Accueil > 04 - Livre Quatre : HISTOIRE CONTEMPORAINE > 02- La deuxième guerre mondiale et l’alliance impérialisme/stalinisme contre (…) > Révolution coloniale à la fin de la guerre
Révolution coloniale à la fin de la guerre
samedi 15 septembre 2007, par
SITE : Matière et Révolution
Pour nous écrire, cliquez sur "répondre à cet article" qui se trouve en bas du texte.
Une entente contre la révolution prolétarienne
Le 18 mars 1946, le président Ho Chi Minh reçoit, à la résidence du gouverneur, le général Leclerc, en présence du commissaire de la République du Tonkin, Jean Sainteny.
La révolution prolétarienne en Asie
Un dirigeant bourgeois déclarait : « le Japon vaincu a gagné. Là où les japonais sont passés, ils ont démoli l’idée de la supériorité du colonialisme occidental ». Le 16 août 45, c’est la défaite japonaise. Ce même mois éclatent des mouvements insurrectionnels en même temps en Indonésie, en Corée, au Vietnam. Il ne s’agit pas de mouvements de guérillas paysannes comme on l’a souvent présenté pour dire que la direction nationaliste était une fatalité. Dans les trois cas, ces mouvements ont lieu dans les grandes villes, et dans les trois cas ils sont essentiellement populaires et même prolétariens.
Indonésie
C’est en Indonésie que la révolution a commencé. Août 1945 au départ des japonais, quand les Hollandais à peine ressortis de prison veulent remettre en place la dictature coloniale, les indépendantistes et les staliniens d’Indonésie prennent les armes et le pouvoir. Ils proclament immédiatement l’indépendance mais ils ne parviendront à virer complètement le colonialisme hollandais qu’en 1949. Le courant nationaliste bourgeois de Soekarno, le parti national, est loin d’être le seul. Bien que décapité par une répression féroce des hollandais lors de l’insurrection de 1928 le PKI, le parti communiste est au moins aussi puissant et beaucoup plus influent dans la classe ouvrière. Sa stratégie est le soutien total à Soekarno au point que le parti communiste met toute son énergie freiner la lutte des ouvriers et des paysans, à empêcher les occupations d’usines, et de terres des plantations étrangères et des grands propriétaires, à justifier le rachat des propriétés nationalisées par l’Etat, à justifier le désarmement des travailleurs et la formation de l’armée bourgeoise. Rapidement les forces nationalistes se trouvent circonscrites dans l’île de Java, la plus peuplée. Mais même là, une insurrection populaire partie de Madium conteste le pouvoir de Soekarno. Le parti communiste, bien que réticent à mener une politique offensive contre la bourgeoisie nationaliste, est porté à la tête de l’insurrection par les masses populaires. Celle-ci fut noyée dans le sang par l’armée de Soekarno et les militants du parti communiste sont pourchassés. Un avant goût de ce qui allait se passer des années plus tard où cette même armée assassinera le parti communiste indonésien qui était le plus grand parti communiste de tous les pays du bloc non communiste, faisant en trois mois un véritable massacre, des centaines de milliers de victimes, dans les rangs de ce parti qui comptait 15 millions de membres en comptant toutes les associations qu’il dirigeait. Un parti communiste qui avait pourtant été à nouveau un soutien sans faille au régime nationaliste qui cependant n’était qu’une féroce dictature qui s’est contentée de faire passer l’exploitation pétrolière de la compagnie Shell à la Standard Oil et de surexploiter violemment la population.
Inde
Les Anglais constatant qu’il y a un mouvement révolutionnaire irrésistible, préfèrent céder le pouvoir d’eux-mêmes à des nationalistes avec lesquels ils tentent des accords pour conserver leurs intérêts économiques plutôt que de risquer que les masses populaires ne s’embrasent. Le travailliste, le major Attlee qui a succédé à Churchill déclare qu’il craint un soulèvement révolutionnaire des masses en Inde et c’est comme cela qu’il obtient très rapidement l’accord de la bourgeoisie anglaise pour céder à toute vitesse l’indépendance ce que l’Angleterre n’envisageait absolument pas un an plus tôt. En octobre 1946 il explique à la chambre que tout retard dans l’accession à l’indépendance provoquera des graves troubles révolutionnaires selon le compte rendu de la mission ministérielle qu’il a envoyée sur place et que selon lui il sera inutile et impossible d’amener suffisamment de renforts sur place. Il est certain que la population anglaise qui réclamait d’abord et avant tout sa démobilisation et qui venait de faire chuter Churchill le représentant de tous les sacrifices consentis au nom de l’effort de guerre ne se sentait pas prête à verser son sang pour lutter contre la population de l’Inde soulevée. Et en février 47 à la chambre des lords Pethic-Lawrence déclare que l’on a déjà trop tardé que selon ses termes « il existe en Inde une situation et un danger révolutionnaire extrême, que si le transfert du pouvoir ne s’effectue pas à bref délai la révolution dont l’éruption a été momentanément retardée par l’annonce de la préparation de l’indépendance par la mission ministérielle éclatera inévitablement ». L’exemple Birman montre toute l’utilité d’aller vers l’indépendance qui a permis en janvier 1947 un rapprochement entre l’Angleterre et le nationaliste Ang San ce qui leur a permis de casser l’alliance entre les nationalistes modérés et radicaux.
En Inde la direction incontestée de la bourgeoisie nationale est le parti du congrès de Gandhi. Sa position est caractéristique vis à vis de la classe ouvrière : aucune indépendance syndicale. Ainsi la seule organisation syndicale qui lui soit liée, celle des ouvriers du textile d’Ahmedabad qui lui sont liées, est organisées syndicalement au sein du parti séparément du reste du mouvement ouvrier qui appartient à une fédération unifiée regroupant tous les autres syndicalistes des staliniens aux réformistes et aux militants radicaux. Le mouvement ouvrier organisé compte autant de membres que le parti du congrès soit 400 000 membres chacun en 1935. Mais plus la revendication politique devient prépondérante, plus la distance s’accroît en faveur de la formation nationaliste bourgeoise faute d’une politique du mouvement ouvrier. Directement lié aux propriétaires fonciers, industriels et commerçants, le parti du congrès est réticent à inclure toute mesure sociale y compris un programme agraire dans ses revendications ce qui laisserait une énorme marge pour un mouvement ouvrier révolutionnaire afin de s’adresser à une paysannerie en révolte. Tout mouvement à caractère révolutionnaire contre l’impérialisme anglais déborderait inévitablement le mouvement politique bourgeois puisque celui-ci s’interdit toute insurrection armée contre les anglais. Le mouvement nationaliste de Gandhi appelle les masses au pacifisme sous des prétextes philosophiques. N’oublions pas que cette philosophie n’avait pas empêché Gandhi de choisir d’appeler les Indiens à soutenir l’effort de guerre de l’impérialisme britannique pendant la première guerre mondiale. Par contre, la montée du mouvement indépendantiste avant guerre va le contraindre à une position plus radicale. En octobre 1939, 90 000 ouvriers d’industrie de Bombay participent à une grève politique contre la guerre qui va obliger le parti du congrès à une petite déclaration de non coopération à la guerre aux côtés des anglais. C’est seulement en 1941 qu’il peut à nouveau offrir sa coopération à l’effort de guerre anglais. Mais, de 1942 à 1944, l’impérialisme anglais ne veut qu’écraser le mouvement nationaliste et pratique des arrestations massives de ses dirigeants comme des militants plus radicaux. Et ce jusqu’à la fin de la guerre. C’est pour négocier avec eux de leur donner le pouvoir à l’indépendance que l’impérialisme anglais les fait libérer en 1945. L’année 1946 est marquée par la montée des luttes ouvrières et par une véritable maturation révolutionnaire qui débute par une mutinerie militaire. Les marins d’une caserne d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement le 18 février 1946. Le lendemain il s’agit déjà d’un véritable soulèvement de plus de 20 000 marins casernés à Bombay et de 20 bâtiments ancrés dans le port. Les marins soulevés élisent un comité central de grève. Et à Karachi des troubles semblables se produisent. Face à la menace de répression violente le comité central de grève de la flotte en appelle aux travailleurs. Le parti du congrès et la ligue musulmane, les organisations indépendantistes de la bourgeoisie refusent leur soutien au soulèvement. Les 22 et 23 février la bataille fait rage dans Bombay où la population ouvrière qui a pris le parti des mutinés est violemment réprimée : 250 morts. Parti du Congrès et Ligue musulmane contraignent finalement les marins à se rendre et le comité de grève déclare : « nous nous rendons à l’Inde mais pas à l’Angleterre ». Les mutins sont sévèrement condamnés par les partis bourgeois. Gandhi les traite de « racaille » et de combinaison impie d’hindous et de musulmans ». Les dirigeants musulmans déclarent que la flotte doit être disciplinée. C’est là le point commun que ces partis bourgeois ont avec l’Angleterre : la crainte commune du déclenchement d’un mouvement de masse révolutionnaire. Et cela alors qu’ont lieu aussi des troubles dans l’armée anglaise des Indes. Les tommies qui veulent rentrer plus vite et sentent que ça va chauffer manifestent pour rentrer plus vite en Angleterre que ce soit à Delhi ou dans l’Uttar Pradesh. Au même moment, les luttes grévistes des travailleurs sont au point le plus élevé jamais atteint avec la grève insurrectionnelle de deux millions de travailleurs dans un climat de tension extraordinaire.
Pour faire diversion ces formations nationalistes, la Ligue musulmane et le Hindu Masahabha, organisent des manifestations d’opposition inter-ethnique, principalement dans le Bengale et dans le Bihar avec des heurts sanglants entre les communautés religieuses. La Ligue musulmane annonce qu’elle réclame la partition du pays sur des bases religieuses hindous d’un côté et musulmans de l’autre. Cette idée a été en fait discutée par la Ligue à Londres et c’est l’impérialisme anglais qui en a fait lui-même la suggestion pour détourner le mécontentement.
Malgré la répression et malgré les diversions racistes, dans les mois qui suivent, le pays plonge dans le soulèvement et le chaos. Dans des régions entières, plus personne n’obéit plus à l’administration colonialiste. Dans ces conditions, l’Angleterre accélère à toute vitesse le plan d’accession à l’indépendance. Signé début juillet 1947, le plan de partage en Inde et Pakistan, est adopté le 18 juillet et le nouveau pouvoir installé le 15 août 1947. On n’aura jamais vu un pouvoir colonial aussi pressé de donner sa place !
La menace prolétarienne en Inde était tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Les salariés représentaient 55% de population des villes et les travailleurs indépendants n’exploitant personne 32% alors que les employeurs n’y étaient que 1%. L’essentiel du prolétariat travaillait dans de grandes entreprises industrielles et près des trois quarts vivaient dans de très grandes cités. Et la lutte s’est déroulée essentiellement dans les villes. Il y aurait eu pour une révolution prolétarienne un énorme potentiel de soutien d’une paysannerie très exploitée et révoltée. L’influence de la grande bourgeoisie sur le petite et moyenne était faible et c’est l’absence politique des travailleurs alors que les possédants ont eu des dirigeants de haut niveau capables d’unir toutes les classes possédantes indiennes qui a permis aux grands propriétaire, banquiers et grands commerçants de tenir le haut du pavé. Le parti communiste indien ne risquait pas de représenter même de manière déformée une politique de classe pour les travailleurs, lui qui proclamait vouloir « un gouvernement de démocratie populaire qui sera celui de tous les groupes, individus et partis démocratiques représentant les ouvriers, les paysans, les classes moyennes et la bourgeoisie nationale, celle qui est favorable à une véritable industrialisation du pays et à l’indépendance de l’Inde ». Pour se donner un visage plus radical que celui qu’il a eu au moment de l’indépendance, le parti communiste soutient un soulèvement paysan armé de deux régions en 1948 l’Andhra et Telengana où sur un territoire de 4000 km² 2000 villages sont organisés en comités populaires, soulèvement qui est réprimé dans le sang par la nouvelle armée de l’Inde indépendante, en guise d’avertissement aux couches populaires. La classe ouvrière a très vite eu à s’opposer à ce nouveau pouvoir avec notamment une grande grève générale de la ville de Calcutta.
Et l’absence d’une politique ouvrière indépendante n’est pas due à l’absence de soutien qu’il rencontrerait dans la population. Ainsi aux première élections générales en Inde, le parti communiste recueille quand même plus de 6 millions de voix et quatre autres groupes se réclamant de l’extrême gauche font respectivement 2,5 millions de voix, 1,1 millions, un million et 400 000 voix à rajouter aux 22, 8 millions de voix obtenues par l’opposition socialiste et communiste.
Citons l’ouvrage de Charles Bettelheim « L’Inde indépendante » :
« La naissance de L’union indienne est intimement liée à l’action du Congrès national indien (parti du Congrès). Cette action elle-même n’a pu aboutir que parce que, sur les ruines de l’ancienne société, s’étaient développées des forces sociales nouvelle, une bourgeoisie et un prolétariat, qui devaient s’opposer de façon de plus en plus active à la domination étrangère. (…) Au cours d’une première période, qui s’étend jusqu’à 1905, le parti du Congrès a été, essentiellement, le porte-parole de la grande bourgeoisie indienne et des couches supérieures des classes moyennes cultivées. Il se fixait pour but l’indépendance nationale. Il désirait voir les Britanniques mettre en œuvre une politique de réformes sociales et de progrès économique. (…) En 1905, année de la première victoire d’un Etat d’Asie, le Japon, sur une puissance européenne et année de la première révolution russe, le parti du Congrès se prononce pour le boycott économique des Anglais afin de protester contre le partage du Bengale. (...) Pendant la guerre de 1914-18, le parti du Congrès se prononce pour le soutien de la guerre, Gandhi lui-même demande aux Indiens de s’engager dans l’armée anglaise. A la fin de la guerre mondiale, le parti du Congrès est prêt à accepter, avec quelques réserves, les réformes promulguées par le gouvernement britannique. (…) Cependant, le mouvement des masses (mouvement qui se manifeste principalement par un puissant essor des grèves ouvrières), la mise en œuvre par le gouvernement britannique d’une politique de répression, puis la vague d’indignation que cette répression suscite dans la population indienne conduisent le parti du Congrès à raidir ses positions. Ces positions plus combatives sont abandonnées par Gandhi en 1922. Tout semble indiquer que ce revirement correspond à la crainte de voir le Congrès débordé par l’action des masses. Cette interprétation est celle que Jawaharlal Nehru lui-même semble admettre (dans « Une autobiographie »). Peu à peu, cependant, l’activité syndicale et politique de la classe ouvrière indienne prend de la force. Les organisations syndicales se multiplient et deviennent permanentes. Le Gouvernement doit même reconnaître officiellement leur existence par le Trade Union Act (1926) qui, d’ailleurs, impose de nombreuses limitations à la liberté et à l’action syndicales. Au cours des années 1922-27, le Trade Union Congress se remplit d’une vie syndicale réelle et, en 1927, il compte 57 syndicats affiliés et 150.000 membres environ. La direction du mouvement syndical échappe alors, progressivement, au parti du Congrès et passe à des syndicalistes ainsi qu’à des militants se réclamant du socialisme ou du mouvement communiste indien. L’essor syndical se poursuit malgré une répression sévère. De nouvelles centrales se forment. Parallèlement, sur le plan politique, on assiste à la naissance des partis ouvriers et paysans nés de la jonction des militants les plus combatifs du mouvement syndical et des éléments de la gauche du parti du Congrès. D’abord constitué sur une base provinciale (au Bengale, à Bombay, dans les Provinces-Unies, au Pendjab, etc…), ces partis s’unissent pour former en 1928 le parti pan-indien des ouvriers et des paysans.(…)
En 1935, avec la promulgation du Government of India Act, la partie « provinciale » de cet acte va donner l’occasion au parti du Congrès de participer pour la première fois sur une large échelle à la gestion des affaires publiques. (…) Sur le plan syndical, l’événement important est la fusion qui a lieu en 1935, du Red Trade Union Congress, centrale à direction communiste qui s’était formée en 1930, et du All India Trade Union Congress. En 1938, la fusion s’effectue aussi avec la National Federation of Trade Unions à direction réformiste. Le mouvement syndical indien est alors unifié à l’exception de l’Association des travailleurs du textile d’Ahmedabad crée par Gandhi et qui est toujours restée en dehors du mouvement ouvrier et compte environ 400 000 membres en 1938-39. Au sein du parti du Congrès, les idées socialistes trouvent un écho. Leurs partisans se regroupent dans le parti socialiste du Congrès (formé en 1934). (…)
La Ligue musulmane avait été fondée en 1906 à l’initiative des autorités britanniques. Celles-ci cherchaient à opposer une force nouvelle au Congrès dont l’orientation leur déplaisait de plus en plus. (…) Les élections ont lieu en 1937 dans les différentes « provinces ». Ces élections, tenues sur une base censitaire, aboutissent à une victoire écrasante du Congrès. La Ligue musulmane, par contre, n’obtient que de maigres résultats : 4,6% du total des votes musulmans. L’accession du parti du Congrès aux gouvernements de la majorité des Provinces accroît considérablement son prestige. En 1938-39, le Congrès est devenu un parti de masse comptant 4 400 000 membres, contre environ 500 000 trois ans plus tôt. L’action pratique du parti du Congrès à travers les gouvernements provinciaux qu’il dirige se trouve doublement limitée : par les pouvoirs restreints dont ces gouvernements disposent et par la différenciation politique qui ne tarde pas de s’opérer à nouveau au sein du parti. (…) La majorité des cadres dirigeants du parti du Congrès étaient étroitement liés aux propriétaires fonciers, aux industriels et aux commerçants indiens et n’étaient donc pas particulièrement disposés à promouvoir les mesures qui, comme une réforme agraire quelque peu profonde, ou des moratoires importants accordés aux paysans écrasés par les dettes ou des augmentations de salaires, etc, auraient porté préjudice aux intérêts matériels de la bourgeoisie indienne. Bien entendu, les masses qui avaient soutenu le parti du Congrès s’attendaient à un changement plus sensible de leurs conditions d’existence, d’où l’apparition d’une certaine désillusion. Comme le disait Jawaharlal Nehru : « Le progrès était lent et le mécontentement se fit jour. » (…)
Au début de la seconde guerre mondiale, le parti du Congrès prend une position de principe radicalement différente de celle adoptée en 1914-18. Tandis que le Congrès avait alors apporté son concours à la guerre, le Comité déclare qu’il « ne peut s’associer à une guerre de caractère impérialiste et dont le but est de consolider l’impérialisme en Inde ». (…) La classe ouvrière indienne prenait elle-même l’initiative de la « non-coopération » : elle déclenchait sur l’initiative de ses propres organisations (et sans l’accord du parti du Congrès) une grève pacifique de protestation contre la guerre. Comme le note justement R. Palme-Dutt, « cette grève du 2 octobre 1939, à laquelle participèrent 90 000 ouvriers de l’industrie de Bombay, a été la première grève contre la guerre dans l’histoire du mouvement ouvrier mondial. » (…) Le refus de coopération du parti du Congrès se limite à la démission des ministères provinciaux en octobre 1939. (…) En juillet 1940, le parti du Congrès change d’attitude. Il offre sa coopération à l’effort de guerre, à condition que soit reconnu le principe de l’indépendance de l’Inde (…) Cette proposition est rejetée par le gouvernement britannique. Les propositions britanniques sont unanimement rejetées par le Congrès. (…) Au cours de l’été 1941, l’extension de la guerre à l’Union soviétique puis en décembre de cette même année, l’entrée en guerre du Japon contre les Etats-Unis amènent la majorité de la direction du Congrès à réviser encore une fois de position à l’égard de la guerre. Fin décembre 1941, le Congrès offre sa coopération aux Nations Unies. (…) Finalement c’est la politique de Gandhi qui l’emporte avec le vote de la résolution d’août 1942. Cette résolution déclare que le Congrès ne veut nuire ni « à la défense de la Chine et de la Russie » ni « à la campagne de défense des Nations Unies ». (…) La déclaration de Nehru au cours du débat où cette résolution été adoptée est particulièrement significative : « Cette résolution n’est pas une menace ; c’est une invitation et une explication, c’est une offre de coopération. » Le gouvernement britannique, loin d’interpréter ainsi la déclaration du 8 août 1942 (la « lutte non-violente » de Gandhi), y trouve une occasion de déclencher une vaste opération de répression. (…) Entre août 1942 et la fin de l’année, les manifestations entraînent, d’après les chiffres officiels, plus de 60 000 arrestations, tandis que 940 personnes sont tuées et 1 630 blessées à la suite d’actions de répression menées par la police ou les forces militaires. La répression se poursuivra jusqu’à la fin de la guerre. Le 6 mai 1944, au moment où la guerre se termine en Europe, Gandhi est libéré pour raison de santé et il annonce que la partie de la résolution d’août 1942 relative à la désobéissance civile est annulée. (…) La formation en Grande-Bretagne d’un gouvernement travailliste, à la suite des élections de l’été 1945, n’accélère pas l’accession de l’Inde à l’indépendance. (…)
Les premiers mois de l’année 1946 sont marqués par deux événements qui influencent sérieusement l’évolution à venir : la tenue des élections aux assemblées législatives et d’importants soulèvements dans la Royal Indian Navy. Aux élections aux assemblées provinciales (élections toujours tenues sur une base censitaire et auxquelles ne peuvent participer que 11% de la population), le Congrès obtient 930 sièges (et 55,5 ù des voix) et la Ligue musulmane obtient 427 des 507 sièges destinés aux musulmans. (…) ces élections mettent en lumière le caractère « représentatif » de ces organisations mais ne suffisent pas à inciter le gouvernement britannique à prendre l’initiative de nouvelles discussions sur le problème de l’indépendance indienne. Cependant, depuis de longs mois, on assiste à une maturation révolutionnaire qui est accélérée par l’action syndicale et ouvrière. Le 18 février les marins d’un centre d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement, nombre de leurs doléances n’étant pas satisfaites depuis longtemps. Dès le 19 au matin, on est en présence d’un véritable soulèvement auquel participent plus de 20 000 marins casernés à Bombay et dans ses environs ainsi que 30 bâtiments à l’ancre dans le port. Les marins soulevés élisent un Comité central de grève. (…) Le 21 février au matin, la bataille s’engage. Le Comité central de grève de la Flotte fait appel au soutien de la population et des organisations politiques. Le Congrès et la Ligue musulmane se refusent à apporter tout soutien aux marins ; par contre, les syndicats de Bombay et le parti communiste leur apportent leur concours et décident d’une grève générale qui commence effectivement le 22 février. Les 22 et 23 février, la bataille fait rage dans Bombay et une répression, massive et brutale, s’abat sur la population, faisant plus de 250 morts. Le Congrès et la Ligue font alors pression sur le Comité central de grève pour que les marins se rendent. Le Comité central de grève décide finalement de céder, en déclarant : « Nous nous rendons à l’Inde, non à l’Angleterre. » Gandhi condamne sévèrement la « combinaison impie » des hindous et des musulmans qui, si elle avait triomphé aurait « livré l’Inde à la racaille », tandis que Valabhbhai Patel déclare que « la flotte doit être disciplinée. » Ainsi se confirme la volonté de la direction du Congrès d’éviter le déclenchement ou l’expansion d’un mouvement de masse qui pourrait mettre en cause non seulement la domination étrangère mais le régime social.
A partir de la mi-août 1946, les heurts sanglants entre les communautés religieuses se multiplient, principalement au Bengale et dans le Bihar. A l’action de la Ligue musulmane, les organisations politico-religieuses hindoues, et principalement le Hindu Mahasabha qui, dans cette situation, reprend des forces, répondent également par la violence.
Parallèlement, les luttes revendicatives se développent, englobant près de 2 millions de travailleurs dans des mouvements de grève. Un tel chiffre n’avait jamais été atteint jusque là.
C’est dans ces conditions que le vice-roi décide de constituer le premier gouvernement intérimaire. Celui-ci entre en fonctions le 2 septembre 1946. Il est dirigé par Jawaharlal Nehru, Premier ministre. (…) La situation est telle que l’Assemblée constituante décide de s’ajourner jusqu’à avril. La formation du gouvernement intérimaire, en effet, n’a pas mis fin à la détérioration de la situation intérieure. En dépit de la répression massive et de milliers d’arrestations, le pays glisse vers le chaos et l’administration elle-même cesse par endroits de fonctionner. (…)
Le 20 avril 1947, alors que la situation intérieure indienne se détériore rapidement, le Premier ministre britannique, Clément Attlee, déclare que le gouvernement de sa Majesté est « décidé à prendre les mesures nécessaires pour transférer le pouvoir en des mains indiennes responsables, au plus tard en juin 1948. » En même temps le Premier ministre annonce (…) que lord Mountbattent est nommé vice-roi de l’Inde en remplacement de lord Wavell. Lord Mountbatten, aussitôt arrivé en Inde, prépare un plan de partage de l’Inde. Celle-ci doit être divisée en deux dominions : l’Union indienne et le Pakistan, tandis que les Etats princiers conserveront leur indépendance et joindront, après négociations, l’un des deux dominions. Le parti du Congrès et la Ligue musulmane acceptent ces propositions (…). Au début de juillet 1947, le plan est soumis au gouvernement britannique qui le discute et l’adopte en un temps record, faisant preuve d’un remarquable réalisme, étant donné la place tenue par l’Inde dans l’empire britannique. Le 18 juillet 1947, la loi d’indépendance de l’Inde est adoptée par le parlement britannique. »
Vietnam
Chronologie
8 mars 1945 : Coup de force japonais qui fait tomber le régime français au Vietnam
9 mars 1945 : Démantèlement des troupes françaises d’Indochine
11 mars 1945 : Bao Daï proclame l’indépendance de l’Indochine en collaboration avec le Japon
17 avril 1945 : Constitution du gouvernement vietnamien projaponais de Tran Van Kim
26 juillet 1945 : Aux accords de Potsdam, les Alliés décident l’occupation chinoise au nord du Vietnam et anglaise au sud, zones limitées par le 16e parallèle.
13 août 1945 : Pour anticiper l’arrivée des Alliés, les staliniens du « Comité de Libaration du peuple vietnamien » parlent de renversement du pouvoir japonais, la veille de sa reddition.
15 août 1945 : Capitulation du Japon dans la guerre mondiale
18 août 1945 : Constitution du Front National Unifié qui regroupe bourgeoisie et féodaux (Caodaïstes, Hoa Hao et Parti de l’indépendance).
19 août 1945 : Apparition de comités du peuple dans la région sud
21 août 1945 : Constitution de centaines de comités de la jeunesse d’avant-garde
Le même jour, le plus grand quartier ouvrier de Saïgon (Phu-Huan) élit son comité du peuple qui se proclame nouveau pouvoir central. Les paysans liquident les anciens serviteurs des gouvernements français et japonais. Ils investissent les bureaux et tribunaux de l’administration locale. Constitution de tribunaux du peuple qui jugent les grands propriétaires et les anciens fonctionnaires. Les comités du peuple, d’août à septembre, confisquent les biens des riches et partagent les terres. Manifestation de 300.000 personnes dont 30.000 derrière la bannière trotskyste de la LCI.
23 août 1945 : Pour contrer la vague révolutionnaire, le Front National Unifié se dissous et adhère au Viet Minh tenu par les staliniens, seule force capable de contrer la révolution sociale.
25 août 1945 : Abdication de Bao Daï. Formation par les staliniens du « Comité exécutif provisoire du sud Vietnam » qui vise à éviter le vide du pouvoir en occupant tous les postes adminstratifs et en maintenant en place la police : sept staliniens sur neuf ministres et Ho Chi Minh à la présidence. Grandiose manifestation à Saïgon pour l’indépendance.
26 août 1945 : Entrée des troupes chinoises au nord du Vietnam. Première assemblée des comités du peuple.
27 août 1945 : Déclaration du stalinien Nguyen Van Tao, ministre l’Intérieur, contre les trostskystes : « Seront sévèrement punis et impitoyablement frappés tous ceux qui auront poussé les paysans à s’emparer des propriétés foncières. (…) Nous n’avons pas encore fait la révolution communiste qui apportera la solution au problème agraire. Ce gouvernement n’est qu’un gouvernement démocratique, c’est pourquoi il ne lui apartient pas de réaliser une telle tâche. Notre gouvernement, je le répète, est un gouvernement démocratique bourgeois, bien que les communistes soient actuellement au pouvoir. »
28 août 1945 : Déclenchement d’une vaste campagne de calomnies contre les trotskystes accusés de semer le désordre et de provoquer des troubles.
29 août 1945 : Formation du gouvernement provisoire vietnamien
1er septembre 1945 : Déclaration de Tran Van Giau affirmant que l’indépendance n’est pas le produit de la lutte mais des « négociations avec nos alliés » et qui menancent quiconque prétend combattre les armes à la main les « forces alliées » : « Ceux qui incitent le peuple à l’armement seront considérés comme des saboteurs et des provocateurs, ennemis de l’indépendance nationale. Nos libertés démocratiques seront octroyées et garanties par les Alliés démocratiques. »
2 septembre 1945 : Manifestation organisée par le gouvernement et les staliniens pour « accueillir les Alliés » qui débarquent à Saïgon. La manifestation se déroule dans le calme mais des coups de feu sont tirés contre les manifestants en marge du cortège. La colère des Vietnamiens explose. La population explose de colère contre le retour des colonialistes. Le climat change. Des Français sont pris à partie et assassinés. Les staliniens accusent les trotskystes de la responsabilité des troubles.
7 septembre 1945 : A Hanoï, Tran Van Giau décrète le désarmement des organisations non-gouvernementales, dont les comités populaires qui préparaient une insurrection armée contre le retour des troupes alliées au Vietnam. Le nouveau pouvoir stalinien se prépare à « accueillir nos alliés. »
10 septembre 1945 : Débarquement des troupes anglaises à Saïgon
12 septembre 1945 : Manifeste commun des comités du peuple et du groupe trostskyste LCI dénonçant la politique de trahison du gouvernement stalinien et capitulation devant l’Etat-major des troupes anglaises.
14 septembre 1945 : Un détachement armé sous les ordres du chef de la police, le stalinien Quang Bach, arrête les membres du comité populaire révolutionnaire de Tan Dinh (banlieue de Saïgon). Le massacre des trotskystes est lancé par les staliniens et le nouveau pouvoir dans tout le pays pour décapiter la révolution.
22 septembre 1945 : Le général britannique Gracey arme les troupes françaises, liquide le « comité exécutif du sud Vietnam » et proclame la loi martiale.
Octobre 1945 : Les troupes de leclerc se rendeznt maitresses de Saïgon.
Octobre 1945 à janvier 1946 : Leclerc et les troupes françaises réoccupent la Cochinchine.
11 novembre 1945 : autodissolution du Parti Communiste « pour placer les intérêts de la patrie au dessus de ceux des classes. »
6 mars 1946 : Accord entre la France et le Viet Minh : le Vietnam appartient à la Fédération Indochinoise et dépend de l’Union française (c’est-à-dire à l’empire colonial français).
18 mars 1946 : Entrée des troupes françaises à Hanoï.
Historique
En janvier 1945, les forces armées japonaises, qui avaient laissé la France de Vichy au pouvoir, occupent militairement le Vietnam et décident de déclarer l’indépendance aux Etats indochinois. Un coup de force en mars 1945 suffit à désarmer les troupes françaises liées au gouvernement de Vichy qui sont arrêtées et remplacées par un gouvernement vietnamien pseudo indépendant puisqu’il reste lié aux Japonais. Il s’agit de se servir des aspirations nationales des peuples d’Indochine contre les alliés anglo-américains qui ripostent en déclarant accorder l’indépendance à l’Indochine. Seulement la défaite du Japon est très rapide et le 5 août c’est le bombardement de Hiroshima. Le 10 août, le dirigeant nationaliste stalinien Ho Chi Minh devant la carence des autorités projaponaises s’autoproclame nouveau pouvoir. L’essentiel de sa supériorité n’est pas politique mais militaire. C’est lui que les alliés ont armé au Vietnam contre les japonais via le gouvernement chinois du Kuomintang. Il n’a aucune difficulté à démettre le pouvoir fantoche projaponais. Loin d’être un acte révolutionnaire contre le colonialisme français, Ho Chi Minh considère alors cette action du 5 août comme un acte anti-japonais dans le cadre de l’Etat français auquel il demande seulement une autonomie au sein de l’empire. Partisans de cette politique anti-française, Ho Chi Minh s’est empressé de proclamer un gouvernement pour éviter un vide du pouvoir en un soulèvement révolutionnaire des masses vietnamiennes devenait possible. Le 10 août est proclamé par son mouvement la révolution vietnamienne alors qu’en réalité il s’est juste contenté d’un accord au sommet avec toutes les forces bourgeoises et nationalistes en écartant seulement les militants ouvriers syndicalistes, staliniens des villes et trotskystes. Et surtout les masses ont été soigneusement tenues à l’écart lors de sa constitution. Puis il a orchestré des manifestations contre le régime pro-japonais précédent qui n’a pu que se retirer. Dans une proclamation pourtant appelée déclaration d’indépendance, le nouveau pouvoir se dit défavorable à une indépendance immédiate et admet que celle-ci sera accordée par la France dans un délai de 5 à dix ans !
Mais le vietminh dirigé par le parti communiste vietnamien d’Ho Chi Minh n’est fort que dans le nord du pays, au Tonkin. Dans le sud, en Cochinchine, Ho Chi Minh est beaucoup plus faible et les travailleurs ont un rapport de force beaucoup plus favorable et l’escamotage de la révolution va s’avérer beaucoup plus difficile. Il a en face de lui un courant trotskyste implanté avec lequel il a dû plusieurs fois s’entendre. En 1939, seul face à toutes les forces nationalistes et staliniennes les trotskystes ont eu 80% des voix aux élections de Saigon. A l’annonce de la capitulation japonaise s’est en fait un véritable soulèvement révolutionnaire qui a lieu car la population est révoltée contre toutes les autorités. Il faut dire qu’il y a eu au Vietnam un million de morts et par la seule famine il y a encore en 1945 des centaines de milliers de morts chaque mois. Au Tonkin et au Nord Annam, c’est la révolution. Des pauvres s’attaquent aux autorités locales, aux profiteurs et oppresseurs de toutes sortes, les arrêtent les tuent. Ils forment des comités du peuple. Ils mettent en avant le partage des terres, la confiscation des biens des riches. A Saigon, l’opération des nationalistes et des bourgeois qui a eu lieu au nord n’a pu se faire car ce sont les comités du peuple qui se sont fédérés et qui ont pris le pouvoir à l’issu d’une manifestation dirigée par les trotskystes sur les slogans armement du peuple, la terre aux paysans, nationalisation des usines sous contrôle ouvrier. Des tribunaux du peuple jugent les anciens grands propriétaires et fonctionnaires. Les comités du peuple élisent alors une direction provisoire auquel ils affectent un local et qui est gardé par un détachement d’ouvriers en armes. C’est pour se débarrasser de cette révolution que le vietminh qui s’est associé d’anciennes forces vietnamiennes liées à l’ancien régime vichyste va pratiquer une politique se répression et d’assassinat systématique contre les membres des comités du peuple et particulièrement contre les dirigeants trotskystes comme Ta Thu Tau et Tran Van Tach qui sont assassinés systématiquement. C’est en brisant le soulèvement ouvrier que le vietminh va se hisser au pouvoir et non en s’appuyant dessus. Nous le verrons dans un texte que nous lirons sur ce sujet. Et dès qu’il parvient au pouvoir son langage est clair : « seront sévèrement et impitoyablement punis ceux qui auront poussé les paysans à s’emparer des propriétés foncières. Notre gouvernement n’est qu’un gouvernement démocratique bourgeois et il ne lui appartient pas de réaliser la révolution communiste. » Le 2 septembre 1945 ils manifestent même en l’honneur de la commission des alliés. Des colons français tirent dans la foule qui arrête un certain nombre de ces assassins. Cependant le chef de la police stalinien les fait rapidement relâcher. L’exaspération des masses grandit et les staliniens décident d’en finir avec la révolution. Ils annoncent « seront considérés comme provocateurs et saboteurs ceux qui appellent le peuple à l’armement et surtout à la lutte contre les alliés occidentaux ». En septembre 1945 les staliniens vont désarmer les comités du peuple puis pourront en finir définitivement et physiquement avec les membres des comités du peuple de Saigon. Ils avaient fini d’assassiner la révolution indochinoise. En octobre 1945, Ho Chi Minh déclare à la presse : « la France et le Vietnam ont depuis longtemps conclu un mariage. Le mariage n’a pas toujours été heureux mais nous n’avons pas intérêt à le briser. » En novembre 1945, le parti communiste indochinois s’autodissout déclarant : « il faut placer les intérêts de la patrie au dessus de ceux des classes ».
En mars 1946, les troupes françaises reviennent au Vietnam. Loin de combattre le retour des troupes française, Ho Chi Minh va les accueillir, espérant toujours que celles-ci vont accepter de le mettre à la tête d’un territoire autonome lié à la France.
« Une indépendance prématurée du Vietnam risque de ne pas être dans la ligne des perspectives soviétiques et embarrasserait l’URSS dans ses efforts pour gagner la France en tant qu’alliée. » écrit le PCF, dans un document transmis au Viet Minh par le Groupe culturel marxiste (lié au PCF) de Saigon le 25 septembre 1945 et publié par Harold Isaacs dans « Pas de paix en Asie ».
Grégoire Madjarian rapporte dans « La question coloniale et la politique du Parti communiste français » : « Le 16 février, Ho Chi Minh communiquait à Jean Sainteny, l’envoyé du Haut commissaire D’Argenlieu, qu’il consentait à négocier, sur la base de l’unité et de l’indépendance du Vietnam, l’adhésion à l’Union française. Leclerc et Sainteny pressèrent le gouvernement français d’accepter. Ce qu’il fit, se déclarant prêt à reconnaître un gouvernement vietnamien autonome, à condition que ce dernier accueille amicalement les troupes françaises lorsqu’elles viendraient remplacer les troupes du Kuomintang. On apprenait le 4 mars, à Hanoï, que la flotte de débarquement française faisait route vers Haïphong – le grand port du nord du Vietnam. (…) Le 5 mars, le comité central du Viet Minh, réuni à Huong-Canh, dans la campagne proche de Hanoï, décidait que « dans cette conjoncture, la meilleure condition à suivre pour le salut de la patrie n’était pas de couper les ponts, mais de sauver la paix. » (…) Le journal (du Viet Minh) de Hué le 5 mars, sous le titre « Calmes mais prêts » : (…) « La France a pris l’initiative de négocier. Nous sommes heureux de négocier selon la demande des Français. (…) Les négociations n’aboutiront que si nous obtenons l’indépendance. » (…) Ho Chi Minh et Sainteny signaient le 6 mars 1946 une convention préliminaire. (…) L’idée d’indépendance était absente ; l’unité du Vietnam restait suspendue à un référendum - dont la date n’était pas fixée - qui déciderait du sort de la Cochinchine (Nam-Bo) contrôlée par les troupes coloniales. Enfin des unités françaises – quinze mille hommes – s’installaient dans le Tonkin pour y effectuer, conjointement avec l’armée vietnamienne, la relève des troupes de Tchang Kaï-chek. »
En juillet 1946, le Vietminh représenté par Pham Van Dong et Ho Chi Minh, encore en négociations avec la France à Fontainebleau, est aidé par des troupes françaises pour achever sa purge et en finir avec les militants trotskystes. Ho déclare alors sur son alliance avec la France : « nos libertés démocratiques seront octroyées et garanties par nos alliés démocratiques. »
C’est seulement après le bombardement massif du port de Haiphong, qui fait 6000 morts en novembre 1946, que les nationalistes vietnamiens se trouveront contraints d’admettre qu’il va falloir se battre avec l’impérialisme français. En décembre 46 c’est l’attaque des troupes françaises qui reprend possession du Vietnam et contraint les nationalistes à la lutte armée à Hanoï qui est occupée par l’armée française.
Documents sur la situation insurrectionnelle au Vietnam :
Extraits de « Staliniens et trotskystes au Vietnam » John Sharpe :
« Les journées d’août
« Le 16 août 1945, les nouvelles de la défaite du Japon parvinrent en Indochine. Le lendemain, le commandement japonais proclamait l’indépendance de l’Indochine (Vietnam, Laos et Cambodge). La rapidité de la reddition surprit tout le monde. Cependant, le Viet Minh avait déjà convoqué un congrès qui formait le jour même un Comité populaire de libération nationale, sorte de gouvernement provisoire. Partout, ils se dépêchèrent d’occuper le vide du pouvoir, en s’emparant simplement de l’appareil du pouvoir colonial franco-japonais. Les troupes du Viet Minh occupèrent rapidement Hanoï sans opposition de la part des Japonais. Désirant d’éviter toute apparence de révolution, le Viet Minh demanda et reçu l’abdication officielle de Bao Daï, l’empereur traditionnel, qui devint du coup « conseiller politique suprême » du nouveau gouvernement.
Dans un geste très significatif, Ho rédigea (conjointement avec les conseillers américains) une Déclaration d’Indépendance, qui commence en citant la Déclaration d’Indépendance américaine et la Déclaration des droits de l’homme française, deux documents clefs des révolutions bourgeoises. Selon la théorie stalinienne de la révolution par étapes, parler de socialisme à ce stade aurait été prématuré, puisque la première tâche était la défaite des féodaux et de l’impérialisme. La réalité de cette « théorie » avait été révélé un mois avant par l’appel de Ho à la France pour une indépendance au sein de l’Union française « dans au moins cinq ans et au plus dix ans » et par l’accord signé à Hanoï au début de 1946 en vue du retour des troupes françaises !
Au Sud Vietnam, la situation évolua différemment du fait de la faiblesse relative des staliniens. Le 19 août, les travailleurs de Ban Co, quartier de Saïgon, formaient le premier Comité du peuple du sud Vietnam. Le jour suivant, un comité similaire du quartier Phu Nhuan de Saïgon, le plus important quartier ouvrier de la ville, occupa le pouvoir gouvernemental. En même temps, les paysans se soulevaient dans les campagnes, brûlant les villas des grands propriétaires ainsi que plusieurs entreprises rizicoles, le 19 août dans la province de Sadec. Dans la seule province de Long Xuyen, plus de deux cents représentants du gouvernement et policiers furent tués par les paysans dans les premiers jours qui suivirent la reddition du Japon.
Le 21 août, le Front National Uni appela à une manifestation qui attira plus de 300.000 participants. Hoa Hao et Cao Daï marchaient derrière le drapeau de la monarchie suivis d’un groupe de 100.000 manifestants. Les trotskystes la Ligue Communiste Internationale représentait l’autre pôle important de la manifestation. Derrière une large banderole de la Quatrième Internationale venaient des pancartes et des drapeaux avec les principaux slogans de la LCI : « A bas l’impérialisme ! », « Longue vie à la révolution mondiale ! », « Front des ouvriers et des paysans ! », « Formons partout des comités du peuple ! », « Assemblée populaire ! », « Armement du peuple », « nationalisation des usines sous le contrôle des travailleurs ! », « Gouvernement ouvrier et paysan ». Quand la bannière de la quatrième internationale apparut, des centaines et des milliers de travailleurs, qui n’avaient pas oublié le mouvement révolutionnaire de 1930, se rassemblèrent derrière, embrassant de vieux amis. (…) En quelques heures, les manifestants d’ICL se montèrent à 30.000.
Face à la montée du mouvement de masse, les staliniens du Viet Minh s’empressèrent de prendre le pouvoir. Leur première tactique consista à se présenter comme les représentants légitimes des forces alliées victorieuses. Ainsi, dans la proclamation du Viet Minh du 23 août, Tran van Giau, le dirigeant des staliniens du sud, proclama : « Nous nous sommes battus durant cinq années aux côtés des démocraties alliées… » La nuit précédente, Giau avait envoyé un ultimatum au Front National Uni, le sommant de se dissoudre et remettre ses postes administratifs au Viet Minh. Le lendemain, le Front National Uni se dissolvait et rejoignait le Viet Minh. (pour couronner la trahison du groupe La Lutte qui avait organisé le Front National Uni en tant que « front populaire « trotskyste », il leur fut accordé un siège au « Comité du sud » du Viet Minh, le 10 septembre 1945 !)
La LCI n’était pas inactive durant cette période, mettant en place une imprimerie, éditant des bulletins adressés à la population toutes les trois heures et formant des unités militaires, comme étape vers l’armement des travailleurs.
Mais les staliniens étaient plus rapides. Le 25 août, à 5 heures du matin, le Viet Minh faisaient un coup d’état sans verser une goutte de sang occupant l’hôtel de ville et les commissariats. Agissant dans le dos des masses et avec l’aide de la bourgeoisie nationaliste (Hoa Hao, Cao Daï, VNQDD), les staliniens s’emparèrent simplement de l’appareil d’état en place et installèrent un nouveau régime bonapartiste bourgeois.
Ensuite, les staliniens appelèrent à une manifestation monstre avec plus d’un million de participants. Plus de trente associations politiques étaient présentes, mais les forces le plus remarquables étaient celles des staliniens et de la LCI. Lors de l’effondrement de l’administration japonaise, les forces de police elles-mêmes se divisèrent en deux camps, la majorité soutenant le Viet Minh, mais une minorité se plaçant sous la bannière de la quatrième internationale ! La délégation de la LCI à la manifestation était nettement plus petite cette fois (2000 manifestants seulement) que lors de la précédente, mais cette fois ceux qui soutenaient la LCI étaient venus avec des contingents de leurs syndicats. (…)
Deux jours après le coup d’état, Nguyen Van Tao, devenu ministre de l’intérieur du régime Viet Minh, lança un défit menaçant : « Celui qui encouragera les paysans à s’emparer des propriétés foncières sera puni sévèrement et sans pitié… Nous n’avons pas encore lancé une révolution communiste qui apporterait une solution au problème agraire. Ce gouvernement est seulement un gouvernement démocratique ( !), et de ce fait il ne peut pas prendre en charge cette tâche. Je le répète, notre gouvernement est démocratique bourgeois même si les Communistes sont au pouvoir. » On ne pouvait pas être plus clair ! (…)
Suite à une conférence de presse de Tao, le Viet Minh lança une campagne anti-trotskyste incessante dans la presse accusant la quatrième internationale de semer le désordre. Le 1er septembre, Tran Van Giau déclara : « Ceux qui incitent le peuple à s’armer seront considérés comme des saboteurs et des provocateurs, ennemis de l’indépendance nationale. Nos libertés démocratiques seront garanties et assurées par les démocraties alliées. »
Pendant qu’Ho Chi Minh lisait la Déclaration d’Indépendance à Hanoï, le Viet Minh du sud organisait une démonstration le 2 septembre pour accueillir les troupes britanniques qui arrivaient. Plus tard dans l’après-midi du 2 septembre, plus de 400.000 personnes se joignaient à une démonstration pacifique allant à la cathédrale. Alors qu’un prêtre connu comme sympathisant des Vietnamiens parlait sur les marches de la cathédrale, des tirs partirent et il fut tué. La foule courut se protéger mais 150 personnes furent blessées. Des émeutes éclatèrent avec des attaques des colons français responsables de crimes. Nombre de Français furent arrêtés mais immédiatement relâchés par Duong Bach Mai, qui publia une déclaration « déplorant des excès qui ont été commis ».
En réponse aux événements du 2 septembre, staliniens et trotskystes émirent deux appels clairement opposés. Alors que les troupes anglaises sous la direction du général Gracey étaient attendues d’un jour à l’autre, le Viet Minh proclamait : « Dans l’intérêt de la nation, nous appelons chacun à avoir confiance en nous et à ne pas se laisser égarer par des gens qui trahissent notre pays. C’est seulement de cette manière que nous pourrons faciliter nos relations avec les représentants des Alliés. » (tract du 7 septembre 1945)
A l’opposé, la LCI déclarait : « Nous, communistes internationalistes, n’avons aucune illusion sur la capacité d’un gouvernement Viet Minh, du fait sa politique de collaboration de classe, de se battre victorieusement contre l’invasion impérialiste qui va avoir lieu dans les prochaines heures. Cependant, s’il s’engage à défendre l’indépendance nationale et les libertés populaires, nous n’hésiterons à l’y aider et à le soutenir par tous les moyens possibles de la lutte révolutionnaire. Mais, par contre, nous devons répéter que nous maintiendrons l’absolue indépendance de notre parti vis-à-vis du gouvernement et des autres partis, car l’existence même d’un parti qui se revendique du bolchevik-léninisme dépend entièrement de son indépendance politique. » (Communiqué du 4 septembre 1947)
Sous l’influence de la LCI, durant les trois mois après le 16 août, plus de cent cinquante comités du peuple (To Chuc Uy Banh Hanh Dong) ont été mis en place au Nam Bo (Vietnam du sud), dont approximativement cent dans la région Saïgon-Cholon. Un Comité central provisoire composé de neuf membres (qui sera ensuite porté à 15) est formé après les manifestations du 21 août.
La question du rôle historique de ces « comités du peuple » est d’une importance cruciale pour le courant révolutionnaire trotskyste. Dans la revue « Quatrième internationale », un article signé Lucien (pseudonyme d’un leader vietnamien de la LCI) écrivait : « La LCI dirigeait les masses par l’intermédiaire des comités du peuple… Malgré sa faiblesse numérique, la LCI réussit, pour la première fois dans l’histoire de la révolution indochinoise, la tâche historique grandiose de création de comités du peuple, c’est-à-dire de soviets. »
La LCI et les comités du peuple proposèrent concrètement une politique d’opposition à la bourgeoisie. Ainsi, les comités du peuple ne donnèrent aucun soutien politique au gouvernent bourgeois du Viet Minh, quand il appelait (hypocritement) à un bloc militaire contre l’invasion des troupes alliées (ce que le Viet Minh rejetait en réalité puisque sa politique consistait à « accueillir » les Alliés). La LCI appela à l’armement des masses travailleuses et commença à prendre des premières mesures pour le mettre en pratique. Les slogans de la LCI ne se bornèrent pas à appeler à une révolution « démocratique » limitée à l’indépendance nationale, mais appelèrent aussi à l’expropriation de l’industrie sous contrôle ouvrier.
Néanmoins, le terme même de comités « du peuple » obscurcissait la nécessité d’une mobilisation indépendante du prolétariat, organisé de manière séparée sur des bases de classe. Bien que l’alliance avec la paysannerie et une partie de la petite bourgeoisie urbaine contre l’impérialisme et les propriétaires semi-féodaux était d’une brûlante nécessité, cette alliance devait être fondée avant tout sur l’organisation indépendante du prolétariat. Dans des pays où la paysannerie domine numériquement, la mobilisation indissociée « du peuple » garantit qu’une petite bourgeoisie instable dominera les travailleurs. L’alliance nécessaire entre soviets de travailleurs et soviets de paysans doit viser à détruire l’Etat bourgeois et à son remplacement par un Etat ouvrier.
Ces considérations générales avaient des conséquences pratiques immédiates. Alors que les comités du peuple repoussaient l’ultimatum du Viet Minh leur intimant de se subordonner au régime bonapartiste, l’opposition de classe entre les deux pouvoirs n’apparaissait pas toujours clairement aux masses. Les comités du peuple, spécialement à Saïgon, étaient essentiellement des organes du pouvoir ouvrier, alors que le comité du sud du gouvernement du Viet Minh était un front populaire basé sur l’Etat bourgeois en place. Mais aux yeux des masses, cela apparaissait simplement comme une différence entre deux gouvernements « du peuple », un dominé par les staliniens et l’autre par les trotskystes. Le clash violent était inévitable entre ces deux pouvoirs, mais en appelant à la formation de « comités du peuple », la LCI échouait à préparer politiquement les masses à la bataille à la bataille imminente.
Le clash inévitable prit rapidement forme. Le 7 septembre, Giau publia un décret ordonnant le désarmement de toutes les organisations non-gouvernementales. Toutes les armes devaient être rendues à la « garde républicaine » du Viet Minh. Cela concernait les sectes religieuses mais aussi les « organisations de la jeunesse d’avant-garde » et les groupes d’autodéfense basés dans les usines qu’avaient fondé les trotskystes. Le plus important de tous ces groupes était la milice ouvrière organisée conjointement par les travailleurs du dépôt de bus de Go Vap et par la LCI. Cette milice lança un appel à tous les travailleurs de Saïgon-Cholon de s’armer eux-mêmes en vue de la lutte contre l’invasion imminente des anglo-français.
Les troupes anglaises et indiennes sous les ordres du général Gracey arrivèrent à Saïgon le 10 septembre. Le long de la route vers l’aéroport, le Viet Minh a placé des pancartes et des banderoles avec des slogans souhaitant la bienvenue aux Alliés. A l’Hôtel de ville, flottent les drapeaux alliés aux côtés du drapeau du Viet Minh. Le « Comité du sud », du Viet Minh se réunissait à l’intérieur, continuant son travail administratif pendant que les troupes anglaises s’occupaient de supprimer leur pouvoir sur la ville. Le général Gracey qui quelques semaine plus tôt déclarait : « La question du gouvernement de l’Indochine est exclusivement une question française. », supprima la presse vietnamienne, proclama la loi martiale et imposa un strict couvre-feu. Toute manifestation était interdite, ainsi que le port d’armes, y compris des bâtons de bambous.
Le 12 septembre, les comités du peuple et la LCI publiaient conjointement un manifeste dénonçant la politique traîtresse du gouvernement Viet Minh. Le mécontentement populaire était sensible dans les quartiers ouvriers. Devant la probabilité d’une insurrection ouvrière, le Viet Minh se prépara à y faire face. A 4 heures du matin, le 14 septembre, Duong Bach Mai, le chef stalinien de la police, envoya un détachement de la Garde républicaine encercler le local des comités du peuple qui était en réunion. Les trotskystes se contentèrent de se rendre à ces bouchers, ce qui est incroyable !
La LCI le raconte en ces termes : « Nous nous sommes conduits comme d’authentiques militants révolutionnaires. Nous nous sommes laissés arrêter sans violence contre la police, bien que nous soyons plus nombreux et bien armés. Ils nous enlevèrent nos fusils et nos pistolets. Ils saccagèrent nos bureaux, détruisant le matériel, déchirant nos drapeaux, cassant nos machines à écrire et brûlant nos papiers. »
En agissant ainsi, les dirigeants de la LCI firent leur propre perte et celui de la révolution vietnamienne. Derrière cette capitulation, il y avait une grave incompréhension de la vraie nature du stalinisme. Il est vrai que dans les années trente, les leaders de l’Internationale communiste du Vietnam sud maintinrent un bloc de longue durée avec le groupe La lutte et eurent une politique plus « à gauche » que Ho. (…) Cette situation est présentée par les staliniens comme une déviation droitière de leur parti au sud et comme une sous-estimation du danger trotskyste et sur le caractère sans principe d’une coopération avec les trotskystes dans la période des fronts populaires.
Parmi les dirigeants trotskystes qui ont été victimes de ce coup de force stalinien, il y a Lo Ngoc, membre du comité central de la LCI, Nguyen Van Ky, dirigeant ouvrier de la LCI, et Nguyen Huong, jeune dirigeant des milices ouvrières.
Le 22 septembre, les Anglais avaient suffisamment fortifié leur position pour tenter de mesurer leur rapport de force. Les Anglais ont repris la prison de Saïgon, pendant que les troupes françaises du 11e régiment d’infanterie coloniale étaient réarmées. Les colons français sont devenus sauvages à partir de ce jour, arrêtant, frappant, tuant d’innombrables Vietnamiens. Dans la nuit suivante, les troupes françaises occupèrent plusieurs postes de police, la poste, la banque centrale et l’hôtel de ville, le tout sans aucune résistance armée.
A l’annonce de cette nouvelle dans les quartiers ouvriers, un mouvement spontané de résistance a éclaté. Le Viet Minh se disait opposé « aux violences », et essayait plutôt de proposer « des négociations » avec le général Gracey. Dans les quartiers périphériques, des arbres ont été abattus, des véhicules renversés et du matériel amoncelé pour former des barricades grossières. Pendant ce temps, les travailleurs des quartiers ouvriers (Khanh Hoi, Cau Kho, Ban Co, Phu Nhuan, Tan Dinh et Thi Nghe) étaient complètement aux mains des insurgés. Dans certaines zones, des Français ont été tués dans des explosions de haine raciale, résultat de 80 ans de domination coloniale brutale. (…) Les forces insurgées paradaient dans les rues principales du centre ville.
Le plus important contingent armé de l’insurrection était la milice ouvrière du dépôt de bus de Go Vap, une force armée de 60 combattants. Les 400 travailleurs de la compagnie étaient connus pour leur intervention militante dans la classe ouvrière. Alors qu’ils étaient encore affiliés à la fédération syndicale stalinienne, ils refusèrent la dénomination de Cong Nhan Cuu Quoc (« Travailleurs qui sauvent la patrie »), et refusèrent de porter le drapeau du Viet Minh (étoile jaune sur fond rouge), disant qu’ils voulaient se battre exclusivement sous le drapeau rouge de la classe ouvrière. Leur force fut organisée en groupes de choc de onze membres, dirigée par des responsables élus, sous la direction générale de Tranh Dinh Minh, un jeune dirigeant de la LCI et romancier venu de Hanoï.
Faisant face à l’opposition conjointe des Alliés et de la police du Viet Minh, la milice ouvrière de Go Vap tenta un repli vers la zone de la plaine de joncs. Après plusieurs batailles contre les troupes françaises et indiennes, ils atteignent un point de regroupement, où ils purent établir un contact avec des paysans pauvres. Ayant déjà perdu vingt hommes, et ayant vu leur dirigeant Minh le 13 janvier 1946 dans une bataille contre les forces impérialistes, la milice fut finalement écrasée et nombre de ses membres frappés à mort par des bandes du Viet Minh. (…)
Giau se préoccupait avant tout de ses négociations avec les Anglais. Une trêve fut annoncée le 1er octobre, mais dès le 5 octobre, le général Leclerc et le corps expéditionnaire français arrivaient et agissaient rapidement pour « rétablir l’ordre » et « construire une Indochine forte au sein de l’Union française ». La trêve le plus beau cadeau que les forces alliées française et anglaise pouvaient recevoir (du Viet Minh) comme trahison honteuse des masses insurgées.
Pendant que le Viet Minh continuait sa politique visant à apaiser les Alliés, autorisant le libre passage aux troupes anglaises et japonaises au milieu de la zone rebelle, les troupes françaises et indiennes attaquaient au nord-est, cassant ainsi le blocus de la cité par l’insurrection. Au lieu de s’en tenir à la défensive, les staliniens concentraient leurs attaques en vue d’éliminer les trotskystes. Ayant éliminé la LCI et les dirigeants des comités du peuple le 14 septembre, ils se tournèrent contre le groupe La Lutte et encerclèrent son siège dans le quartier Thu Duc, ils arrêtèrent l’ensemble du groupe et les enfermèrent à Ben Suc. Là, ils furent tous fusillés (par le Viet Minh), à l’approche des troupes françaises. Parmi ceux qui furent assassinés ainsi se trouvaient Tran Van Trach (élu conseiller municipal de Saïgon aux élections de 1933), Phan Van Hum, Nguyen Van So et dix autres militants révolutionnaires. Peu après, le Viet Minh fut forcé de quitter Saïgon.
Dans le nord, Ho suivait la même politique de capitulation face aux forces alliées, dans ce cas aux Chinois et aux Français. Cependant, cela prit beaucoup plus de temps qu’au sud, car les troupes chinoises arrivèrent seulement fin septembre, laissant au Viet Minh le temps de consolider son pouvoir. Aussi, le Vietminh avait sa propre zone de guérilla armée au nord, et les Chinois n’étaient pas activement opposés à un Vietnam indépendant. Dans la ligne de sa politique d’ »ouverture » de la coalition pour y inclure les nationalistes bourgeois et les leaders catholiques, Ho décréta en novembre la liquidation complète du parti communiste indochinois. La déclaration du Comité central affirmait que « afin d’accomplir la tâche du Parti … en vue d’une union nationale sans distinction de classes, de partis est un facteur indispensable » et que ce geste a été fait pour montrer que les Communistes « sont toujours disposés de placer les intérêts de leur pays au dessus de ceux de classe, et de renoncer aux intérêts du Parti pour servir ceux du peuple vietnamien. »
A cette époque, cependant, l’opposition était toujours forte au Nord. Le groupe La Lutte publiait à ce moment un quotidien à Hanoï, Tran Dao (La Lutte), qui avait une diffusion de 30.000 exemplaires à la fin 1945. Un courrier du secrétariat de la Quatrième Internationale à ce moment parlait d’un groupe La Lutte bien organisé mais persécuté dans le nord. Conduit par Ta Thu Thau, ancien dirigeant des éditeurs du Tonkin dans les années 1937-38, il tenait de grands meetings et publiait de nombreux ouvrages en plus de son quotidien. (…)
Ta Thu Thau fut arrêté par le Viet Minh au cours d’un voyage vers le sud. Jugé trois fois par des comités du peuple locaux, il faut acquitté trois fois, un tribut à la réputation des trotskystes à cette époque. Finalement, il fut simplement fusillé à Quang Ngai, en février 1946, sur ordre du dirigeant stalinien du sud Tran Van Giau. (…)
Ayant liquidé physiquement tous les dirigeants trotskystes au Vietnam, Ho pouvait maintenant conclure un « marché » avec le gouvernement français (qui comportait François Billoux comme ministre de la Défense !) L’accord préliminaire entre la France et la. « République Démocratique du Vietnam » signé à Hanoï le 6 mars prévoyait notamment que « le gouvernement du Vietnam se déclarait prêt à recevoir amicalement les forces armées françaises. » et à accepter le stationnement de 15.000 hommes des troupes françaises au nord du 16e parallèle. Le sens de l’accord était une indépendance limitée sous l’égide de l’Union française. »
(extraits de « Workers vanguard » - Ligue spartakiste)
Exposé du militant trotskyste vietnamien Ngo Van
« Rappelons qu’après la défaite française en Europe, les Japonais occupèrent l’Indochine et, en accord avec Vichy, conservèrent l’appareil administratif et répressif français, avec un nouveau gouverneur colonial désormais à leur service. La politique des Japonais tendit à éliminer la tendance stalinienne et à rechercher un compromis de collaboration avec les tendances nationalistes et les sectes ; en 1942, le "bonze fou" exilé au Laos fut libéré par eux et lorsque, le 9 mars 1945, les Japonais eurent mis fin au gouvernement colonial français, ils armèrent les adeptes de ces deux sectes, espérant les utiliser comme auxiliaires militaires en cas de débarquement américain.
Revenons aux staliniens et à leurs activités, jusqu’à la prise du pouvoir en 1945. Hô chi Minh, qui vivait en Chine, dans le Kouang si, réunit en mai 1941, un congrès qui groupa des éléments vietnamiens de toutes provenances et forma avec eux, sous l’étiquette peu compromettante de Viêtminh (abrégé de Viêtnam dôc-lâp dông-minh, Ligue pour l’Indépendance du Viêtnam une organisation dont la direction effective appartenait à ses propres partisans.
Les généraux chinois du Kuomingtang réunirent une seconde conférence des réfugiés politiques vietnamiens en Chine, le 4 octobre 1942 à Lieou-tcheou, dans le but d’écarter la tendance communiste et mirent sur pied le Dông-minh hôi, Association pour la Libération Nationale, présidé par le vieil émigré prochinois Nguyen-hai Thâ ; Hô chi Minh fut emprisonné pour 18 mois. Cependant, au Congrès de Lieou-tcheou de mars 1944 au cours duquel fut élaboré le programme d’un "gouvernement républicain provisoire du Viêtnam", le Viêtminh était représenté, il avait un portefeuille. Ce programme consistait en deux points : liquidation de la domination française et japonaise, indépendance du Viêt-nam avec l’aide du Kuomingtang ; tandis que les nationalistes de ce gouvernement restaient en Chine où ils attendaient que l’intervention du Kuomintang leur assurât le pouvoir au Viêt-nam, le groupe de Hô chi Minh, sous la bannière du Viêtminh, rentra au Tonkin et s’établit dans la région de Thai-nguyen. Lorsque le coup de force japonais du 9 mars 1945 mit un terme à l’autorité française en Indochine, le Viêtminh se trouva pratiquement maître du Haut pays. S’orientant politiquement vers les alliés (Russie, Chine nationaliste, Grande Bretagne, États Unis), Hô chi Minh organisa quelques escarmouches contre les Japonais, prit contact avec les Américains à Kun-ming, et en obtint des armes pour lutter aux côtés des alliés. Après la capitulation des Japonais le 15 août 1945, le groupe de Hô chi Minh (le Viêtminh) était déjà une force militaire organisée.
Août 1945. Avènement de Hô chi Minh
Nous examinerons ici la situation qui permit la prise du pouvoir par Hô chi Minh et ses partisans du Viêtminh en août 1945.
Les premiers coups de canon inaugurant en Europe la "continuation de la politique" des puissances par le sang des esclaves, ouvrirent à l’impérialisme japonais, en pleine guerre de conquête de la Chine depuis 1937, la perspective de réaliser le plan de la Grande Asie de Tojo, par l’éviction des anciens maîtres occidentaux du sud-est asiatique. En 1940 sur le refus des Français de laisser pénétrer leurs troupes au Tonkin, les Japonais passèrent à l’attaque à Lan-son et Dong-dang dans la nuit du 22 septembre et débarquèrent à Haiphong le 24, après avoir bombardé le port. Ainsi débuta l’occupation japonaise de l’Indochine ; elle conserva l’appareil administratif colonial français ayant à sa tête un amiral de Vichy qui collabora dans une grande mesure avec l’état-major japonais. Le pillage systématique des produits du pays pour les fins de guerre plongea la population dans une misère accrue ; les masses paysannes vécurent plus que jamais dans le dénuement. Bombardements américains, typhons, froid exceptionnel, firent culminer le désastre dans la grande famine de mars à mai 1945, avec environ un million de morts dans le nord, jusque dans les rues de Hanoi.
Dans le sud du pays, les sectes religieuses persécutées par les Français entrevoient un espoir dans le Japon : les cao-daïstes, dont le pape Pham cong Tac vivait exilé à Nossi-lava (Madagascar) comptent sur le retour du prince Cuong-dê réfugié au Japon ; les fidèles du "bonze fou", les Hoa-hao, obtiennent des Japonais en 1942 le retour de leur maître Huynh phu Sô qui avait été exilé au Laos par les Français. Des groupes nationalistes pro-japonais se forment dès 1943 et leurs membres sont utilisés dans les services japonais de propagande et de gendarmerie.
Dans le nord, vers 1943, dans la région montagneuse de Tuyên-quang, voisin de la frontière chinoise, Hô chi Minh organise son foyer de guérilla, se met en contact avec les Américains pour leur demander des armes, se proclamant aux côtés des "alliés démocratiques" "contre le fascisme japonais" ; son "armée populaire" est officiellement instituée dans le maquis à partir du 22 décembre 1944.
Devant l’offensive américaine dans le Pacifique et la menace de débâcle de l’axe Berlin-Tokio-Rome, le japonais, par un coup de force, mettent fin à l’autorité des Français sur toute la péninsule à partir du 9 mars 1945. Les troupes françaises sont désarmées et cantonnées dans leurs casernes, les dirigeants emprisonnés ou mis à mort ; la population est rassemblée et strictement contrôlée. Les Japonais font proclamer l’indépendance par l’empereur Bao-daï et constituer par Trân trong Kim un "gouvernement national" à Huê le 2 mars. Le couvercle de plomb qui pesait sur le pays s’est fissuré. Les masses populaires se sentent soulagées deux brigands vous pillent et l’un est tombé sous les coups de l’autre, prises du sentiment de contentement de l’impuissant, de l’illusion qu’avec "l’indépendance nationale", quelque chose de positif va se produire dans leur condition. Les policiers arrogants du régime français n’apostropheront plus dans les rues de Saigon, pour vérification de leur carte d’impôt personnel (giây thuê thân) les ouvriers et employés se rendant au travail ; on n’entendra plus les colons français menacer de coups de pied au cul les coolies-pousse qui réclament leur dû. Les membres des groupes nationalistes pro-japonais reçoivent les postes clés de l’administration. La jeunesse du pays, des villes et des villages, est organisée paramilitairement afin de servir de force auxiliaire à l’armée japonaise en cas de débarquement américain ; ce mouvement est connu sous le nom de Jeunesse d’avant-garde (Thanh-niên tiên-phong). Les cao-daïstes forment leurs groupes armés tandis que les Hoa-hao forgent des armes blanches en "attendant les événements", c’est-à-dire l’occasion de prendre le pouvoir. Les militants du groupe stalinien qui ont échappé à la répression ou ont été libérés des camps de concentration après le 9 mars, travaillent en quelque sorte mobilisée par "le gouvernement national" et les paysans et noyautent la Jeunesse d’avant-garde. Tout ce bouillonnement politique dans le sud durant les cinq mois qui précèdent la défaite des Japonais échappe à leur contrôle, tandis que dans les régions du Haut-Tonkin s’étend la zone des groupes armés de Hô chi Minh ; eux aussi attendent les "événements".
Les bombes de Hiroshima et de Nagasaki suivies de la capitulation du Japon le 15 août 1945, marquent une autre ère sanglante pour ce coin d’Asie destiné par les puissances impérialistes (accord de Postdam entre Staline, Churchill et Roosevelt) à être occupé au nord du 17e parallèle par les troupes chinoises, et au sud, par les troupes anglaises. Le nouveau partage du monde efface de la carte indochinoise l’impérialisme français et les Américains comptent, par le truchement des Chinois, de Tchang-Kaï Chek, inclure le nord Viêt-nam dans leur zone d’influence au sud-est asiatique.
Devant le vide politique créé par la reddition japonaise et devançant les troupes chinoises qui allaient ramener avec elles les nationalistes prochinois du Dong-minh-hôi et du Viêtnam quôc dân dang, Hô chi Minh réunit ses partisans au village de Tântrao (province de Thai-nguyên) et créa un Comité de libération nationale du Viêt-nam (Uy-ban giai-phong dân-tôc Viêtnam) dont la majorité se composait d’une dizaine d’anciens membres du PC. Ainsi rompit-il avec le "gouvernement en exil" en Chine, donc avec les nationalistes prochinois. Après quelques manifestations spectaculaires organisées par ses émissaires à Hanoi, Hô chi Minh y fit son entrée à la tête de son "armée populaire" vers août. Le représentant à Hanoi du gouvernement pro-japonais de Bao-Daï, Phan kê Toai, se retira sans ambages. Ainsi se constitua le pouvoir de facto du Viêtminh dans l’indifférence des Japonais qui avaient reçu des alliés la mission de maintenir l’ordre jusqu’à l’arrivée des troupes chinoises. On dit même que les Japonais relâchèrent les quelque quatre cents prisonniers politiques enfermés dans les bâtiments de la Shell et réclamés par le Viêtminh et qu’ils les laissèrent s’emparer des armes. En même temps, des "comités populaires" prirent le contrôle de l’administration dans les provinces et les mandarins disparurent ou se soumirent. Un gouvernement provisoire Viêtminh fut formé à Hanoi le 25 août, présidé par Hô chi Minh ; à Huê, après la démission du gouvernement Trân trong Kim, Bao-daï abdiqua et fut choisi par Hô chi Minh comme "conseiller suprême".
Que s’est-il passé dans le sud du pays après le 15 août ? À Saigon la même absence de pouvoir que dans le nord se fit sentir : les troupes japonaises semblaient frappées d’immobilité en attendant l’arrivée des Anglais, tandis que les Français désarmés depuis le 9 mars attendaient leur "libération" et leur retour au pouvoir. Les partisans de Hô chi Minh (quelques émissaires venus du Tonkin rejoignent le groupe stalinien de Cochinchine), en pleine ville, circulent dans des voitures munies de haut-parleurs en criant : "défendez le ViêtMinh" (ung-hô Viêt minh) Viet Minh, mot inconnu jusqu’alors à Saigon et qui avait tout l’attrait du mystère puis, ils distribuent des tracts, se proclament "aux côtés des alliés Russie, Chine, Angleterre, États Unis pour l’Indépendance". Après une manifestation Viêtminh d’essai organisée le 18 août dans les rues de Saigon, et en l’absence de réaction japonaise, ils appellent à une manifestation générale pour le 20. Pour la première fois dans la vie politique du pays, de véritables masses humaines s’assemblent comme des fourmis dès le matin et emplissent le boulevard Norodom, depuis le jardin botanique jusqu’au palais du gouverneur, puis en ordre, défilent à travers les artères importantes en scandant les mots d’ordre : "À bas l’impérialisme français (Da-dao dê-quôc phap) ! Vive l’Indépendance du Viêt-nam (Vietnam hoàn dôc-lâp) ! Défense du Front Viêtminh !...". Drapeaux et banderoles flottant au-dessus de cette armée mouvante indiquent la présence de la Jeunesse d’avant-garde, la veille encore organisation pro-japonaise, des paysans conduits par des militants staliniens et venus des alentours de Saigon, des ouvriers de Saigon-Cholon, des cao-daïstes, des bouddhistes de diverses sectes encadrés par leurs bonzes, des Hoa-hao, des militants des groupes trotskistes La Lutte et la Ligue des communistes internationalistes. Certains manifestants sont armés de bâtons de bambou. On remarque des banderoles avec des inscriptions insolites "groupe d’assassinat d’assaut (Ban am-sat xung-phong)" arborées par des hommes aux torses nus et tatoués, porteurs d’armes blanches et de vieux fusils. La police vietnamienne au service de l’occupant ne sait plus où prendre les ordres : elle reste impassible devant le défilé à travers la ville en grève, et la foule ne se disperse que dans l’après-midi. Cette manifestation, dont l’initiative appartint au Viêtminh est la tactique classique préparatoire à la prise du pouvoir, elle figure le sceau de l’approbation générale. En réalité chacun est descendu dans la rue avec un espoir différent. Seul sentiment commun mais tout puissant : ne plus voir les Français au pouvoir, vivre la fin du régime colonial.
Du premier éveil de ces masses depuis toujours dans les "menottes et les baillons" émane une tension électrique dans un calme insolite, ce calme préoccupant qui précède la tempête. Toute contrainte est rompue et tout le monde semble vivre un instant de totale liberté, où l’absence de l’État, la carence de la police permet à chacun de se préparer à sa guise à l’éventualité d’un combat terrible. Que l’obscurité à l’horizon d’un changement fondamental ! À Yalta, à Postdam, Roosevelt, Churchill et Staline, ont décidé de notre sort, nous nous jetterons pourtant corps et âme dans un sans lendemain. Devant la perspective de l’arrivée imminente des troupes anglaises, devant la menace du retour de l’ancien régime colonial, l’envoyé spécial de la "France Nouvelle" le colonel Cédile, est déjà à Saigon au palais du gouverneur général , tous les hommes décidés cherchent à se procurer des armes ; chacun vit dans la même atmosphère explosive.
Avec la rapidité de l’éclair, les événements vont se dérouler en ces moments cruciaux de crise générale. Les groupes nationalistes et sectes qui furent pro-japonais restent armés, mais incapables d’initiative : avec la chute du Japon, leur temps est révolu. Le Viêtminh politiquement renforcé par l’avènement de Hô chi Minh à Hanoi et ayant déjà en main le mouvement de la Jeunesse d’avant-garde dont les dirigeants se sont ralliés, fort aussi de la manifestation monstre du 20 dans laquelle il voit l’approbation des masses à sa politique de collaboration avec les "alliés" pour l’indépendance nationale, va imposer son gouvernement.
Bientôt en effet, apparaît sur les murs de la ville une proclamation signée du Comité exécutif provisoire du sud (Uv-ban bành-chanh lâm-thoi Nam-bô). Le comité appelle la population à se mettre derrière lui en vue d’obtenir l’indépendance du pays par la négociation avec les "alliés" et promet la formation d’une république démocratique parlementaire. En même temps que cette affiche annonce la "prise du pouvoir" par le Viêtminh, la liste des membres du gouvernement provisoire présidé par le stalinien Tran van Giau est dressée devant l’Hôtel de ville de Saigon affichée sur une imposante colonne couverte d’étamine rouge ; Nguyen van Tao, autre stalinien, ancien conseiller municipal de Saigon, est désigné pour l’intérieur ; pour donner à leur comité une allure d’union nationale acceptable par les alliés impérialistes dans une éventuelle négociation, les staliniens se sont assuré la collaboration gouvernementale d’un médecin, de quelques intellectuels non staliniens et même d’un propriétaire foncier. Le Comité Nam-bô siège à l’Hôtel de ville, gardé par des miliciens en uniforme blanc. La police et la sûreté se sont ralliées, les commissariats sont contrôlés par les camarades de Tran van Giau ; les pirates de Lê van Viên dit Bay Viên, sont embrigadés comme policiers et agents des futurs assassinats staliniens (on les connaissait depuis toujours sous les Français, sous l’appellation "bandes de Binh-xuyên", du nom d’un hameau situé entre Saigon et Cholon).
L’activité du Comité Nam-bô s’étendit vers les provinces où il constitua ses propres comités provinciaux, qui prirent en main les comités populaires nés spontanément dans les villages, de l’ancienne Jeunesse d’avant-garde. L’arrivée de la commission alliée était annoncée pour le début de septembre. Dans les rues de Saigon flottaient d’immenses banderoles portant des inscriptions de bon accueil en anglais, en russe, en chinois et en vietnamien : "Welcome to the Allied Forces !...". Quelques actes spectaculaires marquèrent la volonté du Comité Nam-bô d’en finir avec la colonisation française : les rues de Saigon changèrent de noms ; la rue Catinat, artère de luxe de la ville, célèbre par ses locaux de la sûreté cachots et chambres de tortures fut baptisée rue de la Commune de Paris ; le boulevard Norodom s’appela boulevard de la République... Les statues des "héros" de la conquête (Évêque d’Adran tenant par la main le jeune prince Canh devant la cathédrale, amiral Rigault de Genouilly au bord de la rivière de Saigon, Bonnard devant le théâtre municipal) et autres monuments de l’ère coloniale furent détruits.
Au matin du 2 septembre, un grand défilé officiel fut organisé par le Comité Nam-bô. La nouvelle milice armée en uniforme ouvrait la marche. Dans l’après-midi place de la cathédrale, quelques coups de feu tirés on ne sait d’où provoquent un déchaînement général ; les manifestants se ruent sur les maisons françaises et la manifestation se termine tard le soir avec des blessés et des tués de part et d’autre.
Bientôt arrivent par avion les gurkhas de la 20e division indienne sous le commandement du général anglais Gracey. Dès son arrivée Gracey fait répandre sur la ville, par des avions de chasse japonais, des tracts proclamant qu’il charge les Japonais du maintien de l’ordre public et qu’il interdit à la population sous peine de punition sévère la détention de toutes armes. Une immense affiche reproduisant cette proclamation est collée sur les murs de la ville. Le ton hautain du militaire représentant les alliés équivaut à une mise en demeure adressée non seulement aux groupes armés des sectes religieuses qui détenaient des quantités d’armes japonaises mais également au Comité Nam-bô dont la milice armée est plus ou moins tenue pour responsable des "désordres" du 2 septembre. Gracey installe son quartier général au petit palais du gouverneur de la Cochinchine. Une activité fiévreuse anime groupes et sectes. Les Hoa-hao prennent l’étiquette de Parti social-démocrate (Dang dân-xa) et il semble qu’ils aient été invités ainsi que les cao-daïstes à quelques postes subalternes du ministère Viêtminh des affaires sociales. Les trotskistes du groupe La Lutte se prononcent pour le soutien du Viêtminh stalinien dans la phase de la lutte pour l’indépendance nationale et pour la formation d’une république démocratique, mais déclarent se réserver le droit de critique ; une autre tendance trotskiste dénonce comme illusion entretenue dans les masses la possibilité d’obtenir l’indépendance nationale par la négociation avec des brigands impérialistes dont le Viêtminh sollicite l’alliance ; préconisant l’armement du peuple (ce qui est contre la volonté de contrôle du Comité Nam-bô sur tous les groupes armés) et la préparation de l’insurrection armée contre le retour de l’ancien régime, ils regroupent quelques dizaines d’ouvriers et d’employés en un Comité populaire révolutionnaire (Uy-ban nhân-dân cach-mang) à Tân-dinh banlieue de Saigon ; un comité populaire semblable se forme à Biên-hoà à une trentaine de kilomètres de Saigon ; mais l’activité de tels comités, négation du pouvoir de facto stalinien, risque de faire tache d’huile et l’arrestation et l’incarcération de leurs membres par la police Viêtminh y met fin. Notons que les militants de Tân-dinh se laissent désarmer sans riposte car ils craignent qu’en tirant sur la police, ils n’arrivent qu’à nourrir l’accusation de provocation portée contre eux par les gens de l’Hôtel de ville, et restent incompris des masses. Les chefs des sectes également objets des recherches de la police, disparaissent avec leurs groupes armés. La répression Viêtminh vise déjà tous les opposants en puissance.
À l’Hôtel de ville siège toujours le Comité Nam-bô auquel Gracey a accordé quelques contacts courtois sans reconnaissance officielle ; d’autre part Cédile qui manigance fiévreusement avec les Anglais pour "rétablir l’ordre colonial" a établi avec ce même Comité un dialogue de sourds. Le 17 septembre des tracts du Comité appellent à la grève générale contre le français et, toujours dans l’espoir d’une négociation possible avec les Anglais, recommande le calme à la population. Trois jours après, le 20, la presse vietnamienne est interdite par les Anglais et les proclamations du Comité sont lacérées et arrachées des murs de la ville. Le 22, les Anglais contrôlent la prison et réarment quelque mille cinq cents soldats français enfermés par les Japonais dans les casernes du deuxième RIC ; enfin dans la nuit du 22 au 23, les Français aidés des gurkhas réoccupent les commissariats de police, la Sûreté, le Trésor, la Poste. Le Comité Viêtminh quitte l’Hôtel de ville et se retire dans les environs de Cholon ; l’insurrection de Saigon éclate la nuit même.
L’insurrection de Saigon de 23 septembre 1945
Le Comité Viêtminh dans le but d’obtenir sa reconnaissance par les Anglais comme gouvernement de facto fit tout pour montrer son pouvoir et sa capacité de "maintenir l’ordre". Il ordonna par voie de presse la dissolution de tous les groupes armés et la remise des armes à sa propre police. La milice Viêtminh, appelée "garde républicaine (Cong-hoà-vê-binh)" eut avec cette police le monopole légal du port des armes. Étaient visés non seulement les sectes religieuses Cao-daï et Hoà-hao, mais aussi les comités ouvriers, la Jeunesse d’avant-garde et les groupes d’autodéfense, c’est-à-dire tous ceux qui se trouvaient hors du contrôle Viêtminh.
Les trotskistes du groupe Tia-sang (l’Etincelle) devant la perspective imminente d’un affrontement inévitable avec les forces militaires anglaises et françaises, appellent par tracts à la formation de comités d’action populaires (tô-chuc-uy-ban hành-dông) et à l’armement du peuple (thiêt-lâp dân-quân) en vue de la constitution d’une assemblée populaire, organe de lutte pour l’indépendance nationale. Les ouvriers du dépôt de tramways de Go-vâp, à quelque huit kilomètres de Saigon, aidés des militants du groupe Tia-sang, organisent une milice et invitent les ouvriers de la région Saigon-Cholon à s’armer et à se préparer au combat.
Le Comité Viêtminh avant de quitter la ville, fait coller partout des papillons la presse étant interdite et la loi martiale proclamée par Gracey dès le 22 invitant la population à se disperser à la campagne et à "rester calme car le gouvernement espère arriver à négocier". Une psychose d’insécurité règne dans la ville qui se vide peu à peu d’une partie de sa population vietnamienne. Dans la nuit du 22 au 23, les Français, réarmés et appuyés par les Gurkhas, réoccupant pratiquement sans résistance les commissariats de police, la Sûreté, la Poste, le Trésor, l’Hôtel de ville... La nouvelle qui se répand comme une traînée de poudre, déclenche l’insurrection dans les quartiers populaires et les faubourgs de la ville. De partout, des détonations sèches déchirent la nuit : c’est l’explosion spontanée des masses. Personne ne peut avoir une vue globale d’événements de cet ordre. Nous recueillons ici les souvenirs de deux témoins plus ou moins acteurs dans le drame. Des arbres abattus, des véhicules renversés, du mobilier divers entassés dans les rues, telles sont les ébauches de barricades qui s’improvisent aussitôt pour empêcher le passage des patrouilles et le déploiement des troupes impérialistes. Les insurgés se tiennent cachés à proximité. Si le centre de la ville est sous le contrôle des Français secondés par les Gurkhas et les Japonais, la périphérie et les faubourgs (Khanh-hôi, Câu-kho, Bàn-co, Phu-nhuân, Tân-dinh, Thi-nghè...) habitat des pauvres, appartiennent aux insurgés : comités populaires, Jeunes d’avant-garde, garde républicaine, cao-daïstes... Les Français rencontrés sont abattus ; les fonctionnaires cruels de l’ancien régime, les policiers réputés tortionnaires repérés depuis longtemps par la population, sont mis à mort et jetés dans l’Arroyo chinois. Le racisme entretenu par quatre-vingts ans de domination, par le mépris de l’homme blanc à l’égard de l’homme jaune, marque de son sceau aveugle les violences populaires qui éclatent en ces heures critiques. Le massacre d’une centaine de civils français de la cité Héraud à Tân-dinh, le 25, en est une illustration douloureuse. La menace de certains Français, répandue en ville, de "faire la peau aux Annamites pour en tirer des sandales" s’est retournée contre tous les blancs.
Des fouilles et des perquisitions systématiques dans le centre n’empêchent pas les insurgés de mettre le feu à la Compagnie du caoutchouc manufacturé, aux entrepôts, etc.... Dans la nuit du 23 au 24, le commissariat du port est attaqué sans résultat par les guérilleros. Le 24, les insurgés contre-attaquent : des groupes descendent la rue de Verdun et remontent le boulevard de la Somme, convergeant vers le marché ; dans la nuit, le marché brûle. Il n’y a plus à Saigon ni eau, ni électricité, ni ravitaillement et chacun vit dans une "ambiance de massacre et de famine". Tandis que chaque jour les Français tentent d’élargir le cercle de leur contrôle, des groupes armés divers s’organisent en guérilla tout autour de la ville. Le Comité Viêtminh déclare alors dans un tract : "les Français... prennent plaisir à assassiner notre peuple. Une seule réponse s’impose : appliquer le décret du blocus alimentaire. Les soldats français pris seront mis à mort". Il conserve cependant l’espoir de s’entendre avec les Anglais et dans l’attente du corps expéditionnaire français dirigé par le général Leclerc. Gracey réussit à engager des conversations avec lui, et une trêve est annoncée le premier octobre. Le 3, Leclerc arrive, avec mission de "rétablir l’ordre" et "construire une Indochine forte au sein de la communauté française". Les commandes du Triomphant défilent rue Catinat et les drapeaux tricolores flottent de nouveau aux fenêtres. Les conversations continuent et n’ont d’autre résultat que le libre passage des troupes anglaises et japonaises dans les zones contrôlées par les insurgés ; c’est le Comité Viêtminh qui, suivant sa politique d’entente avec les impérialistes alliés a pris cette décision. Les Gurkhas et les Japonais ouvrent la marche, occupent les endroits stratégiques dans la périphérie puis, le 12 octobre, les troupes françaises secondées par les Gurkhas passent à l’attaque générale vers le nord-est : les paillotes brûlent à Thi-nghè jusqu’au poste de Tân-binh et l’encerclement de la ville par les insurgés s’effrite dans des combats acharnés. Les anciens font observer que les Français se dirigent d’abord vers les provinces de l’est, comme ils ont fait au début de la colonisation.
Du côté de la guérilla, le chef de bande Ray Viên, se refusant aux basses besognes policières contre toutes les tendances non affiliées au Viêtminh, se rend indépendant de ce dernier et opère pour son propre compte : tout en guerroyant contre les Français, il se livre au pillage. Comme nous l’avons vu, il n’est pas le seul groupe armé à ne pas accepter l’autorité du Viêtminh. Les plus nombreux de ces groupes connus sous le nom de Troisième division (dê-tam su-doàn) sont dirigés par un ancien nationaliste qui avait un moment placé son espoir dans le Japon ; il se retire avec ses quelques centaines d’hommes armés dans la Plaine des Joncs en vue d’organiser la résistance aux Français ; mais il se rend quelques mois plus tard et se dissout.
Le Viêtminh ne tolère aucune tendance qui lui porte ombrage et il en vient à bout par la liquidation physique. Les militants du groupe trotskiste La Lutte qui pourtant s’étaient prononcés pour le soutien critique du gouvernement Viêtminh, en sont presque immédiatement les victimes. Réunis dans un temple de la région de Thu-duc, où ils se préparent à participer à la lutte armée sur le front de Gia-dinh, ils sont cernés le matin par la police Viêtminh, arrêtés et internés un peu plus tard à Bên-suc, province de Thu-dâu-môt, où ils furent tous fusillés avec une trentaine d’autres prisonniers lors de l’approche des troupes françaises. Trân van Thach, ancien conseiller municipal de Saigon élu en 1933 sur la liste stalino-trotskiste et revenu peu de temps auparavant du bagne de Poulo-Condor, était parmi eux. On apprit quelques mois plus tard que le leader du groupe La Lutte, Ta thu Thâu, revenu du bagne lui aussi, et qui s’était ensuite rendu au Tonkin en vue d’organiser des secours contre la famine, avait également été assassiné par les partisans de Hô chi Minh sur le chemin du retour dans le centre Annam.
Dans cette atmosphère de terreur Viêtminh, la milice ouvrière des Tramways de Go-vâp (Doân công-binh) dont l’effectif s’élève à une soixantaine de personnes, participe à l’insurrection en dehors de toute autorité. Les quelque quatre cents ouvriers et employés des Tramways étaient réputés pour leur esprit de lutte et d’indépendance. On sait que sous les Français le droit syndical n’existait pas. Lorsque les Japonais, après le 9 mars, avaient remplacé les Français à la tête de l’entreprise, les ouvriers avaient constitué eux-mêmes un comité d’entreprise et présenté des revendications ; les militaires japonais, colonel Kirino en tête, étaient venus menacer les ouvriers mais, devant leur attitude ferme, les Japonais avaient cédé accordant non seulement une augmentation de salaire, mais la reconnaissance de onze délégués élus par les onze catégories de travailleurs : électriciens, forgerons, menuisiers, etc.... En août, lorsque les techniciens français abandonnèrent momentanément l’entreprise, le comité la géra jusqu’à l’insurrection.
Or tous les insurgés qui ne se rangent pas sous le drapeau Viêtminh sont aussitôt qualifiés de Viet-gian, traîtres ; tous les ouvriers qui ne s’identifient pas au nationalisme sont qualifiés de réactionnaires, de saboteurs. C’est dans cette atmosphère de violence mentale totalitaire que les ouvriers des Tramways de Go-vâp quoiqu’adhérant à la CGT du Sud (création du gouvernement Viêtminh de facto sous la présidence du stalinien Hoàang-dôn Vân et destinée à s’assurer le contrôle des ouvriers de la région Saigon-Cholon ; les délégués y étaient désignés d’office par Hoàang-dôn Vân et consorts malgré les protestations des quelques délégués élus par les ouvriers eux-mêmes) refusent de prendre l’étiquette de "Travailleurs Sauveurs de la patrie (Công-nhân cuu-quôc)" imposée par les staliniens de la CGT et d’adopter le drapeau rouge à étoile jaune du Viêtminh ; ils gardent leur appellation de milice ouvrière, symbole de leur indépendance dans le "front commun", et combattent sous l’emblème du drapeau rouge non pour la patrie mais pour leur propre émancipation de classe. Ils s’organisent en groupes de combat de deux personnes sous la direction d’un responsable élu et les responsables élisent comme commandant Trân dinh Minh ; c’était un jeune trotskiste du nord qui avait publié un roman social à Hanoi sous le pseudonyme de Nguyên hai Au, et était venu participer à la lutte ouvrière dans le sud. Par la force des choses, cette formation ouvrière entra en contact avec les autres groupes de combat des faubourgs est de Saigon dont le commandement était aux mains du chef Viêtminh, Nguyên dinh Thâu. Deux faits divers donneront une idée de ce que put être la dictature sur les insurgés par des individus hissés au commandement et consacrés par le Viêtminh. Nguyên dinh Thân entend celer par le sang sa parcelle d’autorité : des guérilleros du groupe Tây-son (ainsi nommé en souvenir de la révolte des paysans des montagnes Tây-son contre les seigneurs féodaux au 18è siècle) ont réquisitionné du tissu chez la tante d’un stalinien notoire, Duong bach Mai, ancien conseiller municipal de Saigon. Au mépris du combat contre les impérialistes, il les fait fusiller. Il fait arrêter T., suspect de trotskisme, secrétaire exécutif Viêtminh de Tân-binh, et conseiller du Groupe I des Volontaires de la mort (doàn cam-tu sô I) dirigé par Khuât ; on prêtait à ce dernier le projet de descendre Nguyên dinh Thâu malgré sa garde personnelle armée jusqu’aux dents, plutôt que de le laisser assassiner T., lorsque le secrétaire général de la CGT du sud, Ly chiên Thang, le fit libérer. De tels actes terroristes et totalitaires ne sont pas des exceptions, mais seront pratiques courantes dans l’embryon d’État du maquis.
Refusant de se soumettre à l’autorité de Nguyên dinh Thâu, la milice des tramways décide de se regrouper dans la Plaine des Joncs, vers laquelle elle se dirige, tout en combattant contre Français et Gurkhas à Loc-giang, Thôt-nôt, My-hanh... Dans la Plaine des Joncs, ces ouvriers prennent contact avec les paysans pauvres, et c’est là qu’ils perdent au combat leur camarade Trân dinh Minh le 13 janvier 1946. Une vingtaine d’autres avaient déjà trouvé la mort dans les batailles livrées en cours de route.
L’intolérance du Viêtminh à l’égard de toutes les tendances indépendantes, l’accusation de traîtrise assortie de menace de mort qu’il porte contre elles, et la faiblesse numérique du groupe des Tramways, obligent ses membres à se disperser. Trois d’entre eux, Lê Ngoc, Ky, Huong, jeune ouvrier de 14 ans, seront poignardés par les bandes Viêtminh après avoir été arrêtés puis relâchés par les troupes françaises à Hoc-môn.
L’explosion de Saigon s’est répercutée à la campagne est dans les provinces. Comme dans le passé, les paysans ont saisi les notables qui s’étaient distingués par leur cruauté, les propriétaires fonciers réputés pour leurs extorsions ; beaucoup sont mis à mort, leurs maisons et leurs greniers incendiés. On dit que des militants paysans staliniens, revenus de Poulo Condor, le mois précédent, tentèrent d’intervenir dans certains endroits pour tempérer les violences et furent eux-mêmes menacés dans leur vie, suspectés qu’ils furent alors de se mettre aux côtés des anciens oppresseurs. »
Ecrit par Ngo Van
Annexe : trois lettres d’Ho Chi Minh (3e tome des oeuvres complètes)
Première lettre d’Ho Chi Minh
Le 10 mai 1939
« Chers camarades bien aimés,
Dans le passé, à mesyeux et aux yeux de nombre de camarades, le traotskysme nous a semblé une question de lutte entre les tendances au sein du parti communiste chinois. C’est pourquoi nous n’y prêtions guère attention. Mais, peu avant l’éclatement de la guerre, plus exactement depuis la fin de l’année 1936 et notamment pendant la guerre, la propagande criminelle des trotskystes nous a ouvert les yeux. Depuis, nous nous sommes mis à étudier le problème. Et notre étude nous a conduits aux conclusions suivantes :
Le problème du trotskysme n’est pas une lutte entre les tendances au sein du Parti communiste chinois. Car, entre communistes et trotskystes il n’y a aucun lien, absolument aucun lien. Il s’agit d’un sujet concernant le peuple tout entier : la lutte contre la patrie.
Les fascistes japonais et étrangers le savent. C’est pourquoi ils cherchent à créer des désaccords pour tromper l’opinion et porter atteinte au renom des communistes, en faisant croire que communistes et trotskystes sont du même camp.
Les trotskystes chinois comme les trotskystes d’autres pays ne représentent pas un groupe, encore moins un parti politique. Ils ne sont qu’une bande malfaiteurs, de chiens de chasse du fascisme japonais et du fascisme international.
Dans tous les pays, les trotskystes se sont donné de belles appellations afin de masquer leur sale besogne de bandits. Par exemple, en Espagne ils se nomment Parti ouvrier unifié marxiste (POUM). Savez-vous que ce sont eux qui constituent le niz d’espions à Madrid, à Barcelone et d’autres endroits, au service de Franco ? Ce sont eux qui organisent la célèbre « cinquième colonne », organisme d’espionnage de l’armée des fascistes italiens et allemands. Au Japon, ils s’appellent Ligue Marx-Engels-Lénine (MEL). Les trotskystes japonais attirent les jeunes dans leur ligne puis ils les dénoncent à la police. Ils cherchent à pénétrer dans le Parti communiste japonais afin de le détruire de l’intérieur. A mon avis, les troskystes français organisés autour du groupe Révolution prolétarienne se sont fixés pour but de saboter le Font populaire. Sur ce sujet, je pense que vous êtes sûrmeent plus renseignés que moi. Dans notre pays de Chine, les trotskystes se regroupent autour de formation telles que La Lutte.
Les trotskystes ne sont pas seulement les ennemis du communisme. Ils sont aussi les ennemis de la démocratie et du progrès. Ce sont les traîtres et les espions les plus infâmes. Peut-être avez-vous lu les actes d’accusation des procès en Union soviétique contre les trotskystes. Si vous ne les avez pas lus, je vous conseille de les lire et de les faire lire aux amis. Cette lecture est très utile. Elle vous aidera à voir le vrai visage répugnant du trotskysme. (…)
Lettre parue dans « Notre voix » du 23 juin 1939 et au tome 3 des Œuvres de Ho Chi Minh
Deuxième lettre d’Ho Chi Minh :
« Chers camarades bien aimés,
« Avant que je vous réponde sur les activités des trotskystes de Chine, permettez-moi de vous présenter la demi-douzaine de leurs chefs de file, maîtres reconnus qui ont œuvré pour le renom de la IVe Internationale. Tran Doc Tu (Chen Duxiu), Banh Thakt Chi, Lu Han, Dep Thanh, Thuong Mo Dao, Hiang Cong Luoc.
Chronologiquement, voilà les actions qu’ils ont commises :
En septembre 1931, lors de l’invasion japonaise en Mandchourie, la Sûreté japonaise a pris contact avec les trois premiers. Les deux parties ont signé un pacte ; le groupe trotskyste s’engage à ne mener aucune propagande contre l’invasion japonaise. La Sûreté japonaise s’engage à lui verser mensuellement une somme de trois cent dollars ainsi que d’autres sommes supplémentaires, selon les « résultats du service rendu ».
A partir de ce moment, Chen Duxiu (Tran Doc Tu) et ses complices se mirent immédiatement au travail. Avce les subventions japonaises, ils publièrent des brochures et des revues satiriques pour propager des idées telles que « En occupant la Mandchourie, les Japonais ont voulu régler rapidement le différend en suspens, ils n’ont pas le but de s’emparer de la Chine. »
A peine ces idées se propageaient dans les colonnes de leurs publications, Shangaï fut attaquée à son tour en janvier 1932 par les troupes japonaises.
A ce moment que disent les trotskystes ? Reconnaissent-ils qu’ils se sont trompés ? Cessent-ils de collaborer avec les occupants ? Absolument pas ! Alors que les soldats de la 19e armée versent leur sang pour défendre la patrie, les trotskystes en actes comme en paroles continuent de commettre crime sur crime. D’un côté ils écrivent : « La guerre de Shangaï ne concerne nullement le peuple. Il ne s’agit pas d’une guerre nationale révolutionnaire. Il s’agit d’une guerre interimpérialiste. » … D’un autre côté, ils répandent des fausses rumeurs, agitent des mots d’ordre à caractère défaitiste, dévoilent les secrets de la défense, etc…
Mais ce n’est pas tout. Les trotskystes tels que Hoa Van Khoi et Cung Van Thu, en liaison avec la police et les patrons japonais, s’introduisent dans la grève des ouvriers à Shangaï et emploient tous les moyens pour saboter le mouvement. Au point qu’ils arrvient à faire arrêter les dirigeants les plus talentueux de la grève.
En 1933, le généralissime Phung Ngoc Tuong et le général Cat Hong Xuong, membres du parti communiste, organisent une troupe de résistance à Kal-gan. A cette époque, étant dans la clandestinité, la liaison entre le centre et le nord s’avère difficile. Profitant de cette situation, le trotskyste Truong Mo Dao, se disant « représentant du Parti communiste », tente de transformer la guerre anti-japonaise en guerre civile avec le mot d’ordre « Marcher avec les Japonais, lutter contre Tchang Kaï Shek ». … etc ..
Lettre parue dans « Notre Voix » du 7 juillet 1939 et au tome 3 des Oeuvres de Ho Chi Minh
Troisième lettre d’Ho Chi Minh
« Camarades bien aimés,
« Dans ma dernière lettre, je vous ai raconté coment les trotskystes ont reçu leur salaire payé par les Japonais et comment ils ont essayé de saboter notre héroïque lutte à Shangaï et notre mouvement patriotique à Kal-gan. Aujourd’hui, je vous raconterai la suite de leurs crimes.
Se repliant à Fu Kien, la 19e armée reprend sa lutte. Elle forme le gouvernement antijaponaiset mène la propagande pour le front uni grâce à la signature d’un pacte avec l’Armée rouge chinoise. Peu de temps avant, la 19e armée était l’une des forces les plus anticommunistes. Mais, devant le danger qui menace la patrie, elle accepte d’oubler les querelles et les haines pour ne viser qu’un but unique : la lutte contre les envahisseurs.
Obéissant aux ordres des Japonais, les trotskystes entent immédiatement en action : d’une part, ils suscitent le sentiment régionaliste parmi la population – la 19e armée étant venue de Kouang Toung – pour combattre le nouveau gouvernement. D’autre part, ils cherchent à affaiblir l’Armée rouge. La façon dont ils accomplissent la deuxième tâche est la suivante : ils demandent à entrer dans l’Armée rouge en tant que militants révolutionnaires. Au début, afin de gagner la confiance, ils ont mené des actions très positives. Une fois placés aux postes de responsabilité plus ou moins importants, ils ont commencé à commettre des actes criminels. Je vous cite quelques exemples : Dans la bataille, quand il faut reculer, ils donnent l’ordre d’avancer. Quand il faut avancer, ils donnent l’ordre de reculer. Ils envoient des renfots et des armes dans les endroits où on n’en pas besoin. Mais dans les endroits où on en a besoin, ils ne les envoient pas. Ils badigeonnent de poison des blessures des combattants, surtout des cadres de l’armée, dans le but de leur faire amputer les bras et les jambes, etc. Ces actes ont été heureusement découverts à temps. Quelle chance pour les communistes !
Depuis 1935, les communistes mènent une campagne d’une grande ampleur pour la formation du Frant national contre les Japonais. Le peuple, et particulièrement les ouvriers et les paysans, a soutenu activement ce programme. Dans le Kuo-min-tang, l’idée du front national progresse. Pendant ce temps, on constate que les trotskystes jouent le double jeu, en recourant à la fois à la calomnie et à la division. Ils disent aux masses : « Vous voyez les communistes se sont vendus à la bourgeoisie. Le Kuo-min-tang ne se battra pas contre les Japonais ! » S’adressant au Kuo-min-tang, ils lui disent : « le Front national, ce n’est qu’une ruse des communistes. Pour combattre les Japonais, il faut détruire les communistes. »
Vers la fin de 1936, la politique de l’union contre les Japonais a triomphé dans les événements de Tay Aïn. Devant la défaite de leur politique de guerre civile, les trotskystes Truong Mo Dao et Ta Duy Liet décident d’organiser l’assassinat de Vuong Di Triet, un des partisans convaincus de la politique de Front national.
Maintenant, je vous parle de 1937, époque qui précède la guerre. Tout le monde s’unit pour combattre les Japonais, sauf les trotskystes. Ces traîtres se sont réunis clandestinement et ont édopté « la résolution » dont voci quelques extraits : « Dans la guerre contre les Japonais, notre position est claire : ceux qui veulent la guerreet ont des illusions sur le gouvernement du Kuo-min-tang, ceux-là concrètement ont trahi. L’union entre le Parti communiste et le Kuo-min-tang n’est qu’une trahison. » Et d’autres ignominies de ce genre.
Quand la guerre s’approche, les promesses japonaises se matérialisent. Les trostskystes de Shangaï reçoivent 100.000 dollars chaque mois por leurs activités dans le centre et le sud de la patrie. Ceux de Tien Sin et de Pékin 50.000 chaque mois pour leurs activité dans le Hoa Bac (région du nord) afin de mener la lutte contre la 8e armée et contre les organisations patriotiques.
Vers le milieu de 1937, les trotskystes ont été découverts et arrêtés dans la « zone spéciale » (dac khu). D’après les aveux de Ton Nghia Hai, ils se sont fixés comme objectif : &- détruire la 8e armée, 2- Empêcher le développement du front national, 3- Espionner, 4- Organiser l’assassinat des dirigeants.
Devant le tribunal populaire de la « zone spéciale », le trotskyste Hoang Phat Hi, entre autres aveux, a déclaré qu’au cours de la quatrième entrevue avec Truong Mo Dao, celui-ci lui a fait les recommandations suivantes : « Tu dois étudier attentivement les méthodes et le système d’organisation de l’Armée rouge. Après, tu organiseras des centres de jeunes qui assureront la tâche de sabotage. Notre but est de provoquer le désordre au sein de l’Armée rouge et de liquider ses dirigeants. » Truong Mo Dao a ajouté : « Il faut persuader une partie des cades de la base de nous suivre, susciter leur nostalgie du pays natal, encourager leur désertion en leur fournissant un peu d’argent. C’est un des moyens de désintégration de cette armée. »
Le trotskyste Quach Uan Kinh a avoué que Ton Nghia Hai l’a chargé de mener la propagande pour le défaitisme chez les combattants en leur démontrant que « La Chine ne pourra pas vaincre. », car, « même si nous arrivons à chasser les Japonais, les Américains et les Anglais seront encore là pour nous opprimer » ; que « non seulement nous ne pourrons pas vaincre, mais notre pays sera détruit si nous continuons le combat », que « la Chine est trop faible pour lutter à la fois contre le Japon, l’Angleterre et l’Amérique. » Truong Mo Dao a complété ses instructions par ces paroles : « Il faut exploiter la politique du front national pour calomnier les communistes et dire qu’ils ont vendu la classe ouvrière. Notre but est de scusciter le mécontentement parmi les combattants. » Sous le prétexte de les éduquer, les trotskystes les trotskystes organisent les éléments les plus retardés de l’armée en petits groupes puis profitant des conditions pénibles de la vie dans l’armée, ils les encouragent à déserter avec armes et munitions. En liaison avec les brigands, ils créent des désordres à l’arrière de la 8e armée en plein combat.
Ce sont là les procédés des trotskystes dans lutte contre la 8e armée nationale révolutionnaire. (…)
Lettre parue dans « Notre voix » du 28 juillet 1939 et au tome 3 des œuvres de Ho Chi Minh
Extraits du Rapport de Ho Chi Minh à l’Internationale communiste intitulé « Quelques idées sur la ligne politique préconisée par le parti pendant la période du Front démocratique (1936-1939) » :
« Vis-à-vis des trotskystes, il ne doit y avoir aucun compromis, aucun concession. Il faut utiliser tous les moyens pour les démasquer comme agents du fascisme. Il faut les extermine politquement. »
Extraits de « Révolution d’août », ouvrage écrit par le Parti communiste vietnamien :
« Après le coup de force des Japonais contre les Français (le 8 mars 1945), la situation de la province de Quang nam fut des plus complexes. Le pouvoir des Français fut renversé mais le nouveau pouvoir des Japonais ne s’était pas encore installé ; les Japonais menèrent activement la propagande pour la réalisation de la « Grande Asie ». (…) Il y eut un groupe se proclamant anti-impérialiste composé de trotskystes qui mettait en avant le mot d’ordre : « lutter ocntre tous les impérialismes ». Ce faisant il combattait la politique qui était alors celle de notre parti, qui préconisait l’alliance avec les Forces alliées. (…) Dans cette période, bien qu’ils n’eussent joué aucun rôle tant soit peu important, les trotskystes complotèrent pour la prise du pouvoir. Ils placèrent Ho Ta Khanh [1], une de leurs partisans comme ministre dans le gouvernement fantoche des pro-japonais et Huynh Van Phuong comme directeur de la Sûreté japonaise. Ils dépêchèrent Ta Thu Thau, leur chef de file, à Hué pour occuper la place de conseiller du gouvernement de Tran Truong Kim, avec l’espoir qu’après le renversement de celui-ci, Thau remplacerait Kim et s’installerait au pouvoir. En un mot, à partir de mars 1945, et plus précisément après le coup de force des Japonais renversant les Français, se constituèrent autour des Japonais les couches de gens, des sectes religieuses pro-japonaises, avec le soutien des trotskystes. (…) Le 11 septembre 1945, les soldats anglais et indiens arrivèrent au Sud Vietnam. Ils libérèrent aussitôt 7000 Français emprisonnés lors du coup de force du 8 mars 1945 et leur distribuèrent des armes prises aux Japonais. En plus, ils aidèrent les Français à réorganiser leur appareil administrtatif, des fonctionnaires dont le rôle consistait à mener des activités de division et de provocation. Ce fut l’occasion pour les trostskystes de commettre des actes de destuctions. Ils avancèrent les mots d’ordre ultra-gauchistes tels que « détruire les ennemis français », « distribuer la terre aux paysans ». Notre service de sûreté intercepta à Tan Binh un document dans lequel ils envisageaient le renversement de notre pouvoir. Dans la réalité, ils collaborèrent avec les réactionnaires des sectes religieuses, cherchant à amadouer et à organiser nos compatriotes, venant des provinces, en unités de combat armées. (…)
« Répression contre les trostskystes réctionnaires
« Après notre prise de pouvoir, les trotskystes ont publié un journal ayant pour titre Doc Lap (Indépendance) tendant à saborder notre politique. Ils demandèrent la confiscation de toutes les rizières et terres pour qu’elles soient partagées entre les paysans. Nous avons décidé de saisir le journal Doc Lap, de démasuqer les saboteurs devant le peuple ; en même temps, nous avons donné l’ordre d’arrêter les chefs de la bande trotskyste qui s’étaient cachés à Di An, Thu Duc (à 18 kilomètres au nord de Saïgon) ; parmi eux Nguyen Van So, Phan Van Hun, Phan Van Chanh, Tran Van Thach, etc… (…) En démasquant les Japonais, nous avons démasqué en même temps les réactionnaires caodaïstes pro-japonais qui cherchèrent à embrigader la population (…) Nous avons démasqué également les trostskystes, espions des Japonais. (…) Les trotskystes ont été dirigés par Tran Van Thach, Ho Huu Tuong, Nguyen Van So. Pendant la période où ils étaient placés sous le régime de surveillance par les Français à Can Tho, ils orientèrent leurs activités en direction des intellectuels et des fonctionnaires. Mais leur influence fut minime. Après le coup de force des Japonais, ils menèrent la propagande pour le soutien de Tran Truong Kim, militèrent pour le retour au trône du prince Cuong Dé, et se prononcèrent contre le Viet Minh et les communistes. Ils s’allièrent à la secte religieuse Hoa Hao pour lutter contre la révolution. »
Conclusion
La lutte de libération nationale du Vietnam a été la plus longue et la plus douloureuse de tous les combats contre l’oppressio nationale. Une des raisons en est que l’impérialisme ne se battait pas seulement pour conquérir ou reconquérir une petite langue de terre sans grandes richesses et, même, sans situation si stratégique que cela, au regard des efforts en hommes, en argent et en matériel. Se jouait au Vietnam toute l’image aux yeux du monde entier du colonialisme français et de l’impérialisme américain. En face, on trouvait toute la détermination d’un petit peuple qui, ayant vu qu’un peuple jaune n’était pas fatalement un peuple d’esclaves et qu’un pays occidental n’était pas toujours le vainqueur, ne supportait plus d’être traité comme du bétail. Cependant, ce combat avait pris une tournure sociale à ses débuts en 1945. Il avait été mené par le prolétariat des villes insurgé, se constituant en comités autonomes, donc des soviets, un double pouvoir ou du moins son embryon, Cette capacité révolutionnaire du prolétariat en Asie n’avait pas concerné que le Vietnam. C’est grâce à une allliance de la bourgeoisie, de la petite bourgeoisie et des impérialismes que la révolution a été en partie détounée, en partie battue en 1945. Les nationalistes, sous couvert de communisme, ont monopolisé le pouvoir, assassiné les membres des comités et livré la révolution au colonialisme.
Le colonialisme français a voulu faire du Vietnam une démonstration de sa force retrouvée. L’impérialisme anglais vouliat y démontrer son alliance avec la France. La bourgeoisie vietnamienne voulait se débarrasser de son pire ennemi : le prolétariat vietnamien.
Corée
En Corée les alliés avaient décidé d’un système d’occupation apparemment absurde et qui allait donner lieu au pire affrontement de la guerre froide en 1950 mais qui, en cette fin de guerre mondiale, correspondait aux différentes zones dans cette région. En effet la péninsule coréenne était divisée en deux, une partie sous occupation russe et une autre sous occupation américaine, les deux étant séparées par le 38ème parallèle. En fait en disant cela on oublie lune grande part du problème, on attribuait à la Chine la partie de la Corée continentale, le Kan Do, prise lors des conquêtes militaires et cela allait s’avérer très important par la suite.
Au départ cette division discutée lors des conférences de Téhéran en 1943 et Yalta en 1945 devait être provisoire. Les premiers arrivés sur place sont les russes au nord le 24 août 1945. Puis les USA arrivent un mois plus tard au sud en septembre 45. Des deux côtés tout est programmé et aucun des deux camps n’a l’intention de demander à la population de décider. Les russes ont dans leurs bagages Kim Il Sung qu’ils comptent imposer comme dirigeant sous l’étiquette parti communiste. Pourtant il existe en Corée un parti communiste clandestin dont Kim n’est pas le dirigeant mais c’est l’homme des russes et dans l’ambiance d’effervescence sociale les russes s’en méfient comme ils se méfient de tous les militants démocrates ou syndicalistes qui vont très vite peupler leurs prisons. Pour se débarrasser du réel parti communiste coréen, les russes vont avoir de grandes difficultés car il faut s’en débarrasser à la fois au nord et au sud. Au nord cela se fera sous l’occupation militaire russe, les anciens dirigeants iront en prison ainsi qu’au fur et à mesure tous les opposants à Kim Il Sung. Au sud, ce sera beaucoup plus difficile d’autant que traditionnellement la direction du parti communiste résidait au sud à Séoul et que le parti va rester un seul parti malgré la division du pays.
Des deux côtés, il y a la même situation catastrophique pour la population qui se traduit tout de suite par une explosion sociale La misère des travailleurs est catastrophique. Le nombre des morts est considérable. Et, en plus la population sort de nombreuses années d’occupation japonaise où ils ont souffert atrocement. Ce n’est pas pour accepter facilement une autre occupation militaire. Enfin, très vite le problème du partage du pays en deux qui semble être du provisoire qui dure va devenir un problème politique de premier ordre, empêchant les deux pouvoirs de se stabiliser et de gagner du crédit. En effet, sur ordre de Staline, Kim Il Sung au nord va défendre la division du pays de la même manière qu’au sud le fantoche des américains Syngman Rhee, un dictateur d’extrême-droite corrompu et ultra-violent. Des deux côtés, la classe ouvrière va s’opposer à cette division et en particulier les syndicats d’origine plutôt anarcho-syndicalistes avec des militants d’extrême gauche et qui ne sont pas encore contrôlés par le parti communiste. La pression est telle au sud que le parti communiste sud coréen prend son indépendance politique de la direction du nord en août 46. Mais en même temps il le fait sur des bases tout ce qu’il y a de moins révolutionnaire, du moins dans un sens prolétarien. La thèse d’août qui souligne cette indépendance politique à la fois n’accepte plus la division du pays mais affirme qu’il faut mener une révolution bourgeoise en vue de la réunification, révolution qui aura pour base les campagnes et non les villes. Et cela signifie aussi que le PC du sud appelle les ouvriers et les paysans à rejoindre les montagnes pour y organiser la guérilla. Le syndicat des ouvriers du sud va s’opposer violemment à ces propositions. En effet, les travailleurs sont très loin de se sentir impuissants dans leurs luttes dans les usines au point d’aller se retrancher dans les montagnes. La thèse du caractère bourgeois de la révolution n’est pas mieux acceptée.
En fait, dans les usines c’est à une offensive ouvrière que l’on assiste en Corée du sud. L’insurrection ouvrière part de deux villes : Taekou, grande ville du sud est et Busan le grand port du sud. C’est un soulèvement spontané qui débute par une grève des cheminots et qui se termine par de véritables affrontements armés, les travailleurs s’étant organisés en milice ouvrière. Partout des comités de grève sont mis en place et la grève s’étend à de nombreuses autres villes. La réaction des troupes américaines est très violente. La répression s’étend à tout le pays contre les syndicats et les militants radicaux. Le PC du sud qui n’était pour rien dans le mouvement est interdit. La dictature de Syngman Rhee devient féroce. Des opposants politiques et des dirigeants syndicalistes sont assassinés comme le leader anarcho-syndicaliste.
Kim Ku et le dirigeant social-démocrate Yo Un Hyong. Le Parti communiste a été contraint de passer dans la clandestinité totale. La direction politique du PC du nord en profite pour réussir pour la première fois à établir sa domination sur l’ensemble du parti communiste.
En 1946-47, loin de se stabiliser, le régime de Corée du sud est attaqué sur tous les fronts : mutineries militaires, insurrections paysannes, mouvements politiques dans les villes contre le régime de Syngman Rhee et mouvements sociaux. Le pouvoir central de Séoul est tellement affaibli qu’il est contraint de laisser les paysans occuper toute une région dite libérée. Le PC du sud décide de s’investir dans cette révolution paysanne et il appelle à nouveau les ouvriers à le suivre. La plupart des ouvriers et des militants intellectuels qui vont suivre cet appel sont massacrés avant même qu’ils aient pu rejoindre la région ni s’armer. Le PC du sud va quand même prendre la direction politique de ces paysans insurgés. Il leur conseille de quitter les terres agricoles pour rejoindre les montagnes et effectivement cette guérilla va tenir là jusqu’à la guerre de Corée en 1950, où elle fera sa jonction avec l’armée nord coréenne. Paradoxalement c’est cela qui lui sera fatal car le régime de Corée du nord n’avait nullement envie de soutenir les paysans du sud et va les abandonner en cessant de les armer dès l’offensive américaine.
Chine
La « révolution » maoïste est l’une de celles qui a produit le plus de mythes mensongers pour couvrir d’un voile « révolutionnaire » et « communiste » des politiques qui étaient tout le contraire de cela. On a même longtemps présenté la Chine comme plus communiste, plus anti-impérialiste et plus révolutionnaire que la Russie de Staline, et même de Lénine. Selon cette légende, Mao serait arrivé au pouvoir à la tête d’une révolution paysanne. Il aurait construit un pouvoir des ouvriers et des paysans, du type soviétique comme en octobre 1917 en Russie. Il aurait rompu avec l’impérialisme. Il aurait aidé la révolution mondiale, en restant révolutionnaire, contrairement au « révisionnisme » russe. La révolution culturelle marquerait le caractère de « révolution permanente » du régime chinois, sa capacité à s’attaquer aux idéologoqies réactionnaires et la jeunesse des idées révolutionnaires en Chine. Voilà quelques uns des mensonges qui courent sur le pouvoir chinois.
La Révolution chinoise de 1949
Nous allons essayer de rétablir une réalité qui n’a pas grand-chose à voir avec les affirmations précédentes. Ce qui a donné ses forces armées à Mao, ce n’est pas la lutte des classes, ni la révolution sociale, mais la lutte de défense nationale contre le Japon. Il a ainsi pu construire sa fameuse « huitième armée de route » intégrée à l’ensemble des forces armées chinoises, aux côtés de Tchang Kaï Chek, et aux côtés des USA. C’est cette armée, une fois la défaite japonaise acquise, qui lui a permis de prendre le pouvoir. Même s’il a eu un recrutement dans les campagnes, l’armée de Mao est tout sauf une organisation fondée sur une lutte radicale de la paysannerie. Mao a gouverné des régions paysannes comme un chef d’armée qui s’entend bien avec les paysans, mais qui s’accommode avec les possédants locaux, propriétaires fonciers, banquiers, commerçants et usuriers. Dans ces zones dites libérées, il n’appliquait pas un programme social radical, se contentait de baisser les impôts. Il n’a pas appliqué un programme radical de distribution de terres aux paysans pauvres. Mao n’est même pas un chef de révolte paysanne, comme la Chine en a connu dans le passé. Quant à la révolution paysanne, quand elle a éclaté – nullement à l’initiative de Mao – il a longuement hésité à prendre son parti, et, même après cette décision, il a toujours refusé d’armer les paysans. Y compris durant l’offensive contre le régime de Tchang Kaï Chek, il déclarait que « Les paysans qui nous rejoignent peuvent nous apporter à manger, pousser nos chariots, ou s’occuper des soins des blessés. En aucun cas, ils ne doivent être armés. » En ce sens, son armée et son appareil d’Etat sont des instruments classiques de pouvoir et non des organes révolutionnaires. Son parti est un organe politique de pouvoir et, avant même la prise de pouvoir, un parti unique. Il n’est pas question de remettre en question cette direction dictatoriale. Mao n’a pas un seul instant envisagé d’organiser les travailleurs de villes au cours de sa « révolution », même pas au moment de la prise de pouvoir dans les villes. Dans les villes, il a, par contre, pris contact avec les bourgeois, petits et grands, et les intellectuels, auxquels il donnera des places dans le pouvoir. Il a également recyclé l’essentiel du pouvoir de Tchang Kaï Chek, notamment ses chefs militaires, même ceux ralliés de la dernière seconde. Il est encore moins, malgré le titre de communiste dont il pare son parti, un dirigeant du prolétariat chinois. A partir de 1927, il avait quitté ce prolétariat et ne l’a jamais retrouvé. La lettre aux militants trotskystes qu’écrit Trotsky explique que, si l’armée de Mao prend le pouvoir, elle interviendra contre le prolétariat. La politique de Mao n’est pas communiste, ne vise pas au pouvoir du prolétariat, n’a nullement renoué avec Marx ni rompu définitivement avec l’impérialisme et le capitalisme, comme le rappelle son idylle actuelle. Le terme le plus juste sur son régime est celui de bonapartisme bourgeois. Le bonapartisme signifie une dictature militaire qui est populaire et dont l’apparence de force provient de l’équilibre entre deux forces réelles. Ici ces forces sont, d’un côté la bourgeoisie impérialiste et de l’autre le prolétariat.
Document :
Léon Trotsky
LA GUERRE DES PAYSANS EN CHINE ET LE PROLÉTARIAT
(Letttre aux Bolcheviks-léninistes chinois)
22 septembre 1932
« Après une longue interruption, nous avons enfin reçu votre lettre du 15 juin. Il est superflu de vous dire combien nous nous félicitons de la résurrection de l’Opposition de Gauche chinoise, après la désorganisation apportée dans ses rangs par les persécutions policières.
Pour autant que l’on puisse juger d’ici avec nos informations tout à fait insuffisantes, la position exprimée dans votre lettre concorde avec la nôtre. L’attitude intransigeante envers les opinions démocratiques vulgaires des staliniens sur le mouvement paysan, ne peut évidemment rien avoir de commun avec une attitude passive et inattentionnée envers le mouvement paysan lui-même. Le manifeste de l’Opposition de Gauche internationale publié il y a deux ans (Sur les perspectives et les tâches de la révolution chinoise), appréciant le mouvement paysan des provinces du sud de la Chine, disait : "La révolution chinoise trahie, détruite, exsangue, montre qu’elle est vivante. Espérons que le temps n’est plus loin où elle lèvera de nouveau sa tête prolétarienne." Et plus loin : "La large crue du soulèvement paysan peut incontestablement donner une impulsion à l’animation de la lutte politique dans les centres industriels. Nous comptons fermement là-dessus."
Votre lettre montre que, sous l’influence de la crise et de l’intervention japonaise, la lutte des ouvriers des villes renaît sur le fond de la guerre paysanne. Dans notre manifeste nous écrivions sur ce fait, avec toute la prudence nécessaire : " Personne ne peut prédire d’avance si les foyers des soulèvements paysans se maintiendront sans interruption pendant toute la période prolongée dont l’avant-garde prolétarienne aurait besoin pour se renforcer, pour engager dans la bataille la classe ouvrière, et accorder sa lutte pour le pouvoir avec les offensives paysannes généralisées contre ses ennemis les plus immédiats. "
Actuellement, il semble que l’on puisse exprimer avec quelque certitude l’espoir qu’avec une juste politique on réussisse à lier le mouvement ouvrier, et d’une façon générale, le mouvement des villes, avec la guerre paysanne. Cela serait le commencement de la troisième révolution chinoise. Mais pour l’instant, ce n’est là qu’un espoir, et non une certitude. Le principal travail reste à accomplir dans l’avenir.
Dans cette lettre je ne voudrais poser qu’un seul problème, en tout cas celui qui me semble avoir de beaucoup la plus grande importance et être le plus brûlant. Je vous rappelle encore une fois que les informations dont je dispose sont absolument insuffisantes, occasionnelles et fragmentaires. C’est avec plaisir que j’accueillerais toute information complémentaire et toute rectification.
Le mouvement paysan a créé son armée, a conquis un grand territoire, et l’a couvert de ses institutions. Au cas de nouveaux succès, – et nous souhaitons évidemment ces succès – le mouvement se heurtera aux centres citadins et industriels, et par là-même, se trouvera face à face avec la classe ouvrière. Comment se passera cette rencontre ? Sera-t-elle assurée d’un caractère pacifique et amical ?
Cette question peut sembler à première vue superflue. A la tête du mouvement paysan se trouvent des communistes ou des sympathisants ; n’est-il donc pas évident que les ouvriers et les paysans doivent, lorsqu’ils se rencontreront, s’unifier sous le drapeau du communisme ?
Malheureusement, le problème n’est pas si simple. Je m’appuierai sur l’expérience de la Russie. Durant les années de la guerre civile, la paysannerie, dans différentes régions, créait ses propres troupes de partisans, et parfois même, naissaient des armées entières. Quelques-uns de ces corps d’armée se considéraient comme bolcheviks et étaient souvent dirigés par des ouvriers. D’autres restaient sans parti et avaient à leur tête le plus souvent d’anciens sous-officiers paysans. Il y avait aussi l’armée " anarchiste " sous le commandement de Makhno. Tant que les armées de partisans agissaient sur le revers de l’armée blanche, elles servaient la cause de la révolution. Certaines d’entre elles se remarquaient par un héroïsme et une ténacité particulière. Mais, dans les villes, ces armées entraient souvent en conflit avec les ouvriers et avec les organisations locales du parti. Les conflits naissaient aussi lors de la rencontre des partisans et de l’armée rouge régulière, et dans certains cas, cela prenait un caractère aigu et morbide.
La rude expérience de la guerre civile nous a démontré la nécessité dé désarmer les corps d’armée des paysans dès que l’armée rouge assumait le pouvoir dans une région débarrassée des gardes blancs. Les meilleurs éléments, les plus conscients et les plus disciplinés, s’intégraient dans les rangs de l’armée rouge. Mais la plus grande partie des partisans tentait de conserver une existence indépendante, et entrait souvent en lutte armée directe avec le pouvoir soviétique. Il en fut ainsi avec l’armée " anarchiste ", indirectement koulak par son esprit, de Makhno, mais pas seulement avec elle. De nombreux corps paysans, luttant fermement contre la restauration des propriétaires fonciers, se transformaient après la victoire en une arme de la contre-révolution. Les conflits armés entre les paysans et les ouvriers, quelle qu’en soit l’origine dans les cas particuliers, que ce soit la provocation consciente des gardes blancs, le manque de tact des communistes, ou le concours malheureux dés circonstances, avaient à leur base la même cause sociale : la situation de classe et l’éducation différenciée des ouvriers et des paysans. L’ouvrier aborde les problèmes sous l’angle socialiste ; le paysan sous l’angle petit-bourgeois. L’ouvrier tente de socialiser la propriété qu’il a reprise à ses exploiteurs ; le paysan, tente, lui, de la partager. L’ouvrier veut faire servir les châteaux et les parcs dans l’intérêt général ; le paysan, pour peu qu’il ne puisse les partager, est enclin à brûler les châteaux et à déboiser les parcs. L’ouvrier fait effort pour résoudre les problèmes à l’échelle étatique, et selon un plan ; mais le paysan aborde tous les problèmes à l’échelle locale, et se conduit d’une façon hostile envers le plan du centre, etc...
Il est évident que le paysan peut lui aussi s’élever jusqu’à un point de vue socialiste. Sous le régime prolétarien, une masse de plus en plus grande de paysans se rééduque dans l’esprit socialiste. Mais cela exige du temps, – des années, et même des décades. Si l’on n’envisage que la première étape de la révolution, alors les contradictions entre le socialisme prolétarien et l’individualisme paysan prennent souvent un caractère aigu.
Mais ce sont des communistes qui se trouvent à la tête des armées rouges chinoises. Cela n’exclut-il pas les conflits entre les corps paysans et les organisations ouvrières ? Non cela ne les exclut pas. Le fait que des communistes se trouve individuellement à la tête des armées paysannes ne change en rien le caractère social de ces dernières, même si la direction communiste a une bonne trempe prolétarienne. Mais comment la situation se présente-t-elle en Chine ? Parmi les dirigeants communistes des corps de partisans rouges, il y a, sans aucun doute, pas mal d’intellectuels ou de semi-intellectuels déclassés qui ne sont pas passés par la sérieuse école de la lutte prolétarienne. Durant deux ou trois ans, ils vivent la vie des commandants et des commissaires de partisans. Ils commandent, ils conquièrent des territoires, etc... Ils s’imprègnent de l’esprit du milieu environnant. La plus grande partie des communistes du rang dans les corps de partisans rouges se compose de toute évidence de paysans qui, très honnêtement et sincèrement, se prennent pour des communistes, mais qui sont des révolutionnaires "paupérisés" ou des petits propriétaires révolutionnaires. Celui qui, en politique, juge selon les étiquettes et les dénominations, et non selon les faits sociaux, est perdu. Surtout lorsqu’il s’agit d’une politique qui se fait l’arme à la main. Le véritable parti communiste est l’organisation de l’avant-garde prolétarienne. En outre, la classe ouvrière de Chine se trouve depuis quatre ans dans une situation dispersée et asservie, et c’est seulement maintenant qu’apparaissent les symptômes d’une renaissance. Lorsque le Parti communiste, fermement appuyé sur le prolétariat des villes, essaye de commander l’armée paysanne par une direction ouvrière, c’est une chose. C’est tout autre chose lorsque quelques milliers, ou même quelques dizaines de milliers de révolutionnaires qui dirigent la guerre paysanne, sont ou se déclarent communistes, sans avoir aucun appui sérieux dans le prolétariat. Or, telle est avant tout la situation en Chine. Cela accroît dans une grande mesure le danger des conflits possibles entre les ouvriers et les paysans armés. Dans tous les cas, les provocateurs bourgeois ne manqueront pas.
En Russie, à l’époque de la guerre civile, le prolétariat était au pouvoir dans la plus grande partie du pays. La direction de la lutte appartenait à un parti fermement trempé, et malgré cela, les corps de paysans, qui étaient incomparablement plus faibles que l’armée rouge, entraient souvent en conflit avec elle lorsque celle-ci avançait victorieusement sur le territoire des partisans paysans.
En Chine, la situation absolument désavantageuse des ouvriers est visible.
Dans les principaux centres de la Chine, le pouvoir appartient aux militaristes bourgeois. Dans d’autres districts, aux dirigeants des paysans armés. Le prolétariat, lui, n’a de pouvoir nulle part. Les syndicats sont faibles, et l’influence du parti parmi les ouvriers infime. Les corps des partisans paysans qui ont la pleine conscience de la victoire acquise sont couverts par l’I.C. Ils se nomment " l’armée rouge ", c’est-à-dire qu’ils s’identifient ainsi avec le pouvoir soviétique armé.
On voit que les éléments dirigeants de la paysannerie révolutionnaire de Chine s’attribuent par avance une valeur politique et morale qui, en réalité, appartient aux ouvriers chinois.
Ne peut-il pas en résulter que toutes ces valeurs se retourneront à un moment donné contre les ouvriers ?
Il est évident que les paysans pauvres qui constituent la majorité en Chine, pour peu qu’ils réfléchissent politiquement, et ceux-là sont une infime minorité, désirent sincèrement et ardemment l’union et l’amitié avec les ouvriers. Mais la paysannerie, même armée, est incapable de mener une politique indépendante.
Occupant dans les circonstances actuelles une situation indéterminée et instable, la paysannerie peut au moment décisif, aller soit vers le prolétariat, soit vers la bourgeoisie. La paysannerie ne trouve pas facilement la voie vers le prolétariat, et elle ne la trouve qu’après une série d’erreurs et de défaites. Le pont entre la paysannerie et la bourgeoisie est constitué par la moyenne bourgeoisie citadine, principalement par les intellectuels qui interviennent sous le drapeau du socialisme, et même du communisme.
Les cercles dirigeants de l’armée rouge chinoise ont, sans aucun doute, réussi à se créer une psychologie de commandement. En l’absence d’un fort parti révolutionnaire et d’organisations de masses prolétariennes, il ne peut y avoir en fait de contrôle sur les cercles dirigeants. Les commandants et les commissaires apparaissent comme les maîtres incontestés de la situation et, en entrant dans les villes, ils seront avant tout enclins à regarder les ouvriers de haut en bas. Les revendications des ouvriers leur sembleront souvent inopportunes et mal venues. Il ne faut pas oublier aussi des " futilités ", comme celle-ci : dans les villes, l’Etat-major et toute l’organisation de l’armée ne s’installent pas dans les taudis prolétariens, mais au contraire, dans les meilleurs édifices de la ville, dans les maisons, et les appartements des bourgeois. C’est une raison qui peut pousser le sommet de l’armée paysanne à se considérer comme une partie de la classe " cultivée et instruite ", et non comme le prolétariat.
Ainsi, en Chine, des causes et des motifs d’une conflagration entre l’armée paysanne par son contenu et petite-bourgeoise par sa direction – et les ouvriers, existent. Et même toute la situation augmente considérablement les possibilités et même l’inévitabilité de tels conflits. Par là même, les chances du prolétariat se présentent dès le début moins favorablement qu’en Russie.
Du point de vue théorique et politique, le danger s’accroît d’autant plus que la bureaucratie stalinienne recouvre cette situation pleine de contradictions, par le mot d’ordre de la " dictature démocratique des ouvriers et des paysans ". Peut-on trouver un piège plus agréable extérieurement, plus perfide en son essence ? Les épigones réfléchissent non pas avec une compréhension sociale, mais avec des phrases toutes faites : le formalisme est le trait fondamental de la bureaucratie.
Les populistes (narodniki) russes reprochaient parfois aux marxistes russes leur ignorance de la paysannerie, leur aveuglement sur le travail à faire à la campagne, etc... A quoi les marxistes répondaient : " Nous soulevons et organisons les ouvriers du rang, et grâce à eux, nous soulèverons la paysannerie. Telle est la seule voie du parti prolétarien. "
Dans les années 1925-1927 de la révolution, les staliniens ont soumis directement et sans recours les intérêts des paysans à ceux de la bourgeoisie nationale. Dans les années de la contre-révolution, ils sont passés du prolétariat à la paysannerie, et ainsi, ont pris sur eux le rôle qu’assumaient chez nous les socialistes-révolutionnaires au temps où ils étaient un parti révolutionnaire. Si, durant ces dernières années, le Parti communiste chinois avait concentré son effort dans les villes, dans les centres industriels, dans les chemins de fer, s’il avait soutenu les syndicats, fréquenté les clubs de culture et les cercles, si, sans se séparer des ouvriers, il leur avait appris ce qui se passait au village, – la situation du prolétariat dans le rapport général des forces serait aujourd’hui beaucoup plus favorable. En fait, le parti s’est séparé de sa propre classe.
Justement pour cela, il peut porter en fin de compte un préjudice à la paysannerie, car, si le prolétariat est et reste dans l’avenir à l’écart, sans organisation et sans direction, alors la guerre paysanne, même en plein succès, s’enlisera.
Dans la vieille Chine, chaque victoire de la révolution paysanne se terminait par la création d’une nouvelle dynastie, avec, en outre, de nouveaux grands propriétaires. Le mouvement aboutissait à un cercle vicieux. Dans la situation actuelle, la guerre paysanne, par elle-même sans une direction immédiate de l’avant-garde prolétarienne, ne peut que donner le pouvoir à une nouvelle clique de la bourgeoisie, à un quelconque Kuomintang de " gauche ", à un "troisième parti ", qui en pratique se différencieront très peu du Kuomintang de Tchang-Kai-Chek. Et cela signifierait une nouvelle défaite des ouvriers due à l’arme de la " dictature démocratique ".
Quelles conclusions peut-on tirer de là ? La première conclusion est qu’il faut fermement et ouvertement regarder les faits en face. Le mouvement paysan est un grand facteur révolutionnaire dans la mesure où il est dirigé contre les gros propriétaires fonciers, les militaristes, les geôliers et les usuriers. Mais dans le mouvement paysan lui-même, il y a une très forte tendance réactionnaire et de propriétaires. Et à un certain stade la paysannerie peut se retourner contre les ouvriers, en ayant en outre les armes à la main. Celui qui oublie la double origine de la paysannerie n’est pas un marxiste. Il faut apprendre aux ouvriers du rang à différencier par des connaissances et des recherches " communistes " les processus sociaux réels.
Il faut suivre avec soin les opérations de l’armée rouge ", éclairer systématiquement aux yeux des ouvriers la marche, la signification et les perspectives de la guerre paysanne, et lier les revendications actuelles et les problèmes du prolétariat avec le mot d’ordre de la libération de la paysannerie.
Sur la base de vos propres investigations, de rapports et autres documents, il faut étudier avec ténacité la vie intérieure des armées paysannes et des corps d’armées dans les régions occupées par elle, dévoiler sur des faits concrets les tendances de classe contradictoires, et montrer clairement aux ouvriers quelles sont les tendances que nous soutenons, et quelles sont celles que nous combattons.
Il faut veiller avec attention à la coordination entre l’armée rouge et les ouvriers des petites localités sans perdre de vue même les plus petites discordances entre eux. Dans le cadre des conflits de villes et de rayons isolés, même très aigus, ces discordances peuvent sembler des épisodes locaux, mais, dans un développement ultérieur des événements, les conflits de classe peuvent s’étendre à l’échelle nationale, et mener la révolution à la catastrophe, c’est-à-dire jusqu’à une nouvelle destruction des ouvriers par les paysans armés trompés par la bourgeoisie. L’histoire de la révolution est pleine d’exemples semblables.
Dans la mesure où les ouvriers comprendront plus clairement la dialectique vivante des relations de classe entre le prolétariat, la paysannerie et la bourgeoisie, plus ils rechercheront sans hésitations des liaisons avec les couches paysannes les plus proches, et plus ils se dresseront ardemment contre les provocateurs contre-révolutionnaires, tant dans le cadre des armées paysannes elles-mêmes, que dans les villes.
Il faut créer des unions syndicales, des cellules du parti, éduquer des ouvriers du rang, unifier l’avant-garde prolétarienne et l’entraîner dans la lutte.
Il faut s’adresser à tous les membres du parti officiel par des appels, et des demandes d’éclaircissements. Il est vraisemblable que les ouvriers communistes liés à la fraction stalinienne ne nous comprendront pas immédiatement. Les bureaucrates hurleront sur notre " sous-estimation " de la paysannerie, et même, s’il vous plaît, sur notre " hostilité " envers la paysannerie (Tchernov accusait toujours Lénine d’hostilité envers la paysannerie). Il est évident que de tels cris n’émouvront pas les bolcheviks-léninistes. Lorsqu’avant avril 1927 nous donnions les avertissements nécessaires contre le coup d’Etat inévitable de Tchang-Kaï-Chek, les staliniens nous accusaient d’hostilité envers la révolution nationale chinoise. Les événements ont démontré qui a eu raison. Les événements apporteront de nouveau leur vérification. L’opposition de gauche peut apparaître trop faible pour impulser dans l’étape présente une direction aux événements dans l’intérêt du prolétariat. Mais elle est suffisamment forte dès maintenant pour montrer aux ouvriers la voie juste et, s’appuyant sur le développement ultérieur de la lutte de classes, pour démontrer aux yeux des ouvriers sa justesse et sa perspicacité politique. Ce n’est qu’ainsi que le parti révolutionnaire peut conquérir la confiance, croître, se fortifier, et se mettre à la tête des masses populaires.
Prinkipo, 22 septembre 1932.
P. S . Pour donner le plus de clarté possible à ma pensée, je noterai la variante théorique suivante, qui est fort plausible.
Supposons que l’Opposition de Gauche développe dans le plus prochain avenir un travail énorme et plein de succès au sein du prolétariat industriel et acquière en son sein une influence capitale. Le parti communiste officiel continue, pendant ce temps, à limiter toutes ses forces à "l’armée rouge" et aux rayons paysans. Arrive le moment où les troupes paysannes entrent dans les centres industriels et se heurtent aux ouvriers. Il n’est pas difficile de prévoir qu’ils opposeront hostilement l’armée paysanne aux " contre-révolutionnaires trotskystes ". En d’autres termes, ils se mettront à surexciter les paysans armés contre les ouvriers du rang. C’est ainsi qu’ont agi les S. R. russes et les mencheviks en 1917 ; ayant perdu les ouvriers, ils luttèrent de toutes leurs forces pour conserver leur appui unitaire, et envoyèrent les casernes contre les usines, le paysan armé contre l’ouvrier bolchevik. Kerenski, Tseretelli, Dan, baptisaient les bolcheviks si ce n’est du nom de " contre-révolutionnaire ", tout au moins " d’agents involontaires " ou " d’aides inconscients " de la contre-révolution. Les staliniens s’embarrassent moins que quiconque de la terminologie politique. Mais les tendances sont identiques : une orientation hostile des paysans et en général des éléments petits-bourgeois contre les détachements du rang de la classe ouvrière.
Le centrisme bureaucratique, en tant que centrisme ne peut avoir une base de classe indépendante. Mais dans sa lutte contre les bolcheviks-léninistes, il est contraint de rechercher un appui à droite, c’est-à-dire dans la paysannerie et la petite-bourgeoisie, les opposant au prolétariat. La lutte des deux fractions communistes, les staliniens et les bolcheviks-léninistes renferme ainsi en son sein, des tendances à se transformer en une lutte de classe. Le développement révolutionnaire en Chine peut développer ces tendances jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la guerre civile entre les dirigeants de l’armée paysanne et l’avant-garde prolétarienne sous la direction des léninistes.
Si un tel conflit, par la faute des staliniens, survenait, cela signifierait que l’Opposition de Gauche et la fraction stalinienne cesseraient d’être des fractions communistes mais seraient devenues des partis politiques hostiles l’un à l’autre, ayant une base de classe différente.
Une telle perspective est-elle inévitable ? Non, je ne le pense aucunement. Dans la fraction stalinienne (P.C. chinois officiel), il y a non seulement des paysans, c’est-à-dire des petits-bourgeois mais aussi des tendances prolétariennes. Il est de toute première importance pour l’Opposition de Gauche de rechercher un rapprochement avec l’aile prolétarienne des staliniens, de lui développer les appréciations marxistes sur les " armées rouges " et en général sur la relation entre le prolétariat et la paysannerie.
Gardant son indépendance politique, l’avant-garde prolétarienne doit être inévitablement prête à réaliser l’unité d’action avec la démocratie révolutionnaire. Si nous ne sommes pas d’accord pour identifier les corps armés des paysans avec l’armée rouge, comme la force armée du prolétariat, si nous ne sommes pas enclins à fermer les yeux sur le fait que l’on couvre le drapeau communiste par le mouvement paysan d’un contenu petit-bourgeois, par contre, nous nous rendons parfaitement compte de la signification, de l’importance énorme du caractère démocratique-révolutionnaire des guerres de paysans, nous apprenons aux ouvriers à comprendre cette signification et nous sommes prêts à faire tout ce qui est en notre pouvoir, pour aboutir avec les organisations paysannes à un accord militaire nécessaire.
Notre tâche consiste, en conséquence, non seulement à empêcher tout commandement militaire et politique sur le prolétariat de la part de la démocratie petite-bourgeoise, s’appuyant sur les paysans armés, mais aussi à préparer et assurer la direction prolétarienne sur le mouvement paysan et, en particulier sur son "armée rouge".
Plus nette sera pour les bolcheviks-léninistes la compréhension de la situation politique et des tâches qui en découlent ; plus sera couvert de succès l’élargissement de leur base dans le prolétariat ; plus sera tenace la manière dont ils pratiqueront la politique du front unique envers le parti officiel et le mouvement paysan dirigé par lui, d’autant mieux ils réussiront à préserver la révolution du heurt plein de danger entre la paysannerie et le prolétariat ; non seulement ils assureront l’unité d’action nécessaire entre deux classes révolutionnaires, mais aussi ils transformeront leur front unique en un pas historique vers la dictature du prolétariat. »
Léon Trotsky
Prinkipo, 26 septembre 1932.
Loin d’être une force combattue par l’impérialisme, l’armée de Mao a représenté pour les Américains une force combattante à soutenir pendant la guerre contre les japonais ; Ils l’ont armé et soutenu. Ils ont fait pression sur Tchang Kaï Chek pour qu’il collabore avec Mao. Ce dernier a accepté mais, dès la fin de la guerre, Tchang a pensé être capable d’écraser Mao avec l’aide américaine. C’était compter sans la vague révolutionnaire qui parcourt alors les campagnes, un mouvement spontané qu’après une hésitation Mao décide d’accompagner.
Document :
« La "Révolution" de Mao Tse-Toung »
« Rapport sur le stalinisme chinois »
écrit par Hsieh Yueh
1948 Paru dans la revue "Fourth International" (New-York), décembre 1949, avec l’introduction suivante : « Le texte suivant est un résumé d’un article paru dans le premier numéro du magazine "Fourth International" (publié à Hong Kong), organe du Parti Communiste Révolutionnaire, section chinoise de la IVème Internationale. L’auteur est un des principaux leaders du trotskisme chinois et un des pionniers du mouvement communiste en extrême orient. Bien qu’ayant été écrit il y a huit mois, le 15 avril 1948, l’article rapporte des faits et des tendances dans le soi-disant mouvement communiste chinois qui ont été jusqu’à maintenant ignorés à l’ouest. »
15 avril 1948
« La victoire militaire du stalinisme en Chine a fait croire à certains que les pays arriérés fournissent un sol fertile au développement du stalinisme. C’est un raisonnement empirique. Il est vrai que les pays coloniaux sont composés dans leur majorité de petits bourgeois et d’éléments paysans, mais cette seule condition n’est pas suffisante pour garantir le succès des staliniens. La petite bourgeoisie n’est pas isolée du reste de la société. En dépit de son importance numérique dans certains pays, elle ne peut jouer un rôle indépendant à l’époque du déclin capitaliste. Elle doit prendre position dans le combat qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie en faveur de l’une de ces deux classes. Les staliniens chinois ne peuvent être victorieux en s’appuyant uniquement sur la petite bourgeoisie, une classe qui est incapable de résister à la pression des capitalistes. Cela est d’autant plus vrai que le prolétariat a été écrasé et le mouvement paysan isolé. Ainsi l’insurrection paysanne dans la province du Kiangsi en 1927-37 a été vaincue par le blocus capitaliste.
Le stalinisme a pu remporter de grandes victoires en Chine parce que la paralysie du prolétariat s’est accompagnée d’un effondrement du capitalisme. La guerre de 1935-1947 a affaibli les bases matérielles de la puissance capitaliste. Les masses, même celles qui soutiennent normalement la bourgeoisie, se sont retournées contre elle. Mais les mêmes conditions historiques qui ont favorisé la croissance du stalinisme, créent également des difficultés pour lui lorsque ses armées s’approchent des grandes villes. Le problème pour le stalinisme est alors de s’allier lui-même au prolétariat ou aux capitalistes. Les faits prouvent qu’il a préféré s’allier à la bourgeoise plutôt qu’au prolétariat.
Le facteur principal des succès militaires du stalinisme fut la réforme agraire d’octobre 1947. Pendant la guerre sino-japonaise, les staliniens ont abandonné la réforme agraire et se sont contentés de réduire les loyers revenant aux propriétaires. Après la guerre, le PC fut vaincu par le Kuomintang pour le contrôle des zones libérées. Les leaders staliniens reconnaissaient eux-mêmes que les paysans n’étaient pas satisfaits de leur politique réformiste et réclamaient des terres. Lors de la réunion du Comité Central du 4 mai 1946, le PC décida d’effectuer un tournant vers la réforme agraire afin de gagner le soutien de la paysannerie dans la guerre contre Tchang Kai-chek.
Pourtant, les effets de cette réforme dans les zones initialement contrôlées par les staliniens furent limités. Les propriétaires reçurent leur part dans la distribution de terre et cette part fut souvent plus importante que celle reçue par les paysans. Les paysans riches conservèrent toutes leurs terres. Mais même cette réforme limitée dut faire face à l’opposition des propriétaires fonciers qui avaient pénétré dans les rangs du PC chinois.
La "lettre ouverte aux membres du parti" publiée en janvier 1948 par le Comité Central de la région Shansi-Shantung-Honan déclarait : "Les directives actuelles du Parti visent une fraction du parti qui est composée de propriétaires et de paysans riches qui préservent les biens de leur famille et de leurs amis." Et le stalinien Nieh Yung-jin, dans son texte sur "le Renouvellement de nos Rangs", admet que "ces éléments (les propriétaires et les paysans riches) occupent la plupart des postes dans notre parti." Il va même jusqu’à déclarer que, "vue à la lumière de la réforme agraire, notre politique apparaît comme reflétant les vues des propriétaires et des paysans riches."
De plus, ces documents donnent une description très concrète de l’attitude de ces propriétaires membres du PC chinois. Ces éléments furent les principaux opposants à la réforme agraire mais quand elle eut lieu, ils cherchèrent à en obtenir le maximum d’avantages. Ils se conduisirent "toujours avec la plus grande avidité", utilisant même les forces armées pour se réserver les meilleures terres, la plupart des vivres, des outils, des maisons et des vêtements, etc. Ces éléments sont déjà devenus "un groupe opposé au peuple", opposé aux paysans pauvres et dépourvus de terres. Le document cité ajoute : "Les paysans pauvres et sans terres sont aujourd’hui dans une situation pire que jamais car ils n’ont pas assez de terre à cultiver, pas assez de maison, pas assez de vêtements. Ils n’ont même pas le droit de parler dans les comités de village. Exploités auparavant par les propriétaires, les paysans pauvres et sans terre sont maintenant exploités par ces mauvais membres du Parti."
Sous la pression de cette crise interne dans ses rangs comme du tournant à gauche de la politique extérieure du Kremlin, le PC effectua alors un nouveau tournant avec la publication le 10 octobre 1947 du "Programme de Réforme Agraire." Il s’agissait d’un appel aux masses pour compléter la réforme agraire. Mais le caractère limité de cette "orientation vers les masses" apparaissait non seulement dans le fait que la réforme agraire n’a rien changé du droit d’acheter et de vendre la terre confisquée aux propriétaires - ce qui favorisait une nouvelle concentration de terre entre les mains des paysans riches - mais aussi parce qu’elle autorisait expressément le libre transfert de capital aux entreprises industrielles et commerciales. Il apparut plus tard que la réforme elle-même s’arrêta rapidement.
La bureaucratie fut effrayée par le développement de la lutte des masses. "Les masses combattent automatiquement les mauvais membres du parti. Dans certaines régions, les membres du Parti sont arrêtés et battus par le peuple." Telle est la plainte de Liou Chao-chi dans "Leçons de la Réforme Agraire dans le Pinshang." Dans un autre document important, le Comité Central du district de Shansi-Hopei-Shantung-Honan résume ainsi le conflit entre les paysans et la ligne politique du PC :
1) Dans le but d’obtenir davantage de terres, les paysans donnent de fausses informations sur la taille des terres des propriétaires.
2) Après le partage, ils n’admettent pas que les propriétaires obtiennent davantage de terres qu’eux-mêmes.
3) Ils veulent confisquer les usines et les entreprises des propriétaires et des paysans riches.
Cela démontre clairement le conflit entre les tendances révolutionnaires des masses qui veulent exproprier complètement les classes possédantes et la tendance bureaucratique et conservatrice du PC qui, en pratique, protège les positions de ces classes. La bureaucratie accuse invariablement les masses d’"être trop à gauche" ou d’"aventurisme de gauche" afin de limiter leurs actions qui menacent la ligne stalinienne et ses alliés bourgeois.
Il fallut bientôt stopper toutes les actions des masses. Le 24 août 1948, la New China News Agency (New China press service) publia le texte d’un article du West Honan Daily News qui annonçait officiellement que la réforme agraire devait être arrêtée et que les paysans devraient se satisfaire d’une réduction des loyers, des impôts et des intérêts aux usuriers.
Ainsi, la réforme agraire qui débuta le 4 mai 1946 dans les régions antérieurement occupées par les staliniens fut interrompue en août 1948 dans les régions qu’ils occupaient depuis peu. Un document officiel du PC chinois du 22 février indique que dans les régions libérées depuis longtemps ou plus récemment, la réforme qui s’était achevée par différentes mesures avait conduit à la constitution de trois zones distinctes :
Dans la première, une petite fraction de propriétaires et de paysans riches avait acquis les terres les meilleures et les plus grandes. Dans cette zone, les paysans riches et moyens constitueraient 50 à 80 % de la population des villages et posséderaient en moyenne deux fois plus de terres que les paysans pauvres. Le Comité Central du PC chinois dit que la distribution des terres dans cette zone est terminée.
Dans la seconde zone, les paysans riches et les vieux propriétaires disposent relativement de plus de terres que dans la zone précédemment décrite. La plupart d’entre eux, selon le CC du PC, ont de meilleures et de plus grandes propriétés que les paysans pauvres et il en est de même pour les membres du Parti. Les paysans pauvres et sans terre comptent 50 à 70 % de la population villageoise et "pour la plupart d’entre eux, la vie n’a pas beaucoup changé". Ici, la distribution des terres a eu lieu, mais dans une forme incomplète.
Enfin, une troisième zone n’a connu aucune distribution de terres et les propriétaires et les paysans riches disposent de la plus grande partie de la terre alors que les paysans pauvres n’ont rien reçu. Cela provient aussi d’une information officielle du CC du PC chinois.
Il apparaît de toute évidence que la "cupidité" des propriétaires et des paysans riches, qu’ils soient ou non membres du PC, a eu les mains libres dans cette réforme et que la plupart de ceux à qui des terres ont été confisquées s’enrichissent déjà à nouveau. Les "paysans moyens" dont parle le CC dans la première zone, comprennent de nombreux exploiteurs et propriétaires fonciers.
Les soi-disant régions libérées comprennent tout le territoire situé au nord du Hoang-Ho (Fleuve Jaune). La réforme agraire était et est encore appliquée dans cette région de manière variable. Nous sommes en présence ici d’une politique typiquement stalinienne. Pour résister à la pression de la bourgeoisie, les staliniens sont forcés de s’appuyer sur les masses. Mais quand le mouvement des masses risque d’entraîner un bouleversement social, la bureaucratie stalinienne tente de canaliser ces actions et, dans sa frayeur, effectue un virage à droite, négocie avec la bourgeoisie et ordonne l’arrêt du mouvement populaire.
Politique industrielle et commerciale
Le principal frein de la réforme agraire est la politique nommée "protection de l’industrie et du commerce". Elle autorise le libre transfert des capitaux des paysans riches aux entreprises industrielles et commerciales même dans les villages et les petites villes des zones libérées. Les usines et les mines antérieurement nationalisées dans les premiers districts occupés sont peu à peu remises aux capitalistes privés. Liu Ning-i le montre clairement dans son texte sur "La politique Industrielle dans les Régions Libérées" où il écrit : "Le gouvernement veut renforcer les différents secteurs d’industrie lourde et légère. Pour cela, tout le monde, y compris les grands capitalistes, doit être mobilisé en utilisant toutes les forces et grâce à une coopération totale."
Pour contribuer au développement industriel et commercial, le PC chinois a mis en oeuvre une politique fiscale stimulant l’initiative privée à la place de la politique fiscale du Kuomintang qui étouffe l’entrepreneur. Mais le miracle de la construction rapide d’une industrie lourde dans les régions arriérés et agricoles ne s’est pas produit. La plupart des entreprises industrielles et commerciales de cette région sont de type artisanal. Il y a de petites machines. La composition organique du capital est donc très basse. Mais la propagande du PC chinois proclame que la tâche principale sur le terrain de l’industrie et du commerce est (selon Lui Ning-i) "de développer les forces productives et de réduire les coûts de production." Plus la composition organique est basse, Plus la part du capital variable, celle des salaires est importante dans la détermination du coût de production. Par conséquent, la politique industrielle et commerciale du PC chinois implique en premier lieu une baisse des salaires réels, l’allongement de la journée de travail et la surexploitation de la force de travail par la méthode bien connue du travail aux pièces.
Le PC chinois a introduit ces méthodes d’exploitation dans toutes les zones libérées. Voilà ce qu’il en est de la "politique salariale" dont il est si fier. Les documents du PC chinois parlent ouvertement de "salaires trop élevés". La journée de travail a été allongée jusqu’à 10 et même 12 heures. Non seulement le système du travail aux pièces a été introduit mais les staliniens ont tenté de le justifier sur le plan théorique. Ils expliquent que "dans le système du paiement aux pièces, les ouvriers obtiennent des salaires plus élevés si ils augmentent la production ; ils augmenteront donc la production pour obtenir des salaires plus élevés : c’est une conception très raisonnable et progressive de la rémunération du travail manuel." (Chang Per-la, "Politique du Travail et de l’Impôt dans le Développement Industriel")
Quand l’armée du PC chinois entra dans les grandes villes, elle protégea toutes les entreprises privées, chinoises ou étrangères. Seul le vieux "capital bureaucratique", c’est à dire les entreprises directement contrôlées par le gouvernement du Kuomintang, furent touchées ; même dans ce cas, les investissements des capitalistes privés dans ces "entreprises bureaucratiques" restèrent intacts. Ainsi, la politique des staliniens dans les villes est le prolongement de leur politique dans les campagnes. Et tout comme les staliniens sacrifient les intérêts des ouvriers et des paysans pauvres sous la pression de la bourgeoisie nationale, ils prendront des mesures similaires sous la pression de l’impérialisme.
Le transfert du pouvoir
Après avoir examiné les faits économiques, venons-en à la situation politique. Avant la réforme agraire dans les régions primitivement occupées, le pouvoir était déjà passé entre les mains des paysans riches et des propriétaires sans que les paysans pauvres puissent se faire entendre dans le Parti ou dans leurs organisations. Après le début de la réforme agraire, le PC chinois commença à créer des Comités de Paysans Pauvres afin d’obtenir un soutien populaire de masse à leur politique. Ces Comités groupèrent les pauvres des campagnes et permirent d’accélérer la réalisation de la réforme agraire. Les Comités de Paysans Pauvres ont donné naissance au Congrès des délégations paysannes. Au moment de leur formation, les Comités de Paysans Pauvres remplissaient toujours le rôle de véritables soviets paysans : ils confisquaient les terres des propriétaires fonciers et levaient les impôts.
Le Congrès des Délégations Paysannes remplaça les Comités de Paysans Pauvres par des Comités Paysans auxquels les paysans riches et exploiteurs appartenaient également. En fait, les documents du PC chinois se plaignent de ce que "certains de ces Comités Paysans ne comprennent même pas les paysans moyens." Il faut noter que le PC chinois ne différencie pas scientifiquement les différentes couches de la paysannerie et considère souvent les paysans riches comme des "paysans moyens". De plus, le parti est toujours constitué par des éléments riches et même souvent exploiteurs. Cela explique les plaintes constantes de la bureaucratie au sujet des paysans pauvres qui "veulent toujours tout contrôler", qui "violent la propriété des paysans moyens".
Au sujet de l’achèvement de la réforme agraire, la bureaucratie insiste particulièrement sur la dissolution des Comités de Paysans Pauvres ; tout au plus autorise-t-elle une"commission des paysans pauvres" à l’intérieur des Comités Paysans. Pour leur part, les Comités Paysans furent uniquement constitués dans un but économique. La bureaucratie a tout fait pour les empêcher de devenir une autorité politique Ce pouvoir devait passer du Congrès des Délégations Paysannes au Congrès des, Délégués du Peuple de village qui devaient devenir l’autorité politique dans le village. Il est dit expressément que ce Congrès de Village des Délégués du Peuple "réunirait toutes les classes démocratiques, c’est à dire les ouvriers, les paysans, les artisans, les professions libérales, les intellectuels, les entrepreneurs et les propriétaires éclairés." (Discours de Mao Tsé-toung au Congrès du PC du Shansi-Shuiyun) C’est donc un organe de pouvoir basé sur la collaboration de classes et qui remplace l’autorité des paysans pauvres.
Les chefs de l’"armée de libération" font preuve du même esprit conservateur et réactionnaire quand ils pénètrent dans les grandes villes. Cherchant à réconcilier les factions de l’ancien gouvernement Kuomintang, les staliniens ont considéré la "paix de Peiping" comme un modèle pour le transfert du pouvoir. Aussi ils ont démontré que ce qui comptait pour eux était seulement de gagner la confiance de la bourgeoisie Kuomintang et non celle de la classe ouvrière qui aurait détruit l’appareil d’état bourgeois dans les villes. Le PC chinois a également maintenu les moyens de répression dans les villes parmi lesquels l’infâme principe de la responsabilité collective. (Si la police ne peut trouver un "fauteur de troubles", elle peut arrêter un membre de sa famille ou un otage). Les staliniens ont aboli le droit de grève et institué l’arbitrage obligatoire. Tout comme le pouvoir des paysans pauvres fut supprimé dans l’intérêt de la collaboration de classe, les premiers efforts des ouvriers pour créer une organisation indépendante dans les villes furent étouffés par la bureaucratie.
Les syndicats ont traditionnellement servi au mouvement ouvrier d’école de la lutte de classe. Les staliniens chinois ont transformé cette formule. Pour eux, le syndicat est devenu "une école de production qui encourage les caractères productifs et positifs du prolétariat." Le devoir de défendre les intérêts des ouvriers est appelé "aventurisme gauchiste."
Dans les entreprises privées, les capitalistes ont conservé un pouvoir illimité. Dans les entreprises nationalisées - appartenant auparavant au "capital bureaucratique" - le pouvoir appartient à un comité de contrôle dont le directeur de l’usine est le président et comprenant des représentants des anciens propriétaires, des représentants de la maîtrise et des représentants des ouvriers. Mais les ouvriers disposent seulement de voix consultatives, le directeur ayant le dernier mot pour toutes les décisions.
La conséquence de cette politique anti-ouvrière, comme l’admit récemment le North East Daily News, est que "les membres du parti travaillant dans les usines abandonnent le point de vue des masses et croient que le directeur prend toutes les décisions importantes sans demander l’avis du parti et du syndicats et que le comité de contrôle est superflu." Le journal poursuit : "Il ne sera pas possible de maintenir longtemps l’attitude positive des ouvriers si nous ne les protégeons pas par des méthodes de gestion démocratique. A côté du directeur, des ingénieurs et de la maîtrise, les comités de contrôle doivent comprendre une majorité d’ouvriers, Ces ouvriers seraient élus par les syndicats ou par le Congrès des délégués Ouvriers" (Le 16 mars 1949, la New China News Agency rapporte de Mukden un article de la North East Daily News intitulé : "La démocratisation de la gestion des entreprises est une importante mesure pour augmenter la production.")
Cette citation indique que les Comités de Contrôle dans les usines nationalisées n’existent même pas dans toutes les régions primitivement occupées par les staliniens. Quand ils existent, ce sont des organes purement administratifs séparés de la classe ouvrière et qui sont devenus en fait des organes au service des directeurs. Mais quand le Congrès des Délégués ouvriers existe, il sert de corps consultatif comme les syndicats.
Le caractère du "Pouvoir du Peuple".
L’analyse faite plus haut nous procure un matériel important sur le caractère du soi-disant "pouvoir populaire" du PC chinois et son évolution future. La progression des armées a partir de la campagne vers les villes industrielles a fait passer le PC d’un pouvoir régional instable avec une base agricole isolée à un pouvoir reposant sur une base relativement stable et urbaine. Cette transformation s’est accompagnée d’une politique de collaboration de classe. Au fur et à mesure que le PC chinois s’est emparé du pouvoir national, il s’est éloigné des ouvriers et des paysans pauvres et il a cédé à la pression de la bourgeoisie. Mao Tsé-toung prétend que son pouvoir sera "une dictature populaire démocratique conduite par le prolétariat allié à la paysannerie". Mais en expliquant quelles classes forment la base de son pouvoir, il déclare franchement qu’il s’agit "des ouvriers, des paysans, des artisans indépendants, des professions libérales, des intellectuels, des capitalistes "libres" et des propriétaires "éclairés" qui ont rompu avec leur classe". Nous, marxistes, ne nous trompons pas sur cette formule ; nous comprenons que ce n’est rien d’autre qu’un pouvoir bourgeois embelli.
Aujourd’hui, alors que les armées du PC chinois s’emparent des grandes villes, ce pouvoir est encore en pleine évolution et se déplace des campagnes vers les villes. La victoire du PC chinois n’a pu être acquise sans le soutien armé de la paysannerie qui résulte d’un compromis entre ces armées et la bourgeoisie. Nous pouvons nous rendre compte pourtant, en fonction de son attitude conservatrice envers la classe ouvrière et les paysans pauvres et de sa peur des actions de masse, que le PC s’oriente vers une dictature militaire. Presque toutes les villes ont été placées sous contrôle militaire direct. Les bureaucrates se dégagent tellement des organisations de masse qu’ils sont obligés de s’appuyer directement sur l’armée, la police et les services secrets. Bien sur, ce processus est encore loin d’être achevé. Il en est seulement à son début mais son futur développement peut déjà être discerné.
Les perspectives du stalinisme chinois
L’évolution de la Chine a d’importantes conséquences :
1. Dans les campagnes :
a) Dans les "régions anciennement ou plus récemment libérées" où la réforme agraire a été effectuée ou est en voie d’achèvement, les nouveaux paysans riches et propriétaires, parmi lesquels se trouvent des membres du parti qui ont acquis de nombreux privilèges, constituent les principaux éléments dans le Congés de village des Délégués du Peuple alors que les comités paysans, lorsqu’ils avaient un pouvoir réel, ont été subordonnés à des "gouvernements de coalition" à l’échelon du village. Les paysans pauvres, éternelles victimes, sont mécontents du pouvoir exercé par les membres locaux du parti et des paysans riches qui proviennent d’une nouvelle différenciation.
b) La réforme agraire a été stoppée dans les régions "récemment libérées". Les anciens paysans riches et propriétaires sont considérés comme la composante principale dans la formation du "gouvernement de coalition". Les paysans pauvres, incapables de satisfaire leurs besoins, continueront comme auparavant la lutte de classe en introduisant des oppositions dans les rangs du mouvement stalinien lui-même.
2. Dans les villes :
Ces différenciations et ces contradictions conduisent à la formation de nombreuses tendances oppositionnelles au sein du mouvement stalinien mais celles-ci sont encore régionales, isolées, individualistes et souvent de type paysan. Elles sont condamnées et réprimées comme manifestations d’"aventurisme gauchiste" et de "trotskysme". Un grand nombre d’ouvriers rejoindront le PC après l’entrée des armées staliniennes dans les villes mais la politique anti-ouvrière de la bureaucratie fera naître un mécontentement parmi le prolétariat. Leur résistance aggravera la lutte de classe dans les rangs des staliniens eux-mêmes. Les ouvriers éduqués tenteront de former des groupes d’opposition politique. Cela marquera le début de l’effondrement du stalinisme en Chine.
3. A l’échelle nationale :
Le PC chinois s’oriente vers un pouvoir basé sur la collaboration de classe. Il exercera le pouvoir en maintenant les anciennes bases sociales de la Chine et se trouvera face à face avec les anciennes difficultés. Pour les résoudre sur le plan économique comme sur le plan politique, la bureaucratie ne pourra se contenter de petites réformes partielles (comme le sacrifice du "capital bureaucratique" et d’une partie des intérêts des landlords). Elle ne recevra aucune aide substantielle du Kremlin. La réputation du Kremlin est déjà mauvaise dans la population chinoise : il demande des services pour lesquels il ne donne rien en échange. La seule voie ouverte au PC chinois est l’utilisation de la bourgeoisie nationale pour mendier l’assistance de l’impérialisme. Etant moins capable de résister à la pression impérialiste que Tito, Mao Tsé-toung entrera plus rapidement en conflit avec l’ "internationalisme" de Staline (lisez : le nationalisme grand-russien). (…) »
Notes
[1] Mensonges : cet ancien ministre de Tran Trong Kim n’a jamais été trotskyste. Pas plus que le chef de la Sûreté n’était bien sûr un trostskyste, ni que le dirigeant trotskyste le plus connu, Ta Thu Thau, ait été conseiller d’un gouvernement quel qu’il soit ! Ces allégations grossières, qui ne sont étayées d’aucune preuve, sont des calomnies classiques des staliniens. Si leurs auteurs y avaient cru, ils les auraient utilisé à l’époque des faits, ce qui n’est même pas le cas. Elles servent seulement de justification après coup d’une politique d’assassinats ciblés. Pas de pardon pour des agents de l’impérialisme japonais
Colonies françaises
Des insurrections vont se dérouler à la fin de la guerre mondiale parmi les peuples colonisés. La guerre a déstabilisé la domination impérialiste. Et là plus encore que pendant la première guerre mondiale. Ces impérialismes ont parfaitement conscience du danger et chacun essaie d’y répondre à sa manière.
L’impérialisme français essaie de se battre pour garder leurs colonies et éviter de céder même aux nationalistes modérés du coup ils déclenchent des insurrections populaires. Les américains s’imposent au sud de la Corée et déclenchent eux aussi des insurrections.
Madagascar
En mars 1947, c’est l’insurrection de Madagascar. La France va mettre cinq mois à l’écraser, malgré la violence de la répression. En juin et en décembre 1946, des signes avant-coureurs de la grande révolte ont été émis. Ces premières révoltes sont durement réprimées. Ces étincelles vont allumer un grand incendie. Dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, toute la partie Est de l’île se soulève, contre la misère, contre les exactions des Européens et du pouvoir colonial. C’est une explosion spontanée. Cela se voit notamment au fait que, sans armes, l’insurrection le restera jusqu’à la fin de l’année 1948. Les plus pauvres, les plus opprimés se mobilisent, n’ont plus peur de la répression, ne reviendront plus en arrière. La réaction coloniale est violente et débute, dès le 4 avril, avec la proclamation de l’état de siège dans dix districts. Le 31 mars, c’est un camp militaire français qui est attaqué par plusieurs centaines d’hommes seulement armés de sagaies et de coupe-coupes. C’est la guerre côté français : infanterie, parachutistes et aviations attaquent les civils désarmés et font déjà un carnage. Le 30 avril, un camp militaire, celui de Moramanga, est attaqué. Les révoltés libèrent cent cinquante prisonniers. Les Européens, survoltés, organisent une véritable milice de tueurs et le carnage commence. Les exactions et l’arrivée de renforts militaires n’y suffisent pas. Ce n’est qu’en juillet que le colonialisme commencera à prétendre qu’il est désormais à l’offensive. Il faudra toute l’année 1948 au colonialisme français pour en finir avec les rebelles. Le 7 décembre 1948, Mr De Chevigné, Haut commissaire de France à Madagascar, déclare : « Le dernier foyer rebelle a été occupé. » Bilan : l’île est ravagée et il y a eu bien plus que les 80.000 morts reconnus officiellement, sans compter les blessés, les personnes arrêtées, les torturés.
Tout au long des événements, les principales organisations malgaches comme françaises n’ont pas pris le parti des insurgés. Le Parti communiste français ne risquait pas de le faire puisqu’il participait au pouvoir colonial français qui écrasait la révolte. En juin 1947, au onzième congrès du PCF à Strasbourg, Maurice Thorez conclue : « A Madagascar, comme dans d’autres parties de l’Union Française, certaines puissances étrangères ne se privent pas d’intriguer contre notre pays. » L’empire colonial français, hypocritement appelé « Union française », est défendu par le PCF. Dans les « Cahiers du communisme » d’avril 1945, on peut lire : « A l’heure présente, la séparation des peuples coloniaux avec la France irait à l’encontre des intérêts de ces populations. » Quant à François Mitterrand, il déclarait le 6 avril 1951, alors que des milliers de Malgaches pourrissaient dans les geôles de la France : « Je me déclare solidaire de celui de mes prédécesseurs sous l’autorité duquel se trouvait M de Chevigné quand il était haut commissaire. Les statistiques manquent de précision mais il semble que le nombre de victimes n’ait pas dépassé 15.000. C’est beaucoup trop encore, mais à qui la faute si ce n’est aux instigateurs et aux chefs de la rébellion. »
A Madagascar, l’attitude des organisations de gauche ne vaut pas mieux. Le 8 avril, ils envoient à Ramadier, président du Conseil, le télégramme suivant : « Les comités et groupes suivants, France combattante, Union rationaliste, CGT, Ligue des droits de l’homme, Groupes d’études communistes, Fédération socialiste, soucieux de traduire l’opinion de tous les Français et Malgaches unis dans un sincère désir de construire une véritable Union française, profondément indignés des troubles actuels, s’inclinent devant les victimes, condamnent toute la réaction factieuse, approuvent les mesures prises par l’autorité civile et lui font confiance pour rétablir l’ordre dans la légalité démocratique et poursuivre l’œuvre constructive vers une véritable union. » L’opposition démocratique malgache, elle, avait été accusée d’avoir organisé la révolte, accusation totalement infondée en ce qui concerne sa direction. Les dirigeants du M.D.R.M (Mouvement démocratique de rénovation malgache) n’étaient nullement politiquement de taille à vouloir une insurrection contre le colonialisme français. Il s’agissait tout au plus de politiciens libéraux. Mais il fallait bien que le pouvoir trouve des coupables ayant manipulé les masses malgaches. Dès le lendemain de l’insurrection des 29-30 mars, ses dirigeants sont arrêtés et torturés. Le MDRM avait déclaré : « Les événements du 30 mars apparaissent comme le fait d’éléments ou de groupes isolés de la population ayant agi spontanément sous la pression des souffrances endurées et des persécutions subies. » M de Coppet, Haut commissaire à Madagascar, déclare : « Le M.D.R.M est le responsable des troubles à Madagascar. La preuve de la préméditation des crimes est établie, c’est là un coup préparé minutieusement et de longue date. » Le 26 mars, le M.D.R.M collait une affiche appelant les populations au calme. Pourtant, le 7 mai, déjà 13.000 militants de ce parti sont arrêtés et torturés et les députés sont inculpés de crime et d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Il en résultera dix condamnations à mort et trois aux travaux forcés à perpétuité, qui se rajoutent à plus de cent mille morts. Même après l’indépendance, la mainmise de l’impérialisme français se maintiendra, notamment avec la mise en place de la dictature de Tsiranana.
Documents :
Grégoire Madjarian rapporte dans « La question coloniale et la politique du Parti communiste français » : « Madagascar, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, était exsangue ; sa population accablée de misère, au bord de la révolte. Les colonialistes ne se maintenaient qu’en exerçant une répression inouïe. (…) Le spectacle de l’effondrement des forces vichystes devant les armées britanniques en 1942 avait renforcé l’idée que la France était affaiblie et que le moment était venu de s’organiser pour hâter la libération de la patrie. Des sociétés secrètes s’étaient données pour objet un vaste soulèvement pour restaurer la souveraineté nationale. Jina et Panama, créées la première en 1941, la seconde en 1943. (…) Le MDRM (Mouvement démocratique pour la rénovation malgache) (…) pensait acquérir l’indépendance par voie légale et pacifique. L’indépendance elle-même était conçue dans le cadre de l’Union française et du maintien des intérêts économiques de la France. (…)
A partir de 1946, des manifestations populaires, souvent très violentes, se multiplièrent dans différentes villes de l’île contre l’arbitraire colonial. (…) Le 19 mai arrivait à Tananarive le nouveau haut commissaire, le socialiste de Coppet, déjà en fonction avant 1940. L’envoi de ce gouverneur d’avant-guerre cristallisa le mécontentement envers la métropole coloniale. (…) De Coppet était accueilli aux cris de « Vive l’indépendance ! ». De nombreuses bagarres éclataient contre les forces de police et les colons venus protéger le cortège officiel. Elles se transformèrent rapidement en émeutes. (…)
A Paris, à la suite de la pression des états généraux de la colonisation française, les parlementaires – dont ceux du PCF – votaient et faisaient approuver la constitution colonialiste de la quatrième république. L’assimilation était la règle : Madagascar était intégrée d’office, en tant que territoire d’outre-mer, dans la République française « une et indivisible » ; les Malgaches étaient désormais « citoyens français ». (…)
A la fin de l’année 1946, de grandes grèves dans les chemins de fer et les travaux publics paralysèrent les transports pendant près d’une semaine. Les dockers de Majunga et Tamatave arrêtèrent le travail, réclamant un salaire journalier de 65 francs ; on leu accorda 18 à 20 francs. Dès le 18 mai 1946, les planteurs de la côte pressentaient les événements : « (…) Rien ne permet de déterminer quand débutera la révolte, ni sous quelle forme, ni quelles seront les premières victimes. Mais elle doit logiquement éclater. » (cité par Bénazet dans « L’Afrique française en danger »). En janvier 1947, le président du Syndicat des planteurs, Ruheman écrit : « Le danger est grand et peut-être proche. En brousse, la transformation des esprits depuis moins d’un an est ahurissante. (…) Madagascar va devenir avant peu une autre Indochine. » (…) Depuis la mi-46, l’administration coloniale règne par la force et les prisons de Madagascar sont combles, les méthodes policières utilisées sans mesure. A plusieurs milliers de kilomètres de l’île, le bombardement de Haïphong, en décembre 1946, était le produit de la même réaction coloniale. L’objectif politique poursuivi dépassait le cadre du Vietnam. L’impérialisme français voulait donner un exemple de sa puissance retrouvée. Mais au bombardement de Haïphong répondit l’insurrection de Hanoï. (…) Dans la nuit du 29 au 30 mars 1947, réplique grandiose aux provocations coloniales et d’une ampleur insoupçonnable, une immense flambée de révolte et de colère embrasait toute la partie Est de l’île, affolant la poignée d’Européens imbus de leur supériorité, installés dans leur domination. A 80 kilomètres de Tananarive, le camp militaire de Moramanga, où étaient entraînée la « brigade française d’extrême-orient » était attaqué par deux mille hommes simplement armés de sagaies, qui tuaient une partie de la garnison, s’emparaient des armes, mettaient le feu à la poudrière. A la même heure, en différents points de l’île, des fermes de gros colons étaient détruites, les voies ferrées et les lignes électriques coupées dans trois districts, des bases aériennes assaillies. Plusieurs villages tombaient entièrement entre les mains des insurgés à l’armement toujours rudimentaire : sagaies, haches, coupe-coupes et les seuls fusils pris dans les postes occupés. L’insurrection s’en prenait à tout ce qui concernait la puissance militaire de la France et l’exploitation coloniale. Le 30, les insurgés étaient maîtres d’un sixième de l’île. Ils déployaient partout l’ancien drapeau blanc et rouge, en appelaient à la fraternité malgache.
L’insurrection revêt deux formes militaires : coups de main éclair réalisés par des éléments de la petite bourgeoisie urbaine et soulèvement paysan. Trois traits caractérisent le soulèvement : sa coordination (le déclenchement simultané des attaques la même nuit en est la preuve) ; son absence de commandement central ; enfin sa mauvaise organisation. Il ne réussit que dans de rares cas à s’emparer des armes ; il avorte en plusieurs endroits ; il ne parvient pas à s’étendre au-delà de la zone conquise dès le début. (…) Cependant, malgré les forces déployées, la révolte ne s’éteignait pas. Nouvelles attaques de garnisons les 7, 8 et 9 avril ; le 26, insurrection à Tananarive. Dans la nuit du 30 avril, les insurgés assaillent à nouveau le camp militaire de Maramanga et libèrent cent cinquante prisonniers. La réaction coloniale affirmait qu’il s’agissait d’ »un coup très dur porté à son prestige », se retournait contre la métropole et son représentant de Coppet, demandant des renforts et l’emploi de tous les moyens pour anéantir « ces bandits à abattre ». Les colons s’organisaient en groupes d’autodéfense et exécutaient des otages malgaches.
Début août, des renforts importants arrivaient dans l’île : Légion étrangère, Nord-Africains et tirailleurs sénégalais principalement. Suivit ce qui deviendra le scénario classique des campagnes coloniales de la quatrième république : quadrillage du territoire par les paras, ratissage, terreur sur les populations, exécutions sommaires. Les forces de répression fusillent, pillent, incendient les villages. (…)
La répression n’épargna pas le MDRM, qui en fut une des cibles privilégiées ; il faut expliquer pourquoi. Le jeu politique du Mouvement consistait à conquérir par les voies légales tracées par la Constitution les postes administratifs et parlementaires. Dans cette voie, il avait obtenu des succès – qui n’étaient pas de nature à changer son orientation : il possédait tous les parlementaires malgaches et dominait presque toutes les assemblées locales. Le MDRM n’avait cessé d’inviter les Malgaches à l’ordre et au travail. Le 3 juillet 1946, avant de rejoindre le Palais-Bourbon, les députés du Mouvement avaient adressé à la population de l’île un message radiodiffusé : « Chers compatriotes. Avant notre départ de Madagascar, notre chère patrie, nous tenons à vous adresser cet appel : restez calmes, évitez les troubles, parce que le désordre n’engendre jamais aucun bienfait. Rien ne s’accomplira sans la tranquillité et la paix. » En mars 1947, encore, le MDRM avait lancé des appels au calme ; le 30, dans une proclamation à la population, ses députés réprouvaient de la façon la plus formelle l’insurrection, ramenée à des « crimes », des « actes de barbarie et de violence ». Néanmoins, le même jour, Radio-Tananrive attribuait au MDRM la responsabilité du soulèvement. (…) Début avril 1947, 3.000 membres du MDRM étaient incarcérés, interrogés, torturés – dont les deux députés Ravoahangy et Rabénananjara (Raseta se trouvait à Paris lors de l’insurrection). (…)
Dans la métropole, les dirigeants du mouvement ouvrier ne manifestent visiblement aucune sympathie vis-à-vis des insurgés, mais prononcent au contraire une condamnation sans appel. L’une des plus sanglantes intervention militaire de l’impérialisme français commence sous un gouvernement à direction socialiste, auquel, jusqu’au 5 mai, participe largement le PCF. Ce dernier occupe, entre autres, le ministère de la Défense nationale (François Billoux). (…) Le Parti communiste, remarquait Le Monde du 18 avril, n’avait (….) Manifesté aucune opposition catégorique à l’envoi de renforts comme à la répression des émeutes. » (…)
Tandis que Madagascar n’arrivait plus à enterrer ses morts, le chef du groupe parlementaire PCF invoquait le « courant de liberté » que représentait l’impérialisme français, appelait à l’union sacrée pour défendre les droits de son pays à opprimer d’autres peuples : « Je le dis, et c’est là note sentiment profond : la France a des positions dans le monde, tous les Français et j’ajoute tous les peuples associés, nous avons intérêt que la France puisse maintenir ses positions. Mais nous serions bien aveugles si nous ne tenions pas compte de ce fait important, à savoir que les positions françaises dans le monde sont terriblement convoitées. » (débat au parlement le 9 mai 1947)
Dans « L’insurrection malgache de 1947 » de Jacques Tronchon :
Sur la cause de la révolte, cete ouvrage cite Marcel de Coppet, Haut-commissaire de la République française à Madagascar au moment des événements, organisateur de la répression violente et barbare et nullement suspect de sympathie pour le colonisé malgache révolté :
« Il faut avoir le courage de reconnaître qu’à Madagascar la juste mesure a été dépassée. (….) Toutes les réquisitions des travailleurs, pratiquées sur une grande échelle, souvent au détriment des cultures vivrières les plus indispensables aux autochtones, n’étaient pas justifiées par l’effort de guerre. Quant aux prestations, elles perdirent leur caractère d’impôt en nature, pour s’apparenter à nouveau à la corvée. » (3 mars 1949)
De Coppet explique en février 1947 dans sa Conférence des Hauts-commissaires :
« Quand survint l’armistice (signé par Pétain avec le vainqueur allemand), les Hova exploitèrent au mieux la défaite française : la France pouvait donc être battue ; bien mieux, elle pouvait même se résigner à la défaite ; elle manquait à la fois de force matérielle et de force d’âme. Plus n’était besoin de la craindre. En 1943, au lendemain de la campagne anglaise (victorieuse contre les Allemands) (…) Madagascar fut placée sous l’égide de la France combattante. La situation économique était alors sérieuse. On pensa pouvoir y remédier en « stimulant la production ». Pour ce faire, on doubla tout simplement la durée des prestations, on aggrava, de façon non moins illégale, les peines disciplinaires et on réquisitionna partout la main d’œuvre pour la mettre à la disposition, non seulement des services publics mais aussi des entreprises privées. Ce fut une très grave erreur. La production ne s’en accrut guère et, il faut avoir le courage de le dire, Madagascar regretta Vichy. C’est de ce moment, d’ailleurs, (en juin 1946) que date l’explosion généralisée d’un mécontentement qui devait aller en s’amplifiant. (…) La population urbaine d’enhardit. (…) Tout est prétexte au désordre des rues : l’arrivée d’un train, une foire, un marché, un enterrement. (…) Cette période d’agitation, au cours de laquelle des grèves sont déclenchées à Tamatave et Majunga, ne s’étend pas au-delà du 23 juin 1946, date de la dernière échauffourée à Tananarive ou ailleurs. Pour mettre un terme à toute cette agitation, j’ai simplement appliqué la loi mais je l’ai appliquée dans toute sa rigueur (…) Certes la température a baissé, mais le mal subsiste (…) »
Sur l’historique de l’insurrection, De Coppet écrit :
« L’éclatement de l’insurrection, dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 mars 1947, n’est pas une réelle surprise. Plusieurs événements survenus cette nuit-là sur différents points du territoire malgache, comprennent qu’ils marquent le début du soulèvement contre l’occupation française. A plus forte raison, les autorités coloniales, informées précisément de la date. Dès la fin novembre 1946, celles-ci se trouvent sur le qui-vive. A plusieurs reprises, des forces de l’ordre sont sévèrement molestées par la population. Le 29 novembre 1946, entre Ifanadiana et Androrangavola, le 31 janvier à Marolambo, l’incident tourne à l’émeute. (…) Quant aux leaders du MDRM, ils multiplient depuis longtemps les mises en garde officielles pour détourner les militants du parti de toute action violente. (…) Un télégramme (du Bureau politique du MDRM de Madagascar du 29 mars 1947) est approuvé à l’unanimité : « prière de diffuser et afficher. Ordre impératif est donné à toutes sections, à tous membres du MDRM de garder calme et sang-froid absolus devant manœuvres et provocations toutes natures destinées à susciter des troubles au sein de la population malgache et à saboter la politique pacifique du MDRM. Diffusez et accusez réception. » (…)
Le premier foyer de l’insurrection se déclare vers 22 heures dans le district de Manakara, plus précisément dans un triangle dont les points seraient Ambila, Sahasinaka et Ampasimanjeva. Le premier objectif des insurgés est de s’attaquer aux garnisons militaires, aux postes de gendarmerie, tant pour récupérer des armes que pour neutraliser la réaction de leurs adversaires. Certains commandos prennent d’assaut les concessions européennes et les bâtiments administratifs. (…) L’insurrection est désamorcée partout où l’occupant se trouve sur le pied de guerre. A Tananarive en particulier, le coup de main est décommandé au dernier moment, et la circulation de plusieurs convois militaires dans les rues de la ville au soir du 29 mars a pu provoquer en partie cette ultime défection. (…) Au matin du 30 mars, il est évident que les conjurés n’ont pas atteint leur but, celui d’ » un soulèvement de tous, partout et à la même heure. » Pourtant, cet échec initial n’empêche pas l’insurrection de s’étendre rapidement à partir de ses foyers des districts de Manakara et de Moramanga. Les troupes qui ont attaqué le camp de Tristani se replient le long de la voie ferrée du M.L.A, en dévastant les concessions des colons européens ou malgaches francophiles. La plupart sont massacrés. (…) Au bout de quelques jours, l’insurrection a gagné l’ensemble de la côte est, puisque Mananjary, Tamatave, Fénérive, Antalaha, Andapa, Sambava et Vohémar sont à leur tour plus ou moins menacées. (…) Dans toutes régions contrôlées par les insurgés, un gouvernement malagasy s’organise, sous l’autorité plus ou moins directe de Victorien Razafindrabe au nord, et de Michel Radaoroson (dit Rakotozaly) au sud. (…) Jusqu’en juillet 1947, l’insurrection ne cesse de s’étendre. Il s’agit de contrôler les secteurs les plus vastes possible, et de mobiliser les populations paysannes en vue de « l’attaque décisive » sur les grands centres. Des combats sont livrés jusque dans les banlieues de Tananarive, Fianarantsoa et Tamatave. L’occupant redoute très fortement que l’insurrection gagne l’ensemble des régions centrales et déferle ensuite sur les régions occidentales. (…)
Les leaders du MRDM se désolidarisent, dès qu’ils en ont eu connaissance, du mouvement de violence inauguré sur la côte est, fidèle en cela à leur appel au calme du 27 mars. (…) Ils sollicitent la possibilité de faire afficher dans tout Madagascar, ou au besoin de radiodiffuser, une « proclamation » désavouant l’insurrection de manière catégorique : « Nous réprouvons de la façon la plus formelle ces actes de barbarie et de violence et nous espérons que la justice fera jaillir toute la vérité et déterminera la responsabilité de ces crimes. » (…)
Depuis le 1er avril, la Justice a ouvert une vaste instruction judiciaire sous l’inculpation de complot contre la sûreté de l’Etat et ordonné l’arrestation des militants MDRM les plus influents. Aussitôt une répression policière implacable s’abat sur tout Madagascar : c’est à la vérité tous les militants du parti qui sont traqués quel que soit leur rang. Les inculpés sont entassés sans ménagement dans des prisons trop exiguës, quand ce n’est pas dans de véritables camps de concentration « aménagés » à la hâte. Dans de telles conditions, la situation des détenus est intolérable. Les sévices de toutes sortes et les tortures subies au cours des interrogatoires de l’instruction viennent ajouter à leurs souffrances physiques et morales. (…)
Contrairement aux prévisions initiales des autorités françaises, la répression militaire de l’insurrection malgache se révèle longue et coûteuse. Revenu de son optimisme du mois de juin, le général Pellet écrit dans un rapport en septembre 1947 : « Il serait prématuré d’émettre dès maintenant une opinion sur l’avenir de la rébellion. (…) Pourtant tous les moyens sont mis en œuvre pour en venir à bout. La tête des chefs insurgés est mise à prix. Des tribunaux d’exception se forment pour procéder à des exécutions exemplaires autour desquelles il est fait grand tapage. Des inculpés soumis à la torture puis corrompus sont envoyés auprès des insurgés comme agents de renseignement. » (…)
Dans les districts en état de siège, le sort des populations civiles peut devenir dramatique. (…) Le chef de district d’Ambatondrazaka fait procéder à des arrestations massives. Le 5 mai, avant l’aube, 16 otages sont transférés à la gare et enfermés dans trois wagons plombés, affectés d’ordinaire au transport des bestiaux. (…) Vers minuit, les militaires de garde reçoivent l’ordre de faire feu sur le train. (…) les 71 rescapés de cette tuerie sont transférés à la prison. (…) Ils en sont extirpés définitivement le jeudi 8 mai dans l’après-midi pour être conduits devant le peloton d’exécution. (…) C’est « l’affaire du train de Moramanga ».
Afrique noire
En Afrique aussi, contrairement à une image mensongère, il y a une classe ouvrière et elle a déjà tout un passé de luttes de classe. Un des mensonges les plus couramment diffusés concernant l’indépendance de l’Afrique coloniale française est qu’elle aurait été octroyée sans lutte. En fait, la lutte de classe s’y est développée à la fin de la guerre mondiale avec un développement notamment de grandes luttes ouvrières, comme du côté colonial anglais. L’après-guerre a été explosive sur le continent noir comme dans le reste du monde, à la mesure des souffrances subies et de la prise de conscience qu’elles entrainaient. La guerre mondiale et l’après-guerre n’ont fait qu’accroître l’exploitation des peuples colonisés. Mais ils leur ont dévoilé les richesses de l’impérialisme et les guerres entre impérialismes ont montré aussi la possibilité de le battre. C’est ce qui a incité en 1944, à Brazzaville, De Gaulle à parler de liberté des peuples d’Afrique. La réalité était tout autre et on le voyait déjà dans le contenu de ces déclarations. La conférence de Brazzaville écrivait en préalable : « Les faits de l’œuvre de la civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’empire. La constitution même lointaine de self gouvernement est à écarter. » Le programme général confirme : « On veut que le pouvoir politique de la France s’exerce avec précision et rigueur sur toutes le terres de son empire. » La réalité coloniale durant et à la fin de la guerre en dit encore plus long. Toute la thèse de la « France libre » est là dedans de la droite au parti communiste. Ce dernier reproche au Maréchal Pétain de « ne pas s’être opposé à la pénétration japonaise en Indochine, la grande colonie française de l’extrême orient (…) et de vouloir livrer la Syrie aux Allemands. » N’oublions pas qu’à la fin de la guerre, c’est le PCF qui poussera les résistants à s’engager dans le corps expéditionnaire en Indochine, que c’est le ministre « communiste » Tillon qui commandera les forces armées aériennes françaises quand celles-ci bombardaient l’Algérie à Sétif en 1945. La guerre n’a pas changé la nature de l’impérialisme français côté vichyste comme côté gaulliste. L’essentiel des colonies est vite passé côté « France libre » mais le colonisé y est toujours un esclave dont la vie ne compte pas. Le Tchad, passé très rapidement dans le camp de la « France libre » de De Gaulle, ou camp de l’impérialisme anglo-américain, est une colonie qui exploite et opprime affreusement ses populations. L’exploitation y est même accrue à l’après-guerre, reconstruction du capital français oblige. Le massacre de Madagascar comme celui de Sétif en Algérie, les émeutes du Maroc violemment réprimées, la répression du Kenya comme celle du Vietnam, montrent pleinement que les impérialismes n’étaient ni plus pacifiques, ni plus démocratiques, après la guerre qu’avant, malgré la nécessité après la guerre de reconstituer les illusions et les faux espoirs des peuples.
L’Apartheid d’Afrique du sud a été une politique de la bourgeoisie, sud-africaine et impérialiste, face à la lutte de classe exacerbée par la guerre. En Afrique du sud, la lutte de la classe ouvrière s’est développée en pleine deuxième guerre mondiale. En 1940 et 1941, les travailleurs ont mené des grèves dures malgré les mesures gouvernementales déclarant illégale toute grève d’Africains « en toute circonstance ». An août 1943, à Alexandra près de Johannesburg, un vaste mouvement de boycott eut lieu contre la hausse des tarifs des transports. En même temps, la classe ouvrière prenait conscience de sa force. Le syndicat des mineurs se reconstituait. En 1946, éclatait une grande grève spontanée des mineurs et la répression eut un mal considérable à faire reprendre le travail. La bourgeoisie sud-africaine, consciente du danger que représentaient désormais les grèves des Africains, mit en place l’Apartheid en 1948.
Dès 1945, la répression coloniale française fait rage en Afrique. Elle prend un tour violent à Douala, au Cameroun. Dans cette ville, c’est un soulèvement spontané de la classe ouvrière qui menace de débuter une véritable insurrection anticoloniale. Elle est écrasée dans le sang le 24 septembre 1945. Au début des événements, la grève des journaliers du chemin de fer pour laquelle le quartier populaire de Bou-Béri a pris fait et cause. C’est toute une population pauvre qui s’est mobilisée, armée seulement de bâtons, et a envahi le quartier de New Bell. Les Blancs réagissent à l’arme à feu, faisant immédiatement 80 morts et lançant une chasse à l’homme contre les militants ouvriers. Les chemins de fer sont un des hauts lieux de la classe ouvrière et, partout, ils sont le point central de la mobilisation. En 1947, a lieu également la grande grève des cheminots dans toute l’Afrique française, qui s’est étendue du Sénégal à la Côte d’Ivoire. On peut également citer la grève qui oppose les cheminots, et avec eux tous les travailleurs, aux Blancs armés de Matadi à Léopoldville, ou encore le soulèvement ouvrier au Kenya en 1947, dans le centre ferroviaire de Mombasa où, pendant onze jours, dockers et cheminots dirigent toute la classe ouvrière, domestiques compris, et font la loi dans la ville. En 1945-46, au Congo-Zaïre, ont lieu des mouvements de grève des lignes de chemins de fer accompagnés de révoltes urbaines. En 1946, c’est la grève de Dakar, en 1949 la grève des mines de charbon du Nigeria, les émeutes en Côte d’Ivoire en 1947 et 48. Et encore, en 1950, c’était à Nairobi qu’avait lieu la grève générale. Enfin, en 1956, en Côte d’ivoire et au Nigeria, de nouveaux soulèvements de la classe ouvrière réprimés férocement, par des fusillades et des arrestations. Puis, il y a eu des mouvements nationalistes notamment à Madagascar, au Cameroun ou au Congo (futur Zaïre). En même temps, se développait le mouvement Mau-Mau au Kenya qui prenait le tour d’une guerre civile en 1955. C’est tout le continent africain qui était concerné par la lutte d’indépendance mais aussi par le développement de la lutte et de l’organisation de la classe ouvrière.
Dans « Le 20e siècle américain », Howard Zinn rapporte sur ces mouvements : « Tout aussi inquiétants aux yeux du gouvernement américain, des mouvements indépendantistes éclataient partout à travers le monde chez les peuples colonisés. Des mouvements révolutionnaires se développaient en Indochine contre les Français, Indochine contre les Hollandais, aux Philippines contre les Etats-Unis. En Afrique, la rébellion et le mécontentement s’exprimaient au travers des grèves. Dans « Let freedom come », Basil Davidson fait état de la plus longue grève de l’histoire africaine conduite par dix-neuf mille cheminots d’Afrique Occidentale française en 1947 ; elle dura cent soixante jours. Le message qu’ils adressèrent au gouvernement général exprime assez bien le nouvel esprit militant qui les habitait : « Préparez vos prisons, sortez vos mitrailleuses et vos canons. De toute façon, le 10 octobre à minuit, si nos revendications ne sont pas acceptées, nous proclamerons la grève générale. » L’année précédente, en Afrique du sud, cent mile mineurs des exploitations aurifères avaient cessé le travail pour obtenir 10 shillings supplémentaires par jour. Il s’agissait de la plus grande grève de toute l’histoire de l’Afrique du sud et il fallut une intervention de l’armée pour que les mineurs reprennent le travail. En 1950, au Kenya, il y eut également une grève générale pour protester contre les salaires de misère. (…) En Chine, en Corée, en Indochine, aux Philippines, il s’agissait de mouvements communistes locaux et non de complots soviétiques. Cette vague généralisée de révoltes anti-impérialistes conduisit les Etats-Unis à fournir un effort gigantesque pour en venir à bout (…) »
Le rôle dirigeant, le caractère central, de la classe ouvrière dans la contestation de la domination coloniale à la fin de la guerre, est évident. Et d’autant plus qu’il convient de rappeler que les « élites » africaines comme Houphouët Boigny ou Senghor ne sont pas du côté des grévistes ni des émeutiers. Des leaders syndicalistes apparaissent et jouent un rôle dirigeant dans les luttes sociales et politiques. Par contre, les petites bourgeoisies et bourgeoisies nationales ont des leaders qui ne revendiquent généralement même pas l’indépendance et ne prennent pas la tête des luttes. Là où des soulèvements des masses pauvres des campagnes explosent, comme en Algérie, à Madagascar, au Kenya, ou au Congo, elles sont amenées à les accompagner mais ne leur offrent aucune perspective. La radicalité des luttes sera plus due à la violence de la répression coloniale qu’à la radicalité des leaders de la petite bourgeoisie. Les dirigeants staliniens sont en pleine phase « démocratique », d’ « alliance anti-fasciste » avec leur colonialisme au nom de l’alliance de l’URSS avec l’impérialisme. Les dirigeants petits bourgeois en restent aux espoirs suscités par les discours de De Gaulle à Brazzaville. Les petites bourgeoisies nationalistes craignent de perdre cette perspective d’être appelées à gouverner en prenant partie pour les masses populaires. Les dirigeants nationalistes sont des modérés qui jouent le jeu électoral. Les Partis communistes obéissent à la politique de Moscou d’alliance contre-révolutionnaire avec l’impérialisme ce qui les empêche même d’être anti-colonialistes. Le PCF reprend la politique de la bourgeoisie et du colonialisme français, intitulée « Union française », qui consiste à maintenir à tout prix l’essentiel de son empire colonial malgré la défaite du régime de Pétain allié à Hitler. Les partis communistes des colonies s’alignaient. Le Parti communiste algérien prétendait rester dans le cadre de l’alliance avec la France au nom de l’antifascisme, allant jusqu’à traiter les émeutiers de 1945 de fascistes. La Parti communiste tunisien condamnait en bloc toute agitation nationaliste. La CGT tunisienne perdait ainsi son influence sur le prolétariat tunisien au profit de l’UGTT de Ferhat Hached.
Algérie
Document :
Extraits de « La question coloniale et la politique du Parti communiste français (1944-47) »
de Grégoire Madjarian :
« Le 8 mai 1945, dans toute l’Algérie, devait être célébré l’armistice. Des cérémonies officielles avaient été prévues. Un mot d’ordre clandestin du PPA avait circulé : « Le jour de la victoire, manifestons pour exiger, après le sacrifice et la conduite héroïque des Algériens dans l’armée française, un peu de démocratie et de justice ! » Une fraction légaliste des Amis du Manifeste, croyant éviter ainsi l’intervention policière, envoya une délégation demander au gouverneur général l’autorisation de s’exprimer. Les délégués ne sortirent pas de la résidence générale : ils avaient été arrêtés et les autorités prévenues.
Le jour de l’armistice, eurent lieu dans plusieurs villes des manifestations d’ampleur et de forme diverses. A Bône et Didjelli, les manifestations se joignirent au cortège officiel et déployèrent leurs propres banderoles. Des défilés analogues furent organisés à Batna, Biskra, Kenchela, Blida, Berrouaghia et Bel-Abbès. A Saïda, la mairie fut incendiée. A Alger, les fidèles n’assistèrent pas à la cérémonie officielle de la Grande Mosquée. Les incidents les plus graves eurent lieu à Sétif et Guelma.
A Guelma, peu de musulmans avaient assisté aux cérémonies officielles : les comité des AML organisait sa propre manifestation avec des mots d’ordre tels que « Vive la démocratie ! », « A bas l’impérialisme ! », « Vive l’Algérie indépendante ! ». La police tira sur la foule.
A Sétif, un cortège de quinze mille personnes se dirigeait vers le monument aux morts afin d’y déposer une gerbe, arborant pour la première fois le drapeau algérien vert et blanc. Les manifestants brandissaient des pancartes et des banderoles : « Démocratie pour tous ! », « Libérez Messali ! », « Libérez nos leaders emprisonnés ! », « Vive la victoire alliée ! », « Vive l’Algérie indépendante ! », « A bas le colonialisme ! », « Pour une Constituante algérienne souveraine ! ». La police ouvrit le feu à la suite d’un ordre du sous-préfet de retirer pancartes et banderoles.
Ces manifestations furent le point de départ d’un soulèvement qui s’étendit à la Kabylie des Babords, se propagea dans une grande partie de la région du Constantinois. Des messagers allaient dans les campagnes, les villages les plus reculés, pour faire le récit des manifestations de Sétif et Guelma et de leur répression. Les responsables locaux des AML organisaient leurs militants et dirigeaient des attaques contre les bâtiments de l’autorité française : la mairie, la poste, la recette des contributions, la gendarmerie.
Les centres de Aïn-Abessa, Sillègue, le bordj Taktount Bouga (La Fayette), ainsi que Kerrata furent encerclés. Les centres de Béni Aziz (Chevreuil) assiégé aux cris de « Djihad ! Dkihad ! » fut entièrement incendié.
Des groupes armés venus des douars voisins assaillirent Guelma, le 9 mai, pour venger leurs morts, et le car de Bougie à Sétif fut attaqué. Le 10 mai, le village d’Aokas (commune morte d’oued Marsa), la gendarmerie de Tesara, le bordj et la poste de Fedj M’zala furent encerclés. Dans la région d’oued Marsa, les communications téléphoniques furent coupées, des gardes forestiers tués.
Dans la région des Babors, au nord de Sétif, l’émeute prit « l’allure d’une véritable dissidence » d’après le rapport du général de gendarmerie. Les troupes étaient « accueillies dans certains douars à coups de fusils et même d’armes automatiques ». Des rassemblements d’hommes armés étaient signalés à El Arrouche, Azzaba, oued Amizour, Smendou, Chelghoun-Laïd, El Milia, ouest-Zénati. Entre Tizi-Ouzou et Thénia, les fils téléphoniques furent coupés. Des dépôts d’armes clandestins furent signalés à Tébessa.
Des bruits circulaient à propos d’un soulèvement général, bruits qui n’étaient, nous le verrons plus loin, pas sans fondement. Plusieurs groupes armés de paysans s’attaquèrent aux villages et aux centres de colonisation. Fermes, colons, représentants de l’ordre colonial furent les cibles de la révolte.
A propos des événements de mai 1945 et afin de dégager leur signification, il est nécessaire de poser plusieurs questions distinctes : de quel ordre sont les facteurs qui ont déterminé le soulèvement du Constantinois, quelles sont les causes immédiates du déclenchement de l’insurrection, y a-t-il eu préparation d’une insurrection, y a-t-il eu volonté insurrectionnelle ?
A l’époque, à côté de la thèse d’un complot fasciste qui fut, nous le verrons plus loin, la principale thèse officielle et qui ne repose sur aucun fondement, vint s’adjoindre celle d’une révolte de la faim. Bien que la situation des musulmans, et en particulier celle des fellahs, fût dramatique, de nombreux éléments contredisent cette dernière thèse. Pendant les événements, « Le Monde » remarquait : « Au cours de ces journées sanglantes, ni les silos remplis de blé ni les entrepôts de denrées ne furent pillés. « En 1948, Bénazet écrivait : « Non seulement les manifestants des cortèges n’ont jamais poussé des clameurs ou arboré des pancartes contre le ravitaillement » mais les silos de la région « remplis de grains et laissés sans protection, ne souffrirent nulle atteinte. » (…)
Sur le déclenchement des événements, l’analyse de Mohamed Boudiaf et le témoignage qu’il a recueilli, attribuant un rôle déterminant aux provocations policières, semblent faire le point sur cette question : « L’effervescence populaire était à son comble, les autorités coloniales, décidées à reprendre la situation en mains, cherchaient l’occasion de frapper un grand coup (..) J’ai eu plus tard l’occasion d’en parler avec le responsable du parti (le PPA) de Sétif, Maïza, il n’avait aucune directive et ne savait quoi répondre aux militants qui vinrent lui en demander après le début des incidents dans la région. Ce sont les provocations qui ont mis le feu aux poudres. Le scénario fut le même un peu partout. Dès que les drapeaux étaient sortis, la police tirait sur le porteur. La foule réagissait. » (El Jarida – novembre-décembre 1974)
(…) Par contre, après le 8 mai, des responsables du Constantinois demandèrent aux dirigeants du PPA d’appeler à l’insurrection générale pour soulager les populations de la région qui supportaient, seules, le poids de la répression, mais celle-ci n’eut pas lieu, à cause notamment des tergiversations de la direction du PPA. (…) Il apparaît, comme l’écrit Mahfoud Kaddache dans « Il y a trente ans », que « les événements de Sétif et Guelma furent considérés comme le signal de la révolution, de la guerre libératrice. » Ainsi, les heurts et les fusillades qui se produisirent dans les deux villes en question – et ce dernier élément seul permet de comprendre l’embrasement du Constantinois – ne trouvèrent un écho que parce qu’il existait une volonté insurrectionnelle dans les masses.
Dirigée par le général Duval, la répression du soulèvement du Constantinois fut d’une sauvagerie indescriptible. (…) dans un message à l’ONU, Messali Hadj dira des événements du Constantinois qu’ils « ont coûté plus de quarante mille victimes au peuple algérien. » (…)
Comment ces massacres furent-ils justifiés par les autorités et acceptés par l’opinion de la métropole ? (…) la version officielle du gouvernement de l’Algérie, version qui fut également celle des trois partis politiques au pouvoir sous la tête gaulliste (MRP, SFIO et PCF) était la suivante : le soulèvement du Constantinois était un « complot fasciste » accompli par des « agents hitlériens ». L’armée n’était dépêchée que pour « poursuivre l’action patriotique de nettoyage ». (…)
Le 11 mai, « L’Humanité » relatait les événements du 8 en rapportant la déclaration du gouvernement général : « Des éléments troubles d’inspiration hitlérienne se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la capitulation hitlérienne. La police, aidée de l’armée, maintient l’ordre. » En publiant sans réserves ces propos sous le titre : « A Sétif, attentat fasciste le jour de la victoire », le quotidien du PCF accréditait la version de l’administration coloniale. (…)
(Le 12 mai,) le Comité central du PCF, prenant une position sans nuances, recommandait explicitement une répression rapide et impitoyable. Il publiait immédiatement la révolution suivante : « Il faut tout de suite châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute. » (…)
Sur une distance de 150 kilomètres, de Sétif à la mer, la loi martiale fut proclamée. La troupe reçut l’ordre de tirer sans sommation. « sur le burnous ». Tout arabe ne portant pas le brassard réglementaire était abattu (témoignage de Charles-André Julien dans « L’Afrique du Nord »). Les légionnaires furent autorisés à massacrer toute la population arabe de Sétif et même ailleurs, où aucune manifestation n’avait eu lieu.
A Villard, pendant deux jours, une batterie de 75 bombarda les douars environnants. A Saint-Armand, les soldats eurent pour mission de raser tous les villages se trouvant à 15 kilomètres des centres de colonisation. Périgotville et Chevreuil furent entièrement détruits.
L’aviation bombardait et mitraillait à l’intérieur, tandis que les navires de guerre canonnaient des villages côtiers. D’après ce que reconnut le général Weiss, il y eut, en quinze jours, vingt actions aériennes contre la population. Les avions détruisirent 44 mechtas (groupe de maisons pouvant aller de 50 à 1000 habitants). La marine intervint devant Bougie et à Djijeli. Le croiseur Dugay-Trouin, venu de Bône, fut employé au bombardement des environs de Kerrata. Le douar Tararest fut rasé. Des douars entiers disparurent. (…)
A Guelma, la réaction viscérale de la population européenne, sous l’initiative du sous-préfet, mena à l’organisation d’une milice. Le comité de vigilance, qui recrutait et contrôlait la milice, comportait une forte majorité de combattants de la « France combattante », y compris deux responsables du Parti communiste algérien, ainsi que le secrétaire de l’Union locale de la CGT. Dans ce qui fut l’une des opérations de représailles les plus meurtrières de mai 1945, les miliciens massacrèrent entre 500 et 700 « musulmans ». (…)
Le mouvement syndical de la métropole, par l’intermédiaire de son principal représentant, la CGT, adopte des positions voisines du PCF (…) afin de « souligner l’action courageuse et magnifique des organisations syndicales d’Algérie pour empêcher que le mouvement ne s’étende à d’autres régions. »
Si la situation était révolutionnaire en Algérie à la fin de la deuxième guerre mondiale, en Algérie comme sur une bonne partie de la planète, l’inexistence de partis révolutionnaires était aussi très générale et détruisait l’essentiel des possibilités de la situation. La révolte a éclaté en 1945 en Algérie, alors que les travailleurs et les masses populaires ne disposent d’aucune organisation favorable à une révolution sociale renversant le colonialisme. Le plus important parti dans les masses populaires, algériennes comme pied-noires, est le Parti Communiste Algérien. Alors que le Parti Communiste Français, qui participe au gouvernement, soutient le colonialisme [1] et participe [2] à la répression de la révolte, le PCA déclare : « Frères musulmans, le peuple de France lutte contre tes ennemis : le fascisme et les trusts qui oppriment l’Algérie en même temps qu’ils trahissent la France (…) dans cette lutte, une France nouvelle se crée, qui n’aura rien de commun avec celle d’hier. (…) Ton intérêt propre est donc d’aider cette France nouvelle à se créer, à se forger, car c’est le chemin de salut pour toi. » (extrait de « Le PCA au service de la population d’Algérie », rapport de Amar Ouzegane à la conférence centrale du PCA à Alger le 23 septembre 1944). Il va dénoncer la lutte d’indépendance comme « fasciste ». Le PPA, parti nationaliste de Messali Hadj, qui avait des origines communistes (L’Etoile Nord-africaine), choisit tactiquement de jouer le jeu des élections dans le cadre colonial, comme l’avait fait l’Association du Manifeste et de la Liberté de Ferhat Abbas. Même sa frange paramilitaire, l’Organisation Spéciale, dirigée par Ben Bella et Aït Ahmed, plus portée sur l’action directe comme le montrera son évolution en FLN, affirme qu’il ne fallait pas faire la révolution sociale, pas de soulèvement en masse, en 1945. Le rapport de l’OS en 1947 sur l’analyse des événements de 1945 dans le Constantinois et dans toute l’Algérie, dont voici quelques extraits, est édifiant sur le caractère contre-révolutionnaire de la petite bourgeoisie nationaliste radicale :
Rapport de l’Organisation Spéciale (formation paramilitaire clandestine du PPA) pour le Comité Central élargi de décembre 1948 du Parti du peuple algérien PPA-MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) et adopté par celui-ci :
« Nous nous proclamons un parti révolutionnaire. Le mot révolutionnaire est dans les propos de nos militants et de nos responsables. Notre vocabulaire est dominé par des formules à l’emporte-pièce, extrémistes, magiques telles que « le problème algérien est un problème de force », « nous sommes pour l’action, contre les discours » ; en attendant, nous ne cessons de discourir. (…) Aujourd’hui que l’électoralisme a fait faillite, le regard doit se porter résolument vers les véritables objectifs. Notre but est de mobiliser toutes les couches de la population algérienne, d’entraîner même les « mécontents », les « hésitants », même ceux qui sont contre les « inégalités choquantes ».
« Des idées fumeuses, voire saugrenues, bouchent notre conscience. En parlant de soulèvement, certains y voient une forme d’insurrection « généralisée », à l’exemple de celle de 1871, étendue à l’ensemble du territoire national. (…) Le but de ce rapport est de préciser la donnée principale de la révolution : la ou les formes de lutte que doit revêtir la lutte de libération. »
« Quelle forme prendra la lutte de libération ? La lutte de libération ne sera pas un soulèvement en masse. L’idée de soulèvement en masse est en effet courante. L’homme de la rue pense que le peuple algérien peut facilement détruire le colonialisme grâce à une supériorité numérique : dix contre un. Il suffira de généraliser à l’Algérie entière un soulèvement populaire. (…) En réalité, l’idée de « soulèvement en masse » se fonde sur des souvenirs historiques, au niveau de l’opinion populaire. Les paysans n’oublient pas la grande insurrection de 1871. De père en fils ils ont hérité le regret viscéral que cette insurrection fut circonscrite à la Kabylie, à quelques régions de l’Algérois et du Constantinois. Ils peuvent croire que cette insurrection aurait réussi si elle avait éclaté partout. Il faut préciser tout de suite que cette conception n’est pas partagée par les populations de Kherrata qui ont connu le massacre de mai 1945, ni par celles de Kabylie qui depuis cette date connaissent les répressions les plus dures. Les événements qui ont suivi « l’Ordre du 23 mai 1945 » indiquent à quelles aventures tragiques peuvent conduire des idées archaïques. (…) L’insurrection de 1871 a échoué, moins parce qu’elle était géographiquement limitée qu’en raison de son caractère spontané, improvisé et des conceptions militaires erronées de ses dirigeants. (…) Le soulèvement en masse est une forme de lutte anachronique. La notion de supériorité de la multitude, nous en avons fait l’expérience, a déjà bouché la conscience que devait avoir nos dirigeants des bouleversements engendrés par l’armement moderne dans l’art de se battre pour se libérer. Aux yeux des militants qui ont éprouvé directement les conséquences de « l’Ordre et du Contre-Ordre d’insurrection », l’histoire du « cheval blanc » et du drapeau vert » est plus qu’une anecdote humoristique. (Note : le PPA a donné un ordre d’insurrection, puis l’a décommandé, mais le contrordre serait arrivé trop tard en Kabylie et à Saïda). (…) L’expérience du soulèvement avorté du 23 mai 1945 est plus proche de nous que l’échec de la révolution de 1905, ou la débâcle des patriotes irlandais lors de l’insurrection de Pâques 1916 et du terrorisme qui l’a suivit. De plus, c’est notre propre expérience ; elle a profondément marqué les militants qui l’ont vécue et qui en ont tiré les leçons pour eux-mêmes et pour le parti. En été 1945, le district de la Grande Kabylie reçoit l’ordre d’abattre les candidats aux élections cantonales. Les responsables du district refusent d’exécuter cet ordre. (…) Nous pouvons tuer et prendre le maquis, si le parti a prévu la djihad comme étape suivante. (…) La forme de lutte individuelle conduit à nous mettre en position de moindre efficacité et de moindre résistance. (…) par contre, le terrorisme sous sa forme défensive ou d’appoint, c’est-à-dire le contre-terrorisme, peut jouer un rôle dans le cadre de la guerre populaire, comme en Indochine. (…) La guerre est un instrument de la politique. Les formes du combat libérateur doivent se mesurer à l’aune de la politique. (…) La lutte de libération sera une véritable guerre révolutionnaire. (…) La lutte de libération de l’humanité algérienne sera donc une guerre. Elle assumera les proportions d’un conflit avec la puissance coloniale avec tout son potentiel militaire, économique et diplomatique, donc politique. (…) Aussi la guerre révolutionnaire est la seule forme de lutte adéquate aux conditions qui prévalent dans notre pays. C’est la guerre populaire. Il importe de préciser que nous n’entendons pas par là les levées en masse. Par guerre populaire, nous entendons guerre des partisans menée par les avant-gardes militairement organisées et solidement encadrées. (…) Et d’abord posons-nous la question : quels sont les principes directeurs qu’il faut réunir pour assurer la victoire de cette guerre de libération ? Sur quels éléments doit se baser notre stratégie pour être victorieuse ? (…) Les principes directeurs de notre stratégie sont l’avantage du terrain, la guérilla comme forme de guerre principale, la défense stratégique et non l’offensive, la formation de bases stratégiques (…). Le principe directeur se rapportant à l’unité d’action avec le Maroc et la Tunisie se situe à la charnière des problèmes de stratégie intérieure et de stratégie extérieure. Nous préférons les situer à cette frontière. (…) Cependant, l’Algérie se condamnerait à perdre d’avantage, c’est-à-dire tous les autres atouts, si elle faisait une condition sine qua non d’un dispositif maghrébin préalable. (…)
« Les thèses assimilationnistes sont bel et bien enterrées. Même le Parti communiste algérien semble se soumettre devant le puissant courant qui porte nos masses vers la libération. Il court derrière le peuple dont il prétend être l’avant-garde. Il va jusqu’à sacrifier comme bouc émissaire, Amar Ouzegane, son secrétaire général (note : il est présenté comme responsable du soutien du PCA au massacre colonialiste français de Sétif et du Constantinois, décision du PCA et du PCF, qui résulte de la participation du PCF au gouvernement français et de l’alliance contre-révolutionnaire du stalinisme et de l’impérialisme à la fin de la guerre). (…) Cependant, depuis le truquage éhonté des élections d’avril dernier, au vu de la répression qui a précédé et suivi ces truquages, le peuple algérien dans son ensemble a découvert le caractère dérisoire et vain du réformisme, basé sur la légalité coloniale. (…) le patriotisme rural a triomphé dans l’opinion avec la dureté qui caractérise l’oppression subie par les masses rurales : « Ne nous appelez plus aux urnes, donnez nous des armes ». (…) Ici apparaissent les dangereuses faiblesses de l’Organisation Spéciale OS. Nous manquons d’armes et d’argent. (…) Le problème de l’armement doit être le souci majeur du parti. (…) Un appareil émetteur-récepteur nous a coûté 100.000 francs, l’équivalent du budget de fonctionnement mensuel alloué à l’organisation. Aucun sou n’a été consacré par le parti à l’achat d’armements. (…) Nous disposons aujourd’hui de trois organisations toutes structurées à l’échelle nationale. Il y a le MTLD, appareil légal et public. Il y a l’OS, organisation paramilitaire, ultra clandestine. Il y a le PPA, appareil semi clandestin ou prétendu tel. Ces trois structures correspondent au schéma décidé par le Congrès de 1947. (…) Dans des localités, les responsables de l’OS sont à la fois dirigeants des sections locales du MTLD, du PPA et conseillers municipaux. N’ayant pu être remplacés à leurs « fonctions » légales ou semi légales, ces responsables n’ont pas pu se conformer aux directives de l’état-major de l’OS qui leur « fait obligation de se faire oublier » des autorités … des polices et des masses. »
« Puisqu’on nous parle souvent de « plan de sécurité », il n’en existe pas d’autre que le maquis. Les militants sont aujourd’hui connus de toute façon. Ils ne peuvent pas échapper aux coups de filet par « la simple vigilance ». Ils doivent pouvoir continuer leurs activités au sein des masses en s’intégrant clandestinement à elles. «
« Perspectives
« Cette guerre de libération mettra aux prises, nous n’aurons de cesse de le rappeler, une puissance mondiale à une nation désarmée qui de surcroît a été soumise à une politique de dépersonnalisation et d’asservissement pendant plus d’un siècle. (…) La guerre populaire de libération nous donne des atouts. D’abord la force morale d’une cause juste (…) Les vertus guerrières de notre peuple, le mépris du danger, la force de caractère et d’esprit, la persévérance trouveront dans l’Islam bien exploité un élément de mobilisation et de soutien dans les vicissitudes, les revers, le deuil et les « hasards » de la guerre. Ensuite, l’Algérie c’est notre pays. Le peuple algérien connaît ses moindres recoins. Il fait corps avec le relief. La guerre de partisans, avec ses fonctions de commandos dans les villes, ses actions de sabotage généralisées, nous permettra de tirer le maximum de ces atouts, c’est-à-dire de durer et d’atteindre les objectifs de la défense stratégique. (….) Il s’agit de combler nos lacunes et de travailler en profondeur nos masses rurales. Le patriotisme révolutionnaire est dans les campagnes ; la paysannerie pauvre, la paysannerie des khammes, les petits paysans constitueront l’élément moteur de la guerre de libération. Leur tempérament, l’amour patriotique qui s’aiguise dans le nif (note : sentiment de l’honneur) et la « convoitise de la gloire « , leur dévouement fanatique, gage de fermeté et d’obstination, toutes qualités et force d’âme qui les ont rendu jadis et les rendront encore maîtres dans l’art de la guérilla. (…) la nature même chez nous de l’oppression coloniale de même que la répression sous toutes ses formes, économique, policière, terroriste, administrative, ont atteint des paliers exaspérants. D’où la véhémence du mécontentement général. Aujourd’hui, la conscience révolutionnaire consiste à exploiter l’impasse légaliste et les fiascos réformistes afin de familiariser les masses avec l’idée d’une véritable guerre et faire ainsi du recours à la violence non pas un geste de désespoir, de colère et de révolte, mais un geste révolutionnaire qui doit mener à la victoire. (…)
« Le mot d’ordre « La terre à ceux qui la libèrent » qui correspond aux aspirations de nos masses rurales aura un effet multiplicateur, c’est-à-dire durablement mobilisateur. Le slogan quémandeur « La terre à ceux qui la travaillent » est sans effet (…) Il importe de bétonner notre implantation rurale. Il faudra tirer avantage de l’influence des notabilités acquises au mouvement pour structurer les paysans.
« Nous voulons trois choses : des armes ! encore des armes ! toujours des armes !
La stratégie du harcèlement qui suppose des séries de petites attaques ne peut remplir son objet sans armes individuelles, pistolets mitrailleurs, fusils mitrailleurs, mitrailleuses légères, grenades offensives, grenades anti-chars. La stratégie de désorganisation de l’infrastructure coloniale, de dislocation économique et de destruction des voies de communication, suppose également les techniques d’explosifs les plus appropriées. Il est indispensable d’avoir dans chaque région des stocks de guerre. (…) Malgré les sacrifices des masses et la générosité des militants, le parti ne pourra au mieux que se procurer les ressources de subsistance à l’intérieur du pays. C’est à l’extérieur que nous devons nous approvisionner. (…) Une équipe doit être chargée de trouver les armes et les finances qu’exige la conjoncture. (…) Certains nous consentiraient un emprunt par solidarité sentimentale, anti-coloniale ou par communion de lutte contre l’impérialisme ; l’intérêt, le calcul n’y est peut-être pas totalement absent. Ils pourraient escompter des avantages politiques à plus ou moins long terme. »
« La proclamation de l’indépendance du Viet Minh, la guerre de libération qui se déroule au Tonkin, la résistance de l’Indonésie, les événements de Madagascar, le revirement anglo-saxon en faveur de l’indépendance libanaise et syrienne, autant de faits qui illustrent la puissance du phénomène anti-colonial. (…) Cette force « émancipatrice » est vitale du point de vue strictement militaire, par la dispersion de la puissance et des efforts du colonialisme et l’affaiblissement de son potentiel économique. (…)
« Nul doute que la résistance du Maghreb sensibilisera les musulmans au plus haut point. L’Islam est un facteur mobilisateur sur le plan moral et affectif. Il peut et doit apporter une contribution décisive dans la lutte de libération des peuples coloniaux. Aucun élément constitutif de cette force vitale ne doit être négligé, pour user et détruire la force vitale du colonialisme. »
« Depuis quelques mois, la guerre froide sévit. L’Algérie, le Maghreb, est dans la zone d’influence occidentale. Jamais les USA ne permettront qu’il passe du côté de l’Est. Gardons-nous d’apriorismes idéologiques et de slogans sentimentaux créés en dehors de l’espace et du temps. L’efficience révolutionnaire commande le séreux et la prudence dans le verbe. »
Rapport, rédigé en 1948 par Aït Ahmed et Ben Bella, dirigeants de l’OS, et adopté par Messali Hadj et le PPA, avant d’être appliqué comme stratégie par le FLN, issu de l’OS.
Kenya
Au Kenya, l’affrontement, qui va être impitoyable entre le peuple kenyan et le colonialisme anglais (rompant la prétention de ce colonialisme d’avoir pris en compte pacifiquement le passage à l’indépendance, comme en Inde et au Ghana), sera le fait exclusif de la révolte d’un côté et des forces coloniales de l’autre. Des leaders petits bourgeois, comme Jomo Kenyatta, vont faire maintes fois des offres de services au colonialisme anglais en se présentant comme un autre N’Krumah, mais sans succès. Son parti, le Kenyan African Union, est pacifiste, c’est-à-dire contre la violence révolutionnaire des masses africaines – la violence du colonialisme, il n’y peut rien bien sûr -. Il réclame seulement l’élargissement de la participation des Africains à un conseil qui n’a aucun pouvoir. Le KAU a une influence réformiste sur les syndicats qu’il entraîne dans son réformisme et la classe ouvrière ne jouera qu’un petit rôle dans la lutte. C’est le colonialisme anglais qui radicalisme la situation en affirmant, contre l’évidence, que le mouvement populaire des campagnes, le Mau-Mau, serait manipulé par le KAU. Ce mouvement de révolte a éclaté en 1952, parmi le peuple Kikuyu exaspéré par les exactions des Blancs qui volent les terres, le Kenya étant considéré par les Anglais comme une colonie de peuplement comme l’Afrique du sud et les propriétaires Blancs, 1% de la population, possèdent 25% des terres. Elle se traduit par des attaques physiques individuelles de colons blancs dans leurs fermes. Le colonialisme anglais le présente comme une lutte de sauvages barbares, et décide, en juin 1953, de déclencher une guerre d’extermination contre l’ensemble du peuple kikuyu. C’est la chasse à l’homme contre des paysans quasi complètement désarmés. 50.000 soldats britanniques et rhodésiens réalisent l’une des plus sanglantes répressions coloniales. Hommes, femmes et enfants sont déchiquetés par les bombardements des villages. Le pays tout entier est ratissé par l’armée. Ceux qui résistent sont abattus.
Extraits de « Le mouvement ’’Mau-Mau’’ » de Robert Buijtenhuij :
« Le premier syndicat permanent du Kenya, le « Kenya Indian Labour Trade Union », fondé en avril 1935 par Makhan Singh, était une affaire entièrement indienne. Les syndicats africains brillaient à cette époque par leur absence (…). Ce n’est qu’en juillet 1939 que les dockers de Mombasa ont déclenché – plus ou moins spontanément – la première grève « noire ». Quels faits nouveaux nous frappent dans l’activité politique du Kenya après la seconde guerre mondiale ? Le fait, d’abord, que le réveil politique a commencé à toucher toutes les ethnies du Kenya sans exception (…) Il y a ensuite le fait que les Africains du Kenya ont trouvé dans les activités syndicales un nouveau champ de bataille. Après une nouvelle grève à Mombasa en 1947, grève générale cette fois à laquelle participaient 15 000 Africains et qui a eu un succès retentissant. Son organisateur, Chege Kibachia, a en effet fondé le premier syndicat africain, la « Africain Workers Federation ». Considérée avec méfiance par le gouvernement, cette organisationa été de courte durée ; elle s’est progressivement dissoute après l’arrestation de son président en août 1947. L’action de Chege Kibachia a cependant été à l’origine d’un mouvement syndical qui comptait en 1952, 27.588 membres en 13 syndicats ; à la même époque, il y aurait eu au Tanganika un seul syndicat avec 381 membres et en Ouganda trois organisations ouvrières avec 259 membres. Nous verrons que cette activité syndicale fait partie intégrante du cadre dans lequel il convient de situer la révolte mau-mau. L’événement qui cependant caractérise le mieux la nouvelle orientation de la vie politique (…) : le fondation du premier mouvement politique, la « Kenya African Union » dont l’origine remonte à 1944. (…) Jomo Kenyatta, revenu au Kenya en 1946, (…) devint président de cette nouvelle organisation en juin 1947. (…) C’était d’abord un mouvement de masse qui avait en 1952 au moins 100.000 membres et dont certains meetings attiraient des foules de 20.000 à 25.000 personnes. (…) Le KAU a posé dès le début le problème de l’Indépendance (…). Les colons, qui suivaient avec inquiétude l’évolution politique de la « Gold Coast », parlaient avec horreur du « Gold Coatism » pour désignet toute mesure favorable aux Africains. (…)
Le 25 novembre 1952, l’éviction de 2.500 squatters travaillant sur les fermes de Leshaw Ward pour des raisons de sécurité et par représailles à la suite de l’assassinat du commandant Meiklejohn et de son épouse, ces mesures inspirées par la peur et excécutées dans un climat de panique voisin de l’hystérie, ont été d’autant plus ressenties par l’ensemble des squatters que les évictions avaient été effectuées manu militari et que des méthodes particulièrement dures avaient été employées pour briser toute tentative de résistance ou de protestation. (…) Un exode soudain (…) a amné vers les réserves kikuyu une masse de squatters dont le nombre a été évalué de 100.000 à 200.000 personnes. (…)
Dans une première phase qui a duré de 1948 jusqu’en 1950, le mouvement a pris naissance parmi les masses déshéritées (…) Ce n’est que dans une deuxième phase qui a duré du début 1950 jusqu’à la déclaration de l’état d’urgence en octobre 1952, que des évolués et des leaders nationaux ont pris le pas sur les masses populaires anonymes. Puis, après la déclaration de l’état d’urgence et l’arrestation de la quasi-totalité des leaders nationaux kikuyus, les masses paysannes se sont retrouvées de nouveau seules pour s’engager dans la résistance armée. (…)
Cette armée paysanne sans armes, sans expérience militaire et sans cadres instruits, a malgré tout résisté durant près de quatre ans à l’armée moderne anglaise et, jusqu’en 1954, elle n’a pas seulement su garder ses positions, mais même les améliorer à certians égards. (…) Un facteur qui explique la durée de la résistance kikuyu est l’existence, à Nairobi et dans les réserves, d’un réseau de soutien, remarquablement bien organisé, qui a fonctionné pendant plusieurs années grâce à la complicité active ou passive de la grande majorité du peuple kikuyu. (…) Les structures territoriales de l’armée favorisaient les liaisons étroites entre les unités combattantes et les comités mau-mau dans les villages ou les communes d’origine des maquisards. (…) Ces comités mau-mau du réseau de soutien ont pu tenter sérieusement de se substituer au gouvernement colonial en créant une véritable « administration parallèle ». (…) Le réseau de soutien de Nairobi s’occupait surtout du ravitaillement des armées de la forêt en armes et en nouvelles recrues, et de la collecte des fonds nécessaires à la défense des membres du mouvement devant les cours de justice et à l’entretien des familles des membres du mouvement détenus ou disparus au combat. (…) Cependant, les leaders mau-mau de Nairobi n’ont jamais tenté d’exploiter leur contrôle sur la population africaine pour ouvrir un deuxième ou troisième front contre le gouvernement colonial. (…) L’exception (…) est une campagne de résistance passive lancée à Nairobi en 1953 et qui comprenait entre autres le boycottage des autobus municipaux européens et des boutiques de thé tenues par des Asiatiques ainsi que l’interdiction de fumer en public, de boire de la bière européenne et de porter des chapeaux. (…) Aucune grève générale et très peu de grèves partielles n’ont été mentionnées par les leaders du mouvement mau-mau (…)
Dans les réserves kikuyu, la politique (des Anglais) des « hameaux stratégiques » a été mise en œuvre pour empêcher le contact entre les combattants mau-mau et leurs supporters dans les campagnes. (…) A partir du début de 1954, le pays kikuyu commença à ressembler à un immense camp de concentration. Toute la population concentrée dans des villages nouveaux, devait d’ailleurs construire de ses propres mains, villages fortifiés et entourés de barricades et de barbelés, dont les habitants ne pouvaient sortir qu’une heure par jour (et encore sous escorte militaire) pour se ravitailler. (…) A partir de l’été 1954, l’armée mau-mau a été contrainte de se replier sur elle-même. La forêt devint alors sa seule dimension, son dernier sanctuaire dont elle ne sortait plus guère. (…)
Au fur et à mesure qu’approchait l’indépendance, les survivants (de l’armée mau-mau) se sont manifestés avec une audace croissante pour devenir, à la fin de 1963, un véritable problème pour les nouveaux responsables du pays. (…) A partir de l’été 1961, (…) la libération de Jomo Kenyatta était imminente et l’indépendance commençait à devenir une réalité relativement proche. La question des anciens combattants devenait brûante : quelle serait leur place dans le Kenya indépendant ? (…) le nouveau gouvernement de Jomo Kenyatta n’était pas prêt à leur accorder des faveurs (propriétés des anciens colons ou postes gouvernementaux). (…) En ce qui concerne les fermes, le gouvernement n’avait nullement l’intention d’exproprier les colons blancs. (…) Le Kenya de Jomo Kenyatta n’était ni radical ni socialiste (…) La révolte mau-mau était une révolution nationale et une révolte sociale en même temps, et en temps que révolte sociale elle réclamait les terres cultivées par les colons européens pour le peuple africain. Pour Jomo Kenyatta, par contre, la décolonisation signifiait avant tout l’indépendance politique et il entendait rester en bons termes avec les Anglais et les colons sur le plan économique. (…) Dès sa libération en 1961, Jomo Kenyatta a annoncé la couleur (…) « Nous n’avons pas l’intention de former un gouvernement de gangsters … Nous dissiperons les appréhensions des gens qui craignent qu’un Kenya indépendant ne se jette sur leurs propriétés pour les confisquer. » (cité par le Monde du 28 août 1961) (…) A l’égard de ceux qui croyaient pouvoir en toute impunité prêter serment d’allégeance à des organisations clandestines de résistance à la politique libérale officielle, Mr Kenyatta a déclaré (durant l’été 1963) : « Nous serons impitoyables à l’égard de ceux qui fabriquent des fusils dans la brousse. » l’indépendance elle-même n’a rien changé à cet état de choses. (…) En novembre 1963, un mois avant l’indépendance, un appel du gouvernement kenyatta aux derniers combattants leur enjoignait de se « rendre » avant la célébration officielle de l’indépendance. (…) Le premier à répondre à l’appel du gouvernement Kenyatta en vue d’une capitulation fut Mwariama, qui se présenta le 8 décembre 1963 à la résidence de Jomo Kenyatta à Gattundu. (…) Le maréchal Mwariama a été condamné en mars 1964 à cinq ans et trois mois de prison pour outrage à un agent de police en fonction et possession illégale d’armes. (…) Parmi les personnalités du nouveau régime, on ne compte à notre connaissance aucun ancien combattant de la forêt et peu d’anciens détenus (…). Sur le plan purement matériel aussi, très peu de choses ont été faites pour les anciens combattants. »
Si le pays obtient finalement son indépendance en 1963, cela ne signifiait pas effectivement une victoire pour les combattants comme le rapporte la romancière NGugi Wa thiongo dans « Pétales de sang » :
« C’était à la veille de l’indépendance. Alors, vous pouviez imaginer ce que cela représentait pour moi d’émotions, d’espoirs et de souvenirs. (…) Tout allait changer. Plus jamais, je ne verrai le Blanc se moquer de nos efforts. (…) Les usines, les plantations, tout allait être à nous. (…) Des mois et des semaines après, je chantais encore le chant de l’espérance. J’ai attendu la réforme agraire et la redistribution des terres. J’ai attendu un emploi. (…) J’ai entendu dire qu’on donnait des prêts pour permettre d’acheter les fermes des Européens. Je n’ai pas compris pourquoi il me faudrait acheter des terres déjà payées au prix du sang. (…) J’ai attendu. Je me suis dit : OK. Je me fais muet, je me fais sourd. Et j’ai regardé les choses évoluer. J’ai vu les événements. J’ai vu la tension monter entre les Noirs.
Cameroun
Au Cameroun, c’est la classe ouvrière qui commencé la lutte en 1955, comme on l’a rappelé, à Douala, à Yaoundé et dans d’autres villes de moindre importance. C’est ce qui va amener les dirigeants nationalistes comme Ruben Nyobe, ancien syndicaliste, à se radicaliser. L’organisation de Ruben, l’UPC, n’est pourtant pas si radicale. Au début, elle se contente d’organiser des manifestations non violentes. La répression ne va pas lui donner le choix. Pour le pouvoir français, il n’est pas question d’accepter le moindre compromis, car l’UPC est « communiste ». En 1955, la répression de Roland Pré, gouverneur du Cameroun, fait 5000 morts. L’UPC n’a pas choisi tout de suite la lutte armée. Très clairement, Um Nyobé, tout stalinien qu’il était, ne proposait pas la révolution, ni la lutte radicale. Il ne s’en cachait pas, déclarant : « Nous offrons des garanties qui prouvent non seulement notre détermination d’œuvrer pour sortir le Cameroun de l’impasse, mais aussi de travailler de concert avec le gouvernement français (…) ». Ce qui montre le mieux les limites sociales et politiques des nationalistes de l’UPC, c’est leur volonté de laisser la classe ouvrière en dehors du combat. L’UPC mobilise trois régions : Bassa, Bamiléké et la Sanaaga. Les travailleurs de Douala qui ont pourtant maintes et maintes fois montré leur combativité sont laissés en dehors par l’UPC. Nyobé a tourné le dos à la classe ouvrière, d’où il vient. Désormais, il est un dirigeant de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie camerounaises. Il s’adresse à eux ainsi qu’aux chefs traditionnels.
Au Moyen Orient
Iran
En Iran, dès 1944, ce sont les ouvriers qui ont donné le coup d’envoi de la lutte. Début 1944, c’est le soulèvement des ouvriers d’Ispahan qui donnent l ‘assaut aux réserves de grains des propriétaires, mouvement suivi de la grève générale dans toute la ville. Mais, c’est le 14 juillet 1946 que débute un grand mouvement des travailleurs d’Iran. La grève éclate dans le Khouzestan, fief de l’impérialisme britannique. Partie des travailleurs du pétrole sur des revendications économiques, elle concerne vite jusqu’à 60 000 travailleurs et dure quatre jours pendant lesquels ont lieu de combats de rue. Contre les travailleurs il y aura non seulement toutes les forces coloniales et bourgeoises, l’armée qui fait 46 morts, mais même le parti communiste Toudeh qui cherche à entreprendre une médiation pour arrêter la lutte. La centrale syndicale comme le Toudeh font tout pour que la grève ne s’étende pas et, en guise de remerciements, le Toudeh obtient trois postes de ministres en août. Ils seront renvoyés en octobre dès que la bourgeoisie aura repris des forces. Le pouvoir lance alors une attaque contre les travailleurs, licencie partout les syndicalistes, les arrête et les déporte par centaines. Le parti communiste Toudeh tout au long avait suivi la politique de Staline qui défendait ses propres relations et ses intérêts économiques face à la bourgeoisie iranienne.
Le Toudeh avait profité de l’occupation militaire russe pour constituer un gouvernement autonome en Azerbaïdjan et au Kurdistan mais en 1946 la politique d’alliance avec les impérialismes anglo-américain est plus importante pour Staline et il les abandonne en retirant ses troupes d’Iran en 1946. Les intérêts diplomatiques du Kremlin ne coïncident pas avec les intérêts nationaux des partis communistes et encore moins avec l’intérêt des peuples.
Des troubles politiques et sociaux ont agité l’Egypte, la Palestine, la Transjordanie, la Syrie, l’Irak et le Liban. Si l’impérialisme anglais et américain ont accepté de donner un Etat au peuple juif de Palestine c’est uniquement parce qu’ils se sentaient menacés par la révolte des peuples arabes à cette époque. Ces pays ont connu des journées populaires insurrectionnelles ont obtenu rapidement leur indépendance mais grâce à l’Etat d’Israël d’un côté et aux dirigeants nationalistes bourgeois de l’autre, ils sont parvenus à polariser la révolte des peuples et des classes ouvrières sur la lutte contre Israël.
Liban-Syrie
C’est dès 1943, que la « France libre » de De Gaulle obtient des engagement des Anglais en Syrie et au Liban. Ceux-ci sont reconnus parties de l’Empire français le 25 juillet 1941 : « l’Angleterre s’engage à respecter la position de la France en Syrie et au Liban. » (accord De Gaulle-Litteleton)
A l’été 1943, les élections donnent la victoire aux nationalistes arabes et le gouvernement libanais officialise la reconnaissance de la langue arabe comme seule langue nationale, du drapeau libanais et d’une nouvelle constitution. Le Délégué général français au Liban, Jean Heleu, suspend la Constitution et fait arrêter le président de la République libanaise, Bechara el Khoury et plusieurs ministres.
La situation devient immédiatement insurrectionnelle en Syrie-Liban et la France n’a nullement les forces pour s’imposer. Des émeutes éclatent à Tripoli, Saïda et Beyrouth, faisant des morts et des blessés. Le 21 novembre 1943, De Gaulle était contraint de rétablir le gouvernement libanais dans ses fonctions et de renoncer à sa tutelle. Dès qu’il le pourrait, De Gaulle, qui avait maintenu les troupes françaises sur place pour « maintenir l’ordre », allait renier cette parole et obtenir pour cela le soutien des partis socialiste et communiste français ! Le 6 octobre 1944, le ministre des affaires étrangères, Bidault, avec le soutien de la gauche et de la droite du gouvernement d’union nationale de De Gaulle, repoussait les revendications des gouvernements syriens et libanais d’un départ des troupes françaises. Le 6 mai 1945, un nouveau contingent de l’armée française composé de « Sénégalais » débarquait en Syrie. Le 8 mai, le jour de la reddition allemande, en pleine insurrection algérienne, avait lieu le coup de force de l’armée française en Syrie et au Liban. Le même jour, à Alep, Homs, Hama et Damas (Syrie), des insurgés s’attaquaient aux garnisons françaises (23.000 soldats). En pleine « négociations » avec les autorités syrienne et libanaise, les renforts militaires continuaient d’arriver, susciter de nouvelles révoltes. Les émeutes étaient durement réprimées. Le 26, les forces françaises canonnaient Homs et Hama, bombardaient Damas le 29, faisant 480 morts. Le PCF condamnait les émeutes syro-libanaises, les attribuant « à des doriotistes ». L’Humanité du 30 mai 1945 écrit : « Ces désordres ont été organisés par des agents doriotistes du PPF en Syrie qui ne cherchent qu’à nuire à l’entente des peuples de France, de Syrie et du Liban. » L’Humanité du 31 mai écrivait : « Des éléments doriotistes, agissant dans divers milieux et de divers côtés, ont joué un rôle particulièrement important dans ces regrettables événements. » Les troupes spéciales de la France en Syrie-Liban, recrutées sur place, s’avéraient très peu sures et commençaient à se mutiner et la poursuite de l’insurrection contraignaient la France à les rétrocéder aux gouvernements syrien et libanais. Finalement incapable de se maintenir dans ces deux ex-protectorats, la France signait un accord avec l’Angleterre fin décembre 1945 : le partage des colonies était décidé, la France ne se maintenant qu’au Liban. En protestation contre ce partage de brigands, la grève générale était déclenchée à Beyrouth et à Damas en janvier 1946. Devant l’explosion de la révolte populaire et ouvrière, France et Angleterre décidaient tous deux d’évacuer le Levant : le 30 juin pour l’Angleterre et le 31 août pour la France.
[1] « L’Union française est un fait révolutionnaire qui peut changer le monde. » peut-on lire dans la brochure « Le PCF et l’avenir de l’Algérie » écrite en 1947 !
[2] Le ministre stalinien Charles Tillon, ministre de l’aviation lorsque celle-ci bombarde Sétif et le Constantinois, déclare dans l’Humanité des 16-17 septembre 1945 : « l’aviation française reprendra sa place dans le monde. »
Messages
1. Révolution coloniale à la fin de la guerre, 4 octobre 2009, 21:24
Extrait du livre de 1934 consacré à Gandhi par Soumyendranath Tagore
Il est certain que le mouvement de la non-violence qui se poursuit depuis ces dernières années sous la conduite de Gandhi comporte un certain côté héroïque, mais c’est un héroïsme qui a été imposé à l’Inde contre sa volonté par le gouvernement britannique. On sait que l’Inde a été complètement désarmée par les Anglais. Dans ces conditions il n’y avait aucune possibilité d’organiser contre le gouvernement une « opposition » qui ne fût une opposition non-violente. Je me sers avec intention du mot « opposition », car Gandhi n’a jamais voulu que le mouvement se développât en lutte révolutionnaire. Chaque fois que le mouvement a pris une tournure révolutionnaire et en quelque lieu que ce soit, il l’a fait sans Gandhi et contre sa volonté. La constante insistance de Gandhi sur la non-violence n’a rempli d’autre but que de maintenir le mouvement dans les limites d’une opposition « de bon ton ». Toutes les fois que Gandhi a trahi la cause de l’indépendance hindoue, par exemple durant les jours du premier mouvement quand il en a ordonné la suspension pour la seule raison que quelques policiers avaient été abattus par les paysans de Chauri Chaura, il l’a fait en invoquant la nécessité de la non-violence. C’est au nom de la non-violence qu’il a trahi l’Inde en 1921, au nom de la non-violence qu’il a brisé la résistance des travailleurs contre les usiniers d’Ahmedabad, au nom de la non-violence qu’il a forcé les paysans de l’Oudh à se plier à la tyrannie des grands propriétaires, au nom de la non-violence qu’il a refusé d’exiger la mise en liberté des braves soldats du régiment de Garwhali qui n’avaient pas voulu tirer sur la population sans défense, même après les injonctions répétées des officiers supérieurs anglais. Tout cela, et bien d’autres choses, a été fait au nom de la non-violence. Mais ce fut sans doute l’attitude la plus habile que pouvait adopter Gandhi. Bien qu’elle ne soit qu’une pose, la non-violence lui a assuré une vaste popularité parmi la bourgeoisie intellectuelle du monde que la seule mention du mot « révolution » suffit à jeter dans les transes. D’ailleurs Gandhi a admis très franchement qu’il faut choisir entre une révolution violente, et une coopération non-violente et qu’il n’y a pas de milieu. Et il entend par là que la coopération non-violente est la plus grande force neutralisante de la révolution. C’est pourquoi la non-violence de Gandhi jouit d’une telle popularité parmi les intellectuels bourgeois et lui a assuré à lui-même une si grande renommée parmi les classes dirigeantes de tous les pays capitalistes.
2. Révolution coloniale à la fin de la guerre, 4 octobre 2009, 21:55, par Robert Paris
En Inde la direction incontestée de la bourgeoisie nationale est le parti du congrès de Gandhi. Sa position est caractéristique vis à vis de la classe ouvrière : aucune indépendance syndicale. Ainsi la seule organisation syndicale qui lui soit liée, celle des ouvriers du textile d’Ahmedabad qui lui sont liées, est organisées syndicalement au sein du parti séparément du reste du mouvement ouvrier qui appartient à une fédération unifiée regroupant tous les autres syndicalistes des staliniens aux réformistes et aux militants radicaux. Le mouvement ouvrier organisé compte autant de membres que le parti du congrès soit 400 000 membres chacun en 1935. Mais plus la revendication politique devient prépondérante, plus la distance s’accroît en faveur de la formation nationaliste bourgeoise faute d’une politique du mouvement ouvrier. Directement lié aux propriétaires fonciers, industriels et commerçants, le parti du congrès est réticent à inclure toute mesure sociale y compris un programme agraire dans ses revendications ce qui laisserait une énorme marge pour un mouvement ouvrier révolutionnaire afin de s’adresser à une paysannerie en révolte. Tout mouvement à caractère révolutionnaire contre l’impérialisme anglais déborderait inévitablement le mouvement politique bourgeois puisque celui-ci s’interdit toute insurrection armée contre les anglais. Le mouvement nationaliste de Gandhi appelle les masses au pacifisme sous des prétextes philosophiques. N’oublions pas que cette philosophie n’avait pas empêché Gandhi de choisir d’appeler les Indiens à soutenir l’effort de guerre de l’impérialisme britannique pendant la première guerre mondiale. Par contre, la montée du mouvement indépendantiste avant guerre va le contraindre à une position plus radicale. En octobre 1939, 90 000 ouvriers d’industrie de Bombay participent à une grève politique contre la guerre qui va obliger le parti du congrès à une petite déclaration de non coopération à la guerre aux côtés des anglais. C’est seulement en 1941 qu’il peut à nouveau offrir sa coopération à l’effort de guerre anglais. Mais, de 1942 à 1944, l’impérialisme anglais ne veut qu’écraser le mouvement nationaliste et pratique des arrestations massives de ses dirigeants comme des militants plus radicaux. Et ce jusqu’à la fin de la guerre. C’est pour négocier avec eux de leur donner le pouvoir à l’indépendance que l’impérialisme anglais les fait libérer en 1945. L’année 1946 est marquée par la montée des luttes ouvrières et par une véritable maturation révolutionnaire qui débute par une mutinerie militaire. Les marins d’une caserne d’entraînement de Bombay manifestent leur mécontentement le 18 février 1946. Le lendemain il s’agit déjà d’un véritable soulèvement de plus de 20 000 marins casernés à Bombay et de 20 bâtiments ancrés dans le port. Les marins soulevés élisent un comité central de grève. Et à Karachi des troubles semblables se produisent. Face à la menace de répression violente le comité central de grève de la flotte en appelle aux travailleurs. Le parti du congrès et la ligue musulmane, les organisations indépendantistes de la bourgeoisie refusent leur soutien au soulèvement. Les 22 et 23 février la bataille fait rage dans Bombay où la population ouvrière qui a pris le parti des mutinés est violemment réprimée : 250 morts. Parti du Congrès et Ligue musulmane contraignent finalement les marins à se rendre et le comité de grève déclare : « nous nous rendons à l’Inde mais pas à l’Angleterre ». Les mutins sont sévèrement condamnés par les partis bourgeois. Gandhi les traite de « racaille » et de combinaison impie d’hindous et de musulmans ». Les dirigeants musulmans déclarent que la flotte doit être disciplinée. C’est là le point commun que ces partis bourgeois ont avec l’Angleterre : la crainte commune du déclenchement d’un mouvement de masse révolutionnaire. Et cela alors qu’ont lieu aussi des troubles dans l’armée anglaise des Indes.
3. Révolution coloniale à la fin de la guerre, 17 octobre 2010, 14:03, par bianco
Un crime colonial de l’État français
Nous n’oublions pas !
17 octobre 1961 : La police parisienne réprimait sauvagement une manifestation pacifique des travailleurs algériens et de leurs familles.
Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu discriminatoire imposé par le Préfet de police de Paris, Maurice Papon. Ces travailleurs algériens, souvent accompagnés de leur famille, défendaient leur droit à l’égalité et à l’indépendance de leur pays d’origine.
Ce jour-là, et les jours qui suivirent, des milliers de ces manifestants furent arrêtés par la police française, emprisonnés. torturés. Nombre d’entre eux furent renvoyés en Algérie et des centaines d’entre eux perdirent la vie, victimes de la violence et de la brutalité des forces de police. Certains policiers parisiens ont d’ailleurs participé à la fois au 17 octobre 1961 et à la rafle du Vel’d’Hiv de 1942. Quant à Papon...
Quarante-neuf ans après, il y a toujours autant de raison de dénoncer cette journée indigne. Non seulement l’État français n’a pas reconnu ses crimes dans la sale guerre coloniale qu’il mena au peuple algérien. Mais les prises de position du gouvernement actuel et de sa majorité ne vont pas dans ce sens.
Des associations anticolonialistes et antiracistes, différentes organisations politique appellent donc à un rassemblement
À 17 heures,
place Saint-Michel à Paris,
là où tant de victimes furent jetées à la Seine, il y a 49 ans.
4. Révolution coloniale à la fin de la guerre, 19 octobre 2010, 21:13, par Max
Le film sur le 17 octobre 1961 : "Nuit Noire"
Regarder ce film ou le découvrir
Télécharger ce film en entier pour le conserver.
5. Révolution coloniale à la fin de la guerre, 7 avril 2013, 15:58, par Max
En 1947, a lieu également la grande grève des cheminots dans toute l’Afrique française, qui s’est étendue du Sénégal à la Côte d’Ivoire. On peut également citer la grève qui oppose les cheminots, et avec eux tous les travailleurs, aux Blancs armés de Matadi à Léopoldville, ou encore le soulèvement ouvrier au Kenya en 1947, dans le centre ferroviaire de Mombasa où, pendant onze jours, dockers et cheminots dirigent toute la classe ouvrière, domestiques compris, et font la loi dans la ville.
A voir en replay le téléfilm tiré du roman les bouts de bois de dieux de sembene Ousmane.
Les pirogues des hautes terres.
Série / Fiction - 1h35min - Diff. le 06-04-13 à 22:15