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Karl Marx et la notion d’homme total

jeudi 2 juin 2022, par Robert Paris

« L’homme total » est un concept de Karl Marx qui fait référence à un homme qui, s’étant libéré de sa conception d’homme comme objet, « s’approprie son être universel d’une manière universelle ». Il n’est alors plus une « réalité étrangère » qui vit dans un état de « privation de réalité ». L’homme total est donc un retour total de l’homme pour lui-même, en tant qu’il est homme social, et non une ressource économique qui devrait travailler dans un système de production où la division du travail domine. « L’homme n’est pas seulement un être naturel humain, c’est-à-dire un être existant pour soi, donc un être générique, qui doit s’affirmer et se manifester en tant que tel dans son existence et dans son savoir. »

Charles Fourier :

« Il faut que tous les attributs de la nature humaine soient exercés dans l’association, faute de quoi les séries ne pourraient pas se constituer. Elle doit favoriser la naissance d’un homme total ou générique. »

« Manuscrits de 1844 »

Karl Marx

Troisième manuscrit

« De même que la propriété privée n’est que l’expression sensible du fait que l’homme devient à la fois objectif pour lui-même et en même temps au contraire un objet étranger pour lui-même et non-humain, que la manifestation de sa vie est l’aliénation de sa vie, que sa réalisation est sa privation de réalité, une réalité étrangère, de même l’abolition positive de la propriété privée, c’est-à-dire l’appropriation sensible pour les hommes et par les hommes de la vie et de l’être humains, des hommes objectifs, des œuvres humaines, ne doit pas être saisie seulement dans le sens de la jouissance immédiate, exclusive, dans le sens de la possession, de l’avoir. L’homme s’approprie son être universel d’une manière universelle, donc en tant qu’homme total. Chacun de ses rapports humains avec le monde, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher, la pensée, la contemplation, le sentiment, la volonté, l’activité, l’amour, bref tous les organes de son individualité, comme les organes qui, dans leur forme, sont immédiatement des organes sociaux, sont dans leur comportement objectif ou dans leur rapport à l’objet l’appropriation de celui-ci, l’appropriation de la réalité humaine ; leur rapport à l’objet est la manifestation de la réalité humaine ; c’est l’activité humaine et la souffrance humaine car, comprise au sens humain, la souffrance est une jouissance que l’homme a de soi. »

« Le communisme, abolition positive de la propriété privée (elle-même aliénation humaine de soi) et par conséquent appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme ; donc retour total de l’homme pour soi en tant qu’homme social, c’est-à-dire humain, retour conscient et qui s’est opéré en conservant toute la richesse du développement antérieur. »

« Considérons maintenant les moments positifs de la dialectique de Hegel - à l’intérieur de la détermination de l’aliénation. C’est, exprimée à l’intérieur de l’aliénation, ridée de l’appropriation de l’essence objective par la suppression de son aliénation. C’est la compréhension aliénée de l’objectivation réelle de l’homme, de l’appropriation réelle de son essence objective par l’anéantissement de la détermination aliénée du monde objectif, par sa suppression dans son existence aliénée, - de même que l’athéisme, suppression de Dieu, est le devenir de l’humanisme théorique, que le communisme, abolition de la propriété privée, est la revendication de la vie réelle de l’homme comme sa propriété, le devenir de l’humanisme pratique ; en d’autres termes, l’athéisme est l’humanisme ramené à lui-même par le moyen terme de la suppression de la religion, le communisme est l’humanisme ramené à lui-même par celui de l’abolition de la propriété privée. Ce n’est que par la suppression de ce moyen terme - qui est toutefois une condition préalable nécessaire - que naît l’humanisme qui part positivement de lui-même, l’humanisme positif. Mais l’athéisme et le communisme ne sont pas une fuite, une abstraction, une perte du monde objectif engendré par l’homme, une perte de ses forces essentielles qui ont pris une forme objective. Ils ne sont pas une pauvreté qui retourne à la simplicité contre nature et non encore développée. Ils sont bien plutôt, pour la première fois, le devenir réel, la réalisation devenue réelle pour l’homme de son essence, et de son essence en tant qu’essence réelle. »

« Mais, pour l’homme socialiste, tout ce qu’on appelle l’histoire universelle n’est rien d’autre que l’engendrement de l’homme par le travail humain, que le devenir de la nature pour l’homme ; il a donc la preuve évidente et irréfutable de son engendrement par lui-même, du processus de sa naissance. Si la réalité essentielle de l’homme et de la nature, si l’homme qui est pour l’homme l’existence, de la nature et la nature qui est pour l’homme l’existence de l’homme sont devenus un fait, quelque chose de concret, d’évident, la question d’un être étranger, d’un être placé au-dessus de la nature et de l’homme est devenue pratiquement impossible - cette question impliquant l’aveu de l’inessentialité de la nature et de l’homme. L’athéisme, dans la mesure où il nie cette, chose secondaire, n’a plus de sens, car l’athéisme est une négation de Dieu et par cette négation il pose l’existence de l’homme ; mais le socialisme en tant que socialisme n’a plus besoin de ce moyen terme. Il part de la conscience théoriquement et pratiquement sensible de l’homme et de la nature comme de l’essence. Il est la conscience de soi positive de l’homme, qui n’est plus par le moyen terme de l’abolition de la religion, comme la vie réelle est la réalité positive de l’homme qui n’est plus par le moyen terme de l’abolition de la propriété privée, le communisme. Le communisme pose le positif comme négation de la négation, il est donc le moment réel de l’émancipation et de la reprise de soi de l’homme, le moment nécessaire pour le développement à venir de l’histoire. Le communisme est la forme nécessaire et le principe énergétique du futur prochain, mais le communisme n’est pas en tant que tel le but du développement humain, - la forme de la société humaine. » Marx reprend l’appellation utilisée par Charles Fourier et Feuerbach de l’Homme Total, comme un être générique. C’est dans les oeuvres de jeunesse, Le manuscrit de 1844, qu’il explique que « l’homme n’est pas seulement un être naturel humain, c’est-à-dire un être existant pour soi, donc un être générique, qui doit s’affirmer et se manifester en tant que tel dans son existence et dans son savoir (K. Marx, 1844).

Source :
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/00/km18440000/km18440000_5.htm#Note148

« La sainte famille »

K. Marx - F. Engels

« Chez Bacon, son fondateur, le matérialisme recèle encore, de naïve façon, les germes d’un développement multiple. La matière sourit à l’homme total dans l’éclat de sa poétique sensualité… »

Source :

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/09/kmfe18440900v.htm

Karl Marx, Le Capital. I. section 4, Chapitre XIII :

« La grande industrie fait du remplacement de cette monstruosité que représente une population ouvrière disponible et misérable, tenue en réserve par le capital pour ses besoins d’exploitation changeants, par une disponibilité absolue de l’homme pour les exigences changeantes du travail, une question de vie ou de mort ; même urgence pour le remplacement de l’individu partiel, simple support d’une fonction sociale de détail, par un individu totalement développé pour qui les diverses fonctions sociales sont autant de modes d’activité qui prennent le relais les uns des autres. »

Garap : L’Homme Total dans l’œuvre de Karl Marx

Sommaire
• Introduction

• Chapitre 1 : La critique de la séparation réelle

• Chapitre 2. La conquête de la totalité concrète

• Chapitre 3. La réalisation de l’homme total dans l’histoire

• Conclusion
• Bibliographie

Introduction

La notion d’homme total, bien que rarement exprimée explicitement par Karl Marx, traverse toute son œuvre et lui donne son sens, c’est-à-dire à la fois une orientation et une signification.

Pour bien comprendre et cerner cette notion, il faut situer l’œuvre de Marx non seulement dans l’histoire de la philosophie proprement dite, mais aussi dans l’histoire en général. L’époque à laquelle elle appartient est celle de l’essor de l’industrie moderne, partant de l’Angleterre et se répandant dans toute l’Europe, et de ses conséquences humaines et sociales désastreuses. Produits du capitalisme, le mouvement ouvrier et le socialisme prirent alors naissance. Dans ce contexte, Marx et son ami Engels « créèrent le socialisme scientifique moderne par la fusion de tout ce que la pensée anglaise, la pensée française et la pensée allemande avaient de grand et de fertile »1 : imprégnés de l’idéal de la philosophie allemande qu’il unirent à la pensée révolutionnaire française, ils utilisèrent aussi la pensée économique anglaise. Le marxisme est donc le résultat de la rencontre entre l’histoire et la philosophie : « Il ne suffit pas que la pensée recherche sa réalisation, il faut encore que la réalité recherche la pensée ».2

Cette thèse fondamentale, qu’il nous faudra toujours avoir à l’esprit, constitue notre point de départ. On ne peut comprendre la pensée de Marx de manière adéquate que si l’on envisage ses rapports avec la réalité historique et sociale. Ainsi : la notion philosophique d’homme total recherche la réalité tout comme la réalité recherche la notion philosophique d’homme total.

La réalité dont part Marx, c’est pourtant celle de l’homme fragmenté, aliéné. Face à cette réalité « très tangible, très matérielle »3, la philosophie de l’homme total, née du refus de l’asservissement de l’homme, apparaît comme une abstraction qui, loin de tendre vers la réalité, s’en éloigne pour rejoindre la sphère lointaine du rêve et de l’idéal. La pensée de Marx ne diffère-t-elle donc en rien de celles, idéalistes et utopiques, qui l’ont précédée ? On rencontre en effet la notion d’homme total surtout dans la philosophie allemande, chez Goethe, Schiller, puis Feuerbach qui approfondit cette notion, mais aussi en France dans la théorie de l’utopiste socialiste Fourier, ou en Angleterre chez Owen. Plus largement, l’homme total renvoie par définition aux idées d’humanité et de totalité. Cette dernière a beaucoup été utilisée par les idéalistes allemands, et nous verrons à quel point Marx est un héritier de Hegel.

C’est ici que se fait jour un paradoxe qu’il nous faudra résoudre : la critique de Marx porte sur le monde existant, que pourtant il qualifie d’abstrait. En effet, pour Marx, qui se réapproprie les concepts hégéliens, le monde déshumanisé s’identifie au monde de l’homme parcellaire, de l’homme séparé et donc abstrait ; or, l’homme aliéné, séparé et abstrait est aussi l’homme réel. Inversement, l’homme total, qui dans la réalité est inexistant, est un homme concret. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que l’homme séparé pour Marx, et qu’est-ce que l’abstraction ? En quoi ces concepts se rattachent-ils à celui d’aliénation ? Pourquoi le concret renvoie-t-il à la totalité, et l’abstrait à la séparation ? Il nous faudra alors : d’une part éclaircir les concepts de réalité, de concret et d’abstrait, ainsi que ceux de séparation, d’aliénation et de totalité, et d’autre part comprendre leurs rapports réciproques.

Mais, si la philosophie est plus concrète que la réalité (ce que nous tenterons de démontrer), elle n’en demeure pas moins de nature idéelle. La réalité au contraire, bien qu’abstraite, est, pour le matérialiste Marx, « très tangible, très matérielle ». Comment dès lors la notion abstraite (car théorique) d’homme total, issue des pensées idéalistes et utopiques, s’insère-t-elle dans sa théorie qui rejette l’abstraction et qui vise à rejoindre l’histoire et les hommes réels ? Nous verrons que Marx forge une notion matérialiste d’homme total. Mais ce matérialisme philosophique nous permet-il véritablement de rejoindre la réalité ? La notion d’homme total, même conçue de manière matérialiste, ne demeure-t-elle pas de nature philosophique, donc idéelle ?

Pour Marx, l’homme total, de notion concrète mais idéelle, doit devenir une réalité pratique. La pensée de Marx est véritablement révolutionnaire : elle cherche, de manière inouïe, à renverser les barrières qui séparent la sphère idéelle et la réalité, la philosophie et l’histoire. Dépassant les philosophies idéalistes qui concevaient la totalité uniquement dans la pensée séparée, Marx exige de la totalité qu’elle contienne l’élément de la réalité. L’homme ne peut être total que s’il est réel, c’est-à-dire s’il dépasse son statut de notion philosophique et se réalise. Marx réussit-il à réaliser ce formidable programme et, si oui, quels outils utilise-t-il pour y parvenir ?

À partir de toutes ces interrogations, nous nous proposons d’essayer de répondre à ce problème, qui indéniablement se pose : la notion d’homme total chez Marx n’est-elle qu’une idée abstraite ?

Nous montrerons que l’originalité de Marx, qui est aussi la force révolutionnaire extraordinaire de sa pensée, est de chercher à effectuer non seulement une synthèse entre l’idéalisme et le matérialisme, mais aussi entre la théorie et la pratique. Nous tenterons de démontrer que l’homme total n’est pas une idée extérieure aux hommes réels, mais qu’elle est toute entière tournée vers la réalité historique et sociale, qui elle-même est première par rapport à la pensée.

Nous tenterons de reconstituer le parcours philosophique de Marx, passant de l’homme abstrait de la réalité à l’homme total qui se réalise dans l’histoire, et de montrer comment la pensée de la totalité, partant de l’histoire, retourne à l’histoire. Tout d’abord, nous verrons que Marx, qui part de la réalité historique et sociale, commence par faire une critique de l’aliénation réelle des hommes, c’est-à-dire de l’abstraction réelle (ou séparation réelle) qui déchire les hommes. Cette critique permet ensuite à Marx d’identifier l’homme total, négation de l’homme parcellaire, à l’homme concret : à la recherche de l’homme total, Marx s’appuie d’abord sur la philosophie idéaliste de la totalité concrète, qu’il dépasse ensuite en forgeant une pensée matérialiste de la totalité concrète. Finalement, Marx brise la barrière de la pensée séparée, envisageant ainsi une réalisation de l’homme total dans l’histoire réelle des hommes : de notion philosophique, l’homme total doit devenir la réalité sociale et historique des hommes.

La suite :

https://garap.org/communiques/communique79_1.php

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