Ce qu’est notre Univers, les films
Qu’est-ce que la théorie du Big bang ?
Qu’est-ce que l’expansion de l’Univers ?
Big Bang ? Pas Big Bang ?
Le débat sur les origines de l’Univers
Dossier réalisé par Jean-Claude PECKER.
Le "vieux Big Bang"
Le Big Bang ? Parlons plutôt de "la grande explosion des origines..." C’est le résultat convergent de deux séries d’ observations bien faites, de leur interprétation la plus simple, de l’extrapolation (hasardeuse !) de cette interprétation, et d’une fantastique exploitation médiatique (et même catholique...).
Les observations, ce sont d’abord celles de Slipher, dans les années 1910-1920, d’un “décalage vers le rouge” (“redshift” dans la littérature anglophone) des raies du spectre des galaxies les plus lointaines (mais encore assez proches, compte tenu des moyens faibles dont disposait Slipher). Ce sont ensuite celle de Hubble, dans les années 20, au télescope de 2 mètres du Mont-Wilson, qui arrive à mesurer les distances des galaxies (avec des procédés indirects, mais puissants, dont je ne parlerai pas ici), et qui mesure aussi une cinquantaine de décalages spectraux de galaxies, jusqu’à des distances de l’ordre de quelques millions d’années de lumière.
Hubble note que plus la distance est grande, plus le décalage spectral est grand ; il y a, selon lui, une stricte proportionnalité entre “décalage spectral” et “distance” : c’est la relation de Hubble.
Or, à l’époque de Hubble comme maintenant, un seul phénomène bien connu conduit à interpréter les décalages spectraux : c’est l’effet Doppler-Fizeau, découvert au milieu du XIXème siècle. Si une source de lumière s’éloigne de l’observateur, son “spectre”, toutes les “raies” de son spectre, sont décalées vers le rouge d’une quantité proportionnelle à la vitesse d’éloignement. Et si la source s’en rapproche, le spectre est décalé vers le bleu. D’où l’interprétation : les galaxies s’écartent de nous d’autant plus vite qu’elles sont plus éloignées ; donc elles s’écartent les unes des autres d’autant plus vite qu’elles sont plus éloignées... Il y a une “expansion” générale de l’univers. Hubble lui-même et le thermodynamicien Tolman, dans la fin des années 30, parlaient cependant encore d’expansion “apparente”. En effet, ne fallait-il pas laisser la porte ouverte à d’autres interprétations possibles des décalages spectraux des galaxies, si grands par rapport à ceux que l’on réalise au laboratoire ?
Quoi qu’il en soit, si on interprète la relation de Hubble en termes d’expansion réelle, et si l’on se livre à une extrapolation élémentaire, et que l’on remonte dans le temps d’une façon simpliste, comme si le taux d’expansion avait été constant, on en arrive à un moment dans le passé où l’univers était hyper-condensé, de densité “infinie”, - ce que les mathématiciens appellent un “point singulier”. L’univers était-il alors effectivement rassemblé en un point, et de volume nul ? Il n’y aucune raison pour cela. Non : ... simplement de “densité infinie” - partout.
Pendant cette même période, les théoriciens travaillaient à construire un univers qui satisfasse aux lois de la Physique, telles que synthétisées par la Relativité Générale (RG) d’Einstein (1916), et qui rendaient compte de toute la physique connue sur Terre .La RG explique même certaines anomalies par rapport à la physique newtonienne, observées au voisinage du Soleil, telles la déviation forte des rayons lumineux par le Soleil (observable au cours d’une éclipse de Soleil), ou les anomalies du mouvement de la planète Mercure, la plus proche du Soleil. Einstein, le premier, construisit alors un modèle d’univers, fort simple d’ailleurs. Il le voulait, a priori, stationnaire, pareil à lui-même de toute éternité. Pour ce faire, il introduisit un nouveau terme dans les équations, afin de simuler une force de répulsion compensant l’attraction newtonienne classique : c’est la “constante cosmologique”, désignée par le symbole L. Mais Friedmann (1922), puis Lemaître (1929) éliminèrent cette idée d’Einstein. Friedmann, supprimant la constante cosmologique, obtient des modèles possibles en grand nombre. Certains d’entre eux sont compatibles avec l’expansion de l’univers. Les plus “raisonnables” admettent un point singulier, éloigné dans le passé un peu moins que le temps écoulé depuis le point singulier issu de l’extrapolation simple. En d’autres termes, l’extrapolation du taux de la relation de Hubble fournit une valeur limite supérieure de l’âge de l’univers dans les modèles de Friedmann. Au temps d’Hubble, les mesures donnaient à cette âge limite environ 2 milliards d’années... Or la Terre (on le sait grâce à la géologie) est plus vieille : 4.62 milliards d’années... Contradiction !... Il faudra étendre, modifier, corriger, les mesures de Hubble. Lemaître imagine l’existence de cet univers primitif comme effectivement limité à un point, qu’il appelle “l’atome primitif”. De cet atome primitif serait né, après une fantastique explosion, tout l’univers.
Gamow, Alpher, Herman, dans les années 1949-1954, vont plus loin que la description mathématique, et limitée à la densité, de Friedmann, ou de Lemaître. Ils imaginent que la température de cet état singulier origine doit, comme la densité, être “infinie”. Le refroidissement brusque de l’univers ressemble à une trempe métallurgique... C’est dans la fournaise que doivent se former les éléments chimiques, un peu moins de 90% de noyaux d’hydrogène, et de 10% de noyaux d’hélium, et le reste en abondances bien plus faibles...
Hoyle, qui ne croit pas aux idées de Gamow, ni aux modèles de Friedmann-Lemaître, et qui préfère un univers stationnaire, comme naguère Einstein, se moque ouvertement de la théorie de Gamow, et par dérision lui donne le nom de “Big Bang”... Mais Gamow avait aussi le sens de l’humour, et, de cette moquerie, il se fait un drapeau, ô combien médiatique !, si bien que ce fut le mot qui, en vérité fit la fortune de l’idée.
En même temps (1951) le pape Pie XII, s’exprime longuement sur ces questions, à un point de vue plus métaphysique que physique : pour lui, le “Big Bang” , c’est le “fiat lux”... Le Big Bang a le vent en poupe, et ceux qui, dans la tradition d‘Einstein, en montrent les difficultés n’arrivent pas à se faire entendre, ni publier, sinon dans des revues peu lues. Ils sont franchement dénigrés, et oubliés.
Fin provisoire de l’histoire du "vieux Big Bang"...
La théorie de Gamow et de ses coauteurs fait l’objet d’une série très complète d’articles. Bien entendu, elle rend compte de l’expansion, son postulat de base... Elle permet aussi de prédire la composition chimique de l’univers, et l’existence d’un certain “rayonnement de fond de ciel”, rayonnement d’un “four”, dont la température, évaluée par ces auteurs, aurait une valeur To comprise entre une fraction de degré et quelques degrés absolus (un four très froid et donc observable seulement dans le rayonnement radio de haute fréquence). Pour décrire et prédire ces trois types de faits d’observation, dits d’ “importance cosmologique” (mais il y a bien d’autres faits d’importance cosmologique !) il reste des paramètres “libres” dans la théorie ; la densité moyenne de l’univers, ro, dont nous ne mesurons qu’une valeur limite inférieure, et la constante qo de décélération qui mesure la variation de H, peut-être décelable pour les décalages importants vers le rouge. Ces paramètres étant correctement ajustés, la théorie rendra compte de toutes les observations. Mais on voit l’aspect ad hoc de ces calculs... D’autre part, si le rayonnement de fond du ciel avait été de fait observé par Mc Kellar en 1941, indirectement, il ne l’avait pas encore été directement, et le travail de Mc Kellar était peu connu... Ceci explique que beaucoup d’éminents astronomes aient beaucoup douté à cette époque, de la théorie de Gamow.
En 1964, la découverte de ce rayonnement dans les ondes radio millimétriques, par Penzias et Wilson, la mesure de son spectre, toutes les mesures ultérieures, montrent qu’il s’agit bien d’un rayonnement de “corps noir” de 2.735 K, et tout cela conforte l’idée du Big Bang. Vers la fin des années 60, le dogme est universellement accepté. En fait c’est à ce moment-là que commencèrent les difficultés ! Car qui pouvait dire que l’on connaissait bien la physique de ce milieu “initial” à des températures et des densités si élevées ? Et d’autre part, n’y avait-il pas comme une façon nouvelle d’introduire dans la théorie physique l’idée métaphysique de “création” ? Enfin la “constante” de Hubble, même très bien déterminée après les travaux de Sandage, de de Vaucouleurs et de bien d’autres, donnait un “âge de l’univers” encore trop court pour s’accommoder facilement de l’âge des amas globulaires d’étoiles de notre Galaxie, alors évalué à 15-20 milliards d’années.
Le “nouveau Big Bang”
Face à toutes les difficultés, il fallut élaborer de nouvelles théories des origines. Que s’est-il vraiment passé dans la faction de seconde infime qu’a été l’explosion ? Que pouvait dire la physique ?... Les physiciens ont cherché à expliquer pourquoi le rayonnement de fond du ciel, que l’on continua de mesurer après Penzias et Wilson, était si “isotrope”, c’est-à-dire parfaitement le même dans toutes les directions (une fois corrigé des effets du mouvement du Soleil dans notre Galaxie, alors que la distribution des galaxies elles-mêmes est loin d’avoir cette “isotropie”). Cela était inexplicable dans le Big Bang standard classique. Il fallut explorer des théories physiques difficiles, réintroduire la constante cosmologique, inventer l’“inflation”, qui en une infime fraction de seconde divise par des milliards de milliards de milliards la densité de l’univers, avant que l’expansion ne se stabilise ; il faut faire intervenir des particules élémentaires nouvelles, quarks, et gluons notamment, stables à ces très hautes températures ; il faut viser à l’unification de toutes les interactions fondamentales, à de très faibles distances ; car il semble inconcevable que les forces de la gravitation ne se confondent pas avec celles de l’électromagnétisme ou avec les interactions internes au noyau. C’est la théorie de la “Grande Unification”(GUT)... On imagine un univers en quelque sorte idéal, dit “supersymétrique”(“SUSY”). Bref on introduit une nouvelle physique. Avant qu’entre en jeu cette nouvelle physique, on a affaire à une espèce d’univers “quantique” ultra-dense, et l’on manque tout à fait aujourd’hui d’idées capables d’en décrire le comportement. Dans cette soupe primitive, qui aurait duré depuis ? - très longtemps peut-être ! - , l’univers “SUSY” apparaît, issu d’une fluctuation commandée par la physique statistique des échanges quantiques... Bref, toute une physique nouvelle, est en train de s’installer, très difficilement. Restent les paramètres, qu’il faut ajuster aux mesures, ro, qo, connaissant seulement Ho, et To, et la composition chimique en éléments légers de l’univers... On a construit ainsi un “nouveau Big Bang”, très rafistolé par rapport à l’ancien, beaucoup moins simple, et qui semble, au prix d’une physique que, personnellement je trouve abusivement arbitraire, justifié par des soucis d’élégance, un peu comme la physique pythagoricienne, comme les épicycles de Ptolémée, ou les polyèdres de Kepler... Et ce modèle ne me satisfait pas. Il me satisfait d’autant moins que l’une des clefs de voûte du “Big Bang” (“old” ou “new”) reste le rayonnement de fond de ciel. Or, longtemps avant Gamow, divers auteurs, Guillaume en France, Regener ou Nernst en Allemagne, Eddington en Angleterre, Findlay-Freundlich et Born, en Écosse, avaient prédit le rayonnement isotrope de fond de ciel, avec une précision bien meilleure que celle de Gamow, en supposant simplement (comme Einstein) une durée de vie infinie à l’univers ; auquel cas, le rayonnement issu des étoiles se dilue, arrive à un état d’équilibre unique, que l’on peut calculer, et sans que la théorie admette d’autres paramètres que les données brutes de l’observation du ciel actuel... Cela veut dire que le rayonnement de fond de ciel à 2.7 K n’est pas un fait d’importance cosmologique ; il ne permet pas de trancher entre des théories opposées...
Cosmologies nouvelles
Le caractère très peu physique du “old Big Bang”, le caractère très artificiel du “new Big Bang”, le peu de valeur probante des observations considérées comme les plus cruciales en faveur de l’un ou de l’autre, ont fait chercher des solutions alternatives au Big Bang.
Un premier type de solutions a été proposé par Burbidge, Hoyle et Narlikar (BHN), suivant une idée plus ancienne de Hoyle et Bondi : celle d’un Univers quasi stationnaire. L’univers de BHN oscille entre deux densités extrêmes, finies. Il explique tous les phénomènes connus déjà cités, avec moins de paramètres arbitraires, et de façon aussi bonne, voire meilleure que l’un ou l’autre des “Big Bang”s. Cet univers implique une “création continue de matière”. Des quasars de matière “jeune” sont éjectés de chaque galaxie, à intervalles, et ont des “décalages spectraux anormaux” très élevés. L’existence de ces décalages a été prouvée par des dizaines d’observations (Arp) ; elle contredit complètement le Big Bang. Mais pour les expliquer, il faut faire ici encore appel à une “nouvelle physique” encore difficile à comprendre.
Par ailleurs, si BHN admettent la réalité de l’expansion, d’autres auteurs (après Zwicky et Belopolsky il y a plus d’un demi siècle, Findlay-Freundlich, vers 1954, puis Vigier et moi-même, vers 1972, et bien d’autres depuis) défendent l’idée de la “fatigue de la lumière”. En voyageant dans l’espace, la lumière interagit avec le milieu traversé, avec les particules du vide intergalactique, avec les champs gravitationnels qui l’habitent, avec les ondes qui le parcourent, ... avec... que sais-je ? ; la lumière perd de l’énergie de façon proportionnelle à la durée du trajet : c’est la loi de Hubble, prédite très simplement. La théorie de la lumière fatiguée, comme celle de BHN, admet un univers stationnaire, mais sans oscillations, et explique aussi bien les abondances des éléments et le rayonnement de fond de ciel. De plus, elle n’a pas besoin d’admettre un univers homogène et isotrope ; elle est compatible avec l’observation d’une certaine “hiérarchie” (étoiles, galaxies, amas de galaxies, super-amas, hyper-amas), dont la densité moyenne décroît quand on passe d’une de ces structures à la suivante ; ce qui interdit, c’est clair, la définition même d’une densité moyenne de l’univers... Mais, là encore, la “physique” de la fatigue est inconnue. Les photons de lumière devraient au repos avoir une masse non nulle. Or, on n’est jamais parvenu à la mesurer. Elle est, de toute façon, infime.
Il y a de fait bien d’autres cosmologies, souvent très plausibles et respectables, et bien d’autres, qui relèvent de la fantasmagorie ignorante. Sans les citer, j’ai voulu simplement montrer que le domaine est loin d’être clos ; que l’on ne doit y accepter passivement aucun dogme nouveau (Big Bang par exemple).
On en est là, en plein débat. Chacun se croit sûr de son fait. Les non-dits de caractère métaphysique jalonnent cependant la discussion. Tant il est vrai qu’aux franges de la science, les progrès sont parfois lents et hésitants. La cosmologie reste un domaine ouvert, où le chercheur lui-même, tout en se fondant sur une aussi bonne physique que possible, doit rester au courant des observations, de la physique nouvelle, des idées des autres.
Jean-Claude Pecker, astrophysicien, membre de l’Académie des sciences,
Article paru sur www.larecherche.fr
(1976) Hannes Alfvén
La cosmologie : mythe ou science ?
Comment l’univers a-t-il commencé ? A cette question, la tradition universelle apporte d’innombrables réponses sous forme de mythes. Ces mythes peuvent séduire par leur beauté ou, pour certains, rester articles de foi - ils ne sont pas considérés comme des solutions scientifiques - au sens moderne de ce dernier mot - du problème cosmologique. Ignoré de la physique classique, ce problème sollicite depuis plus d’un demi-siècle l’intérêt des chercheurs. (Voir notamment « Qu’est-ce que l’univers ? », par J. Merleau-Ponty et D.W. Sciama, la Recherche no 2, et « L’évolution de l’univers », par J. Heidmann et R. Omnès, la Recherche no 23.) La formulation par Einstein de la relativité générale, les progrès de l’astronomie optique, puis de la radio-astronomie confèrent aux théories qui ont cours aujourd’hui toutes les apparences du sérieux et de la rationalité. Laissant derrière elle un encombrant héritage de mythes poétiques, la cosmologie serait-elle devenue une science ? Hannes Alfvén (dont la Recherche a publié en novembre 1972 un article sur « L’origine et l’évolution du système solaire ») n’en croit rien, et s’en explique sans ambages.
La cosmologie a commencé le jour où l’homme s’est demandé : qu’y a-t-il au-delà de l’horizon et que s’est-il passé avant le tout premier événement dont je puisse me souvenir ? Pour le savoir, la méthode consistait à demander à ceux qui avaient voyagé très loin ce qu’ils avaient vu et aussi ce que les gens qu’ils avaient rencontrés leur avaient raconté sur les régions plus lointaines encore. De même le grand-père évoquait sa jeunesse et ce que son grand-père lui avait rapporté, et ainsi de suite. Mais plus les lieux et les époques étaient éloignés, plus l’information devenait incertaine.
La demande croissante de connaissances sur les régions très lointaines et les temps très anciens était satisfaite par des gens qui prétendaient pouvoir donner des informations précises sur les contrées et les temps les plus reculés. Quand on leur demandait comment ils pouvaient savoir tout cela, ils répondaient fréquemment qu’ils étaient en liaison avec les dieux et obtenaient des « révélations » sur les structures de l’univers et la manière dont il avait été créé. Quelques-uns de ces prophètes furent crus par de vastes groupes humains, et les mythes ayant trait à cette création et à cette structure devinrent partie intégrante des religions.
Dans les plus anciennes mythologies, le monde apparaît généralement comme éternel. Lorsque les dieux le « créèrent », leur tâche consista essentiellement à apporter de l’ordre dans un chaos originel. Chez les peuples du bord de la Méditerranée et du Moyen-Orient, on supposait que cette « création » était intervenue il y a plusieurs milliers d’années, tandis qu’en Inde on admettait des durées plus considérables. Dans quelques cas, le temps était mesuré en kalpas, ou jours de Brahma, qui représentaient chacun quatre à cinq milliards d’années.
Il apparut très tôt que la contribution de l’astronomie à la cosmologie était essentielle. L’essor de la science et de la philosophie, notamment en Egypte et en Grèce, a influencé les opinions que l’on avait sur la structure de l’univers. Par-dessus tout, le rôle de la pensée pythagoricienne a été décisif.
Le fait d’avoir découvert que la musique pouvait être comprise en termes de relations mathématiques simples, ainsi que le développement de la géométrie, a donné naissance à une nouvelle ère de la philosophie et de la science et a eu, nécessairement, un impact énorme sur la pensée platonicienne et aristotélicienne.
Plus le modèle se complique, plus il devient sacro-saint.
Le système de Ptolémée est une conséquence de ce changement. Il repose sur cette idée : si les dieux ont créé le monde, on doit retrouver dans sa structure - même si la théorie achoppe sur de nombreux points de détail - une certaine forme d’ordre que l’on pourrait qualifier de « sublime ». Selon les Pythagoriciens, la figure géométrique la plus « parfaite » était le cercle, et le plus « parfait » de tous les volumes était la sphère. La Terre devait donc être une surface circulaire ou une sphère, enveloppée d’un certain nombre d’autres sphères de cristal où les étoiles et les planètes auraient été fixées. De plus, le mouvement le plus parfait était à leurs yeux le mouvement uniforme. Ces sphères devaient donc obéir à ses lois et tourner à vitesse constante.
Avec les religions monothéistes, l’un des dieux prit de l’ascendant sur les autres. Il devint Dieu avec un D majuscule, quelque chose de bien plus important que le monde matériel lui-même. Lui seul était éternel : le monde était une structure secondaire créée par lui. Une semaine, selon la Bible, lui fut nécessaire pour cette création. Jusqu’à un certain point, elle se présente encore comme une mise en ordre du chaos préexistant ; mais, bientôt, la création fut interprétée comme une production du monde ex nihilo . La puissance de Dieu est telle que par le seul pouvoir de sa volonté, à l’aide de quelques formules magiques, il crée le monde entier. Pour la philosophie aristotélicienne, le monde matériel était « inengendré et indestructible ». Cette conception ne sera modifiée qu’au Moyen Age ; la notion de création ex nihilo fut introduite, essentiellement, par saint Thomas, qui remodela la pensée aristotélicienne en la mettant en accord avec les exigences de la doctrine de l’Eglise1.
La comparaison avec l’observation
D’une certaine façon, la cosmologie de Ptolémée semblait en accord avec l’observation : la sphère céleste la plus extérieure, celle sur laquelle les étoiles étaient fixées, tournait apparemment à une vitesse constante. On pouvait s’y attendre, car cette sphère était la plus extérieure, la plus proche de Dieu et donc la plus divine. Malheureusement, la théorie entrait en conflit avec le témoignage de l’observation dans le cas des planètes incluant le Soleil et la Lune. Tantôt le Soleil et la Lune se déplaçaient un peu plus vers le nord, tantôt vers le sud. Quant à Jupiter, son mouvement changeait parfois de sens relativement aux étoiles.
Il était évident que quelque chose n’allait pas. Mais le caractère tabou des principes de base édictés par la théorie (mouvement uniforme et figures géométriques parfaites) ne permettait pas leur contestation et encore moins leur abandon même s’ils étaient en conflit avec l’observation. On eut alors recours à une idée ingénieuse : les planètes n’étaient pas fixées directement sur les sphères célestes, mais sur un petit cercle (épicycle) ayant son centre sur la surface de la sphère et tournant selon un mouvement uniforme. Pendant quelque temps cette théorie parut tenir, mais les meilleures observations montrèrent bientôt qu’elle n’était pas exacte. Petit à petit, on l’ajusta au prix d’artifices toujours plus complexes Pour qu’elle colle à la réalité, au point que le roi Alphonse X de Castille, astronome renommé, disait : « Si j’avais été présent le jour de la naissance du monde, j’aurais pu donner quelques sérieux conseils. » Dans le même temps, plus le modèle se compliquait, plus il devenait sacro-saint.
De Copernic à Newton : une synthèse empirique.
A l’origine, le système de Ptolémée était une théorie assez séduisante, mais il se transforma en une structure rigide, incapable de prendre en compte les découvertes nouvelles. La raison en était que, fondamentalement, les problèmes n’étaient pas abordés de façon scientifique mais mythologique2. Certes, le fait de vouloir bâtir un monde selon les principes fondamentaux de la théorie (mouvement uniforme et figures géométriques parfaites) représentait un grand progrès. Car auparavant on croyait généralement que les événements survenant dans le monde dépendaient de la volonté ou des caprices des dieux.
En fait, le système de Ptolémée ne s’est pas tellement interrogé sur le caractère divin ou non de l’organisation des cieux. Mais il affirmait que certains principes philosophiques et mathématiques avaient présidé à la naissance du monde et qu’il était possible de les analyser et de les comprendre.
La philosophie pythagoricienne avait une beauté logique que l’on pouvait qualifier de « divine ». Les théoriciens proclamaient qu’ils avaient découvert par la pure spéculation les principes à partir desquels Dieu avait agi lorsqu’il créa le monde. Une fois que ces principes avaient été trouvés, il fallait que la structure du monde leur fût conforme. L’observation de la réalité n’était pas vraiment nécessaire, car le système était fondé sur une inspiration divine. Si Galilée affirmait avoir observé des taches solaires ou des corps célestes qui ne devaient pas exister, c’était son télescope qui était dans l’erreur et non pas Ptolémée.
Sous l’effet d’observations sans cesse plus précises, le système de Ptolémée dut céder la place à celui de Copernic. Que Copernic ait remplacé par un modèle héliocentrique un modèle géocentrique n’est pas l’essentiel. Ce qui importe surtout, c’est que le modèle de Copernic permettait la prise en charge des nouvelles données empiriques apportées par Tycho Brahé et beaucoup d’autres. Entre les mains de Galilée, Kepler et Newton, ce système devint donc une cosmologie dont les origines n’étaient pas fondées sur quelque principe philosophique ou mathématique. C’était plutôt une synthèse empirique, une compilation systématique de toutes les observations astronomiques jamais faites. Mais elle permet la découverte de nouvelles lois fondamentales de la nature - bien plus belles et bien plus simples que les anciennes - et surtout en complet accord, cette fois, avec les mouvements observés des corps célestes. Mais il est important de noter que ces lois n’étaient pas sacro-saintes. Et lorsqu’il apparut que la mécanique newtonienne ne s’appliquait pas aux atomes, elle fut remplacée dans ce domaine par la mécanique quantique.
La différence entre mythe et science est donc celle qui existe entre l’inspiration de source divine (I’ « unaided reason » de Bertrand Russel) et les théories développées en contact étroit avec le monde réel ; « je ne feins pas d’hypothèses », disait Newton.
Quand la science à son tour engendre des mythes...
Il a fallu attendre Plus de deux ans pour que la victoire de la science sur le mythe s’étende du champ de la mécanique céleste à celui de la biologie. Au XXe siècle, l’approche scientifique a gagné des domaines qui lui étaient jusque-là étrangers, tels celui de l’origine de la vie ou du fonctionnement du cerveau humain.
Cependant la victoire du bon sens et de la science sur le mythe n’a pas été totale. Nous constatons de nos jours une attitude antiscientifique et une renaissance des mythes. Plusieurs causes sont sans doute à l’origine de cette tendance ; mais, d’une certaine manière, la plus intéressante et aussi la plus dangereuse des menaces vient de la science elle-même. D’une manière très dialectique, le triomphe même de la science a libéré des forces qui, une fois de plus, font apparaître des mythes plus puissants que la science.
La théorie de la relativité restreinte est l’un des plus beaux résultats de la science. Elle prend ses racines dans l’expérience de Michelson-Morley et dans la théorie de l’électromagnétisme de Maxwell, qui décrivait de manière élégante tous les résultats obtenus lors de l’étude des phénomènes électriques, magnétiques et optiques. Déjà lorsqu’on l’exprime dans un système cartésien à trois dimensions, cette théorie de la relativité est très belle. Mais sa beauté mathématique croît encore lorsqu’elle est formulée dans un espace à quatre dimensions.
On a donné à ce fait une grande importance, et l’on a prétendu qu’Einstein avait découvert que l’espace avait quatre dimensions, ce qui est évidemment absurde. Mais cela avait une grande valeur publicitaire. Au bout de dix ou vingt ans de propagande, le « monde à quatre dimensions » était devenu très populaire, surtout lorsqu’on apprenait que la quatrième dimension n’était pas le temps, mais le temps multiplié par Ã-1.
Pour la plupart des gens, ce concept est incompréhensible. En fait, il faut être doué d’une perspicacité mathématique peu commune pour en saisir la signification profonde, et d’une plus grande encore pour bien comprendre qu’il s’agit d’un jargon mathématique qui n’a guère de conséquence profonde sur notre appréhension de la réalité physique.
Nombreux sont ceux qui ont dû se sentir soulagés lorsqu’on leur a dit que seul Einstein et quelques génies pouvaient comprendre la vraie nature du monde. Ils avaient essayé de leur mieux de comprendre la science. A présent, il était clair pour eux que la science était quelque chose en quoi l’on devait croire, et non pas quelque chose qu’il fallait essayer de comprendre. Assez paradoxalement, Einstein a peut-être été acclamé par le grand public non pas parce qu’il était un grand penseur, mais parce qu’il dispensait les autres du devoir de penser.
Très vite, les grands succès dans le domaine de la vulgarisation allèrent aux livres qui présentaient les résultats scientifiques comme des affronts au bon sens. Plus c’était hermétique et mieux c’était. Contrairement à l’opinion de Bertrand Russell, la science fut présentée progressivement comme la négation du bon sens. Et la frontière entre science et science-fiction s’effaça. Pour la plupart des gens, il était devenu de plus en plus difficile d’opérer une distinction entre science et science-fiction.
Des « quatre dimensions » au « point singulier ».
Mais revenons à la théorie de la relativité et à son impact direct sur les scientifiques. Les quatre dimensions de la relativité restreinte étaient assez inoffensives, On utilise tous les jours cette théorie dans les laboratoires pour calculer le comportement des particules de haute énergie. Comme les physiciens expérimentaux sont tout à fait convaincus que leurs laboratoires sont tridimensionnels et situés dans un espace à trois dimensions, ils prennent la formulation quadridimensionnelle de la relativité pour ce qu’elle est : une jolie petite décoration comparable à une caricature ou à un nu accroché au mur.
Dans la théorie de la relativité généralisée, en revanche, la formulation quadridimensionnelle est une affaire d’une tout autre importance. Cette théorie est en outre plus dangereuse parce qu’elle a été mise dans les mains de mathématiciens et de cosmologistes qui avaient peu de contact avec la réalité expérimentale. Qui plus est, ils l’ont appliquée à des régions de l’espace fort lointaines, et mesurer des dimensions à pareilles distances n’est pas très facile. Nombre de ces scientifiques n’avaient jamais visité un laboratoire ou regardé dans un télescope ; et même s’ils l’avaient fait, il eût été contraire à leur dignité de se salir les mains. Ils regardaient de haut les physiciens expérimentaux dont l’unique tâche consistait à confirmer leurs conclusions hautement intellectuelles. Et ceux qui n’y parvenaient pas étaient tenus pour incompétents. Les astronomes expérimentaux furent soumis à de fortes pressions de la part des théoriciens.
La relativité généralisée a ouvert des perspectives très séduisantes. De même que la surface terrestre est sans « bords » et pourtant « finie », on peut, dans un espace à quatre dimensions, concevoir une hypersphère sans frontières mais également d’un volume fini. Cette idée valait certainement la peine qu’on la creuse.
Certaines des solutions aux équations d’Einstein permettaient d’imaginer un univers en expansion. Quelques-unes présentaient « un point singulier » impliquant qu’à un certain moment, l’ensemble de l’univers avait existé sous la forme d’un point unique. A partir de cet état initial, il commençait son expansion, de telle manière que toutes ses parties s’éloignaient précipitamment les unes des autres, avec des vitesses proportionnelles à la distance qui les séparait. Ces types de solutions mathématiques semblaient applicables à « l’univers en expansion » que les fameuses lois empiriques de Hubble décrivent. La voie était dès lors ouverte à une nouvelle et grandiose cosmologie.
Le précurseur en ce domaine fut l’abbé Lemaître, qui baptisa « atome primitif » l’univers dans cet état initial. Gamov, lui, joua les propagandistes, et appela le début de l’expansion le « Big Bang ». Ni l’un ni l’autre ne poussèrent les choses à l’extrême et n’allèrent jusqu’à postuler que l’univers ait jamais été un point au sens mathématique du terme ! On supposait qu’à l’origine toute la masse de l’univers était concentrée dans une très petite sphère dont la température atteignait plusieurs milliards de degrés. Quand cette « bombe atomique » explosa, ses morceaux furent éjectés avec des vitesses relatives parfois proches de celle de la lumière.
Ce modèle, au moins d’un certain point de vue, était séduisant, et l’on pensait qu’il pourrait expliquer l’essentiel de l’évolution de l’univers et de son état actuel. Il impliquait les conséquences suivantes :
Les éléments actuels auraient été formés par des réactions nucléaires dans une matière très chaude et très dense en moins d’une demi-heure après l’explosion.
Dans une phase initiale apparaissait un rayonnement thermique qui se refroidissait au fur et à mesure de l’expansion de l’univers. Il serait observable aujourd’hui et équivalent à celui d’un corps noir à 50 K. En tenant compte de valeurs corrigées pour les distances galactiques, cette température, réajustée, serait de 20° (bien entendu, avec quelques suppositions ad hoc, on pourrait la réduire encore plus).
Dans une étape suivante, la matière en expansion se condensait pour former les galaxies que nous observons aujourd’hui.
La densité moyenne de l’univers serait au moins de 10-29 g/cm3 (cette valeur doit être corrigée pour tenir compte de la nouvelle détermination des distances galactiques).
Une cinquième conclusion, rarement explicitée, est que l’état de l’univers au « point singulier » exige une création divine !
Pour l’abbé Lemaître, c’était très séduisant parce que cela justifiait la création ex nihilo introduite par saint Thomas comme un credo. Pour beaucoup d’autres chercheurs, c’était plutôt embarrassant, Dieu étant rarement cité dans la littérature scientifique ! Ce qui explique pourquoi le problème de la production de l’« état singulier » n’est habituellement pas mentionné. Des tentatives ont été faites pour expliquer comment cet état singulier pouvait être atteint à partir d’un état primitif semblable à l’état présent de l’univers, mais aucune ne paraît avoir été couronnée de succès.
Le Big Bang et les observations.
C’est seulement en tirant toutes les conséquences d’un modèle qu’il est possible de vérifier s’il donne, ou non, une description satisfaisante de la réalité. Il était dès lors parfaitement légitime de consacrer beaucoup d’efforts à l’évolution du modèle du Big Bang. Après environ un demi-siècle d’efforts, le temps paraît venu de formuler des conclusions sur sa validité. Elles sont décourageantes. Manifestement, le modèle ne peut pas expliquer un certain nombre de phénomènes dont il était censé rendre compte, et les observations semblent en désaccord avec les prédictions théoriques.
Il paraît impossible d’expliquer la formation des éléments par le processus du Big Bang, sauf peut-être pour l’hélium. Pour les quatre-vingt-dix autres éléments, les abondances observées ne coïncident pas, à plusieurs ordres de grandeur près. Il en découle que les abondances cosmiques mesurées n’apportent pas à la théorie du Big Bang le soutien attendu (sans l’infirmer d’ailleurs non plus).
Un rayonnement isothermique en provenance du cosmos a été détecté. Les partisans du Big Bang l’ont baptisé « le rayonnement du corps noir à 3 K », en dépit du fait qu’il est encore impossible de dire si c’est un rayonnement de corps noir ou de corps gris, et si c’est une température de rayonnement. En regardant la matière observable, sans a priori en faveur du Big Bang, l’interprétation « corps gris » des données de l’observation paraît plutôt plus vraisemblable. Cela serait en contradiction avec la cosmologie du Big Bang. Cependant on ne peut pas, aujourd’hui, exclure l’hypothèse du corps noir à 3 K. S’il en est ainsi, les cosmologistes du Big Bang prétendent que ce rayonnement isotrope est celui qu’ils attendaient, et ce en dépit du fait que celui qu’ils avaient prévu avait une température environ sept fois plus élevée et, pour cette raison, une densité d’énergie plusieurs milliers de fois plus forte (bien sûr, il est facile de faire appel à des effets additionnels pour expliquer cette contradiction).
En réalité, lis soutiennent que l’existence , de ce rayonnement très froid prouve que la température de l’univers fut jadis de dix milliards de degrés (sic). Ils font ainsi une extrapolation de plus de neuf ordres de grandeur. Un tel procédé demande, entre autres choses, que l’on connaisse l’état de l’univers à toutes les époques qui ont suivi le Big Bang, avec une certitude telle que l’on puisse affirmer que le rayonnement n’a pas été produit plus tard. Il faut noter qu’il existe aussi des rayonnements isotropes X et gamma qui réclament une explication et des objets célestes (quasars, etc., libérant d’énormes quantités d’énergie) que les inconditionnels du Big Bang ne prétendent pas comprendre.
L’univers tel que nous le voyons n’est, bien sûr, pas homogène, comme le postule la théorie du Big Bang, mais se compose d’une multitude de galaxies. Elles doivent avoir été formées à une certaine phase de l’évolution de l’univers, mais, jusqu’à maintenant, il n’y a pas de théorie valable, découlant du modèle du Big Bang, pour expliquer leur formation.
Même si l’on peut affirmer que les galaxies sont des phénomènes locaux qu’il n’est pas indispensable d’inclure dans une cosmologie à large échelle, il est plus difficile de négliger l’existence de grands - et parfois de très grands - amas de galaxies, Particulièrement embarrassant est le fait que les lointains quasars (z = Dl/l > 1,5) sont exclusivement situés dans deux régions : l’une près du pôle nord galactique, et l’autre dans l’hémisphère galactique sud. L’isotropie à grande échelle de l’univers - clé de voûte de la théorie du Big Bang - est dès lors en contradiction avec l’observation.
La densité moyenne de l’univers est de 10-31 selon l’observation, soit une valeur inférieure de presque un facteur 100 à celle prévue par la théorie. De gros efforts ont été faits pour trouver les 99 %, manquants. On a suggéré d’en rendre compte par l’existence de trous noirs, mais il n’y a pas de preuve et il y a même des contre-indications quant à leur réalité. La révision des distances galactiques modifie les valeurs théoriques et d’observation, mais sans réussir à atténuer les contradictions.
La validité de la loi de Hubble ne peut être retenue comme venant à l’appui de la thèse du Big Bang, car, parmi une infinité de solutions mathématiques, on a retenu celle qui était en accord avec Hubble, De récents résultats d’ailleurs font planer quelques doutes sur l’étendue du domaine de validité de la loi de Hubble (voir la Recherche n° 68, juin 1976, p, 529). Un nombre croissant d’exceptions flagrantes à la linéarité de cette loi ont été signalées. Et cela est un coup sérieux pour le modèle du Big Bang.
Il y a des régions de la galaxie avec un décalage spectral vers le rouge différant systématiquement de 20 % (Vera Rubin). En outre, des paires de galaxies dont les décalages spectraux sont très largement différents, semblent montrer qu’il existe des populations galactiques n’obéissant pas à la loi de Hubble. Cet argument est fatal à la théorie du Big Bang.
Les diagrammes de Hubble montrent indiscutablement que l’univers métagalaçtique est en expansion, ce qui signifie que dans des phases plus anciennes les galaxies étaient plus étroitement rassemblées. Mais il n’est pas légitime de conclure que les observations montrent que toutes les galaxies se sont un jour formées à partir d’un grosse masse de matière.
A quelques incertitudes près, on peut seulement dire que la métagalaxie avait autrefois, disons, moins de 4.109 années-lumière, soit 4.1027 cm. Mais c’est loin, et de beaucoup, du rayon de Big Bang qui, selon certains auteurs, aurait été inférieur à 1 centimètre (cf. fig. 1 et 2).
Autant que nous sachions, la cosmologie du Big Bang n’est donc pas en accord avec l’univers que nous observons. On ne peut la concilier apparemment avec lui qu’au prix d’un certain nombre de suppositions ad hoc . Au bout du compte, elle semble être beaucoup plus proche d’un mythe assez comparable, par certains aspects fondamentaux, au système de Ptolémée qui était, lui aussi, obligé de faire appel à un nombre croissant d’hypothèses ad hoc (épicycle). C’est un mythe, orné de formules mathématiques sophistiquées, qui le rendent plus crédible, mais pas nécessairement plus vrai.
Le Big Bang et la cosmologie de Ptolémée.
La connaissance que nous avons de l’univers, au travers de l’observation, est considérablement plus grande à notre époque qu’elle ne l’était dans les temps anciens. Pourtant, aujourd’hui, l’esprit humain travaille probablement de la même façon pour l’essentiel qu’il y a plusieurs milliers d’années, et la caractéristique fondamentale de nos tentatives pour élargir le champ de nos connaissances est sans doute aussi identique. La cosmologie est un domaine de pionniers : on essaie d’étudier des régions où faits et suppositions sont obligatoirement mêlés De ce point de vue, il est intéressant de comparer la cosmologie ptoléméenne et le Big Bang, Une telle comparaison peut en outre présenter quelque intérêt comme contribution à la sociologie de la science.
La cosmologie de Ptolémée et celle du Big Bang sont toutes deux parties de résultats philosophico-mathématiques incontestablement justes et, de surcroît, fort beaux. Personne ne peut étudier la science pythagoricienne - avec la théorie mathématique de la musique et celle des polyèdres réguliers - sans en être fortement impressionné. Il en va de même pour la relativité.
Dans les deux cas, les magnifiques concepts établis par la pensée mathématique semblent appeler des développements ultérieurs ; et une application cosmologique était naturelle. Dans les deux cas, les étapes dans cette direction furent plutôt arbitraires et se justifiaient surtout en fait par une « inspiration divine ». Le modèle de Ptolémée avec son système compliqué de sphères de cristal engendrant la « musique des sphères » ne pouvait avoir été réalisé en partant d’un état antérieur du monde. Seuls les dieux qui seraient aussi des ouvriers ou des artistes habiles pouvaient le fabriquer. Mais les faits d’observation démontraient qu’ils n’auraient pu, quel que fût leur talent, réaliser un modèle en accord avec la réalité.
De la même façon, le Big Bang représente seulement une solution possible parmi une infinité. Si l’on introduit l’idée de densité moyenne observée de l’univers, on aboutit essentiellement à un « espace plat ». Cela signifie, en accord avec l’observation, que l’univers que nous observons doit pouvoir être traité par la géométrie tridimensionnelle ordinaire (en utilisant bien sûr la théorie de la relativité restreinte, comme dans le laboratoire). Mais accepter les résultats des observations a pour conséquence de faire perdre sa place à la théorie de la relativité généralisée comme fondement de la cosmologie. Dans de nombreux cas, elle conserverait encore quelque intérêt, à titre de correction mineure, et elle serait applicable aux « trous noirs » (s’ils existent !). Mais on perdrait alors ce concept fascinant d’un univers sans limite et pourtant fini. Et, avec lui, beaucoup de cette incontestable beauté philosophico-mathématique de la relativité générale. D’une certaine manière, c’est regrettable.
D’un autre côté, les cosmologistes du Big Bang nous disent qu’autrefois la Terre tout entière, le Soleil et les Planètes, et les cent milliards d’étoiles de notre galaxie, et aussi toutes les centaines de milliards de galaxies que l’on peut observer, tout ce formidable univers était comprimé à la dimension d’une petite boule. Les avis diffèrent quant à sa taille, et certains vont jusqu’à affirmer qu’elle était plus petite qu’une tête d’épingle. Peu vont jusqu’à dire clairement que cette superbombe atomique a été créée par Dieu ; la plupart évitent d’expliciter ce point. Tous, en revanche, soutiennent qu’ils savent ce qui est arrivé pendant les premières secondes - ou même microsecondes - après la création.
Si la cosmologie du Big Bang est belle pour les mathématiciens, elle est hermétique pour presque tous si elle n’est pas présentée sous une forme travestie. Aucun écrivain de science fiction n’oserait faire accepter à ses lecteurs une histoire en contradiction aussi violente avec le bon sens. Mais quand des centaines ou des milliers de cosmologistes habillent cette histoire d’équations compliquées et, contre toute évidence, prétendent que cette absurdité est prouvée par tout ce qui a été observé grâce aux télescopes géants, qui oserait douter ? Si c’est cela la science, il y a un conflit entre la science et le bon sens. La doctrine cosmologique d’aujourd’hui joue un rôle anti-intellectuel qu’il ne faudrait pas sous-estimer.
Un dogme bien défendu.
Lorsque le système de Ptolémée fut menacé par un nombre croissant d’observations en contradiction avec lui, la réaction se fit de manière autoritaire. C’était déjà une institution puissante, devenue sacro-sainte, et qui ne tolérait aucune objection. La simple mention de l’existence d’opinions hérétiques n’était pas admise. Copernic se plaignait de ce qu’il était pratiquement impossible de trouver un seul ouvrage philosophique qui contienne des objections au système de Ptolémée ; il finit tout de même par découvrir une référence au vieux système héliocentrique d’Aristarque. Le cosmologiste contemporain (il est intéressant de le noter) fait preuve du même type de réaction. De nos jours, on affirme que « cosmologie moderne » est synonyme de « cosmologie relativiste » et dans les manuels intitulés « cosmologie moderne » il est souvent difficile de trouver une présentation impartiale des objections à cette théorie et notamment du fait que, selon les meilleures observations, l’espace est plat et que la relativité générale est, pour l’essentiel, non pertinente en matière de cosmologie. De même, lors des conférences internationales, il est très difficile d’obtenir même dix minutes pour s’interroger sur l’importance de la relativité générale pour la cosmologie. L’attitude qui prévaut consiste à ignorer toutes les objections à la théorie du Big Bang. Et c’est aussi le sort réservé au créateur, lui qui est pourtant indispensable à la création de la bombe atomique du Big Bang.
La manière dont les débats sur la cosmologie ont été menés au cours des dernières décennies fera croire à beaucoup que toute critique de la théorie du Big Bang est un soutien à la théorie du « steady state », ou de la création continue. La présente analyse ne veut en aucun cas être ainsi interprétée. Comme il est maintenant généralement admis, la théorie de la création continue est décidément irréconciliable avec les données fournies par les observations. Cela dit, beaucoup des arguments contre le Big Bang avancés par les défenseurs de cette théorie sont justes. Et il n’est pas de bonne foi de les négliger comme le font les adeptes du Big Bang.
La science contre le mythe
Si aujourd’hui la théorie du Big Bang est une hypothèse inacceptable, alors une question se pose : quelle autre hypothèse peut la remplacer ? La réponse est simple et sans équivoque : aucune.
Le Big Bang est un mythe, peut-être un merveilleux mythe, qui mérite une place d’honneur dans un zoo qui contiendrait déjà le mythe indien de l’univers cyclique, l’oeuf cosmique chinois, le mythe biblique de la création en six jours, le mythe cosmologique de Ptolémée et bien d’autres ; on l’admirera toujours pour sa beauté, et il aura toujours, tout comme les vieux mythes millénaires, un grand nombre de défenseurs. Mais on ne gagne rien à nous mettre un autre mythe à la place de celle qu’occupe aujourd’hui le mythe du Big Bang. Pas même si le nouveau venu est paré de formules mathématiques plus belles encore.
L’approche scientifique de la cosmologie est de toute nécessité radicalement différente de l’approche mythique. Avant toute chose, il doit être parfaitement clair que lorsqu’un scientifique émet une supposition sur l’état de l’univers voici quelques milliards d’années, la chance qu’elle soit réellement exacte est infime. S’il prend cette idée comme point de départ d’une théorie, il est peu probable que cela soit une théorie scientifique, mais très vraisemblable que cela devienne un mythe.
La raison pour laquelle tant de tentatives ont été faites pour imaginer dans quel état était l’univers il y a plusieurs milliards d’années tient probablement à la croyance répandue selon laquelle l’univers devait être, il y a bien longtemps, dans un état beaucoup plus simple, beaucoup plus régulier qu’aujourd’hui ; si simple, en vérité, qu’il pourrait être représenté par un modèle mathématique dérivé de quelques principes fondamentaux grâce à une réflexion très ingénieuse. A l’exception de quelques références vagues et impropres à la seconde loi de la thermodynamique, aucune motivation scientifique sérieuse ne semble avoir été donnée à cette croyance. Elle émane probablement des vieux mythes de la création. Dieu a établi l’ordre parfait et « l’harmonie », et il doit être possible de trouver quels principes il a suivi lorsqu’il a agi ainsi... Il était probablement assez intelligent pour comprendre la théorie de la relativité générale : dans l’affirmative, pourquoi n’aurait-il pas créé l’univers en accord avec ses merveilleux principes ?
Si l’on admet qu’il est tout aussi vraisemblable de penser que l’univers était dans le passé aussi compliqué qu’aujourd’hui, comment devrions-nous aborder la cosmologie ? De la même manière, bien sûr, que le fit le premier homme avant qu’un prophète invente le mythe. Nous devrions tenter de faire la lumière sur l’état actuel du milieu proche qui nous entoure, puis de là sur des régions plus lointaines, et sur des époques plus anciennes. Essayer d’écrire un grand drame cosmique conduit obligatoirement au mythe. La science, c’est d’essayer de substituer la connaissance à l’ignorance sur des régions de plus en plus vastes de l’espace et du temps.
Mais nous devons toujours garder présent à l’esprit que plus nous nous éloignons dans le temps et dans l’espace, plus hypothétique et plus spéculative sera notre description du cosmos. Bien sûr, nous devrions tenter de limiter les spéculations autant que possible. Mais les éliminer complètement est impossible et peut-être même pas souhaitable. Ce qui est capital, c’est que l’approche du problème soit empirique et non mythologique. La différence entre la science et le mythe est celle qui existe entre l’esprit critique et la croyance dans les prophètes ; c’est la différence qu’il y a entre le « De omnibus est dubitandum » de Descartes et le « Credo quia absurdum » de Tertullien3.
Christian de Duve
Christian de Duve
(1) Singer : A Short History of Scientific Ideas, Oxford, 1959
(2) C’est une question sémantique de savoir si un modèle qui est à l’origine d’« inspiration divine » doit être qualifié de mythe, même s’il comporte des éléments mathématiques et philosophiques. Certains préféreraient sans doute parler d’« a priori métaphysique »
(3) « Tout doit être remis en question » et « je crois parce que c’est absurde »
« Big Bang » et « Fiat Lux »
Les cosmologies (théories de l’univers) construites sur l’interprétation de tous les déplacements vers le rouge en termes de mouvements ont joué un rôle essentiel dans l’histoire des idées depuis plus de cinquante ans. Dès sa publication ou presque, la loi de Hubble imposa l’idée que l’univers était en expansion, avait été créé il y a quelques milliards d’années et s’acheminait probablement vers une mort thermique.
Certes, les adversaires ou les sceptiques ont toujours existé. Sans parier de Hubble lui-même, Tolman, Einstein, Fermi, Schrödinger, de Broglie et plus récemment Zwicky, Burbidge, Alfvén, Treder et Segal n’ont jamais rallié le camp des expansionnistes. Ils sont toutefois demeurés (et sont toujours) largement minoritaires. Depuis les années 50, avant même la nouvelle percée instrumentale, la majeure partie de l’opinion scientifique avait, après Lemaître, adopté l’idée maîtresse de l’univers en expansion, au point que le pape Pie XII, dans une adresse à l’Académie pontificale (1951) puis aux astronomes (1952) adoptait sans ambiguïté cette vision des choses sur l’état initial de la matière :
« D’autre part, l’esprit avide de vérité insiste avec raison pour demander comment la matière a jamais pu arriver à un semblable état, si inconcevable pour notre expérience d’aujourd’hui, et pour rechercher ce qui l’a précédée. En vain attendrait-on une réponse des sciences de la nature, qui déclarent au contraire loyalement se trouver devant une énigme insoluble. Il est bien vrai que ce serait trop exiger de la science comme telle ; mais il est également certain que l’esprit humain versé dans la méditation philosophique pénètre plus profondément dans le problème.
On ne peut nier qu’un esprit éclairé et enrichi par les connaissances scientifiques modernes, et qui envisage avec sérénité ce problème, est conduit à briser le cercle d’une matière totalement indépendante et autonome - parce que ou incréée ou s’étant créée elle-même - et à remonter jusqu’à un Esprit créateur. Avec le même regard limpide et critique, dont il examine et juge les faits, il y entrevoit et reconnaît l’oeuvre de la Toute-Puissance créatrice dont la vertu suscitée par le puissant Fiat prononcé il y a des milliards d’années par l’Esprit créateur, s’est déployée dans l’univers, appelant à l’existence, dans un geste de généreux amour, la matière débordante d’énergie. Il semble, en vérité, que la science d’aujourd’hui, remontant d’un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire le témoin de ce Fiat lux initial, de cet instant où surgit du néant, avec la matière, un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s’assemblaient en millions de galaxies. »
Sur la mort thermique de l’univers, Pie XII déclarait aussi :
« Mais la science moderne n’a pas seulement élargi et approfondi nos connaissances sur la réalité et l’ampleur de la mutabilité du cosmos ; elle nous offre aussi de précieuses indications sur la direction suivant laquelle se réalisent les processus de la nature. Il y a encore cent ans, spécialement après la découverte de la loi de la conservation, on pensait que les processus naturels étaient réversibles et, de ce fait, selon les principes de la stricte causalité, ou mieux de la stricte détermination de la nature, on estimait possible un continuel renouvellement et rajeunissement du cosmos : mais depuis, grâce à la loi de l’entropie, découverte par Rodolphe Clausius, on s’est rendu compte que les processus spontanés de la nature sont toujours accompagnés d’une diminution de l’énergie libre et utilisable : ce qui, dans un système matériel clos, doit conduire finalement à la cessation des processus à l’échelle macroscopique. Ce destin fatal, que seules des hypothèses parfois trop gratuites, comme celle de la création continue supplétive, s’efforcent d’épargner à l’univers, mais qui ressort au contraire de l’expérience scientifique positive, postule éloquemment l’existence d’un Etre nécessaire. »
Singer : A Short History of Scientific Ideas , Oxford, 1959
C’est une question sémantique de savoir si un modèle qui est à l’origine d’« inspiration divine » doit être qualifié de mythe, même s’il comporte des éléments mathématiques et philosophiques. Certains préféreraient sans doute parler d’« a priori métaphysique »
« Tout doit être remis en question » et « je crois parce que c’est absurde »
LE SCENARIO DU BIG BANG
A. Avant 10-43 seconde : superforce ou gravité quantique
La phase primordiale de l’Univers est le domaine de la superforce (appelée aussi gravité quantique), qui unifie alors les quatre connues (voir Champs unifiés, théorie des).
À ce stade d’évolution, la matière n’est pas encore née, seul règne le vide au sens quantique du terme (apparition et disparition de particules virtuelles).
B. De 10-43 à 10-35 seconde : grande unification des forces
Au temps de Planck, l’Univers a un diamètre d’environ 10-33 cm et sa température est de l’ordre de 1032 K.
Dans cet Univers, l’énergie se matérialise sporadiquement en d’éphémères paires particules-antiparticules. La se scinde en deux forces : la gravitation et la force électronucléaire.
La quitte ainsi le monde quantique ; désormais, son action à l’échelle des particules est négligeable.
La , quant à elle, regroupe les interactions et ; elle est décrite par la théorie actuelle de grande unification ou GUT, c’est pourquoi cette période est dite de grande unification.
C. De 10-35 à 10-32 seconde : inflation de l’Univers
À ce moment de l’évolution universelle, la température chute à environ 1028 K, ce qui permet la sécession de la force électronucléaire en interaction forte et en interaction électrofaible. Avec la gravitation, l’Univers compte désormais trois forces distinctes.
L’énorme énergie du vide est alors brutalement libérée et imprime à l’Univers une expansion fulgurante que le physicien Alan Guth a appelé inflation.
Dans ce laps de temps ultra court (de 10-35 à 10-32 seconde), son volume augmente de manière inimaginable (d’un facteur 1027 ou 1050, selon les théories) alors que dans les 15 milliards d’années suivantes, son volume n’augmentera que d’un facteur 109.
D. De 10-32 à 10-12 seconde : naissance des quarks
La période d’inflation s’achève vers 10-32 seconde après le big bang. Suite à cette formidable expansion, l’Univers a désormais la taille d’une orange et sa température est de l’ordre de 1025 K.
C’est à ce moment que les premières particules de quarks et d’antiquarks surgissent du vide quantique dans une « mare » de photons.
Cette création de matière et d’anti-matière entraîne aussitôt un équilibre entre ces deux composantes antagonistes : les paires de particule-antiparticule s’annihilent en formant des photons (première matérialisation de lumière) ; puis ces mêmes photons, par une réaction symétrique, se matérialisent en paires de particule-antiparticule. L’Univers est alors une « soupe » de quarks et d’antiquarks en perpétuelle matérialisation-annihilation.
Si ce processus de matérialisation-annihilation était parfaitement symétrique, la matière (dont nous sommes constitués) n’aurait jamais vu le jour.
Heureusement, la nature a un léger penchant pour la matière : pour chaque création d’un milliard d’antiquarks, un milliard et un quarks sont créés.
E. De 10-12 à 10-6 seconde : naissance des leptons
À 10-12 seconde, l’Univers, qui poursuit son refroidissement (sa température passe à 1015 K) et son expansion, devient une sphère de 300 millions de kilomètres.
L’interaction électrofaible se dissocie à son tour en interactions faible et électromagnétique.
Dès lors, les quatre interactions fondamentales de l’Univers sont différenciées comme elles le sont toujours actuellement. Par ailleurs, de nouvelles particules et antiparticules apparaissent aux côtés des quarks et des antiquarks : les leptons.
Ces particules légères, sensibles à l’interaction faible, regroupent les électrons, muons, tauons et leurs neutrinos correspondants, ainsi que leurs antiparticules.
F. De 10-6 à 10-4 seconde : ère hadronique
À la température de 1013 K, le diamètre de l’Univers est équivalent au Système solaire actuel, soit environ 10 milliards de km.
Les quarks n’ont plus assez d’énergie pour exister de manière isolée : l’interaction forte se charge alors de les grouper en hadrons.
Ainsi apparaissent les premiers baryons (notamment protons et neutrons) et mésons, ainsi que leurs antiparticules.
L’ère hadronique est une période de grande annihilation de matière et d’antimatière.
La fin de cette période marque notamment la disparition des antiquarks. En outre, la température est devenue trop faible pour que les photons puissent se rematérialiser en couples particule-antiparticule. Ainsi, seuls quelques protons et neutrons survivent à cette période et constituent l’unique matière de l’Univers.
G. De 0,000 1 à 1 seconde : ère leptonique
À 0,000 1 seconde après le big bang, la température de l’Univers étant de 1010 K (soit 10 milliards de degrés), débute une seconde période de grande annihilation de matière et d’antimatière : l’ère leptonique.
Les leptons subissent le même sort que des hadrons : ils s’annihilent en myriades de photons et seule une fraction d’un milliardième de leptons survit à ce processus destructeur.
L’antimatière disparaît ainsi de l’Univers. Toutes les particules de matière sont désormais présentes dans l’Univers, cependant la température est toujours trop élevée pour permettre la formation des atomes. L’Univers forme alors une grosse masse lumineuse de plasma brûlant, constitué de hadrons et de leptons isolés.
Dans ces conditions, les neutrinos cessent d’interagir avec la matière et s’en séparent.
H. De 1 à 3 secondes : formation des premiers noyaux atomiques
Une seconde après le big bang, la température de l’Univers est suffisamment basse (de l’ordre de 106 K, soit un million de degrés) pour que les protons et neutrons puissent s’assembler durablement et former des noyaux atomiques stables.
Les protons seuls constituent des noyaux d’hydrogène. Protons et neutrons peuvent aussi s’assembler pour former des noyaux d’hélium (constitués de 2 protons et de 2 neutrons).
Cette phase se nomme la nucléosynthèse primordiale.
La matière de l’Univers se compose alors de 75 p. 100 de noyaux d’hydrogène 1H et de 25 p. 100 de noyaux d’hélium 2He.
En fait, il existe aussi des traces de Li-7 (lithium à 3 protons et 4 neutrons) et d’isotopes tels que deuterium D, He-3, He-4, etc.
Près de 99 p. 100 de la matière actuelle de l’Univers se forme à cette époque. Le 1 p. 100 restant, non encore apparu, est constitué de tous les atomes ayant plus de 2 protons dans leur noyau.
Tous ces atomes complexes seront formés au cours des réactions thermonucléaires qui se dérouleront au cœur des futures étoiles qui vont naître. Par ailleurs, les électrons de cette époque sont suffisamment énergétiques pour rester libres ; la formation des premiers atomes (hydrogène et hélium) n’est pas pour tout de suite.
I. À 3 minutes : découplage photon-matière
Jusque-là, les photons étaient continuellement émis et absorbés par les particules environnantes. À 3 minutes, la température de l’Univers est de 10 000 K. Dans ces nouvelles conditions de température et de densité, les photons cessent d’interagir avec la matière et peuvent enfin traverser l’Univers sans obstacle : il y a découplage entre les photons et la matière.
L’Univers devient subitement transparent.
Ce rayonnement provenant de tout point de l’espace, détecté en 1965 par les radio télescopes, constitue le fameux « rayonnement fossile » à 3 K de l’Univers ou rayonnement du fond du ciel, vestige du big bang.
J. À 300 000 ans : formation des atomes
300 000 ans après le big bang, les électrons sont enfin captés par les noyaux atomiques : ainsi naissent les premiers atomes d’hydrogène et d’hélium.
On suppose que dans certaines régions de l’Univers des fluctuations font apparaître des zones plus denses. Ces régions attirent alors la matière environnante du fait de leur plus grande attraction gravitationnelle, devenant ainsi de plus en plus dense.
Cependant, la matière s’échauffe en se comprimant, et dès que la température est suffisamment élevée, des réactions nucléaires successives se déclenchent, donnant naissance à une étoile.
Les réactions de fusions thermonucléaire permettent la synthèse des éléments chimiques jusqu’au fer : c’est la nucléosynthèse stellaire.
À la mort de l’étoile, la matière interstellaire peut capter des neutrons issus de l’explosion finale, et former ainsi tous les éléments de masse supérieure au fer par radioactivité bêta : c’est la nucléosynthèse interstellaire.
Ce scénario de la formation de la matière présente pour le moment encore beaucoup de lacunes.
On ne sait toujours pas, par exemple, si la matière a commencé par former les futures galaxies dans lesquelles se sont formées par la suite les étoiles ou si les étoiles sont apparues en premier lieu pour se grouper ensuite en galaxies.