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Octobre 1961 : un assassinat collectif programmé par l’Etat français

dimanche 17 octobre 2021, par Robert Paris

Octobre 1961 : un assassinat collectif programmé par l’Etat français

La guerre d’Algérie, guerre coloniale atroce, n’a pas eu lieu seulement sur le territoire algérien mais aussi en France. Le 17 octobre, un crime d’Etat de grande ampleur a été commis qui a été occulté pendant un grand nombre d’années grâce à la complicité silencieuse de la gauche et des syndicats. Ces derniers n’avaient pas intérêt à rappeler cet épisode car il se déroulait avant que ces organisations n’aient commencé à manifester contre la guerre coloniale, avant Charonne. Elles ont donc fait comme si 1961 et Charonne c’était un seul et même événement !!!

Ce fut un véritable festival de mensonges, d’erreurs et d’intoxication dans la presse française au lendemain des massacres du 17 octobre 1961, à Paris, raconte le journaliste René Dazy qui a vu tellement de sauvagerie se déployer ce jour-là qu’à son retour à la rédaction, il vomit. Ce témoignage accablant est cité par le réalisateur français Daniel Kupferstein dans son film-documentaire d’une poignante vérité, “17 octobre 1961, dissimulation d’un massacre”, projeté jeudi soir au Centre culturel algérien (CCA) à Paris, dans le cadre d’une rencontre-débat avec l’écrivain J.L Einaudi. Ce documentaire de 52 mn revient sur les manifestations organisées à l’appel de la Fédération de France du FLN, pour protester contre le couvre-feu imposé aux Algériens.

À travers les témoignages d’anciens ministres, de journalistes et d’historiens, il constitue une contribution destinée à faire en sorte que les événements tragiques du 17 octobre 1961 retrouvent leur place dans la mémoire collective. Le journaliste Georges Mattei apporte un témoignage lourd sur cette date.

“L’impression que je garde des scènes de violence, dira-t-il, c’est que le peuple de Paris s’est transformé en indicateur, en auxiliaire de la police et dénonçait les Algériens qui se cachaient dans des maisons pour échapper à la sauvagerie”, dira-t-il.

Sur un reportage réalisé et diffusé à l’époque par la chaîne de télévision Antenne 2 à 20h30, qui fit scandale parce qu’il dénonçait les massacres, le journaliste Marcel Trillat dira avec émotion que ce qu’il espérait surtout, c’est que ce reportage “serve de sépulture à tous ces Algériens portés disparus et probablement enterrés dans des fosses communes”.

“Ne pas parler de la guerre d’Algérie fait partie d’un patrimoine commun à la gauche et à la droite”, souligne l’historien Pierre Vidal-Naquet, auteur du livre “La torture dans la République”.
Dans les semaines qui suivirent ces “ratonnades”, Maurice Papon, avec l’appui du ministre de l’Intérieur Roger Frey, du Premier ministre Michel Debré et du président de la République Charles de Gaulle, fera tout pour faire échouer les demandes de commission d’enquête, rapporte le réalisateur. Le 20 mai 1998, J.-L. Einaudi écrivait dans le journal Le Monde : “En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon”. En juillet 1998, Papon porte plainte pour diffamation contre un fonctionnaire public. Pour préparer sa défense, Jean-Luc Einaudi compte sur les documents officiels dont il a demandé communication, trois mois plus tôt, aux Archives de Paris.

Faute de pouvoir produire des documents écrits attestant de la responsabilité de la préfecture de police, l’historien sollicite le témoignage de deux conservateurs des Archives de Paris, qui acceptent et témoignent, l’un par écrit et l’autre à la barre. Maurice Papon, présent, fait témoigner en sa faveur l’ancien Premier ministre, Pierre Messmer, tandis que Jean-Luc Einaudi fait venir à la barre des témoins directs des massacres.

Le 26 mars 1999, Maurice Papon est débouté de sa plainte et l’historien relaxé. Deux archivistes sont sanctionnés pour avoir témoigné. Monique Hervo, ancienne du service civil international de Nanterre, qui témoigna également lors de ce procès, dira qu’elle l’a fait parce que la mémoire, “nous la devons à tous ceux qui ont souffert, qui ont donné leur vie, à tous ceux qui ont été torturés”.
“L’oubli, c’est la continuation du massacre. L’oubli, s’agissant d’un crime contre l’humanité, c’est faire injure à l’humanité tout entière”, dira, quant à elle, l’avocate Nicole Dreyfus Schmidt. Le débat qui suivit cette projection, permit à J.L Einaudi de revenir longuement sur la bataille des archives sur ces massacres qui sont encore occultes pour beaucoup d’historiens.

Discours de Mouloud Aounit (MRAP)

au pont Saint-Michel

17 octobre 1961 : un crime d’État

Le 17 octobre 1961, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants manifestaient pacifiquement à Paris contre un couvre feu raciste décrété par Maurice Papon alors Préfet de Police de Paris leur interdisant de circuler dans les rues après 20h. Ces manifestations silencieuses, appelées par le FLN, exprimaient une exigence de dignité, d’égalité et la volonté d’indépendance de l’Algérie. Une répression sanglante d’une violence et d’une sauvagerie inouie se déchaîna alors, et qui se poursuivra jusqu’au 20 octobre. Arrestations massives, noyades, tortures, et déportations frapperont aveuglément les Algériens de Paris et de sa banlieue.

Partout aux portes de Paris, aux bouches de métro, la police traque l’Arabe avec une férocité sans nom. Dans les commissariats, on humilie, on tue même. Au gymnase Japy, toute la nuit, on torture. De ce même pont Saint-Michel, des Algériens sont assommés et jetés ligotés dans les eaux glacées de la Seine.

Du 17 au 20 octobre 1961, plus de 11 000 personnes seront raflées, parquées comme du bétail, à la Porte de Versailles, à Vincennes. Bilan : au moins 200 morts et 400 disparus.

Dès le 18 octobre 1961, le MRAP appelait à un meeting de protestation. 49 ans après, malgré la mobilisation d’un certain nombre d’entre nous, un tenace silence pèse toujours et lourdement sur ce véritable crime d’État. Cette ratonnade en plein Paris reste toujours impunie presque un demi siècle après.

Et pourtant, chaque année, depuis 1991, nous nous donnons rendez-vous ici même contre l’oubli. Incontestablement, la mobilisation citoyenne a permis quelques avancées :

La première fut l’échec de Maurice Papon, ce complice de crime contre l’humanité, dans sa misérable tentative de faire condamner Jean-Luc Einaudi, l’un des premiers à avoir dénoncé et démontré l’importance de ce crime et les mensonges de la version officielle à travers son excellent ouvrage « La bataille de Paris ».

Le FLN avait prévu de concentrer la manifestation sur trois grands secteurs, zone de l’Étoile pour les Algériens de la banlieue ouest, les boulevards Saint-Michel et Saint-Germain pour ceux de la banlieue sud et enfin les Grands boulevards pour ceux de la banlieue nord et nord-est[34]. Le 17 octobre, il pleut en fin d’après-midi. Entre 20 000 et 30 000 Algériens, hommes, femmes et enfants, vêtus de l’habit du dimanche pour témoigner de leur volonté de dignité, commencent à se diriger vers les points de regroupements[35].

Une colonne de 10 000 personnes en provenance des bidonvilles de la banlieue ouest : Nanterre, Bezons, Courbevoie, Colombes et Puteaux, se rassemble au rond-point de la Défense et se dirige vers le Pont de Neuilly en vue de gagner le secteur de l’Étoile. Cette colonne est bloquée au pont de Neuilly où est installée une section de la FPA, sept hommes du commissariat de Puteaux et ultérieurement une section d’une compagnie d’intervention, soit en tout 65 hommes. C’est ici, au Pont de Neuilly que se déroule un des affrontements majeurs de la soirée. Jusqu’à 19 heures, la police arrive à faire face et à diriger au fur et à mesure des arrivées 500 Algériens vers le commissariat de Puteaux. Lorsque des milliers de manifestants sont au contact des policiers, ceux-ci doivent faire usage de leurs « bidules », ces longs bâtons en bois dur de 85 cm de long. Une cinquantaine de manifestants arrivent quand même à passer. Des coups de feu sont tirés. D’après Brunet, ce sont sans doute les « chocquistes » du FLN qui auraient tiré en l’air les premiers coups de feu pour provoquer un affrontement[36]. D’après House et MacMaster, c’est plus vraisemblablement la police car aucun policier n’a été touché[37]. Que les policiers aient tiré et qu’ils se soient livrés à des actes d’une violence extrême n’est pas contesté. Qu’il y ait eu des morts dans ce secteur, que durant toute la nuit des hommes aient pu être jetés dans la Seine depuis les ponts de Neuilly, d’Argenteuil ou d’Asnières ne l’est pas non plus [36],[37].

D’autres manifestants ont pu joindre le secteur de l’Étoile par le métro, mais de nombreux cars de police se tiennent prêts à recevoir les Algériens qui sortent des bouches de métro pour les diriger vers les centres d’internement. Plus de 2 500 Algériens sont appréhendés dans ce secteur où les violences restent à un niveau modeste. Il en est de même dans les secteurs de la Concorde et dans une moindre mesure, de l’Opéra où 2 000 manifestants sont conduits aux centres d’identification[38].

Par contraste, les incidents du secteur des Grands Boulevards sont particulièrement violents et sanglants. Les Algériens avaient pu réussir leur rassemblement place de la République. Ils brandissent des drapeaux et écharpes aux couleurs vertes et blanches du FLN et scandent les slogans « Algérie algérienne », « Libérez Ben Bella ». Ils se heurtent à deux compagnies de CRS devant le cinéma Rex. Des coups de feu partent d’un car de police transportant des interpellés vers le commissariat de la rue Thorel et qui est bloqué par des manifestants. Après les événements, l’état de la voie publique sera comparable à celui du Pont de Neuilly : débris de verre, chaussures perdues, flaques de sang, nombreux blessés gisant sur le trottoir[39],[40].

Le troisième secteur d’affrontements violents est celui du secteur Saint-Michel Saint-Germain, à proximité de la préfecture de police dans la cour de laquelle les cars de la police déversent des flots de manifestants interpellés, plus d’un millier au total. Dans la rue, les forces de police encerclent les manifestants qu’ils chargent et frappent. Pour échapper aux coups des policiers, certains préfèrent se jeter du Pont Saint-Michel. Des échauffourées se prolongent jusqu’à 22h30 boulevard Saint-Germain et dans le secteur de Saint-Sulpice où des coups de feu sont tirés[41],[42].

La nuit du 17 au 18 octobre dans les centres d’identification

Entre 17h et minuit, une noria incessante de cars de police et d’autobus réquisitionnés débarquent entre 6 000 et 7 000 algériens au Palais des sports de la porte de Versailles. Au cours de ces transports, les corps sont parfois empilés les uns sur les autres. Après une heure du matin, les 32 derniers cars, contenant 2 623 « FMA » (Français musulmans d’Algérie, selon la dénomination de l’époque) sont dirigés vers le Stade de Coubertin[43]. Des centaines de manifestants blessés ont été dirigés sur des hôpitaux. Dans cinq hôpitaux seulement, on compte 260 blessés hospitalisés. Jean-Paul Brunet note que sur ces 260 blessés, 88 sont entrés entre le 19 et le 21, ce qui témoignerait de la persistance des brutalités policières bien au-delà de la nuit du 17 octobre[44]. Parmi les policiers, une dizaine a été conduite à la Maison de santé des gardiens de la paix pour des blessures légères[43]. Certains des blessés hospitalisés viennent du Palais des sports où les 150 policiers qui assurent la garde des détenus se livrent à des brutalités dont le syndicaliste policier Gérard Monate dira dans les semaines suivantes « ...d’après ce que nous savons, il y a eu une trentaine de cas absolument indéfendables »[43]. Tous les internés ne sont pas systématiquement frappés au Palais des sports, mais des sévices sont également exercés avant l’arrivée, dans les commissariats ou pendant les transports[43]. Jean-Luc Einaudi a recueilli nombre de témoignages d’appelés du contingent affectés au service sanitaire, d’assistantes sociales et même de certains policiers décrivant la « vision d’horreur » qui les a saisis à l’entrée du Palais des sports ou du Stade de Coubertin[45]. Les sévices sur les détenus se poursuivent jusqu’au 20 octobre où la salle de spectacle doit être libérée pour un concert de Ray Charles[46].

Dans la cour de la préfecture de police de l’île de la Cité les 1 200 détenus sont reçus par des « comités d’accueil ». Vingt blessés graves, souvent victimes de traumatisme crânien doivent être évacués vers l’Hôtel-Dieu et d’autres hôpitaux[47],[46].

La journée du 18 octobre et les jours suivants

Le FLN avait prévu une grève générale des commerçants nord-africains et une nouvelle manifestation sur la voie publique, mais il ne bénéficie plus de l’effet de surprise. À 12h30, 60% des quelque 1 400 commerces concernés sont effectivement fermés et les simples admonestations policières restent sans effet. Il faut attendre 17 heures pour qu’un ordre soit donné d’arrêter les commerçants grévistes. 79 commerçants sont effectivement arrêtés et la menace est assez efficace pour faire rouvrir les commerces à partir de 18h30[48].

Pour les manifestations de la soirée, l’encadrement du FLN est considérablement affaibli par les arrestations de la veille, alors que la police a mobilisé 3 000 hommes, substantiellement plus que les 1 658 de la veille. La préfecture de police a fait le choix, ce soir là, de privilégier la dispersion énergique aux arrestations massives[48]. Les 1 856 arrestations du 18 octobre s’ajouteront quand même aux 11 518 de la veille. Dans ces conditions, les seules véritables manifestations rassemblant quelques milliers de personnes se déroulent en banlieue, à Nanterre et à Colombes[48]. À Nanterre, un véhicule de police est atteint par une balle. Les policiers ripostent faisant huit blessés[48].

Notes :

# 35 House et MacMaster, Paris 1961, p.152

# 36 a et b Brunet, Police contre FLN, p.187-194

# 37 a et b House et MacMaster, Paris 1961, p.154-158

# 38 Brunet, Police contre FLN, p.196-194

# 39 Brunet, Police contre FLN, p.200-206

# 40 House et MacMaster, Paris 1961, p.159-161

# 41 Brunet, Police contre FLN, p.206-212

# 42 House et MacMaster, Paris 1961, p.158-159

# 43 a, b, c et d Brunet, Police contre FLN, p.219-227

# 44 Brunet, Police contre FLN, p.242-243

# 45 Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris : 17 octobre 1961, éditions du Seuil, 1991, p.189-191

# 46 a et b House et MacMaster, Paris 1961, p.166

# 47 Brunet, Police contre FLN, p.228-230

# 48 a, b, c et d Brunet, Police contre FLN, p.253-254

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