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L’évolution désastreuse de la psychiatrie, c’est… de la folie ? Ou cela obéit à une certaine rationalité ?

samedi 2 mars 2019, par Robert Paris

La psychiatrie, dévalorisée, attaquée, menacée, détournée, en crise…

Chacun sait que le secteur de la psychiatrie se révolte contre les traitements violents que lui font subir des gouvernants et des dirigeants médicaux peu soucieux en réalité des malades qu’ils prétendent parfois même défendre contre… les professionnels ! Il y a une nouvelle dérive vers le tout médicament, le tout techniques, la disparition de l’accompagnement psychologique des malades ou sa réduction, et de la prise en charge de la souffrance mentale. Il y a des réduction du nombre de centres, des moyens en personnels et en finance, de la réduction de la réflexion en faveur du matériel et de l’empirisme... Mais le problème va bien au-delà des seules politiques d’austérité dans la Santé comme dans tous les services publics. Elle concerne le contenu même de son activité, ses fondements ou son absence de fondements solides qui permettent toutes les dérives.

La psychiatrie soigne de nombreux malades mentaux aussi bien que des personnes atteintes de souffrances mentales et elle est bien en peine de dire qui est malade et qui souffre et qui n’est que sérieusement mais provisoirement préoccupé, en somme qui est concerné par les soins psychiatrique et qui n’en a pas besoin. Elle est bien en peine de dire si elle doit avoir des procédures essentiellement corporelles ou également psychologiques. Elle ignore, pour l’essentiel, ce qui fonctionne, que ce soit mal ou bien, dans la psychologie humaine. Est-on dans le domaine d’un fonctionnement purement matériel ou bien d’un fonctionnement à un autre niveau, celui des sentiments, des pensées, des idées, de la mémoire, de la souffrance psychologique humaine. Des produits chimiques suffisent-ils à traiter des souffrances psychologiques ? La psychiatrie n’affirme pas connaître la réponse. Elle agit souvent dans l’urgence, quand on est au bout, quand on est contraint de faire appel à des produits chimiques ou qu’on croit l’être. Mais en assommant l’individu à coups de psychotropes, on ne traite pas la maladie, on abolit le malade… Ce n’est pas vrai que la psychiatrie s’oppose en soi à la psychanalyse mais cela peut être un choix, celui de la psychiatrie ou celui de ses organisateurs gouvernementaux…

Par contre, ce qui est certain, c’est que notre savoir sur le cerveau, sur ses relations avec le corps, sur leurs relations difficiles, est toujours très limité. On peut, comme cela devient de mode, s’en contenter et développer des techniques faisant appel à des matériels perfectionnés mais pas à une réflexion perfectionnée. Il s’agit de développer les médicaments chimiques, les méthodes d’analyse génétique, les méthodes techniques de visualisation du cerveau et de laisser tomber la recherche d’une compréhension générale et même théorique des maladies mentales et même de compréhension de chaque malade particulier. En effet, les maladies mentales ont un lien certain avec le vécu, réel et psychologique, du malade, avec ses problèmes familiaux, relationnels, avec son enfance. Refuser de faire appel à ces connaissances, au dialogue avec le malade, au décryptage, avec lui, de ce passé, c’est se refuser à prendre le mal à la racine et c’est détruire en même temps que le mal, le malade lui-même.

La manière de traiter la question fait appel à un problème philosophique de fond : doit-on considérer l’homme comme un corps, comme un esprit, ou comme un complexe contradictoire des deux ?
Personne ne nie que le corps existe, et aussi que l’esprit existe, mais quid de leurs relations, comment agissent-elles, qui dirige qui et comment, et enfin peut-on séparer les deux en domaines distincts, que l’on pourrait traiter séparément ? La maladie est-elle d’origine corporelle, spirituelle ou les deux et de quelle manière passe-t-elle de l’un à l’autre ? La compréhension de cette vaste question en est aux bases et on semble bien décidés de la laisser mûrir tranquillement pour se pencher plutôt sur des avancées techniques qui ont des retombées financières et économiques, plus que psychiques ou médicales !

La question théorique de fond reste entière : suffit-il d’étudier le corps, ou d’étudier le cerveau en temps que corps du cerveau, pour étudier la maladie mentale ?

Bien sûr que la psychologie est issue du cerveau, qu’elle passe par des produits chimiques, tels des neurotransmetteurs, mais dire cela suffit-il pour décrire le fonctionnement psychologique de l’homme ? Certainement pas ! C’est du matérialisme et du réductionnisme de bas niveau ! Un peu comme si on vous disait que l’amour, ce n’est que de la chimie !

Soigner l’homme, ce n’est pas soigner seulement le corps, car l’homme est un tout indivisible. Il n’y a pas d’un côté le corps et de l’autre le cerveau.

Certes, la psychiatrie est la partie médicalisée de la psychologie. Les psychiatres ont fait leur médecine et ont le diplôme, pas les autres psychologues ! La « psy » hospitalière est donc nécessairement psychiatrique mais il ne faut pas oublier que la science psychiatrique n’est pas encore construite, à l’équivalent de la manière dont la psychanalyse l’est, même si bien des psychanalystes n’ont pas grand-chose à voir avec Freud ! En tout cas, les psychanalystes n’ont pas besoin d’être médecins et, si la psychiatrie est la seule « psy » qui soit médicale, elle n’est pas plus scientifique pour autant. Tel psychiatre va prescrire des tonnes de psychotropes, tel autre non, et l’état de la science « psychiatrie » serait bien en peine pour trancher.

Si on progresse beaucoup ces dernières années dans les domaines techniques, comme les techniques d’imagerie du cerveau, les techniques médicales ou traitements médicalisés des personnes qui subissent des maladies mentales ou des souffrances mentales, tous moyens servant à examiner et traiter physiquement, corporellement, la maladie, on progresse de moins en moins dans la compréhension et le traitement des problèmes des êtres humains qui en sont victimes et c’est pourtant l’essentiel. Redisons le : ce n’est pas un corps qui est seul malade en psychiatrie, c’est l’être vivant, dans toutes ses dimensions, personnelle, familiale, professionnelle, sociale, ce qui dépend de l’histoire personnelle et collective des malades, de leur passé et de leur présent, pas de leur seule personne et de leur seul corps !

Dans le site « Matière et Révolution », nous sommes matérialistes mais nous ne sommes pas réductionnistes. Ramener la réalité à un seul niveau non contradictoire, c’est toujours se tromper soi-même, pour comprendre l’être humain, comme pour comprendre la société humaine, et même pour comprendre la réalité matérielle.

« Ce qu’on ne sait pas de la folie » de André Bourguignon dans l’ouvrage collectif « Dictionnaire de la folie » :

« Qu’est-ce que la folie ?

« Le lecteur qui aurait la curiosité de consulter les grands dictionnaires serait bien déçu par le caractère assez vague des définitions, ce qui, en somme, reflète l’étendue de notre ignorance.

Face à la folie, deux positions sont possibles : ou bien, comme Pascal, décider que tous les hommes sont fous (« Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n’être pas fou ») ; ou bien ne qualifient de fous que certains individus et considérer que les autres sont « normaux » ; cette position n’est pas tenable scientifiquement.

Quand le mot « psychiatrie » a été créé en 1842, le vocabulaire a changé, le mot « folie » a été rejeté par les psychiatres comme imprécis et non scientifique. Il n’a plus été question que d’ « aliénation mentale », ce qui ne réduisait en rien l’ignorance.

Toutefois, le domaine psychiatrique était né et se faisait admettre comme discipline médicale particulière. La folie étant devenue maladie mentale, il ne restait plus qu’à appliquer à la psychiatrie les méthodes de la médecine, dans l’espoir de découvrir la cause et le traitement de la maladie. Ce n’était certes pas la bonne voie, mais quelques succès apparents permirent d’entretenir l’espoir jusqu’à nous ;

En 1826, Bayle, médecin à Charenton, après avoir ouvert bien des crânes, découvrit qu’un certain type de folie, la « paralysie générale », était associé à une méningite chronique. C’était un début prometteur. Il fallut, cependant, attendre presque un siècle pour que cette méningite révèle son origine syphilitique.

La voie était tracée : en étudiant le cerveau, on trouverait la cause des troubles mentaux.

Cette illusion fut renforcée par les suites de l’épidémie d’encéphalite léthargique de Von Economo (1917).

Aujourd’hui, la méthode est plus subtile : le cerveau des malades est étudié de leur vivant grâce à des méthodes de plus en plus sophistiquées (électroencéphalogramme, scanner entre autres) et l’expérimentation animale permet de pousser les investigations cérébrales jusqu’au niveau moléculaire. Notre ignorance de la nature et des causes de la folie n’en reste pas moins considérable. (…)

La psychiatrie n’a pas de base

Telle est la raison de notre ignorance. Pour édifier une science, il faut d’abord des principes et une théorie – quitte à en changer plus tard.

La psychiatrie en est dépourvue.

Il faut dire qu’une théorie de la psychiatrie serait une théorie de l’Homme, et qu’elle devrait, sinon couvrir tous les champs de savoir, du moins tenter – comme je le fais – de répondre aux deux questions fondamentales : qu’en est-il de la relation entre l’esprit et le cerveau ? Comment se constituent psychiquement un enfant puis un adulte ?

Au lieu seulement de se poser ces questions, la plupart des psychiatres centrent leur intérêt sur la physique et la chimie du cerveau. Et même dans ce domaine, nous ignorons l’essentiel. (…)

Nous ignorons les codes utilisés dans la communication et les échanges, nous sommes comme devant une écriture inconnue. De même, nous ignorons tout du contenu informatif du cerveau. (…)

Ce n’est pas tout. L’état mental d’un sujet dépend de sa situation présente, de son patrimoine génétique et de toute son histoire depuis la conception. Jamais la chimie cérébrale ne rendra compte du vécu d’une vie. (…)

Le cerveau et l’esprit ne font qu’un, et la nature des troubles dépend autant du cerveau que de l’histoire de vie et de la personnalité du patient, c’est-à-dire de mille variables enchevêtrées. (…)

Conséquence de nos ignorances, le traitement de la folie a été livré à l’empirisme… »

« La relation du corps et de l’esprit », John Stewart :

« La question du rapport corps-esprit est un vieux serpent de mer ; ne serait-ce que par lassitude, l’attitude la plus répandue aujourd’hui consiste à considérer qu’il s’agit d’un problème dépassé, voire caduc. Je vais pourtant démontrer que le problème n’est en rien résolu (…).

La position de référence en la matière est sans conteste le dualisme cartésien, qui admet que le corps et l’esprit sont deux principes irréductibles l’un à l’autre. Toutefois, cette position comporte des difficultés profondes, qui découlent du fait que le corps et l’esprit ne sont manifestement pas totalement indépendants.

Des modifications matérielles du corps, telles des lésions du cerveau ou des drogues psychotropes, produisent des modifications de l’état de conscience ; et, réciproquement, des actions volontaires de l’esprit produisent des conséquences corporelles et matérielles. (…)

Ces difficultés ne font que s’approfondir si on essaie d’aborder explicitement le fonctionnement d’une hypothétique interface entre le corps et l’esprit. (…)

A vrai dire, ces difficultés sont bien connues ; et elles sont telles que pratiquement personne, aujourd’hui, n’assume ouvertement et explicitement la position dualiste de Descartes. (…)

La solution la plus simple aux problèmes soulevés par le dualisme est évidemment de se limiter au monisme ; dans le cas qui nous intéresse ici, il y en a deux variétés, un monisme de l’esprit ou idéalisme, et un monisme du corps ou matérialisme. Chacune de ces positions a été défendue par des philosophes d’envergure…

L’idéalisme – le monisme qui tient que le monde matériel n’existe pas, que seules existent les idées de l’esprit – a été défendu avec génie par Berkeley. Cet aspect de sa pensée peut se résumer par une phrase : « être, c’est être perçu »…

Qu’en est-il de l’autre solution alternative, le monisme matérialiste ? Cette thèse est réellement défendue, explicitement et ouvertement, par un certain nombre de scientifiques. De bons exemples en sont la « neurophilosophe » américaine Patricia Churchland (1986), ou Jean-Pierre Changeux (1983) en France.

Plus généralement, c’est l’attitude pragmatique implicitement adoptée par la plupart des scientifiques dans les « sciences cognitives »…

Changeux le dit bien aussi à sa manière : « L’Homme n’a dès lors plus rien à faire de l’ « Esprit », il lui suffit d’être un homme neuronal ».

Autrement dit, cette position est éliminationniste par rapport à l’esprit. Or, quel que soit le talent avec lequel cette position est exposée par certains auteurs, elle n’est pas acceptable comme modalité d’autocompréhension de la part d’êtres humains…

Ainsi, de fait, la position la plus communément adoptée est une espèce de dualisme implicite, accompagné d’une coupure schizophrène.

Quand on met le chapeau du scientifique, on adopte une position mécaniste et matérialiste : dès lors, l’esprit en tant que tel est quelque chose qui, étant impensable, n’existe pas. Quand (et si) on redevient un être normal, on adopte une position préscientifique : l’ « esprit » existe en toute simplicité comme une réalité directe… »

« Introduction à la psychanalyse », Freud :

« J’ai établi un parallèle entre la psychiatrie et la psychanalyse. Eh bien, vous êtes-vous aperçus quelque part d’une opposition entre l’une et l’autre ? La psychiatrie n’applique pas les méthodes techniques de la psychanalyse, elle ne se soucie pas de rattacher quoi que ce soit à l’idée fixe et se contente de nous montrer dans l’hérédité un facteur étiologique général et éloigné, au lieu de se livrer à la recherche de causes plus spéciales et plus proches. Mais y a-t-il là une contradiction, une opposition ? Ne voyez-vous pas que, loin de se contredire, la psychiatrie et la psychanalyse se complètent l’une l’autre en même temps que le facteur héréditaire et l’événement psychique, loin de se combattre et de s’exclure, collaborent de la manière la plus efficace en vue du même résultat ? Vous m’accorderez qu’il n’y a rien dans la nature du travail psychiatrique qui puisse servir d’argument contre la recherche psychanalytique. C’est le psychiatre, et non la psychiatrie, qui s’oppose à la psychanalyse. Celle-ci est à la psychiatrie à peu près ce que l’histologie est à l’anatomie : l’une étudie les formes extérieures des organes, l’autre les tissus et les cellules dont ces organes sont faits. Une contradiction entre ces deux ordres d’études, dont l’une continue l’autre, est inconcevable. L’anatomie constitue aujourd’hui la base de la médecine scientifique, mais il fut un temps où la dissection de cadavres humains, en vue de connaître la structure intime du corps, était défendue, de même qu’on trouve de nos jours presque condamnable de se livrer à la psychanalyse, en vue de connaître le fonctionnement intime de la vie psychique. Tout porte cependant à croire que le temps n’est pas loin où l’on se rendra compte que la psychiatrie vraiment scientifique suppose une bonne connaissance des processus profonds et inconscient de la vie psychique. »

Charles-Henri Favrod, « La Psychanalyse » :

« L’une des grandes découvertes de la psychanalyse à son début avait été l’explication de la conversion hystérique et du phénomène de la catharsis. Freud devait montrer que les paralysies que l’on constate dans de nombreux cas d’hystérie ne s’expliquent par aucune cause organique, mais qu’elles résultent d’une conversion d’affect. Un sentiment inconscient est « traduit » sous une forme corporelle. Cette découverte marque la fin de l’opposition entre le « corps » et l’« esprit » qui paralysait la psychiatrie dans un dilemme sans solution. Elle a permis à la médecine de mieux comprendre le rôle des facteurs psychiques dans certaines maladies organiques. C’est ainsi qu’est née la médecine psychosomatique, développée notamment en Allemagne par Alexandre Mitscherlich. »

« Les conditions de la psychiatrie publique », Georges Jovelet :

« L’ampleur des décisions politiques sans débat démocratique, avec les acteurs du soin et en rupture avec les valeurs de missions de service public de l’hôpital, renforce la nécessité d’un front de défense de la psychiatrie. Politique au sens large défini par un débat d’idée et une réflexion sur la place du psychiatre dans la société et de ce que l’on attend de lui et du sort réservé au patient dans la cité. Le développement des centres de ressources, des cliniques de psychiatrie, le discours sur la criminalisation des malades mentaux, menace de réduire la psychiatrie publique à une pratique de l’enfermement et de la cantonner à la prise en charge des formes les plus sévères de maladies mentales. Nous sommes à l’envers d’une politique de secteur désenclavée intégrant diverses pathologies et modalités d’exercice en particulier les plus ouvertes comme en CMP, psychiatrie de liaison, hôpital de jour, centres de crises. Le secteur a instauré une politique d’ouverture aux soins psychiatriques ; la loi HPST, la gouvernance sont à même d’inverser cette dynamique. »

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