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La nature du "communisme" chinois de Mao Tze Toung

samedi 17 mai 2008, par Robert Paris

Quand Mao était l’allié de Tchang Kaï Shek (août 1945)...

Quand l’armée de Mao est arrivée au pouvoir dans les villes, elle était complètement étrangère à la population

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Le mythe du "communisme" chinois

La « révolution » maoïste est l’une de celles qui a produit le plus de mythes mensongers pour couvrir d’un voile « révolutionnaire » et « communiste » des politiques qui étaient tout le contraire de cela. On a même longtemps présenté la Chine comme plus communiste, plus anti-impérialiste et plus révolutionnaire que la Russie de Staline, et même de Lénine. Selon cette légende, Mao serait arrivé au pouvoir à la tête d’une révolution paysanne. Il aurait construit un pouvoir des ouvriers et des paysans, du type soviétique comme en octobre 1917 en Russie. Il aurait rompu avec l’impérialisme. Il aurait aidé la révolution mondiale, en restant révolutionnaire, contrairement au « révisionnisme » russe. La révolution culturelle marquerait le caractère de « révolution permanente » du régime chinois, sa capacité à s’attaquer aux idéologoqies réactionnaires et la jeunesse des idées révolutionnaires en Chine. Voilà quelques uns des mensonges qui courent sur le pouvoir chinois.

La Révolution chinoise de 1949 Nous allons essayer de rétablir une réalité qui n’a pas grand-chose à voir avec les affirmations précédentes. Ce qui a donné ses forces armées à Mao, ce n’est pas la lutte des classes, ni la révolution sociale, mais la lutte de défense nationale contre le Japon. Il a ainsi pu construire sa fameuse « huitième armée de route » intégrée à l’ensemble des forces armées chinoises, aux côtés de Tchang Kaï Chek, et aux côtés des USA. C’est cette armée, une fois la défaite japonaise acquise, qui lui a permis de prendre le pouvoir. Même s’il a eu un recrutement dans les campagnes, l’armée de Mao est tout sauf une organisation fondée sur une lutte radicale de la paysannerie. Mao a gouverné des régions paysannes comme un chef d’armée qui s’entend bien avec les paysans, mais qui s’accommode avec les possédants locaux, propriétaires fonciers, banquiers, commerçants et usuriers. Dans ces zones dites libérées, il n’appliquait pas un programme social radical, se contentait de baisser les impôts. Il n’a pas appliqué un programme radical de distribution de terres aux paysans pauvres. Mao n’est même pas un chef de révolte paysanne, comme la Chine en a connu dans le passé. Quant à la révolution paysanne, quand elle a éclaté – nullement à l’initiative de Mao – il a longuement hésité à prendre son parti, et, même après cette décision, il a toujours refusé d’armer les paysans. Y compris durant l’offensive contre le régime de Tchang Kaï Chek, il déclarait que « Les paysans qui nous rejoignent peuvent nous apporter à manger, pousser nos chariots, ou s’occuper des soins des blessés. En aucun cas, ils ne doivent être armés. » En ce sens, son armée et son appareil d’Etat sont des instruments classiques de pouvoir et non des organes révolutionnaires. Son parti est un organe politique de pouvoir et, avant même la prise de pouvoir, un parti unique. Il n’est pas question de remettre en question cette direction dictatoriale. Mao n’a pas un seul instant envisagé d’organiser les travailleurs de villes au cours de sa « révolution », même pas au moment de la prise de pouvoir dans les villes. Dans les villes, il a, par contre, pris contact avec les bourgeois, petits et grands, et les intellectuels, auxquels il donnera des places dans le pouvoir. Il a également recyclé l’essentiel du pouvoir de Tchang Kaï Chek, notamment ses chefs militaires, même ceux ralliés de la dernière seconde. Il est encore moins, malgré le titre de communiste dont il pare son parti, un dirigeant du prolétariat chinois. A partir de 1927, il avait quitté ce prolétariat et ne l’a jamais retrouvé. La lettre aux militants trotskystes qu’écrit Trotsky explique que, si l’armée de Mao prend le pouvoir, elle interviendra contre le prolétariat. La politique de Mao n’est pas communiste, ne vise pas au pouvoir du prolétariat, n’a nullement renoué avec Marx ni rompu définitivement avec l’impérialisme et le capitalisme, comme le rappelle son idylle actuelle. Le terme le plus juste sur son régime est celui de bonapartisme bourgeois. Le bonapartisme signifie une dictature militaire qui est populaire et dont l’apparence de force provient de l’équilibre entre deux forces réelles. Ici ces forces sont, d’un côté la bourgeoisie impérialiste et de l’autre le prolétariat.

La prise de pouvoir de Mao et la classe ouvrière
La prise du pouvoir par Mao

La classe ouvrière industrielle n’a pas joué le moindre rôle dans la victoire de Mao. La composition sociale elle-même du Parti Communiste chinois était entièrement non ouvrière . L’arrivée de Mao à la tête du parti coïncida avec sa transformation. Au départ du processus, l’organisation faisait partie de la classe ouvrière. Vers la fin de 1926 au moins 66% de ses membres étaient des travailleurs, 22% étaient des intellectuels et seulement 5% des paysans. En novembre 1928, le pourcentage d’ouvriers avait chuté de plus des 4/5, et un rapport officiel reconnaissait que le parti "n’avait pas un seul noyau sain parmi les ouvriers industriels". Les ouvriers formaient seulement 10% des effectifs en 1928, 3% en 1929, 2,5% en mars 1930, 1,6% en septembre de la même année, et pratiquement plus rien à la fin de l’année. De là jusqu’à la prise du pouvoir par Mao le parti n’avait plus dans ses rangs d’ouvriers industriels.

Les ouvriers étaient devenus si peu importants dans la stratégie du Parti communiste chinois pendant la montée de Mao vers le pouvoir que le parti ne jugea pas utile de convoquer le moindre congrès national des syndicats pendant les 19 ans suivant celui de 1929. Il ne se soucia pas davantage d’obtenir le soutien des travailleurs, comme en témoigne sa déclaration selon laquelle il n’avait l’intention de maintenir aucune des organisations du parti dans les régions contrôlées par le Kuomintang pendant les années cruciales 1937-45.

Lorsqu’en décembre 1937 le gouvernement Kuomintang décréta la peine de mort pour les travailleurs qui se mettaient en grève ou qui appelaient à la grève alors que la guerre était en cours, un porte-parole du PC déclara dans une interview que le parti était "totalement satisfait" de la manière dont le gouvernement conduisait la guerre. Même après le déclenchement de la guerre civile entre le PC et le Kuomintang, il n’existait pratiquement aucune organisation du parti dans les zones du Kuomintang – qui comprenaient les centres industriels du pays.

La conquête des villes par Mao révéla, plus que toute autre chose, le divorce complet entre le PC et la classe ouvrière industrielle. Les dirigeants communistes s’efforcèrent d’éviter les soulèvements ouvriers dans les villes à la veille de leur conquête. Avant la chute de Tientsin et de Pékin, par exemple, le général Lin Piao, commandant du front, publia une proclamation demandant à la population "de maintenir l’ordre et de poursuivre leurs occupations courantes. Les fonctionnaires du Kuomintang ou le personnel de la police ou ceux de la province, de la ville, du pays ou de tous les niveaux des institutions gouvernementales, district, ville, village ou personnel de la Pao Chia.. sont invités à rester à leur poste ".

Au moment du passage du Yang-Tsé, avant que les grandes villes de la Chine centrale et méridionale (Shanghai, Hankow, Canton) ne tombent entre leurs mains, Mao et Chou-Teh publièrent une proclamation :

"Il est souhaité que les travailleurs et employés de tous les métiers continuent leur ouvrage et que les affaires soient conduites comme a l’accoutumée... les fonctionnaires des gouvernements centraux, provinciaux ou départementaux du Kuomintang, à tous les niveaux les délégués de `’l’Assemblée Nationale", les membres des Yuan législatif et de contrôle, ou les membres du Conseil Politique du Peuple, les personnels de police et dirigeants des organisations de la Pao Chia ... doivent rester à leur poste et obéir aux ordres de l’Armée de Libération Populaire et du gouvernement populaire ".

La classe ouvrière s’exécuta et resta inerte. Un rapport de Nankin du 22 avril 1949, deux jours avant son occupation par 1’A’mée de Libération Populaire, décrivait la situation de la façon suivante :

’’ La populace de Nankin ne montre aucun signe d’excitation. Des foules de curieux se sont rassemblées ce matin au mur de la rivière pour assister au duel d’artillerie sur l’autre rive. Les affaires sont conduites comme d’habitude... Les cinemas projettent encore leurs films devant des salles combles. "

Un mois plus tard le correspondent du New York Times écrivait de Shanghai : "Les troupes rouges ont commencé à poser des affiches en chinois demandant à la population de rester calme et lui assurant qu’elle n’avait rien à craindre ".

A Canton : " Après leur entrée les communistes ont pris contact avec le commissariat de police et ont demandé aux policiers de demeurer à leur poste et de maintenir l’ordre ".

Tony Cliff

La nature du « communisme » chinois de Mao Tze Toung

Lorsque les relations entre la Russie et les USA sont passées de la « guerre froide » à la coexistence pacifique, puis à la tentative de déstalinisation et de rapprochement est-ouest de 1956, la bureaucratie militaire au pouvoir en Chine a cru devenir le didon de la farce de ce rapprochement et a opéré une radicalisation idéologique, prétendant que la Russie était traîtresse du communisme et était le nouveau révisionnisme du marxisme ! Sont alors nés, sous l’égide de la Chine ou pas, des courants maoïstes dans le monde qui ont prétendu que le régime chinois était un exemple du communisme véritable. En réalité, pas un seul instant le prolétariat n’a joué un rôle dans la prise de pouvoir de Mao à la tête d’une armée dont une grande partie avait été récupérée de l’ancien régime de Tchang Kaï Shek et qui avait, par contre, refusé des armes à la révolution paysanne qui avait éclaté parallèlement à la guerre civile de Mao. Cette révolution paysanne n’était pas le produit d’une politique « communiste » du parti de Mao. En effet, même dans les « régions libérées », la réforme agraire - le partage des terres, la suppression de tout reste de féodalisme, la suppression des dettes aux usuriers - n’était pas pratiquée, mais, au contraire, l’alliance avec les paysans moyens. C’était le nationalisme anti-japonais qui constituait la base du programme de Mao et non une quelconque révolution sociale. Dès la prise de pouvoir, ce sont les couches petites bourgeoises des villes auxquelles Mao a fait appel à la tête du pouvoir et les opprimés des villes et des campagnes n’ont eu aucune part réelle à ce pouvoir. Quant aux organisations de masse mises en place par le pouvoir elles n’ont été que des organes de contrôle par l’Etat de l’activité des masses. Parti unique, syndicat unique, idéologie unique ont été justifiées par le prétendu « pouvoir des ouvriers et des paysans ».

Document :
Extraits de « Le tigre de papier » de Charles Reeve

« Lorsqu’en 1949 les armées maoïstes s’apprêtaient à faire leur entrée à Shangaî, Hankou et Canton, le commandement militaire publia la proclamation suivante : « Il est demandé aux ouvriers et aux employés de tous les métiers de continuer à travailler et que leurs affaires soient menées comme à l’accoutumée. Les fonctionnaires du Kuomintang et de tous les autres corps politiques et administratifs, comme la police, doivent rester à leurs postes, obéir aux ordres de l’Armée populaire de libération et du gouvernement populaire. » (Agence Chine nouvelle – 3 mai 1949). En d’autres termes, après avoir vaincu les armées adverses et s’être emparé de l’administration, le Parti communiste chinois annonçait aux masses ouvrières que la Révolution était terminée. Pour comprendre quel pouvait être le programme de transformation de la société, et l’idéologie le justifiant qu’avançait le Parti communiste chinois, il est nécessaire de rappeler brièvement son histoire et celle de la classe ouvrière chinoise.
« Bien que n’ayant jamais représenté qu’une faible partie de la population, la classe ouvrière chinoise constituait dans les années vingt un important potentiel révolutionnaire. Elle était fortement concentrée dans plusieurs villes de la côte, et dans les ports francs qui étaient devenus les zones d’investissement industriel des capitalistes étrangers et qui bénéficiaient d’un bon réseau de communications. Shangaï, Canton et Hankou étaient les grandes zones d’investissement du capitalisme occidental. Dans ces régions, la classe ouvrière chinoise avait constitué, à travers des luttes, ses propres formes d’organisation. Du fait que l’industrie lourde était peu développée, la majorité des ouvriers se trouvaient dans les industries légères et dans les industries artisanales. (…) En dépit de sa faiblesse numérique, la classe ouvrière avait été active dès le début de son développement et la naissance de son processus de lutte était bien antérieure à la naissance du parti communiste chinois. Ce dernier fut fondé durant la période qui vit le regain des révoltes ouvrières et étudiantes (Mouvement du 4 mai) et devint au début des années vingt une force politique importante en organisant et coordonnent l’action de la classe ouvrière. Les militants de base du Parti communiste jouèrent un rôle important dans la vague de grèves qui débuta en 1925-26 à Shangaï, Hankou et Canton. Mais, comme il advint souvent dans la triste histoire des Partis communistes, le Parti communiste chinois, contraint par le Comintern au front uni avec le parti nationaliste – le Kuomintang – se vit imposer par Moscou un programme nationaliste petit-bourgeois au service de la nation russe et aux dépens du prolétariat international. Le résultat de la politique de « front uni » fut, en 1927-28, le massacre des ouvriers des grandes villes par Tchang Kaï-chek. (lire notamment « La tragédie de la révolution chinoise » de Harold Isaacs) La base ouvrière du PCC fut complètement décimée par les armes russes du Kuomintang, et après 1928 le Parti perdit complètement contact avec la classe ouvrière. (…) En 1949, l’armée populaire de libération était composée essentiellement de paysans et de soldats de métier et trois des quatre millions de membres du PCC étaient des paysans. (…) Ceci explique la froide passivité de la classe ouvrière au moment de la prise de pouvoir par le PCC. Pour les ouvriers radicaux encore en vie, le PCC était plus qu’en dehors de la classe ouvrière, il était responsable des massacres du prolétariat dans les années 20. Et, dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le Parti ait demandé à ce prolétariat dont il se réclamait, et qui avait une longue tradition révolutionnaire, de « continuer le travail comme à l’accoutumée. », le jour même où la « révolution » prenait le pouvoir.
(…) Dans ce pays comme dans toutes les nations appelées « sous-développées », le bas niveau des forces productives va rendre nécessaire l’action massive de l’Etat dans la vie économique. C’est pourquoi la tâche de réorganisation nationale et d’accumulation du Capital va être assumée par une néo-bureaucratie issue des couches intellectuelles, qui dirigera l’économie chinoise vers le capitalisme d’état. Une grande majorité d’intellectuels et même de capitalistes révoltés par l’incurie du Kuomintang, se sont d’ailleurs ralliés au PCC et sont ainsi devenus les cadres de la nouvelle administration.
(…) Le gouvernement nationalise la plus grande partie de l’industrie lourde et le système de communications, ce processus étant facilité par la situation économique de l’après-guerre et par le fait que la majorité de l’industrie lourde avait été contrôlée par le capital étranger. Les nationalisations furent un acte nationaliste, entraînant le soutien de la bourgeoisie nationale (appelée à l’époque « progressiste »), qui contrôlait largement l’industrie légère.
(...) Lorsque les armées maoïstes s’emparèrent du pouvoir, il n’y avait en Chine que deux syndicats ouvriers d’industrie, celui des marins et celui des cheminots. (…) Depuis octobre 1949, un mouvement de grève s’était déclenché dans les zones industrielles (lire P. Harper – « Le parti et les syndicats depuis 1949 »). De nombreux secteurs importants furent complètement immobilisés par les grèves (…) La lutte ouvrière fut à la fois une réplique à l’application des nouvelles mesures économiques accroissant la productivité et l’exploitation dans les usines, et une conséquence de la démagogie idéologique du PCC, qui présentait tous les changements politiques au nom de la classe ouvrière. En fait, immédiatement après que le nouveau gouvernement eut pris le pouvoir, le PCC et les syndicats annoncèrent des diminutions de salaires et des amputations d’avantages sociaux dans les entreprises nationalisées. (…) La réaction fut très forte car c’était dans l’industrie lourde que la classe ouvrière chinoise avait la plus longue expérience de lutte (…). L’arrêt de la production fut si effectif que vers la fin du printemps 1950 la situation économique devint désastreuse. Le PCC et les syndicats vinrent alors à l’aide du patronat « national et progressiste » et opérèrent de fortes pressions sur les travailleurs pour créer un mouvement de reprise du travail. (…) L’idéologie maoïste explique que le Parti possède la conscience prolétarienne et représente les intérêts de toute la société (Nation) alors que les intérêts des ouvriers ne sont que des intérêts particuliers. (…) Pour l’ouvrier, la conscience « socialiste » est ainsi réduite à l’acceptation de son exploitation. (…) La seconde conséquence des grèves fut de montrer que les syndicats nouvellement créés étaient complètement séparés des travailleurs et donc incapables de maintenir une quelconque discipline dans la production, ce qui était à l’époque la préoccupation majeure du PCC. (…) « Quotidien ouvrier » écrivait dans son éditorial du 6 août 1950 : « Le Parti s’est rendu compte d’une défaillance de la fonction de courroie de transmission, d’un manque terrible de communication entre les syndicats et les ouvriers. »
(…) C’est pourquoi à partir du premier Plan quinquennal, les salaires vont être de plus en plus liés à la productivité, les primes de rendement devenant une part importante du salaire total. On peut ainsi affirmer que l’augmentation du niveau de vie de la classe ouvrière va de pair avec l’augmentation du taux d’exploitation.
(…) A partir de 1952, l’élévation relative du niveau de vie de la classe ouvrière se fera surtout par le biais d’avantages sociaux (maisons de repos, retraites, congés payés, sécurité sociale) qui sont alors élargis et augmentés. L’Etat donne la gestion de ces avantages aux syndicats, renforçant ainsi leur contrôle sur la classe ouvrière.
(…) De 1949 à 1952, la redistribution d’une partie des terres aux couches les plus pauvres de la paysannerie aida à augmenter la production agricole et, en liaison avec la reprise des transports, augmenta l’approvisionnement en vivres des villes. (…) Il est important de noter que la distribution de terres était faite uniquement à partir des terres des grands propriétaires terriens, des capitalistes agricoles qui ne travaillaient pas eux-mêmes la terre. Les petits et moyens paysans étaient autorisés à garder et, dans certains cas, à étendre leurs propriétés.
(…) L’Etat s’appropriait le surplus agricole, directement par imposition, indirectement grâce au système des prix. (…) L’extraction indirecte du surplus agricole s’accomplissait grâce au contrôle exercé par l’Etat sur le prix des produits des villes (…)
L’Etat chinois va passer d’une utilisation massive du capital industriel qui caractérise le premier Plan quinquennal à une utilisation massive de la force de travail rurale qui remplace l’inexistant capital fixe, dans la période du Grand bond en avant. (…) Ce premier Plan n’est pas parvenu à réaliser un accroissement sensible de la production agricole ni même, d’une manière plus fondamentale, à extraire des surplus agricoles suffisants (…) C’est ainsi que fut prise la décision de lancer le Gand Bond en avant, son but essentiel étant d’accroître la production agricole par le renforcement du contrôle exercé par le Parti sur la population rurale, (…) en même temps, on cessa d’accorder la priorité aux investissements industriels. (…) Lié à la production des zones d’agriculture extensive, la commune rurale servait de base à un déplacement massif de la population des zones urbaines vers les campagnes. Cela permettait d’une part d’empêcher la population excédante de se concentrer dans les villes et d’autre part de mettre en œuvre d’immenses projets d’infrastructure rurale. (…) l’emploi massif d’une main d’œuvre non qualifiée, de la simple force de travail, est présenté officiellement comme un aspect de la formation de l’ »homme communiste ». (…) Dans la première année du Grand bond en avant, en 1958, la production agricole atteignit un bon niveau (…) Mais bientôt les problèmes commencèrent à s’accumuler, plus rapidement que l’accumulation elle-même. Les paysans qui avaient perdu tous leurs lopins privés et étaient obligés de travailler intensivement dans les champs aussi bien que dans les nouvelles petites industries récemment créées, commencèrent à résister à la surexploitation (…) Vers l’automne 1960, la situation devint catastrophique sur le plan national. Dans les zones rurales, le refus du travail intensif avait été aggravé par les mauvaises conditions climatiques (…). Aussi l’essai de créer une petite industrie décentralisée échoua (…) la production industrielle tomba à la fois à cause du manque de matières premières et parce que le système de primes de salaires avait été remplacé par celui des « primes d’encouragement idéologique ». Ce remplacement visant à réduire la consommation des travailleurs entraîna un accroissement de la résistance manifestée par la classe ouvrière. (…)
En janvier 1961, le comité central du Parti abandonna les réformes de 1958-59, les communes furent dissoutes et remplacées par des unités agricoles plus petites. (…) En 1963, le Comité central non seulement entérina la décision de 1961 de dissoudre les communes, mais fut obligé de reconnaître la renaissance d’un marché privé agricole reposant sur de nouveaux lopins privés, pour relancer la production agricole (…) C’est à partir de 1960 que la Chine s’ouvre en fait au marché occidental, comme on le voit dans les tableaux de ses échanges commerciaux. (…) l’échec du Grand bond en avant entrainait pour la faction Mao la perte du contrôle du Parti communiste. (…) La situation matérielle du prolétariat industriel s’améliora un peu par rapport au niveau du Grand bond en avant. (…) Ce n’était pas, naturellement, un « cadeau » de l’Etat « socialiste » mais la nécessité de garder le contrôle de la classe ouvrière, après une période durant laquelle les baisses de salaires avaient provoqué le mécontentement et le refus de travail. Pendant le troisième Plan quinquennal, les syndicats devinrent plus puissants et, en quelque sorte, mieux acceptés par les travailleurs, puisqu’il n’y avait plus de tentative sérieuse de réduire leur niveau de vie. (…) Le parti et les bureaucrates devaient faire face, d’une part aux travailleurs et aux paysans qui refusaient l’accentuation de leur exploitation, et d’autre part à leur isolement en tant que classe dirigeante. »

Document :

« La "Révolution" de Mao Tse-Toung »
« Rapport sur le stalinisme chinois »
écrit par Hsieh Yueh

|1948 |Paru dans la revue "Fourth International" (New-York), décembre 1949, avec l’introduction suivante : « Le texte suivant est un résumé d’un article paru dans le premier numéro du magazine "Fourth International" (publié à Hong Kong), organe du Parti Communiste Révolutionnaire, section chinoise de la IVème Internationale. L’auteur est un des principaux leaders du trotskisme chinois et un des pionniers du mouvement communiste en extrême orient. Bien qu’ayant été écrit il y a huit mois, le 15 avril 1948, l’article rapporte des faits et des tendances dans le soi-disant mouvement communiste chinois qui ont été jusqu’à maintenant ignorés à l’ouest. » |

15 avril 1948
« La victoire militaire du stalinisme en Chine a fait croire à certains que les pays arriérés fournissent un sol fertile au développement du stalinisme. C’est un raisonnement empirique. Il est vrai que les pays coloniaux sont composés dans leur majorité de petits bourgeois et d’éléments paysans, mais cette seule condition n’est pas suffisante pour garantir le succès des staliniens. La petite bourgeoisie n’est pas isolée du reste de la société. En dépit de son importance numérique dans certains pays, elle ne peut jouer un rôle indépendant à l’époque du déclin capitaliste. Elle doit prendre position dans le combat qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie en faveur de l’une de ces deux classes. Les staliniens chinois ne peuvent être victorieux en s’appuyant uniquement sur la petite bourgeoisie, une classe qui est incapable de résister à la pression des capitalistes. Cela est d’autant plus vrai que le prolétariat a été écrasé et le mouvement paysan isolé. Ainsi l’insurrection paysanne dans la province du Kiangsi en 1927-37 a été vaincue par le blocus capitaliste.
Le stalinisme a pu remporter de grandes victoires en Chine parce que la paralysie du prolétariat s’est accompagnée d’un effondrement du capitalisme. La guerre de 1935-1947 a affaibli les bases matérielles de la puissance capitaliste. Les masses, même celles qui soutiennent normalement la bourgeoisie, se sont retournées contre elle. Mais les mêmes conditions historiques qui ont favorisé la croissance du stalinisme, créent également des difficultés pour lui lorsque ses armées s’approchent des grandes villes. Le problème pour le stalinisme est alors de s’allier lui-même au prolétariat ou aux capitalistes. Les faits prouvent qu’il a préféré s’allier à la bourgeoise plutôt qu’au prolétariat.
Le facteur principal des succès militaires du stalinisme fut la réforme agraire d’octobre 1947. Pendant la guerre sino-japonaise, les staliniens ont abandonné la réforme agraire et se sont contentés de réduire les loyers revenant aux propriétaires. Après la guerre, le PC fut vaincu par le Kuomintang pour le contrôle des zones libérées. Les leaders staliniens reconnaissaient eux-mêmes que les paysans n’étaient pas satisfaits de leur politique réformiste et réclamaient des terres. Lors de la réunion du Comité Central du 4 mai 1946, le PC décida d’effectuer un tournant vers la réforme agraire afin de gagner le soutien de la paysannerie dans la guerre contre Tchang Kai-chek.
Pourtant, les effets de cette réforme dans les zones initialement contrôlées par les staliniens furent limités. Les propriétaires reçurent leur part dans la distribution de terre et cette part fut souvent plus importante que celle reçue par les paysans. Les paysans riches conservèrent toutes leurs terres. Mais même cette réforme limitée dut faire face à l’opposition des propriétaires fonciers qui avaient pénétré dans les rangs du PC chinois.
La "lettre ouverte aux membres du parti" publiée en janvier 1948 par le Comité Central de la région Shansi-Shantung-Honan déclarait : "Les directives actuelles du Parti visent une fraction du parti qui est composée de propriétaires et de paysans riches qui préservent les biens de leur famille et de leurs amis." Et le stalinien Nieh Yung-jin, dans son texte sur "le Renouvellement de nos Rangs", admet que "ces éléments (les propriétaires et les paysans riches) occupent la plupart des postes dans notre parti." Il va même jusqu’à déclarer que, "vue à la lumière de la réforme agraire, notre politique apparaît comme reflétant les vues des propriétaires et des paysans riches."
De plus, ces documents donnent une description très concrète de l’attitude de ces propriétaires membres du PC chinois. Ces éléments furent les principaux opposants à la réforme agraire mais quand elle eut lieu, ils cherchèrent à en obtenir le maximum d’avantages. Ils se conduisirent "toujours avec la plus grande avidité", utilisant même les forces armées pour se réserver les meilleures terres, la plupart des vivres, des outils, des maisons et des vêtements, etc. Ces éléments sont déjà devenus "un groupe opposé au peuple", opposé aux paysans pauvres et dépourvus de terres. Le document cité ajoute : "Les paysans pauvres et sans terres sont aujourd’hui dans une situation pire que jamais car ils n’ont pas assez de terre à cultiver, pas assez de maison, pas assez de vêtements. Ils n’ont même pas le droit de parler dans les comités de village. Exploités auparavant par les propriétaires, les paysans pauvres et sans terre sont maintenant exploités par ces mauvais membres du Parti."
Sous la pression de cette crise interne dans ses rangs comme du tournant à gauche de la politique extérieure du Kremlin, le PC effectua alors un nouveau tournant avec la publication le 10 octobre 1947 du "Programme de Réforme Agraire." Il s’agissait d’un appel aux masses pour compléter la réforme agraire. Mais le caractère limité de cette "orientation vers les masses" apparaissait non seulement dans le fait que la réforme agraire n’a rien changé du droit d’acheter et de vendre la terre confisquée aux propriétaires - ce qui favorisait une nouvelle concentration de terre entre les mains des paysans riches - mais aussi parce qu’elle autorisait expressément le libre transfert de capital aux entreprises industrielles et commerciales. Il apparut plus tard que la réforme elle-même s’arrêta rapidement.
La bureaucratie fut effrayée par le développement de la lutte des masses. "Les masses combattent automatiquement les mauvais membres du parti. Dans certaines régions, les membres du Parti sont arrêtés et battus par le peuple." Telle est la plainte de Liou Chao-chi dans "Leçons de la Réforme Agraire dans le Pinshang." Dans un autre document important, le Comité Central du district de Shansi-Hopei-Shantung-Honan résume ainsi le conflit entre les paysans et la ligne politique du PC :
1) Dans le but d’obtenir davantage de terres, les paysans donnent de fausses informations sur la taille des terres des propriétaires.
2) Après le partage, ils n’admettent pas que les propriétaires obtiennent davantage de terres qu’eux-mêmes.
3) Ils veulent confisquer les usines et les entreprises des propriétaires et des paysans riches.
Cela démontre clairement le conflit entre les tendances révolutionnaires des masses qui veulent exproprier complètement les classes possédantes et la tendance bureaucratique et conservatrice du PC qui, en pratique, protège les positions de ces classes. La bureaucratie accuse invariablement les masses d’"être trop à gauche" ou d’"aventurisme de gauche" afin de limiter leurs actions qui menacent la ligne stalinienne et ses alliés bourgeois.
Il fallut bientôt stopper toutes les actions des masses. Le 24 août 1948, la New China News Agency (New China press service) publia le texte d’un article du West Honan Daily News qui annonçait officiellement que la réforme agraire devait être arrêtée et que les paysans devraient se satisfaire d’une réduction des loyers, des impôts et des intérêts aux usuriers.
Ainsi, la réforme agraire qui débuta le 4 mai 1946 dans les régions antérieurement occupées par les staliniens fut interrompue en août 1948 dans les régions qu’ils occupaient depuis peu. Un document officiel du PC chinois du 22 février indique que dans les régions libérées depuis longtemps ou plus récemment, la réforme qui s’était achevée par différentes mesures avait conduit à la constitution de trois zones distinctes :
Dans la première, une petite fraction de propriétaires et de paysans riches avait acquis les terres les meilleures et les plus grandes. Dans cette zone, les paysans riches et moyens constitueraient 50 à 80 % de la population des villages et posséderaient en moyenne deux fois plus de terres que les paysans pauvres. Le Comité Central du PC chinois dit que la distribution des terres dans cette zone est terminée.
Dans la seconde zone, les paysans riches et les vieux propriétaires disposent relativement de plus de terres que dans la zone précédemment décrite. La plupart d’entre eux, selon le CC du PC, ont de meilleures et de plus grandes propriétés que les paysans pauvres et il en est de même pour les membres du Parti. Les paysans pauvres et sans terre comptent 50 à 70 % de la population villageoise et "pour la plupart d’entre eux, la vie n’a pas beaucoup changé". Ici, la distribution des terres a eu lieu, mais dans une forme incomplète.
Enfin, une troisième zone n’a connu aucune distribution de terres et les propriétaires et les paysans riches disposent de la plus grande partie de la terre alors que les paysans pauvres n’ont rien reçu. Cela provient aussi d’une information officielle du CC du PC chinois.
Il apparaît de toute évidence que la "cupidité" des propriétaires et des paysans riches, qu’ils soient ou non membres du PC, a eu les mains libres dans cette réforme et que la plupart de ceux à qui des terres ont été confisquées s’enrichissent déjà à nouveau. Les "paysans moyens" dont parle le CC dans la première zone, comprennent de nombreux exploiteurs et propriétaires fonciers.
Les soi-disant régions libérées comprennent tout le territoire situé au nord du Hoang-Ho (Fleuve Jaune). La réforme agraire était et est encore appliquée dans cette région de manière variable. Nous sommes en présence ici d’une politique typiquement stalinienne. Pour résister à la pression de la bourgeoisie, les staliniens sont forcés de s’appuyer sur les masses. Mais quand le mouvement des masses risque d’entraîner un bouleversement social, la bureaucratie stalinienne tente de canaliser ces actions et, dans sa frayeur, effectue un virage à droite, négocie avec la bourgeoisie et ordonne l’arrêt du mouvement populaire.
Politique industrielle et commerciale
Le principal frein de la réforme agraire est la politique nommée "protection de l’industrie et du commerce". Elle autorise le libre transfert des capitaux des paysans riches aux entreprises industrielles et commerciales même dans les villages et les petites villes des zones libérées. Les usines et les mines antérieurement nationalisées dans les premiers districts occupés sont peu à peu remises aux capitalistes privés. Liu Ning-i le montre clairement dans son texte sur "La politique Industrielle dans les Régions Libérées" où il écrit : "Le gouvernement veut renforcer les différents secteurs d’industrie lourde et légère. Pour cela, tout le monde, y compris les grands capitalistes, doit être mobilisé en utilisant toutes les forces et grâce à une coopération totale."
Pour contribuer au développement industriel et commercial, le PC chinois a mis en oeuvre une politique fiscale stimulant l’initiative privée à la place de la politique fiscale du Kuomintang qui étouffe l’entrepreneur. Mais le miracle de la construction rapide d’une industrie lourde dans les régions arriérés et agricoles ne s’est pas produit. La plupart des entreprises industrielles et commerciales de cette région sont de type artisanal. Il y a de petites machines. La composition organique du capital est donc très basse. Mais la propagande du PC chinois proclame que la tâche principale sur le terrain de l’industrie et du commerce est (selon Lui Ning-i) "de développer les forces productives et de réduire les coûts de production." Plus la composition organique est basse, Plus la part du capital variable, celle des salaires est importante dans la détermination du coût de production. Par conséquent, la politique industrielle et commerciale du PC chinois implique en premier lieu une baisse des salaires réels, l’allongement de la journée de travail et la surexploitation de la force de travail par la méthode bien connue du travail aux pièces.
Le PC chinois a introduit ces méthodes d’exploitation dans toutes les zones libérées. Voilà ce qu’il en est de la "politique salariale" dont il est si fier. Les documents du PC chinois parlent ouvertement de "salaires trop élevés". La journée de travail a été allongée jusqu’à 10 et même 12 heures. Non seulement le système du travail aux pièces a été introduit mais les staliniens ont tenté de le justifier sur le plan théorique. Ils expliquent que "dans le système du paiement aux pièces, les ouvriers obtiennent des salaires plus élevés si ils augmentent la production ; ils augmenteront donc la production pour obtenir des salaires plus élevés : c’est une conception très raisonnable et progressive de la rémunération du travail manuel." (Chang Per-la, "Politique du Travail et de l’Impôt dans le Développement Industriel")
Quand l’armée du PC chinois entra dans les grandes villes, elle protégea toutes les entreprises privées, chinoises ou étrangères. Seul le vieux "capital bureaucratique", c’est à dire les entreprises directement contrôlées par le gouvernement du Kuomintang, furent touchées ; même dans ce cas, les investissements des capitalistes privés dans ces "entreprises bureaucratiques" restèrent intacts. Ainsi, la politique des staliniens dans les villes est le prolongement de leur politique dans les campagnes. Et tout comme les staliniens sacrifient les intérêts des ouvriers et des paysans pauvres sous la pression de la bourgeoisie nationale, ils prendront des mesures similaires sous la pression de l’impérialisme.
Le transfert du pouvoir
Après avoir examiné les faits économiques, venons-en à la situation politique. Avant la réforme agraire dans les régions primitivement occupées, le pouvoir était déjà passé entre les mains des paysans riches et des propriétaires sans que les paysans pauvres puissent se faire entendre dans le Parti ou dans leurs organisations. Après le début de la réforme agraire, le PC chinois commença à créer des Comités de Paysans Pauvres afin d’obtenir un soutien populaire de masse à leur politique. Ces Comités groupèrent les pauvres des campagnes et permirent d’accélérer la réalisation de la réforme agraire. Les Comités de Paysans Pauvres ont donné naissance au Congrès des délégations paysannes. Au moment de leur formation, les Comités de Paysans Pauvres remplissaient toujours le rôle de véritables soviets paysans : ils confisquaient les terres des propriétaires fonciers et levaient les impôts.
Le Congrès des Délégations Paysannes remplaça les Comités de Paysans Pauvres par des Comités Paysans auxquels les paysans riches et exploiteurs appartenaient également. En fait, les documents du PC chinois se plaignent de ce que "certains de ces Comités Paysans ne comprennent même pas les paysans moyens." Il faut noter que le PC chinois ne différencie pas scientifiquement les différentes couches de la paysannerie et considère souvent les paysans riches comme des "paysans moyens". De plus, le parti est toujours constitué par des éléments riches et même souvent exploiteurs. Cela explique les plaintes constantes de la bureaucratie au sujet des paysans pauvres qui "veulent toujours tout contrôler", qui "violent la propriété des paysans moyens".
Au sujet de l’achèvement de la réforme agraire, la bureaucratie insiste particulièrement sur la dissolution des Comités de Paysans Pauvres ; tout au plus autorise-t-elle une"commission des paysans pauvres" à l’intérieur des Comités Paysans. Pour leur part, les Comités Paysans furent uniquement constitués dans un but économique. La bureaucratie a tout fait pour les empêcher de devenir une autorité politique Ce pouvoir devait passer du Congrès des Délégations Paysannes au Congrès des, Délégués du Peuple de village qui devaient devenir l’autorité politique dans le village. Il est dit expressément que ce Congrès de Village des Délégués du Peuple "réunirait toutes les classes démocratiques, c’est à dire les ouvriers, les paysans, les artisans, les professions libérales, les intellectuels, les entrepreneurs et les propriétaires éclairés." (Discours de Mao Tsé-toung au Congrès du PC du Shansi-Shuiyun) C’est donc un organe de pouvoir basé sur la collaboration de classes et qui remplace l’autorité des paysans pauvres.
Les chefs de l’"armée de libération" font preuve du même esprit conservateur et réactionnaire quand ils pénètrent dans les grandes villes. Cherchant à réconcilier les factions de l’ancien gouvernement Kuomintang, les staliniens ont considéré la "paix de Peiping" comme un modèle pour le transfert du pouvoir. Aussi ils ont démontré que ce qui comptait pour eux était seulement de gagner la confiance de la bourgeoisie Kuomintang et non celle de la classe ouvrière qui aurait détruit l’appareil d’état bourgeois dans les villes. Le PC chinois a également maintenu les moyens de répression dans les villes parmi lesquels l’infâme principe de la responsabilité collective. (Si la police ne peut trouver un "fauteur de troubles", elle peut arrêter un membre de sa famille ou un otage). Les staliniens ont aboli le droit de grève et institué l’arbitrage obligatoire. Tout comme le pouvoir des paysans pauvres fut supprimé dans l’intérêt de la collaboration de classe, les premiers efforts des ouvriers pour créer une organisation indépendante dans les villes furent étouffés par la bureaucratie.
Les syndicats ont traditionnellement servi au mouvement ouvrier d’école de la lutte de classe. Les staliniens chinois ont transformé cette formule. Pour eux, le syndicat est devenu "une école de production qui encourage les caractères productifs et positifs du prolétariat." Le devoir de défendre les intérêts des ouvriers est appelé "aventurisme gauchiste."
Dans les entreprises privées, les capitalistes ont conservé un pouvoir illimité. Dans les entreprises nationalisées - appartenant auparavant au "capital bureaucratique" - le pouvoir appartient à un comité de contrôle dont le directeur de l’usine est le président et comprenant des représentants des anciens propriétaires, des représentants de la maîtrise et des représentants des ouvriers. Mais les ouvriers disposent seulement de voix consultatives, le directeur ayant le dernier mot pour toutes les décisions.
La conséquence de cette politique anti-ouvrière, comme l’admit récemment le North East Daily News, est que "les membres du parti travaillant dans les usines abandonnent le point de vue des masses et croient que le directeur prend toutes les décisions importantes sans demander l’avis du parti et du syndicats et que le comité de contrôle est superflu." Le journal poursuit : "Il ne sera pas possible de maintenir longtemps l’attitude positive des ouvriers si nous ne les protégeons pas par des méthodes de gestion démocratique. A côté du directeur, des ingénieurs et de la maîtrise, les comités de contrôle doivent comprendre une majorité d’ouvriers, Ces ouvriers seraient élus par les syndicats ou par le Congrès des délégués Ouvriers" (Le 16 mars 1949, la New China News Agency rapporte de Mukden un article de la North East Daily News intitulé : "La démocratisation de la gestion des entreprises est une importante mesure pour augmenter la production.")
Cette citation indique que les Comités de Contrôle dans les usines nationalisées n’existent même pas dans toutes les régions primitivement occupées par les staliniens. Quand ils existent, ce sont des organes purement administratifs séparés de la classe ouvrière et qui sont devenus en fait des organes au service des directeurs. Mais quand le Congrès des Délégués ouvriers existe, il sert de corps consultatif comme les syndicats.
Le caractère du "Pouvoir du Peuple".
L’analyse faite plus haut nous procure un matériel important sur le caractère du soi-disant "pouvoir populaire" du PC chinois et son évolution future. La progression des armées a partir de la campagne vers les villes industrielles a fait passer le PC d’un pouvoir régional instable avec une base agricole isolée à un pouvoir reposant sur une base relativement stable et urbaine. Cette transformation s’est accompagnée d’une politique de collaboration de classe. Au fur et à mesure que le PC chinois s’est emparé du pouvoir national, il s’est éloigné des ouvriers et des paysans pauvres et il a cédé à la pression de la bourgeoisie. Mao Tsé-toung prétend que son pouvoir sera "une dictature populaire démocratique conduite par le prolétariat allié à la paysannerie". Mais en expliquant quelles classes forment la base de son pouvoir, il déclare franchement qu’il s’agit "des ouvriers, des paysans, des artisans indépendants, des professions libérales, des intellectuels, des capitalistes "libres" et des propriétaires "éclairés" qui ont rompu avec leur classe". Nous, marxistes, ne nous trompons pas sur cette formule ; nous comprenons que ce n’est rien d’autre qu’un pouvoir bourgeois embelli.
Aujourd’hui, alors que les armées du PC chinois s’emparent des grandes villes, ce pouvoir est encore en pleine évolution et se déplace des campagnes vers les villes. La victoire du PC chinois n’a pu être acquise sans le soutien armé de la paysannerie qui résulte d’un compromis entre ces armées et la bourgeoisie. Nous pouvons nous rendre compte pourtant, en fonction de son attitude conservatrice envers la classe ouvrière et les paysans pauvres et de sa peur des actions de masse, que le PC s’oriente vers une dictature militaire. Presque toutes les villes ont été placées sous contrôle militaire direct. Les bureaucrates se dégagent tellement des organisations de masse qu’ils sont obligés de s’appuyer directement sur l’armée, la police et les services secrets. Bien sur, ce processus est encore loin d’être achevé. Il en est seulement à son début mais son futur développement peut déjà être discerné.
Les perspectives du stalinisme chinois
L’évolution de la Chine a d’importantes conséquences :
1. Dans les campagnes :
a) Dans les "régions anciennement ou plus récemment libérées" où la réforme agraire a été effectuée ou est en voie d’achèvement, les nouveaux paysans riches et propriétaires, parmi lesquels se trouvent des membres du parti qui ont acquis de nombreux privilèges, constituent les principaux éléments dans le Congés de village des Délégués du Peuple alors que les comités paysans, lorsqu’ils avaient un pouvoir réel, ont été subordonnés à des "gouvernements de coalition" à l’échelon du village. Les paysans pauvres, éternelles victimes, sont mécontents du pouvoir exercé par les membres locaux du parti et des paysans riches qui proviennent d’une nouvelle différenciation.
b) La réforme agraire a été stoppée dans les régions "récemment libérées". Les anciens paysans riches et propriétaires sont considérés comme la composante principale dans la formation du "gouvernement de coalition". Les paysans pauvres, incapables de satisfaire leurs besoins, continueront comme auparavant la lutte de classe en introduisant des oppositions dans les rangs du mouvement stalinien lui-même.
2. Dans les villes :
Ces différenciations et ces contradictions conduisent à la formation de nombreuses tendances oppositionnelles au sein du mouvement stalinien mais celles-ci sont encore régionales, isolées, individualistes et souvent de type paysan. Elles sont condamnées et réprimées comme manifestations d’"aventurisme gauchiste" et de "trotskysme". Un grand nombre d’ouvriers rejoindront le PC après l’entrée des armées staliniennes dans les villes mais la politique anti-ouvrière de la bureaucratie fera naître un mécontentement parmi le prolétariat. Leur résistance aggravera la lutte de classe dans les rangs des staliniens eux-mêmes. Les ouvriers éduqués tenteront de former des groupes d’opposition politique. Cela marquera le début de l’effondrement du stalinisme en Chine.
3. A l’échelle nationale :
Le PC chinois s’oriente vers un pouvoir basé sur la collaboration de classe. Il exercera le pouvoir en maintenant les anciennes bases sociales de la Chine et se trouvera face à face avec les anciennes difficultés. Pour les résoudre sur le plan économique comme sur le plan politique, la bureaucratie ne pourra se contenter de petites réformes partielles (comme le sacrifice du "capital bureaucratique" et d’une partie des intérêts des landlords). Elle ne recevra aucune aide substantielle du Kremlin. La réputation du Kremlin est déjà mauvaise dans la population chinoise : il demande des services pour lesquels il ne donne rien en échange. La seule voie ouverte au PC chinois est l’utilisation de la bourgeoisie nationale pour mendier l’assistance de l’impérialisme. Etant moins capable de résister à la pression impérialiste que Tito, Mao Tsé-toung entrera plus rapidement en conflit avec l’ "internationalisme" de Staline (lisez : le nationalisme grand-russien). (…) »

Messages

  • Voilà ce qu’écrivaient sur cette révolution anti-prolétarienne les pseudos trotskistes de la LCR-NPA :

    « La révolution chinoise l’a emporté dans un pays où le capitalisme n’était encore que très inégalement développé. Elle n’en a pas moins fait naître une société dite de transition dont l’horizon pouvait être socialiste. Ce processus – appelé révolution « permanente » dans la tradition trotskyste ou « ininterrompue » dans la tradition maoïste – montre que les concepts élaborés pour penser la révolution russe peuvent aussi être utilisés dans le cas de la Chine. Ils doivent cependant être adaptés à une société fort différente et ouvrir la réflexion sur les alliances sociales à même de porter durablement la dynamique révolutionnaire (retour sur les questions paysanne et femmes). »

    Perspective socialiste sans intervention du prolétariat, tu parles !

    Source

  • Entre autres bévues monumentales de cet article ’trotskiste" ou prétendu tel de Pierre Rousset, dirigeant de la prétendue IVe Internationale :

    Avec le développement du PCC, on assiste ainsi à un double mouvement d’internationalisation de la pensée chinoise et de « nationalisation », de « sinisation », du marxisme...

    Au xxe siècle, la Chine a constitué l’une des principales expériences qui a nourri la réflexion marxiste et, plus largement, la pensée révolutionnaire....

    La Chine a vu naître un courant, le maoïsme, qui n’était à proprement parlé ni stalinien ni antistalinien...

    Cependant, la Chine, maître en contre-révolution, ne doit pas cacher la Chine maître en révolution.

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