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David Riazanov - Les relations de Marx avec Blanqui (1928)

samedi 24 juin 2023, par Robert Paris

David Riazanov

Les relations de Marx avec Blanqui

(1928)

Marx et Engels ont longtemps été accusés de blanquisme. Bernstein est allé encore plus loin. Dès 1898, il déclarait : « En Allemagne, Marx et Engels, sur la base de la dialectique hégélienne radicale, ont avancé une théorie étroitement liée au blanquisme. » Sans tenir compte de leur rejet constamment accentué du putschisme, Bernstein déclarait également : « « ils (les écrits inspirés par Marx et Engels à l’époque de la Ligue communiste. - DR ) sont partout imprégnés d’un esprit blanqui-baboeufiste. » [1]

La meilleure preuve de cette affirmation, selon Bernstein, est fournie par l’attitude que Marx a adoptée face aux événements de la Révolution de février. Alors que Bernstein considérait le parti de Louis Blanc et de la Commission Luxembourg comme le « seul parti prolétarien », Marx, au contraire, considérait les blanquistes comme tels.

Bernstein fait appel à la circulaire de la Ligue des communistes ( Discours au Comité central de la Ligue en juin 1850 ), mais il pourrait citer avec encore plus de justification les phrases suivantes de Marx dans La lutte des classes en France - un passage qui il néglige tout à fait, comme le fait aussi Kautsky, qui interprète la « dictature du prolétariat » comme une simple phrase fortuite, que Marx a un jour prononcée accidentellement par un lapsus, et non le moins du monde comme l’essence même de la stratégie révolutionnaire marxiste. .

"Alors que les utopistes et le socialisme doctrinaire ( c’est-à -dire le socialisme de Louis Blanc et des siens - DR ) subordonnent tout le mouvement à un facteur en son sein, placent les ruminations d’un seul pédant avant la production sociale commune, et surtout le charme détourner la lutte de classe révolutionnaire et ses exigences par de petites ruses ou de grosses sentimentalités... le prolétariat se tourne de plus en plus vers le socialisme révolutionnaire, vers ce communisme auquel la bourgeoisie elle-même a donné le nom de blanquisme ».

Quel est le contenu de ce socialisme ?

"Ce socialisme est la déclaration de la permanence de la révolution, la dictature de classe du prolétariat comme étape nécessaire vers l’abolition de toutes les différences de classe, l’abolition de tout le système de production sur lequel elles reposent, l’abolition de tous les conditions sociales qui correspondent à ces rapports de production, la destruction de toutes les idées qui naissent de ces conditions sociales. » [2]

Bernstein recourut à une astuce encore plus ignoble en ce sens qu’il utilisa aussi peu les autres journaux que le MS. d’Engels sur Naturdialektik qui était en sa possession, une action qui était calculée pour détruire le tout dernier doute quant à l’influence « impie » exercée sur Marx et Engels par la dialectique hégélienne. C’est arrivé de cette façon. Parmi les papiers que lui avait légués son ancien professeur, reposait paisiblement pendant trois décennies rien de moins qu’un trésor qu’un accord avec les blanquistes, signé par Marx et Engels de leurs propres mains, selon lequel les communistes allemands, français et anglais devaient organiser une « Ligue mondiale des communistes révolutionnaires ».

Dans le tout premier paragraphe de ce document, il est écrit : –

« Le but de l’association est la chute de toutes les classes privilégiées, et l’assujettissement de ces classes à la dictature du prolétariat en maintenant la révolution en permanence jusqu’à la réalisation du communisme, qui est la forme définitive d’organisation de la société humaine. . » [3]

L’accord a été signé par Adam et Vidil au nom des blanquistes, par Willich, Marx et Engels pour les communistes allemands et Harney pour les communistes anglais.

Comparons-le avec le texte de la première section des articles de la Ligue communiste.

"Le but de la Ligue est la chute de la bourgeoisie, la domination du prolétariat, l’abolition de l’ancienne société bourgeoise basée sur les antagonismes de classe et l’établissement d’une nouvelle société sans classes ni propriété privée. " [4 ]

La différence est évidente. La « règle du prolétariat » est remplacée par la « dictature du prolétariat », la révolution est transférée dans une « révolution en permanence ».

Le premier changement peut être considéré comme d’ordre rédactionnel, bien qu’il résulte des expériences de la Révolution de 1848, et surtout des événements de Paris entre le 24 février et les journées de juin ; ces derniers formaient un ajout, qui, comme je l’ai déjà exposé ailleurs, a été résolu pour la première fois après 1848-49, bien que l’expression apparaisse dans les premiers travaux de Marx sur les leçons de la grande Révolution française, en particulier sur la leçons dispensées par les Jacobins qui soutenaient « révolution en permanence ».

L’accord reproduit ici est rédigé dans l’esprit de la célèbre circulaire de la Ligue communiste. On sait que la Ligue n’a pas vécu longtemps, car dès septembre 1850, elle s’était scindée en une fraction Marx et une fraction Willich-Schapper. Parmi les signataires de l’accord, Vidil figurait du côté de Willich et d’Adam, de Marx. La scission de la Ligue communiste se traduisit par une scission également dans les rangs des « socialistes démocrates » français, dont un nombre considérable était connu de Louis Blanc, qui s’efforçait alors de s’entendre avec les radicaux bourgeois. Les blanquistes qui lui étaient alliés (Louis Blanc) se virent contraints, lors du Banquet des Egaux, tenu en 1851, le troisième anniversaire du 24 février, de garder secret le manifeste [5]reçus par eux du prisonnier Blanqui, dans lequel il critique de manière dévastatrice l’attitude de Ledru-Rollin, et plus encore de Louis Blanc. Nous reparlerons plus en détail ailleurs de ces épisodes intéressants de l’histoire de l’émigration. Nous nous bornerons ici à attirer l’attention du lecteur sur les nombreux points de contact entre la critique marxienne du gouvernement provisoire de Lamartine, Ledru-Rollin et Louis Blanc, et celle de Blanqui.

Annexe I
La Ligue mondiale des communistes révolutionnaires
(Société Universelle des Communistes Révolutionnaires)

(1) Le but de l’Association est la chute de toutes les classes privilégiées et l’assujettissement de ces classes à la dictature du prolétariat par le maintien de la révolution en permanence jusqu’à la réalisation du communisme, qui doit être la forme définitive du organisation de la communauté humaine.

(2) Pour favoriser la réalisation de ce but, l’Association réunira toutes les sections du Parti communiste révolutionnaire, au mépris des frontières nationales, conformément aux principes de la fraternité républicaine.

(3) Le comité originel de la Ligue est constitué en comité central, et il instituera des comités partout où ils seront nécessaires à l’exécution des travaux qui seront en rapport avec le comité central.

(4) Aucune limite n’est fixée au nombre de membres de la Ligue, mais aucun membre ne sera admis s’il n’est élu à l’unanimité. En aucun cas les élections ne se dérouleront au scrutin secret.

(5) Tous les membres de la Ligue jurent de maintenir le paragraphe premier des présentes règles dans son sens le plus complet. Toute modification qui aurait pour effet d’affaiblir les buts exprimés dans ce paragraphe libère les membres de la Ligue de leur engagement.

(6) Toutes les décisions de la société sont adoptées si elles obtiennent la majorité des deux tiers des votants.

(signé) J. Vidil, Adam, August Willich, K. Marx, G. Julian Harney, P. Engels.

Remarques

1. Éd. Bernstein, Die Voraussetzungen des Sozialismus , Stuttgart, 1899, pp.28, 29.

2. Karl Marx, Die Klassenkämpfe in Frankreich , Berlin, P. Singer, 1911, pp.93, 94.

3. Cf. Annexe I .

4. Archiv fur die Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung , Jahrgang 9 (1920), p.334.

5. Voir http://www.marxists.org/reference/archive/blanqui/1851/toast.htm .

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