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Pierre Naville, du surréaliste au dirigeant trotskiste

samedi 6 février 2021, par Robert Paris

Pierre Naville, du surréaliste au dirigeant trotskiste

Pierre Naville a été l’un des derniers pionniers survivants du surréalisme et des premiers dirigeants du mouvement trotskyste.

Né en 1904, Naville, peintre, rejoint le groupe surréaliste parisien en 1924. Les surréalistes sont un groupe de poètes et d’artistes qui cherchent à défier toutes les conventions existantes dans le domaine de l’art et à découvrir de nouvelles sources d’inspiration dans l’inconscient. Ils ont rapidement conclu qu’ils ne pouvaient pas révolutionner l’art sans faire aussi une révolution dans la société. Comme le dit leur déclaration de janvier 1925 : « Le surréalisme n’est pas une forme poétique. C’est un cri de l’esprit ... déterminé à briser ses chaînes. Si nécessaire, avec des marteaux à matériaux. »

Mais où trouver ces « marteaux matériels » ? Les surréalistes sont restés confinés à la politique du geste - par exemple, écrire des lettres ouvertes à des figures d’autorité détestées, comme la magnifique dénonciation du Pape par Artaud : `` On s’en fout de vos canons, index, péché, confessionnal, clergé - nous pensons d’une autre guerre - la guerre contre vous, Pape, chien. ’’ En 1925, Naville fut appelé pour le service militaire, et alors qu’il était dans l’armée, il prit la décision risquée de devenir communiste, distribuant des tracts dans les casernes s’opposant à la guerre coloniale de la France au Maroc. Dans ce contexte, il a commencé à chercher un moyen de sortir de la révolte surréaliste. Son pamphlet influent La Révolution et les intellectuels posait la question :

"Les surréalistes croient-ils en la libération de l’esprit avant l’abolition des conditions bourgeoises de la vie matérielle, ou considèrent-ils qu’un esprit révolutionnaire ne peut être créé qu’une fois la révolution accomplie ?"

En tant que communiste, Naville devient une figure clé de la revue Clarté fondée en 1919 pour soutenir la révolution russe. Mais il est aussi devenu militant : dans son autobiographie, il décrit son travail dans la cellule rattachée à l’usine Farman à Billancourt à Paris - distribution de tracts, tenue de réunions à la porte de l’usine, vente de papiers dans les stations de métro.

Il est intéressant de comparer l’évolution politique de Naville avec celle d’autres surréalistes comme André Breton et Louis Aragon. Breton a brièvement rejoint le Parti communiste, mais s’est trouvé « incapable » de faire un rapport sur la situation économique en Italie à une cellule de travailleurs du gaz. Aragon est devenu un communiste à vie, mais en tant que stalinien fidèle, il a abandonné tous les principes surréalistes (sa poésie ultérieure rime même !).

Les principes révolutionnaires de Naville l’ont bientôt mis en conflit avec le Parti communiste de plus en plus stalinien. Il s’est rendu en Russie en 1927, au moment où Adolf Ioffe s’est suicidé en signe de protestation contre l’expulsion de Trotsky du parti. Là, il rencontre Trotsky et Victor Serge. Largement sous son influence, Clarté devint un journal de l’Opposition de gauche, changeant son nom en Lutte de Classes (Lutte de classe), où il publia une section de la première année de la révolution russe de Serge. Naville a été expulsé du Parti communiste en 1928.

Il rompt également avec le groupe surréaliste, que Breton dirige de plus en plus comme s’il s’agissait d’une secte révolutionnaire. Breton a dénoncé Naville pour la raison plutôt étrange qu’il prenait de l’argent à son riche père pour financer des publications révolutionnaires - une activité certainement louable. Il fallut un certain temps avant que Breton ne rompe également avec le stalinisme.

En 1929, Naville et sa femme Denise rendirent visite à Trotsky exilé en Turquie. Ils ont discuté d’un plan avorté par lequel Trotsky s’échapperait en France par yacht.

Dans les premières années du mouvement trotskyste, Naville a travaillé en étroite collaboration avec Alfred Rosmer, ancien syndicaliste révolutionnaire et vétéran de l’Internationale communiste. Trotsky se méfiait de Naville comme trop intellectuel, préférant l’enthousiasme juvénile de Molinier (qui dirigeait une entreprise de recouvrement assez douteuse). L’épouse de Rosmer, Marguerite, a écrit à Trotsky pour défendre Pierre et Denise Naville : « Ils vendent des papiers à 6 heures du matin, les portes des usines de tracts - c’est les désintellectualiser, je vous assure. »

Naville s’est opposé à l’entrée des trotskystes français dans le Parti socialiste en 1934, mais est resté actif dans le mouvement trotskyste. En 1938, Rudolf Klement, responsable de l’organisation de la conférence de fondation de la Quatrième Internationale trotskyste, fut enlevé par des agents russes, décapité et jeté dans la Seine. En conséquence, une grande partie du travail de secrétariat impliqué dans la fondation de la Quatrième Internationale est tombée sur Naville.

Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale a jeté la gauche française dans la confusion. Naville abandonna ses liens avec le trotskysme organisé, mais resta attaché au marxisme. Sous l’occupation allemande, il a publié deux livres. L’une était une étude du philosophe d’Holbach du XVIIIe siècle, dans laquelle Naville affirmait que les idées de Marx devaient plus au matérialisme des Lumières qu’à Hegel. L’autre était une étude de la psychologie comportementale de J.B. Watson. Les deux étaient destinés à défendre le matérialisme contre les idées religieuses soutenues par le régime pro-allemand de Vichy.

Pendant le reste de sa vie, Naville écrivit abondamment, publiant des livres sur la psychologie, la sociologie et la stratégie militaire. Il a largement contribué à la presse de gauche, polémisant avec Sartre et d’autres pour défendre sa vision du marxisme.

Bien que de nombreuses critiques aient pu être faites sur des positions intellectuelles et politiques particulières, il est clair qu’il est resté fidèle à son point de départ. Dans une préface à un livre sur le surréalisme publié peu de temps avant sa mort, il écrivit :

« Il ne s’agit pas simplement de garder vivants des souvenirs : il est également très nécessaire de s’appuyer sur ces souvenirs comme source d’action combative capable de résister à toutes les oppressions. Nous sommes toujours, et pour longtemps encore, les victimes rebelles de cette oppression. »

Source

Né le 1er février 1904 à Paris (VIIe arr.), mort le 24 avril 1993 à Paris ; journaliste, membre du mouvement surréaliste ; sociologue, chercheur au CNRS ; dirigeant du mouvement trotskyste de 1929 à 1939 ; dirigeant du PSU de 1960 à 1969.

Issu d’une famille maternelle catholique et paternelle protestante d’origine genevoise, Pierre Naville dont le père, banquier, était étroitement lié à André Gide, évolua très jeune dans un milieu cultivé. Étudiant à dix-huit ans, après avoir suivi les cours de l’École alsacienne, il connut à la Sorbonne Henri Lefebvre* et Georges Politzer*. Il écrivit alors dans l’œuf dur, revue consacrée à la modernité littéraire et artistique fondée par Mathias Lübeck, Maurice David et Gérard Rosenthal*. Membre du groupe d’André Breton*, il devint codirecteur avec Benjamin Péret* de la Révolution surréaliste. Soucieux de mener une action révolutionnaire efficace, il se tourna au cours de l’année 1925 vers la philosophie marxiste et le léninisme, se plongea dans plusieurs ouvrages théoriques accessibles à l’époque comme Que faire ?, L’État et la Révolution, La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky. Au printemps 1925, il effectua son service militaire dans un régiment de tirailleurs nord-africains stationné à Chaumont. Il se lia d’amitié avec plusieurs soldats communistes et milita dans leur cellule. Inquiété par le commandement pour indiscipline, il fut envoyé au camp du Valdahon (Doubs) et menacé du conseil de guerre. Après un mois de prison, il faillit être envoyé au Maroc mais réussit à se faire nommer dans une unité fixée à Paris.

Témoin des efforts des surréalistes pour se rapprocher durant l’hiver 1925-1926 de Clarté revue animée par Jean Bernier* (voir Jean Charles Bernier*), Marcel Fourrier*, Victor Crastre* qui évoluait dans le sillage du Parti communiste puis de la tentative de fonder avec ce groupe une revue commune intitulée la Guerre civile, Pierre Naville interpella ses amis surréalistes et les invita fermement dans sa brochure La Révolution et les intellectuels à s’engager sur le terrain de la lutte des classes.

Au cours de l’année 1926, Pierre Naville s’inscrivit aux Jeunesses communistes puis adhéra au PC. Il occupa le poste de secrétaire du Mouvement des étudiants communistes et devint rédacteur de son journal l’Étudiant d’avant-garde. Il fut membre de la cellule de l’usine Farman dans le rayon de Boulogne-Billancourt. En juin 1926, partageant la direction de Clarté avec Marcel Fourrier, il s’efforça de faire de cette revue un outil d’éducation communiste. Restant en relation avec le groupe d’André Breton, il chercha personnellement à le faire adhérer au communisme. Il ouvrit les colonnes de Clarté aux écrits des surréalistes et participa activement aux soirées organisées par A. Breton. Ses efforts furent récompensés puisqu’au printemps 1927 Louis Aragon*, André Breton, Paul Éluard*, Benjamin Péret et Pierre Unik* rejoignirent les rangs du PC. En juin 1927, Pierre Naville rédigea une seconde brochure Mieux et moins bien dans laquelle il invitait les surréalistes à réfléchir sur le bien-fondé du marxisme international. Alors qu’André Breton et ses amis se rangeaient du côté du parti, Naville se posait en intellectuel révolutionnaire exigeant et critique. En contact avec Boris Souvarine*, il devint membre du Cercle communiste Marx et Lénine.

Avec Clarté, Pierre Naville entreprit à partir de mars 1927 un travail critique contre Henri Barbusse* et son Jésus puis s’en prit à l’incapacité de l’auteur du Feu à assimiler la philosophie marxiste, suscitant l’hostilité du Parti communiste. Le mois suivant, par les écrits de Victor Serge*, Clarté s’orienta vers la critique de la politique de l’IC dans la révolution chinoise, à la lumière des thèses oppositionnelles. Lors du dixième anniversaire de la révolution d’Octobre, sur les conseils de Victor Serge et avec l’appui de Christian Rakovsky, ambassadeur à Paris, il se rendit en compagnie de Gérard Rosenthal en Russie, malgré l’opposition du Parti communiste. Il rencontra Léon Trotsky qui le chargea de faire connaître en Europe ses travaux et d’aider à la naissance de groupes oppositionnels en dehors de Russie. Il eut l’occasion d’entrer en contact avec d’autres personnalités de l’Opposition unifiée comme Préobrajensky, Zinoviev, Radek. Assistant à une réunion des délégués étrangers où Boukharine réclamait la condamnation de Trotsky, Naville refusa de se prononcer. Invité au nom de Clarté à présenter un rapport sur les tendances de la littérature française au cours d’une conférence d’écrivains présidée par Lounatcharsky, il revendiqua une entière liberté de création de l’artiste face au Parti communiste, ce qui lui valut les félicitations de Maïakovsky. À l’occasion d’un gala au théâtre de Moscou, il salua publiquement l’action courageuse de Trotsky. Il s’efforça en compagnie de Victor Serge de connaître la réalité de la vie quotidienne du citoyen soviétique et participa à des réunions clandestines d’oppositionnels russes. Il assista à l’enterrement d’A. Ioffé au cours duquel Léon Trotsky prononça un discours vibrant, dernière manifestation publique de l’opposition à Moscou. Témoin du conflit qui éclata entre le Bureau politique et l’Opposition, à la veille du XVe congrès du parti, Pierre Naville s’engagea défendre la cause de Trotsky.

De retour en France, Pierre Naville dénonça l’exclusion de Trotsky et s’en prit à la déformation systématique de la réalité politique par la presse communiste. Il présenta avec V. Serge un bilan de la gestion économique et sociale des responsables russes dans les colonnes de la revue. Gérard Rosenthal et Pierre Naville signèrent un tract intitulé “ Aux communistes ! Aux ouvriers révolutionnaires ! Notre témoignage ”, publié conjointement par le Bulletin communiste, Contre le courant et l’Unité léniniste. Il transmit un compte rendu de son voyage à la revue Contre le courant de Maurice Paz* et participa à une réunion publique organisée par ce groupe. Il tenta de convaincre ses camarades de cellule de l’usine Farman du rayon de Boulogne-Billancourt mais fut invité par Alfred Costes* (voir Alfred Marie Costes*), secrétaire de la Fédération CGTU de la Métallurgie, responsable du rayon, à respecter la discipline du parti.

Exclu du PC en février 1928, Pierre Naville transforma Clarté en la Lutte de classes qui devint la revue théorique de l’Opposition communiste en 1930. Le 1er juillet 1928, il rédigea avec Marcel Fourrier et Georges Rosenthal un appel au VIe congrès de l’IC dans lequel il s’en prenait à la politique d’étouffement du parti, accompagnant ce texte de deux thèses sur la réorganisation du parti et de la vie syndicale. En février 1929, Pierre Naville tenta vainement avec le Cercle communiste Marx et Lénine de Boris Souvarine qu’il connaissait bien, de fonder un organe commun le Camarade. Devant cet échec, il s’engagea à participer, le 15 août de la même année, au lancement d’un second hebdomadaire la Vérité, sur les conseils de Trotsky qu’il avait rencontré à Prinkipo en Turquie. Cette revue regroupait les frères Henri Molinier* et Raymond Molinie*r, Alfred Rosmer et l’équipe de la Lutte de classes. Pierre Naville, qui restait en contact très étroit avec Trotsky, multiplia ses interventions pour favoriser le développement de l’opposition. En mars 1930, il se trouvait à Berlin pour aider à la fondation de l’Opposition de gauche unifiée d’Allemagne (VLO) regroupant d’anciens militants du Leninbund et l’Opposition de Wedding. En avril de la même année, il travailla à l’organisation de la première conférence internationale de l’Opposition de gauche qui désigna un secrétariat international où il fut élu comme suppléant d’Alfred Rosmer. Cependant des divergences éclatèrent au sein de l’opposition au sujet des méthodes de travail et de la question syndicale. À l’exemple de Rosmer, Pierre Naville refusa de collaborer avec Raymond Molinier et dut essuyer les critiques de Trotsky. Il n’en continua pas moins à s’occuper de l’animation de l’Opposition de gauche nationale et internationale.

En mars 1932, il assista à la IIIe conférence de l’Opposition espagnole. En novembre, il accompagna Trotsky à Copenhague et participa avec lui à une rencontre internationale qui préparait la conférence de l’Opposition tenue en février 1933. Du 19 au 21 août, il assista au plénum de l’Opposition de gauche internationale qui décida d’abandonner l’idée du redressement du Komintern au profit de la création d’une nouvelle Internationale. Il défendit ce point de vue à la conférence des 27 et 28 août qui réunit à Paris l’Opposition de gauche ainsi que plusieurs partis socialistes de gauche et divers groupes oppositionnels n’appartenant ni à l’IOS ni.au Komintern. À l’issue de cette réunion fut publié un texte la “Déclaration des quatre” appelant à la construction d’une nouvelle Internationale. En plus du courant lié à Trotsky, elle fut signée par le Parti socialiste ouvrier (SAP) d’Allemagne, le Parti socialiste indépendant (OSP) et le Parti socialiste révolutionnaire (RSP) des Pays-Bas. Pierre Naville assura en même temps une activité importante dans la section française. Outre de nombreux articles, commentaires et analyses sur la situation politique, il milita dans le cadre de la Fédération unitaire de l’Enseignement qui était le noyau de l’opposition unitaire. Il y travailla avec des militants comme Maurice Dommanget*, Gabriel Serret*, Jean Aulas*, Joseph Rollo*, Louis Bouët* et assista aux congrès fédéraux d’août 1932 et 1933. Durant cette période, il représenta la Ligue communiste dans de nombreux meetings. Il réclama dès juin 1932, face à la montée du parti nazi, la constitution d’un front unique contre le fascisme. Devant les menaces des groupes d’extrême-droite en France, il appela en décembre 1933 la classe ouvrière à se mobiliser.

Trotsky engagea les diverses sections de son mouvement à entrer dans les partis socialistes dans la perspective d’y approfondir la crise que, selon lui, ils traversaient et dans le but de hâter la construction du parti révolutionnaire. Cette orientation parfois appelée le “tournant français” ne fut pas acceptée à l’unanimité. Pierre Naville et une minorité d’oppositionnels refusèrent d’adopter une telle tactique. Après de nombreux pourparlers et notamment une entrevue avec Trotsky séjournant à Domène, près de Grenoble, Pierre Naville accepta d’adhérer au Parti socialiste. En conséquence, la Ligue communiste disparut. La Vérité devint l’organe du Groupe bolchevik-léniniste de la SFIO. Naville de son côté conserva la Lutte de classes qui parut jusqu’en juin 1935. Les premiers résultats de cette orientation furent encourageants. Le GBL remporta plusieurs succès. Il contrôlait les Jeunesses socialistes de la Seine, exerçait une grande influence en Seine-et-Oise. Au congrès de Mulhouse de la SFIO, le GBL obtint deux élus à la CAP : Jean Rous*, titulaire et Pierre Frank, suppléant. À ce même congrès, délégué pour la Fédération de la Seine, Naville intervint sur plusieurs points de l’ordre du jour. Il entra au Bureau politique du GBL. Cependant la direction de la SFIO, avec Léon Blum* et Jean Zyromski*, sacrifia cette nouvelle gauche aux impératifs de son alliance avec le PC. Le GBL fut exclu le 1er octobre 1935. Pierre Naville avec d’autres militants se battit pour la réintégration du mouvement ; il présenta notamment une motion au congrès fédéral de la Seine des 26 et 27 octobre 1935 mais sans succès. Cette exclusion se traduisit par une sérieuse diminution de l’influence des trotskystes mais aussi par des rivalités internes. Raymond Molinier et Pierre Frank disposant de moyens financiers fondèrent leur propre journal la Commune et des “groupes d’action révolutionnaire”. Devant une situation aussi inquiétante, Pierre Naville appuyé par Trotsky dénonça ces manœuvres qui scindaient le groupe oppositionnel en deux.

Malgré ces divergences, le Parti ouvrier révolutionnaire formé le 1er juin 1936 par le Groupe bolchevik-léniniste et les Jeunesses socialistes révolutionnaires de Pierre Naville, Jean Rous et Yvan Craipeau* accueillit les délégués du PCI de Molinier créé en mars 1936 et ils constituèrent le 2 juin le Parti ouvrier internationaliste avec pour hebdomadaire la Lutte ouvrière. Pierre Naville fut l’un de ses principaux dirigeants et rapporteurs. Devant la politique du Front populaire, il ne ménagea pas ses critiques et revendiqua la formation d’un front prolétarien révolutionnaire. Il soutint activement les militants espagnols aux prises avec le pouvoir franquiste. Il organisa avec le POI de nombreuses réunions publiques dans le but de dénoncer les manœuvres staliniennes et de stigmatiser les procès de Moscou, à Lyon, à Marseille, à Toulon, à Lille. Il intervint personnellement à Paris, salle du Petit Journal, devant 2 000 personnes. Concernant la répression en URSS, il fut chargé de rassembler des témoignages pour aider le travail de la Commission d’enquête sur les procès de Moscou, présidée par le philosophe américain J. Dewey. En 1938, il assista chez Gérard Rosenthal à la rencontre entre W. Krivitsky qui venait de rompre avec les services soviétiques et Élisabeth Poretski, la veuve d’Ignace Reiss. Il identifia le corps mutilé de l’Allemand R. Klément, secrétaire de la IVe Internationale, enlevé en plein Paris par le Guépéou, le 14 juillet 1938. Dans le bulletin de la IVe Internationale, il dénonça les agissements du Guépéou en France et en Europe qui multipliait les assassinats et les enlèvements des militants comme A. Nin, I. Reiss, C. Berneri, E. Wolf, K. Landau.
Le 3 septembre 1938, s’ouvrait à Périgny (Seine-et-Oise, actuel Val-de-Marne) chez les Rosmer, la conférence de fondation de la IVe Internationale, organisée par Pierre Naville. Celui-ci s’était rendu auparavant à Amsterdam en janvier 1937 pour rencontrer H. Sneevliet et en Belgique pour assister en juillet 1938 au congrès du Parti socialiste révolutionnaire.
Au début de l’année 1939, lorsque Trotsky invita les militants révolutionnaires, face à l’approche de la guerre, à se regrouper sur la base d’un programme et de principes clairs, en sollicitant les membres du POI d’adhérer au PSOP de Marceau Pivert*, de Daniel Guérin*, Pierre Naville rejeta une telle proposition. Soutenue par Trotsky, une minorité de militants avec J. Rous et Craipeau rejoignit le PSOP, la majorité, avec Pierre Naville, restant à l’écart. Le POI fut alors mis en dehors de l’Internationale après le voyage de l’Americain James P. Cannon, porte-parole de Trotsky. Il s’abstint alors de militer dans le mouvement trotskyste.

Le 2 septembre 1939, Pierre Naville fut mobilisé dans le train des équipages à Paris puis transféré au secrétariat du cabinet de Daladier. Après enquête de police, il fut affecté au 33e RI, régiment disciplinaire basé à Fontainebleau. Fait prisonnier, interné à Saint-Léger-Vauban dans la Meuse, il fit partie du camp de prisonniers d’Avallon puis de Tonnerre. Assurant des travaux des champs à Juvisy, souffrant, il fut transporté à l’hôpital de Chalons-sur-Marne. Au mois de janvier 1941, il fut libéré pour cause de maladie grave par les autorités allemandes. Il se consacra alors à des travaux scientifiques, publiant en 1942 La psychologie, science du comportement, en 1943, D’Holbach et la philosophie scientifique au XVIIIe siècle, en 1945 Théorie de l’orientation professionnelle. Ces titres marquèrent le début d’une série d’ouvrages sur la sociologie du travail et l’analyse psychologique. En 1943, il passa son diplôme de conseiller d’orientation professionnelle. Au cours de l’automne 1944, il tenta de lancer une revue avec Charles Bettelheim* et Gilles Martinet*, mais sans résultat.

À partir de 1945, fondateur et animateur de la Revue internationale qui parut de 1946 à 1951, Pierre Naville, en compagnie de quelques collaborateurs de celle-ci, entra en contact avec le PCF pour soutenir l’expérience du Mouvement socialiste unitaire et démocratique qui devint, en février 1948, le Parti socialiste unitaire. Membre de son comité directeur, Naville refusa en janvier 1950 de voter un texte condamnant Tito. Au cours de l’année 1952, il fut membre du Comité d’études et d’action pour un règlement pacifique de la guerre du Vietnam et en 1953 du Comité d’action des intellectuels pour la défense des libertés. Après avoir participé à la création du Parti socialiste gauche (PSG), en 1955, il fut élu au Conseil national des groupements unis de la nouvelle gauche. Réélu à ce poste l’année suivante, il participa au Ier congrès de l’Union de la gauche socialiste qui se tint à Lyon du 19 au 21 septembre 1958. Il entra en relation avec l’Union des forces démocratiques de tendance mendésiste. Membre de la direction de l’UGS en 1959, il participa à la fondation, en 1960, du Parti socialiste unifié. En 1962, il participa également à la Commission française pour la vérité sur les crimes de Staline. Membre du comité politique national du PSU de 1961 à 1969, Pierre Naville intervint dans ses différents congrès et engagea un travail d’étude important sur le principe de cogestion. Il se présenta plusieurs fois aux suffrages des électeurs : le 26 avril 1936 dans le XVIIe arr. de Paris, le 20 février 1954 dans la 1re circonscription de la Seine-et-Oise, le 5 avril 1959 où il fut élu grand électeur sous l’étiquette Union des forces démocratiques, et le 23 juin 1968. Il fut candidat du PSU en 1967 dans ler quartier Saint-Lambert (Paris, XVe arr.) mais ne se maintint pas au second tour ayant été distancé non seulement par le candidat du PC mais aussi par Gisèle Halimi, candidate de la FGDS.

Directeur de recherche en 1951 au CNRS, il entreprit à partir de 1957 une œuvre importante intitulée Le nouveau Léviathan qui traite de l’évolution du travail en régime socialiste et qui comptait, à la fin des années quatre-vingts, sept tomes.
Pierre Naville mourut le 24 avril 1993 et fut incinéré au Père-Lachaise. Ses archives ont été versées à la bibliothèque du CEDIAS-Musée social.

Source Maitron

Rêves (La Révolution surréaliste), Naville et Aragon

Journal d’une apparition (La Révolution surréaliste), Naville et Aragon

Trotsky et Naville

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Pierre Naville, surréaliste et révolutionnaire

Trotsky vivant, par Pierre Naville

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Pierre Naville, La guerre du Vietnam

L’année 1938 en France

Qui était Pierre Naville

Pierre Naville et le mouvement trotskyste en France

Ecrits de Pierre Naville

Writings of Pierre Naville

Escritos de Pierre Naville

La maîtrise du salariat

Sociologie d’ajourd’hui

Temps et Technique

Sociologie et Logique

Pierre Naville, « Un pas en arrière du syndicalisme français » (Janvier 1930)

La « Révolution Prolétarienne » (la R.P.) [1] vient de changer d’étiquette. Son premier numéro de l’année se dit syndicaliste révolutionnaire et non plus syndicaliste-communiste. Cela apporte de la clarté. Les rédacteurs en chef du R.P. considèrent en outre « qu’il ne peut exister de révolutionnaires prolétariens plus authentiques, pas plus de vrais communistes que de véritables syndicalistes révolutionnaires ». La formule aurait été assez correcte s’il y avait été ajouté : avant la guerre. Mais aujourd’hui, la substitution de l’étiquette révolutionnaire-syndicaliste à celle de syndicaliste-communiste, implique un recul très net, accompli progressivement et ne se matérialisant qu’aujourd’hui.

Dans le premier numéro, Loriot prend sur lui de nous montrer qu’il ne s’agit pas d’une formalité extérieure mais plutôt d’un nouveau contenu, d’une rupture définitive avec le communisme, c’est-à-dire avec l’expérience révolutionnaire des quinze dernières années. L’article de Loriot, intitulé La faillite de l’Internationale communiste et l’indépendance du mouvement syndical n’ajoute rien d’essentiel aux arguments exposés il y a deux ans dans sa brochure sur les problèmes de la révolution prolétarienne. On y trouve développée la même utopie d’un seul rassemblement syndical, un parti de classe du prolétariat (du type du Labourisme anglais). On y retrouve la même absence de perspectives politiques (Loriot se fie-t-il aux analyses totalement fausses de Chambelland ?), Les mêmes erreurs concernant le cours de la révolution russe et le même appel aux éléments « politiquement éclairés » du prolétariat opposés au « éléments sociaux que l’ignorance et la misère amènent à considérer la violence plus comme une fin que comme un moyen ». En attendant, il existe en France de nombreux C.G.T. membres auxquels la minorité nouvellement organisée de la C.G.T.U. vient d’être ajouté, il y a un parti communiste et il y a aussi l’opposition communiste. Mais Loriot ne s’attarde pas sur ces détails. En tout cas, il n’indique pas par quels processus, grâce à quelles circonstances, il sortira de tout cela un seul syndicalisme de masse supplantant tous les partis dans l’accomplissement de la révolution.

Cependant, Loriot a ajouté quelque chose à son attitude précédente : c’est une critique du rôle de la fraction communiste de gauche. Il ne croit pas que « la position actuelle du camarade Trotsky et des petits groupes de l’opposition communiste, qui comme lui, se consacrent à la tâche de régénérer la C.I., soit correcte ». Il ne donne que des raisons empiriques : peu de communistes viennent à nous, depuis cinq ans aucun noyau communiste substantiel n’a pu s’organiser en dehors de l’IC, aucune influence n’a été obtenue sur le parti de l’extérieur, etc. ... Les éléments sains s’en vont le parti et ne seront remplacés par d’autres « que dans la mesure où les groupes d’opposition auront l’idée d’une éventuelle régénération de l’IC » Enfin, voici la conclusion péremptoire :

« Les ouvriers français ne se contentent pas d’être libérés du commandement des bureaucrates, qui ne pensent pas que le parti qui génère la bureaucratie communiste soit capable de se débarrasser de cette institution, qui voit le salut du prolétariat et sa révolution dans un la classe et non une organisation syndicale sectaire, contrôlant ses formations politiques internes et indépendantes des partis de l’extérieur, quittera l’opposition léniniste pour poursuivre la chimère de la résurrection d’un passé mort.

Nous pensons bien au contraire, car pour nous « la résurrection du passé mort » est l’élan de résurrection du prolétaire sous la nouvelle crise capitaliste - et non la perspective de trente ou quarante ans de paix relative entre les classes. Le parti ou le syndicat ne sont pas, pour nous, des instruments de la classe ouvrière créée par le caprice de quelques individus ; ils sont le résultat de certains rapports de classe en lutte. Ils surviennent dans certaines circonstances contre lesquelles on ne peut pas agir et vivent de la même manière. Comme les syndicats, le parti communiste correspond à certains besoins de la lutte de classe. A l’époque actuelle, cela correspond à la nécessité d’accomplir la révolution prolétarienne, de travailler immédiatement sur la base des luttes révolutionnaires d’après-guerre en Russie, en Allemagne, en Autriche et ailleurs.

Nous sommes totalement désintéressés du caractère académique de la discussion : quelle est la « meilleure » organisation prolétarienne pour accomplir la révolution ? Nous ne nions pas l’importance et le rôle du syndicat. Ce serait insensé. Nous savons que les syndicats réformistes jouent souvent un rôle important dans l’orientation de la masse. Mais nous savons aussi que les syndicats réformistes jouent souvent le rôle de frein dans l’action révolutionnaire. Nous voulons nous baser sur l’expérience résultant du développement et de la crise des partis communistes, c’est-à-dire du développement de la lutte de classe elle-même.

La « dégénérescence » des partis joue à peu près le même rôle pour les purs syndicalistes que « l’opportunisme petit-bourgeois » pour la direction du parti et la C.G.T.U. C’est une phrase creuse. L’Opposition de gauche lui donne un sens précis et concret. Il désigne par là une fausse politique. Ce n’est pas une décrépitude formelle, due à la vieillesse ou aux désillusions. C’est de la persévérance dans une fausse ligne politique, dont les conséquences peuvent être fatales, et ont en fait été fatales, notamment en Angleterre et en Chine. Ceux qui n’ont que des désillusions ne peuvent profiter de l’expérience ; ils remettent tout en question et reconnaissent s’être trompés dans le passé. Ceux qui assimilent les raisons objectives et subjectives qui déterminent cette fausse ligne politique travaillent à reconstituer les noyaux autour desquels se rassemblera par la suite le parti correctement orienté.

Loriot et la R.P. tournent le dos au communisme. C’est un fait. Ils justifient ceux qui les ont expulsés. Monatte a écrit que Sellier avait raison de l’expulser du parti. Ainsi, ils ne s’intéressent pas du tout au sort de la C.I., et par conséquent de la révolution russe. On dira qu’ils ont en tête de justifier (sinon de légitimer) les attentats de Monmousseau. En même temps, ils abandonnent toute perspective politique, aussi petite soit-elle. Le discours de Chambelland au dernier congrès de la C.G.T.U. est lamentablement faible à cet égard. Louzon recommande la cession du chemin de fer chinois oriental par la Russie en même temps qu’il souligne le grand succès de Staline dans la collectivisation de l’agriculture. Repoussé par le bolchevisme « russe », le RP se replie dans une attitude étroitement « française ». Il ne semble guère suspecter l’existence de millions de travailleurs nés à l’étranger en France et l’unité de la lutte internationale, même avec les organisations dispersées.

Évidemment, nous nous battons sur une voie différente. On ne parle pas de « régénérer » le C.I. comme on réinfuse du sang dans un vieil organisme. Mais nous n’avons aucune raison d’abandonner les principes généraux de la C.I. Nous voulons la compenser dans la lutte révolutionnaire qu’elle est de moins en moins capable de mener correctement, mais que seule une organisation de ce type peut mener. Nous ne préjugons pas de ses développements. Il se peut, et en ce qui concerne la France, il est probable que l’organisation communiste telle qu’elle existe aujourd’hui soit incapable de se redresser. Mais ce qui est essentiel, c’est de prendre une position correcte dans les circonstances actuelles.

Le fait que les cadres actuels des communistes officiels ne soient pas susceptibles de se régénérer ne signifie pas du tout que nous ne soyons pas capables de nous développer. Ou le développement n’est pas lié à la régression du parti ou à sa régénération. Il est lié à une ligne politique révolutionnaire correcte, différente de celle du parti. Nous ne nous adressons pas seulement aux « noyaux » sains qui existent encore dans le parti (ils sont peu nombreux) mais aussi et surtout à la masse, qui se tient en dehors du parti. Notre activité est liée à celle des ouvriers qui ne sont pas satisfaits de la politique du parti, mais qui restent communistes, à l’intérieur ou à l’extérieur du parti. Loriot et ses amis lient leur sort à ceux qui ne peuvent se satisfaire de la politique du parti, mais qui abandonnent le communisme. Il y a tout lieu de penser que leur position deviendra encore plus claire en ce sens.

Paris, 17 janvier 1930

PIERRE NAVILLE

Source

Pierre Naville, Marxism in France Today (January 1967)

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