Le combat de Trotsky contre la bureaucratie stalinienne en 1928-1929
Appel des déportés à l’Internationale communiste
Léon Trotsky
13 janvier 1928
Nous soussignés, exclus des rangs du parti communiste de l’Union soviétique avant le XV° congrès de ce parti ou par décision de ce congrès, avons estimé nécessaire de faire appel en temps utile de cette exclusion auprès de l’organe suprême du mouvement communiste international, à savoir le VI° congrès du l’Internationale communiste . Cependant, sur ordre du G.P.U. (ou en partie sur résolution du comité central du parti), nous, vieux‑bolcheviks, sommes exilés dans les régions les plus éloignées d’Union soviétique sans qu’aucune accusation soit portée contre nous, dans le but unique d’empêcher notre liaison avec Moscou et les autres centres ouvriers, et, par conséquent, avec le VI° congrès mondial. Nous estimons donc nécessaire, à la veille de notre départ forcé vers des régions lointaines de l’Union, d’adresser la déclaration présente au présidium du comité exécutif de l’Internationale communiste, en le priant de le porter à la connaissance des comités centraux de tous les partis communistes.
Le G.P.U. nous exile sur la base de l’article 58 du Code criminel, c’est‑à-dire pour « propagande ou agitation en faveur du renversement, de la sape ou de l’affaiblissement du pouvoir soviétique ou pour commettre des actes individuels contre-révolutionnaires ».
Avec un calme dédain, nous rejetons la tentative d’appliquer cet article à des dizaines de bolcheviks‑léninistes qui ont beaucoup fait pour établir, défendre et consolider le pouvoir soviétique dans le passé et, qui, à l’avenir aussi, consacreront toutes leurs forces à défendre la dictature du prolétariat.
La déportation administrative de vieux militants, sur ordre administratif du G.P.U., est tout simplement un nouveau maillon de la chaîne des événements qui ébranlent le P.C. soviétique. Ces événements auront une importance historique immense pour une série d’années. Les divergences de vues actuelles sont parmi les plus importantes de celles que connut l’histoire du mouvement révolutionnaire international. Il s’agit en substance de savoir comment ne pas mener à sa perte la dictature du prolétariat qui fut conquise en octobre 1917. La lutte dans le P.C. de l’U.R.S.S. se déroule dans le dos de l’I.C. ; celle-ci n’y participe pas, elle l’ignore même. Les documents principaux de l’Opposition consacrés aux grandes questions de notre époque continuent à être inconnus de l’Internationale communiste. Les partis communistes sont toujours placés devant le fait accompli et ne font qu’apposer leur estampille sur des décisions adoptées d’avance. Nous estimons qu’une telle situation est issue du régime absolument faux en vigueur dans le P.C. de l’U.R.S.S. et dans l’I.C. tout entière.
L’âpreté exceptionnelle de la lutte au sein du parti, qui a amené notre exclusion de celui‑ci (et actuellement notre exil, sans qu’aucun fait nouveau puisse être invoqué pour le motiver), trouve précisément sa cause dans notre aspiration à faire connaître notre point de vue au parti et à l’I.C. Tant que Lénine était là, une telle activité était considérée comme normale et logique Les discussions se développaient à cette époque sur la base de la publication et de l’examen intégral de tous les documents concernant les questions litigieuses. Faute d’un tel régime l’I.C. ne peut devenir ce qu’elle doit être. La lutte pour le pouvoir du prolétariat international contre la bourgeoisie, extrêmement puissante, est encore entièrement devant lui. Cette lutte présuppose, du côté des partis communistes, une direction forte, jouissant d’une autorité morale, et capable d’agir par elle-même. Une telle direction ne peut être créée qu’au cours de nombreuses années, en sélectionnant les représentants les plus fermes, les plus aptes à déterminer leur action d’une façon autonome, les plus conséquents, les plus vaillants de l’avant‑garde du prolétariat. Dans l’exécution de leur tâche, des fonctionnaires, même les plus consciencieux, ne peuvent remplacer les guides de la Révolution. La victoire de la révolution prolétarienne en Europe et dans le monde entier dépend, dans une très large mesure, de la solution du problème de la direction révolutionnaire. Le régime intérieur de l’I.C. empêche de choisir et d’éduquer une pareille direction. Cela se manifeste surtout de façon éclatante par l’attitude des partis communistes étrangers en présence des procédures internes du P.C. de l’U.R.S.S. dont le sort est intimement lié au destin de l’I.C.
Nous, Oppositionnels, nous avons brisé les normes de la vie du parti. Pourquoi ? Parce que nous avons été dépouillés illégalement de la possibilité d’exercer nos droits normaux de membres du parti. Pour porter notre point de vue à la connaissance du congrès, nous avons été contraints de prendre sur nous d’utiliser une imprimerie d’État. Pour réfuter devant la classe ouvrière la falsification de notre point de vue, et, en particulier, la vile calomnie relative à notre prétendue liaison avec un officier de Wrangel [1] et la contre‑révolution en général, nous avons arboré, à la manifestation du X° anniversaire, des pancartes portant les inscriptions suivantes :
« Feu à droite, contre les Koulaks, les Nepmen et les Bureaucrates ! »
« Réalisons les dernières volontés de Lénine ! »
« Pour une véritable démocratie dans le Parti ! »
Ces mots d’ordre, incontestablement bolcheviques, furent déclarés non seulement hostiles au parti, mais contre‑révolutionnaires. De nombreux signes montrent qu’il faut s’attendre également, dans l’avenir, à des tentatives de créer de toutes pièces de prétendus liens entre l’Opposition et les organisations de gardes-blancs et de mencheviks dont nous sommes plus éloignés que quiconque.
Pour forger un tel amalgame, point n’est besoin de donner de motifs, pas plus d’ailleurs que pour nous déporter.
Dans la déclaration que nous avons adressée au XV° congrès, signée des camarades Smilga , Mouralov , Rakovsky et Radek , nous avons annoncé notre soumission aux décisions du XV° congrès et notre détermination à cesser le travail fractionnel. Néanmoins, on nous a exclus et l’on nous déporte à cause de nos opinions. Mais, par‑dessus tout, nous avons déclaré, et nous répétons ici, que nous ne pouvons pas renoncer aux opinions exprimées dans nos thèses et dans notre plate‑forme, car le cours des événements confirme leur justesse.
La théorie de la construction du socialisme dans un seul pays conduit inéluctablement à séparer le sort de l’U.R.S.S. de celui de la révolution prolétarienne internationale dans son ensemble. Poser ainsi la question, c’est saper, dans le domaine théorique et politique, les fondements même de l’internationalisme prolétarien. La lutte contre cette nouvelle théorie foncièrement anti‑marxiste, inventée en 1925 ‑ c’est‑à‑dire notre lutte pour les intérêts fondamentaux de l’I.C.‑ c’est ce qui a amené notre exclusion du parti et notre déportation administrative.
La révision du marxisme et du léninisme, dans la question fondamentale du caractère international de la révolution prolétarienne, provient du fait que la période de 1923 à aujourd’hui a été marquée par de dures défaites de la révolution prolétarienne internationale (1923 en Bulgarie et en Allemagne, 1925 en Estonie, 1926 en Angleterre, 1927 en Chine et en Autriche [2] ). Ces défaites ont créé à elles seules la possibilité de ce qu’on a nommé la stabilisation du capitalisme, car elles ont consolidé provisoirement la situation de la bourgeoisie mondiale ; par la pression renforcée de celle‑ci sur l’U.R.S.S., ces défaites ont ralenti l’allure de l’édification socialiste ; elles ont renforcé les positions de notre bourgeoisie à l’intérieur ; elles ont donné à celle‑ci la possibilité de se lier plus fortement à beaucoup d’éléments de l’appareil d’État soviétique ; elles ont accru la pression de cet appareil sur celui du parti, et elles ont conduit à l’affaiblissement de l’aile gauche de notre parti. Au cours de ces mêmes années, il s’est produit en Europe une renaissance provisoire de la social-démocratie, un affaiblissement provisoire des partis communistes, et un renforcement de l’aile droite à l’intérieur de ces derniers. L’Opposition dans le P.C.R., en tant qu’aile gauche ouvrière, a subi des défaites en même temps que s’affaiblissaient les positions de la révolution prolétarienne mondiale.
Si les partis de l’I.C. n’ont eu aucune possibilité d’apprécier exactement la signification historique de l’Opposition, la bourgeoisie mondiale, en revanche, a déjà émis son jugement sans ambiguïté. Tous les journaux bourgeois plus ou moins sérieux, dans tous les pays, considèrent l’Opposition du P.C.R. comme leur mortelle ennemie et envisagent au contraire la politique de la majorité actuellement dirigeante comme une transition nécessaire à l’U.R.S.S. vers le monde « civilisé », c’est‑à‑dire capitaliste.
Le présidium de l’I.C. devrait, selon nous, rassembler les opinions exprimées par les chefs politiques et par les organes principaux de la bourgeoisie, en ce qui concerne la lutte intérieure du P.C.R., afin de permettre au VI° congrès la possibilité de tirer les conclusions politiques nécessaires sur cette question primordiale.
L’issue et les leçons de la révolution chinoise, révolution qui constitue un des plus grands événements de l’histoire mondiale, ont été tenus dans l’obscurité, écartés de la discussion, et n’ont pas été assimilés par l’opinion publique de l’avant‑garde prolétarienne. En réalité, le comité central du P.C.R. a interdit la discussion des questions relatives à la révolution chinoise. Mais, sans l’étude des fautes commises, fautes classiques de l’opportunisme, il est impossible de concevoir dans l’avenir la préparation révolutionnaire des partis prolétariens d’Europe et d’Asie !
Indépendamment de la question de savoir sur qui retombe la responsabilité immédiate de la direction des événements de décembre à Canton [3] , ces événements fournissent un exemple frappant de putschisme lors du reflux de la vague révolutionnaire. Dans une période révolutionnaire, une déviation vers l’opportunisme est souvent le résultat de défaites dont la cause immédiate réside dans une direction opportuniste. L’Internationale communiste ne peut faire aucun nouveau pas en avant sans avoir tiré préalablement les leçons de l’expérience de l’insurrection de Canton, en corrélation avec la marche d’ensemble de la révolution chinoise. C’est là une des tâches essentielles du VI° congrès mondial. Les mesures de répression prises contre l’aile gauche, non seulement ne répareront pas les fautes déjà commises, mais, ce qui est plus grave, n’apprendront rien à personne.
La contradiction la plus flagrante et la plus menaçante de la politique du P.C.U.S. et de l’I.C. tout entière est constituée par le fait suivant : après quatre années de processus de stabilisation équivalant à un renforcement des tendances de droite dans le mouvement ouvrier, le feu continue à être, comme auparavant, surtout dirigé contre la Gauche. Dans la période qui vient de s’écouler, nous avons été témoins de fautes et de déviations opportunistes monstrueuses dans les partis communistes d’Allemagne, d’Angleterre, de France, de Pologne, de Chine, etc. Entre‑temps, l’aile gauche de l’I.C. a été l’objet d’un travail d’anéantissement qui se poursuit encore. Il est incontestable qu’actuellement les masses ouvrières d’Europe s’orientent politiquement vers la gauche, en raison des contradictions inhérentes au processus de stabilisation. Il est difficile de prédire à quelle allure se déroulera ce développement vers la gauche et quelle forme il prendra dans le proche avenir. Mais la campagne permanente contre les éléments de gauche prépare, pour le moment où s’aggravera la situation révolutionnaire, une nouvelle crise de direction semblable à celle que nous avons connue ces dernières années en Bulgarie, en Allemagne, en Angleterre, en Pologne, en Chine, etc., etc. ! Peut‑on exiger que des révolutionnaires, des léninistes, des bolcheviks, se taisent devant de telles perspectives ?
Nous n’estimons pas nécessaire de réfuter à nouveau l’affirmation absolument fausse que nous nierions le caractère prolétarien de notre Etat, la possibilité de l’édification socialiste, ou même la nécessité de la défense inconditionnelle de la dictature prolétarienne contre ses ennemis de classe de l’intérieur et de l’extérieur. Ce n’est pas là‑dessus que porte la discussion ; elle porte sur l’appréciation des dangers qui menacent la dictature du prolétariat, sur les méthodes pour combattre ces dangers, et comment distinguer entre les véritables et faux amis, les véritables et faux ennemis.
Nous affirmons qu’au cours des dernières années, sous l’influence de causes intérieures et internationales, le rapport des forces s’est modifié d’une manière défavorable pour le prolétariat ; que la place tenue par lui dans l’économie, dans la vie politique, économique et culturelle du pays, s’est amoindrie au lieu de grandir ; nous affirmons que, dans le pays, les forces de réaction thermidorienne se sont consolidées, et qu’en sous-estimant les dangers qui en découlent, ces dangers s’aggravent dans une proportion extraordinaire. En chassant l’Opposition du parti, l’appareil, inconsciemment, mais avec d’autant plus d’efficacité, rend service aux classes non prolétariennes qui ont tendance à se renforcer et à se consolider aux dépens de la classe ouvrière. C’est de ce point de vue que nous nous plaçons pour juger notre déportation, et nous ne doutons pas que dans un avenir prochain, l’avant‑garde du prolétariat mondial portera sur cette question le même jugement que nous.
Les représailles contre les Oppositionnels coïncident avec une nouvelle aggravation des difficultés économiques sans précédent dans les dernières années. La pénurie de produits industriels, la perturbation de la collecte des grains après trois bonnes récoltes, la menace grandissante contre le système monétaire ‑ tout cela ralentit le développement des force productives, affaiblit évidemment les éléments socialistes de l’économie et empêche d’améliorer les conditions de vie du prolétariat et des paysans pauvres.
Dans les conditions d’une aggravation de la situation en ce qui concerne les biens de consommation sur le marché, les ouvriers repoussent inévitablement les tentatives de réviser les conventions collectives dans le sens d’une baisse des salaires.
Le G.P.U. assure que ces échecs colossaux du cours qui prévaut actuellement relèvent de la responsabilité criminelle des Oppositionnels exilés, dont le véritable crime a été de prédire à plusieurs reprises, au cours des dernières années, que toutes les difficultés actuelles seraient l’inévitable conséquence d’un cours économique erroné, et d’avoir réclamé à temps un changement de ce cours.
La préparation du XV° congrès du parti ‑ convoqué après un intervalle d’un an et demi, en violation des statuts du parti ‑ a été elle-même une manifestation éclatante et grave de la violence croissante de l’appareil, s’appuyant de plus en plus sur des mesures de répression gouvernementale. De son côté, sans délibération et en brusquant les débats, le XV° congrès a adopté une résolution selon laquelle les congrès se réuniront dorénavant tous les deux ans.
Dans un pays de dictature prolétarienne, dont le parti communiste est l’expression, il est apparu nécessaire, dix ans après la révolution d’Octobre, d’arracher au parti son droit élémentaire de contrôler, au moins une fois par an, l’activité de ses organes et avant tout de son comité central.
Même dans les conditions les plus défavorables créées par la guerre civile et par la famine, les congrès se réunissaient parfois deux fois par an, mais jamais moins d’une fois. Alors le parti délibérait et décidait réellement, sur toutes les questions, ne cessant jamais d’être maître de son propre sort. Quelles forces contraignent donc maintenant à considérer les congrès comme un mal nécessaire qu’on cherche à réduire au minimum ?
Ces forces ne sont pas celles du prolétariat. Elles sont la résultante d’une pression étrangère à celui‑ci, exercée par son avant‑garde. Cette pression a conduit à l’exclusion de l’Opposition et à la déportation des Vieux-bolcheviks en Sibérie et dans d’autres pays perdus.
Nous repoussons l’accusation d’aspirer à créer un nouveau parti. Nous disons par avance que les éléments d’un dit deuxième parti se rassemblent en réalité à l’insu des masses du pli parti et avant tout de leur noyau prolétarien, au point de rencontre des éléments dégénérés de l’appareil du parti et de l’Etat et des nouveaux propriétaires. Les pires représentants de la bureaucratie, munis ou non de la carte du parti, n’ayant absolument rien de commun avec la révolution prolétarienne internationale, se groupent toujours davantage, créant ainsi des points d’appui pour un deuxième parti qui commence à se dessiner et qui, au cours de son développement, peut devenir l’aile gauche des forces thermidoriennes.
L’accusation selon laquelle, nous, les défenseurs de la ligne historique du bolchevisme, aspirerions à créer un deuxième parti, sert en réalité inconsciemment à couvrir le profond travail souterrain des forces historiques hostiles au prolétariat. En face de ces processus, nous mettons l’I.C. en garde ; tôt ou tard, un jour viendra où ces processus seront évidents pour tous, mais chaque jour perdu compromet incontestablement le succès de la résistance.
Il faut préparer le VI° congrès de l’I.C. selon les voies et moyens selon lesquels les congrès étaient préparés du temps de Lénine : publier tous les documents principaux se rapportant aux questions litigieuses, en finir avec la persécution des communistes coupables seulement d’avoir exercé leur droit de membres du parti ; dans la discussion d’avant congrès, poser dans toute son ampleur la question du rapport des forces à l’intérieur du P.C. R., ainsi que la question de la ligne politique suivie par ce dernier.
Les questions litigieuses ne seront pas réglées par de nouvelles méthodes de répression. De telles mesures peuvent jouer un grand rôle positif lorsqu’elles servent à soutenir une ligne politique juste et à liquider plus facilement les groupements réactionnaires. En tant que bolcheviks, nous connaissons la valeur des mesures de répression révolutionnaires, et nous les avons appliquées à plusieurs reprises contre la bourgeoisie et ses agents, les s.r. et les mencheviks.
Aussi ne pensons‑nous pas un seul instant à renoncer à ces mesures contre les ennemis du prolétariat. Mais nous nous souvenons avec fermeté que la répression dirigée par les partis ennemis contre les bolcheviks est demeurée impuissante. En fin de compte, c’est la politique juste qui est décisive.
Pour nous, soldats de la révolution, compagnons d’armes de Lénine, notre déportation est l’expression la plus claire des changements dans le rapport des forces de classes dans ce pays et de la dérive opportuniste de la direction. En dépit de tout cela, nous demeurons fermement convaincus que la base du pouvoir soviétique est encore le prolétariat. Il est encore possible, au moyen d’un changement décisif dans la ligne de la direction, en corrigeant les erreurs déjà commises, par de profondes réformes, sans un nouveau soulèvement révolutionnaire, de renforcer et de consolider le système de la dictature prolétarienne. Cette possibilité peut devenir réalité si l’Internationale communiste intervient de façon décisive.
Nous en appelons à tous les partis communistes et au VI° congrès de l’Internationale, demandant avec instance l’examen de toutes ces questions, ouvertement, et avec la participation de tous les membres du parti. Le Testament de Lénine n’a jamais paru plus prophétique qu’en ce moment. Personne ne sait combien de temps le cours des événements historiques va nous laisser pour corriger les erreurs qui ont été commises. Nous soumettant à la force, nous quittons nos postes dans le parti et les soviets pour un exil absurde et futile. Ce faisant, nous ne doutons cependant pas une minute que chacun d’entre nous et nous tous serons encore nécessaires au parti et qu’il aura besoin de nous, mais encore qu’à l’heure des grandes batailles qui sont devant nous, nous retrouverons tous nos places dans les rangs combattants du parti.
C’est sur la base de tout ce qui vient d’être dit que nous demandons instamment au VI° congrès de l’Internationale communiste de nous réintégrer dans le parti.
Signatures : M . Alsky ‑ A. Beloborodov ‑ A. Ichtchenko - L. Trotsky ‑ K. Radek ‑ Kh. Rakovsky ‑ E. A. Préobrajensky ‑ I. N. Smirnov ‑ L. Sérébriakov ‑ I. Smilga - L Sosnovsky ‑ N. I. Mouralov ‑ G. Valentinov - Nevelson-Man ‑ V. Eltsine ‑ V. Vaganian ‑ V. Maliouta ‑ V. Kasparova ‑S. Kavtaradzé ‑ Vilenskij (Sibiriakov).
Notes
[1] Piotr N. Wrangel (1878‑1928), général du tsar, avait été le dernier chef de l’armée blanche avec le soutien du gouvernement français en 1920. L’épisode de « l’officier de Wrangel » s’était produit l’année précédente. Un individu prétendant se nommer Stroilov s’était présenté aux dirigeants de l’Opposition qui cherchaient les moyens d’imprimer la plate‑forme de cette dernière. Le G.P.U. « révéla » que Stroilov ‑ qui ne fut pas officiellement « retrouvé » ‑ était un ancien officier de l’armée Wrangel. Mais l’Opposition démontre sans réplique que cet ancien officier de Wrangel était aussi agent du G.P.U. en service. Selon les services secrets polonais, Stroilov aurait été en réalité le célèbre Oupeninch, dit Opperput, l’homme qui noyauta puis décapita les organisations d’émigrés blancs et construisit le Trust. (cf. P. Broué, « La Main-d’œuvre blanche de Staline », Cahiers Léon Trotsky n° 24).
[2] Trotsky fait allusion ici à différentes défaites de l’I.C. ou du mouvement ouvrier, dans lesquelles la responsabilité des dirigeants de Moscou était engagée différemment. En Allemagne, après s’être décidé très tard à admettre l’existence d’une situation révolutionnaire, après avoir contribué à freiner les masses par une politique de « grand soir », l’I.C. avait sous‑estimé l’ampleur du recul d’Octobre et de la renonciation à l’insurrection. En Bulgarie, elle avait fait préparer un putsch qui fut réprimé dans le sang ; la Lettonie fut aussi le théâtre d’une insurrection manquée en 1925 ; en 1926, la grève générale britannique fut écrasée sans que le P.C. de l’U.R.S.S. ait jugé bon de rompre les relations au sein d’un comité syndical anglo‑russe avec les dirigeants réformistes qui cautionnaient et avaient la responsabilité de cet écrasement ; en Chine, Tchiang Kaï‑chek avait massacré les communistes à partir du « coup de Shanghai » et les forces du gouvernement chrétien social de Vienne avaient mitraillé en pleine capitale des manifestants ouvriers, faisant plus de trente morts.
[3] Après avoir porté pendant des mois la responsabilité de la politique de soutien au Guomindang et d’alliance avec Tchiang Kaï‑chek, et, après le début de la répression de celui-ci, après avoir continué cette politique avec ce qu’elle appelait « le Guomindang de gauche », la direction Staline‑Boukharine avait fait un brutal virage à gauche, sans doute dans la perspective du XV° congrès et pour étouffer les critiques de l’Opposition. Une fois de plus, son « gauchisme » avait revêtu la forme du putschisme, les militants communistes, seuls, se soulevant le 11 décembre 1927 au nom d’un « soviet de Canton » désigné par l’appareil. L’insurrection, privée du soutien populaire par sa conception même, ne dura que trois jours mais fut suivie d’une répression féroce. Trotsky nuancera plus tard son appréciation, comme on le verra dans ce volume, notamment dans sa correspondance avec Préobrajensky.
Léon Trotsky
Le Plenum de Juillet et le danger de droite
23 juillet 1928
Le rapport lu par Rykov le 13 juillet à la réunion des militants de Moscou sur le bilan du Plenum de Juillet du Comité Central [1] constitue un évènernent d’une importance politique capitale. C’est là une intervention, exposant un programme, du représentant le plus autorisé de l’aile droite portant son étendard, sinon entièrement déployé tout au moins déroulé à moitié. Dans son rapport Rykov ne s’est pas arrêté un instant sur le programme de l’IC ; il ne l’a même pas mentionné. Il a consacré exclusivement son exposé à la question du stockage des blés. Aussi n’est ce pas sans raisons que son rapport est celui d’un triomphateur. La droite sort entièrement victorieuse de la première escarmouche avec le centre, après 4 ou 5 mois de politique de « gauche ». Le Plenum de Juillet du Comité Central marque la première victoire ostensible de Rykov sur Staline, remportée il est vrai avec le consentement de ce dernier. L’idée essentielle du rapport de Rykov est que le déplacement qui s’est produit en Février vers la gauche, n’était qu’un épisode dû à des circonstances extraordinaires, que cet épisode doit être enterré, qu’il faut classer dans les archives non seulement l’article 107 [2], mais aussi celui paru en Février dans la Pravda, qu’il faut abandonner l’ancien cours en tournant non pas à gauche, mais à droite ; et que plus ce virage se fera brutalement, meilleur il sera. Pour se frayer la route, Rykov avoue (impossible de faire autrement devant les faits accusateurs) trois de ses petites erreurs : « Premièrement au moment où la crise surgit, je l’estimais moins profonde qu’elle n’était en réalité ; mais, deuxièmement, je pensais que, grâce aux mesures extraordinaires, nous parviendrions à triompher complètement de cette crise de ravitaillement en blé. Nous n’y sommes pas parvenus. Troisièmement, j’espérais que toute la campagne du stockage des céréales se déroulerait en s’appuyant sur le paysan pauvre et en maintenant parfaitement stable la liaison avec les masses des paysans moyens. Sur ce point je me suis également trompé ».
Et pourtant toute cette crise du stockage, avec tous les phénomènes politiques qui l’accompagnent, fut prévue par l’Opposition dans ses contre-thèses [3] montrant très exactement à Rykov ce qu’il ne comprenait pas et ne prévoyait pas, C’était précisément pour éviter des mesures administratives tardives, exagérées, prises à la hâte et sans coordination, que l’Opposition proposa en temps voulu de faire aux éléments riches des villages un emprunt forcé en blé [4]. Certes, cette mesure avait aussi un caractère exceptionnel. Toute la politique précédente l’avait rendue inévitable ; si l’emprunt avait été lancé à temps et avec méthode, il aurait réduit au minimum les excès administratifs qui constituent un paiement trop élevé pour de bien modestes succès matériels. Les mesures de violence administrative n’ont en elles-mèmes rien de commun avec un cours juste. Elles sont la rançon d’une orientation erronée. La tentative de Rykov d’attribuer à l’Opposition une tendance à la Rykov, prises dans l’arsenal du communisme de guerre, est tout bonnement absurde. Dès les premiers jours, l’Opposition considéra les perquisitions dans les fermes, le rétablissement des détachements de barrage, etc., non pas comme le début du cours nouveau, mais bien comme la faillite de l’ancien. L’article 107 pour le stockage n’est pas l’instrument du cours léniniste, c’est une des béquilles de la politique rykovienne. En s’efforçant de présenter comme programme de l’Opposition les mesures administratives de désorganisation de l’économie dont il est entièrement responsable, Rykov agit comme tous les politiciens petits-bourgeois qui toujours en pareil cas excitent le paysan contre le communiste en le dépeignant comme un bandit et un expropriateur. Que signifiait le revirement de Février ? C’était l’aveu du retard subi par l’industrie, de la différenciation menaçante, dans les campagnes et du terrible danger koulak. Que fallait-il en déduire pour fixer le. nouvelle ligne de conduite ? Un changement dans la répartition du revenu national, en faisant dévier vers l’industrie une partie de celui-ci allant jusque-là au koulak, en la déplaçant du du capitalisme vers le socialisme, en accélérant le développement de l’industrie aussi bien lourde que légère. Contrairement à l’article paru en Février dans la Pravda (qui ne faisait que répéter dans cette question les arguments de l’Opposition) Rykov aperçoit la cause de la crise de stockage non pas dans le retard subi par le développement de l’industrie, mais bien dans celui de l’agriculture. Fournir une pareille explication c’est se moquer du Parti et de la classe ouvrière, c’est le tromper pour motiver un revirement vers la droite. C’est la vieille façon de poser le problème, à la manière du professeurs oustrialovistes. Il est évidemment incontestable que notre agriculture est émiettée, éparpillée, arriérée, qu’elle a un caractère barbare, que ce retard est la cause fondamentale de toutes les difficultés. Mais exiger, en se basant là-dessus, comme le fait Rykov, un déplacement, des ressources financières destinées à l’industrie vers l’économie paysanne individuelle, c’est choisir non pas simplement le chemin de la bourgeoisie, mais bien celui de la bourgeoisie agraire de la bourgeoisie réactionnaire, c’est se présenter comme une caricature soviétique des amis du peuple, des zemstvos de 1880. L’agriculture ne peut être relevée qu’avec l’aide de l’industrie. Il n’existe pas d’autres leviers.
Pourtant notre industrie retarde effroyablement sur l’économie paysanne que nous avons devant nous, émiettée, arriérée, barbare ; le retard de l’industrie se constate. non seulement par apport aux aspirations historiques générales de l’économie paysanne, mais aussi par comparaison à la capacité d’achat de celle-ci. Confondre deux questions, l’une ayant trait au retard général historique des campagnes sur les villes, et l’autre portant sur les retards des cités en face des besoins de marchandises se manifestant actuellement dans les villages, c’est capituler en abandonnant l’hégémonie des villes sur les campagnes.
L’économie générale, dans sa forme présente, est infiniment arrièrée même comparativement à l’industrie qui est très retardataire. Mais conclure que cette conséquence de l’application, pendant des siècles, de la loi du développement inégal des diverses parties de l’économie peut être vaincue ou tout au moins atténuée par la réduction des fonds déjà insuffisants destinés à l’industrialisation équivaudrait à combattre l’analphabétisme en fermant les établissements d’enseignement supérieur. Ce serait entamer la charpente même du progrès de l’Histoire. Bien que l’industrie ait un type de production et de technique infiniment supérieur à celui de l’agriculture, non seulement elle n’est pas de taille à jouer un rôle de direction et de transformation - rôle vraiment socialiste, - en face des campagnes, mais elle n’est même pas capable de satisfaire aux besoins courants du marché du village, et elle retarde ainsi le développement de celui-ci.
C’est précisément sur cette base que s’est amplifiée la crise de stockage des blés ; elle ne fut nullement causée, ni par le caractère retardataire historique général des campagnes, ni par un pretendu avancement trop rapide de l’industrie. Le 15 février, la Pravda nous apprenait que trois années « n’avaient pas passé sans laisser de trace, que les campagnes s’étaient enrichies, c’est-à-dire surtout les koulaks ; en face du retard dans le développement de l’industrie, cela devait inévitablement amener la crise du stockage des blés. Contredisant, complètement cette interprétation, Rykov estime que l’erreur commise au cours des dernières années par la direction du Parti était au contraire d’avoir forcé exagérément l’industrialisation, qu’il faut en ralentir l’allure, qu’il faut diminuer sa part du revenu national, que les fonds devenus ainsi disponibles doivent être utilisés comme subsides destinés à l’économie rurale, surtout dans sa forme individuelle prédominante. C’est au moyen de pareils procédés que Rykov espère, dans un temps très rapide, faire doubler la récolte par hectare. Mais il se tait quant aux moyens permettant de réaliser sur le marché cette récolte doublée, c’est-à-dire de l’échanger contre les produits de l’industrie dont l’allure de développement. aurait encore ralenti. Il est impossible que Rykov ne se pose pas cette question. Une récolte double correspondrait à une capacité quintuplée ou décuplée, d’absorption de marchandises par l’économie rurale ; le manque, de produits industriels se verrait ainsi également multiplié plusieurs fois. Rykov ne peut pas ne pas comprendre cette corrélation si simple. Pourquoi ne nous divulgue-t-il pas alors le secret lui permettant de triompher dans l’avenir de la disproportion qui croîtra monstrueusement ? Parce que. son heure n’est pas encore venue. Pour les politiciens de la droite, les paroles sont d’argent, mais le silence est d’or. Rykov a d’ailleurs déjà dépensé trop d’argent dans son rapport. Mais il n’est pas difficile de deviner ce que vaut son or. L’augmentation de la capacité d’absorption de marchandises par l’économie rurale, en face d’un développement régressif de l’industrie, équivaut tout simplement à un accroissement de l’importation de produits fabriqués à l’étranger, destinés aussi bien aux villes qu’aux campagnes. Il n’existe pas et il ne peut pas exister d’autre voie. En revanche, la nécessité de s’engager dans cette voie unique sera si impérieuse, la pression de la disproportion accrue sera si menaçante, que Rykov se décidera à monnayer sa réserve d’or et exigera tout haut l’abolition - ou une réduction équivalente à l’abolition - du monopole du commerce extérieur.
C’est précisément le plan de droite que prévoyait notre plate-forme. Dès maintenant il est apporté ouvertement à la tribune, sinon entier, tout au moins dans une de ses parties considérables. Ainsi qu’il appert de tout le discours de Rykov, le relèvement des prix du blé est une hypothèque sur ce plan. C’est avant tout une prime au koulak. Elle lui permet d’entraîner avec plus d’assurance le encore le paysan moyen en en lui expliquant : « Tu vois, je me suis fait largement payer les dommages causés par l’article 107. C’est en luttant que nous conquerrons notre droit, comme disent nos maîtres, les socialistes-révolutionnaires ». Il faut croire que les fonctionnaires versés dans les affaires consolent les politiciens en les assurant qu’il sera possible de récupérer sur d’autres matières premières fournies par les paysans ce qui aura été payé en trop sur le blé. Mais de pareilles considérations ont un caractère nettement charlatanesque. Premièrement, l’ouvrier consomme du pain et non des matières premières utilisées par la technique ; le relèvement du prix du blé frappera donc immédiatement le budget de l’ouvrier. Deuxièmement, on ne réussira pas mieux à se rattraper sur les autres produits fournis par le paysan, si on prend la décision de faire oublier, à coups de roubles les conséquences du zigzag de gauche. En général, les manœuvres de retraite s’accomplissent avec plus de pertes que d’avantages. Ceci est d’autant plus vrai pour une retraite aussi désordonnée que celle marquée par les décisions de Juillet comparées aux résolutions prises en Février. Le relèvement des prix du blé, même envisagé comme mesure exceptionnelle, extraordinaire, comme un article 107 à rebours, dissimule en soi un énorme danger : il ne fait qu’accentuer les contradictions ayant donné naissance à la crise du stockage. Cette hausse ne frappe pas que les consommateurs, c’est-à-dire l’ouvrier et le paysan pauvre dont la récolte ne suffit pas à la consommation personnelle ; elle constitue non seulement une prime au koulak et au paysan aisé, mais elle aggrave encore la disproportion. Si les produits de l’industrie faisaient déjà défaut en présence des prix des grains, ils manqueront d’autant plus après la hausse de ces prix et l’accroissement de la quantité de blé récoltée. Cela équivaut donc à une nouvelle extension du déficit de marchandises industrielles et à une différenciation sociale continuant à s’accentuer dans les campagnes. Combattre la crise du stockage en augmentant les prix du blé, c’est entrer résolument dans la voie de la dépréciation du tchernovietz [5], en d’autres termes, c’est étancher la soif avec de l’eau salée en ajoutant du sel à cette eau. Les choses en seraient là, s’il ne s agissait que d’une mesure isolée, exceptionnelle. Mais cette hausse dans l’esprit de Rykov n’est nullement un procédé extraordinaire. Elle est simplement une des parties essentielles de la politique rykovienne de glissement vers le capitalisme. Sur ce chemin l’inflation n’est qu’un "détail technique".
Au sujet du danger d’inflation, Rykov dit d’un air significatif : « En attendant, la capacité d’achat du rouble se maintient ferme ». Que veut dire « En attendant » ? Cela signifie : jusqu’à la réalisation de la nouvelle récolte à des prix augmentés en face d’un déficit de produits industriels. Mais, quand l’inflation frappera, Rykov dira aux ouvriers, dont les salaires baisseront inévitablement "Je vous avais bien dit : en attendant". Et alors il commencera à développer la partie de de son programme sur laquelle maintenant il fait le silence. Il est impossible d’entamer la route de la Neo-NEP sans porter attente au commerce extérieur.
En même temps que Rykov triomphait, Staline, le vaincu, intervenait à Léningrad. Dans son discours réellement impotent, (on est vraiment honteux de le lire), Staline présente la prime accordée aux éléments riches des villages et prélevée sur les ouvriers et les paysans pauvres comme une consolidation nouvelle du pont unissant ville et campagne (combien y en a-t-il eu de ces consolidations ?). Staline ne tente même pas de montrer comment il pense écarter les contradictions qui l’étreignent : il vient de sortir du pétrin où l’entraînait l’article 107 pour s’empêtrer immédiatement dans la hausse des prix. Staline ne fait que ressasser des phrases gérérales sur le « pont »,. qui ont clé déjà répétées à en donner la nausée. Comme si ce problème du « pont » pouvait être résolu par une phrase, une formule, un serment, comme si quelqu’un pouvait croire (à l’exception de fonctionnaires dociles), que si la prochaine récolte est bonne. elle pourra, par miracle, combler la disproportion aggravée par les trois récoltes précédentes. Staline craint la réponse rykovienne de droite, mais il redoute aussi la solution léniniste. Staline attend. Staline tergiverse en s’occupant du déplacements de fonctionnaires. Staline perd du temps, croyant en gagner. Après le choc convulsif de Février, nous sommes de nouveau en présence du « suivisme » dans toute sa pitoyable impuissance. Le discours de Rykov a une tout autre allure. Si Staline s’esquive en se taisant, c’est qu’il n’a rien à dire ; par contre, si Rykov passe certaines choses sous slence, c’est pour ne pas trop parler. La politique de la hausse des prix du blé (surtout accompagnée de l’exposé des motifs rykoviens expliquant l’abrogation du zigzag de gauche appliqué au printemps) constitue et ne peut que constituer le début d’un changement d’orientation vers la droite, profond et peut-être décisif. Des barrières juridiques se dressant sur cette voie, comme la limitation du bail et de l’emploi de la main-d’œuvre, même comme le monopole du commerce extérieur, seront effacées d’un trait de plume bureaucratique, à moins qu’on ne se soit auparavant brisé la poitrine contre la grille de fer de l’avant-garde prolétarienne. La logique du cours de droite peut a bref délai devenir inébranlable. Toutes les illusions, tous les faux espoirs en la politique fausse de la droite, tous les calculs hasardeux en général, les pertes de temps. les atténuations des contrastes, les restrictions mentales, la diplomatie équivalent à endormir les ouvriers, à soutenir l’ennemi, à aider consciemment ou inconsciemment Thermidor. Par le discours de Rykov commentant les résolutions du Plenum de Juillet, la droite a jeté le gant à la Révolution d’Octobre. Il faut comprendre cela. Il faut relever le gant. Et il faut immédiatement. toutes les forces tendues, donner un bon coup sur les doigts de la droite. La droite en lançant son défi s’était d’avance fixée sa stratégie. Pour cela elle n’a pas eu besoin d’inventer la poudre. Rykov affirme qu’à la base des tentatives centristes de gauche, il y a « une méfiance trotskyste envers la construction du socialisme sur la base de la Nep et une panique désespérée devant le moujik ». La lutte contre le « trotskysme » est le dada favori de tous ceux qui commencent à glisser. Mais si des arguments de ce genre étaient déjà passablement stupides dans la bouche de Staline, ils deviennent une caricature piteuse dans celle de Rykov. C’est là précisément qu’il aurait dû se rappeler que le silence est d’or. Ce sont ceux-là, qui redoutaient la conquête du pouvoir par le prolétariat dans la Russie paysanne, qui en réalité sont pris de panique devant le moujik. Ces véritables froussards ont été vus de l’autre côté des barricades d’Octobre. Rykov était du nombre [6]. Quant à nous, nous étions avec Lénine et le prolétariat, car nous ne doutions pas un instant que ce dernier était capable d’entraîner la paysannerie. La politique rykovienne de 1917 n’était qu’une anticipation raccourcie de la tactique économique actuelle. A présent, il propose de rendre l’une après l’autre les positions économiques dominantes déjà conquises par le prolétariat aux éléments de l’accumulation primaire capitaliste. C’est seulement grâce aux droits que lui a conférés, en ces dernières années, la falsification de l’Histoire, que Rykov ose qualifier de panique la lutte intraitable menée par l’Opposition pour défendre la dictature socialiste ; il tente en même temps de faire passer pour du courage bolchevique sa disposition à capituler les yeux ouverts devant le capitalisme.
Maintenant Rykov dresse sa démagogie réactionnaire, entièrement adaptée à la psychologie du petit propriétaire en voie d’enrichissement, moins contre l’Opposition que contre Staline et les centristes penchant vers la gauche. De même qu’en son temps Staline retourna contre Zinoviev toutes les attaques de celui-ci contre le « trotskysme », Rykov s’apprête à présent à répéter la même opération contre Staline. Qui sème le vent récolte la tempête. Les mythes, les légendes, les mots d’ordre du « trotskysme » imaginaire ne sont pas devenus l’apanage de l’Opposition, mais certaines classes s’en sont emparés et, ainsi, ces conceptions ont eu leur existence propre. Pour pénétrer plus en largeur et en profondeur, l’agitation de Staline a dû être cent fois plus brutale que celle de Zinoviev. Maintenant, c’est le tour de Rykov. On peut imaginer quelles persécutions la droite va déchaîner en misant ouvertement sur l’instinct de propriété des koulaks. Il ne faut pas oublier que si les rykoviens formaient l’arrière-garde des centristes, ils en ont à leur tour une autre beaucoup plus pesante. Immédiatement derrière Rykov, viennent ceux qui, comme la Pravda l’ont déjà reconnue, veulent vivre en paix avec toutes les classes, c’est-à-dire veulent de nouveau exhorter l’ouvrier, le journalier et le paysan pauvre à se soumettre paisiblement au maître. Dans le rang suivant apparaît déjà le petit patron avide, impatient, vindicatif, les bras retroussés et le couteau à portée de la main ; et derrière le petit patron, de l’autre côté de la frontière se dresse le vrai patron avec dreadnoughts, avions et gaz asphyxiants. « Il ne faut pas se laisser aller à la panique. Construisons comme nous l’avons fait jusqu’à présent ». Voilà ce que prêchent les petits Judas de la droite, endormant les ouvriers, mobilisant les propriétaires, en d’autres mots préparant Thermidor. Telle est maintenant la disposition des pièces sur l’échiquier ; voilà quel est le véritable mécanisme faisant agir les classes. Rykov, nous l’avons déjà dit, trompe le Parti en lui racontant que l’Opposition voudrait éterniser les mesures exceptionnelles auxquelles nous sommes réduits pour notre honte, après onze années de dictature, par la politique suivie après la mort de Lénine. L’Opposition a dit nettement ce qu’elle voulait, dans ses documents adressés au Congrès. Mais Rykov a parfaitement raison quand il dit : la tâche principale des « trotskystes est de ne pas laisser triompher celle aile droite. Cela, c’est vrai. La victoire de l’aile droite serait le dernier degré conduisent à Thermidor, Après être descendu jusqu’à ce triomphe, il ne serait plus possible de remonter à la dictature en appliquant seulement les méthode de réforme du Parti. L’aile droite est le crochet sur lequel tirent les classes ennemies. Le succès de cette aile serait simplement une victoire provisoirement dissimulée de la bourgeoisie sur le prolétariat. Rykov a raison : actuellement, notre tâche principale est de ne pas laisser triompher l’aile droite. Or, pour cela il faut non point endormir le Parti comme le font les Zinoviev, les Piatakov et consorts, mais bien sonner l’alarme avec une force dix fois plus grande sur toute la ligne. Nous disons à notre Parti et à l’Internationale Communiste : Rykov commence à rendre ouvertement la Révolution d’Octobre aux classes adverses.
Staline se repose tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre ; il bat en retraite devant Rykov et frappe la gauche. Boukharine brouille la conscience du Parti en l’emmenant dans la voie de la scolastique révolutionnaire. Le Parti doit élever la voix. L’avant-garde prolétarienne doit prendre son destin entre ses mains. Le Parti doit discuter largement sur les trois cours : droite, centre et léniniste. Le Parti a besoin de réintégrer l’Opposition dans ses rangs. Le Parti a besoin d’un Congrès honnêtement préparé et honnêtement convoqué.
Notes
[1]Le Plenum du Comité Central du P.C. de l’U.R.S.S. qui se tînt en juillet 1928 fut consacré aux difficultés économiques et au congrès de l’I.C. qui devait avoir lieu immédiatement après. Une lutte acharnée se produisit à ce Plenum, ou plus exactement dans les coulisses de celui-ci, entre les fractions de Staline et de Rykov. Comme on le voit d’après la lettre, ce fut en fait la droite qui l’emporta, ayant à sa tête Rykov et Boukharine. (Note de Contre le Courant.)
[2] L’article 107 du Code pénal prévoit la lutte contre l’agiotage et contre la dissimulation frauduleuse de marchandises en surplus. Cet article fut largement appliqué au printemps dernier en tant que mesure exceptionnelle pour enlever le blé aux paysans. (Note de Contre le Courant.)
[3] Il s’agit ici des contre-thèses que l’Opposition dressa contre les thèses officielles présentées par le Comité Central au XV° congrès du Parti. Ces contre-thèses, parues à l’époque dans les pages de discussion de la Pravda, étaient consacrées aux questions de la politique du Parti dans les campagnes et du plan quinquennal du développement de l’industrie. (Note de Contre le Courant.)
[4] Prévoyant les difficultés imminentes du stockage des blés, l’Opposition proposait dans sa plate-forme un emprunt forcé en blé à appliquer aux éléments riches des villages pour obtenir 150-200 millions de pouds de céréales (Note de Contre le Courant.)
[5] Monnaie d’alors de l’Union Soviétique (note MIA)
[6] Rykov était en 1917 parmi les adversaires les plus résolus de la prise du pouvoir. Désigné pour être du gouvernement après la révolution d’Octobre, quelques jours après, il désertait avec Zinoviev et Kamenev.
Au moment où les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires entamèrent ouvertement la lutte contre le gouvernement soviétique qui venait de se constituer, Rykov, Kamenev et Zinoviev exigèrent en fait que l’on capitulât devant eux en formant avec eux un gouvernement de coalition.
Quand le Comité Central refusa de consentir à la constitution d’un pareil gouvernement, ils annonçèrent leur démission du Comité Central : Rykov, avec quelques autres abandonèrent les postes de gouvernement qui leur vaiet été confiés par le Parti. (Note de Contre le Courant.)
Léon Trotsky
Où va la révolution soviétique ?
22 avril 1929
Depuis la révolution d’Octobre, cette question n’a pas quitté les colonnes de la presse mondiale. A l’heure actuelle, elle est traitée en fonction de mon exil que les adversaires du bolchevisme considèrent comme un dénouement depuis longtemps attendu. Que cet exil ait une importance, non point personnelle, mais politique, ce n’est pas à moi de le nier. Cependant, cette fois encore, je ne conseillerai pas de se hâter de conclure au « commencement de la fin ».
Il serait vain de rappeler que les pronostics historiques se distinguent des pronostics astronomiques en ce qu’ils sont toujours relatifs. Il serait ridicule de faire une prédiction exacte lorsqu’il s’agit de la lutte de forces vives. Le problème de la prévision historique consiste à distinguer le possible de l’impossible, et à dégager, parmi les conceptions théoriques, quelles sont les plus vraisemblables.
Une réponse un tant soit peu fondée à cette question « Où va la révolution soviétique ? » ne pourrait se trouver que dans le résultat de l’analyse de toutes ses forces intérieures, ainsi que des circonstances mondiales parmi lesquelles elle se meut une telle étude exige un livre. A Alma-Ata, j’ai travaillé à ce livre, que j’espère achever à bref délai. Je ne puis ici qu’indiquer les grandes lignes qu’il faut suivre pour chercher une réponse.
Est-il vrai que la révolution russe soit proche de sa liquidation ? Ses ressources intérieures sont-elles épuisées ? Qui pourra lui succéder ? Une démocratie ? Une dictature ? Une restauration monarchique ? Le cours d’un processus révolutionnaire est beaucoup plus complexe que celui d’un torrent de montagne. Mais, là comme ici, le changement d’orientation le plus paradoxal à première vue est absolument normal. Toutefois, il ne faut pas exiger une norme extérieure et schématique, il faut prendre une norme naturelle, déterminée par le volume d’eau du torrent, le relief de la contrée, le caractère des courants aériens, etc. En politique, cela signifie qu’après les ascensions les plus fortes de la révolution, il faut prévoir la possibilité et la probabilité de descentes abruptes, parfois prolongées et, au contraire, dans les périodes de la décadence la plus grande, comme par exemple au moment de la contre-révolution de Stolypine (1907-1910), distinguer les prémices d’une nouvelle ascension.
Deux périodes principales
Les trois révolutions qu’a traversées la Russie pendant le dernier quart de siècle constituent, en réalité, les étapes d’une seule et même révolution. Entre les deux premières, douze années se sont écoulées ; entre la deuxième et la troisième, il n’y a eu que neuf mois. Les onze années d’existence de la révolution soviétique se décomposent également en une série d’étapes parmi lesquelles deux principales, la maladie de Lénine et le commencement de la lutte contre le « trotskysme », peuvent être à peu près considérées comme la ligne de démarcation qui les sépare. Pendant la première période, les masses ont joué un rôle décisif. L’Histoire ne connaît pas d’autre exemple de révolution ayant mis en mouvement des masses semblables à celles qui furent soulevées par la révolution d’Octobre. Et aujourd’hui encore, il existe des esprits originaux qui considèrent la révolution d’Octobre comme une aventure ! En raisonnant ainsi, il ravalent jusqu’au néant ce qu’ils défendent : quelle serait donc la valeur d’une organisation sociaIe qu’une « aventure » pourrait renverser ? En réalité, la réussite de la révolution d’Octobre - le seul fait qu’elle ait tenu pendant les années les plus critiques contre des légions d’ennemis - fut assurée par l’activité et l’initiative des masses des villes et des campagnes. C’est sur cette seule base qu’a pu se développer l’improvisation de l’appareil gouvernemental et de l’Armée rouge. Telle est, en tout cas, la principale déduction de mon expérience en la matière.
La seconde période, qui a amené un changement radical de direction dans le gouvernement, est caractérisée par un abaissement incontestable de l’activité immédiate de la masse : la rivière rentre dans le lit. Au-dessus des masses s’élève de plus en plus l’appareil centralisé de la direction. L’Etat soviétique ainsi que l’armée se bureaucratisent. La distance grandit entre les milieux dirigeants et les masses. L’appareil acquiert de plus en plus un caractère de « fin en soi ». De plus en plus, le fonctionnaire est pénétré de la conviction que la révolution d’Octobre s’est accomplie précisément pour concentrer le pouvoir entre ses mains et lui garantir une situation privilégiée. Il n’y a pas lieu, je pense, d’expliquer que les contradictions positives que nous distinguons dans le développement de l’Etat soviétique ne sont pas des arguments en faveur d’une négation anarchiste, c’est-à-dire totale et stérile, de l’Etat en général.
Dans une lettre remarquable consacrée aux phénomènes de dégénérescence de l’appareil gouvernemental et du parti, mon vieil ami Rakovsky indique de façon très démonstrative comment, après la conquête du pouvoir, une bureaucratie indépendante se forma au sein de la classe ouvrière, et comment cette différenciation fut d’abord seulement fonctionnelle, puis devint sociale par la suite. Naturellement, le processus intérieur de la bureaucratie se développa en liaison étroite avec un autre, plus profond, survenu dans le pays. Avec les principes de la NEP [nouvelle politique économique], on vit renaître une large Catégorie de petits-bourgeois des villes. Les professions libérales ressuscitèrent. Au village, ce fut l’ascension du paysan riche, du koulak. Précisément parce qu’il s’était haussé au-dessus des masses, le corps des fonctionnaires s’était, dans ses larges sphères, rapproché de ces couches bourgeoises et s’y était apparenté. De plus en plus, l’initiative et l’esprit critique de la masse turent regardés par la bureaucratie comme une entrave. La pression de l’appareil de l’Etat sur les masses s’accrut d’autant plus facilement que, ainsi qu’il a déjà été dit, la réaction psychologique des masses elles-mêmes s’exprimait par une diminution incontestable de leur activité politique. Pendant ces dernières années, il arriva souvent aux ouvriers d’entendre cette apostrophe des bureaucrates ou des nouveaux propriétaires « Vous n’êtes plus en 1918 ! » En d’autres termes, le rapport des forces se modifiait aux dépens du prolétariat.
A ces processus correspondirent des transformations intérieures dans le parti lui-même. Il ne faut pas oublier un instant que l’écrasante majorité de ce parti, qui compte actuellement plus d’un million d’adhérents, n’a qu’une conception confuse de ce qu’était celui-ci pendant la première période révolutionnaire, sans parler même de la période d’avant la révolution ! Il suffit de dire que de 75 à 80% des membres du parti y sont entrés après 1923. Le nombre de membres du parti inscrits avant la révolution est inférieur à 10 %. A partir de 1923, le parti fut fondu artificiellement en une masse à demi amorphe, destinée à jouer le rôle de matière malléable entre les mains des professionnels de l’appareil. Cette édulcoration de la substance révolutionnaire du parti est apparue comme une prémice inévitable des victoires de l’appareil sur le « trotskysme ». Il faut également remarquer que les manifestations de corruption et d’arbitraire ont augmenté du fait de la bureaucratisation du régime d’Etat et de celui du parti. Les adversaires des Soviets signalent ces manifestations avec malveillance. Ce serait contre nature qu’il en fût autrement. Mais lorsqu’ils tentent d’expliquer cea phénomènes par l’absence d’une démocratie parlementaire, il suffit, pour leur répondre, de leur montrer la longue série des « Panamas », en commençant au besoin par l’Affaire elle-même - et elle n’a pas été la première - dont le nom est devenu un symbole, et en finissant par celle, toute fraîche de La Gazette du Franc et par celle de l’ancien ministre Klotz. Si l’on veut nous prouver que la France constitue une exception, que, par exemple, les Etats-Unis ignorent la corruption politique, nous ferons tous nos efforts pour y croire... Mais revenons à notre sujet.
Les fonctionnaires qui se sont élevés au-dessus de la masse sont, en majorité, profondément conservateurs. Ils sont enclins à considérer que tout ce qui est indispensable à la félicité humaine a été réalisé. Ces éléments portent à l’Opposition une haine organique ; ils l’accusent de suggérer aux masses, par ses critiques, le doute à leur endroit, de détruire la stabilité du régime et de menacer les conquêtes d’Octobre en agitant le spectre de la « révolution permanente ». Cette couche conservatrice, qui constitue le meilleur soutien de Staline dans sa lutte contre l’Opposition, tend à s’avancer beaucoup plus que Staline lui-même ou que le noyau fondamental de sa fraction, vers la droite, au-devant des nouveaux possédants. D’où le conflit actuel de Staline avec la droite. D’où la perspective pour le parti d’une nouvelle « épuration », non seulement des « trotskystes » dont le nombre a grandi à la suite des expulsions et des exils, mais aussi des éléments les plus décomposés de la bureaucratie. La politique double de Staline se déploie en une succession de zigzags dont la conséquence est le renforcement du flanc droit et du flanc gauche, au détriment de la fraction du centre qui gouverne.
Thermidor
Bien que la lutte contre les droitiers soit toujours à l’ordre du jour, l’ennemi essentiel de Staline n’en reste pas moins la gauche, comme précédemment. A l’heure actuelle, la chose (claire depuis longtemps pour l’Opposition) est d’une évidence criante. Dès les premières semaines de la campagne contre la droite, dans une lettre adressée d’Alma-Ata aux camarades partageant mon point de vue, le 10 novembre dernier, je disais que la tactique de Staline réside en ceci : au moment propice,
« lorsque la droite sera suffisamment éffrayée, tourner brusquement le feu contre l’aile gauche. [...] La campagne contre la droite n’est que l’élan pris pour une nouvelle attaque contre la gauche. Celui qui n’a pas compris cela, n’a rien compris. »
Ce pronostic s’est réalisé plus tôt et plus catégoriquement qu’on ne pouvait s’y attendre. Celui qui, pendant une révolution, glisse sans avoir rompu avec le vieux soutien social, est contraint de qualifier son glissement d’ascension, et de faire passer sa main droite pour sa main gauche. C’est précisément pour cette raison que les staliniens qualifient l’Opposition de « contre-révolutionnaire » et font des efforts désespérés pour mettre dans le même sac leurs adversaires de droite et ceux de gauche. C’est à ces fins que doit s’appliquer désormais le mot « émigration ». Il existe, en effet, à l’heure actuelle, deux émigrations, l’une débusquée par l’ascension des masses révolutionnaires, et une autre, qui devient l’indice du progrès des forces ennemies de la révolution. Lorsque I’Opposition, utilisant l’analogie existant avec la révolution classique de la fin du XVIIIe siècle, parle de Thermidor, elle signale le danger survenant d’une lutte des staliniens contre la gauche (étant donné les phénomènes et les tendances indiqués ci-dessus), lutte susceptible de devenir le point de départ d’un changement camouflé de la nature sociale du pouvoir soviétique.
La question de Thermidor, qui joue un rôle si important dans la lutte entre l’Opposition et la fraction gouvernante, exige cependant des explications complémentaires.
L’ancien président du Conseil français, M. Herriot, a déclaré récemment que le régime soviétique, s’étant ap-puyé pendant dix ans sur la violence, se condamne lui-même de ce propre fait. Lors de sa visite à Moscou en 1924, M. Herriot, pour autant que je l’aie compris alors, avait tenté de se faire une conception plus bienveillante - si-non plus précise - des Soviets. Mais cette période de dix ans révolue, il juge d’actualité de priver la révolution d’Octobre de son crédit. Je dois avouer que je ne comprends pas très bien la politique radicale. Les révolutions n’ont encore signé à personne des traites à échéances fixes. Il a fallu dix ans à la Révolution française non pour Instituer la démocratie, mais pour amener le pays au bonapartisme. Il n’en reste pas moins indiscutable que si les jacobins n’étaient venus à bout des girondins et n’avaient pas montré au monde l’exemple du châtiment radical infligé à la vieille société, l’humanité tout entière serait raccourcie d’une tête. Pas davantage une révolution ne s’est produite sans comporter des conséquences pour toute l’humanité. Mais, en même temps, les révolutions n’ont pas conservé toutes les conquêtes qu’elles avaient faites, au cours de leur ascension la plus haute. Après qu’une classe, un parti, des individus ont fait la révolution, une autre classe, un autre parti, d’autres individus commencent à en profiter. Seul un sycophante invétéré pourra nier l’importance historique universelle de la Grande Révolution française, bien que la réaction qui lui succéda fut si violente qu’elle conduisit le pays à la restauration des Bourbons. Thermidor fut la première étape sur la voie de la réaction. Les nouveaux fonctionnaires, les nouveaux propriétaires voulaient se régaler en paix des fruits de la révolution. Les vieux jacobins irréductibles les gênaient. Les nouveaux propriétaires n’avaient pas encore eu l’audace de l’enrôler sous un drapeau à eux. Il leur fallait marcher sous l’égide des Jacobins eux-mêmes. Ils se trouvèrent des chefs provisoires, à visaqe de Jacobin de troisième ordre. En descendant le courant, ces derniers préparaient les voies à l’avènement de Bonaparte oui, avec ses baïonnettes et son code, renforça la nouvelle propriété.
Les éléments du processus thermidorien. qui, bien entendu, conserve intégralement son originalité, se retrouvent au pays des Soviets. Ils sont apparus clairement pendant ces dernières années. Ceux qui détiennent actuellement le pouvoir ont joué dans les événements décisifs de la première période révolutionnaire un rôle de second plan, ou bien ils ont été des adversaires déclarés de la révolution et ne s’y sont ralliés qu’après la victoire. Ils servent maintenant - comme toujours et partout - de couverture à ces éléments et à ces groupes qui, tout en étant les ennemis du socialisme, sont trop faibles pour accomplir un coup d’Etat contre-révolutionnaire et, pour cette raison même, tendent au glissement paisible sur les rails de la société bourgeoise, à « une descente, tous freins serrés », selon l’expression d’un de leurs idéologues.
Toutefois, ce serait commettre une énorme faute que de considérer tous ces processus comme déjà réalisés. Pour le bonheur des uns, pour le malheur des autres, l’échéance est encore lointaine. L’analogie historique est une méthode séduisante et, par conséquent, dangereuse.
Il serait trop superficiel de penser qu’il y a une loi cyclique particulière des révolutions, qui les oblige, en partant des Bourbons, à revenir aux Bourbons, après avoir franchi l’étape du bonapartisme. La marche particulière de chaque révolution se détermine par une combinaison particulière des forces nationales avec toute la situation internationale. Il n’en reste pas moins vrai que certains traits sont communs à toutes les révolutions, ce qui permet d’avoir recours aux analogies, et les exige même impérativement Si l’on veut s’appuyer sur les leçons du passé et ne pas recommencer éternellement l’Histoire par le commencement.
On pourrait expliquer par la sociologie pourquoi les tendances de Thermidor, du bonapartisme et de la Restauration existent en puissance dans toute révolution victorieuse digne de ce nom. Toute la question réside dans la force de ces tendances, dans leurs combinaisons, dans les conditions de leur développement. Quand nous parlons de la menace du bonapartisme, nous ne la croyons aucunement déterminée par une loi historique quelconque. Le sort futur de la révolution sera fixé par la marche même de la lutte des forces vives de la société. Un flux et un reflux se produiront encore, dont la durée dépendra, dans une mesure immense, des événements européens et mondiaux.
A une époque comme la nôtre, seul un groupement qui ne perçoit pas les raisons objectives de sa défaite et qui éprouve la sensation d’être un fétu de paille porté par un torrent peut se trouver anéanti à jamais. Si tant est qu’un fétu de paille éprouve des sensations...
Constantinople, le 22 avril 1929.
Une lettre aux travailleurs de l’URSS
Chers camarades !
Je vous écris pour vous redire que Staline, Yaroslavl et compagnie vous trompent. On vous a dit que je me suis tourné vers la presse bourgeoise pour lutter contre la République soviétique, dans la création et la défense de laquelle j’ai travaillé de concert avec Lénine. Vous êtes trompé. Je me suis tourné vers la presse bourgeoise pour défendre les intérêts de la République soviétique contre les mensonges, la supercherie et la traîtrise de Staline et compagnie.
Vous êtes invité à condamner mes articles. Avez-vous pu les lire ? Non, vous ne les avez pas lus. On vous donne une fausse traduction de petits passages individuels. Mes articles ont été publiés en russe dans une brochure séparée sous la forme même dans laquelle je les ai écrits. Exigez que Staline les réimprime sans coupures ni faux ! Il n’osera pas. C’est lui qui a le plus peur de la vérité. Ici, je veux décrire le contenu principal de mes articles.
1. La décision du GPU sur mon expulsion déclare que je suis chargé de préparer une lutte armée contre la République soviétique. " Dans la Pravda, les mots sur la lutte armée ont été libérés. Pourquoi Pourquoi Staline n’a-t-il pas décidé dans Pravda (n ° 41 du 19 février 1929) de répéter ce qui était dit dans la résolution du GPU. Parce qu’il savait que personne ne le croirait. Après l’histoire de l’officier Wrangel, après avoir exposé l’agent provocateur envoyé par l’opposition à une proposition de conspiration militaire envoyée par Staline, personne ne croirait que les bolcheviks-léninistes, qui veulent convaincre le parti de leur point de vue, préparent une lutte armée. C’est pourquoi Staline n’a pas osé écrire dans Pravda ce qui était dit dans le décret du GPU du 18 janvier. Mais pourquoi, dans ce cas, devait-il introduire ce mensonge évident dans la décision du GPU ? Pas pour l’URSS, mais pour l’Europe et pour le monde entier. À travers l’agence TASS, Staline collabore quotidiennement de manière systématique avec la presse bourgeoise du monde entier, propageant sa calomnie contre les bolcheviks-léninistes. Staline ne pouvait pas expliquer autrement l’expulsion et les innombrables arrestations, comme une indication de la préparation de la lutte armée par l’opposition. Par ce mensonge monstrueux, il a causé le plus grand préjudice à la République soviétique. Toute la presse bourgeoise a déclaré que Trotsky, Rakovsky, Smilga, Radek, I.N. Smirnov, Beloborodov, Muralov, Mrachkovsky et beaucoup d’autres qui ont construit la République et l’ont défendue, préparent maintenant une lutte armée contre le pouvoir soviétique. On voit clairement dans quelle mesure une telle idée devrait affaiblir la République soviétique aux yeux du monde entier ! Pour justifier la répression, Staline est obligé de créer des légendes monstrueuses qui causent des dommages incalculables au pouvoir soviétique. C’est pourquoi j’ai jugé nécessaire de parler dans la presse bourgeoise et de dire au monde entier : il n’est pas vrai que l’opposition va mener une lutte armée contre le pouvoir soviétique. L’opposition a mené et continuera de mener une lutte sans merci pour le pouvoir soviétique avec tous ses ennemis. Cette déclaration est imprimée à des dizaines de millions d’exemplaires et est rédigée dans plusieurs langues. Il sert à renforcer la république soviétique. Staline veut renforcer sa position en affaiblissant la République soviétique. Je veux renforcer la République soviétique, exposant les mensonges des staliniens.
2. Staline et sa presse diffusent depuis longtemps la nouvelle dans le monde entier, comme si j’avais déclaré que la République soviétique était devenue un État bourgeois, que le pouvoir prolétarien avait péri, etc. En Russie, de nombreux travailleurs savent qu’il s’agit d’une calomnie malveillante basée sur de fausses citations. J’ai exposé cette fausse douzaine de fois dans des lettres qui se transmettaient de main en main. Mais la presse bourgeoise mondiale y croit ou prétend y croire. Toutes les fausses citations staliniennes parcourent les colonnes des journaux du monde entier, prouvant que Trotsky a admis l’inévitabilité de la mort du pouvoir soviétique. En raison de l’énorme intérêt de l’opinion publique mondiale, en particulier des larges masses populaires, de ce qui se passe en République soviétique, les journaux bourgeois, poussés par leurs intérêts commerciaux, leur souci de la circulation, la pression des lecteurs, ont été forcés d’imprimer mes articles. Dans ces articles, j’ai dit au monde entier que le gouvernement soviétique, malgré les mauvaises politiques des dirigeants staliniens, avait les racines les plus profondes parmi les masses, était très fort et survivait à ses ennemis.
Il ne faut pas oublier que la majorité écrasante des travailleurs en Europe, en particulier aux États-Unis, continuent de se nourrir de la presse bourgeoise. J’en ai fait une condition pour que mes articles soient imprimés sans aucune modification. Certes, les journaux individuels de certains pays ont violé cette condition, mais la majorité l’a remplie. En tout état de cause, tous les journaux ont été contraints d’imprimer que malgré les mensonges et la calomnie des staliniens, Trotsky était convaincu de la profonde force interne du régime soviétique et croyait fermement que les travailleurs réussiraient par des moyens pacifiques à changer la fausse politique actuelle du Comité central.
u printemps 1917, Lénine, enfermé dans une cage suisse, profite de la voiture « scellée » de Hohenzollern pour atteindre les ouvriers russes. Le sceau chauvin a persécuté Ilyich, l’appelant rien de plus qu’un mercenaire allemand et M. Lénine. Barré par les thermidoriens dans la cellule de Constantinople, j’ai utilisé un chariot de sceau bourgeois scellé pour dire la vérité au monde entier. Silly dans leur harcèlement débridé des staliniens contre le « M. Trotsky » ne représente qu’une répétition du harcèlement bourgeois et socialiste-révolutionnaire contre le « Herr Lénine ». Avec Ilyich, je me réfère avec un calme mépris à l’opinion publique des habitants de la ville et des responsables dont Staline exprime l’âme.
3. J’ai dit dans mes articles, déformés et falsifiés par Yaroslavsky, comment, pourquoi et dans quelles conditions j’ai été expulsé de l’URSS. Les staliniens ont répandu dans la presse européenne une rumeur selon laquelle ils m’auraient laissé partir à l’étranger à ma demande. J’ai aussi exposé ce mensonge. J’ai dit que j’avais été envoyé de force à l’étranger, dans le cadre de l’accord préalable entre Staline et la police turque. Et ici, j’ai agi non seulement dans l’intérêt de me protéger personnellement de la calomnie, mais surtout dans l’intérêt de la République soviétique. Si l’opposition voulait quitter l’Union soviétique, le monde entier comprendrait cela comme si nous considérions la situation du gouvernement soviétique comme désespérée. En attendant, ce n’est pas en vue. La politique stalinienne a porté des coups terribles non seulement à la révolution chinoise, au mouvement ouvrier britannique et à l’ensemble du Komintern, mais également à la stabilité interne du régime soviétique. C’est indiscutable. Cependant, la question n’est pas sans espoir. L’opposition n’a en aucun cas l’intention de fuir la République soviétique. J’ai catégoriquement refusé d’aller à l’étranger, proposant de m’emprisonner. Les staliniens n’osaient pas recourir à ce moyen, ils craignaient que les travailleurs insistent pour obtenir la libération. Ils ont préféré se réconcilier avec la police turque et m’ont contraint de force à Constantinople. C’est ce que j’ai présenté au monde. Tous les ouvriers pensants diront que si, par TASS, Staline nourrit quotidiennement la presse bourgeoise de diffamation à l’encontre de l’opposition, j’ai été obligé de sortir pour réfuter cette diffamation.
4. En dizaines de millions d’exemplaires, j’ai dit au monde entier que je n’étais pas chassé par des ouvriers russes, ni par des paysans russes, ni par des hommes de l’Armée rouge soviétique, ni par ceux avec qui nous avions gagné le pouvoir et combattus sur tous les fronts de la guerre civile ; qui ont pris le pouvoir entre leurs mains, sont devenus une caste bureaucratique, qui est liée par la responsabilité mutuelle. Pour défendre la révolution d’octobre, la république soviétique et le nom révolutionnaire des bolcheviks-léninistes, j’ai dit au monde entier la vérité sur Staline et les staliniens. Je rappelai encore une fois que Lénine dans son "Testament" mûr et délibéré, appelé Staline déloyal. Ce mot est compréhensible dans toutes les langues du monde. Cela signifie une personne peu scrupuleuse ou malhonnête qui, dans ses actions, est guidée par de mauvais motifs, une personne à qui on ne peut faire confiance. C’est ainsi que Lénine a caractérisé Staline et nous voyons à nouveau à quel point son avertissement était correct. Il n’y a pas de plus grand crime pour un révolutionnaire, comment tromper son parti, empoisonner la conscience de la classe ouvrière avec des mensonges. En attendant, c’est l’occupation principale de Staline. Il trompe le Komintern et la classe ouvrière mondiale, attribuant à l’opposition des intentions et des actions contre-révolutionnaires par rapport au pouvoir soviétique. C’est précisément en raison de son inclination intérieure à une telle conduite que Lénine a qualifié Staline de déloyal, raison pour laquelle il a proposé à la partie de démettre Staline de son poste. Il est d’autant plus nécessaire, après tout ce qui est arrivé, d’expliquer devant le monde entier en quoi la déloyauté a été exprimée, c’est-à-dire l’injustice et la malhonnêteté de Staline contre l’opposition.
5. Les calomniateurs (Yaroslavsky et d’autres agents de Staline) s’inquiètent du dollar américain. Dans d’autres conditions, il ne serait guère utile de s’abaisser à cette poubelle. Mais la presse bourgeoise la plus diabolique enduit volontiers la saleté de Yaroslavsky. Pour ne rien laisser dans le vague, je dirai donc à propos des dollars.
J’ai soumis mes articles à une agence de presse parisienne. Lénine et moi avons donné des dizaines d’interviews et de déclarations écrites de nos points de vue sur diverses questions à de telles agences. Grâce à mon expulsion et à sa situation mystérieuse, l’intérêt pour cette affaire dans le monde entier était énorme. L’agence comptait sur de bons bénéfices. Il m’a offert la moitié du revenu. Je lui ai répondu que, personnellement, je ne prendrais pas un seul centime, mais que l’agence devrait reverser la moitié de mon revenu de mes articles sur mes instructions, et que j’utiliserais cet argent en russe et en langues étrangères pour toute une série d’œuvres de Lénine (ses discours). , articles, lettres) interdites en République soviétique par la censure stalinienne. De même, je publierai avec cet argent un certain nombre de documents importants du parti (procès-verbaux de conférences, congrès, lettres, articles, etc.), qui ne sont cachés au parti que parce qu’ils montrent clairement l’incohérence théorique et politique de Staline. C’est la littérature "contre-révolutionnaire" (selon Staline et Yaroslavsky), que je vais publier. Le compte rendu exact des montants dépensés sera publié en temps voulu. Tous les ouvriers diront qu’il est infiniment mieux que l’argent reçu, sous forme de tribut aléatoire, par la bourgeoisie, pour publier les écrits de Lénine, plutôt que par l’argent recueilli auprès des ouvriers et paysans russes pour répandre la diffamation contre les bolcheviks-léninistes.
N’oubliez pas, camarades, que le "testament" de Lénine reste en URSS comme un document contre-révolutionnaire, pour la distribution duquel il sera arrêté et exilé. Et ce n’est pas par hasard. Staline lutte contre le léninisme à l’échelle internationale. Il ne reste presque plus de pays au monde où les révolutionnaires qui ont dirigé ces partis sous Lénine seraient aujourd’hui à la tête du Parti communiste. Presque tous sont exclus de l’Internationale Communiste. Lénine a présidé les quatre premiers congrès du Komintern. Avec Lénine, j’ai élaboré tous les documents principaux du Komintern. Au IVe Congrès (1922), Lénine m’a communiqué le rapport principal sur la nouvelle politique économique et les perspectives de la révolution internationale. Après la mort de Lénine, presque tous les participants, en tout cas, sans exception, les participants influents des quatre premiers congrès sont exclus du Komintern. Partout et partout à la tête des partis communistes, il y a de nouvelles personnes au hasard qui sont venues hier du camp des opposants et des ennemis. Pour mener une politique anti-léniniste, il fallait tout d’abord renverser les dirigeants léninistes. C’est ce que Staline a fait, en s’appuyant sur la bureaucratie, sur les nouveaux cercles petits-bourgeois, sur l’appareil d’État, sur le GPU et sur les moyens matériels de l’État. Elle a été produite non seulement en URSS, mais aussi en Allemagne, en France, en Italie, en Belgique, aux États-Unis, en Scandinavie, en un mot, dans presque tous les pays sans exception. Seul un homme aveugle peut ne pas comprendre le sens du fait que les plus proches employés et associés de Lénine au sein du Parti communiste unifié et dans tout le Komintern, tous les participants et dirigeants des partis communistes des premières années difficiles, tous les participants et dirigeants des quatre premiers congrès, ont été presque complètement licenciés, calomniés et exclus. Cette lutte insensée contre les dirigeants de Lénine est nécessaire pour les staliniens afin de poursuivre une politique anti-léniniste.
Lorsque les bolcheviks-léninistes ont été brisés, le parti a été rassuré par le fait qu’il serait désormais monolithique. Vous savez que la fête est maintenant plus divisée que jamais. Et ce n’est pas la fin. Il n’y a pas de salut de la manière stalinienne. Il est possible de mener soit ustryalovskaya, c’est-à-dire politique cohérente de Thermidor, ou léniniste. La position centriste de Staline conduit inévitablement à l’accumulation des plus grandes difficultés économiques et politiques et à la défaite et à la destruction constantes du parti.
Il n’est pas trop tard pour changer de cap. Il est nécessaire de changer brusquement la politique et le régime du parti dans l’esprit de la plate-forme de l’opposition. Nous devons mettre fin à la persécution honteuse des meilleurs révolutionnaires léninistes du PCUS et du monde entier. Il est nécessaire de rétablir la direction léniniste. Il est nécessaire de condamner et d’éliminer le déloyal, c’est-à-dire méthodes peu scrupuleuses et malhonnêtes de l’appareil stalinien. L’opposition est prête à aider le noyau prolétarien du parti de toutes ses forces à accomplir cette tâche vitale. Une persécution folle, des calomnies malhonnêtes et une répression étatique ne peuvent assombrir notre attitude à l’égard de la révolution d’Octobre ou du parti international de Lénine. Tous deux restent fidèles jusqu’à la fin - dans les prisons de Staline, l’exil et l’exil.
Salutations bolcheviques
L. Trotsky.
Constantinople, le 29 mars 1929
Mai 1929
Léon Trotsky
Nos divergences avec le groupe du Centralisme Démocratique
Cher Camarade Borodaï,
J’ai reçu votre lettre, expédiée de Tioumen le 12 octobre, presque un mois après. Je réponds très volontiers, immédiatement, par retour du courrier, étant donnée l’importance des questions que vous me posez. En prenant comme point de départ la position du Groupe DC auquel vous appartenez, vous me posez sept questions et exigez qu’il y soit donné des réponses « claires et concrètes », « pas nébuleuses ». C’est un désir tout à fait légitime. Seulement, notre façon d’être concret doit être dialectique, c’est‑à‑dire embrasser la dynamique vivante de l’évolution et ne doit pas y substituer des patrons tout faits, qui, à première vue, paraissent très « clairs », mais qui, en réalité, sont faux et manquent de contenu. Votre façon de me questionner procède en pure forme : si c’est oui, c’est oui, si c’est non, c’est non. Vos questions doivent d’abord être replacées sur un terrain marxiste pour y donner des réponses justes.
1
Après avoir exposé le caractère de la composition sociale du Parti et de son Appareil, vous demandez : « Le Parti a‑t‑il dégénéré ? C’est la première question ». Vous exigez une réponse « claire » et « concrète », c’est‑à‑dire : oui, il a dégénéré. Pourtant, je ne puis pas répondre ainsi, car, actuellement, notre Parti, et socialement et idéologiquement, est extrêmement hétérogène, Il comprend des cellules anatomiques tout à fait dégénérées, d’autres, encore saines, mais imprécises, d’autres, jusqu’ici à peine atteintes par la dégénérescence, etc. Le régime de l’oppression de l’Appareil qui reflète la pression des autres classes sur le prolétariat, et la baisse de l’esprit d’activité du prolétariat lui‑même, rend très difficile le contrôle quotidien du degré de dégénérescence des diverses couches et cellules anatomiques du Parti et de son Appareil. Mais cette vérification peut être acquise et sera acquise par l’action, en particulier par notre intervention active dans la vie intérieure du Parti, en mobilisant infatigablement les éléments vivants et capables de vivre de celui‑ci. Naturellement, on ne petit parler d’une pareille intervention si l’on prend comme point de départ que l’ensemble du Parti est dégénéré, que le Parti est un cadavre. Si l’on a une pareille estimation de celui‑ci, il est absurde de s’adresser à lui et encore plus absurde de s’attendre à ce qu’il veuille, dans l’une ou l’autre de ses parties, c’està‑dire surtout dans son noyau prolétarien, entendre et comprendre. Or, conquérir ce noyau, c’est conquérir le Parti. Ce noyau ne se considère pas, et tout à fait à juste titre, ni comme mort ni comme dégénéré. C’est sur lui, sur son lendemain, que nous prenons notre alignement dans notre politique. Nous lui expliquerons patiemment nos tâches en nous basant sur l’expérience et sur les faits. Dans chaque cellule et dans chaque réunion ouvrière, nous qualifierons de mensonge la calomnie de l’Appareil disant que nous complotons et créons un second Parti ; nous affirmerons que ce sont les thermidoriens de l’Appareil qui, en se dissimulant derrière les centristes, établissent ce second Parti ; quant à nous, nous voulons épurer le Parti de Lénine des éléments oustrialovistes [1] et semi‑onstrialovistes ; nous voulons le faire d’accord avec le noyau prolétarien, qui, avec l’aide des éléments actifs du prolétariat tout entier, peut encore se rendre maître du Parti et sauver la Révolution de la mort par une réforme prolétarienne profonde dans tous les domaines.
2
« Sommes‑nous en présence d’une dégénérescence de l’Appareil et du pouvoir des Soviets ? C’est la seconde question », demandez‑vous.
Tout ce qui a été dit plus haut se rapporte également à cette question. Sans doute, la dégénérescence de l’Appareil des Soviets devance considérablement le même processus dans celui du Parti. Néanmoins, c’est le Parti qui décide. A présent, cela équivaut à dire : l’Appareil du Parti. La question revient donc au même : le noyau prolétarien du Parti, aidé par la classe ouvrière, est‑il capable de triompher de l’autocratie de l’Appareil du Parti fusionnant avec celui de l’État ? Celui qui répond a priori qu’il en est incapable, parle par là même non seulement de la nécessité d’un nouveau Parti sur un nouveau terrain, mais aussi de la nécessité d’une seconde et nouvelle révolution prolétarienne. Il va de soi qu’on ne peut nullement affirmer qu’une pareille perspective soit écartée dans toutes les éventualités. Toutefois, il ne s’agit pas ici de divinations historiques, mais bien de ne pas céder à l’ennemi la Révolution d’Octobre et la dictature du prolétariat, et, au contraire, de faire renaître et de renforcer celles‑ci. Cette voie a‑t‑elle été tentée jusqu’au bout ? Nullement. An fond, le travail méthodique des bolcheviks‑léninistes pour mobiliser le noyau prolétarien du Parti dans la nouvelle étape historique ne fait que commencer.
La réponse aride, « oui, il est dégénéré », que vous désireriez voir faire à votre question concernant le pouvoir des Soviets ne contiendrait en soi aucune clarté, ne découvrirait aucune perspective. Il s’agit bien d’un processus contradictoire en cours de développement, qui doit encore trouver sa conclusion dans un sens ou dans l’autre, grâce à la lutte des forces vives. Notre participation à cette lutte aura une importance considérable pour en déterminer l’issue.
3
« En considérant, dans son ensemble, la situation actuelle de notre pays et du Parti ‑ demandez‑vous - y a‑t‑il chez nous une dictature de la classe ouvrière qui ait l’hégémonie dans le Parti et dans le pays ? C’est la troisième question. »
Les deux réponses précédentes font voir nettement que vous posez cette question là aussi d’une façon inexacte, pas dialectique, mais scolastique. C’est justement Boukharine qui nous a présenté cette question des dizaines de fois, sous la forme de l’alternative scolastique suivante : Ou bien Thermidor règne chez nous et alors vous, Opposition, devez être des défaitistes et non pas des partisans de la défense ; ou bien, si vous êtes de véritables partisans de la défense, alors reconnaissez que tous les discours sur Thermidor ne sont que du bavardage. Ici, camarade, vous tombez entièrement dans le piège de la scolastique boukharinienne. Vous voulez, avec lui, avoir des faits sociaux « clairs », c’est‑à‑dire complètement achevés. Quant aux processus contradictoires en cours de développement, ils vous apparaissent « nébuleux ». Qu’avons‑nous en réalité ? Nous avons dans le pays un processus de dualité du pouvoir fortement avancé ? Le pouvoir est‑il passé aux mains de la bourgeoisie ? Évidemment, non. Le pouvoir est‑il échappé des mains du prolétariat ? A un certain degré, à un degré très considérable, mais qui est encore loin d’être décisif, oui. C’est ce qui explique la prédominance monstrueuse de l’appareil bureaucratique louvoyant entre les classes. Mais l’Appareil de l’État, par l’intermédiaire de l’Appareil du Parti, dépend de cette organisation, c’est‑à‑dire de son noyau prolétarien, à condition que celui‑ci soit actif et ait une orientation et une direction justes. C’est en cela que consiste notre tâche.
Un état de dualité de pouvoir est instable par son essence propre : il doit, tôt ou tard, aboutir dans un sens ou l’autre. Mais, dans la situation actuelle des choses, la bourgeoisie ne pourrait s’emparer du pouvoir qu’en suivant la voie de l’ébranlement contre‑révolutionnaire. Quant au prolétariat, il pourrait le reprendre tout entier renouveler la bureaucratie et se soumettre celle‑ci en marchant dans le chemin de la réforme du Parti et des Soviets. Ce sont là les traits caractéristiques fondamentaux de la situation.
Vos camarades d’idées de Kharkov, d’après ce que l’on me communique, se sont adressés aux ouvriers avec un appel basé sur l’idée fausse que la Révolution d’Octobre et la dictature du prolétariat sont déjà liquidées. Ce manifeste, dont le fond est mensonger, a causé le plus grand tort, à l’Opposition. Il faut condamner résolument et implacablement de pareilles interventions. C’est de la bravade d’aventurier, et non pas de l’esprit révolutionnaire de marxiste.
4
En faisant une citation de ma « postface » traitant du triomphe en Juillet de la Droite contre le Centre [2], vous demandez : « Mettez‑vous ainsi entièrement entre guillemets « le cours de gauche » et « le déplacement », que vous aviez autrefois proposé d’appuyer de toutes les forces et par toutes les méthodes ? C’est la quatrième question. »
Il y a ici, chez vous, une contre‑vérité directe. Je n’ai jamais nulle part parlé de cours de gauche. J’ai parlé de « zigzag de gauche » en opposant cette conception à une ligne de conduite prolétarienne cohérente. Je n’ai jamais, nulle part, proposé de soutenir le semblant de cours de gauche des centristes. Mais j’ai proposé et promis de soutenir, par tous les moyens, tout pas que ferait effectivement le centrisme vers la gauche, si même ce pas n’avait qu’un caractère de demi‑mesure, sans cesser pour un seul instant de critiquer et de démasquer le centrisme en tant qu’obstacle fondamental dressé sur la voie du réveil de l’esprit d’activité du noyau prolétarien du Parti. Ma « postface » fut justement, un document divulguant la capitulation politique des centristes devant la droite lors du Plenum de Juillet. Mais je n’estimais pas, et je n’estime pas à présent, que l’histoire du développement du Parti, et en particulier celle de la lutte du centre contre la droite, se soient terminées à ce Plenum. Nous sommes actuellement témoins d’une nouvelle campagne centriste contre les droitiers. Nous devons devenir des participants autonomes de cette campagne. Nous voyons, évidemment, entièrement toute la fausseté, la duplicité, le caractère de demi-mesure perfide de l’Appareil dans la lutte stalinienne contre la droite. Mais, derrière cette lutte, se dissimulent des forces de classes profondes qui s’efforcent de se frayer une voie à travers le Parti et son Appareil. La force animatrice de l’aile droite, c’est le nouveau possédant en voie de développement, cherchant la liaison avec le capital mondial : nos droitiers piétinent et sont intimidés, parce qu’ils n’osent pas encore ouvertement enfourcher ce cheval de bataille. C’est le fonctionnaire du Parti, des syndicats et autres institutions, qui est le rempart des centristes : malgré tout, il dépend de la masse ouvrière, et il est obligé, semble‑t‑il, au cours des derniers temps, de compter de plus en plus avec celle‑ci : c’est de, là que viennent « l’autocritique » et « la lutte contre la droite ». C’est ainsi que, dans cette lutte, se réfracte et dévie, mais se manifeste aussi la lutte de classes ; par sa pression, elle peut transformer la bagarre des centristes et des droitiers dans l’Appareil en une étape très importante du réveil et de l’animation du Parti et de la classe ouvrière. Nous serions de pauvres imbéciles, si nous prenions la campagne actuelle contre les droitiers au sérieux. Mais nous serions aussi de piteux scolastiques et des « sages » de secte si nous ne savions pas comprendre que des centaines de milliers d’ouvriers, membres du Parti, y croient, sinon à 100, tout au moins à 50 ou à 25 %. Ils ne sont donc pas encore avec nous. N’oubliez pas cela, ne vous laissez pas leurrer par des vétilles de cénacle. Le centrisme tient, non seulement grâce à l’oppression de l’Appareil, mais aussi à cause de la confiance ou de la demi‑confiance d’une certaine partie des ouvriers, membres du Parti. Ces ouvriers, appuyant les centristes, iront bien plus volontiers combattre les droitiers qu’ils n’allaient lutter contre l’Opposition, où il fallait les traîner la corde au cou. Un oppositionnel sérieux et raisonnable dira, dans n’importe quelle cellule ouvrière, dans n’importe quelle assemblée ouvrière : « On vous invite à combattre les droitiers : c’est une chose magnifique. Il y a longtemps que nous vous y avons exhorté. Et, si vous pensez lutter sérieusement contre la droite, vous pouvez compter entièrement sur nous. Nous ne serons pas des briseurs de grève. Au contraire, nous serons aux premiers rangs. Seulement, mettons-nous à lutter réellement. Il faut désigner tout haut les chefs de la droite, énumérer leurs œuvres de droite, etc, » En un mot, l’oppositionnel poussera, en bolchevik, le noyau prolétarien du Parti en avant, il ne lui tournera pas le dos sous prétexte que le Parti est dégénéré.
5
« Est‑il possible de se faire encore des illusions sur les staliniens, quant à leur capacité de défendre les intérêts de la révolution et de la classe ouvrière ? C’est la cinquième question. »
Vous posez la cinquième question aussi inexactement que les quatre précédentes. Se faire des illusions au sujet des centristes, c’est rouler soi-même vers le centrisme. Mais ne pas voir les processus de masse qui poussent les centristes vers la gauche, c’est s’enfermer dans la coquille des sectaires. Comme s’il s’agissait de savoir si Staline et Molotov sont capables de revenir dans la voie de la politique prolétarienne ! En tout cas, par eux‑mêmes, ils en sont incapables. Ils l’ont entièrement démontré,, mais il ne s’agit pas de faire le devin au sujet du sort futur des divers membres de l’état‑major stalinien, cela ne nous intéresse nullement. Dans ce domaine, toutes les « surprises » sont possibles ; Ossinsky, ex‑chef du DC, est bien devenu un extrême‑droitier, par exemple... La question juste serait celle‑ci : les dizaines et les centaines de milliers d’ouvriers, membres du Parti et des Jeunesses Communistes, qui, à présent, soutiennent activement, demi-activement et passivement les staliniens, sont‑ils capables de se remettre dans l’alignement, de se relever, de se masser et « de défendre les intérêts de la révolution et de la classe ouvrière » ? A ceci, je réponds : Oui, ils en sont capables. Ils en seront capables demain ou après‑demain si nous savons les aborder d’une façon juste, si nous leur montrons que nous ne nous opposons pas à eux comme à des cadavres ; si, en bolcheviks, nous appuyons chaque pas, chaque demi‑pas qu’ils feront vers nous ; si, à côté de cela, non seulement nous ne, nous donnons pas d’« illusions » au sujet de la direction centriste, niais si nous divulguons implacablement ces illusions, grâce à l’expérience quotidienne de la lutte. Pour le moment, il faut le faire par l’expérience de la lutte contre la droite.
6
Après avoir déterminé le caractère du VI° Congrès, et signalé certains phénomènes ait sein du Parti, vous écrivez : « Tout cela, n’est‑ce pas Thermidor avec la guillotine sèche ? C’est la sixième question. »
Il a été répondu à cette question d’une façon suffisamment concrète plus haut. Une fois de plus, ne croyez pas que la scolastique boukharinienne, employée à rebours, est du marxisme.
7
« Avez‑vous l’intention personnellement ‑ me demandez‑vous ‑ de continuer, à l’avenir, à décerner aux camarades faisant partie du Groupe des Quinze la superbe épithète de révolutionnaires honnêtes et à vous délimiter en même temps d’eux ? Ne serait‑il pas temps de terminer la petite querelle ? N’est‑il pas temps de songer à la consolidation des forces de la garde bolchevique ?... C’est la septième et dernière question. »
Malheureusement, cette question‑là, aussi, n’est pas posée par vous d’une façon tout à fait juste. Ce n’est pas moi qui me suis délimité du DC, mais bien ce groupement qui fit partie de l’ensemble de l’Opposition qui s’est délimité de celle‑ci. C’est sur ce terrain que s’est produite par la suite une scission dans le Groupe du DC lui‑même. Tel est le passé. Si l’on examine la toute dernière phase, quand il y eut, au sein de l’Opposition en exil, un échange d’opinions des plus sérieux, ayant pour résultat l’élaboration de toute une série de documents responsables recueillant l’adhésion de 99 % de l’Opposition, ici encore les décistes, sans, au fond, rien apporter à ce travail, se sont de nouveau délimités de nous en se montrant plus safarovistes que Safarov lui‑même. Après ceux‑ci, vous me demandez si j’ai l’intention, dans l’avenir, de continuer à me « délimiter » du DC. Non, vous n’abordez pas du tout cette question par le bon bout. Vous représentez les choses comme si, dans le passé, les Zinoviev, les Kamenev et les Piatakov avaient fait obstacle à l’union. Vous vous trompez en cela aussi. On pourrait conclure de vos paroles que nous, Opposition de 1923, nous étions pour l’union avec les zinoviévistes, et le Groupe du DC contre. Au contraire : dans cette question, nous fûmes beaucoup plus prudents, et nous insistâmes beaucoup plus au sujet des garanties. L’initiative de l’union appartenait au DC.
Les premières conférences avec les zinoviévistes se tinrent sous la présidence du camarade Sapronov. Je ne dis cela nullement comme un reproche, car le bloc fut un fait nécessaire et un nprogrès. Mais il ne faut pas défigurer le passé d’hier. Après que le bloc fut un fait nécessaire et un progrès. Mais il ne faut pas défigurer le passé d’hier. Après que le Groupe du DC se sépara de l’Opposition, Zinoviev fut toujours pour une nouvelle union avec lui : il souleva la question des dizaines de fois, quant à moi, j’intervenais dans le sens contraire. Quel était en cela mon raisonnement ? Je disais : nous avons besoin d’union, mais d’une union solide, sérieuse. Si, dès le premier heurt, le Groupe du DC s’est séparé de nous, il ne faut pas se hâter de faire de nouvelles fusions de cénacles, mais laisser à l’expérience vérifier la politique et, soit approfondir la scission, soit préparer des conditions d’une véritable union, sérieuse et non passagère. J’estimais que l’expérience de 1927‑1928 devait démontrer combien les soupçons et les insinuations venant de la part des dirigeants du DC contre l’Opposition de 1923 étaient absurdes. Je comptais surtout que les documents de principe que nous avions adressés au VI° Congrès faciliteraient le rapprochement de nos rangs. C’est bien ce qui s’est produit pour toute une série de camarades du DC. Mais les dirigeants reconnus de votre Groupe ont fait tout ce qu’ils ont pu.. non seulement pour approfondir et accentuer les divergences de vue, mais encore pour envenimer complètement les relations. Pour ma part, j’envisage avec assez de calme les écrits de V. Smirnov. Mais j’ai reçu, au cours des derniers temps, des dizaines de lettres de camarades indignés jusqu’au dernier point du caractère de ces écrits, qui semblent être spécialement calculés pour empêcher le rapprochement et conserver à tout prix sa propre chapelle et son rang de pasteur.
Mais, indépendamment de toute l’histoire précédente sur le point de savoir quels sont ceux qui se sont délimités, comment ils l’ont fait, qui veut honnêtement l’unité dans nos rangs et qui tend à garder sa paroisse, il reste encore à examiner entièrement la question des bases d’idées de cette union.
Le camarade Rafaïl [3] m’écrivait, le 28 septembre :
« Nos amis du « Groupe des Quinze » ont commencé à mener une campagne enragée en particulier contre vous ; il y a là‑dessus une entente touchante entre l’article de fond du « Bolchevik », n° 16, et Vladimir Mikhaïlovitch Smirnov et d’autres camarades du « Groupe des Quinze ». L’erreur fondamentale de ces camarades est d’accorder une trop grande valeur aux décisions de pure forme et aux combinaisons qui s’opèrent dans les couches supérieures, en particulier aux décisions du Plenum de Juillet, Les arbres leur cachent la forêt. Naturellement, lors d’une certaine phase du développement, ces décisions sont le reflet d’un certain rapport de forces : mais on ne peut, en aucun cas, considérer que ce soient elles qui déterminent l’issue de la lutte qui continue et continuera encore. Aucun des problèmes qui a provoqué la crise n’est résolu, les contradictions s’accentuent : jusqu’à l’article de fond officiel de la Pravda du 18 septembre qui est obligé de le reconnaître. L’Opposition vit et a la volonté de vivre ; elle a des cadres qui ont été trempés dans les combats, et quels cadres ! Faire, à un pareil moment, des conclusions analogues à celles que fait le Groupe des Quinze est faux, quant au fond, et extraordinairement nuisible. Ces conclusions créent un état d’esprit de démobilisation au lieu d’organiser la classe ouvrière et le noyau prolétarien du Parti. La position des Quinze ne peut être que passive, car si le prolétariat et son avant‑garde ont déjà cédé sans combattre toutes leurs positions et leurs conquêtes, alors sur qui et sur quoi peuvent compter ces camarades ? On n’organise pas les masses pour faire renaître « un cadavre » : quant à une nouvelle lutte, dans la situation de la classe ouvrière telle qu’ils se la représentent, les délais sont trop grands, et cela mènera inévitablement à la position de Chliapnikov. » Je pense que le camarade Rafaïl a parfaitement raison eu présentant ainsi les traits caractéristiques de cette situation.
Vous écrivez que le prolétariat n’aime pas un esprit de demi‑mesures nébuleuses et les dérobades diplomatiques. C’est juste. Voilà pourquoi il faut qu’en fin de compte vous soyez logiques. Si le Parti est un cadavre, il faut bâtir un nouveau Parti sur un nouvel emplacement, et le dire ouvertement à la classe ouvrière. Si Thermidor est achevé, et si la dictature du prolétariat est liquidée, il faut alors déployer ouvertement l’étendard de la seconde révolution prolétarienne. C’est ainsi que nous aurions agi, si la voie de la réforme dont nous sommes partisans, avait échoué. Malheureusement les dirigeants du DC sont complètement empêtrés dans l’esprit nébuleux des demi‑mesures et dans les dérobades diplomatiques. Ils critiquent notre voie de la réforme d’une manière très « gauche » : j’espère que nous avons montré par des actes que ce chemin n’était nullement celui de la légalité stalinienne ; mais ils ne proposent pas non plus aux masses ouvrières d’autres voies. Ils se bornent à ronchonner en sectaires contre nous, et comptent en attendant sur des mouvements spontanés. Si cette ligne de conduite venait à se renforcer, non seulement elle ferait périr tout votre Groupe, qui contient pas mal de bons et dévoués révolutionnaires, mais comme tout sectarisme et esprit d’aventure, elle rendrait le meilleur service aux tendances droites‑centristes, c’est‑à‑dire en fin de compte à la restauration bourgeoise. Voilà pourquoi cher camarade, avant de s’unir, et je suis de toute mon âme pour l’union, il faut se délimiter au point de vue idées en se basant sur une ligne de conduite nette et de principe. C’est une bonne vieille règle bolchevique.
Salutations communistes,
Notes
[1] Oustrialov : politicien libéral qui avait soutenu Lénine lors de la promulgation de la NEP, y voyant l’amorce de la restauration du capitalisme.
[2] « Le Plenum de juillet et le danger de droite. » Contre le courant, n° 15‑16‑17.
[3] Rafaïl : un des dirigeants du Groupe du DC, qui rompit avec celui‑ci en 1927 et vécut en exil.
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