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Friedrich Engels et le soulèvement de la France méridionale

jeudi 28 octobre 2021, par Robert Paris

Friedrich Engels et le soulèvement de la France méridionale

Engels note que le Midi de la France connut un immense soulèvement face à la croisade papale et royale : « La nation provençale, avait au Moyen-Âge non seulement un « précieux développement », mais elle était même à la tête du développement européen... Ce n’est pas seulement « une phase de la vie du Moyen-Âge... qui avait connu grâce à elle » un grand éclat : elle offrait même, au cœur du Moyen-Âge, un reflet de l’ancienne civilisation hellène. »

Il relève que c’est une question de classe en même temps qu’une question nationale :

« Tandis que les luttes sauvages de la noblesse féodale régnante emplissaient le moyen âge de leur fracas, dans toute l’Europe de l’Ouest le travail silencieux des classes opprimées avait miné le système féodal ; il avait créé des conditions dans lesquelles il restait de moins en moins de place aux seigneurs féodaux. Certes, à la campagne, les nobles seigneurs sévissaient encore ; ils tourmentaient les serfs, ne soufflaient mot de leur peine, piétinaient leurs récoltes, violentaient leurs femmes et leurs filles. Mais alentour s’étaient élevées des villes : en Italie, dans le midi de la France, au bord du Rhin, les municipes de l’antiquité romaine, ressuscités de leurs cendres ; ailleurs, notamment en Allemagne, des créations nouvelles ; toujours entourées de remparts et de fossés, c’étaient des citadelles bien plus fortes que les châteaux de la noblesse, parce que seule une grande armée pouvait les réduire. Derrière ces remparts et ces fossés se développait - assez petitement et dans les corporations - l’artisanat médiéval, se concentraient les premiers capitaux, naissaient et le besoin de commercer des villes entre elles ainsi qu’avec le reste du monde, et, peu à peu également, avec le besoin, les moyens de protéger ce commerce. Dès le XVe siècle, les bourgeois des villes étaient devenus plus indispensables à la société que la noblesse féodale… Entre les centres de navigation maritime du Nord et du Midi, la liaison était maintenue par terre ; les routes par lesquelles elle se faisait passaient par l’Allemagne. Tandis que la noblesse devenait de plus en plus superflue et gênait toujours plus l’évolution, les bourgeois des villes, eux, devenaient la classe qui personnifiait la progression de la production et du commerce, de la culture et des institutions politiques et sociales. »

Source : https://www.marxists.org/francais/engels/works/1884/00/fe18840000z.htm

L’Occitanie du XIVe au XVIIe siècle

La guerre des Cévennes

La croisade contre les albigeois

La répression contre les protestants en Languedoc

Le contraste culturel entre le Nord et le Midi en France au Moyen Âge

Histoire de la France méridionale

Nouvelle Gazette Rhénane de Marx et Engels, n° 93, 3 septembre 1848

Cologne, 2 septembre

« Au troisième jour du débat apparaît une lassitude générale. Les arguments se répètent sans s’améliorer, et si le premier orateur honorable, le citoyen Arnold Ruge n’apportait pas son riche trésor de raisons nouvelles, le compte-rendu sténographique serait tout à fait soporifique.

Mais le citoyen Ruge [connaît] aussi ses mérites mieux que quiconque. Il promet : « Toute la passion que j’ai, et toutes les connaissances que je possède, je veux les employer. » Il fait une proposition mais ce n’est pas une proposition ordinaire ; ce n’est pas une proposition en général, c’est la seule juste, c’est la vraie proposition, la proposition absolue : « Il n’y a rien d’autre à proposer, rien d’autre d’admissible. On peut faire quelque chose d’autre, Messieurs, car il est donné à l’homme de s’écarter de la voie juste. C’est parce qu’il s’écarte de la voie juste que l’homme a un libre-arbitre... mais la voie juste ne cesse pas pour autant d’être juste. Et dans notre cas, ce que je propose est la seule chose juste qui puisse être réalisée. » (Le citoyen Ruge sacrifie donc cette fois son « libre-arbitre » à « la voie juste »).

Regardons de plus près la passion, les connaissances et la seule chose juste du citoyen Ruge.

« La suppression de la Pologne est une ignominieuse injustice parce qu’ainsi fut étouffé le précieux développement d’une nation qui s’est acquis de grands mérites envers la famille des peuples d’Europe, et grâce à laquelle une phase de la vie du moyen âge, la chevalerie, avait connu un grand éclat. Le despotisme a empêché la république des nobles d’accomplir sa propre suppression intérieure (!), suppression qui aurait été possible grâce à la constitution ébauchée pendant la période révolutionnaire. »

Au moyen âge, la nationalité de la France du Sud n’était pas plus proche de celle de la France du Nord que la nationalité polonaise ne l’est actuellement de la nationalité russe.

La nationalité de la France du Sud, vulgo la nation provençale, avait au moyen âge non seulement un « précieux développement », mais elle était même à la tête du développement européen. Elle fut la première de toutes les nations modernes à avoir une langue littéraire. Son art poétique servait à tous les peuples romans, et même aux Allemands et aux Anglais, de modèle alors inégalé. Dans le perfectionnement de la civilisation courtoise féodale, elle rivalisait avec les Castillans, les Français du Nord et les Normands d’Angleterre ; dans l’industrie et le commerce, elle ne le cédait en rien aux Italiens. Ce n’est pas seulement « une phase de la vie du moyen âge... qui avait connu grâce à elle » un grand éclat, elle offrait même, au cœur du moyen âge, un reflet de l’ancienne civilisation hellène. La nation de la France du Sud n’avait donc pas « acquis » de grands, mais d’infinis « mérites envers la famille des peuples d’Europe ». Pourtant, comme la Pologne, elle fut partagée entre la France du Nord et l’Angleterre et plus tard entièrement assujettie par les Français du Nord. Depuis la guerre des Albigeois jusqu’à Louis XI, les Français du Nord, qui, dans le domaine de la culture, étaient aussi en retard sur leurs voisins du Sud que les Russes sur les Polonais, menèrent des guerres d’asservissement ininterrompues contre les Français du Sud, et finirent par soumettre tout le pays. La « république des nobles du Midi de la France » (cette dénomination est tout à fait juste pour l’apogée) « a été empêchée par le despotisme de Louis XI d’accomplir sa propre suppression intérieure », qui, grâce au développement de la bourgeoisie des villes, aurait été au moins aussi possible que l’abolition de la république polonaise des nobles, grâce à la constitution de 1791.

Des siècles durant, les Français du Sud luttèrent contre leurs oppresseurs. Mais le développement historique était inexorable. Après une lutte de trois cents ans, leur belle langue était ramenée au rang de patois, et ils étaient eux-mêmes devenus Français. Le despotisme de la France du Nord sur la France du Sud dura trois cents ans et c’est alors seulement que les Français du Nord réparèrent les torts causés par l’oppression en anéantissant les derniers restes de son autonomie. La Constituante mit en pièces les provinces indépendantes ; le poing de fer de la Convention fit pour la première fois des habitants de la France du Sud des Français, et pour les dédommager de la perte de leur nationalité, elle leur donna la démocratie. Mais ce que le citoyen Ruge dit de la Pologne s’applique mot pour mot à la France du Sud pendant les trois cents ans d’oppression : « Le despotisme de la Russie n’a pas libéré les Polonais ; la destruction de la noblesse polonaise et le bannissement de tant de familles nobles de Pologne, tout cela n’a fondé en Russie aucune démocratie, aucun humanisme. »

Et pourtant, on n’a jamais traité l’oppression de la France du Sud par les Français du Nord « d’ignominieuse injustice ». Comment cela se fait-il, citoyen Ruge ? Ou bien l’oppression de la France du Sud est une ignominieuse injustice ou bien l’oppression de la Pologne n’est pas une ignominieuse injustice. Que le citoyen Ruge choisisse.

Mais où réside la différence entre les Polonais et les Français du Sud ? Pourquoi la France du Sud fut-elle prise en remorque par les Français du Nord, comme un poids mort jusqu’à son total anéantissement, tandis que la Pologne a toute perspective de se trouver très bientôt à la tête de tous les peuples slaves ?

La France du Sud constituait, par suite de rapports sociaux que nous ne pouvons expliquer plus amplement ici, la partie réactionnaire de la France. Son opposition contre la France du Nord se transforma bientôt en opposition contre les classes progressives de toute la France. Elle fut le soutien principal du féodalisme et elle est restée jusqu’à maintenant la force de la contre-révolution en France.

La Pologne en revanche fut, en raison de rapports sociaux que nous avons expliqués ci-dessus (n° 81), la partie révolutionnaire de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse. Son opposition à ses oppresseurs était en même temps à l’intérieur une opposition à la haute aristocratie polonaise. Même la noblesse qui se trouvait encore en partie sur un terrain féodal, se rallia avec un dévouement sans exemple à la révolution démocratique agraire. La Pologne était déjà devenue le foyer de la démocratie de l’Europe orientale alors que l’Allemagne tâtonnait encore dans l’idéologie constitutionnelle la plus banale, et l’idéologie philosophique la plus délirante.

C’est là, et non dans le développement éclatant de la chevalerie, enterrée depuis longtemps, que réside la garantie, le caractère inéluctable de la restauration de la Pologne.

Mais M. Ruge a encore un deuxième argument en faveur de la nécessité d’une Pologne indépendante dans la « famille des peuples européens » :

« La violence exercée contre la Pologne a disséminé les Polonais dans toute l’Europe ; ils ont été dispersés partout, en proie à la colère provoquée par l’injustice subie.... l’esprit polonais s’est humanisé et purifié en France, en Allemagne (! ?) : l’émigration polonaise s’est faite la propagandiste de la liberté (n° 1) ... Les Slaves sont devenus capables d’entrer dans la grande famille européenne des peuples (cette « famille » revient inévitablement !) parce que... leur émigration exerce un véritable apostolat de la liberté (n° 2) ... Toute l’armée russe (!!) a été contaminée par les idées modernes grâce à ces apôtres de la liberté, les Polonais (n° 3) ... je respecte les honorables convictions des Polonais ; ils les ont manifestées partout en Europe pour faire à toute force de la propagande pour la liberté (n° 4) ... Tant que retentira la voix de l’histoire, ils seront honorés pour avoir été des pionniers (n° 5), là où ils l’ont été (!!!) ... Les Polonais sont l’élément de liberté (n° 6) qui a été projeté dans la civilisation slave, ils ont conduit vers la liberté (n° 7) le congrès slave de Prague, ils ont agi en France, en Russie et en Allemagne. Les Polonais sont donc un élément actif même dans l’état actuel de la culture ; leur action est positive et parce qu’elle est positive parce qu’ils sont nécessaires, ils ne sont nullement morts. »

Le citoyen Ruge doit démontrer que les Polonais 1° sont nécessaires, 2° qu’ils ne sont pas morts. Il le fait en disant : « Parce qu’ils sont nécessaires, ils ne sont nullement morts ».

Extrayons du long passage ci-dessus qui dit sept fois la même chose, les quelques mots : Pologne - élément - liberté - propagande - culture - apostolat, et voyons ce qu’il reste de tout ce pathos.

Le citoyen Ruge doit démontrer que la restauration de la Pologne est nécessaire. Il le fait de la façon suivante : Les Polonais ne sont pas morts, ils sont au contraire très vivants, ils agissent efficacement, ils sont les apôtres de la liberté dans toute l’Europe. Comment en sont-ils venus là ? La violence, l’ignominieuse injustice dont ils furent victimes les a dispersés dans toute l’Europe, avec leur colère provoquée par l’injustice subie, leur juste colère révolutionnaire. Cette colère, ils l’ont « purifiée » en exil, et cette colère purifiée les a rendus aptes à l’apostolat de la liberté et les a mis « au premier rang sur les barricades ». Que s’ensuit-il ? Enlevez l’ignominieuse injustice, la violence exercée, restaurez la Pologne, la « colère » tombera, elle ne pourra plus être purifiée, les Polonais rentreront chez eux et cesseront d’être les « apôtres de la liberté ». Si c’est seulement la « colère provoquée par l’injustice subie », qui en fait des révolutionnaires, la réparation de l’injustice en fera des réactionnaires. Si c’est uniquement la résistance à l’oppression qui maintient les Polonais en vie, supprimez l’oppression, et ils sont morts.

Le citoyen Ruge démontre donc exactement le contraire de ce qu’il veut démontrer ; ses raisons aboutissent à la conclusion que la Pologne, dans l’intérêt de la liberté et de la famille des peuples européens, ne doit pas être restaurée.

Parlant des Polonais, le citoyen Ruge ne mentionne que l’émigration, ne voit que l’émigration sur les barricades : ce qui jette par ailleurs une étrange lumière sur ses « connaissances ». Nous sommes bien loin de vouloir nous en prendre à l’émigration polonaise qui a prouvé son énergie et son courage sur le champ de bataille et au cours de dix-huit années de conspiration pour la Pologne. Mais nous ne pouvons le nier : quiconque connaît l’émigration polonaise sait qu’elle est bien moins un apôtre de la liberté et bien moins atteinte du mal des barricades que le citoyen Ruge ne le répète de bonne foi après l’ex-prince Lichnowski. L’émigration polonaise a tenu stoïquement, elle a beaucoup souffert et beaucoup travaillé pour la restauration de la Pologne. Mais les Polonais en Pologne même, en ont-ils fait moins par hasard, n’ont-ils pas bravé des dangers plus grands, n’ont-ils pas risqué les cachots de Moabit et de Spielberg, le knout et les mines de Sibérie, les massacres de Galicie et les shrapnells prussiens ? Mais tout cela n’existe pas pour M. Ruge. Il n’a pas remarqué non plus que les Polonais non-émigrés ont beaucoup mieux assimilé la culture générale européenne, qu’ils ont beaucoup mieux reconnu les besoins de la Pologne où ils vivaient continuellement, que l’émigration presque tout entière, à l’exception de Lelewell et Mieroslawski. Le citoyen Ruge attribue à leur séjour à l’étranger toute l’intelligence qui existe chez les Polonais ou, pour parler comme lui, « qui s’est répandue parmi les Polonais et qui est descendue sur eux ». Nous l’avons démontré dans le n° 81 : il n’était pas nécessaire pour les Polonais de se documenter sur les besoins de leur pays auprès des visionnaires politiques français qui depuis février ont échoué sur les écueils de leurs propres discours, ni auprès des profonds idéologues allemands qui n’ont pas encore trouvé l’occasion d’un échec ; la Pologne elle-même était l’école la meilleure pour apprendre ce dont la Pologne a besoin. Le mérite des Polonais consiste à avoir reconnu les premiers, et à avoir répandu dans le monde l’idée que la démocratie agraire est la seule forme possible de libération pour toutes les nations slaves, et non comme se l’imagine le citoyen Ruge, d’avoir importé en Pologne et en Russie des généralités telles que « la grande idée de la liberté politique, mûrie en France, et même (!) la philosophie, apparue en Allemagne (et dans laquelle M. Ruge a disparu) ».

Dieu nous garde de nos amis, nous nous garderons nous-mêmes de nos ennemis, voilà ce que les Polonais peuvent s’écrier après ce discours du citoyen Ruge. Mais ce fut de tout temps le plus grand malheur des Polonais d’être défendus par leurs amis non Polonais avec les plus mauvaises raisons du monde.

Il est tout à fait caractéristique de la gauche de Francfort, qu’elle ait été, à peu d’exceptions près, tout à fait ravie du discours du citoyen Ruge sur la Pologne, discours où il est dit : « Nous ne voulons pas, Messieurs, nous chicaner sur le point de savoir si nous avons en vue une monarchie démocratique, une monarchie démocratisée (!) ou la démocratie pure ; dans l’ensemble nous voulons la même chose, la liberté, la liberté du peuple, la souveraineté du peuple ! »

Et on veut que nous nous enthousiasmions pour une gauche qui est transportée de joie quand on dit qu’elle veut « dans l’ensemble la même chose » que la droite, que M. Radowitz, M. Lichnowski, M. Vincke ; une gauche qui, de ravissement, ne se connaît plus elle-même, qui oublie tout dès qu’elle entend des formules creuses telles que « liberté du peuple » et « souveraineté du peuple » ?

Mais laissons la gauche et revenons au citoyen Ruge.

« Il ne s’est pas encore produit sur le globe de plus grande révolution que la révolution de 1848. »

« Elle est la plus humaine dans ses principes » - parce que ces principes sont nés de la mise en sourdine des intérêts opposés.

« La plus humaine dans ses décrets et ses proclamations » - parce que celles-ci sont un condensé des visions philanthropiques et des phrases sentimentales sur la fraternité, sorties de toutes les têtes sans cervelle de l’Europe.

« La plus humaine dans son existence », à savoir dans les massacres et les actes de barbarie en Posnanie, dans les incendies criminels de Radetzsky et le cannibalisme des cruels vainqueurs de juin à Paris, dans les carnages de Cracovie et de Prague, dans le règne généralisé de la soldatesque, bref, dans toutes les infamies qui aujourd’hui, le 1er septembre 1848, constituent l’« existence » de cette révolution, et ont coûté en quatre mois plus de sang que 1793 et 1794 ensemble.

L’« humain » citoyen Ruge ! »

Source : https://www.marxists.org/francais/engels/works/1848/08/fe18480809.htm

« L’opposition révolutionnaire contre la féodalité se poursuit pendant tout le moyen âge. Elle apparaît, selon les circonstances, tantôt sous forme de mystique, tantôt sous forme d’hérésie ouverte, tantôt sous forme d’insurrection armée. En ce qui concerne la mystique, on sait à quel point en dépendaient les réformateurs du XVIe siècle. Münzer lui-même lui doit beaucoup. Les hérésies étaient soit l’expression de la réaction des bergers des Alpes, aux habitudes de vie patriarcales, contre la féodalité pénétrant jusqu’à eux (les Vaudois), soit l’expression de l’opposition au féodalisme des villes qui lui avaient échappé (Albigeois, Arnaud de Brescia, etc.), soit directement des insurrections paysannes (John Ball, le maître de Hongrie en Picardie, etc.). Nous pouvons laisser ici de côté les hérésies patriarcales des Vaudois ainsi que l’insurrection des Suisses, comme étant, d’après leur forme et leur contenu, des tentatives réactionnaires de s’opposer au mouvement de l’histoire et comme n’ayant qu’une importance locale. Dans les deux autres formes d’hérésie moyenâgeuse, nous trouvons au XIIe siècle les précurseurs du grand antagonisme entre l’opposition bourgeoise et l’opposition paysanne-plébéienne, qui fut la principale cause de l’échec de la Guerre des paysans. Cet antagonisme se poursuit à travers toute la fin du moyen âge.
L’hérésie des villes – et c’est l’hérésie à proprement parler officielle du moyen âge – se tournait principalement contre les prêtres, dont elle attaquait les richesses et la position politique. De même que la bourgeoisie réclame maintenant un gouvernement à bon marché, de même les bourgeois du moyen âge réclamaient une Église à bon marché. Réactionnaire dans sa forme, comme toute hérésie qui ne voit dans le développement de l’Église et des dogmes qu’une dégénérescence, l’hérésie bourgeoise réclamait le rétablissement de la constitution simple de l’Église primitive et la suppression de l’ordre exclusif du clergé. Cette institution à bon marché aurait eu pour résultat de supprimer les moines, les prélats, la cour romaine, bref, tout ce qui coûtait cher dans l’Église. Etant elles-mêmes des républiques, bien qu’elles étaient placées sous la protection de monarques, les villes par leurs attaques contre la papauté exprimaient pour la première fois sous une forme générale cette vérité que la forme normale de la domination de la bourgeoisie, c’est la république. Leur opposition à toute une série de dogmes et de lois de l’Église s’explique en partie par ce qui précède, en partie par leurs autres conditions d’existence. Pourquoi, par exemple, elles s’élevaient si violemment contre le célibat des prêtres, nul ne l’explique mieux que Boccace. Arnaud de Brescia en Italie et en Allemagne, les Albigeois dans le Midi de la France, John Wyclif en Angleterre, Hus et les calixtins en Bohème, furent les principaux représentants de cette tendance. Si l’opposition au féodalisme ne se manifeste ici que comme opposition à la féodalité ecclésiastique, la raison en est tout simplement que partout les villes constituaient déjà un ordre reconnu, et qu’elles avaient avec leurs privilèges, leurs armes ou dans les assemblées des états, des moyens suffisants pour lutter contre la féodalité laïque.
Ici aussi, nous voyons déjà, tant dans le Midi de la France qu’en Angleterre et en Bohème, la plus grande partie de la petite noblesse s’allier aux villes dans la lutte contre les prêtres et dans l’hérésie – phénomène qui s’explique par la dépendance de la petite noblesse à l’égard des villes et par sa solidarité d’intérêts avec ces dernières contre les princes et les prélats nous le retrouverons dans la Guerre des paysans.
Tout autre était le caractère de l’hérésie qui était l’expression directe des besoins des paysans et plébéiens, et qui était presque toujours liée à une insurrection. Elle comportait, certes, toutes les revendications de l’hérésie bourgeoise concernant les prêtres, la papauté et le rétablissement de la constitution de l Église primitive, mais elle allait aussi infiniment plus loin. Elle voulait que les conditions d’égalité du christianisme primitif soient rétablies entre les membres de la communauté et reconnues également comme norme pour la société civile. De « l’égalité des enfants de Dieu », elle faisait découler l’égalité civile, et même en partie déjà l’égalité des fortunes. Mise sur pied d’égalité de la noblesse et des paysans, des patriciens, des bourgeois privilégiés et des plébéiens, suppression des corvées féodales, du cens, des impôts, des privilèges et en tout cas des différences de richesse les plus criantes, telles étaient les revendications posées avec plus ou moins de netteté et soutenues comme découlant nécessairement de la doctrine chrétienne primitive. Cette hérésie paysanne-plébéienne, qu’il était encore difficile, à l’époque de l’apogée du féodalisme, par exemple chez les Albigeois, de séparer de l’hérésie bourgeoise, se transforme, au XIVe et au XVe siècle en un point de vue de parti nettement distinct, et apparaît habituellement de façon tout à fait indépendante à côté de l’hérésie bourgeoise. Tel fut John Ball, le prédicateur de l’insurrection de Wat Tyler en Angleterre, à côté du mouvement de Wyclif tels les Taborites, à côté des calixtins en Bohème. Chez les Taborites, la tendance républicaine apparaissait déjà sous les enjolivures théocratiques, tendance qui fut développée à la fin du XVe et au début du XVIe siècle par les représentants des plébéiens en Allemagne.
A cette forme d’hérésie se rattache l’exaltation des sectes mystiques, flagellants, lollards, etc. qui, pendant les périodes de réaction, perpétuent la tradition révolutionnaire. »

Source : https://www.marxists.org/francais/marx/works/1850/00/fe1850c.htm

Lire aussi :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nationalisme_occitan

https://books.google.fr/books?id=nIdYDwAAQBAJ&pg=PT215&lpg=PT215&dq=engels+%C2%AB+La+nation+proven%C3%A7ale,+avait+au+Moyen-%C3%82ge+non+seulement+un+%C2%AB+pr%C3%A9cieux+d%C3%A9veloppement+%C2%BB,+mais+elle+%C3%A9tait+m%C3%AAme+%C3%A0+la+t%C3%AAte+du+d%C3%A9veloppement+europ%C3%A9en...+Ce+n%E2%80%99est+pas+seulement+%C2%AB+une+phase+de+la+vie+du+Moyen-%C3%82ge...+qui+avait+connu+gr%C3%A2ce+%C3%A0+elle+%C2%BB+un+grand+%C3%A9clat+:+elle+offrait+m%C3%AAme,+au+c%C5%93ur+du+Moyen-%C3%82ge,+un+reflet+de+l%E2%80%99ancienne+civilisation+hell%C3%A8ne.+%C2%BB&source=bl&ots=2qyz9Ph38x&sig=ACfU3U0qhpbokPcDTK57Yvq7cJz6U4vqRg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiNupeyla7zAhWl4OAKHVcoAsQQ6AF6BAgCEAM#v=onepage&q=engels%20%C2%AB%20La%20nation%20proven%C3%A7ale%2C%20avait%20au%20Moyen-%C3%82ge%20non%20seulement%20un%20%C2%AB%20pr%C3%A9cieux%20d%C3%A9veloppement%20%C2%BB%2C%20mais%20elle%20%C3%A9tait%20m%C3%AAme%20%C3%A0%20la%20t%C3%AAte%20du%20d%C3%A9veloppement%20europ%C3%A9en...%20Ce%20n%E2%80%99est%20pas%20seulement%20%C2%AB%20une%20phase%20de%20la%20vie%20du%20Moyen-%C3%82ge...%20qui%20avait%20connu%20gr%C3%A2ce%20%C3%A0%20elle%20%C2%BB%20un%20grand%20%C3%A9clat%20%3A%20elle%20offrait%20m%C3%AAme%2C%20au%20c%C5%93ur%20du%20Moyen-%C3%82ge%2C%20un%20reflet%20de%20l%E2%80%99ancienne%20civilisation%20hell%C3%A8ne.%20%C2%BB&f=false

http://www.gauchemip.org/spip.php?article5409

https://materialisme-dialectique.com/friedrich-engels-sur-lechec-national-de-la-france-du-sud/

https://renemerle.com/spip.php?article698

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