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Rythmes non-linéaires auto-organisés

mardi 30 septembre 2008, par Robert Paris

Phase-locking ou interaction entre rythmes auto-organisés

Simon Diner

Extrait de « Les voies du chaos dans l’école russe », tiré de l’ouvrage collectif « Chaos et déterminisme » :

NON LINEARITE DES RYTHMES AUTO-ORGANISES (DISSIPATIFS ET ENTRETENUS)

« Dans les oscillations non-linéaires, l’ordre et le désordre se côtoient, se relaient, se confortent, voilà la surprise. (…) C’est l’instauration d’une véritable conception dialectique de l’ordre et du désordre qui n’a pas fini de nous étonner. »
Ce que prolonge Dahan Dalmedico dans « Retour sur l’histoire de la philosophie » du même ouvrage :
« L’étude des systèmes dynamiques chaotiques exige une véritable dialectique entre l’instabilité d’un système dynamique chaotique et sa stabilité structurelle. »

(…)

« L’école de Mandelstham-Andronov et le paradigme des auto-oscillations

Parmi tous les mouvements mécaniques et physiques, les oscillations occupent une place à part Ce sont les mouvements ou les changements d’état qui présentent un certain degré de répétitivité ou de périodicité. Dans le cas le plus simple, celui des petits mouvements d’un pendule balançoire, ou d’un ressort, la force responsable du mouvement reste simplement proportionnelle aux déplacements du système. Ce sont les oscillations linéaires dont l’oscillateur harmonique est le modèle universel. A vrai dire, toutes les oscillations qui existent réellement dans la nature sont plus ou moins non linéaires. Les oscillations linéaires ne sont qu’un modèle mathématique approché dont l’importance est liée au rôle mathématique joué par les fonctions périodiques (analyse de Fourier). Au 19ème siècle, le modèle de l’oscillateur linéaire s’est imposé à travers le développement de l’étude des ondes en optique, en acoustique et en électromagnétisme. Ce caractère universel du modèle d’oscillateur linéaire triomphe dans le célèbre livre de Lord Rayleigh : « The theory of sound » (1877).
L’oscillateur linéaire va aussi sous-tendre et structurer toute la physique quantique. De par l’utilisation qu’elle fait de la théorie des opérateurs linéaires dans l’espace vectoriel des états (espace de Hilbert), la mécanique quantique est comme l’apothéose d’un paradigme en développement depuis deux siècles. (…) En fait, le modèle d’oscillateur linéaire convient parfaitement aux phénomènes stationnaires, ceux dont l’évolution présente l’harmonie et la régularité d’un équilibre mobile. Mais dès qu’il s’agit d’évolutions temporelles dramatiques, en particulier de phénomènes de transition d’un état d’équilibre à un autre, de phénomène de création ou de disparition de mouvements, la non-linéarité devient une propriété organique essentielle. C’est précisément le cas lorsqu’on engendre et entretient des oscillations à partir de phénomènes non oscillatoires : chute d’un poids dans une horloge, frottement de l’archet dans un violon, souffle de l’instrumentaliste dans une flûte, émission de la voix humaine.
L’horlogerie est le domaine privilégié des oscillations non linéaires. (…) Lord Rayleigh est le premier à distinguer les traits caractéristiques des systèmes susceptibles d’engendrer des oscillations non amorties, en particulier la non-linéarité des équations du mouvement.
En fait, l’intérêt pour les études théoriques des oscillations non linéaires ne va pas venir de l’horlogerie mais de deux autres domaines techniques. Dans la seconde moitié du 19ème siècle, la construction de régulateurs pour les machines devient un problème technologique essentiel. L’enjeu est d’empêcher l’apparitions d’oscillations. Worms et Romilly (1872) et L.A. Vichnegradski (1876) reconnaissent la nécessité du frottement pour la stabilisation des régulateurs. H. Léauté (1885) montre le rôle essentiel joué par la non-linéarité dans certains types de régulateurs que l’on ne peut étudier par linéarisation comme le faisaient I.A. Vichnegradski et A. Stodola (1893).
Au début du 20ème siècle, commence la réalisation de dispositifs radiotechniques, pour l’émission et la réception des ondes électromagnétiques. Il s’agit là d’engendrer des oscillations. Dans les dispositifs radiotechniques, tenir compte de la non-linéarité s’avère essentiel, mais les approches restèrent longtemps ad hoc. C’est dans cet esprit que s’effectuèrent en particulier les travaux fondamentaux du radiophysicien hollandais B. Van der Pol. (…)
Au moment même où naît la mécanique quantique, A.A Andronov (élève de l’école russe de L.I. Mandelstham, qui a choisi comme domaine de recherche l’étude des vibrations non linéaires contrairement à la physique quantique) participe à l’émergence d’un nouveau paradigme dont l’acte fondateur, son travail de diplôme, paraît en français dans les « Comptes rendus de l’Académie des sciences » du 14 octobre 1929 : « Les cycles-limites de Poincaré et la théorie des oscillations auto-entretenues ». Andronov y reconnaît pour la première fois que dans un oscillateur de la radiophysique comme celui de Van der Pol, système non-conservatif (dissipatif), dont les oscillations sont entretenues en puisant de l’énergie à des sources non vibratoires, le mouvement dans l’espace des phases est du type « cycle limite », notion introduite par Poincaré en 1880, dans un contexte purement mathématique. Il reconnaît d’emblée la caractère très général de ces « auto-oscillations » comme il les nomme, les voyant intervenir en acoustique, en radiophysique, en chimie (réactions périodiques) et en biologie.
Les auto-oscillations ont des caractéristiques spécifiques :
  amplitude et fréquence indépendantes des conditions initiales
  apparition en l’absence d’excitation périodique extérieure
  contrôle par rétroaction, de la source d’énergie pour compenser la dissipation, sans influer sur l’amplitude et la fréquence (…)

L’auto-oscilateur reçoit une définition très générale : système engendrant des oscillations non amorties, entretenue par une source d’énergie extérieure, dans un dispositif non-linéaire dissipatif, et dont l’aspect et les propriétés sont déterminés par le système lui-même sans dépendre des conditions initiales. Dans ces conditions, les auto-oscillations peuvent être non seulement périodiques mais quasi périodiques et même stochastiques. Andronov a eu en effet le mérite de montrer pour la prmeière fois l’existence physique d’un attracteur qui ne soit pas un point d’équilibre. Le cycle limite est en effet un attracteur périodique. Par la suite, la notion d’attracteur sera élargie, jusqu’à l’apparition du concept d’ »attracteur étrange », forme mathématique des auto-oscillations stochastiques.
On attribue souvent à E. Lorentz la découverte en 1963 du premier « mouvement chaotique sur un attracteur étrange ». Découverte qui passa inaperçue et ne commença à être reconnue que dans la seconde moitié des années 70. On ne sait pas que dans les années 50, les travaux de l’école de Gorki, sous la direction d’un élève d’Andronov, Yu. I. Neimark, ont mis en évidence l’existence d’auto-oscillations schochastiques , par l’application de la méthode des transformations ponctuelles. (…) Avec les systèmes auto-oscillants comme cible favorite, Andronov et ses élèves vont baliser tout le champ des vibrations non linéaires et créer les outils et les concepts fondamentaux de la physique non linéaire. Dès 1933, dans son rapport à la première conférence soviétique sur les vibrations, Andronov développe le thème de la théorie des bifurcations, c’est-à-dire du changement de caractère qualitatif du portrait de phase d’un système dynamique, lors de la variation des paramètres du système. (…) En 1937 paraît la bible des vibrations non-linéaires : « La théorie des vibrations » de A. A. Andronov, A. A. Vitt et S. E. Khaïkir. La signature de A. A. Vitt en a disparu dans la seconde édition, car il a été assassiné lors des grandes purges staliniennes.
(…) Dès le début des années quarante, Kolmogorov s’intéresse en probabiliste à la turbulence. (…) Dans les années cinquante, il passe à l’étude des systèmes dynamiques. (…) Dans son exposé au congrès international de mathématiques d’Amsterdam de 1954, il présente une splendide synthèse des résultats obtenus depuis H. Poincaré. (…) Et Kolmogorov formule la première version du résultat fondamental qui va devenir, quelques années plus tard, le théorème de Kolmogorov, Arnold et Moser (théorème KAM) sur la préservation des mouvements quasi périodiques dans les systèmes hamiltoniens. »

Messages

  • Albert Goldbeter dans « Les rythmes et l’incertain » (article de l’ouvrage collectif « L’homme devant l’incertain », dirigé par Ilya Prigogine) :

    « Pourquoi les rythmes sont-ils si fréquents dans les systèmes biologiques ? Les études menées par Prigogine et ses collaborateurs au cours des années 1960-1970 avaient montré l’importance des cinétiques non-linéaires – particulièrement celles liées aux processus autocatalytiques – dans la naissance de structures dissipatives au sein des systèmes chimiques. Ces structures dissipatives correspondent à des phénomènes d’auto-organisation spatiale ou spatio-temporelle, ou à l’apparition de comportements structurés dans le temps. On peut ainsi considérer les rythmes comme de véritables structures dissipatives temporelles. L’étude du mécanisme moléculaire des rythmes biologiques met en lumière le rôle prépondérant joué dans l’origine des comportements oscillants par les divers processus de régulation cellulaire. Ainsi, les rythmes neuronaux résultent de la régulation de canaux ioniques qui s’ouvrent ou se ferment selon les mouvements des espèces ioniques qu’ils transportent. Les oscillations métaboliques résultent de la régulation de l’activité enzymatique. Les oscillations glycolytiques en demeurent le prototype ; ces oscillations, découvertes en 1964, résultent de la régulation d’une enzyme par un produit de réaction. Un autre type de régulation s’exerce au niveau des récepteurs. Ce mode de régulation est impliqué dans le mécanisme de communication intercellulaire par signaux pulsatiles d’AMP cyclique (AMPc) chez les amibes Dictyostelium. Un troisième mode de régulation s’exerce sur des processus de transport qu’illustrent, par exemple, les oscillations de calcium impliquant les échanges de cet ion entre différents comportements intracellulaires. Enfin, la régulation de l’expression des gènes est impliquée dans la génèse des rythmes circadiens… Dans le comportement des organismes vivants face aux variations aléatoires du monde qui les entoure, les rytlmes jouent un rôle éminent en raison de leur plasticité. »

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