus comme des absolus, représentations que la science a détruites depuis longtemps de façon irréversible. C’est pourquoi, si la science doit partir des faits et en venir à les expliquer, elle cesserait d’être science si elle se limitait aux faits. Ainsi, depuis des siècles, les philosophes et scientifiques débattent-ils autour de conceptions empiristes d’un côté, et de l’autre de diverses façons de soumettre l’expérience des faits à des initiatives théoriques créées par une activité humaine rationnelle. Platon déjà, puis Galilée et Descartes à l’aube de la science moderne, démontrèrent ainsi qu’à en rester au constat des faits, nul ne peut prétendre accéder à quelque connaissance que ce soit. Si le constat des faits suffisait à nous les faire comprendre, toute science serait superflue ! Mais au nom de quoi devrait-on accepter des vérités qui ne seraient pas systématiquement validées par les faits ? Ce serait répéter d’une nouvelle façon le dogmatisme autoritaire passé de l’Eglise. Sans doute le problème réside-t-il dans la façon de lier la science aux faits sous la forme d’un simple « constat ». C’est en effet toujours à partir des faits que la science commence : observations, mais aussi contradictions, paradoxes, incohérences, anciennes réponses « remises en questions ». Kant lui-même admet ce point de départ. Mais c’est toujours aussi à partir de constructions théoriques, fruits de la créativité humaine, que la science dépasse toutes ces contradictions et propose une connaissance cohérente des faits. C’est donc en débordant la limite des faits que la science peut sans limite avancer dans leur connaissance. »

MAX PLANCK :

"Nous essayons de nous faire une idée aussi synthétique que possible du système de l’univers. (...) Le but idéal poursuivi par le physicien est donc la connaissance du monde réel et extérieur. (...) D’autre part, il ne faudrait pas s’imaginer que, même dans la plus exacte de toutes les science, on puisse faire des progrès en ses passant d’une conception générale de l’Univers, c’est-à-dire en définitive d’hypothèses indémontrables. (...) Ce que l’on ne voit pas, c’est à quel point la difficulté pour faire progresser la science, c’est que le savant ait la ténacité de maintenir son point de vue. (...) Bien plus, l’austère recherche de la science ne peut progresser que par le libre jeu de l’imagination. Qui ne peut, à l’occasion, ne serait-ce qu’une fois, concevoir des choses apparemment contraires à la loi causale, jamais n’enrichira la science d’une idée nouvelle. (...) La manifestation des phénomènes énergétiques, s’effectuant par sauts ou paliers, est essentiellement discontinue. (...) Par une interprétation assez libre, l’idée d’Aristote a été résumée dans l’adage « la nature ne fait pas de bonds » (...) Selon toute apparence, son règne est compté. La nature semble en effet effectuer des bonds et cela de façon singulière. (...) L’hypothèse des quanta conduit à admettre qu’il y a dans la nature des phénomènes n’ayant pas lieu d’une manière continue mais brusquement et, pour ainsi dire, explosivement. (...) Voici un atome d’uranium qui est resté absolument passif et invariable au milieu des atomes de la même espèce qui l’entourent pendant d’innombrables millions d’années ; tout à coup, sans aucune cause extérieure, dans un intervalle de temps dont la brièveté défie toute mesure, cet atome explose avec une violence auprès de laquelle la brisance de nos explosifs les plus formidables n’est qu’un jeu d’enfant. Ajoutez à cela qu’il en va de même pour un volcan éteint depuis des millions d’années, une espèce invariable depuis des millions d’années, une étoile stable depuis des millions d’années, etc… (...) Les postulats primitivement considérés comme la base évidente de toute théorie sérieuse furent remis en question plus tard (...) : le postulat de l’invariabilité des atomes, celui de l’indépendance réciproque du temps et de l’espace et celui de la continuité de toutes les actions dynamiques. (...) Il n’y a plus maintenant, sur le terrain scientifique, pour ainsi dire, aucun principe dont la validité n’ait été mise en doute (...). De la logique, telle que nous la voyons mise en œuvre sous la forme la plus pure, dans les mathématiques, nous ne saurions attendre aucun secours. (...) Ainsi donc, la physique considérée par la génération précédente comme une des plus vieilles et des plus solidement assises parmi les connaissances humaines, est entrée dans une période d’agitation révolutionnaire qui promet d’être une des plus intéressantes de son histoire. (...) Nous pourrions voir certaines idées aujourd’hui vieillies et tombées dans l’oubli, retrouver une importance nouvelle. Pour cette raison, il serait souhaitable que les idées et les intuitions de nos grands philosophes fussent étudiées avec attention. Le temps où la philosophie et les sciences positives se considéraient comme étrangères l’une à l’autre et se regardaient mutuellement avec méfiance doivent être considérés comme révolus. (...) A vrai dire, on pourrait objecter ici préalablement qu’un problème de philosophie ne saurait être résolu par les sciences particulières ; que la philosophie traite précisément les questions concernant les principes et les conditions d’existence des sciences particulières ; que l’activité de la philosophie doit ainsi précéder, dans tous les cas, celle de la science et que si les sciences particulières entreprenaient de dire leur mot sur les questions de philosophie générale, ce serait empiéter d’une façon illicite sur le domaine philosophique. Quiconque juge de la sorte méconnait à mon avis l’importance du travail que la science et la philosophie opèrent ensemble. Tout d’abord, il y a lieu de considérer que le point de départ et les moyens d’investigation sont, au fond, tout à fait les mêmes dans les deux domaines. Le philosophe, en effet, ne travaille nullement avec une espèce particulière d’intelligence. A certains égards même le savant lui est de beaucoup supérieur, car il dispose, dans son domaine spécial, d’un matériel de faits beaucoup plus riche, rassemblé par observation ou expérimentation et passé systématiquement au crible. En revanche, la philosophie a de meilleurs yeux pour contempler les ensembles universels qui n’intéressent pas immédiatement le savant et que, par suite, ce dernier omet plus aisément d’observer. (...) La science admet l’existence d’un monde extérieur subsistant en soi (indépendamment de l’observateur humain NDLR) et, tout aussitôt, elle y rattache la question de la causalité, c’est-à-dire des lois qui régissent tout ce qui se passe dans l’univers, en tant que concept tout à fait indépendant de nos perceptions sensibles ; et elle se fait un devoir de rechercher si, et jusqu’à quel point, la loi de causalité est applicable dans la nature et dans le monde de l’esprit aux divers faits qui s’y produisent. (...) S’il est vrai que la structure du monde de la physique s’éloigne toujours plus du monde des sens pour se rapprocher du monde réel inconnaissable par principe, il est évident que l’image du monde proposée par la physique doit être purifiée dans une mesure croissante de ses éléments anthropomorphiques. (….) Dans l’acoustique, l’optique, la thermodynamique modernes, les impressions sensorielles sont tout simplement éliminées. (...) Une mesure, prise en elle-même, est incapable de nous renseigner, tant sur l’image représentative physique de l’univers que sur le monde réel (...) Nous ne connaissons, de façon immédiate, le sens d’aucune mesure. (...) Dès lors que toute mesure est inévitablement liée avec une intervention causale, plus ou moins notable, dans le phénomène à mesurer, il est, par principe, absolument impossible de séparer complètement les lois des phénomènes physiques des méthodes par lesquelles on les mesure. (...) La recherche expérimentale et la recherche théorique sont donc inséparablement unies l’une à l’autre et aucun progrès de l’une n’est concevable sans un progrès correspondant de l’autre. (...) Le progrès de la physique n’est pas une évolution continue au cours de laquelle nos connaissances s’approfondiraient et s’affineraient peu à peu ; il a au contraire un caractère discontinu et, en quelque sorte, explosif. L’apparition de chaque hypothèse nouvelle provoque comme une éruption subite ; elle est un saut dans l’inconnu, inexplicable logiquement. (...) Contrairement à ce que l’on soutient volontiers dans certains milieux de physiciens, il n’est pas exact que l’on ne puisse utiliser, pour l’élaboration d’une hypothèse que des notions dont le sens puisse, a priori, être défini par des mesures, c’est-à-dire indépendamment de toute théorie. (...) Une mesure ne reçoit, au contraire, son sens physique qu’en vertu d’une interprétation qui est le fait de la théorie. (...) Jamais des mesures ne pourront confirmer ni infirmer directement une hypothèse, elles pourront seulement en faire ressortir la convenance plus ou moins grande. (...) tel est le point où les résultats des mesures doivent être complétés par la spéculation libre. "

Le physicien Max Planck dans "Initiations à la physique"

ALBERT EINSTEIN :

"Le fil conducteur de la pensée scientifique : c’est le plaisir de penser." lettre de 1919

« La relation réciproque de la théorie de la connaissance et de la science est d’un genre remarquable : elles dépendent l’une de l’autre. La théorie de la connaissance sans contact avec la science n’est qu’un schéma vide. La science sans théorie de la connaissance – pour autant qu’elle est concevable – est primitive et confuse ; mais, dès que le théoricien de la connaissance, dans sa recherche d’un système clair, y est parvenu, il est enclin à interpréter le contenu de pensée de la connaissance dans le sens de son système et à écarter tout ce qui n’y est pas conforme. (...) Il apparaît comme un réaliste dans la mesure où il cherche à se représenter un monde indépendant des actes de perception ; comme un idéaliste dans la mesure où il considère les concepts et les théories comme des libres inventions de l’esprit humain (non dérivables logiquement du donné empirique) ; comme positiviste dans la mesure où il considère ses concepts et théories comme fondés seulement pour autant qu’ils procurent une représentation logique des relations et expériences sensorielles. »

« Les résultats de la recherche scientifique nécessitent très souvent un changement dans la conception philosophique des problèmes qui s’étend au delà du domaine restreint de la science. (...) Les généralisations philosophiques doivent être fondées sur les résultats scientifiques. Une fois formées et largement acceptées, elles influencent très souvent le développement ultérieur de la pensée scientifique en indiquant, entre les nombreux procédés possibles, celui qu’il faut suivre. »

Le physicien Albert Einstein dans « L’évolution des idées en physique »

Einstein dans « Physique et réalité » :

« Généralités concernant la méthode scientifique

On a souvent dit, non sans raison, que les chercheurs en sciences de la nature étaient de piètres philosophes. S’il en était ainsi, le physicien ne ferait-il pas mieux de laisser au philosophe le soin de philosopher ? Cela est sans doute vrai dans les périodes pendant lesquelles les physiciens croient disposer d’un système solide et incontesté de concepts fondamentaux et de lois fondamentales ; mais il en va autrement à une époque où toute l’assise de la physique est remise en question, comme c’est le cas aujourd’hui. A une pareille époque, où l’expérience le contraint à chercher des bases nouvelles et inébranlables, le physicien ne peut tout simplement abandonner à la philosophie l’examen critique des fondements de sa science, car il est le mieux placé pour savoir et sentir où le bât blesse ; dans sa recherche d’une assise nouvelle, il doit s’efforcer, autant qu’il peut , de prendre conscience de la pertinence, voire de la nécessité, des concepts dont il fait usage. »

Einstein dans « La géométrie et l’expérience » :

« Parmi toutes les sciences, les mathématiques jouissent d’un prestige particulier qui tient à une raison unique : leurs propositions ont un caractère de certitude absolue et incontestable, alors que celles de toutes les autres sciences sont discutables jusqu’à un certain point et risquent toujours d’être réfutées par la découverte de faits nouveaux. Le chercheur d’une autre discipline n’aurait pas lieu pour autant d’envier le mathématicien si les propositions de ce dernier ne portaient que sur de purs produits de notre imagination et non sur des objets réels. Il n’est pas étonnant en effet que l’on parvienne à des conclusions logiques concordantes, une fois que l’on s’est mis d’accord sur les propositions fondamentales (axiomes) ainsi que sur les méthodes à suivre pour déduire de ces propositions fondamentales d’autres propositions ; mais le prestiges de mathématiques tient, par ailleurs, au fait que ce sont également elles qui confèrent aux sciences exactes de la nature un certain degré de certitude, que celles-ci ne pourraient atteindre autrement.

Ici surgit une énigme qui, de tout temps, a fortement troublé les chercheurs. Comment est-il possible que les mathématiques, qui sont issues de la pensée humaine indépendamment de toute expérience, s’appliquent si parfaitement aux objets de la réalité ? La raison humaine ne peut-elle donc, sans l’aide de l’expérience, par sa seule activité pensante, découvrir les propriétés des choses réelles ?

Il me semble qu’à cela on ne peut répondre qu’une seule chose : pour autant que les propositions mathématiques se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et, pour autant qu’elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité. (…) Interprétation ancienne : tout le monde sait ce qu’est une droite et ce qu’est un point. (…) Interprétation nouvelle : la géométrie traite d’objets qui sont désignés au moyen de termes « droite », « point », etc. On ne présuppose pas une quelconque connaissance ou intuition de ces objets, mais seulement la validité d’axiomes (…) Ces axiomes sont des créations libres de l’esprit humain. (…) Ce sont les axiomes qui définissent en premier lieu les objets dont traite la géométrie. (…) Pourquoi Poincaré et d’autres chercheurs rejettent-ils l’équivalence naturelle entre le corps pratiquement rigide de l’expérience et le corps de la géométrie ? Tout simplement parce qu’un examen un peu précis révèle que les corps solides réels de la nature ne sont pas rigides, étant donné que leur comportement géométrique, c’est-à-dire les diverses positions relatives qu’ils peuvent occuper, est fonction de la température, des forces extérieures, etc. »

ILYA PRIGOGINE :

"La science est un dialogue avec la nature. Mais comment un tel dialogue est-il possible ? Un monde symétrique par rapport au temps serait un monde inconnaissable. Toute prise de mesure, préalable à la création de connaissance, présuppose la possibilité d’être affectés par le monde, que ce soit nous qui soyons affectés ou nos instruments. Mais la connaissance ne présuppose pas seulement un lien entre celui qui connait et ce qui est connu, elle exige que ce lien crée une différence entre passé et futur. La réalité du devenir est la condition sine qua non à notre dialogue avec la nature. (...)

Comprendre la nature a été l’un des grands projets de la pensée occidentale. Il ne doit pas être identifié avec celui de contrôler la nature. Aveugle serait le maître qui croirait comprendre ses esclaves sous prétexte que ceux-ci obéissent à ses ordres. Bien sûr, lorsque nous nous adressons à la nature, nous savons qu’il ne s’agit pas de la comprendre à la manière dont nous comprenons un animal ou un homme. Mais là aussi la conviction de Nabokov s’applique : "ce qui peut être contrôlé n’est jamais tout à fait réel, ce qui est réel ne peut jamais être rigoureusement contrôlé." (...)

Le déterminisme a des racines anciennes dans la pensée humaine, et il a été associé aussi bien à la sagesse, à la sérénité qu’au doute et au désespoir. La négation du temps, l’accès à une vision qui échapperait à la douleur du changement, est un enseignement mystique. Mais la réversibilité du changement n’avait, elle, été pensée par personne : "Aucune spéculation, aucun savoir n’a jamais affirmé l’équivalence entre ce qui se fait et ce qui se défait, entre une plante qui pousse, fleurit et meurt, et une plante qui ressuscite, rajeunit et retourne vers sa graine primitive, entre un homme qui mûrit et apprend, et un homme qui devient progressivement enfant, puis embryon, puis cellule." (...)

A quelque niveau que ce soit, la physique et les autres sciences confirment notre expérience de la réalité : nous vivons dans un univers en évolution. [...] La dernière forteresse qui résistait à cette affirmation vient de céder. Nous sommes maintenant en mesure de déchirer le message de l’évolution tel qu’il prend racine dans les lois fondamentales de la physique. Nous sommes désormais en mesure de déchiffrer sa signification en termes d’instabilité associée au chaos déterministe et à la non-intégrabilité. Le résultat de notre recherche est en effet l’identification de systèmes qui imposent une rupture de l’équivalence entre la description individuelle (trajectoires, fonctions d’onde) et la description statistique d’ensembles. Et c’est au niveau statistique que l’instabilité peut être incorporée dans les lois fondamentales. Les lois de la nature acquièrent alors une signification nouvelle : elle ne traitent plus de certitudes mais de possibilités. Elles affirment le devenir et non plus seulement l’être. Elles décrivent un monde de mouvements irréguliers, chaotiques, un monde plus proche de celui qu’imaginaient les atomiques anciens que des orbites newtoniennes."

Messages

  • Poincaré, La science et l’hypothèse :

    « Pour un observateur superficiel, la vérité scientifique est hors des atteintes du doute ; la logique de la science est infaillible et, si les savants se trompent quelquefois, c’est pour en avoir méconnu les règles.

    Les vérités mathématiques dérivent d’un petit nombre de propositions évidentes par une chaîne de raisonnements impeccables ; elles s’imposent non seulement à nous, mais à la nature elle-même. Elles enchaînent pour ainsi dire le Créateur et lui permettent seulement de choisir entre quelques solutions relativement peu nombreuses. Il suffira alors de quelques expériences pour nous faire savoir quel choix il a fait. De chaque expérience, une foule de conséquences pourront sortir par une série de déductions mathématiques, et c’est ainsi que chacune d’elles nous fera connaître un coin de l’Univers.

    Voilà quelle est pour bien des gens du monde, pour les lycéens qui reçoivent les premières notions de physique, l’origine de la certitude scientifique. Voilà comment ils comprennent le rôle de l’expérimentation et des mathématiques. C’est ainsi également que le comprenaient, il y a cent ans, beaucoup de savants qui rêvaient de construire le monde en empruntant à l’expérience aussi peu de matériaux que possible.

    Quand on a un peu plus réfléchi, on a aperçu la place tenue par l’hypothèse ; on a vu que le mathématicien ne saurait s’en passer et que l’expérimentateur ne s’en passe pas davantage. Et alors, on s’est demandé si toutes ces constructions étaient bien solides et on a cru qu’un souffle allait les abattre. Être sceptique de cette façon, c’est encore être superficiel. Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir.

    Au lieu de prononcer une condamnation sommaire, nous devons donc examiner avec soin le rôle de l’hypothèse ; nous reconnaîtrons alors, non seulement qu’il est nécessaire, mais que le plus souvent il est légitime. Nous verrons aussi qu’il y a plusieurs sortes d’hypothèses, que les unes sont vérifiables et qu’une fois confirmées par l’expérience, elles deviennent des vérités fécondes ; que les autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous être utiles en fixant notre pensée, que d’autres enfin ne sont des hypothèses qu’en apparence et se réduisent à des définitions ou à des conventions déguisées.

    Ces dernières se rencontrent surtout dans les mathématiques et dans les sciences qui y touchent. C’est justement de là que ces sciences tirent leur rigueur ; ces conventions sont l’œuvre de la libre activité de notre esprit, qui, dans ce domaine ne reconnaît pas d’obstacle. Là, notre esprit peut affirmer parce qu’il décrète ; mais entendons-nous : ces décrets s’imposent à notre science, qui, sans eux, serait impossible ; ils ne s’imposent pas à la nature. Ces décrets, pourtant, sont-ils arbitraires ? Non, sans cela ils seraient stériles. L’expérience nous laisse notre libre choix, mais elle le guide en nous aidant à discerner le chemin le plus commode. Nos décrets sont donc comme ceux d’un prince absolu, mais sage, qui consulterait son Conseil d’État.

    Quelques personnes ont été frappées de ce caractère de libre convention qu’on reconnaît dans certains principes fondamentaux des sciences. Elles ont voulu généraliser outre mesure et en même temps elles ont oublié que la liberté n’est pas l’arbitraire. Elles ont abouti ainsi à ce que l’on appelle le nominalisme et elles se sont demandé si le savant n’est pas dupe de ses définitions et si le monde qu’il croit découvrir n’est pas tout simplement créé par son caprice[1]. Dans ces conditions, la science serait certaine, mais dépourvue de portée.

    S’il en était ainsi, la science serait impuissante. Or, nous la voyons chaque jour agir sous nos yeux. Cela ne pourrait être si elle ne nous faisait connaître quelque chose de la réalité ; mais ce qu’elle peut atteindre, ce ne sont pas les choses elles-mêmes, comme le pensent les dogmatistes naïfs, ce sont seulement les rapports entre les choses ; en dehors de ces rapports, il n’y a pas de réalité connaissable.

    Telle est la conclusion à laquelle nous parviendrons, mais pour cela il nous faudra parcourir la série des sciences depuis l’arithmétique et la géométrie jusqu’à la mécanique et à la physique expérimentale.

    Quelle est la nature du raisonnement mathématique ? Est-il réellement déductif comme on le croit d’ordinaire ? Une analyse approfondie nous montre qu’il n’en est rien, qu’il participe dans une certaine mesure de la nature du raisonnement inductif et que c’est par là qu’il est fécond. Il n’en conserve pas moins son caractère de rigueur absolue ; c’est ce que nous avions d’abord à montrer.

    Connaissant mieux maintenant l’un des instruments que les mathématiques mettent entre les mains du chercheur, nous avions à analyser une autre notion fondamentale, celle de la grandeur mathématique. La trouvons-nous dans la nature, ou est-ce nous qui l’y introduisons ? Et, dans ce dernier cas, ne risquons-nous pas de tout fausser ? Comparant les données brutes de nos sens et ce concept extrêmement complexe et subtil que les mathématiciens appellent grandeur, nous sommes bien forcés de reconnaître une divergence ; ce cadre où nous voulons tout faire rentrer, c’est donc nous qui l’avons fait ; mais nous ne l’avons pas fait au hasard, nous l’avons fait pour ainsi dire sur mesure et c’est pour cela que nous pouvons y faire rentrer les faits sans dénaturer ce qu’ils ont d’essentiel.

    Un autre cadre que nous imposons au monde, c’est l’espace. D’où viennent les premiers principes de la géométrie ? Nous sont-ils imposés par la logique ? Lobatchevsky a montré que non en créant les géométries non euclidiennes. L’espace nous est-il révélé par nos sens ? Non encore, car celui que nos sens pourraient nous montrer diffère absolument de celui du géomètre. La géométrie dérive-t-elle de l’expérience ? Une discussion approfondie nous montrera que non. Nous conclurons donc que ses principes ne sont que des conventions ; mais ces conventions ne sont pas arbitraires, et transportés dans un autre monde (que j’appelle le monde non euclidien et que je cherche à imaginer), nous aurions été amenés à en adopter d’autres. »

  • Léonard de Vinci :

    "Celui qui attend de l’expérience ce qu’elle ne peut donner s’éloigne de la raison."

    "La nature est remplie d’une infinité de raisons dont l’expérience n’a jamais vu la trace."

    "L’oeuvre de la nature est bien plus difficile à comprendre que le livre d’un poète."

    " Pour développer un esprit complet, étudie la science des arts, étudie l’art de la science, étudie comment observer, étudie tout ce que tu vois, réalise combien tout est connecté avec tout. "

  • « On pense souvent à tort que le chercheur n’a pas le droit d’induire au-delà des faits observés… Mais quiconque a l’expérience du travail scientifique sait pertinemment que celui qui refuse de dépasser les faits les atteint rarement. »

    T.H Huxley

    « Si les faits ne correspondent pas à la théorie, changez les faits. » dit la boutade d’Einstein !!!

    « Nous avons trois moyens principaux : l’observation de la nature, la réflexion et l’expérience. L’observation recueille les faits ; la réflexion les combine, l’expérience vérifie les résultats de la combinaison. »

    Denis Diderot

    « L’expérimentateur se trouve sans cesse aux prises avec des faits qui ne sont pas encore manifestés. L’inconnu dans le possible et aussi dans ce qui a été, voilà son domaine. »

    Louis Pasteur

    « On fait la science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison. »

    Henri Poincaré

    « On faut rectifier un fait, mais un fait ne constitue ni ne détruit une théorie. On ne détruit des théories que par des théories nouvelles... L’empirisme peut servir à accumuler les faits mais il ne saurait jamais édifier la science. L’expérimentateur qui ne sait pas ce qu’il cherche ne comprend pas ce qu’il trouve. »

    Claude Bernard

  • Faits et théorie : pour Stephen Jay Gould, les faits ne sont pas le seul pilier de la science…

    « Nous n’avons pas seulement besoin de données brutes, il nous faut également disposer d’une formulation adéquate.Ceux qui révolutionnent la pensée humaine ne sont pas ceux qui collectionnent le plus d’informations, mais ceux qui conçoivent la trame de nouvelles structures intellectuelles. »
    Darwin et les grandes énigmes de la vie, Stephen Jay Gould

    « Les plus grandes découvertes sur le plan des concepts s’effectuent souvent en notre for intérieur, et non à l’issu de recherche acharnées sur le Terre ou dans les étoiles pour mettre à jour de nouveaux faits ou de nouveaux phénomènes. Elles résultent alors de la nécessité de mettre fin à d’anciens préjugés et d’élaborer de nouvelles structures conceptuelles. »
    La Mal-Mesure de l’homme (1997), Stephen Jay Gould (trad. J. Chabert et M. Blanc)

    « Des faits nouveaux rassemblés dans le cadre d’une nouvelle théorie sont rarement le prélude à une réelle évolution de la pensée. Les faits ne « parlent pas d’eux-même » ; ils sont interprétés à la lumière de la théorie. La pensée créatrice, dans les sciences autant que dans les arts, est le moteur du changement. La science est une activité essentiellement humaine, non l’accumulation mécanique, automatique d’information objectives qui conduirait, grâce aux lois de la logique, à des conclusions inévitables. »

    Darwin et les grandes énigmes de la vie (1977), Stephen Jay Gould

    « A l’intention de ceux qui continuent à croire au mythe selon lequel la pure accumulation des faits est le préalable à la formulation solide d’une théorie solide, il me faut souligner que Darwin, au moment où il émit son idée lumineuse et correcte (la comparaison du rapport géographique avec le rapport temporel et l’évolution), a choisi de l’illustrer par un exemple qui s’est révélé complétement erroné ! »
    Les pierres truquées de Marrakech, Stephen Jay Gould

    « les belles (et puissantes) théories peuvent rarement être anéanties par « un seul vilain petit fait », comme le dit la célèbre formule de T.H.T Huxley — de même que les grandes idées ne devraient pas êtres réduites à néant de cette façon, dans ce monde où les faits sont tellement difficiles à débrouiller que ceux que l’ont dit avoir observés se révèlent bien souvent inexacts. »
    Les pierres truquées de Marrakech, Stephen Jay Gould

    « Les faits et les théories interagissent de manières très complexe, se renforçant souvent mutuellement. »
    Les pierres truquées de Marrakech, Stephen Jay Gould

    « Les théories qui ne sont soutenues par aucun fait peuvent éventuellement être creuses (et si elles sont impossibles à étayer, elles sont dépourvues de sens pour la science) : mais, sans théorie à mettre à l’épreuve, nous ne savons pas où porter notre regard. »

    Les pierres truquées de Marrakech, Stephen Jay Gould

    « selon le mythe en vigueur, dans notre profession, les changements dans les conceptions ne découlent que du raisonnement, en permanence appliqué à des observation accumulées en quantité toujours croissante. Mais, en réalité, le changement dans les sciences est toujours le résultat du mélange complexe et intriqué du processus d’accroissement des connaissances et de celui de la modification des circonstances sociales. »

    Le livre de la vie, Stephen Jay Gould

  • JFP¦¦26092019¦¦Les faits ne sont là que pour conforter les idées mais aussi pour contredire les idées. Les faits n’ont aucune valeur sur les idées, car il y a toujours interprétation des faits, mais jamais des bonnes idées. L’enclume et la plume tombent à la même vitesse, et les effets des faits sur terre nous disent exactement le contraire. Les sciences des idées sont plus vraies que les sciences des faits, car les faits sont toujours dépendants d’un contexte, et non les idées. Mais il y a aussi des idées qui sont de mauvaises idées et sans fait, et c’est aussi cela les sciences.
    ▬Amicalement. Les jumeaux JFP/Jean-François POULIQUEN

  • « Le sourire du flamant rose » de Stephen Jay Gould :

    « Le progrès de la science ne procède pas uniquement de l’accumulation de données nouvelles : il exige des contextes et des cadres intellectuels nouveaux. Et d’où proviennent ces visions du monde fondamentalement neuves ? Elles ne surgissent pas seulement de l’observation pure et simple, mais de l’exercice de nouveaux modes de pensée. Et où les trouve-t-on, puisque les modes de pensée d’une époque ne contiennent pas les métaphores nécessaires à la suivante ? Le vraie génie réside sans doute dans cette aptitude intangible à faire surgir de nouveaux modes de pensée d’un chaos apparent. Les jeux de l’imprévisible et du hasard qui façonnent la science sont également tributaires de la difficulté fondamentale de cette tâche. »

  • JFP¦¦14102019¦¦On pourrait dire aussi que l’accumulation de nouvelles données, nous donne aussi de nouveaux contextes et de nouveaux cadres intellectuels, et donc forcément de nouvelles idées, car les idées n’émergent pas du néant, mais justement d’acquis et de nouvelles données, et ces mêmes acquis peuvent même être remis en cause par des nouvelles idées de ces acquis, mais si il n’y a pas d’acquis il n’y aura pas de nouvelle idée, et pas plus de nouveaux cadres intellectuels, car le fondement même des idées part des acquis, car on ne construit rien sans socle ni rien. Le déclic du hasard de trouver une nouveauté, est en grande partie lié à consulter ou consulter de nouveau d’anciennes données, remettant en cause l’acquis, car l’idée n’émerge pas du néant mais est forcément liée à ce que nous croyons connaître ou que nous consultons, car il peut y avoir de nouvelles interprétations sur ce qui est déjà expliqué. Ce grand monsieur Einstein n’est pas parti de rien, même si il avait avant ces trouvailles, des germes d’interrogations en lui-même, car il a repris l’existant qui était des acquis pour en faire des choses nouvelles. On ne refait pas le monde à partir de rien, même si on croit faire table rase d’un existant, car les pièces pour un nouveau système seront toujours les mêmes pièces mais agencées et disposées différemment, en ajoutant de nouvelles pièces et en supprimant d’autres.
    ▬Les jumeaux JFP/Jean-François POULIQUEN

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