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Qu’est-ce que la gravitation quantique à boucles ?

lundi 22 mars 2010

"Des atomes d’espace et de temps"

Il y a cent ans encore, la plupart des scientifiques pensaient que la matière était continue. Depuis l’Antiquité, philosophes et scientifiques caressaient l’idée qu’en divisant la matière en parties assez petites, on finirait par rencontrer des entités minuscules et indivisibles, c’est-à-dire des atomes. Toutefois, certains pensaient que leur existence ne serait jamais prouvée. Aujourd’hui, nous pouvons visualiser des atomes isolés et nous étudions les particules qui les composent. Les caractéristiques granulaires de la matière nous sont devenues familières. Au cours des dernière décennies, des physiciens et des mathématiciens se sont demandé si l’espace n’était pas, lui aussi, constitué d’entités discrètes. Est-il continu, comme nous l’avons appris à l’école, ou ressemble-t-il davantage à un morceau d’étoffe, tissé de fibres distinctes ? Si nous sondions l’espace à des échelles suffisamment petites découvririons-nous des "atomes" d’espace, de minuscules volumes irréductibles, impossibles à diviser en constituants plus petits ? Et qu’en est-il du temps ? Le monde physique change-t-il de façon continue, ou, au contraire, évolue-t-il par bonds minuscules, un peu comme un ordinateur ?
Au cours des seize dernières années pour tenter de répondre à ces question, les physiciens ont élaboré une théorie nommé Gravitation quantique à boucles. Cette dernière prédit que l’espace et le temps sont effectivement constitués d’entités fondamentales discrètes, et les calculs faits dans ce cadre révèlent un monde à la fois simple et élégant. La Gravitation quantique à boucles a éclairé d’une façon nouvelle certains phénomènes étranges, tels les trous noirs et le big-bang. De surcroît, nous pourrons la mettre à l’épreuve de l’expérience : elle prédit les résultats d’expériences que nous pourrons réaliser dans un futur proche, et qui nous permettront de savoir si oui ou non les atomes d’espace-temps existent.

Concilier l’inconciliable

Nous avons élaboré la théorie de la Gravitation quantique à boucles, alors que nous nous heurtions à une difficulté tenace de la physique : la conception d’une théorie quantique de la gravitation. Afin d’expliquer pourquoi c’est une question importante – et comment elle nous a conduits aux propriétés granulaires de l’espace-temps –, retraçons à grands traits la théorie quantique, d’une part, et la théorie de la gravitation, de l’autre.
La Mécanique quantique a été formulée au cours du premier quart du XXème siècle, et résulte des travaux qui ont confirmé que la matière est constituée d’atomes. Les équations de la Mécanique quantique exigent que certaines grandeurs, telle l’énergie d’un atome, ne prennent que des valeurs discrètes. La théorie quantique prédit avec succès les propriétés et le comportement des atomes, des particules qui les composent et des forces qui les gouvernent. En fait, les succès de cette théorie sont sans précédent dans toute l’histoire des sciences. Elle sous-tend notre compréhension de la chimie, de la physique atomique et subatomique, de l’électronique et même de la biologie.
Simultanément, Albert Einstein construisait la Relativité générale, qui est une théorie de la gravitation. Selon cette dernière, la force gravitationnelle est une conséquence du fait que l’espace et le temps sont déformés par la présence de matière. On obtient une vague analogie de ce phénomène en plaçant une boule de bowling sur une mince feuille de plastique où l’on fait aussi rouler une bille. Les deux sphères représentent le Soleil et la Terre tandis que la feuille de plastique est l’espace lui-même. La boule de bowling creuse une profonde dépression dans la feuille, et la bille suit la pente de la boule, comme si une force – la gravitation – l’attirait. De même, toute matière ou toute concentration d’énergie déforme la géométrie de l’espace-temps, déviant d’autres particules ou des rayons lumineux. C’est ce phénomène que nous nommons gravité.
La Mécanique quantique et la théorie de la Relativité générale d’Einstein ont été, chacune de leur côté, confirmées par l’expérience avec une précision étonnante. Cependant jusqu’à présent, aucune expérience n’a exploré de système dont la description théorique nécessiterait l’une et l’autre des deux théories. Cela tient au fait que les effets quantiques sont prédominants à très petite échelle, tandis que les effets relevant de la Relativité générale requièrent de grandes quantités d’énergie … et ces conditions ne sont réunies qu’exceptionnellement.
Ce manque de données expérimentales s’accompagne d’une énorme difficulté conceptuelle. La théorie de la Relativité générale est fondamentalement une théorie classique, c’est-à-dire non quantique. Or, si la physique, dans son ensemble, est cohérente il doit exister une théorie unique qui, d’une façon ou d’une autre, rassemble la Mécanique quantique et la Relativité générale. Cette théorie tant attendue est la gravitation quantique. Puisque la Relativité générale traite de la géométrie de l’espace-temps, une théorie quantique de la gravitation sera également une théorie quantique de l’espace-temps.

Des volumes discrets

Les physiciens ont développé un impressionnant outillage mathématique afin de transformer les théories classiques en théories quantiques. Ces méthodes furent appliquées à la Relativité générale mais en vain. Les calculs effectués dans les années 1960-70 semblaient montrer que la théorie quantique et la Relativité générale ne pourraient jamais être combinées correctement. Il semblait donc nécessaire de recourir à des postulats ou des principes totalement nouveaux, qui n’étaient inclus ni dans la théorie quantique ni dans la Relativité générale, par exemple de nouvelles particules, de nouveaux champs, ou toute autre nouvelle entité. À l’aide d’un tel artéfact, ou d’une nouvelle structure mathématique, on espérait développer une théorie de type quantique qui, lorsqu’on considérerait son approximation dans le domaine classique redonnerait les résultats de la Relativité générale. Afin de conserver les puissantes prédictions de la Mécanique quantique et de la Relativité générale, ces ingrédients exotiques devraient rester inaccessibles à l’expérience, sauf dans quelques circonstances exceptionnelles où les deux théories partielles président à des effets notables. Parmi les différentes approches relevant de cette stratégie, citons la théorie des twisteurs, la géométrie non-commutative ou encore la super-gravitation.
Aujourd’hui, la voie la mieux explorée par les physiciens est celle de la théorie des cordes selon laquelle l’espace a six ou sept dimensions – pour le moment inobservées – en plus des trois qui nous sont familières. La théorie des cordes prédit également un grand nombre de nouvelles particules élémentaires et de forces fondamentales dont l’existence n’est encore qu’hypothétique. Certains physiciens pensent que la théorie des cordes serait elle-même incluse dans une théorie plus vaste, nommé théorie M, mais aucune définition précise n’en a encore été donnée. Pour toutes ces raisons, de nombreux physiciens et mathématiciens pensent qu’il faut explorer de nouvelles pistes, et la Gravitation quantiques à boucles en est une.
Au milieu des années 1980, nous avons été plusieurs dont Abhay Ashtekar, de l’Université de Pennsylvanie, Ted Jacobson, de l’Université du Maryland, et Carlo Rovelli, de l’Université de Méditerranée à Marseille, à réexaminer les tentatives de quantification de la Relativité générale, à l’aide des techniques mathématiques standards. Nous savions que tous les résultats infructueux obtenus dans les années 1970 reposaient sur l’hypothèse d’un espace continu, quelle que soit l’échelle considérée (de même qu’avant la découverte des atomes on admettait que la matière était continue). Et si cette hypothèse était fausse ? Les anciens calculs seraient à revoir de fond en comble.

Un gros accroc

Nous avons commencé par chercher une façon de faire les calculs sans supposer que l’espace est lisse et continu. De plus, nous avons veillé à ne faire aucune supposition qui aille au-delà des principes bien établis par l’expérience et déjà contenus dans la Relativité générale et dans la Mécanique quantique. En particulier, nous avons conservé deux des principes clés de la Relativité générale.
Le premier de ces principes est l’indépendance d’arrière-plan, stipulant que la géométrie de l’espace-temps n’est pas fixe mais qu’il s’agit au contraire, d’une quantité dynamique en perpétuelle évolution. Pour la déterminer, on doit résoudre certaines équations qui décrivent tous les effets de la matière et de l’énergie. À ce propos, la théorie des cordes, telle qu’elle est formulée aujourd’hui, n’obéit pas à ce principe. Les équations qui décrivent les cordes opèrent dans un espace-temps classique (non quantique) prédéterminé.
Le seconde principe, désigné pas le terme d’invariance par difféomorphisme, est très lié à l’indépendance de l’arrière-plan, et se rapporte aux coordonnées dans l’espace d’un événement : on peut choisir n’importe quelle coordonnée d’espace et de temps. Ce système de coordonnées s’apparente à la longitude et à la latitude utilisées à la surface de la Terre, mais sous une forme généralisée à un espace-temps comportant quatre dimensions. Cette invariance garantit que les équations d’une théorie conservent la même forme dans tout système de coordonnées bien choisi. Un point de l’espace-temps n’est défini que par les événements physiques qui s’y découlent, non par un jeu spécial de coordonnées (aucune coordonnée n’est "spéciale"). L’invariance par difféomorphisme est un outil puissant qui a guidé Einstein lors des premiers développements de la Relativité générale.
En combinant ces deux premiers principes aux techniques standards de la Mécanique quantique, nous avons élaboré un langage mathématique grâce auquel il nous fut possible de déterminer si l’espace est discret ou continu. Pour notre plus grande joie, les calculs ont montré que l’espace est quantifié. Nous venions de poser les bases de la théorie de la Gravitation quantique à boucles, ce qualificatif provenant du fait que certains des calculs font apparaître de petites boucles dans l’espace-temps. Depuis, ces calculs ont été refaits par de nombreux théoriciens utilisant une large gamme de méthodes différentes. Avec les années, l’étude de la Gravitation quantique à boucles est devenue un domaine de recherche en plein essor, auquel travaillent de nombreuses équipes dans le monde. Nos efforts combinés nous permettent d’accorder une grande confiance à l’image de l’espace-temps, dont je vais esquisser les grandes lignes.
La théorie de la Gravitation quantique à boucles est une théorie quantique de la structure de l’espace-temps aux échelles infiniment petites. Pour expliquer ses principes, examinons ce qu’elle prédit pour un volume microscopique de l’espace. Précisons d’abord les grandeurs physiques mesurées. Considérons une région, quelque part dans l’espace, délimitée par une frontière F (voir États quantiques d’espace). Cette frontière peut correspondre à une limite matérielle concrète, telle une coquille de fer, ou être définie par la géométrie de l’espace-temps lui-même, par exemple l’horizon des événements autour d’un trou noir (c’est-à-dire la surface à l’intérieur de laquelle rien pas même la lumière, ne peut échapper à l’emprise gravitationnelle du trou noir).
Et si nous mesurions le volume de cette région ? Quels sont les résultats autorisés à la fois par la Mécanique quantique et par l’invariance par difféomorphisme ? Si le résultat peut être un nombre réel quelconque, c’est que la région étudiée peut avoir n’importe quelle taille (aussi proche de zéro que l’on souhaite). Dans ce cas, la géométrie de l’espace est continue. En revanche, si le résultat de la mesure ne peut prendre qu’un ensemble de valeurs discrètes non nulles et ne peut être inférieur à une certaine valeur minimale, la géométrie de l’espace est granulaire.

États quantiques d’espace.

Une des prédictions centrales de la Gravitation quantique à boucles concerne la mesure des aires et des volumes. Considérons une coquille sphérique délimitant la frontière F d’une région de l’espace. Selon la physique classique (c’est-à-dire non quantique), ce volume peut prendre n’importe quelle valeur réelle positive. Au contraire, selon la théorie de la gravitation à boucles, d’une part, il existe un volume minimal absolu non-nul (10-105 mètre cube, soit la longueur de Planck au cube) et, d’autre part, pour les volumes supérieurs à cette limite, les valeurs possibles sont limitées à une série discrète de nombres. De même, l’aire de la surface de la sphère est au moins égale à 10-70 mètre carré (la longueur de Planck au carré), et ne peut prendre qu’une série discrète de valeurs supérieures.

Quanta d’aire et de volume

C’est le même problème que celui que pose le calcul de l’énergie des électrons circulant autour d’un noyau atomique. La mécanique classique prédit qu’un électron peut avoir une quantité quelconque d’énergie, tandis que la Mécanique quantique n’autorise que certaines énergies et que l’on ne mesure jamais d’énergie comprise entre ces valeurs. La distinction est analogue à celle que sépare la mesure d’une quantité s’écoulant continûment (l’eau, telle qu’on l’imaginait au XIXème siècle) et la mesure d’une quantité dénombrable (les atomes dans cette même eau).

La théorie de la Gravitation quantique à boucles prédit que l’espace est discontinu, c’est-à-dire que les résultats possibles de la mesure expérimentale d’un volume sont contenus dans un ensemble discret de valeurs. On peut également mesurer l’aire de la frontière F. Encore une fois, les calculs fondés sur notre théorie indiquent que cette aire est elle aussi, quantifiée. En d’autres termes, l’espace n’est plus continu, mais constitué de quanta spécifiques d’aire et de volume.
La valeur de ces quanta d’aire et de volume est calculée à partir d’une grandeur nommée longueur de Planck. Cette longueur est liée à l’intensité de la gravitation, à la taille des quanta et à la vitesse de la lumière. Elle correspond à l’échelle au-dessous de laquelle la géométrie de l’espace ne peut plus être considérée comme continue. La longueur de Planck est infinitésimale, de l’ordre de 10-35 mètre. La plus petite aire possible est la carré de la longueur de Planck, soir 10-70 mètre carré. Le plus petit volume non nul est la longueur de Planck au cube, c’est-à-dire 10-105 mètre cube. Ce quantum d’espace est minuscule ! Ainsi, la théorie prédit qu’il y a 10105 "atomes de volume" dans un mètre cube d’espace ; beaucoup plus qu’il n’y a de mètres cubes dans tout l’Univers observable. (1091) !
Quelles autres prédictions notre théorie fait-elle sur l’espace-temps ? L’espace est-il constitué d’une multitude de petits cubes ou de petites sphères ? La réponse est non, ce n’est pas aussi simple, mais nous pouvons dessiner des diagrammes que représentent ces états quantiques d’aire et de volume. Pour comprendre comment fonctionnent ces diagrammes imaginons que nous ayons un morceau d’espace en forme de cube. Dans notre diagramme, ce cube sera un point – le volume – d’où partent six lignes, chacune représentant une face du cube. Nous écrivons un nombre près du point qui indique le volume et un nombre sur chaque ligne, correspondant à l’aire de la face représentée par cette ligne.
Supposons que l’on pose une pyramide au-dessus du cube. Ces deux polyèdres, qui ont une face commune, seraient représentés par deux points (deux volumes) reliés par une ligne (la face qui joint les deux volumes). Le cube a cinq autres faces et nous dessinons cinq lignes qui partent du point correspondant. La pyramide en a quatre, représentées par quatre lignes issues du second point. Ainsi, nous savons comment il faut procéder pour représenter, à l’aide de ces diagrammes, des arrangements compliqués comportant des polyèdres plus complexes que des cubes ou des pyramides : chaque polyèdre est représenté par un point, ou nœud, et chaque face plane par une ligne. Ces lignes relient les nœuds de la même façon que les faces forment les polyèdres. Les mathématiciens qualifient ces diagrammes de graphes.

Réseaux de spins

Dans notre théorie, nous oublions les polyèdres et nous ne conservons que les graphes. Les mathématiques qui décrivent les états quantiques de volume et d’aires nous fournissent un ensemble de règles qui déterminent la façon dont les nœuds et les lignes peuvent être connectés, et quels nombres peuvent être associés à tel point ou à telle ligne. Chaque état quantique peut être représenté par l’un de ces graphes, et chaque graphe qui obéit aux règles du jeu correspond à un état quantique possible. Les graphes sont pratiques pour résumer tous les états quantiques possibles de l’espace.
Les graphes constituant une meilleure représentation des états correspondant à des états quantiques possibles sont connectés d’une façon trop particulière pour être traduits par un empilement de polyèdres jointifs. Par exemple si l’espace est courbé, on ne peut dessiner de polyèdres qui s’emboîtent correctement, alors que l’on peut dessiner un graphe, et l’on sait déterminer la courbure de l’espace qu’il représente. Puisque cette courbure est la cause de la gravitation, ces diagrammes représentent une théorie quantique de la gravitation.
Bien que par souci de simplicité nous dessinions souvent des graphes à deux dimensions, il vaut mieux se les représenter dans un espace à trois dimensions. Cependant, nous devons éviter un piège conceptuel : les nœuds et les lignes ne sont pas localisés dans l’espace. En fait chaque graphe est défini par la façon dont les éléments sont connectés et par leurs relations avec des frontières bien définies, telle la frontière F. L’espace continu que ces graphes occupent dans notre imagination n’existe pas en tant que tel. Tout ce qui existe, ce sont les nœuds et les lignes : ils sont l’espace, et la façon dont ils sont connectés représente la géométrie de cet espace.
Ces graphes sont qualifiés de réseaux de spins, parce qu’ils furent d’abord utilisés pour étudier les spins. Dans les années 1960, Roger Penrose de l’Université d’Oxford a, le premier, suggéré que ces réseaux pourraient aussi jouer un rôle dans la gravitation quantique. En 1994 nous avons constaté que des calculs précis confirmaient son intuition. Par ailleurs, malgré leur apparente ressemblance, nos réseaux de spins ne sont pas des diagrammes de Feynman, lesquels représentent des interactions de particules passant d’un état quantique à un autre : au contraire, nos diagrammes représentent un état quantique déterminé de volumes et d’aires.
Chaque nœud et chaque ligne de ces diagrammes définissent une petite portion d’espace. Un nœud correspond en général à une longueur de Planck au cube, et une ligne est souvent une surface d’une longueur de Planck au carré. Toutefois, en principe, rien ne limite la taille ou la complexité d’un diagramme de spins. Si nous pouvions dessiner un diagramme détaillé de l’état quantique de notre Univers – la géométrie de tout l’espace courbée et cisaillée par l’action gravitationnelle des galaxies, des trous noirs et des divers constituants –, nous obtiendrions un réseau de spins gigantesque, d’une complexité inimaginable, comportant approximativement 10184 nœuds.
Ces réseaux de spins décrivent la géométrie de l’espace. Qu’en est-il maintenant de la matière et de l’énergie contenues dans cet espace, et comment y représentons-nous les particules et les champs ? Les particules élémentaires, par exemple les électrons, sont représentées par certains types de nœuds auxquels nous attribuons en plus du volume, des étiquettes supplémentaires que décrivent leurs attributs et propriétés. Les champs, par exemple le champ électromagnétique, sont représentés, eux, par des étiquettes supplémentaires ajoutées sur les lignes du graphe. Le mouvement de ces particules et de ces champs dans l’espace correspond au déplacement par sauts des étiquettes sur le réseau.
Les particules et les champs ne sont pas les seules entités susceptibles de se déplacer. Selon la Relativité générale, la géométrie de l’espace change au cours du temps. Les "bosses" et les "creux" de l’espace se modifient à mesure que la matière et l’énergie se déplacent, et des ondes peuvent la traverser, telles des rides à la surface d’un lac. Dans la Gravitation quantique à boucles, ces ondes gravitationnelles sont représentées par des modifications dans les graphes. Elles évoluent dans le temps par une succession de sauts, au cours desquels la connectivité des graphes est modifiée.
Lorsque les physiciens décrivent un phénomène à l’aide de la Mécanique quantique, ils déterminent les modalités selon lesquelles il peut se produire, et attribuent à chacune une probabilité. Nous faisons la même chose lorsque nous appliquons la théorie de la gravitation à boucles à la description des phénomènes physiques, qu’il s’agisse du mouvement de particules ou de champs sur des réseaux de spins ou de la géométrie de l’espace et de son évolution dans le temps. Thomas Thiermann, de l’Institut de physique théorique de l’Université de Waterloo, au Canada, a calculé les probabilités quantiques précises de chaque saut permis sur le réseau de spins. Avec ces probabilités, la théorie est complètement déterminée : nous disposons ainsi d’une procédure bien définie pour calculer la probabilité de n’importe quel phénomène se déroulant dans un monde obéissant aux règles de notre théorie. Il ne reste plus qu’à faire ces calculs et à prévoir l’issue de telle ou telle expérience.
Les théories d’Einstein de la relativité restreinte et générale rassemblent l’espace et le temps dans une entité unique que l’on nomme espace-temps. Les réseaux de spins qui représentent l’espace dans la théorie de la Gravitation quantique à boucles adaptent le concept d’espace-temps sous la forme de ce que nous nommons une "mousse" de spins. En ajoutant une dimension supplémentaire – le temps – les lignes et les nœuds d’un réseau de spins croissent pour devenir respectivement des surfaces bidimensionnelles et des lignes. Les points de transition où le réseau de spins change (correspondant aux sauts sur le réseau) sont représentés par des nœuds où se croisent les lignes dans la mousse. L’image "mousse de spins" de l’espace-temps a notamment été proposée par Carlo Rovelli, Mike Reisenberg de l’Université de Montevideo et John Barret de l’Université de Nottingham, pour n’en citer que quelques-uns.

Représentation shématique d’une mousse de spinsUne mousse de spins

Dans la conception de l’Univers qui fait appel à l’espace-temps, un instantané du monde n’est autre qu’une tranche découpée dans l’espace-temps. De la même façon, lorsque l’on découpe une telle tranche dans une mousse de spins, on obtient un réseau de spins. Il serait cependant incorrect d’imaginer que cette tranche se transforme de façon continue le long de la dimension temporelle de la mousse de spins. Au contraire, de même que l’espace est défini par la géométrie discrète du réseau de spins, le temps est défini par la séquence des différents sauts qui président au réarrangement du réseau. De cette façon, le temps apparaît, lui aussi, discret : il ne s’écoule pas tel un flot continu mais comme les "tic" et les "tac" d’une horloge, chacun durant à peu près un temps de Planck (la longueur de Planck divisée par la vitesse de la lumière), soit 10-43 seconde. Pour être plus précis, disons que dans notre Univers le temps s’écoule comme le tic-tac d’une multitude d’horloge puisque, dans un sens, un quantum de temps s’écoule en chaque point de la mousse où un saut quantique est effectué.
Ce qui précède est une description de l’espace-temps à l’échelle de Planck, conforme à la théorie de la Gravitation quantique à boucles. Malheureusement, l’échelle est si petite qu’il est impossible de tester directement nos prédictions. Dès lors, comment pouvons-nous tester notre théorie ? Il est d’abord impératif de vérifier que la théorie classique de la Relativité générale est bien une approximation de la théorie de la Gravité quantique à boucles. En d’autres termes, si l’on compare les réseaux de spins aux fibres tissées qui constituent une étoffe, cela revient à se demander si l’on pourrait retrouver les propriétés élastiques de cette étoffe en calculant une moyenne sur des milliers de fibres. Autrement dit, moyennés sur de très nombreuses longueurs de Planck, les réseaux de spins décrivent-ils la géométrie de l’espace et son évolution d’une façon compatible avec "l’étoffe" continue de la théorie classique d’Einstein ? C’est une question difficile, mais, récemment, les théoriciens ont fait des progrès dans certains cas particuliers, pour certaines configurations de l’étoffe pourrait-on dire. Ainsi, on a montré que les ondes gravitationnelles de grande longueur d’onde, se déplaçant dans un espace plan (c’est-à-dire sans courbure), peuvent être décrites comme des excitations de certains états quantiques de la théorie de la Gravitation quantique à boucles.
On peut également étudier ce que la Gravitation quantique à boucles apporte comme éléments nouveaux à certains mystères apparus dans le cadre de la Relativité générale et de la théorie quantique, par exemple, les questions que soulève la thermodynamique des trous noirs et notamment, leur entropie, liée au désordre. Les théoriciens ont établi des prédictions concernant la thermodynamique des trous noirs, en utilisant une théorie approximative et hybride où la matière est traitée à l’aide de la Mécanique quantique, mais dont l’espace-temps est absent. Une théorie complète de la gravitation quantique devrait reproduire ces prédictions. Dans les années 1970, Jacob Bekenstein, à l’Université hébraïque de Jérusalem, postula qu’il fallait attribuer aux trous noirs une entropie proportionnelle à leur surface. Peu de temps après, Stephen Hawking en déduisit que les trous noirs, en particuliers les plus petits, doivent émettre du rayonnement. Ces prédictions comptent parmi les résultats les plus importants de la physique théorique obtenus au cours des trente dernières années.
Pour faire ces calculs dans le cadre de la Gravitation quantique à boucles, nous choisissons la frontière F correspondant à l’horizon des événements d’un trou noir. Lorsque nous analysons l’entropie des états quantiques adéquats, nous retrouvons exactement les résultats de J. Bekenstein. La théorie reproduit également les prédictions de S. Hawking concernant le rayonnement des trous noirs. En fait, elle fournit des prédictions supplémentaires quant à la structure fine du spectre de ce rayonnement.
Si nous observons un jour un trou noir microscopique, cette prédiction pourra être testée par l’étude du spectre du rayonnement qu’il émet. Malheureusement, ceci pourrait n’avoir lieu que dans un futur très lointain, car nous ne disposons pas des techniques nécessaires pour fabriquer un trou noir, aussi petit fût-il.
Tout test expérimental de la théorie de la Gravitation quantique à boucles apparaît d’abord comme un immense défi technique. Les effets caractéristiques de la théorie ne deviennent significatifs qu’à l’échelle de Planck, à laquelle les minuscules quanta d’aire et de volume deviennent perceptibles. Aujourd’hui l’échelle de Planck est inférieure de seize ordres de grandeur à celle que l’on pourra tester dans les plus puissants accélérateurs en construction (plus la distance à sonder est petite, plus l’énergie nécessaire est grande). Par conséquent, on n’atteindra pas l’échelle de Planck de cette façon, et beaucoup de physiciens ont abandonné l’espoir de tester un jour les théories quantiques de la gravitation.
Toutefois, au cours des dernières années, des chercheurs ont imaginé de nouvelles façons de tester dès aujourd’hui la Gravitation quantique à boucles. Ces méthodes reposent sur la propagation de la lumière à travers le cosmos. Lorsque la lumière se déplace dans un milieu, sa longueur d’onde subit des altérations qui conduisent à des effets tels que la déviation des rayons lumineux dans l’eau ou la séparation des longueurs d’onde (la décomposition des couleurs). Ces phénomènes doivent aussi se produire dans le cas où les photons (ou d’autres particules) se déplacent dans l’espace granulaire décrit par un réseau de spins.
Malheureusement l’amplitude de ces effets est proportionnelle au quotient de la longueur de Planck par la longueur d’onde de la lumière. Pour le rayonnement visible, ce rapport est inférieur à 10-28 et il est de l’ordre d’un milliardième, même pour les rayons cosmiques les plus puissants jamais observés. Ainsi, pour tous les rayonnements que nous pouvons détecter, les effets de la structure granulaire de l’espace-temps sont infimes. Toutefois, ces effets s’accumulent lorsque les distances parcourues sont très longues. Or, dans le cas de cataclysmes astrophysiques, tels que les sursauts gamma, nous détectons des photons et des particules émis sur une vaste gamme d’énergie au cours d’une explosion très brève, et qui ont parcouru plusieurs milliards d’année lumière. Rodolfo Gambini, de l’Université d’Uruguay, Jorge Pullin, de l’Université de Louisiane, notamment, ont calculé dans le cadre de la théorie de la Gravitation quantique à boucles, que les photons émis au même moment à diverses énergies devraient voyager à des vitesses légèrement différentes et, par conséquent nous parvenir à des moments distincts. Nous pouvons rechercher ces effets dans les données recueillies par les satellites qui enregistrent les sursauts gamma. Pour le moment la précision de ces détecteurs spatiaux est mille fois inférieure à la précision requise, mais un nouveau satellite d’observation nommé GLAST dont la mise en service est prévue pour 2006 sera assez précis.

Des indices cosmiques

La Gravitation quantique à boucles ne se contente pas de faire des prédictions sur certains phénomènes spécifiques, comme les protons cosmiques de très haute énergie. Elle ouvre une nouvelle fenêtre sur des questions cosmologiques ; telle l’origine de l’Univers. Nous pouvons utiliser la théorie pour étudier les périodes toutes proche du commencement du temps, juste après le big-bang. La Relativité générale prédit qu’il y a eu un commencement au temps, au premier moment, mais cette conclusion ne tient pas compte de la physique quantique (puisque la Relativité générale n’est pas une théorie quantique). Martin Bojowald, de l’Institut Max Planck de physique gravitationnelle à Golm, en Allemagne, a récemment démontré, dans le cadre de la Gravitation quantique à boucles que la "grande explosion" du big-bang est, en fait, un grand rebond : avant ce rebond, l’Univers était en contraction rapide. Les théoriciens travaillent d’arrache-pied pour établir les prédictions sur l’état de l’Univers primordial qui pourraient être testées lors de futures observations cosmologiques. Il n’est pas impossible que l’on découvre, de notre vivant, des indices sur ce qui se passait avant le big-bang.
La constante cosmologique – une énergie de densité positive ou négative qui imprégnerait l’espace vide – constitue une question tout aussi importante. À la fin des années 1990, l’observation de supernovae lointaines et l’étude du fond du rayonnement cosmologique ont fourni des indices suggérant que cette énergie existe et qu’elle est positive, ce qui signifie qu’elle accélère l’expansion cosmique. Cette densité d’énergie positive est tout à fait comparable avec la Gravitation quantique à boucles. Ceci a été démontré dès 1989, lorsque Hidéo Kodama, de l’Université de Kyoto, formula les équations décrivant l’état quantique exact d’un univers doté d’une constante cosmologique positive.

LA théorie ?

La Gravitation quantique à boucles soulève encore bien des questions auxquelles il nous faut répondre. Certaines sont des problèmes techniques qui devront être clarifiés. Nous aimerions également savoir si la relativité restreinte doit être modifiée aux très hautes énergies et, dans l’affirmative comment. Jusqu’ici, nos spéculations ne sont pas solidement reliées à la Gravitation quantique à boucles.

Nous voudrions également savoir si la Relativité générale classique est une bonne approximation à des échelles bien supérieures à l’échelle de Planck de la théorie de la Gravitation quantique à boucles, quelles que soient les circonstances (nous avons déjà signalé que, pour le moment, nous l’avons seulement vérifié pour certains états décrivant la propagation d’ondes gravitationnelles assez faibles sur un espace-temps par ailleurs plan). Enfin, nous voudrions savoir si la Gravitation quantique à boucles est liée au problème de l’unification. Les différentes interactions de la nature – y compris la gravitation – sont-elles des aspects différents d’une unique force fondamentale ? La théorie des cordes est fondée sur un ensemble de concepts qui permettent cette unification mais il existe également des idées pour y parvenir dans le cadre de la Gravitation quantique à boucles.

La théorie de la Gravitation quantique à boucles occupe une place très importante dans le développement actuel de la physique. En effet on peut affirmer qu’elle est LA traduction quantique de la théorie de la Relativité générale, parce qu’elle ne repose sur aucune supposition au-delà des principes de base de la théorie quantique et de la Relativité générale. Un résultat remarquable – à savoir que l’espace-temps est discontinu et décrit par des réseaux et par des mousses de spins – émerge des mathématiques de la théorie elle-même et n’est pas un postulat ad hoc.

Pourtant, toute cette discussion reste théorique. Peut-être, malgré tout, l’espace est-il réellement continu, quelle que soit l’échelle à laquelle on le considère. Si tel est le cas les physiciens devront adopter des postulats plus radicaux, tels ceux de la théories des cordes : l’expérience tranchera. La bonne nouvelle est que sans doute on le saura rapidement.

La Gravitation quantique à boucles

d’après Lee Smolin

Messages

  • En effet, l’univers est bien fait d’atomes d’espace-temps mais on retrouve toujours les mêmes erreurs quant à sa taille, sa morphologie, la pauvre approche réductionniste et surtout le manque de prémisses fondatrices solides.

     la taille : le seul argument dimensionnel pour justifier les unités de Planck est très loin de suffire. Une cascade d’arguments tous convergents, montre que la taille du volume élémentaire est en fait l’intervalle entre tachyons formant réseau dynamique. Cet intervalle est la longueur de Compton de l’électron. La taille transversale d’un tachyon est 10^11 fois supérieure à la longueur de Planck et l’intervalle est (10^11)^2 fois plus grand. De plus, il existe une seconde subdivision (observée) de condensats de Bose Einstein (BEC cosmologiques) chacun formé par un réseau de tachyons.

     la morphologie : ce n’est pas le résultat d’une fiction mathématique mais la conséquence physique de l’organisation précise de ce réseau dynamique. Il s’agit en fait de sphères enchevêtrées selon un mode très précis. Les intervalles sont matérialisés par des trajectoires hélicoïdales de tachyon-oscillateurs qui dotent chacun des volumes d’un spin unique. La trajectoire hélicoïdale n’est pas une fiction mais une contrainte imposée par l’état stochastique (antérieur) des tachyons duaux.

     l’approche réductionniste : en prenant tel ou tel phénomène physique et en l’isolant de toutes les contraintes observationnelles, on se condamne à ne jamais comprendre l’univers qui est un tout indissociable.

     des prémisses fondatrices solides : à partir du principe absolu d’action nulle et du principe fort de dualité, on obtient une richesse de déclinaisons qui, de contraintes en contraintes, lèvent 33 énigmes fondamentales. Le problème ? Personne ne cherche à recenser les énigmes fondamentales de l’univers qui est le premier tissu de contraintes dont tout modèle devrait tenir compte. La pauvreté lexicale des concepts académiques tels que le néant ou l’univers n’a d’égale que la naïveté des prémisses physiques.

    C’est mieux que la théorie des cordes mais on est très loin de la réalité. La réalité se mesure à l’aulne des énigmes levées et donc rien d’autre que la cohérence observationnelle. Tout le reste est de la poésie (cependant intéressante par ailleurs).

    Dominique MAREAU

  • pour moi la matiere se forme est se tranSforme sans cesse grace a la gravitation des ondes rechaufe pars les etoiles d energie emise par le comos/ et la premiere particule vivante se serais ne grace a ces associations de matiere et de chaleurs ?

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