LE POING DE LA RÉVOLTE DES GHETTOS NOIRS DES USA ÉTAIT LEVÉ A LA FACE DU MONDE LORS DES JEUX OLYMPIQUES DE MEXICO EN 1968. IL NE SYMBOLISAIT PAS LA PROTESTATION PLAINTIVE MAIS LA RÉVOLUTION : POUVOIR NOIR CONTRE POUVOIR CAPITALISTE !
Tommie Smith qui venait de remporter la course du 200 mètres et John Carlos, troisième de l’épreuve, levaient un poing ganté de noir et baissaient la tête au moment où retentissait l’hymne américain. Avec ce geste symbolique, retransmis par la presse et la télévision dans le monde entier, la lutte des Noirs des États-Unis contre la discrimination raciale venait s’afficher jusque sur la tribune des Jeux Olympiques. Le 16 octobre 1968, devant des millions de téléspectateurs, les deux athlètes levèrent leur poing ganté ; le troisième finaliste, l’Australien Peter Norman, monta sur le podium avec le badge du comité, en solidarité avec les athlètes noirs. Un peu après, Tommie Smith expliqua que le poing levé et la paire de gants noirs partagée avec John Carlos signifiaient « le pouvoir et l’unité des Noirs américains ». Le comité noir avait envoyé également un message de solidarité aux étudiants révoltés mexicains massacrés par le pouvoir avant les jeux olympiques.
La réaction du comité olympique américain fut immédiate : les deux athlètes furent suspendus de l’équipe et durent quitter le village dans les quarante-huit heures, tandis qu’on menaçait de sanctions les sportifs qui auraient le même comportement, ce qui eut pour conséquence d’amplifier la colère des athlètes noirs et aussi d’athlètes blancs. Les jours suivants, plusieurs sportifs noirs manifestèrent sur le podium.
La carrière sportive internationale des deux coureurs était définitivement terminée. Le système ne pardonne pas à ceux qui s’attaquent à lui. L’olympisme se dit apolitique mais il a choisi son camp : celui des Etats bourgeois, pas celui de la révolte des opprimés !
SITE MATIERE ET REVOLUTION
Pour nous écrire, cliquez sur Répondre à cet article
Martin Luther King, main dans la main avec le pouvoir capitaliste et ... blanc
Stokely Carmichael dans un discours où il dénonce la politique de Martin Luther King de collaboration avec le pouvoir
N’oublions pas que "j’ai un rêve" signifiait le rêve que la révolte des opprimés noirs ne se transforme pas en révolution sociale et ne menace pas le pouvoir capitaliste. Cet "humanisme pacifiste" consistait à proposer aux noirs de pardonner leurs exploiteurs en espérant que ces derniers en tirent comme leçon qu’il n’était pas besoin de les frapper, de les tuer, de les mépriser. Cet "espoir" n’a pas seulement été déçu. Il était une tromperie.
Citons en effet son discours fameux :
"En luttant pour prendre notre juste place, nous ne devrons pas nous rendre coupables d’actes injustes. Ne buvons pas de la coupe de l’amertume et de la haine pour assouvir notre soif. Nous devons toujours conduire notre lutte dans un haut souci de dignité et de la discipline. Nous ne pouvons pas laisser notre protestation créative dégénérer en violence physique. Encore et encore, nous devons atteindre ce niveau exalté où nous opposons à la force physique, la force de l’âme."
LE CONTEXTE
L’année 1964 marque un tournant dans la lutte pour l’émancipation noire. La loi sur les droits civiques (Civil Rights Act) a banni, du moins en principe, la ségrégation. La réalité sociale est tout autre. Les Noirs sont en grande majorité prolétaires et subissent la double oppression du système capitaliste et du racisme.
En 1963, il y a cinq fois plus de Noirs que de Blancs qui logent dans des habitats insalubres. Les inégalités se creusent : en 1962, les salarié-e-s noir-e-s ont des revenus inférieurs de 45 % en moyenne aux revenus des Blancs, contre 38 % en 1952. Quatre salarié-e-s noir-e-s sur cinq sont des ouvriers non qualifiés. L’évolution des techniques, notamment l’automation, a fait perdre des milliers d’emplois industriels, surtout les moins qualifiés. Dans les chemins de fer par exemple, en quelques années, le nombre de cheminots de couleur est passé de 350 000 à moins de 50 000. Le chômage touche donc 14 % des Noirs, contre 6 % des Blancs.
Dans ce contexte de crise sociale aiguë, la jeunesse noire des ghettos se radicalise. L’impatience grandit, et les mouvements d’émancipation non-violents, comme celui du pasteur Martin Luther King, voient leur influence reculer. Les nouvelles formes de lutte plus virulentes qui ont émergé ces dernières années avec Malcom X ou le Black Panthers Party séduisent davantage une jeune génération qui ne se satisfait plus de la « désobéissance civile ». L’action directe gagne en crédibilité sur l’action légale. L’égalité civique n’est toujours pas réellement acquise, mais les questions sociales s’imposent de plus en plus. Radicalisation de la lutte
Après une semaine d’insurrection (34 morts, 1 071 blessés et 400 arrestations) dans le quartier de Watts à Los Angeles, à partir du 11 août 1965, les années 1966 et 67 sont marquées par des émeutes dans toutes les agglomérations industrielles du nord et du centre comme Cleveland, Detroit, Omaha, Chicago (164 villes sont touchées en 1967).
En juin 1966, James Meredith, héros du combat pour l’intégration à l’université du Mississipi en 1962, se fait tirer dessus au cours d’une marche de protestation. Stokely Carmichaël, président d’une SNCC qui s’est radicalisée, propose alors de n’admettre désormais que des Noirs dans les manifestations et lance le slogan « Black power » (« pouvoir noir »). Martin Luther King ne s’y oppose pas clairement mais conteste la violence des méthodes qui sont désormais de plus en plus à la mode dans le mouvement. La vague d’émeutes l’a déstabilisé, et sa stratégie paraît dépassée. On lui reproche d’être beaucoup trop modéré, « embourgeoisé ».
Si le parti de Martin Luther King, le SCLC, continue à prôner l’intégration des Noirs dans la société et un mode d’action non violent, il est critiqué par celles et ceux qui prônent la séparation à travers un nationalisme noir. En 1962, dans Black Nationalism, E.U. Essien-Udom théorise : « Les organisations nationalistes noires […] affirment que la seule solution satisfaisante et permanente du problème des relations entre Noirs et Blancs est la séparation des Noirs d’avec la majorité blanche et l’établissement d’un “foyer noir”, contrôlé politiquement par une majorité noire » [1]. Un mouvement divisé
Les Black Muslims (« Musulmans noirs ») incarnent ce séparatisme. En 1965, leur leader charismatique, Malcom X, rompt avec eux et fonde l’Organisation pour l’unité afro-américaine sur des bases laïques. Il évolue vers une ligne de classe, anticapitaliste et internationaliste et ne renie pas la violence, comme moyen de défense face à l’oppression des classes dirigeantes blanches. Alors que son étoile monte dans le ciel de la cause noire, au détriment du pasteur pacifiste, il disparaît presque aussitôt, abattu en plein meeting, le 21 février 1965.
Une nouvelle organisation vient alors concurrencer le mouvement de Luther King. Il s’agit du Black Panther Party for Self-Defense (« Parti de la panthère noire pour l’autodéfense », BPP), fondé en octobre 1966 par Huey Newton et Bobby Seale, regroupant très vite des milliers d’adhérentes et d’adhérents [2].
Ils mettent sur pied des patrouilles armées dans les rues d’Oakland (Californie), afin de protéger les Noirs victimes des policiers blancs. Narquois, ils emportent toujours avec eux un Code civil pour prouver à la police la légalité de leur action. Petit à petit, ils mettront en place des programmes sociaux (aide alimentaire, cliniques gratuites…), se définiront comme « marxistes-léninistes » et se rapprocheront des organisations en lutte contre l’impérialisme (le FLN au pouvoir en Algérie ou encore l’OLP, l’IRA, le Front de libération du Québec…). Malgré l’arrestation de dirigeants importants dès 1967, l’organisation, très médiatisée, a de plus en plus de sympathisantes et de sympathisants.
Malcolm X :
"Et d’abord, qu’est-ce qu’une révolution ? Parfois je suis enclin à croire qu’un grand nombre des nôtres utilisent le mot « révolution » sans se soucier de précision, sans prendre comme il convient en considération la signification réelle du mot et ses caractéristiques historiques. Lorsqu’on étudie la nature historique des révolutions, le motif d’une révolution, l’objectif d’une révolution, le résultat d’une révolution, et les méthodes utilisées dans une révolution, il est possible de transformer les mots. (…) De toutes les études auxquelles nous nous consacrons, celle de l’histoire est la mieux à même de récompenser notre recherche. Et lorsque vous vous apercevez que vous avez des problèmes, vous n’avez tout simplement qu’à étudier la méthode historique utilisée dans le monde entier par d’autres qui ont des problèmes identiques aux nôtres. (...) je vous rappelle ces révolutions, mes frères et mes sœurs, pour vous montrer qu’il n’existe pas de révolution pacifique. Il n’existe pas de révolution où on tende l’autre joue. Une révolution non-violente, ça n’existe pas."
A un meeting qu’il tint le 8 avril 1964 à un rassemblement du Militant Labor Forum, d’ailleurs devant un public au ¾ blanc, Malcolm X déclara : « Les révolutions ne sont jamais des compromis, ne reposent jamais sur des négociations. Les révolutions ne reposent jamais sur une sorte de cadeau ; les révolutions ne reposent pas non plus sur la demande mendiante d’être accepté dans une société corrompue ou un système corrompu. Les révolutions renversent les systèmes. Et sur cette terre il n’y a pas de système qui se soit révélé plus corrompu, plus criminel que ce système qui colonise en 1964 encore 22 millions d’Afro-américains, qui a toujours comme esclaves 22 millions d’afro-américains. »
Hoover, responsable du FBI durant cette période et ayant mené une véritable guerre contre les leaders radicaux noirs, en particulier les Black Panthers, avait rédigé une note qui annonçait clairement que : « Le Cointelpro doit empêcher la naissance d’un messie qui pourrait unifier et électriser le mouvement nationaliste noir (...) Il faut faire comprendre aux jeunes Noirs modérés que, s’ils succombent à l’enseignement révolutionnaire, ils seront des révolutionnaires morts (...) ne vaut-il pas mieux être une vedette sportive, un athlète bien payé ou un artiste, un employé ou un ouvrier plutôt qu‘un Noir qui ne pense qu’à détruire l’establishment et qui, ce faisant, détruit sa propre maison, ne gagnant pour lui et son peuple que la haine et le soupçon des Blancs ! »
DOCUMENTS :
Extraits de « Le pouvoir noir », textes de Malcolm X :
« J’aimerais faire quelques commentaires sur la différence entre la révolution noire et la révolution nègre. (…) Et d’abord, qu’est-ce qu’une révolution ? Parfois je suis enclin à croire qu’un grand nombre des nôtres utilisent le mot « révolution » sans se soucier de précision, sans prendre comme il convient en considération la signification réelle du mot et ses caractéristiques historiques. Lorsqu’on étudie la nature historique des révolutions, le motif d’une révolution, l’objectif d’une révolution, le résultat d’une révolution, et les méthodes utilisées dans une révolution, il est possible de transformer les mots. (…) De toutes les études auxquelles nous nous consacrons, celle de l’histoire est la mieux à même de récompenser notre recherche. Et lorsque vous vous apercevez que vous avez des problèmes, vous n’avez tout simplement qu’à étudier la méthode historique utilisée dans le monde entier par d’autres qui ont des problèmes identiques aux nôtres. (.. ;)
je vous rappelle ces révolutions, mes frères et mes sœurs, pour vous montrer qu’il n’existe pas de révolution pacifique. Il n’existe pas de révolution où on tende l’autre joue. Une révolution non-violente, ça n’existe pas. (…)
L’homme blanc sait ce qu’est une révolution. (…) La révolution est en Asie, la révolution est en Afrique, et le blanc crie de peur parce qu’il voit que la révolution est en Amérique latine. Comment pensez-vous qu’il va réagir à votre égard lorsque vous aurez appris ce qu’est une vraie révolution ? Vous ne savez pas ce qu’est une révolution. Si vous le saviez, vous ne vous serviriez pas de ce mot. (…)
La révolution ne connaît pas le compromis, la révolution renverse et détruit tout ce qui lui fait obstacle. (…) Si vous avez peur du nationalisme noir, vous avez peur de la révolution. Et si vous aimez la révolution, vous aimez le nationalisme noir. (…)
Je tiens à vous rappeler brièvement un autre point encore : la méthode utilisée par le blanc, la façon dont il se sert des « gros bonnets », des dirigeants noirs, pour lutter contre la révolution noire. Après que Martin Luther King n’eut pas réussi à obtenir la déségrégation à Albany, en Géorgie, la lutte pour les droits civiques tomba à son niveau le plus bas. En tant que dirigeant, King était pour ainsi dire discrédité. (…) Sitôt que King eut échoué à Birmingham, les noirs descendirent dans la rue. (…) Les noirs étaient dans la rue. Ils discutaient de la façon dont ils allaient marcher sur Washington. C’est précisément à cette époque qu’avit eu lieu l’explosion de Birmingham, et les noirs de Birmingham, souvenez-vous, firent explosion eux-aussi. Ils commencèrent à poignarder les racistes dans le dos et à les mettre cul par-dessus tête – eh oui, c’est ce qu’ils firent. C’est alors que Kennedy envoya la troupe à Birmingham. Après cela, Kennedy se produisit à la télévision et dit : « C’est une question morale ». C’est alors qu’il déclara qu’il allait faire une loi relative aux droits civiques. Et lorsqu’il fit allusion à cette loi et que les racistes du Sud se mirent à envisager la façon dont ils pourraient la boycotter ou empêcher son adoption par des manœuvre d’obstruction, les noirs prirent la parole – pour dire quoi ? Qu’ils allaient marcher sur Washington, marcher sur le Sénat, marcher sur la Maison Blanche, marcher sur le Congrès, le mettre en congés, mettre un terme à ses travaux et empêcher le gouvernement de fonctionner. Ils dirent même qu’ils se rendraient à l’aéroport, se coucheraient sur les pistes et ne laisseraient pas atterir un seul avion. Je vous répète ce qu’ils disaient. C’était la révolution. C’était la révolution. C’était la révolution noire.
C’étaient les masses qui étaient dans la rue. Elles faisaient mortellement peur à l’homme blanc et aux organes du pouvoir blanc à Washington, DC : j’y étais. Quand ils se rendirent compte que le rouleau compresseur noir allait descendre sur la capitale, ils convoquèrent Wilkins, ils convoquèrent Randolph. Ils convoquèrent ces dirigeants nationaux des noirs, que vous respectez, et leur dirent : « Décommandez la marche ». Kennedy déclara : « Voyons, vous tous, vous laissez cette affaire aller trop loin. » Et le père Tom dit : « « Patron, je ne peux pas l’arrêter, parce que je ne l’ai pas lancée. » Je vous répète ce qu’ils dirent. Ils dirent : « Je n’y participe même pas, comment pourrais-je diriger ? » Ils dirent : « Ces noirs agissent de leur propre chef. Ils courent en avant de nous. » Et ce vieux renard rusé leur répondit : « Si vous n’y êtes pas, je vous y mettrai. Je vous placerai à la tête du mouvement. Je lui donnerai ma caution. Je lui ferai bon accueil. Je le soutiendrai. Je m’y rallierai. »
Quelques heures s’écoulèrent. Ils assistèrent à une réunion organisée à l’Hotel Carlyle, à New York. L’Hotel Carlyle est la propriété de la famille Kennedy (…) C’est là qu’une société philanthropique dirigée par un blanc nommé Stephen Currier convoqua les principaux dirigeants du mouvement des droits civiques. Currier leur dit : « (…) Puisque vous vous disputez à propos de l’argent donné par les libéraux blancs, fondons le Council for United Civil Rights Leadership. Constituons ce conseil : toutes les organisations des droits civiques en feront partie, et nous l’utiliserons pour lever des fonds. » (…) Une fois formé ce conseil dominé par le blanc, Currier leur promit et leur donna 800.000 dollars, à partager entre les « Six Grands » (dont King, Randolph, Wilkins,…), et leur dit qu’après la marche, ils en recevraient encore 700.000. Un million cinq cent mille dollars, répartis entre des dirigeants que vous avez suivis, pour lesquels vous êtes allés en prison, pour lesquels vous avez versé des larmes de crocodiles. (…) Une fois le décor monté, l’homme blanc mit à leur disposition les plus éminents experts en relations publiques et tous les moyens d’information du pays, qui commencèrent à présenter ces « Six Grands » comme les dirigeants de la marche. A l’origine, ils n’y participaient même pas. (…) Ils devinrent la marche. Ils s’en emparèrent. Et la première mesure qu’ils prirent après s’en être emparés, ce fut d’inviter Walter Reuther, un blanc ; ils y invitèrent un prêtre catholique, un rabbin et un vieux pasteur blanc. Les mêmes éléments blancs qui avaient porté Kennedy au pouvoir – les syndicats, les catholiques, les juifs et les protestants libéraux – la même clique qui l’avait porté au pouvoir se joignit à la marche sur Washington. (…) La marche sur Washington, ils s’y sont ralliés. Ils ne s’y sont pas intégrés, ils l’ont infiltrée. Comme ils s’en emparaient, elle a perdu tout caractère militant. Elle a perdu sa colère, sa chaleur, son refus du compromis. Oui, elle a même cessé d’être une marche pour devenir un pique-nique, un cirque. Rien qu’un cirque, avec les clowns et tout le reste. (…) Quand James Baldwin est arrivé de Paris, ils n’ont pas voulu le laisser parler, parce qu’ils ne pouvaient pas l’obliger à respecter le script. (…) Ils exerçaient un contrôle si serré qu’ils disaient à ces noirs à quelle heure il fallait arriver à Washington, comment s’y rendre, où s’arrêter, quelles pancartes porter, quels chants chanter, quels discours faire et ne pas faire ; et puis ils leur disaient de quitter la ville au crépuscule. Et, au crépuscule, tous ces Tom sans exception avaient quitté la ville. Oui, je sais que vous n’aimez pas ce que je vous dit là. »
Discours prononcé à Detroit peu après sa rupture avec les Blacks Muslims, en mars 1964.
« Il est impossible à un blanc qui croit au capitalisme de ne pas croire au racisme. Le capitalisme ne saurait aller sans le racisme. Lorsque vous acquérez la certitude, au cours d’une discussion avec un blanc, qu’il n’y a pas de place pour le racisme dans sa philosophie, c’est ordinairement qu’il s’agit d’un socialiste ou d’un homme dont la doctrine politique est le socialisme. (…)
Nulle religion ne me fera jamais oublier la condition des nôtres dans ce pays. Nulle religion ne me fera jamais oublier que, dans ce pays, on ne cesse de lancer des chiens sur les nôtres. Nulle religion ne me fera oublier les matraques abattues sur nos têtes par les policiers. Nul dieu, nulle religion, rien ne me le fera oublier tant que ce ne sera pas fini, terminé, éliminé. Je tiens à ce que cela soit bien clair.
Nous travaillerons avec tous les hommes, avec tous les groupes, quelle que soit leur couleur, pourvu qu’ils soient vraiment désireux de prendre les mesures qui s’imposent pour mettre fin aux injustices dont sont affligés les noirs. Peu importe leur couleur, peu importe leur doctrine politique, économique ou sociale ; nous n’y trouverons rien à redire, pourvu qu’ils se donnent pour but la destruction du système de proie qui suce le sang des noirs de ce pays. Mais, s’ils appartiennent, si peu que ce soit, à la dangereuse espèce des amateurs du compromis, nous pensons qu’il faut les combattre. (…) Pour toute défense, les maîtres du pouvoir et du système qui nous exploite se sont contentés de qualifier de racistes et d’extrémistes ceux qui condamnent ce système sans accepter de compromis. S’il existe des blancs qui en aient vraiment et sincèrement assez de voir les noirs d’Amérique vivre dans ces conditions, qu’ils prennent position, mais que leur position soit sans compromis, sans demi-mesures, qu’elle ne soit pas non-violente… »
Discours prononcé suite à son voyage religieux à La Mecque
« Tant que le blanc vous envoyait en Corée, vous versiez votre sang. Il vous a envoyé en Allemagne, vous avez versé votre sang. Il vous a envoyé dans le sud du Pacifique faire la guerre aux Japonais et vous avez versé votre sang. Vous le versez pour les blancs, mais lorsque les choses en viennent au point où vous voyez détruire vos églises à la bombe et assassiner des fillettes noires, voilà que vous n’avez plus de sang… Comment allez-vous faire pour être non-violents dans le Mississipi, vous qui étiez si violents en Corée ? (…) La révolution est en Asie, la révolution est en Afrique, et le blanc crie de peur parce qu’il voir la révolution en Amérique latine. Comment pensez-vous qu’il va réagir à votre égard lorsque vous aurez appris ce que c’est qu’une vraie révolution ? La Révolution n’est pas l’abolition de la ségrégation dans les wc, ni l’abolition de la ségrégation dans les bars ou dans les salles de théâtre. Il n’y a pas de Révolution pacifique. Il n’y a pas de Révolution sans verser de sang. Il n’y a pas de Révolution sans violence. Alors si vous n’êtes pas prêts à la violence, rayez le mot Révolution de votre vocabulaire. »
Malcolm X, sur la non-violence
Extraits de « Le 20e siècle américain » de Howard Zinn :
« La révolte noire qui frappa le Nord comme le Sud dans les années 1950 et 1960 prit tout le monde de court. Il ne s’agissait pourtant pas d’une réelle surprise. La mémoire des opprimés ne s’efface jamais, et le souvenir des événements qui la composent ne cesse de nourrir la révolte. La mémoire des Noirs américains était d’abord celle de l’esclavage, puis celle de la ségrégation, des lynchages et des humiliations subies. En fait, ce n’était pas seulement une question de mémoire, mais aussi du vécu présent bien réel (…)
Truman signa, quatre mois avant les élections de 1948, un décret exigeant que l’armée, au sein de laquelle la ségrégation raciale continuait d’être pratiquée, mette en œuvre « aussi vite que possible » une politique d’égalité raciale (….) pour préserver le moral des soldats noirs en cette période de guerre probable. Cette désagrégation des forces armées mit plus de dix ans à se réaliser. (…)
Ce qui paraissait être aux yeux des autres une fulgurante avancée ne satisfaisait pourtant pas les Noirs. Au début des années 60, ils se soulevèrent dans tout le Sud. A la fin des années 60, ils étaient engagés dans de violentes émeutes qui secouèrent une centaine de villes du Nord. (…)
Fin 1955, à Montgomery, capitale de l’Alabama, (…) Rosa Sparks, couturière âgée de 43 ans, refusa d’obéir aux législations discriminantes sur la ségrégation dans les bus municipaux. Pourquoi, finalement, elle était allée s’asseoir dans la section « blanche » d’un bus : « D’abord, j’avais travaillé dur toute la journée. J’étais vraiment fatiguée après cette journée de travail. Mon travail, c’est de fabriquer les vêtements que portent les Blancs. (…) Je voulais savoir quand et comment pourrait-on affirmer nos droits en tant qu’êtres humains. (…) J’ai été arrêtée et emprisonnée. » Les Noirs de Montgomery appelèrent à manifester. Ils décidèrent de boycotter les bus municipaux et la plupart d’entre eux, délaissant les cars de ramassage chargés de les conduire au travail, s’y rendirent à pied. (…) Certains ségrégationnistes blancs se livrèrent à des violences. (…) Malgré toutes les violences, la communauté noire de Montgomery ne baissa pas les bras : en novembre 1956, la Cour suprême interdisait la ségrégation dans les transports municipaux. Montgomery allait servir de modèle au vaste mouvement de protestation qui secouerait le Sud pendant les dix années suivantes (…) Lors de cette réunion (deux mille Noirs dans une église de Montgomery), Martin Luther King (…) déclara : « (…) Nous devons user de l’arme de l’amour. Nous devons faire preuve de compassion et de compréhension envers ceux qui nous détestent. Nous devons réaliser que tant de gens ont appris à nous détester et qu’ils ne sont finalement pas totalement responsables de la haine qu’ils nous portent. (…) »
(…) Deux ans après le boycott de Montgomery, un ancien soldat du nom de Robert Williams, président du NAACP de Monroe, se rendit célèbre en expliquant que les Noirs devaient se défendre eux-mêmes contre la violence, par les armes si nécessaire. (…)
Le Core (Congress Racial Equality) organisa ce qu’on a appelé les « freedom riders » au cours desquels Blancs et Noirs se rendaient ensemble en bus dans le Sud, mettant ainsi en cause les pratiques discriminatoires des transports entre Etats. (…) Les deux bus qui quittèrent Washington DC le 4 mai 1961 à destination de la Nouvelle Orléans n’y arrivèrent jamais. (…)
A l’approche de l’été 1964, le SNCC et d’autres groupes qui travaillaient ensemble pour les droits civiques et se voyaient confrontés à une recrudescence de violence décidèrent de faire appel à la jeunesse américaine pour attirer l’attention sur la situation au Mississipi. (…) Trois militants des droits civiques, un jeune noir et deux volontaire blancs étaient arrêtés à Philadelphie (Mississipi). Après avoir été libérés en pleine nuit, puis enlevés et roués de coups, ils furent assassinés. (…)
Le gouvernement fédéral essayait, sans pour autant engager de véritable changement, de maîtriser une situation explosive. Il fallait canaliser cette colère par les mécanismes classiques d’apaisement : vote, pétitions et manifestations autorisées. Quand les responsables noirs du mouvement des droits civiques décidèrent d’organiser une gigantesque marche sur Washington, à l’été 1963, (…) le président Kennedy et les autres dirigeants nationaux s’empressèrent de récupérer le projet et le transformèrent en rassemblement œcuménique. C’est à cette occasion que Martin Luther King fit, devant deux cent mille Américains blancs et noirs, son fameux discours « I have a dream… » Discours superbe, certes, mais totalement dénué de cette colère que ressentaient de nombreux Noirs. John Lewis, un jeune responsable du SNCC originaire d’Alabama qui avait été arrêté et battu de nombreuses fois, tenta d’exprimer ce sentiment d’indignation. Il en fut empêché par les organisateurs de la marche qui exigèrent qu’il renonce à certaines critiques très dures sur le gouvernement et à ses appels à l’action directe. Dix-huit jours après le rassemblement de Washington, comme une expression du mépris affiché envers cette modération, une bombe explosait dans le sous-sol d’une église noire à Birmingham, tuant quatre fillettes qui assistaient au catéchisme. Si le président Kennedy avait apprécié « la profonde ferveur et la dignité calme » de la marche, le militant noir Malcolm X était probablement plus en accord avec les véritables sentiments de la communauté noire. A Detroit, deux mois après la marche sur Washington et l’attentat de Birmingham, Malcolm X déclarait dans son style rythmé, puissant et incisif : « Les Noirs étaient là dans les rues. Ils discutaient de leur projet de marche sur Washington. (…) Ils allaient marcher sur Washington, sur le Sénat, sur la Maison Blanche, sur le Congrès, et leur lier les mains, les forcer à s’arrêter et empêcher le gouvernement de fonctionner. Ils disaient même qu’ils iraient à l’aéroport et s’allongeraient sur les pistes pour empêcher les avions d’atterrir. Je dis juste ce qu’ils disaient. C’était la révolution. Oui, c’était la révolution. La révolution noire. C’était le peuple là dans la rue. Les Blancs avaient une peur bleue ; le pouvoir blanc à Washington DC avait une peur bleue. J’étais là. Quand ils ont compris que ce bulldozer noir allait descendre vers la capitale, ils ont appelé ces responsables noirs que vous respectez tant et leur ont dit « arrêtez tout ! » Kennedy a dit : « Ecoutez, vous laissez aller les choses un peu trop loin. » Et le Vieux Tom a répondu : « Patron, je peux pas l’arrêter parce que c’est pas moi qui l’ai démarré. » (…) Alors, le vieux renard a répondu : « Si vous êtes pas dans le coup, moi je vais vous y mettre. Je vais vous mettre à la tête de tout ça. Je le prendrai à mon compte, j’approuverai, j’aiderai et même j’en serai. » C’est ce qu’ils ont fait avec la marche sur Washington. (…) Puisqu’ils ont dirigé, tout cela a perdu toute énergie militante. Plus de colère, plus de pression, plus de radicalité. D’ailleurs, c’était même plus une marche, c’était un pique-nique, un véritable cirque. » (…)
Ce fut précisément pendant ces années 1964-65, au cours desquelles le Congrès voté les lois sur les droits civiques, qu’eurent lieu de nombreuses émeutes à travers tout le pays : en Floride, après l’assassinat d’une femme noire et une menace d’attentat à la bombe contre un lycée noir ; à Cleveland, lorsqu’un prédicateur noir fut tué alors qu’il protestait pacifiquement contre la discrimination raciale dans la profession du bâtiment ; à New York, quand un jeune noir de quinze ans fut abattu au cours d’une altercation avec un policier en dehors de son service. Rochester, Jersey City, Chicago et Philadelphie connurent également des émeutes. En août 1965, (…) le ghetto noir de Watts, à Los Angeles, se souleva et fut le théâtre des plus violentes émeutes urbaines depuis la fin de la seconde guerre mondiale. (…) A l’été 1966, les émeutes se multiplièrent. (…) Ce fut en 1967 qu’éclatèrent dans les ghettos noirs du pays les plus importantes émeutes urbaines de l’histoire des Etats-Unis. Selon le rapport du « National Advisory Committee on Urban Disorders », (…) il y eut « huit émeutes majeures », trente trois « soulèvements sérieux mais de moindre envergure » et cent vingt-trois « désordre mineurs ». (…) Le mot d’ordre était désormais « Black Power » (…) Malcolm X fut sans conteste le porte-parole le plus convaincant de cette mouvance. (…) L’assassinat de Martin Luther King entraîna de nouvelles émeutes urbaines à travers tout le pays. (…) Un véritable plan contre les militants noirs fut élaboré par les forces de police et le FBI. Le 4 décembre 1969, peu avant cinq heures du matin, une patrouille de la police de Chicago armée de mitraillettes et de fusils envahissait un appartement où vivaient des Black Panthers. Ils tirèrent entre 80 et 200 coups de feu dans l’appartement. (…) Des émeutes de Detroit en 1967 était née une organisation destinée à encadrer les travailleurs noirs en vue de bouleversements révolutionnaires. La Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires resta en activité jusqu’en 1971 et mobilisa des milliers de personnes à Detroit. (…) A la fin des années 60 et au début des années 70, le système faisait tout ce qu’il pouvait pour contenir l’effrayante capacité explosive des émeutes noires. (…)
Au milieu de l’année 65, à Mac Comb (Mississipi), des jeunes Noirs qui venaient d’apprendre qu’un de leurs camarades était mort au Vietnam distribuèrent un prospectus rédigé en ces termes : « Aucun Noir du Mississipi ne devrait se battre au Vietnam pour défendre la liberté du Blanc tant que le peuple noir ne sera pas libre au Mississipi. »
Discours de Martin Luther King :
« L’Amérique ne connaîtra ni repos ni tranquillité tant que les Noirs ne jouissent pas pleinement de leurs droits civiques. Les orages de la révolte continueront à secouer les fondations de notre pays jusqu’au jour où la lumière de la justice arrivera. Mais il y a quelque chose que je dois dire à mon peuple, qui est sur le point de franchir le seuil de la justice. En luttant pour prendre notre juste place, nous ne devrons pas nous rendre coupables d’actes injustes. Ne buvons pas de la coupe de l’amertume et de la haine pour assouvir notre soif. Nous devons toujours conduire notre lutte dans un haut souci de dignité et de la discipline. Nous ne pouvons pas laisser notre protestation créative dégénérer en violence physique. Encore et encore, nous devons atteindre ce niveau exalté où nous opposons à la force physique, la force de l’âme. Le militantisme merveilleux qui a pris la communauté noire ne doit pas nous amener à nous méfier de tous les Blancs, puisque beaucoup de nos frères Blancs, on le voit par leur présence içi aujourd’hui, se sont rendus compte que leur destin est lié au nôtre, et que leur liberté dépend étroitement de la nôtre. (…) Je vous dis aujourd’hui, mes amis, que malgré les difficultés et les frustrations du moment, j’ai quand même un rêve. C’est un rêve profondément enraciné dans le rêve américain. J’ai un rêve qu’un jour, cette nation se lèvera et vivra la vrai signification de son croyance (…) Ceci est notre espoir. C’est avec cet espoir que je rentre au Sud. Avec cette foi, nous pourrons transformer les discordances de notre nation en une belle symphonie de fraternité. (…) Quand ce jour arrivera, tous les enfants de Dieu pourront chanter avec un sens nouveau cette chanson patriotique, "Mon pays, c’est de toi, douce patrie de la liberté, c’est de toi que je chante. Terre où reposent mes aïeux, fierté des pèlerins, de chaque montagne, que la liberté retentisse." Et si l’Amérique veut être une grande nation ceci doit se faire. (…) Quand nous laisserons retentir la liberté, quand nous la laisserons retentir de chaque village et de chaque lieu-dit, de chaque état et de chaque ville, nous ferons approcher ce jour quand tous les enfants de Dieu, Noirs et Blancs, Juifs et Gentils, Catholiques et Protestants, pourront se prendre par la main et chanter les paroles du vieux spiritual noir, "Enfin libres ! Enfin libres ! Dieu Tout-Puissant, merci, nous sommes enfin libres ! »
Tel était le discours de Martin Luther King, très loin des aspirations explosives des noirs opprimés mais très proche des préoccupations de Kennedy et du pouvoir capitaliste.
L’itinéraire de Booker T. Washington, un autre partisan de la méthode dite pacifiste :
« Up from slavery » est désormais un classique de la littérature américaine. Cette autobiographie parut en 1901 retrace le parcours de ce jeune noir, né esclave en 1865 et qui fondera l’université pour jeunes enseignants noirs de Tuskegee, Alabama. Booker T. fût enseignant, écrivain, mais c’est surtout comme militant pour l’intégration des noirs américains qu’il devint un homme public.
Booker.T Washington est né dans une famille pauvre du sud-ouest de l’Etat de Virginie d’un père blanc et d’une mère noire. Il n’a pas connu son père. C’est son beau-père, un esclave affranchi, qui l’éduquera. Très tôt, il a le goût des études mais la pauvreté oblige le jeune garçon à travailler dans des mines de charbon et des fours à sel pour aider sa famille. Frustration. Booker voulait étudier. A seize ans, ses parents l’autorisent finalement à quitter son travail. Il rentre alors à l’institut agricole de Hampton, devenu depuis une université, où il paye ses études en y travaillant comme portier. Elève brillant, il devient rapidement professeur. Il exercera là-bas. Remarqué par le directeur de l’école, Sam Armstrong, il devient alors le premier dirigeant de l’Université de Tuskegee. Cette Université qu’il fonde en 1881 forme de jeunes enseignants noirs. Il en sera le président jusqu’à sa mort en 1915.
Honneur suprême pour un noir américain à l’époque, B.T.Washington est invité à parler lors de l’ouverture de la « Cotton states exposition » en 1895. Là, il prononce le discours du « compromis d’Atlanta ». Pour lui, les noirs ne pourront obtenir des droits civiques qu’à travers leur propre avancement économique et moral. Il considère que la bataille doit être sur le terrain, avant d’être devant les tribunaux. Plutôt qu’une bataille juridique offensive, il préfère défendre une intégration par l’excellence : l’éducation et la probité morale de chacun pousseront la société blanche à les reconnaître. Ce discours nuancé fait mouche auprès de nombreux mécènes blancs. Il récolte des fonds de grands patrons de l’époque. Henri Rogers, alors grand magnat de la Standard Oil, le célèbre Rockefeller, Julius Rosenwald ou encore W.H Taft, lui donneront des aides colossales pour financer la mise en place de programmes éducatifs coûteux et la création de nouvelles écoles dans le pays. Ils sont séduits par ce discours modéré qui reprend à son compte, une idée très ancrée dans les mentalités américaines : « Aide-toi, et l’Amérique t’aidera »
Mais cette logique de compromis n’est pas sans froisser certains dirigeants noirs tels que l’un des futurs fondateurs de la N.A.A.C.P, W.E.B Dubois. Ils y voient opportunisme et frilosité. Frilosité. Car pour eux, la lutte pour l’intégration des noirs doit passer par des changements légaux et par une ligne bien plus offensive en matière de droits civiques. Opportunisme. Car cet ami des blancs accepte trop facilement d’être leur caution noire progressiste pour faire subventionner ses programmes et être invité à la Maison Blanche.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
LEON TROTSKY :
"Les Noirs ne se sont pas encore éveillés et pas encore unis avec les ouvriers blancs ; 99,9 % des ouvriers américains sont chauvins ; ce sont des bourreaux vis-à-vis des Noirs et des Chinois. Il est nécessaire de leur faire comprendre que l’Etat américain n’est pas leur Etat et qu’ils n’ont pas à être les gardiens de cet Etat. Les travailleurs américains qui disent : « Les Noirs se sépareront quand ils le voudront et nous les défendrons contre notre police américaine », ceux-là sont les révolutionnaires, j’ai confiance en eux."
Quand le courant communiste était en tête du combat contre l’oppression des noirs
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Hoover, responsable du FBI durant cette période avait rédigé une note qui annonçait clairement que : « Le Cointelpro doit empêcher la naissance d’un messie qui pourrait unifier et électriser le mouvement nationaliste noir (...) Il faut faire comprendre aux jeunes Noirs modérés que, s’ils succombent à l’enseignement révolutionnaire, ils seront des révolutionnaires morts (...) ne vaut-il pas mieux être une vedette sportive, un athlète bien payé ou un artiste, un employé ou un ouvrier plutôt qu‘un Noir qui ne pense qu’à détruire l’establishment et qui, ce faisant, détruit sa propre maison, ne gagnant pour lui et son peuple que la haine et le soupçon des Blancs ! »
Il y a 40 ans Malcom X était assassiné
C’est le 21 février 1965 que Malcom X, un des leaders noirs radicaux les plus connus pendant les années de lutte des Noirs américains contre la ségrégation et le racisme, fut assassiné lors d’une réunion publique, dans le quartier noir de Harlem à New York. A-t-il été éliminé par des opposants politiques liés aux « Black muslims », (« Musulmans noirs ») ? Cela semble acquis aujourd’hui ; mais sa mort serait le résultat d’une action conjointe d’une fraction des Musulmans noirs et de la CIA (dirigée alors par Hoover, raciste acharné et anticommuniste viscéral). Il fut donc éliminé par le pouvoir nord-américain. Malcom X apparaissait à l’époque comme le plus intransigeant représentant de la révolte noire contre la ségrégation aux Etats-Unis. Ses critiques envers les leaders noirs modérés, « oncles Tom modernes, utilisés par les Blancs pour nous maintenir passifs, paisibles, non-violents » et envers son propre mouvement : « nous aurions intérêt à réviser notre politique de non-engagement et nous trouver… aux côtés des Noirs… qui s’engagent résolument dans la lutte » lui valurent d’être exclu de la « Nation de l’Islam » organisation des musulmans noirs. Les dirigeants des Musulmans noirs entendaient ainsi couper les ailes d’un dirigeant qui avait pris beaucoup d’ascendant et le marginaliser. Mais malgré son exclusion, Malcom X prenait de plus en plus d’autorité auprès de la jeunesse radicale. Il menaçait l’autorité des Musulmans noirs sur le peuple des ghettos et surtout il mettait en danger l’autorité du gouvernement américain. La révolte des Noirs américains, succédant au mouvement pour les droits civiques dirigé par Martin Luther King, ébranlait l’état américain, et Malcom X même seul, représentait un dangereux tison qu’il fallait éliminer. Son assassinat allait profiter aux Musulmans noirs, dont les tendances affairistes dans les ghettos noirs se développèrent largement par la suite. Ceux-ci voulaient être les maîtres de toute activité économique dans les quartiers noirs et y faire des affaires. C’est cette façon d‘exploiter la situation et les difficultés des quartiers noirs face au racisme et à la pauvreté qui permit par exemple, au chef actuel des Musulmans noirs, Farrakhan, de devenir multi millionnaire. Il est vrai, que s’ils pouvaient le faire, c’est parce que les « Musulmans noirs » avaient gagné un certain ascendant dans les ghettos sur de nombreux Noirs dont beaucoup de jeunes délinquants qui, comme Malcom X jeune, avaient été recrutés dans les prisons. Les Musulmans les avaient redressés et en avaient fait des nationalistes noirs, hostiles au pouvoir blanc. Cet assassinat de Malcom X faisait aussi l’affaire de l’Etat américain qui ne pouvait tolérer la montée d’une violence révolutionnaire dans les mouvements noirs. Il fallait faire le ménage, surtout éviter la contagion généralisée de la révolte. A travers l’assassinat de Malcom X, il fallait décapiter le mouvement de masse qu’il représentait, faire un exemple aux yeux des 22 millions de noirs américains révoltés potentiels. Malcom X ne fut d’ailleurs pas le seul dirigeant populaire assassiné. Après lui, ce fut le tour de Martin Luther King, pourtant plus modéré dans ses propos, puis de plusieurs dirigeants et militants des « black Panthers » qui prônaient l’auto défense armée et la mirent en pratique en patrouillant armés dans les ghettos pour se faire respecter de la police blanche. Cette pratique avait du reste été inaugurée par Malcom X. La mobilisation massive des Noirs dont un grand nombre se reconnaissait peu ou prou en tous ces dirigeants faisait craindre le pire au gouvernement américain. Les émeutes noires massives dans tous les grands ghettos noirs embrasaient les USA, à Harlem, Newark, Watts, Détroit et ailleurs. Pour mettre un terme à la radicalisation du mouvement noir, l’Etat américain réprima durement. Sa police et ses militaires tiraient à vue dans les ghettos, y compris avec des armes lourdes, rasant des quartiers, assassinant des centaines de manifestants. Le pouvoir emprisonna plusieurs milliers d’entre eux, puis liquida un grand nombre de dirigeants et militants les plus radicaux. Ensuite, le pouvoir fit des concessions. La période de lutte engagée pour la reconnaissance des droits civiques et pour mettre fin à la ségrégation partout aux Etats-Unis, porta ces quelques fruits ; ce qui n’était pas négligeable, notamment pour ceux qui subissaient depuis toujours ce racisme officiel, mais aussi pour tous ceux qui en faisait un problème de dignité humaine. La pression de cette lutte ouvrit certes un peu plus d’emplois à des Noirs. Les lendemains de ces luttes profitèrent surtout à la bourgeoisie et petite bourgeoisie noires. Mais ces luttes avaient soulevé des espoirs qui allaient au-delà du problème racial ; c’est tout le problème des inégalités, de l’exploitation, de la misère qui soulevait l’enthousiasme et la combativité de beaucoup de ceux qui manifestaient, se battaient dans les rues. Pour tous ceux là, pour leurs enfants d’aujourd’hui, ce combat reste à poursuivre, certes dans d’autres conditions. La cause fondamentale du racisme, de l‘oppression, de la misère ne pouvait pas être éradiquée uniquement par les quelques lois sur les droits civiques consentis par le pouvoir. Il reste encore, aujourd’hui, aux Noirs américains, à se battre, de nouveau, contre le système d’exploitation capitaliste qui est la cause de la misère et de toutes formes d’oppression dans le pays le plus riche du monde, le modèle permanent du capitalisme ! Il est possible qu’au fil de sa vie militante, en particulier dans les derniers mois vécus, Malcom X se soit approché de cette vérité, sans en avoir tiré toutes les conséquences. Le pouvoir ne lui pas donné le temps d’y parvenir, si toutefois c’était dans ses intentions. Quoiqu’il en soit nous devons apprécier à sa juste valeur le courage et l’engagement de cet homme qui refusait de se laisser berner par les contes modérés et les faux-fuyant des leaders modérés et proclamait cette vérité simple que « le pouvoir est au bout du fusil », quand des masses nombreuses se mobilisent et tiennent en main de nombreux fusils face aux brutes armées du pouvoir d’état.
article de"Combat Ouvrier"
On les a appelés Niggers puis Coloured people, Negroes puis Blacks et maintenant, les voici Afro-Americans. Cela ne change rien au réel : les Noirs constituent aujourd’hui comme hier la classe la plus défavorisée de la société nord-américaine. Ce n’est pourtant pas faute d’en avoir secoué un à un tous les jougs, dont ces appellations successives sont autant de symboles ! Le siècle démarre sur un bilan tragique bien qu’alors coutumier : cent-six Noirs meurent lynchés dans l’année 1900. L’avenir ne semble pas prometteur pour les vivants, car en cette même année, l’AFL (American Federation of Labor), jeune mais déjà plus grand syndicat du pays, accepte malgré ses principes fondateurs intégrationnistes des associations interdites aux Noirs. Le syndicalisme américain cautionne une ségrégation que la Cour Suprême a permis aux États d’instaurer peu à peu, par sa lecture de plus en plus restrictive du XIVème Amendement garantissant depuis 1865 la pleine citoyenneté à toute personne née sur le territoire. Le mouvement ouvrier ne se prive pas ainsi seulement d’une force potentiellement révolutionnaire. En rejetant le problème racial hors du champ social, il condamne les Noirs au seul combat juridique. Ce terrain conviendra à l’infime bourgeoisie noire, pour la plupart déjà installée dans le Nord. Mais la majorité, composée de paysans vivant dans le Sud Profond, a d’autres priorités plus concrètes, sur lesquelles s’appuie le leader de l’époque, Booker T. Washington (1856-1915), pour prôner l’intégration par l’apprentissage de métiers à faible qualification et renvoyer l’égalité raciale à un avenir lointain. Le programme plaît aux Blancs, qui le noient sous les honneurs dont ils inondent son auteur. Maigre succès, son Tuskegee Institute formera des générations d’ouvriers puis de cadres instruits, mais ne changera guère la situation générale. C’est donc du Nord un fois de plus que viendra la lumière - faible lumière tant le chemin est long qui mène à la liberté. Le Nord vers lequel se dirige massivement la population noire, chassée de la campagne sudiste par la misère, les vexations, la pression des petits agriculteurs blancs et les mutations de la société. Le Nord où est fondée en 1910 la NAACP (National Association for the Advancement of Coloured People), célèbre pourfendeuse des lois et actes racistes, qui obtiendra en justice des résultats décisifs. Son unique responsable noir jusqu’à ce jour, le brillant W.E.B. Dubois, appelle pour la première fois au vote démocrate en 1912. Le Président Wilson ne s’en montre guère reconnaissant, pas plus que du soutien à l’oncle Sam apporté par les Noirs lors de la Première Guerre Mondiale. Premier embrasement généralisé des ghettos, "l’été rouge" de 1919 marque l’avènement de la troisième tendance noire américaine, symbolisée par Marcus Garvey, apôtre du nationalisme et inspirateur du mouvement rasta jamaïcain. Collaboration, combat civique ou violence : les options sont en place. Les années vingt leur ajoutent un élan artistique, faisant d’Harlem un pôle culturel, mais aussi politique, avec la formation de syndicats noirs par le Parti Communiste (1925). Les Noirs souffrent au premier chef de l’appauvrissement général et des bouleversements que provoque la Crise, et ne profite guère du réveil social qu’elle engendre. Certes, aux succès de A. Philip Randolph et de son syndicat des porteurs de wagon-lits s’ajoutent les victoires des athlètes noirs à Berlin en 1936, ou la gloire de l’acteur et chanteur communiste Paul Robeson (1898-1976), première star de couleur et bientôt exilé, pour attester de la pugnacité de la communauté et réveiller sa fierté. Mais la ségrégation et la misère perdurent, malgré les louables efforts de l’administration Roosevelt, vite calmés par la guerre et l’anticommunisme. Les techniques du combat civique sont pourtant déjà bien au point. Dès qu’une victoire juridique est obtenue, on s’engouffre dans la brèche, on exige son application, on tente de l’étendre à des domaines annexes, quitte à provoquer de nouveaux procès. Ainsi en 1947, de nombreux militants sont arrêtés lorsque le CORE (Congress of Racial Equality) organise un "Voyage de la Liberté" pour que soient appliquées les récentes directives interdisant la ségrégation dans les liaisons entre états. Mais l’indifférence reste totale. De piétinements procéduriers en émeutes suivies de phases d’abattement, la lutte semble sans espoir et sans fin. Que manque-t-il ? Un chef, une organisation, une idée noble à la hauteur du génie de ce peuple martyr ? Depuis 1934 Elijah Mohammed préside la Nation de l’Islam, forte de 100 000 membres en 1950, qui milite pour l’économie séparée, la création d’Etats Noirs et... le refus de voter. La rhétorique radicale et l’ironie implacable de son encombrant porte-parole susciteront l’engouement des médias, qui feront de l’élégant Malcom X, de son mépris des Blancs, de ses appels à l’autodéfense armée, un épouvantail pour les uns et un aiguillon pour les autres. Mais c’est l’application des pratiques du Mahatma Gandhi par les pasteurs chrétiens noirs qui enclenche enfin l’alchimie des révoltes victorieuses. Rien n’oppose l’action non-violente à l’Évangile, au contraire, puisqu’elle donne chair au message rédempteur professé par le christianisme noir. On l’avait oublié tant elle se faisait discrète, mais l’Église constitue malgré ses multiples chapelles la seule structure à laquelle adhère depuis longtemps l’immense majorité des Noirs, souvent avec une ferveur ardente. Ses pasteurs représentent l’élite dans laquelle beaucoup se reconnaissent, et d’où émerge rapidement la figure charismatique de Martin Luther King. L’idée, l’organisation, le chef sont réunis ; la "mayonnaise" peut prendre, d’autant que King sait ajouter à son vibrant discours chrétien un rappel des valeurs fondatrices américaines qui contribue, avec le pacifisme, à donner au combat une dimension morale. Blancs et Noirs peuvent donc y prendre part, les timorés parce qu’il est pacifique, les extrémistes en le voyant comme un début. En évoquant les grands moments de ces quinze années fulgurantes, on aurait tort d’oublier l’âpreté de la lutte. Pour chaque victoire, combien de militants assassinés, condamnés ou battus, combien de foules mises à terre par les lances à incendie ? Tout commence d’ailleurs comme une expiation, par l’année entière de marche à pied que s’infligent en 1956 les Noirs de Birmingham (Alabama) avant d’obtenir de la Cour Suprême l’interdiction de la ségrégation dans les bus. Et tout procède comme d’un chemin de croix collectif, avec les foules haineuses accueillant par des menaces les enfants noirs dans les écoles (Little Rock, Arkansas, 1957), ou par des coups les militants du Core qui reprennent leurs voyages de la liberté en 1961, avec l’aide des étudiants du SNCC (Comité de coordination des Étudiants Non-violents). Mais les forces noires se regroupent, sous l’impulsion de la SCLC (Southern Christian Leadership Conference) fondée par King en 1957, et les succès arrivent, bientôt soutenus par l’administration Kennedy. A force de procès, de boycotts, de sit-in et de manifestations pacifiques, la déségrégation est imposée dans les écoles, les lieux publics, les commerces. En août 1963, un grand rassemblement à Washington, au cours duquel King prononce son célèbre discours "j’ai fait un rêve", consacre l’apogée de la lutte civique. En 1965 les marcheurs de Selma (Alabama), sauvagement arrêtés pour avoir voulu s’inscrire sur les listes électorales, poussent le Président Johnson à présenter une loi supprimant toute restriction légale au droit de vote. Empruntant aux militants le "nous vaincrons" de leur hymne, il définit les principes de "l’action affirmative", ébauche de réparation sous forme de priorités accordées aux Noirs dans l’accès aux universités et à l’administration. Il faudrait donc chanter ces victoires, alors qu’elles portent sur des droits reconnus depuis un siècle par la Constitution, et arrachés par une guerre civile ? Se réjouir de promesses qui n’engagent guère que l’argent public ? La plupart des Noirs ne s’en contente déjà plus. A la fierté de se proclamer "negroes" des débuts de la lutte pour les droits civiques a succédé l’affirmation d’une culture que beaucoup considèrent comme autonome, sinon supérieure. Black Power, "Black is beautiful" et coiffure afro symbolisent l’apparition d’une nouvelle génération que la lenteur des progrès, la persistance de la misère et l’assassinat de Malcom X en 65 rend plus vindicative. L’analyse en vigueur aujourd’hui veut que le mouvement ait alors été débordé par la mouvance gauchiste, s’aliénant la population, ou emporté par une logique interne radicale qui pousse par exemple King à soutenir la cause palestinienne, perdant ainsi l’appui du lobby juif. Ce point de vue tend à négliger que, peu avant sa mort, Malcom X amorça un rapprochement entre les deux tendances en soutenant King à Selma. Que celui-ci, soumis aux critiques des jeunes du SNCC, se lança dans le combat économique avec en 66 le boycott pour l’amélioration des taudis de Chicago. Son échec cuisant semble avoir été savamment orchestré. Car sur ce terrain-là s’agitent d’autres intérêts, à qui la lutte civique ne portait guère tort ! Certes, les militants armés du Black Panther Party, créé en 66 par Bobby Seale et Huey Newton, émules de Malcom X, préfigurent l’éclosion du gauchisme, et l’embrasement des ghettos à l’été 67 annonce l’agitation mondiale de l’année suivante. Mais si le mouvement a profité de la dynamique libératrice d’une époque agitée, il la précède plus qu’il ne l’accompagne, y compris dans la chute. Les assassinats de Martin Luther King en avril 68, puis en juin de son ami Robert Kennedy, ancien ministre de la Justice et très libéral candidat démocrate, marquent le début de la grande répression.
Bien qu’il soit impossible de prouver sa responsabilité directe dans ces meurtres, on connaît maintenant le rôle répressif joué pendant des années par l’obscur Edgar Hoover, directeur du FBI de 1924 à 1972, raciste et anticommuniste obsessionnel aux accointances maffieuses. Manipulation, désinformation, campagnes calomnieuses, exploitation des dissensions internes, harcèlement policier ou même assassinats, l’arsenal répressif classique, forgé au feu du Maccarthysme, ne fut pas étranger à la radicalisation du mouvement. L’introduction massive de la drogue dans les ghettos, la gangstérisation des syndicats, puis des groupes activistes bientôt entraînés dans une spirale de violence dont ils sortiront vaincus, relèvent de stratégies nettement plus "post modernes", formalisées sous le nom de Cointel-Pro et visant à diviser, criminaliser et déconsidérer la contestation d’où qu’elle vienne. Pour la communauté noire, la disparition des radicaux, la criminalisation massive, les lenteurs de l’action affirmative puis sa remise en question par les Présidents Reagan et Bush témoignent du succès de cette politique. Les curieux se demanderont pourquoi elle n’a pas donné naissance au terrorisme, islamiste par exemple avec la Nation de l’Islam et son nouveau chef Louis Farrakhan, pourtant fort véhément. Pendant ce temps la communauté noire contemple son bien maigre bilan, agitée d’explosions sporadiques. Après avoir détruit le mythe de la Terre de Liberté, puis celui du melting-pot, la voici enfermée dans celui de l’Amérique pluriethnique, qui la rend responsable de sa persistante pauvreté et criminalisation. Combien de temps cautionnera-t-elle ce nouveau mensonge ?
Ce texte a été publié dans Le siècle rebelle, dictionnaire de la contestation au XXè siècle, éd. Larousse, 1999.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
article de wikipedia sur les
Black Panther Party
Le Black Panther Party (à l’origine le Black Panther Party for Self-Defense) était un mouvement révolutionnaire afro-américain formé aux États-Unis en 1966 par Bobby Seale et Huey P. Newton qui a atteint une échelle nationale avant de s’effondrer à cause de tensions internes et des efforts de suppression par l’État, en particulier le FBI (efforts qui comportaient des arrestations et l’agitation de factions rivales via des infiltrateurs). L’organisation est connue pour son programme « Free Breakfast for Children », l’utilisation du terme « pigs » (cochons) pour décrire les agents de police ainsi que pour avoir apporté des armes à feu à l’assemblée législative californienne. Les membres du Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC), parmi lesquels Stokely Carmichael, travaillaient à enregistrer les votants dans le comté de Lowndes, en Alabama. Suivant le succès du Mississippi Freedom Party, les organisateurs travaillaient à créer la Lowndes Organization comme parti indépendant. La loi de l’Alabama obligeait tous les partis à présenter une identification visuelle pour les votants analphabètes. Courtland Cox a contacté un concepteur d’Atlanta pour un logo. Celui-ci a d’abord présenté un pigeon mais les acteurs du SNCC à Lowndes ont pensé que cela était trop doux alors le concepteur est revenu avec une panthère noire, la mascotte du Clark College d’Atlanta. La Lowndes County Freedom Organization est devenue le parti Black Panther et rapidement d’autres partis sont apparus dans le pays. Plusieurs n’avaient pas de lien avec le SNCC et le Black Panther Party for Self-Defense n’était pas lié officiellement avec aucun de ces partis ni au SNCC.Le parti a lancé une variété de programmes communautaires, initialement dans la région d’Oakland, incluant un programme de dépistage de la drépanocytose, des cliniques gratuites et des distributions de nourriture. Le programme qui a été de loin le plus populaire et qui a eu le plus de succès est sans doute le « Free Breakfast for Children Program », initialement d’une église de San Francisco et qui a nourri des milliers d’enfants durant l’histoire du parti... Les Black Panthers ont aussi offert de nombreux autres services gratuits tels que des vêtements , des cours de politique et d’économie, des cliniques médicales, des leçons d’autodéfense et de premiers soins, des transports vers les prisons pour les membres de la famille des détenus, un programme d’ambulance de soins d’urgence, des mesures de réhabilitation à l’alcoolisme et à la toxicomanie, et le dépistage de la drépanocytose. Les Panthers ont testé plus de 500 000 Afro-Américains pour cette maladie avant que les établissements médicaux reconnaissent qu’elle affecte presque exclusivement les membres de la communauté noire. Le parti a aussi combattu l’usage de drogues dans la communauté Afro-Américaine en arrêtant les opérations des trafiquants de drogue et en faisant de la propagande anti-drogue. Le Parti a brièvement fusionné avec le Student Nonviolent Coordinating Committee avec à leur tête Stokely Carmichael (plus tard Kwame Toure). En 1967 le parti organisa une marche vers le siège du pouvoir législatif de la Californie en vue de protester contre la volonté de l’état de délégaliser le port d’armes chargées en public. Les participants y portaient des fusils. En 1968 le Ministre de l’information du BPP Eldridge Cleaver se portait candidat pour la présidence du Peace and Freedom Party. Le Parti a été ciblé par le programme COINTELPRO du FBI, qui tentait systématiquement d’interrompre les activités et de dissoudre le parti. COINTELPRO y arrivait par infiltration, propagande publique et la provocation de rivalités entre factions et ce principalement par l’envoi de lettres anonymes ou falsifiées. La police retenait le groupe par des poursuites interminables, des fusillades, des assassinats, des enquêtes, de la surveillance et des dirty tricks. Lors de l’une des plus notoires de ces actions, le FPB et la police de Chicago ont pris d’assaut la résidence de l’organisateur talentueux et charismatique des Panthers Fred Hampton le 4 décembre 1969. Les personnes dans la maison ont été droguées par l’informateur du FBI William O’Neal et tous étaient endormis lors de l’assaut. Hampton fut atteint par balles et tué ainsi que le garde Mark Clark. Les autres dans la maison ont été tirés dans la rue et battus puis accusés pour voies de fait. Ces accusations ont été par la suite retirées. Les membres Bunchy Carter et John Huggins ont été tués sur le campus de l’UCLA en 1969 lors d’un autre incident. Bien qu’ils aient été tués par un group Black Power rival nommé US (United Slaves) créé par Maulana Karenga, le directeur local du COINTELPRO a revendiqué les meurtres dans des notes internes du FBI, y affirmant qu’une série de documents falsifiés provenant de son bureau avaient mené directement à la fusillade. Pendant qu’une partie de l’organisation participait ou était proche des services sociaux des gouvernements locaux, un autre groupe avait constamment des démêlés avec la police. La séparation entre l’action politique, l’activité criminelle, les services sociaux, l’accès au pouvoir et la recherche d’identité est devenue floue et bizarrement contradictoire. De ce fait, le momentum politique des Panther a été graduellement épuisé à naviguer le système de justice criminelle. Un groupe s’appelant le New Black Panther Party a émergé de la Nation of Islam plusieurs décennies après la chute des Black Panthers originaux. Des membres du Black Panther Party original les ont publiquement et durement critiqué. Par exemple, la Dr. Huey P. Newton Foundation insiste qu’il « n’y a pas de nouveau Black Panther Party. » Une nouvelle National Alliance of Black Panthers a été formée le 31 juillet 2004, inspirée par l’activisme de l’organisation initiale, mais non autrement reliée. Leur présidente est Shazza Nzingha. Le parti a été fondé sur un programme comportant dix points (Ten Point Plan) listés ci-dessous et disponibles en entier (en) avec les commentaires explicatifs du parti pour chacun des points. Le Ten Point Plan fut l’un des documents centraux du parti et sa distribution était la méthode la plus importante de propagande, d’éducation et de recrutement. Les dix points : 1. Nous voulons la liberté. Nous voulons le pouvoir de déterminer le destin de notre Communauté Noire. 2. Nous voulons le plein emploi pour notre peuple. 3. Nous voulons la fin du vol de notre Communauté Noire par les capitalistes. 4. Nous voulons des habitations décentes, propres à l’hébergement de personnes. 5. Nous voulons une éducation pour notre peuple qui expose la véritable nature de cette société Américaine décadente. Nous voulons une éducation qui nous enseigne notre véritable histoire et notre rôle dans la société d’aujourd’hui. 6. Nous voulons que tous les hommes noirs soient exemptés du service militaire. 7. Nous voulons la fin immédiate de la brutalité policière et du meurtre des personnes noires. 8. Nous voulons la liberté pour tous les hommes noirs détenus dans des prisons municipales, de comtés, d’état et fédérales. 9. Nous voulons que toutes les personnes noires amenées en cour soient jugées par leurs pairs ou par des personnes de leurs communautés noires tel que défini dans la Constitution des États-Unis. 10. Nous voulons des terres, du pain, des logements, de l’éducation, des vêtements, la justice et la paix. Pourquoi nous ne sommes pas racistes Extraits de "A l’affût - Histoire du Parti des Panthères noires et de Huey Newton" par Bobby Seale, Collection Témoins Gallimard, 1972 (édition française) « Le parti des Panthères noires n’est pas une organisation raciste noire, et cela à aucun point de vue. Nous connaissons bien les origines du racisme. Notre ministre de la Défense, Huey P. Newton, nous a appris à comprendre qu’il nous fallait nous opposer au racisme sous toutes ses formes. Le parti a conscience du fait que le racisme est ancré dans une grande partie de l’Amérique blanche, mais il sait aussi que les sectes embryonnaires qui prolifèrent à l’heure actuelle dans la communauté noire ont à leur base une philosophie raciste. Le parti des Panthères noires ne se place pas au niveau vil et bas du Ku Klux Klan, des "chauvins blancs" ou des organisations de citoyens blancs, soi-disant patriotiques, qui haïssent les Noirs pour la couleur de leur peau, même si certaines de ces organisations proclament "Oh, nous ne haïssons pas les Noirs, la seule chose, c’est que nous ne les laisserons pas faire ceci, ni cela ! " Ce n’est en fait que de la basse démagogie, masquant le vieux racisme qui fait un tabou de tout, et en particulier du corps. L’esprit des Noirs a été étouffé par leur environnement social, cet environnement décadent qu’ils ont subi quand ils étaient esclaves et qu’ils subissent encore depuis la soi-disant Proclamation d’émancipation. Les Noirs, les Bruns, les Chinois et les Viêt-namiens, font l’objet de surnoms péjoratifs tels que crasseux, nègres, et bien d’autres encore. Ce que le parti des Panthères noires a fait en substance, c’est appeler à l’alliance et à la coalition tous les gens et toutes les organisations qui veulent combattre le pouvoir. C’est le pouvoir qui, par ses porcs et ses pourceaux, vole le peuple ; l’élite avare et démagogue de la classe dirigeante qui agite les flics au-dessus de nos têtes, et qui les dirige de manière a maintenir son exploitation. A l’époque de l’impérialisme capitaliste mondial, impérialisme qui se manifeste aussi contre toute sorte de gens ici même en Amérique, nous pensons qu’il est nécessaire en tant qu’êtres humains, de lutter contre les idées fausses actuelles telles que l’intégration. Si les gens veulent s’intégrer - et je présume qu’ils y arriveront d’ici cinquante ou cent ans - c’est leur affaire. Mais pour l’instant, notre problème, c’est ce système de classe dirigeante qui perpétue le racisme et l’utilise comme moyen de maintenir son exploitation capitaliste. Elle utilise les Noirs, et en particulier ceux qui sortent de l’Université et sont issus de ce système d’élite, parce que ceux-ci ont tendance à tomber dans le racisme noir qui n’est pas différent de celui que le Ku Klux Klan où les groupes de citoyens blancs pratiquent, il est évident que combattre le feu par le feu a pour résultat un grand incendie. Le meilleur moyen de combattre le feu, c’est l’eau parce qu’elle éteint. L’eau, c’est ici la solidarité du peuple dans la défense de droit à s’opposer à un monstre vicieux. Ce qui est bon pour l’homme est bon pour nous. Ce qui est bon pour le système de la classe diricapitaliste ne peut pas être bon pour la masse. Nous, le parti des Panthères noires, nous voyons les Noirs comme une nation à l’intérieur d’une nation, mais pas pour des raisons racistes. Nous le voyons comme une nécessité qui s’impose, si nous voulons progresser en tant qu’êtres humains et vivre sur cette terre en accord avec autres peuples. Nous ne combattons pas le racisme par le racisme. Nous combattons le racisme par la solidarité. Nous ne combattons pas le capitalisme exploiteur par le capitalisme noir. Nous combattons le capitalisme par le socialisme. Nous ne combattons pas l’impérialisme par un impérialisme plus grand. Nous combattons l’impérialisme par l’internationalisme prolétarien. Ces principes sont essentiels dans le parti. Ils sont concrets, humains et nécessaires. Ils devraient être adoptés par les masses. Nous n’utilisons et n’avons jamais utilisé nos armes pour pénétrer la communauté blanche et tirer sur des Blancs. Tout ce que nous faisons, c’est de nous défendre contre quiconque nous attaque sans raison et essaie de nous tuer lorsqu’on met en pratique notre programme, qu’il soit noir, bleu, vert ou rouge. Tout bien considéré, je pense qu’en dant nos actions, tout le monde peut voir que notre organisation pas une organisation raciste, mais un parti progressiste révolutionnaire. Ceux qui veulent semer la confusion dans la lutte en parlant de différences ethniques sont ceux qui maintiennent et facilitent l’exploitation des masses des pauvres Blancs, des pauvres Noirs, des Bruns, des Indiens rouges, des pauvres Chinois et Japonais et des travailleurs en général. Le racisme et les différences ethniques permettent au pouvoir d’exploiter la masse des travailleurs de ce pays parce que c’est par là qu’il maintient son contrôle. Diviser le peuple pour régner sur lui, c’est l’objectif du pouvoir ; c’est la classe dirigeante, une infime minorité constituée de quelques pourceaux et de rats avares et démagogues, contrôle et pourrit le gouvernement. La classe dirigeante avec ses chiens, ses laquais, ses lèche-bottes, ses "Toms", ses Noirs racistes et ses nationalistes culturels, - ils sont tous les chiens de garde de la classe dirigeante. Ce sont eux qui aident au maintien du pouvoir en perpétuant leurs attitudes racistes et en utilisant le racisme comme moyen de diviser le peuple. Mais c’est seulement la petite minorité qui constitue la classe dirigeante qui domine, exploite et opprime les travailleurs. Nous faisons tous partie de la classe ouvrière, que nous travaillions ou non et notre unité doit se constituer sur la base des nécessités concrètes de la vie, la liberté et la recherche du bonheur, si ça signifie encore quelque chose pour quelqu’un. Pour que les problèmes qui existent puissent être résolus, cette unité doit être basée sur des choses concrètes comme la survie des gens, et leur droit à l’autodétermination. En résumé, il ne s’agit donc pas d’une lutte raciale et nous en ferons rapidement prendre conscience aux gens. Pour nous, il s’agit d’une lutte de classe entre la classe ouvrière prolétarienne qui regroupe la masse, et la minuscule minorité qu’est la classe dirigeante. Les membres de la classe ouvrière, quelle que soit leur couleur, doivent s’unir contre la classe dirigeante qui les opprime et les exploite. Et laissez-moi encore insister : Nous croyons que notre combat est une lutte de classe et non pas une lutte raciale. » Extraits de "A l’affût - Histoire du Parti des Panthères noires et de Huey Newton" par Bobby Seale, Collection Témoins Gallimard, 1972 (édition française)
Les initiateurs des Black Panthers
LA REVOLTE DES GHETTOS NOIRS
Été 1964. New York. Dans le quartier de Harlem l’agitation suit l’assassinat d’un jeune black de 15 ans par un policier blanc qui n’était pas en service. Le jeune aurait menacé le flic d’un couteau. Les manifestations se transforment en émeutes : les voitures brûlent, les magasins sont pillés, les pavés, les barres de fer et les coktails molotow sont les (faibles) moyens utilisés pour affronter les forces de l’ordre. Les affrontements dans la rue durent pendant quatre nuits et trois journées, puis la vague déborde le quartier de Manhattan pour toucher le quartier de Brooklyn, dans le quartier black de Bedford-Stuyvesant.
D’autres villes sont également touchées ; il y a ainsi des émeutes dans le ghetto de Rochester dans le nord-ouest de la ville de l’État de New York, après que deux policiers blancs aient arrêté deux jeunes black alcoolisés. Le bilan de ces dix journées “chaudes” de New York et Rochester : 7 morts, 800 blessés dont 48 policiers, plus de 1 000 arrestations, des millions de dégâts.
Ces mois “chauds” ont résonné dans toutes les USA.
En été 1965, du 11 au 16 août, c’est le quartier black de Watts, à Los Angeles, qui flambe. Avec comme prétexte l’arrestation d’un black prétendument alcoolisé par des policiers blancs . La presse WASP (white anglo-saxon protestant) se déchaîne contre la “plèbe noire”. Résultat : 35 morts, 800 blessés, 700 maisons incendiées, dévastation sur un périmètre de 77 km², 500 millions de francs de dégâts.
L’été 1966, ce sont plus d’une vingtaine de villes qui soulèvent dans tous les USA. Entre autres : Jacksonville en Floride, Sacramento en Californie, Omaha au Nebraska, New York, Los Angeles, San Francisco, Chicago. Dans cette dernière ville, le prétexte fut que la police avait chassé des enfants qui profitaient d’une bouche à incendie pour se rafraîchir. Le point culminant de cet été, ce fut à Cleveland, dans l’Ohio, avec les affrontements avec la garde nationale. A la fin de cet été il y avait 12 morts et 400 blessés.
En 1967, dans le quatrième “été brûlant”, plus de 100 villes étaient touchées par les soulèvements, notamment Newark (dans le New Jersey, pas loin de New York) et Detroit. À Newark, les heurts durèrent du 12 au 17 juillet après qu’un taxi black ait été arrêté. À peine arrêtées des centaines de personnes se rassemblent et jettent des pierres et des bouteilles sur la police. Cette ville de 405 000 habitants se transforma en champ de bataille, il y eut 27 morts (dont 25 noirs), 2 000 blessés. En 60 endroits il y avait des incendies, des blocs de maisons étaient criblés de balles, les magasins du centre-ville avaient été pillés, des engins blindés patrouillaient dans toute la ville avec des soldats armés de pistolets-mitrailleurs, 1 500 noirs furent envoyés en prison.
Mais ce qui se passa du 24 au 28 juillet 1967 à Detroit dépassa tout cela. Robert Kennedy parla « de la plus grande crise américaine depuis la guerre civile », le Washington Post de « la plus grande tragédie dans la longue histoire des explosions des ghettos de couleur ». Après une razzia de la police contre un café clandestin black, c’est l’émeute et la répression. Les tanks sont dans les rues avec des parachutistes en formation, on tire contre les gens dans les rues et sur les places. Des dizaines d’hélicoptères mitraillent les fenêtres. Des pans entiers de la ville furent en feu, les rues étaient dévastées. Dans les quatre journées et nuits d’affrontements, la police, la garde nationale et les parachutistes de la 82ème et 101ème division (qui s’étaient illustrés au Viêt-nam) reprennent le terrain, rue par rue, dans ce qui est tout de même la cinquième plus grande ville US, la capitale mondiale de l’automobile.
Le système judiciaire fut totalement débordé. La prison de Detroit, prévu pour 1 200 prisonniers, en accueillit 1 700. Dans les prisons pour mineurs 600 jeunes occupèrent une place prévue pour 120 personnes. Un garage souterrain de la police fut transformé en prison pour 1 000 personnes. D’autres gens furent bloqués plus de 24 heures dans des bus. Donc pas de toilettes, pas de médecin, pas de droits, aucun contact avec des avocats.
41 personnes moururent à Detroit ces jours là, 2 000 furent blessées, 3 200 arrêtées, des milliers sans endroit pour dormir. 1 500 magasins furent pillés, 1 200 incendies effectués, la production automobile arrêtée. Il y eut pour plus de 7 milliards de francs de dégâts. H. RAP Brown, ancien leader estudiantin black, dit : « avant la ville s’appelait Detroit, maintenant elle s’appelle Destroyed [détruite] ».
Ces soulèvements n’étaient pas des soulèvements organisés, mais ce qui les caractérise toutes c’est que leur prétexte fut une confrontation avec la police. À chaque fois une intervention de police fait déborder le vase. Les gens résistent à la police qui appelle des renforts, qui reçoivent des pierres et des bouteilles ; suivent les pillages. Les symboles de la société blanche - magasins et flics- étaient attaqués.
Porteurs de cette vague : les jeunes. Les jeunes étaient plus conscients du racisme spécifique à l’encontre des noirs, ne croyaient pas en une action au sein des institutions, avaient déjà souvent participé à des actions politiques. BLACK PANTHERS PARTY
LA REVOLTE DE LA PRISON D’ATTICA
Le13 septembre 1971, les troupes fédérales prirent d’assaut la prison d’Attica (Etat de New York) où les prisonniers essentiellement noirs s’étaient révoltés. Ils les attaquèrent comme une armée fasciste, massacrant, frappant, mettant à nu sur le sol les prisonniers, les humiliant. Quand enfin la brume artificielle des gaz lacrymogènes se dissipa et que les premiers secours furent autorisés à pénétrer dans l’enceinte de la prison, on put dénombrer 43 morts et près de 200 blessés. Ainsi s’acheva la brève expérience politique des insurgés d’Attica. Ce fut l’assassinat de George Jackson, un des leaders des Black Panthers, qui joua le rôle de détonateur dans ce qui demeure la plus importante révolte carcérale du XXème siècle. La révolte d’Attica survint dans un contexte politique très agité : sur le plan intérieur, la contestation faisait rage (mouvements d’émancipation noir, gay, féministe, contre-culture, pacifisme…) ; sur la plan extérieur, les Etats-Unis était embourbés dans la guerre du Vietnam et bombardaient « secrètement » le Cambodge… »
Les détenus avaient demandé de meilleures conditions de vie, des douches, des facilités pour étudier et moins de censure sur les courriers et les visites. Ils avaient droit à cette époque à un seau d’eau en guise de douche et un rouleau de papier hygiénique par mois. Une de leurs plus simples revendications était de pouvoir disposer de papier hygiénique à volonté.
Une première requête avait été adressée par lettre avant toute action physique. Puis, en réponse à des rumeurs de torture de deux prisonniers, les détenus se révoltèrent prenant quarante-deux gardiens et civils en otage.
Les prisonniers négocièrent avec une équipe de médiateurs qui avait été réquisitionnée et qui comprenait Tom Vicker un éditeur du New York Times, James Ingram du "Michigan Chronicle", le représentant de l’État Arthur Eve et d’autres élus.
Un garde blessé lors de l’émeute mourut le samedi 11 septembre à l’hôpital.
28 des demandes des prisonniers furent acceptées mais la revendication d’amnistie pour les prisonniers impliqués dans sa mort fût refusée et tout prisonnier impliqué serait passible de la chaise électrique (aucune condamnation à mort n’eut finalement lieue).
Les négociateurs des deux parties réclamèrent la présence du gouverneur Nelson Rockefeller qui refusa de venir, pensant que sa présence n’aiderait en rien à sortir du conflit.
Avant que le service n’ait repris, dix otages et détenus de twenty-nine avaient été tués.
Après 4 jours de révolte, 211 officiers de la police d’état de New York ont pris le Centre d’assaut. Le bilan final fut de 10 gardiens tués (9 lors de l’assaut tués par les armes de la police) et de 29 prisonniers (4 prisonniers ont été tués par leurs co-détenus, les 25 autres par la police).
Les médias ont rapporté que les prisonniers avaient égorgé plusieurs des otages (Un journal avait par exemple titré « J’ai vu des gorges ouvertes ») mais cela fut contredit par les expertises médicales.
Les émeutes d’Attica ont attiré l’attention des médias sur l’état des prisons aux États-Unis pendant les années 1960 et 1970. Elles ont aussi mis en évidence le fonctionnement raciste du système pénitentiaire américain et le fanatisme des gardiens. 27 ans après l’émeute, l’État de New York a bénéficié d’un non-lieu dans un procès avec les familles des détenus tués et à l’automne 2004, 12 millions de dollars d’indemnisation ont finalement été attribués aux familles des gardiens de prison décédés par ce même État de New-York.
On ne peut comprendre la révolte d’Attica et sa portée politique sans se référer au contexte de quasi guerre civile dans lequel elle se produit. "On peut décrire le fonctionnement du système judiciaire américain comme une "mission de localisation et de destruction" ("search and destroy") de la jeunesse noire" (Les prisons de la misère, Wacquant). Le harcèlement policier voire militaire de la jeunesse afro-américaine débute vraiment dans les années 60, au moment de la montée des mouvements d’émancipation noirs. Les assassinats politiques du pasteur Martin Luther King et de Malcolm X ne doivent pas faire oublier le fait que les membres du Black Panthers Party ont fait l’objet d’un programme de destruction systématique. Le cas de Mumia Abu-Jamal, ancienne panthère noire toujours coincée dans le couloir de la mort, témoigne de cet acharnement. Face à la brutalité policière et aux violences racistes, les Panthères Noires se considèrent comme des résistants : leur veste en cuir noire et leur béret font clairement référence à la résistance française. Sur le plan idéologique, ils puisent autant dans le livre rouge de Mao que dans l’existentialisme de Sartre ou Les damnés de la Terre de Frantz Fanon. Dans la pratique, ils mettent en place non seulement des groupes d’autodéfense armée (contre les violences policières) mais aussi toute une politique sociale et culturelle : des "programmes de survie communautaire", des services gratuits comme les dispensaires, les écoles, les transports vers les prisons, etc. Devant le danger de l’émergence d’une vaste coalition de mouvements de gauche radicaux, en 1969, Edgar Hoover, le directeur du FBI, décrète le Black Panthers Party ennemi public numéro un et met au point une opération de contre-espionnage, baptisée COINTELPRO qui s’étend sur dix ans : des dizaines de Panthères sont tuées lors de fusillades provoquées par la police, des centaines de membres et de sympathisants sont emprisonnés. Par la force des choses, les Black Panthers seront donc en première ligne dans les luttes carcérales. "La lutte dans les prisons est devenue un front nouveau de la révolution" affirme George Jackson. Le cas de ce leader des Panthers est emblématique : condamné à vie en 1961 pour un vol de 70 dollars dans une station d’essence, George Jackson se forme en prison à la lecture de Karl Marx, de Frantz Fanon et d’autres penseurs. Les jeunes qui comme lui n’ont pu accéder ni à l’éducation ni à l’emploi, ceux qui ont été forcés à s’auto-éduquer en prison, il les appelle les "intellectuels du lumpenprolétariat" (chômeurs, délinquants, marginaux…). Les prisons deviennent en effet pour les jeunes noirs américains de véritables centres de formation politique. Des livres comme le Manifeste communiste ou le Livre rouge de Mao sont réécrits à la main dans un langage simplifié et utilisés dans des groupes d’alphabétisation de base. Des journaux, toute une littérature de prison sont produits par les détenus ; on fait parvenir clandestinement les manuscrits à des éditeurs extérieurs. Le livre de Jackson, Les Frères de Soledad, circule de main en main dans les prisons américaines où on se l’arrache. La libération des esprits devient une arme contre l’oppresseur. Jackson met toute son énergie à faire en sorte que la mentalité des jeunes blacks paumés se transforme en mentalité de révolutionnaires, en conscience politique. "J’étais révolté. J’étais en prison et je regardais autour de moi pour découvrir quelque chose qui pourrait vraiment faire enrager les matons. J’ai découvert que rien ne les faisait autant enrager que la philosophie". Le 21 août 1971, prétextant une tentative d’évasion, les gardiens de la prison californienne de Saint Quentin abattent froidement Georges Jackson.
Bibliographie • Bobby Seale. (1968). Seize the time. Black Classic Press ; Réimpression (septembre 1997). • Panthère noire (Soul on Ice), Cleaver Eldridge, Paris, Editions du Seuil, 1970, coll. « Combats », • Earl Anthony, Prenons les armes !, Présence africaine, 1971. • George Jackson, Les Frères de Soledad, Gallimard, 1971. • A l’affût. Histoire du parti des Panthères noires et de Huey Newton, Seale Bobby, Paris, Gallimard, 1972. • John Lewis. (1998). Walking with the Wind. Simon and Schuster. Les Panthères Noires, Tom Van Eersel, L’Echapée, 2006 • Black Panthers, Stephen Shames et Charles E. Jones, La Martinière, 2006, 152 p. • We want freedom, Mumia Abu-Jamal, Le temps des cerises, 2006, 260 p. Filmographie • Black Panthers - Huey !, Varda Agnes, Etats-Unis, 1968, 46 mn. • Eldridge Cleaver, Black Panther, Klein William, Alger, ONCIC, 35 mm, couleur, 75 mn, 1970. • All power to the People : The Black Panther Party and Beyond, Lew-Lee Lee, Etats-Unis, 1996, 1 h 56 mn. • Black Panthers, Case Georges, Etats-Unis, 1991, 80 mn. • Panther, Mario Van Peebles, Angleterre / États-Unis 1995 124 min. • What We Want, What We Believe : The Black Panther Party Library, Newsreel et Roz Payne, Etats-Unis, 12 heures, 4 DVD.
Le pouvoir noir Daniel Guérin, dans « Décolonisation du Noir américain », Paris, éd. de Minuit, 1963 « Le Pouvoir noir a marqué un nouveau bond en avant par rapport à son prédécesseur le mouvement Freedom now (Liberté immédiate). Celui-ci luttait encore pour l’intégration raciale, mais à la différence des mouvements antérieurs, animés par des élites, recourant à l’action légale et graduelle, il tentait, lui, de parvenir à ses fins par l’action directe des masses. Ce mouvement était né des déceptions causées par la faillite de l’intégration scolaire de 1954 et il avait été stimulé par l’exemple mondial de la décolonisation. […] En juillet 1966, se produit un grand tournant : les directions de ces deux groupements sont renouvelées, la non-violence abandonnée, la nécessité de l’autodéfense proclamée, la duperie de l’intégration raciale rejetée, et c’est alors que Stokely Carmichael, un tout jeune homme, prend la tête du SNCC. Mais le Pouvoir noir doit également beaucoup à l’idéologie nationaliste des Musulmans noirs et notamment de Malcolm X, leur chef le plus prestigieux, avant qu’il ne reprenne sa liberté. Pendant trop longtemps l’intégrationnisme militant et le séparatisme religieux avaient suivi deux voies divergentes. Il était urgent d’opérer leur synthèse. Malcolm était à la veille de la faire. Le Pouvoir noir est en train de l’opérer. Les mots Black power ont été, pour la première fois employés par le grand écrivain noir, trop tôt disparu, Richard Wright, dans le titre d’un livre sur le Ghana paru en 1954 (titre qui, à l’époque, a été traduit en français par Puissance noire et non Pouvoir noir). L’idée du Pouvoir noir était déjà implicite dans la bouche de Malcolm X quand, dictant son autobiographie, il affirmait : « Le Noir possède, dès maintenant, un pouvoir politique tel qu’il pourrait, s’il le voulait, changer son destin en un jour. » C’est le 24 juin 1966 que le Pouvoir noir est devenu un mot d’ordre de lutte, au cours d’une « marche contre la peur » à travers le Mississipi ; de Memphis à Jackson. Les manifestants, attaqués par la police à Canton, ont crié non plus « liberté immédiate », mais « Pouvoir noir ! » Le slogan a été repris, en juillet, par Carmichael, adopté par les Congrès du CORE et du SNCC. Les 15 et 16 octobre a eu lieu Washington la conférence constitutive du Pouvoir noir. Ce mot d’ordre à la fois dynamique et vague encore, les dirigeants l’ont capté parce qu’il éveillait un écho formidable dans les masses, qu’il avait une valeur de mythe. Mais ils ont eu tout d’abord quelque peine à en fournir une définition précise, sinon qu’il était un moyen de mobiliser les forces de la communauté noire, d’opposer au pouvoir blanc l’énergique pression d’une force de couleur cohérente et organisée. Le Pouvoir noir repose sur la notion de séparation dans tous les domaines. A commencer par l’action politique. Dans un comté de l’Alabama composé de 80% de Noirs et dans quelques autres, Carmichael a contribué à la création d’un parti noir indépendant, dit de la « Panthère noire ». Pour justifier cette rupture avec les démocrates sudistes, il a observé que, pour un Noir du Sud, « rejoindre le parti démocrate, ce serait comme si l’on demandait à un Juif de rejoindre le parti nazi ». Mais les Blancs ont, tout à la fois, truqué le scrutin et fait pression sur les électeurs de couleur, si bien qu’aux élections générales de novembre 1966 la liste indépendante n’a pas été élue. Intransigeant à l’égard des démocrates racistes du Sud, le Pouvoir noir ne l’a pas été au même degré vis-à-vis de l’aile gauche du parti démocrate dans le Nord. Toutefois il s’oriente aujourd’hui vers la création d’un parti noir indépendant sur le plan national dont l’entrée en scène bouleverserait la structure traditionnelle de la vie politique américaine. Par ailleurs, le Pouvoir réclame le contrôle des ghettos, contrôle à tous les niveaux, politique aussi bien qu’économique, incluant l’administration, l’enseignement, l’autodéfense assurée par sa propre police, la lutte contre l’incendie, etc. ; en un mot, le droit de complète autodétermination. Mais ce mot d’ordre doit-il être interprété comme une conquête légale, par la voie d’élections, des organes du pouvoir local ou comme une mise en place de sortes de soviets noirs de caractère révolutionnaire, n’hésitant pas à défier les agents du pouvoir central ? Il reste encore au Pouvoir noir à se définir sur ce point. Un autre mot d’ordre du Pouvoir noir est celui du séparatisme économique : acheter noir, substituer, sur le plan commercial et financier, à l’exploiteur blanc ou noir la coopération et le crédit mutuels noirs. Mais l’aile révolutionnaire du Pouvoir noir n’a pas manqué de faire observer qu’une économie noire autonome est impraticable en régime capitaliste. Seule une révolution pourra chasser des ghettos les exploiteurs blancs et noirs. Persistant, au sein du Pouvoir noir, est le slogan d’un partage des États-Unis et de la création d’une nation noire. Il paraît pratiquement irréalisable sur le plan géographique, mais il conserve une valeur de mythe et il restitue sa personnalité à la communauté de couleur. Aujourd’hui le Pouvoir noir s’est découvert une interprétation plus radicale. Elle a jailli de la base, de la jeunesse noire des ghettos du Nord et où sévit toujours davantage le chômage aggravé par la mécanisation industrielle. Pour cette jeunesse exaspérée, qui n’accepte plus la vie de misère et d’humiliation à laquelle se soumettaient ses aînés, Pouvoir noir signifie révolution libératrice et se traduit en termes concrets par l’insurrection armée. En 1964, ce sont les révoltés de Harlem, de Rochester et Philadelphie ; en 1965, de Watts, Cleveland, Chicago ; en 1967, Newark et Detroit. Au total, depuis trois ans, plus de cent révoltes éclatent dans les ghettos noirs des États-Unis, au cours de « longs étés brûlants ». Et ce n’est, nous assure-t-on, qu’un commencement. Comme l’a dit Rap Brown, ces soulèvements « ne sont encore que des répétitions de la vraie révolution ». Bornons-nous à parler de Detroit. Dans cette immense cité industrielle, les travailleurs de l’industrie la plus avancée, celle de l’automobile, Blancs et Noirs se côtoient ou s’entremêlent. Les relations interraciales y sont moins tendues, le niveau de vie du ghetto relativement plus élevé qu’ailleurs. Certains Noirs, en vertu de leur ancienneté à l’usine, ne gagnent pas moins de trois dollars de l’heure, possèdent maison, voiture, réfrigérateur et télévision. Et pourtant Detroit a été transformé en un champ de bataille. Toute l’activité du centre de la ville a été paralysée, vingt mille policiers et soldats ont participé à la répression, il y a eu quarante morts, mille blessés, plus de quatre mille arrestations, suivies d’odieuses brutalités policières, de gigantesques dégâts matériels, tout un quartier aux murs calcinés à reconstruire. La « reprise » des marchandises y a revêtu une forme primitive de redistribution communautaire, effectuée dans la bonne humeur, la joie d’être libéré des frustrations accumulées. La colère de la foule ne s’est déchaînée que contre l’autorité représentée par les forces dites de l’ordre. Il y a eu peu d’incidents entre civils blancs et noirs. Au contraire, des centaines de Blancs ont participé, au coude à coude avec les Noirs, à la « reprise » des marchandises et à la lutte contre les flics. Dix pour cent des personnes arrêtées ont été des Blancs. Parmi eux, il y avait des originaires du Sud. Ils n’ont pas pris position contre les Noirs. Ils n’ont pas fait mine de défendre le pouvoir blanc. […] Depuis Newark et Detroit, le Pouvoir noir emploie couramment les termes de révolution noire et de guérilla. Carmichael a esquissé, à la récente conférence de l’OLAS une stratégie de sabotage et de harcèlement destinée à créer cinquante Vietnam sur le sol américain et à frapper au cœur un pays aussi fortement industrialisé que les États-Unis. Les Noirs sont présents dans toutes les villes. Ils savent maintenant qu’ils sont en mesure de plonger dans un « chaos massif » les centres vitaux du capitalisme le plus concentré du monde entier. Sur quoi peut déboucher la révolution noire ? Maurice Duverger la croit sans issue. Dans un article du Monde, il a exprimé la crainte que « les Noirs ne s’enferment longtemps encore dans une violence impuissante ». Impuissante, parce qu’il y aurait contradiction entre l’égalité économique qu’ils réclament et l’idéal sacro-saint qu’ils partageraient avec les Blancs, celui de la libre entreprise. Mais dans cette prétendue contradiction le Pouvoir noir ne se laisse pas enfermer. Porté en avant par l’élan de la révolution noire, il n’hésite plus à mettre en cause le régime capitaliste. Au soir de sa courte vie, la pensée de Malcolm X, en dépit de quelques incertitudes qu’il aurait vite dissipées s’il avait vécu, débouchait sur un socialisme internationaliste. Carmichael, Rap Brown, avec encore plus de netteté, lui font écho. Pour eux les fondements économiques des États-Unis doivent être bouleversés pour que la libération des Noirs soit effective. Pas de véritable solution dans le cadre du système capitaliste, qui va toujours de pair avec le racisme, l’exploitation et la guerre. Il faut le détruire, il faut abolir la propriété privée aux USA. Une Amérique totalement différente doit naître. Toutefois le Pouvoir noir admet lui-même qu’il lui manque encore une doctrine, un programme clairs et conséquents. Les choses ont marché si vite que l’action a précédé l’idée. Le Pouvoir noir est en pleine réorganisation. Rap Brown observe que les récentes émeutes « sont en avance sur une idéologie politique qui doit être développée ». La conscience révolutionnaire est en train de grandir dans les masses des ghettos, mais la révolution noire est encore relativement inorganisée et sporadique. Reste à former, non pas seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan politique, une direction révolutionnaire et une véritable organisation, sinon centralisée, car le centralisme pourrait affaiblir l’initiative de la base, mais du moins fédérative dans sa structure, homogène dans ses objectifs. Aux États-Unis où les Noirs ne forment que 11% de la population, la révolution noire n’aurait de chances de triompher que si elle réussissait à déclencher une révolution sociale de caractère interracial, que si elle entraînait dans son sillage les plus avancés des travailleurs blancs. Malheureusement les Blancs ne sont pas encore présents au rendez-vous révolutionnaire. Parler aujourd’hui d’une alliance entre les pauvres Blancs et les pauvres Noirs, soutient le Pouvoir noir, est une question, pour l’instant, purement académique. Malgré les symptômes encourageants observés à Detroit, le préjugé racial reste fortement enraciné et la révolution noire exacerbe l’hostilité raciste de ces aveugles plutôt qu’elle ne la réduit. Le prolétaire blanc, avant d’être un prolétaire, demeure un Blanc. Il défend désespérément ce qu’il croit être ses privilèges de Blanc. Bien qu’exploité, il s’imagine que son intérêt le lie au pouvoir blanc. Dans l’immédiat, les hommes de couleur ne peuvent se permettre d’attendre une hypothétique alliance, ni de désespérer, si elle tardait à se produire. Cependant le Pouvoir noir connaît bien l’histoire américaine, où le pauvre Blanc a toujours fait figure de girouette impulsive, aux retournements imprévus. Dans sa mentalité voisinent la conscience de classe et le racisme. Au moins trois fois en un siècle, il a fait alliance avec le Noir contre leurs exploiteurs communs : après la guerre de Sécession, pendant la vague de fond populiste des années 1890, enfin au cours des occupations d’usines des années 1930. Malcolm X, avant de disparaître, avait cessé de rejeter en bloc les non-Noirs. Il avait fraternisé avec des étudiants blancs. Aujourd’hui, le Pouvoir noir admet qu’une coalition des exploités des deux couleurs est le principal moyen de révolutionner la société américaine. Au Tennessee, par exemple, des efforts concrets sont tentés par le SNCC au moyen d’équipes d’étudiants noirs et blancs. A la conférence de l’OLAS à La Havane, Carmichael a déclaré : « Pour la transformation totale révolutionnaire qui doit avoir lieu, les Blancs doivent comprendre que la bataille dans laquelle nous sommes engagés est leur propre bataille. » Aux États-Unis, de par la condition même à laquelle le racisme l’a réduit, le Noir est l’éducateur politique du Blanc. L’activisme dont il a fait preuve aujourd’hui pourrait bien amener le travailleur blanc à se radicaliser. Notamment dans l’industrie automobile que contrôle un puissant syndicat ouvrier d’un million et demi de membres. Sans vouloir idéaliser sa direction ni en taire les déficiences, c’est un fait qu’elle a toujours été à l’avant-garde à la fois de l’action revendicative et de l’action contre la discrimination raciale. […] Cependant Carmichael reproche, à juste titre, au mouvement ouvrier américain de se contenter de ramasser les miettes du festin capitaliste au lieu de soulever la question de la redistribution de la richesse américaine. Mais l’en blâmer, n’est-ce pas aussi l’inciter à sortir de son réformisme ? Un militant noir de Watts, un certain Tommy Jacquett, affirmait dernièrement : « Nous sommes le salut de l’Amérique blanche parce que nous sommes une force révolutionnaire. » Les leaders du jeune mouvement sont obligés de formuler le Pouvoir noir en termes de race en attendant de pouvoir le formuler en termes de classe. Pour organiser la communauté de couleur en un bloc homogène et agressif, il leur faut bien se définir d’abord en termes de race, mais ils ne pourront obtenir l’audience des travailleurs blancs avancés que s’ils se définissent en termes de classe ; et ils le font déjà, ouvertement, lorsqu’ils condamnent tout racisme et, implicitement, lorsqu’ils se proposent de détruire le capitalisme. Il est d’autant plus urgent que le Pouvoir noir trouve accès auprès de l’avant-garde blanche qu’un danger le menace : celui de ce qu’on appelle aux États-Unis le blacklash, le retour de flamme, la réaction raciste blanche. Plus le Pouvoir noir se définira en terme de révolution, de guérilla et de lutte armée, plus il s’exposera au risque de déclencher une riposte des fanatiques du racisme, soutenus par le grand capital américain qui se sent menacé. Déjà des camps d’entraînement fonctionnent, et le pouvoir blanc vient de décider une coordination à l’échelle nationale de la lutte anti-rébellion. L’éventualité d’un néo-fascisme ne peut être exclue. Toutefois il faut reconnaître qu’aux élections générales de novembre 1966 le blacklash avait été moins virulent qu’on pouvait le craindre. Et les formidables révoltes de l’été 1966 n’ont pas, au moins dans l’immédiat, provoqué de ripostes blanches substantielles ou visibles, à part celles des forces de l’ordre. D’ores et déjà, le Pouvoir noir a réussi à s’imposer, à se faire craindre, et aussi à provoquer dans l’opinion publique américaine un choc psychologique très profond, un renouvellement radical des consciences, à poser le problème racial en termes brûlants et retentissants, à acculer les Blancs à un choix : être criminels ou révolutionnaires. Ne serait-ce qu’à ce titre le soulèvement de Detroit et autres lieux aura porté ses fruits. En conclusion, on peut dire, je crois, qu’une course de vitesse est aujourd’hui engagée, aux États-Unis, entre le Pouvoir noir et la contre-révolution. Dans cette course, la révolution noire a au moins une tête d’avance.
Daniel Guérin
QUAND LES NOIRS FONDAIENT UNE ORGANISATION OUVRIÈRE RÉVOLUTIONNAIRE :
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
L’intégration ou la réussite de quelques noirs n’a jamais signifié la fin du racisme, de l’exploitation de l’oppression ni même du mépris du pouvoir et de la classe capitaliste américaine contre les noirs ou contre tous les opprimés des USA et d’ailleurs.
CES NOIRS-LA REPRÉSENTENT LE POUVOIR CAPITALISTE ET IMPÉRIALISTE BLANC
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
La libération des Noirs passe par la révolution socialiste
Le capitalisme américain a toujours été raciste jusqu’à la moelle. Son impérialisme hégémonique hors des frontières comme sa stabilité à l’intérieur reposent sur l’oppression continue des noirs, ainsi que sur celle des hispaniques et des immigrés. Et les capitalistes ont toujours utilisé le racisme pour diviser et dominer les masses. Si la classe dominante américaine n’avait pas pu utiliser les Blancs, y compris parmi la classe ouvrière blanche, comme ses pions contre les Noirs, le système qui s’empare de toute la richesse produite par notre propre travail aurait été renversé depuis des années. La libération des Noirs ne peut être conquise que comme le résultat d’une révolution socialiste détruisant la domination impérialiste.
Des rafles en Afrique, en passant par l’holocauste génocidaire de la traversée, jusqu’aux siècles d’asservissement sur ces rivages, l’esclavage a été la base sur laquelle le capitalisme américain s’est construit. Après la fin de l’esclavage, l’esclavage salarié et le métayage ont fait peser un fardeau injuste et inhumain sur les travailleurs noirs. Même aujourd’hui, alors que les dirigeants ont été obligés de faire des concessions substantielles envers les gens de couleur, les travailleurs et les pauvres noirs — particulièrement la jeunesse noire — souffrent de manière disproportionnée des bas salaires, du chômage, du temps partiel, des brutalités policières, des mauvaises écoles, des soins médicaux pourris, des logements misérables et de la ségrégation de fait.
Et la perte progressive de tous les acquis passés n’est pas terminée. Quelques Noirs au gouvernement et dans les affaires ne peuvent pas cacher une réalité qui ne cesse d’empirer et que la majorité de la classe ouvrière et des pauvres noirs doit affronter aujourd’hui. Bien sûr, les réformes et les gains immédiats sont importants et doivent être défendus, mais ils ne pourront être assurés que par une libération révolutionnaire. Le racisme peut être combattu maintenant, la question est de savoir comment et dans quel but.
Aucune lutte ne peut être plus juste que le combat contre le racisme dans ce pays. Le jour où la justice sera faite pour les victimes de tous les actes de racisme, dont l’esclavage, sera un jour glorieux. Mais pour cette raison précise, l’effort actuel pour obtenir des réparations pour les années d’esclavage est erroné. Ce n’est pas par hasard si la majorité des travailleurs noirs, et particulièrement la jeunesse révoltée, ne s’est pas saisie de cette campagne. Cela semble irréel. C’est irréel.
Les révoltes massives dans les ghettos, que les pouvoirs en place n’ont pas pu contrôler, ont remporté les victoires majeures de la fin des années 60 et du début des années 70. Le système capitaliste avait alors encore de la marge, de telle manière qu’il pouvait être forcé à faire des concessions. Aujourd’hui, Enron et tant d’autres scandales montrent à quel point ses énormes profits sont imaginaires. Ce n’est pas une surprise si, depuis des années, il a implacablement cherché à reprendre les gains remportés par les révoltes noires. Et quand l’économie décline, la situation critique de tous les travailleurs et de tous les pauvres — surtout chez les gens de couleur — s’empire inévitablement. Ceux qui prétendent mener campagne pour les « réparations » détournent le combat contre le racisme
La demande de réparations sous le capitalisme est utopique car le capitalisme américain est par définition raciste et injuste. L’esclavage a été une cause du racisme d’aujourd’hui ; toutefois, la discrimination anti-Noirs est encore partie intégrante du système. Les dirigeants de la campagne pour des réparations font des demandes qui concernent le passé raciste car ils n’ont aucun programme contre le racisme actuel qui ne fait qu’empirer. En fait, les politiciens du Parti Démocrate qui constituent une force majeure de la campagne pour les réparations ont accepté et couvert les attaques contre les travailleurs noirs. L’administration Clinton a ouvert la voie à Bush et compagnie. Ce sont Clinton et les démocrates qui ont mis fin à « l’aide sociale telle que nous la connaissions », financé l’expansion des forces de police, présidé à la vaste augmentation de la population noire dans les prisons et supervisé l’érosion des gains déjà pitoyables de la discrimination positive (affirmative action).
La campagne en faveur des réparations de l’esclavage demande que l’État capitaliste rende justice pour les horreurs passées. Si quatre flics peuvent s’en sortir en ayant tiré 41 balles sur un Amadou Diallo désarmé, quelles sont les chances que le même système rende la justice qui lui est demandée ?
Aujourd’hui, avec l’expansion des classes supérieures noires qui pensent avoir des intérêts dans le système capitaliste, les Noirs sont divisés en classes comme jamais auparavant. Les différentes propositions des dirigeants favorables aux réparations reflètent leurs intérêts dans le capitalisme : un somme touchée une fois pour toute par chaque Noir, ou des programmes financés par le gouvernement et dirigés par des administrateurs de la classe moyenne noire. Dans la tentative de présenter les réparations comme raisonnables, afin que les capitalistes puissent y souscrire (une idée très déraisonnable !), la somme concrète demandée pour la communauté noire serait infiniment dérisoire, comparée aux super-profits générés par l’esclavage. Et c’est une somme beaucoup plus dérisoire encore qui parviendrait réellement jusqu’aux masses noires.
Si par quelque miracle fantastique ce niveau de réparations même pouvait être gagné, qui paierait pour cela ? La classe ouvrière. Et étant donné les discriminations raciales existantes, le fardeau pèserait de manière disproportionnée sur les travailleurs de couleur. Les capitalistes qui dirigent ce pays répercuteraient les coûts, comme ils le font toujours. Les travailleurs noirs et les hispaniques paieraient une part majeure de la facture, au moyen d’un fardeau plus lourd de taxes, de hausses des prix et d’une exploitation plus intensive au travail. Le système capitaliste n’est pas seulement raciste, depuis la fin de l’esclavagisme il a trouvé un nombre infini de moyens toujours plus subtils de super-exploitation.
Directement et indirectement, le système capitaliste vit du racisme. Les leaders de la campagne pour les réparations feignent d’ignorer combien ce phénomène est profond et endémique, afin d’éviter la confrontation avec le système dont ils bénéficient partiellement mais qui brutalise la masse des gens de couleur. Luttes de masse
Les dirigeants de la campagne en faveur des réparations proposent des poursuites judiciaires, des négociations, des votes, des décisions de cour, des lois du Congrès, du lobbying et des amendements constitutionnels comme moyens pour atteindre leurs buts. Mais l’esclavagisme n’a pas pris fin par des poursuites judiciaires et du lobbying — il a été défait par la guerre civile, dans laquelle les anciens esclaves ont joué un rôle décisif. Ce sont les soulèvements dans les ghettos — de Watts à Détroit, de Newark à Harlem — et non une tactique de pression pacifique qui ont imposé les concessions des années 60 et 70. Le système peut être forcé à faire de sérieuses concessions par des luttes de masse. Pour un moment, elles peuvent même obliger les capitalistes à ne pas répercuter le fardeau de ces gains. Mais la dernière chose que veulent les politiciens pro-réparations est bien le renouveau des luttes de masses des travailleurs noirs.
La vie est une lutte constante et quotidienne. Puisque la plupart des Noirs doit faire face continuellement à l’oppression raciale et à l’espoir brisé d’une vie meilleure, l’étincelle de la résistance s’allume inévitablement quand ces problèmes immédiats deviennent insupportables. Les horreurs comme les brutalités policières provoquent des explosions. Dans les années 60, les révoltes massives des ghettos bouleversèrent tout sur leur passage, terrifièrent le système et remportèrent de véritables victoires.
L’un des gains cruciaux fut que les industries clés ont été obligées d’embaucher un grand nombre de travailleurs noirs. Ces travailleurs ont joué un rôle décisif dans la vague militante de grèves du début des années 70. Quelles que soient les attitudes qu’ils aient pu avoir, beaucoup de travailleurs blancs en sont venus à respecter la capacité des Noirs à combattre et à gagner. Pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, des travailleurs blancs ont suivi la direction des travailleurs noirs dans la lutte. D’importants avantages ont été conquis, bien que les luttes aient été finalement contenues avec l’aide des bureaucrates souvent racistes qui dirigent les syndicats. Et malgré tous les revers, toutes les pertes, tous les renversements qui ont surgi depuis, les travailleurs noirs continuent à occuper des positions essentielles dans des secteurs clés de l’industrie, du transport et de l’administration. Travailleurs noirs, luttes de classe et révolution socialiste
Aujourd’hui, les travailleurs noirs ont encore le pouvoir de mettre fin au système des profits. Ils pourraient mener à l’immobilisation les villes les plus importantes et même tout le pays avec une action de masse de la classe ouvrière comme une grève générale. Une étincelle possible serait un autre acte outrageant venu de l’omniprésente brutalité policière. Et, comme cela s’est passé à Los Angeles en 1992, la réponse ne se limiterait pas aux Noirs. Les attaques capitalistes frappent tous les travailleurs. La force de travail la plus mal payée d’aujourd’hui se compose d’un grand nombre d’hispaniques et d’immigrés qui, alors qu’ils n’ont pas subi l’esclavagisme aux États-Unis, sont confrontés aujourd’hui aux discriminations raciales et nationales. Beaucoup de travailleurs blancs font aussi face aux difficultés économiques. Sous la surface du battage patriotique, il y a une peur croissante parmi la classe ouvrière à propos de l’économie, et une hostilité profondément ancrée envers les politiciens et les patrons. L’éruption se produira, ce n’est qu’une question de temps. Les travailleurs noirs se trouvent à une place stratégique ; ils ont le pouvoir de mener une réelle contre-attaque de masse.
Le système capitaliste dépend fortement des travailleurs noirs. Il se protège lui-même par son arme ancestrale de « diviser pour régner », encourageant le racisme des Blancs et l’utilisant à son tour contre les Noirs. Dans cet esprit, les bureaucrates ouvriers blancs et les menteurs démocrates radicaux ont trahi toutes les alliances qu’ils ont conclues avec les travailleurs noirs. Les Noirs ont de bonnes raisons d’avoir peu confiance en la solidarité des Blancs, qui se sont si souvent laissés utiliser comme des pions raciaux. Mais aujourd’hui, étant donné la position économique stratégique des travailleurs noirs, quand ceux-ci lanceront une grève, les travailleurs blancs suivront de plus en plus la direction des travailleurs noirs en lutte.
La crise économique qui s’approfondit et la répression d’État croissante (pour laquelle le 11 septembre n’a été qu’un prétexte opportuniste) garantit qu’il y aura, tôt ou tard, des actions de résistance de masse de la part des travailleurs et des pauvres. Dans ces actions de la classe ouvrière, les travailleurs révolutionnaires comme nous dans la LRP combattront pour un programme d’égalité des salaires, de plein emploi, de travaux publics massifs, pour la lutte en faveur du logement, de la couverture santé et des écoles, pour l’arrêt des brutalités policières. Les travailleurs formeront leurs brigades d’auto-défense pour protéger leurs communautés et leurs grèves contre les capitalistes et leurs policiers voyous. Nous croyons qu’il faudra une révolution ouvrière, créant un État ouvrier sur la route du socialisme, pour satisfaire ces revendications élémentaires et nécessaires.
Le point de vue d’Alternative libertaire :
1968 : Le tournant ouvrier du mouvement noir aux Etats-Unis Le 18 mars 1968, des centaines d’éboueurs de Memphis (Tennessee), en grève depuis six semaines, reçoivent la visite de Martin Luther King. Ce dernier défend toujours les droits des Noirs, mais combat désormais pour les pauvres, les sans-logis, les travailleuses et les travailleurs… Cette évolution inquiète les dirigeants blancs. Deux semaines après, Martin Luther King est assassiné.
Les circonstances de sa mort sont encore contestées mais une chose est sûre : cet assassinat intervient au moment où il gêne le plus. Tant que ce Noir s’occupait des affaires des Noirs cela pouvait encore passer. Mais qu’il inscrive la lutte antiraciste dans une lutte plus générale contre l’oppression, et l’on risquait de s’acheminer vers une critique globale du système capitaliste. C’est à cette époque que Luther King se voit accusé d’être communiste, révolutionnaire – même si, de fait, il en est bien loin. Son soutien aux éboueurs de Memphis est donc symbolique d’un tournant amorcé trois mois avant, lors du lancement de la « campagne des pauvres gens » (poor people’s campaign). La ségrégation est toujours là
L’année 1964 marque un tournant dans la lutte pour l’émancipation noire. La loi sur les droits civiques (Civil Rights Act) a banni, du moins en principe, la ségrégation. La réalité sociale est tout autre. Les Noirs sont en grande majorité prolétaires et subissent la double oppression du système capitaliste et du racisme.
En 1963, il y a cinq fois plus de Noirs que de Blancs qui logent dans des habitats insalubres. Les inégalités se creusent : en 1962, les salarié-e-s noir-e-s ont des revenus inférieurs de 45 % en moyenne aux revenus des Blancs, contre 38 % en 1952. Quatre salarié-e-s noir-e-s sur cinq sont des ouvriers non qualifiés. L’évolution des techniques, notamment l’automation, a fait perdre des milliers d’emplois industriels, surtout les moins qualifiés. Dans les chemins de fer par exemple, en quelques années, le nombre de cheminots de couleur est passé de 350 000 à moins de 50 000. Le chômage touche donc 14 % des Noirs, contre 6 % des Blancs.
Dans ce contexte de crise sociale aiguë, la jeunesse noire des ghettos se radicalise. L’impatience grandit, et les mouvements d’émancipation non-violents, comme celui du pasteur Martin Luther King, voient leur influence reculer. Les nouvelles formes de lutte plus virulentes qui ont émergé ces dernières années avec Malcom X ou le Black Panthers Party séduisent davantage une jeune génération qui ne se satisfait plus de la « désobéissance civile ». L’action directe gagne en crédibilité sur l’action légale. L’égalité civique n’est toujours pas réellement acquise, mais les questions sociales s’imposent de plus en plus. Radicalisation de la lutte
Après une semaine d’insurrection (34 morts, 1 071 blessés et 400 arrestations) dans le quartier de Watts à Los Angeles, à partir du 11 août 1965, les années 1966 et 67 sont marquées par des émeutes dans toutes les agglomérations industrielles du nord et du centre comme Cleveland, Detroit, Omaha, Chicago (164 villes sont touchées en 1967).
En juin 1966, James Meredith, héros du combat pour l’intégration à l’université du Mississipi en 1962, se fait tirer dessus au cours d’une marche de protestation. Stokely Carmichaël, président d’une SNCC qui s’est radicalisée, propose alors de n’admettre désormais que des Noirs dans les manifestations et lance le slogan « Black power » (« pouvoir noir »). Martin Luther King ne s’y oppose pas clairement mais conteste la violence des méthodes qui sont désormais de plus en plus à la mode dans le mouvement. La vague d’émeutes l’a déstabilisé, et sa stratégie paraît dépassée. On lui reproche d’être beaucoup trop modéré, « embourgeoisé ».
Si le parti de Martin Luther King, le SCLC, continue à prôner l’intégration des Noirs dans la société et un mode d’action non violent, il est critiqué par celles et ceux qui prônent la séparation à travers un nationalisme noir. En 1962, dans Black Nationalism, E.U. Essien-Udom théorise : « Les organisations nationalistes noires […] affirment que la seule solution satisfaisante et permanente du problème des relations entre Noirs et Blancs est la séparation des Noirs d’avec la majorité blanche et l’établissement d’un “foyer noir”, contrôlé politiquement par une majorité noire » [1]. Un mouvement divisé
Les Black Muslims (« Musulmans noirs ») incarnent ce séparatisme. En 1965, leur leader charismatique, Malcom X, rompt avec eux et fonde l’Organisation pour l’unité afro-américaine sur des bases laïques. Il évolue vers une ligne de classe, anticapitaliste et internationaliste et ne renie pas la violence, comme moyen de défense face à l’oppression des classes dirigeantes blanches. Alors que son étoile monte dans le ciel de la cause noire, au détriment du pasteur pacifiste, il disparaît presque aussitôt, abattu en plein meeting, le 21 février 1965.
Une nouvelle organisation vient alors concurrencer le mouvement de Luther King. Il s’agit du Black Panther Party for Self-Defense (« Parti de la panthère noire pour l’autodéfense », BPP), fondé en octobre 1966 par Huey Newton et Bobby Seale, regroupant très vite des milliers d’adhérentes et d’adhérents [2].
Ils mettent sur pied des patrouilles armées dans les rues d’Oakland (Californie), afin de protéger les Noirs victimes des policiers blancs. Narquois, ils emportent toujours avec eux un Code civil pour prouver à la police la légalité de leur action. Petit à petit, ils mettront en place des programmes sociaux (aide alimentaire, cliniques gratuites…), se définiront comme « marxistes-léninistes » et se rapprocheront des organisations en lutte contre l’impérialisme (le FLN au pouvoir en Algérie ou encore l’OLP, l’IRA, le Front de libération du Québec…). Malgré l’arrestation de dirigeants importants dès 1967, l’organisation, très médiatisée, a de plus en plus de sympathisantes et de sympathisants. L’évolution de Martin Luther King…
En 1966, Martin Luther King choisit Chicago (Illinois) pour mener campagne en direction du ghetto, où lui-même va habiter avec sa famille. Il organise une marche pacifique en juillet, mais les choses dégénèrent en émeutes accompagnées de pillages. Il s’ensuit une opération breadbasket (« corbeille à pain ») pour que le patronat embauche un nombre de Noirs proportionnel à sa clientèle.
En 1967, à Los Angeles, Martin Luther King déclare : « Les promesses de la grande société ont trouvé la mort sur les champs de bataille du Vietnam [3]. La poursuite de cette guerre, qui va s’élargissant, a rétréci le programme social intérieur, faisant porter le plus lourd de la charge aux pauvres, noirs et blancs […]. On estime que nous dépensons 322 000 dollars par ennemi tué, alors que dans la soi-disant guerre contre la pauvreté en Amérique, nous n’en dépensons que 53 par personne reconnue comme pauvre. » [4]
Il lance alors, en décembre 1967, une campagne bien plus subversive, qui s’en prend aux inégalités économiques dans leur ensemble : « La Campagne des pauvres gens », dans laquelle il affirme qu’au-delà du cas spécifique des Noirs se pose la question de la pauvreté aux États-Unis, d’où une campagne associant Blancs, Noirs, Métis, qui ont des intérêts communs : « La politique du gouvernement fédéral consiste à jouer à la roulette russe avec l’émeute […]. Malgré le chômage, les conditions intolérables des logements, la discrimination dans l’enseignement – fléau des ghettos noirs –, le Congrès et le gouvernement bricolent encore des mesures superficielles et consenties de mauvais gré. » [5] …le rend trop dangereux !
C’est l’époque à laquelle le SNCC se dégage de ses positions strictement non violentes. En février 1968, le BPP et le SNCC entament une collaboration sous le sceau du « black power ». Les deux organisations dénoncent le capitalisme, le racisme et prônent l’action directe qui doit les libérer du « carcan imposé par la société blanche ». Les émeutes de Watts ont également obligé l’aile modérée du mouvement noir à une évolution vers les questions sociales. Luther King doit bien se rendre compte que le racisme n’est pas seul en cause : « il y a quelque chose qui ne va pas dans le capitalisme ».
Le 12 février 1968, le Syndicat des égoutiers et éboueurs de Memphis (Tennessee) se met en grève pour protester contre les traitements infligés par le maire Henry Loeb. Cette grève a été déclenchée par un incident raciste : 22 éboueurs noirs ont été licenciés sans indemnités à cause du mauvais temps, alors que tous les travailleurs blancs ont pu conserver leur emploi. Le maire refuse de négocier et envoie la police. Cette répression policière va entraîner un mouvement de protestation dirigé par le SCLC et par l’AFL-CIO [6]qui organise une marche de protestation à Memphis le 28 mars 1968, à laquelle participe Luther King.
De violents incidents font un mort. Luther King, afin d’effacer cette image de violence et assurer la bonne préparation de la marche sur Washington qu’il a prévue dans le cadre de sa « Campagne pour les pauvres gens », revient à Memphis pour y diriger la manifestation fixée au lundi 8 avril 1968. C’est là qu’il est assassiné d’une balle en pleine tête, dans son motel, le 4 avril 1968. Sa mort sera suivie d’émeutes dans 125 villes, faisant 46 morts ! Un bilan mitigé
Fin 1968, la collaboration entre le BPP et le SNCC s’est faite au détriment de celui-ci, en perte de vitesse. Le BPP, avec ses 3 000 membres, affirme son leadership sur le mouvement noir. Paradoxalement, vers la fin des années 1960, les ghettos ont retrouvé un certain calme, mais cela n’empêche pas le développement de thèses révolutionnaires au sein de la communauté noire. D’autant que, depuis l’assassinat de Martin Luther King, le SCLC, qui reste ferme sur ses positions non violentes, a perdu beaucoup de son influence.
L’activisme noir a été le catalyseur des idées révolutionnaires portées par la catégorie sociale la plus exploitée de la société américaine (Noirs et prolétaires). Mais il n’est pas parvenu à franchir la dernière étape qui aurait pu aboutir à une prise de position anticapitaliste globale.
L’absence de consistance idéologique du BPP n’a pas donné une image politique structurée à l’organisation, qui oscillera toujours entre le nationalisme des origines et le socialisme proclamé par ses dirigeants : « Nous ne combattons pas le racisme par le racisme. Nous combattons le racisme par la solidarité. Nous ne combattons pas le capitalisme exploiteur par le capitalisme noir. Nous combattons le capitalisme par le socialisme. Nous ne combattons pas l’impérialisme par un impérialisme plus grand. Nous combattons l’impérialisme par l’internationalisme prolétarien. Ces principes sont essentiels dans le parti. » [7] Le mouvement s’épuise dans les années 1970 et subit une répression extrêmement violente. Pour le pouvoir, l’intégration des Noirs au capitalisme peut se concevoir, pas l’anticapitalisme noir !
Mélanie (AL Paris) Panorama des organisations
Black Power : « Pouvoir noir », expression empruntée à l’ouvrage de Richard Wright, Black Power écrit en 1945. Mouvement lancé par Stokely Carmichaël (à la tête du SNCC en 1967). Le Black Power est un mouvement radical, qui vise à abattre le pouvoir des Blancs pour affirmer le pouvoir des Noirs.
Black Panther Party : Fondé en octobre 1966 à Oakland (Californie) par Huey Newton et Bobby Seale, sous le nom de Black Panther Party for Self-Defense. Il adopte une orientation révolutionnaire et se réclame du marxisme.
Nation of islam : Organisation politique fondée par Wallace Fard en 1931. Elle prône le séparatisme, met l’accent sur l’« africanisme » des Noirs américains et l’islam comme unificateur des Noirs. Sous l’influence de Malcom X, le parti rassemble près de 40 000 « Black Muslims » (musulmans noirs) en 1964.
Southern Christian Leadership Conference (SCLC) : « Conférence des dirigeants des chrétiens du Sud ». Organisation politique dont Luther King est le président, crée par les élites noires du Sud, en 1957, suite au succès de la campagne de boycott des bus à Montgomery (Alabama). Ce parti se bat pour les droits civiques par la non-violence.
Student Nonviolent Coordinating Comittee (SNCC) : « Comité de coordination des étudiants non-violents ». Créé en avril 1960 à Atlanta (Georgie) par des étudiantes et étudiants favorables à la politique des sit-in. Ce parti apparaît comme le principal défenseur des droits civiques. Fin 1968, il abandonne ses principes non-violents et change la signification de son « N » pour défendre le nationalisme noir : « Student National Coordinating Committee ». Repères chronologiques
1946 Décision de la Cour suprême interdisant la ségrégation dans les transports en commun.
1947 Premières Freedom rides, manifestations dont le but est d’obtenir l’application de la décision de la Cour suprême de 1946.
1er décembre 1955 Rosa Parks, à Montgomery (Alabama) refuse de céder sa place à un Blanc, conformément à la loi. Début d’un scandale et d’une lutte fondatrice.
Février 1960 Sit-in de Greensboro (Caroline du Nord), contre la ségrégation dans une cafétéria, point de départ du mouvement pour les droits civiques.
28 août 1963 Marche sur Washington de plus de 200 000 personnes. Discours de Martin Luther King « I have a dream » dans lequel il aspire à une Amérique unie, sans ségrégation.
4 juillet 1964 Adoption par l’administration Johnson du Civil Rights Act : désormais, la justice peut intervenir pour mettre un terme à la ségrégation raciale dans les lieux publics.
21 février 1965 Assassinat de Malcom X, en plein meeting.
11 août 1965 Emeutes de Watts, Los Angeles, qui durent une semaine (34 morts, 1071 blessés, 400 arrestations).
Juin 1966 Lancement du Black Power par Stokely Carmichaël.
Octobre 1966 Fondation du Black Panther Party for Self-Defense (BPP).
4 décembre 1967 Luther King lance la Poor People’s Campaign.
12 février 1968 Début de la grève des éboueurs de Memphis (Tennessee).
18 mars 1968 Luther King prend la parole devant les éboueurs en grève à Memphis.
28 mars 1968 Luther King conduit à Memphis une manifestation dispersée avec violence.
4 avril 1968 Assassinat de Martin Luther King au Lorraine motel, à Memphis.
[1] 1. Essien Udosen Essien-Udom, Black Nationalism, A Search for Identity in America, 1962, p. 62.
[2] 2. Mumia Abu Jamal, We want freedom : Une vie dans le parti des Black Panthers, Le Temps des cerises, 2004, pp. 11-42.
[3] 3. Martin Luther King s’était prononcé contre la guerre du Vietnam dès 1965.
[4] 4. Gérard Plon, Anticolonialistes et anti-esclavagistes : les défenseurs des droits de l’homme, Martinsart, 1978.
[5] 5. Martin Luther, Autobiographie, Bayard, 2000, p. 417
[6] 6. L’American Federation of Labor – Congress of Industrial Organisations, la plus puissante centrale syndicale des États-Unis, née à New York en 1955.
[7] 7. Bobby Seale, À l’affût. Histoire du Parti des Panthères noires et de Huey Newton, Gallimard, 1972.