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D’où vient la conscience humaine ?
jeudi 6 octobre 2016, par
Ce texte a pour but de contredire le point de vue de Bergson sur la conscience ainsi résumé :
« Je vois dans l’évolution entière de la vie sur notre Planète une traversée de la matière par la conscience créatrice, un effort pour libérer, à force d’ingéniosité et d’invention, quelque chose qui reste emprisonné chez l’animal et qui ne se dégage définitivement que chez l’homme. »
« L’évolution de la vie, depuis ses origines jusqu’à l’homme, évoque à nos yeux l’image d’un courant de conscience qui s’engagerait dans la matière comme pour s’y frayer un passage souterrain, ferait des tentatives à droite et à gauche, pousserait plus ou moins en avant, viendrait la plupart du temps se briser contre le roc, et pourtant, dans une direction au moins, réussirait à percer et reparaître à la lumière. Cette direction est la ligne d’évolution qui aboutit à l’homme. »
« De même, la conscience est incontestablement liée au cerveau chez l’homme : mais il ne suit pas de là qu’un cerveau soit indispensable à la conscience. »
« Je crois que tous les êtres vivants, plantes et animaux, la possèdent en droit (la conscience) ; mais beaucoup d’entre eux y renoncent en fait. »
« On dit quelquefois : « La conscience est liée chez nous à un cerveau ; donc il faut attribuer la conscience aux êtres vivants qui ont un cerveau, et la refuser aux autres. » Mais vous apercevez tout de suite le vice de cette argumentation. En raisonnant de la même manière, on dirait aussi bien : « La digestion est liée chez nous à un estomac ; donc les êtres vivants qui ont un estomac digèrent, et les autres ne digèrent pas. » Or on se tromperait gravement, car il n’est pas nécessaire d’avoir un estomac, ni même d’avoir des organes pour digérer : une amibe digère, quoiqu’elle ne soit qu’une masse protoplasmique à peine différenciée. Seulement, à mesure que le corps vivant se complique et se perfectionne, le travail se divise ; aux fonctions diverses sont affectés des organes différents ; et la faculté de digérer se localise dans l’estomac et plus généralement dans un appareil digestif qui s’en acquitte mieux, n’ayant que cela à faire. De même, la conscience est incontestablement liée au cerveau chez l’homme : mais il ne suit pas de là qu’un cerveau soit indispensable à la conscience. »
Bergson, L’Énergie spirituelle, 1919.
D’où vient la conscience humaine ?
« Les émotions ne sont pas un luxe, mais un auxiliaire complexe dans la lutte pour l’existence. »
Antonio Damasio
« Pour la plupart des scientifiques travaillant sur l’esprit et le cerveau, le fait que l’esprit dépende étroitement du fonctionnement du cerveau ne fait plus question. Nous pouvons tous louer la préscience d’Hippocrate, qui soutenait lui-même ces idées il y a deux mille ans. »
Antonio Damasio
« La capacité d’exprimer et de ressentir des émotions est indispensable à la mise en oeuvre des comportements rationnels. Et lorsqu’elle intervient, elle a pour rôle de nous indiquer la bonne direction, de nous placer au bon endroit dans l’espace où se joue la prise de décision, en un endroit où nous pouvons mettre en oeuvre correctement les principes de la logiques. »
Antonio Damasio
« Pourquoi Spinoza ? Pour faire court, je pourrais dire qu’il est parfaitement pertinent pour toute discussion sur l’émotion et le sentiment humain. Il voyait dans les besoins, les motivations, les émotions et les sentiments - tout l’ensemble de ce qu’il appelait affectus (affects) - un aspect central de l’humanité. La joie et la tristesse représentaient deux concepts cardinaux dans sa tentative pour comprendre l’être humain et suggérer comment mieux vivre. »
Antonio Damasio
« L’esprit respire par le biais du corps, et la souffrance, qu’elle ait sa source au niveau de la peau ou d’une image mentale, prend effet dans la chair. »
Antonio Damasio
« Il n’est pas tout à fait juste de dire, comme c’est souvent le cas, que la transmission neurale qui a lieu dans le tronc cérébral et l’hypothalamus n’est jamais consciente. Je crois au contraire qu’une partie en est rendue consciente sous une forme particulière et que c’est précisément ce qui constitue nos sentiments d’arrière-plan. Il est vrai que les sentiments d’arrière-plan peuvent apparaître sans qu’on y fasse attention, mais on y fait attention assez souvent. Pensez-y la prochaine fois que vous serez cloué par un rhume ou, encore mieux, que vous vous sentirez au septième ciel et le plus heureux des hommes. »
Antonio Damasio
« Il existe deux types de contrôle des actions, conscient et non conscient, mais le contrôle non conscient peut en partie être façonné par le contrôle conscient. Si l’enfance et l’adolescence durent aussi longtemps, c’est justement parce qu’il faut beaucoup, beaucoup de temps pour éduquer les processus non conscients de notre cerveau et pour créer, au sein de l’espace cérébral non conscient, une forme de contrôle pouvant, de façon plus ou moins fiable, opérer en fonction d’intentions et d’objectifs conscients. »
Antonio Damasio
« Peut-il y avoir conscience sans sentiments ? La réponse est non. L’introspection montre que l’expérience humaine implique toujours des sentiments. »
Antonio Damasio
« « Je pense, donc je suis », cette formule peut-être la plus célèbre de l’histoire de la philosophie, apparaît en français dans la quatrième partie du « Discours de la Méthode » (1637), et en latin (« Cogito, ergo sum ») dans les « Principes de philosophie » (1644). Prise à la lettre, cette formule illustre précisément le contraire de ce que je crois être la vérité concernant l’origine de l’esprit et les rapports entre esprit et corps. Elle suggère que penser, et la conscience de penser, sont les fondements réels de l’être. Et puisque nous savons que Descartes estimait que la pensée était une activité complètement séparée du corps, sa formule consacre la séparation de l’esprit, la « chose pensante » et du corps non pensant qui est caractérisé par une « étendue » et des « organes mécaniques ». (…) Descartes précise sa conception sans ambiguïté : « Je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu ni d’aucune chose matérielle, en sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps. » C’est là qu’est l’erreur de Descartes : il a instauré une séparation catégorique entre le corps, fait de matière, doté de dimensions, mû par des mécanismes, d’un côté, et l’esprit, non matériel, sans dimensions et exempt de tout mécanisme, de l’autre ; il a suggéré que la raison et le jugement moral ainsi qu’un bouleversement émotionnel et une souffrance provoquée par une douleur physique pouvaient exister indépendamment du corps. Et spécifiquement, il a posé que les opérations de l’esprit les plus délicates n’avaient rien à voir avec l’organisation et le fonctionnement d’un organisme biologique. (…) L’erreur de Descartes continue d’exercer une grande influence. (…) Il est intéressant de noter que, de façon paradoxale, de nombreux spécialistes des sciences cognitives qui estiment que l’on peut étudier les processus mentaux sans recourir à la neurobiologie, ne se considèrent sans doute pas comme des dualistes. On peut aussi voir un certain dualisme cartésien (posant une séparation entre le cerveau et le corps) dans l’attitude des spécialistes des neurosciences qui pensent que les processus mentaux peuvent être expliqués seulement en termes de phénomènes cérébraux, en laissant de côté le reste de l’organisme, ainsi que l’environnement physique et social – et en laissant aussi de côté le fait qu’une certaine partie de l’environnement est lui-même le produit des actions antérieures de l’organisme. (…) L’idée d’un esprit séparé du corps a semble-t-il également orienté la façon dont la médecine occidentale s’est attaquée à l’étude et au traitement des maladies. La coupure cartésienne imprègne aussi bien la recherche que la pratique médicales. Par suite, l’impact psychologique des maladies affectant le corps proprement dit (ce que l’on appelle les maladies réelles) n’est généralement pas pris en compte, ou seulement envisagé dans un second temps. Le processus inverse, la façon dont les problèmes psychologiques retentissent sur le corps, est encore plus négligé. (…) Un assez grand nombre de médecins s’intéressent aux arts, à la littérature et à la philosophie. Un nombre surprenant d’entre eux sont devenus poètes, romanciers et dramaturges de grande valeur, et plusieurs ont réfléchi avec profondeur à la condition humaine et traité de façon perspicace de ses dimensions psychologiques, sociales et politiques. Et pourtant, l’enseignement qu’ils ont reçu dans les facultés de médecine ne prend pratiquement pas en compte ces dimensions humaines lorsqu’il traite de la physiologie et des pathologies du corps proprement dit. (…) Le cerveau (plus précisément les systèmes nerveux central et périphérique), en tant qu’organe, a été pris en compte dans ce cadre. Mais son produit le plus précieux, le phénomène mental, n’a guère préoccupé la médecine classique et, en fait, n’a pas constitué un centre d’intérêt prioritaire pour la spécialité médicale consacrée à l’étude des maladies du cerveau : la neurologie. »
Antonio Damasio
« Percevoir l’environnement ne se résume pas à ce que le cerveau reçoive directement des signaux d’un stimulus donné, sans parler même de la réception directe d’images. L’organisme se modifie activement de telle sorte que l’interaction puisse prendre place dans les meilleures conditions possibles. Le corps proprement dit n’est pas passif. (…) Ma suggestion revient à dire que les processus mentaux résultent de l’activité de circuits neuraux, bien sûr, mais que nombre de ces derniers ont été façonnés, au cours de l’évolution, par les nécessités fonctionnelles de l’organisme. Elle revient à dire aussi que le fonctionnement mental normal demande que les circuits neuraux susnommés contiennent des représentations fondamentales de l’organisme, et qu’ils ne cessent de prendre en compte les états successifs du corps. (…) Ma suggestion ne revient pas à dire que l’esprit est situé dans le corps. J’affirme simplement que le corps fournit au cerveau d’avantage que ses moyens d’existence et que la modulation de ses activités. Il fournit un contenu faisant intégralement partie du fonctionnement mental normal. (…) Il est probable que les phénomènes mentaux ne peuvent se concevoir sans une sorte de référence au corps, notion qui figure de façon proéminente dans les positions théoriques avancées par Georges Lakoff, Mark Johnson, Eleanor Rosch, Francisco Varela et Gerald Edelman. »
Antonio Damasio
« Les fonctions supérieures du cerveau exigent des interactions avec le monde et avec d’autres personnes. »
« Toute tâche consciente implique l’activation ou la désactivation d’aires cérébrales dispersées. »
Edelman et Tononi
« La vie et la conscience peuvent jaillir de la matière sans étincelle divine, car ce sont des phénomènes collectifs, des manifestations holistiques. »
La melodie secrete, Trinh Xuan Thuan
« Au point de départ de l’évolution mentale, il n’existe à coup sûr aucune différenciation entre le moi et le monde extérieur la conscience débute par un égocentrisme inconscient et intégral Quatre processus fondamentaux caractérisent les deux premières années de l’existence : ce sont les constructions des catégories de l’objet, de l’espace, de la causalité et du temps. »
Six etudes de psychologie, Jean Piaget
« On sait qu’axones et dendrites ne sont pas en continuité les uns avec les autres (...) Ils sont interrompus d’un neurone à l’autre. Comment de telles discontinuités vont-elles permettre le passage de signaux électriques d’u neurone à l’autre ? (...) Chaque fois, une onde d’apparence continue et globale se trouve « découpée » en unités discrètes et interprétée comme résultant intégralement (..) de ces entités discrètes. (..) L’objet mental est identifié à l’état physique créé par l’entrée en activité (électrique et chimique) corrélée et transitoire, d’une large population ou « assemblée » de neurones (...) Cette assemblée est discrète (..). Elle se compose de neurones possédant des singularités. »
Jean-Pierre Changeux dans « L’homme neuronal »
« Au fil des chapitres, le lecteur se sera rendu à l’évidence que le cerveau de l’homme se compose de milliards de neurones reliés entre eux par un immense réseau de câbles et connexions, que dans ces « fils » circulent des impulsions électriques ou chimiques intégralement descriptibles en termes moléculaires ou physico-chimiques, et que tout comportement s’explique par la mobilisation interne d’un ensemble topologiquement défini [1] de cellules nerveuses. Cette dernière proposition enfin a été étendue, à titre d’hypothèse, à des processus de caractère « privé » qui ne se manifestent pas nécessairement par une conduite « ouverte » sur le monde extérieur comme les sensations ou perceptions, l’élaboration d’images de mémoire ou de concepts, l’enchaînement des objets mentaux en « pensée ».
Bien que l’on soit encore loin de disposer de techniques qui permettent de répertorier les assemblées de neurones mises à contribution par un objet mental particulier, la caméra à positrons [2] crée déjà la possibilité de les « entrevoir » à travers la paroi du crâne.
L’identification d’événements mentaux à des événements physiques ne se présente donc en aucun cas comme une prise de position idéologique, mais simplement comme l’hypothèse de travail la plus raisonnable et surtout la plus fructueuse. Comme l’écrivait J. S. Mill [3], « si c’est être matérialiste que de chercher les conditions matérielles des opérations mentales, toutes les théories de l’esprit doivent être matérialistes ou insuffisantes ». Et à ceux que cette hypothèse trop simple ferait hésiter, Valéry répond : « Il n’est, de forêt vierge, de buisson d’algue marine, de dédale, de labyrinthe cellulaire qui soit plus riche en connexions que le domaine de l’esprit. »
Le moment historique que nous traversons rappelle celui où s’est trouvée la biologie avant la dernière guerre mondiale. Ies doctrines vitalistes avaient droit de cité, même parmi les scientifiques. La biologie moléculaire les a réduites au néant. Il faut s’attendre à ce qu’il en soit de même pour 1es thèses spiritualistes et leurs divers avatars « émergentistes ». »
[1] Ensemble dont les éléments ont des positions relatives bien définies (indépendamment de leur forme et de leurs dimensions).
[2] Appareil permettant de détecter le produit de la désintégration de marqueurs radioactifs introduits (via la circulation sanguine) dans le cerveau. À partir de ces mesures, on peut reconstituer une image de ce qui se passe dans le cerveau.
[3] Philosophe anglais (1806-1873) qui exposa les principes d’une théorie empiriste de la connaissance.
Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal
En exergue du chapitre IX de « L’homme neuronal », Changeux a placé une citation de l’Ethique : « les hommes jugent des choses suivant la disposition de leur cerveau. »
« La conscience est la conséquence du renoncement aux pulsions. »
Freud
« La conscience pourrait être considérée comme la perception de soi en tant qu’ "objet" placé au centre même de la réalité. »
François Jacob
« Les dialogues que le sujet conduit avec le milieu extérieur et le monde intérieur qui lui sont propres sont sous-tendus par un « flux de conscience » qui constitue le lien – mouvant et changeant- où des prises actives d’information, des attitudes propositionnelles et des actes intentionnels viennent prendre place et sens. Il est clair qu’un ensemble aussi complexe de phénomènes se laisse difficilement apprhender par un terme unique, et c’est pourquoi le terme de conscience est utilisé avec des acceptions très diverses… On conçoit aisément que le sujet endormi se trouve dans l’impossibilité d’explorer activement son environnement et d’interagir avec lui de façon délibérée. La prise actve d’information et la production de mouvements volontaires présupposent la présence consciente au monde, c’est-à-dire l’état de veille, avec un certain niveau de vigilance… Si le fait d’être éveillé et conscient constitue la condition préalable nécessaire aux processus épisodiques de prise de conscience, et si cet arrière-plan leur confère généralement la coloration d’une « humeur » plus ou moins durable, il est aussi des circonstances où l’arrière-plan est de nature à entraver l’élaboration et la succession des interactions délibérées avec l’environnement. Tel est le cas lorsque le « champ de conscience » est envahi et totalement accaparé par une douleur physique ou morale, par une idée obsessionnelle, ou encore par le malaise psychique et physique de l’angoisse. Tel est également le cas du sujet qui souffre d’un état dépressif avec le ralentissement psychomoteur qui le caractérise, oude la « perte d’autoactivation psychique », de l’ « inertie comportementale » et du « vide mental »… Nos perceptions conscientes dépendent de l’existence et du fonctionnement de nos récepteurs sensitivo-sensoriels, du traitement dont les messages nerveux qu’ils émettent font l’objet, et des contrôles endogènes qui s’exercent sur telle ou telle étape de ce traitement… Dans le cours de l’histoire de son espèce comme dans celui de son histoire individuelle, l’homme est de plus en plus amené à agir dans une pluralité de « mondes d’action » et à interagir de façon adaptée avec les situations et les êtres qui appartiennent à chacun de ces mondes. Le développement au cours de l’hominisation comme dans l’ontogenèse individuelle, de représentations internes du monde extérieur, avec la faculté d’en appréhender et d’en « travailler » consciemment les contenus, présente à cet égard de multiples avantages. »
Pierre Karli dans « Le cerveau et la liberté »
« Mon but est de dissiper l’idée selon laquelle l’esprit peut être compris sans la biologie… L’une des façons de résoudre le dilemme posé par l’incarnation de l’esprit et par les apparents mystères de la conscience consiste à considérer que l’esprit et la conscience sont des propriétés directes de la matière. Sous sa forme la plus extrême, cela donne une doctrine philosophique appelée panpsychisme. Selon le panpsychisme, toute matière, même la plus infime particule, est un peu consciente – et cela vaut aussi pour l’univers dans son ensemble. Après tout, raisonne-t-on, nous souhaitons pouvoir dire que l’esprit et la matière sont liés. Et, si nous parvenons à rassembler comme il faut un nombre suffisant de particules très légèrement conscientes, le résultat final sera un être humain conscient. Mais ce point de vue ne précise pas comment déterminer qu’une particule est consciente, sans parler des êtres humains. Cette position « scientise » un autre point de vue, initialement fondé sur la philosophie idéaliste. Selon ce point de vue, le monde n’est perçu qu’à travers l’esprit, et il se peut donc que la matière n’existe pas – que seul l’esprit existe, comme l’a suggéré Berkeley… Le concept idéaliste d’essentialisme de Platon est l’idée selon laquelle il existe un monde d’essences parfaites, dont les exemplaires dans le monde réel ne sont que le reflet imparfait… Un certain nombre d’individus intelligents ont été attirés par le panpsychisme, l’idéalisme et l’essentialisme… La plupart des bons physiciens ne croient guère aux idées du panpsychisme et aux esprits désincarnés. Mais certains très bons physiciens ont cependant recherché les réponses au mystère de conscience au-delà des faits biologiques… La physique est la mère de toutes les sciences : la plus ancienne, la plus fondamentale, celle dont la portée est la plus générale. Elle diffère de la biologie par sa généralité : elle s’applique aussi bien à tous les objets ayant une intentionnalité (y compris les êtres humains) qu’à ceux qui en sont dépourvus. En revanche, la biologie telle que nous la connaissons est une science spécifique. Elle s’intéresse à des phénomènes qui se déroulent à l’intérieur d’une fourchette très étroite de températures (ou d’énergies) et de pression, et qui dépendent d’une chimie très particulière. L’évolution est fondée sur une séquence historique particulière de sélections naturelles survenant au sein de populations d’organismes diversifiés… Ce siècle a été le témoin d’une étonnante révolution intellectuelle fondée d’une part, sur la découverte de Planck selon laquelle la matière rayonne de l’énergie par paquets, ou quanta, finis et discrets, et d’autre part, sur la théorie de la relativité d’Einstein, qui remplaça le temps et l’espace par la notion d’espace-temps… Les travaux de Planck et d’Einstein débouchèrent également sur un certain nombre de problèmes extraordinaires qui, à ce jour, n’ont pas encore été résolus. Leur « étrangeté » a amené un certain nombre de chercheurs à suggérer que le problème de la conscience y était mêlé… Lorsqu’on plonge dans la théorie quantique… les décisions de l’observateur paraissent affecter les mesures qu’il ou elle effectue… En effet, si l’on (le physicien observateur) choisit de mesurer la position d’une particule avec une certaine précision, le fait de monter l’expérience et d’effectuer la mesure interdit à tout jamais, et de façon irréversible, de mesurer la quantité de mouvement avec une précision comparable… Lorsque la mesure est faite, la fonction d’onde « s’effondre »… L’ « effondrement de la fonction d’onde » n’est déterminé qu’au moment précis où l’appareil de mesure et la particule interagissent pour donner une mesure explicite. Wigner attribua cet effondrement à l’intervention de la conscience de l’observateur. Après tout, c’est l’observateur qui décide d’installer le dispositif de mesure, qui choisit de s’intéresser soit à la position, soit à la quantité de mouvement, et qui réalise effectivement la mesure ! (…) Selon le schéma de Wigner, un phénomène ne devient réel que lorsque l’observateur en devient conscient. Pour être tout à fait équitable, il faut dire que d’autres éminents physiciens ont interprété le problème de la mesure quantique sans faire intervenir la conscience de l’observateur… Les efforts déployés par Darwin pour comprendre l’origine des espèces permirent l’avènement d’une grande révolution de la pensée. Avec sa théorie de la sélection naturelle, Darwin fut le premier à penser en termes de populations… Le concept d’espèce qui résulte de ce mode de pensée est au centre de toutes les idées sur la catégorisation. En effet, les espèces ne sont pas des « types naturels » ; leur définition est relative, elles ne sont pas homogènes, aucune condition préalable n’est nécessaire à leur établissement et elles n’ont pas de frontières bien définies. Ainsi, le fait de penser en termes de populations a porté un coup mortel au raisonnement typologique ou essentialiste, c’est-à-dire à l’idée selon laquelle l’ « essence » des espèces existe avant les organismes particuliers, ou exemplaires, de cette espèce. L’essentialisme, dont la formulation la plus claire est due à Platon, et qui s’est trouvé reflèté dans la plupart des philosophies idéalistes depuis lors est intimement lié à la notion de catégories classiques… Searle, Lakoff, Johnson et d’autres (dont moi-même) ont fait remarquer que la pensée n’est pas transcendante, mais qu’elle dépend au contraire intrinsèquement du corps et du cerveau… William James écrivait : « Quelque chose de tout à fait précis se produit lorsque, à un certain état du cerveau correspond un certain état de connaissance. » (…) La biologie est indispensable à toute théorie de la conscience fondée sur l’évolution. Une théorie de ce genre doit en effet proposer des modèles neuronaux explicites permettant d’expliquer comment apparaît la conscience. Elle doit nécessairement expliquer comment la conscience apparaît au cours de l’évolution et du développement. Elle doit relier la conscience aux autres aspects de la vie mentale, tels la formation des concepts, la mémoire et le langage. Et elle doit décrire des tests permettant de confronter, de façon très rigoureuse, les modèles qu’elle propose aux données neurobiologiques… La description du monde donnée par la physique moderne constitue le fondement adéquat, mais pas tout à fait suffisant, de toute théorie de la conscience. En effet, la théorie moderne des champs quantiques fournit une description d’un ensemble de propriétés formelles de la matière et de l’énergie à toutes les échelles, mais elle ne contient pas de théorie de l’intentionnalité ni de théorie des noms pour les objets macroscopiques, car elle n’en a pas besoin… L’hypothèse évolutionniste consiste à dire que la conscience est une propriété phénotypique apparue à un moment donné de l’évolution des espèces. Avant cela, elle n’existait pas. Cette hypothèse suggère que l’acquisition d’une conscience a directement conféré un avantage adaptatif aux individus qui en avaient une ou bien a permis l’apparition d’autres traits qui, eux, amélioraient l’adaptation. Elle suggère également que la conscience est efficace – c’est-à-dire qu’elle n’est pas un épiphénomène (« rien que la couleur rouge du métal en fusion », alors que ce qui compte, c’est qu’on puisse le couler.)… Les sensations correspondent à l’ensemble des expériences personnelles ou subjectives, des sentiments et des impressions qui accompagnent l’état de conscience. Ce sont des états phénoménaux qui constituent le « comment nous voyons les choses » en tant qu’êtres humains… Les sensations directement éprouvées par un individu donné ne peuvent pas être totalement partagées par un autre individu jouant le rôle d’observateur. Tout individu peut décrire son expérience à un observateur, mais cette description sera toujours partielle, imprécise et relative au contexte personnel de l’individu… De plus, beaucoup de processus conscients et non conscients affectent l’expérience subjective de chaque personne. Par conséquent, chacun est susceptible de former sa propre théorie concernant la totalité de son expérience individuelle consciente, mais ces théories ne seront jamais des théories scientifiques, puisque les autres obeservateurs ne disposent pas de sujets témoins adéquats pour contrôler les expériences. Le paradoxe est poignant : pour faire de la physique, je fais appel à ma vie consciente, à mes perceptions, à mes sensations. Mais dans la communication intersubjective, je les exclus de ma description, certain que je suis que mes confrères observateurs, munis chacun de leur vie consciente personnelle, pourront effectuer les manipulations prescrites pour arriver à des résultats expérimentaux comparables… La situation est-elle pour autant totalement désespérée ? Je ne le pense pas. L’une de ces alternatives, qui ne semble absolument pas viable, consiste à ignorer complètement l’existence des sensations… L’hypothèse des sensations établit une distinction entre la conscience d’ordre supérieur et la conscience primaire… La conscience primaire peut être constituée d’expériences phénoménales telles que des images menatales, mais elle est limitée à un intervalle de temps situé autour du présent mesurable, elle est dépourvue de concepts de soi, de passé et de futur, et inaccessible à l’auto-description directe et individuelle…Pour être compatible avec l’hypothèse évolutionniste, cette façon de procéder devra permettre d’expliquer comment sont apparues la conscience primaire, puis la conscience d’ordre supérieur, au cours de l’évolution… Les deux systèmes – tronc cérébral/système limbique et thalamus cortical – furent reliés l’un à l’autre durant l’évolution… C’est le développement, au cours de l’évolution, de la capacité de créer des scènes qui a entraîné l’apparition de la conscience primaire… Un produit essentiel de l’évolution a fourni les moyens suffisants à l’apparition de la conscience primaire. Il s’agit d’un circuit réentrant particulier qui est apparu, au cours de l’évolution, comme un nouveau composant neuro-anatomique. Il permet à la mémoire des valeurs-catégories et aux cartographies globales en cours, qui traitent de la catégorisation percpetive en temps réel, d’échanger continuellement des signaux de façon réentrante… La conscience d’ordre supérieur naît avec l’apparition de compétences sémantiques au cours de l’évolution des espèces, et elle s’épanouit avec l’acquisition du langage et de références symboliques. Les compétences linguistiques requièrent un nouveau type de mémoire pour la production et l’audition des sons co-articulés rendus possibles par l’apparition d’une chambre suralyngée. »
Gérard M. Edelman dans « Biologie de la conscience »
« La conscience de soi-même (aperception) est la représentation simple du moi. »
« La perception est la conscience empirique, c’est-à-dire une conscience accompagnée de sensation. »
Kant
« Ce qui élève l’homme par rapport à l’animal, c’est la conscience qu’il a d’être un animal... Du fait qu’il sait qu’il est un animal, il cesse de l’être. »
Friedrich Hegel
La plupart des gens confondent souvent conscience et intelligence ou intellect, et on dit d’une personne très intelligente ou très intellectuelle, qu’elle est très consciente.
En fait, la conscience, chez l’homme, est une espèce très particulière d’appréhension d’une connaissance intérieure.
La conscience serait un phénomène mental caractérisé par un ensemble d’éléments plus ou moins intenses et présents selon les moments : un certain sentiment d’unité lors de la perception par l’esprit ou par les sens (identité du soi), le sentiment qu’il y a un arrière-plan en nous qui « voit », un phénomène plutôt passif et global contrairement aux activités purement intellectuelles de l’esprit, actives et localisées, et qui sont liées à l’action (par exemple la projection, l’anticipation, l’histoire, le temps, les concepts..). La conscience est « ce qui voit » sans s’assimiler à ce qui est vu, c’est ce qui intègre à chaque instant en créant des relations stables entre les choses, à l’image des réseaux neuronaux. La conscience est un lieu abstrait, car impossible à localiser quelque part dans le corps, qui apparaît à chaque instant au moment exact où fusionnent les perceptions des sens et de l’esprit, l’écran sur lequel se déroulent toutes les activités intellectuelles de l’esprit, en grande partie imaginaires (les représentations mentales : conscience du monde, des autres, du moi..) mais efficaces à leur manière, ainsi que la vie émotionnelle.
• on peut distinguer une étape supérieure, en signifiant par le mot conscience un état d’éveil de l’organisme, état différent du précédent en ce sens qu’il ne comporte pas de passivité de la sensibilité (cf. en anglais, le mot wakefulness, vigilance, alerte, ou awareness) ; en ce sens, il n’y a pas de conscience dans l’état de sommeil profond ou dans le coma ;
• Conscience de soi : la conscience est la présence de l’esprit à lui-même dans ses représentations, comme connaissance réflexive du sujet qui se sait percevant. Par cette présence, un individu prend connaissance, par un sentiment ou une intuition intérieurs, d’états psychiques qu’il rapporte à lui-même en tant que sujet. Cette réflexivité renvoie à une unité problématique du moi et de la pensée, et à la croyance, tout aussi problématique, que nous sommes à l’origine de nos actes ; ce dernier sens est une connaissance de notre état conscient aux premiers sens. Le domaine d’application est assez imprécis et il comporte des degrés : s’il s’agit d’une conscience claire et explicite, les enfants qui ne parlent pas encore ne possèdent sans doute pas la conscience en ce sens ; s’il s’agit d’un degré moindre de conscience, d’une sorte d’éveil à soi, alors non seulement les enfants peuvent être considérés comme conscients mais aussi certains animaux.
• un autre sens du mot conscience a été introduit par le philosophe Thomas Nagel : il s’agit de la conscience pour un être de ce que cela fait d’être ce qu’il est.
• la conscience comme conscience de quelque chose (conscience transitive, opposée à l’intransitivité du fait d’être conscient). Cette conscience renvoie à l’existence problématique du monde extérieur et à notre capacité de le connaître ;
• la conscience intellectuelle, intuition des essences ou des concepts.
• la conscience phénoménale, en tant que structure de notre expérience.
• À un degré conceptuellement plus élaboré peut exister ou non la « conscience morale », définissable comme la compréhension et la prise en charge par l’individu des tenants et aboutissants de ses actes pour la collectivité et les générations futures.
Dans l’ensemble de ces distinctions, on peut noter une conception de la conscience comme savoir de soi et perception immédiate de la pensée, et une autre comme sentiment de soi impliquant un sous-bassement obscur et un devenir conscient qui sont, en général, exclus de la première conception. La conscience morale, quant à elle, désigne le sujet du jugement moral de nos actions. De cette conscience-là, on dit aux enfants qu’elle nous permet de distinguer le bien du mal.
Il existe de nombreuses théories qui s’efforcent de rendre compte de ce « phénomène ».
Ce sujet fait l’objet des travaux de Daniel Dennett, Antonio Damasio et Jean-Pierre Changeux, ainsi que des sciences cognitives.
Première approche de la conscience
« Une nouvelle approche neuronale » de Jean-Pierre Changeux
Encore sur inconscience et conscience
D’où vient l’intelligence humaine ?
Ce qui se passe dans notre cerveau et dont nous ne sommes pas conscients
L’intelligence est-elle déterminée génétiquement ?
Henri Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience
Des conditions de la conscience
La conscience morale, de Alain
La crise de la conscience européenne
Conscience individuelle et esprit collectif
Conférence « Conscience et cerveau » pour l’Université de tous les savoirs