Accueil > 12- Livre Douze : OU EN SONT LES GROUPES REVOLUTIONNAIRES ? > Le mouvement trotskyste en France

Le mouvement trotskyste en France

samedi 19 janvier 2019, par Robert Paris

Le mouvement trotskyste en France

Il est remarquable que les trois plus importantes organisations d’extrême gauche issues du trotskysme se soient détournées du mouvement des gilets jaunes à ses débuts pour ensuite y participer à la marge en tentant d’y faire pénétrer le réformisme syndical !!!

LO (Arthaud) et les gilets jaunes

NPA (Besancenot) et les gilets jaunes

POI (Gluckstein) et les gilets jaunes

Cela montre que ces organisations qui se disent révolutionnaires ne défendent absolument pas une perspective révolutionnaire face à un soulèvement en chair et en os !!!

Il convient de comprendre comment ces groupes ont pu produire des directions opportunistes qui ont progressivement dérivé.

Qui sont les plus grands dirigeants trotskystes français

Si les principaux groupes trotskystes français ont été la LCR, la LO et le POI, issus de trois dirigeants se revendiquant du trotskysme, respectivement Pierre Frank, Barcia-Hardy et Raymond Molinier. Les principaux dirigeants du trotskysme en France ne sont aucun des trois. Aucun des trois n’est un théoricien, aucun n’a une grande culture politique ni des capacités importantes. Les trois cultivent seulement le recrutement et l’organisation. Ils forment d’autres dirigeants encore pires qu’eux : Krivine, Muro et Lambert, respectivement pour les trois groupes précédemment cités. Avec les successeurs, Besancenot (non pas trotskyste mais guévariste dit-il), Arthaud et Gluckstein, respectivement pour les trois groupes, on recule encore… Les idées révolutionnaires de base ne sont même plus connues et défendues !!!

Les plus grands des dirigeants trotskystes de France sont…

Victor Serge

De Victor Serge

Pierre Monatte

De Monatte

Alfred Rosmer

De Rosmer

Boris Souvarine

Pierre Naville

Ecrit de Pierre Naville

Gérard Rosenthal

Benjamin Péret

Ecrits de Benjamin Péret

André Breton

Ecrits d’André Breton

Jean Rous

David Korner dit Barta

Ecrits de Barta

Pierre Bois

Mathieu Bucholz

Jacques Ramboz

Marcel Hic

Grandizo Munis

Ecrits de Grandizo Munis

Yvan Craipeau

Ecrit de Yvan Craipeau

Louis Rigaudias

Marcel Bleibtreu

Daniel Guérin

Ecrits de Daniel Guérin

Quatre militants trotskystes assassinés par les staliniens dans le maquis Wodli en Haute-Loire : Pietro Tresso, Abraham Sadek, Maurice Sieglmann et Jean Reboul

Trotsky et la France

Du trotskisme, de la défaite, de la répression et de l’isolement à l’opportunisme

Lire sur Trotsky

Qu’est-ce que le trotskysme ?

Que penser du trotskysme ?

Défense du trotskysme

Comment Trotsky critiquait le courant trotskyste de France sur la question syndicale

Léon Trotsky et la fondation du parti communiste (section française de l’Internationale communiste) qui était PC (SFIC) et pas PCF

Le trotskisme après Trotsky

Quand Trotsky écrivait dans « L’Humanité »

Témoignages sur Léon Trotsky

Chacun des groupes issus du trotskysme en France s’est lié à un appareil bureaucratique syndical différent avec des politiques plus opportunistes les uns que les autres :

LO avec le CGT

le NPA avec SUD

le POI avec FO

Ces trois groupes sont en fait issus de courants et de dirigeants exclus du trotskysme, soit par Trotsky lui-même en ce qui concerne les courants dirigés par Franck (qui a donné la LCR puis le NPA) et Molinier (qui a donné le POI), ou en rupture avec Barta en ce qui concerne Hardy-Barcia (à l’origine de LO).

Ces groupes sont entrés dans les syndicats sous prétexte de garder le contact avec le milieu ouvrier militant et de l’influencer. C’est l’inverse qui s’est produit car ni les uns, ni les autres, ni les troisièmes n’ont eu la force politique de représenter une force prolétarienne en opposition avec les appareils bureaucratiques.

Ils ont conquis des positions dans les appareils syndicaux mais ce n’est absolument pas sur des bases prolétariennes révolutionnaires ni en rupture avec les méthodes bureaucratiques. Les positions qu’ils occupent n’ont pas été gagnées sur des bases différentes de celles des autres militants et ils ne s’en servent pas différemment, à part qu’ils favorisent leur petit appareil d’organisation politique. On se souvient avec nostalgie de l’affirmation fameuse de Marx dans le Manifeste : « les communistes n’ont pas d’intérêts d’organisation à défendre. »

Quand ils interviennent de manière un petit peu plus radicale que l’appareil, ils ne le font nullement en défendant l’autonomie ouvrière, les assemblées interprofessionnelles souveraines, élisant des comités de grève réellement exécutifs, mais en redorant le blason des appareils syndicaux auprès de leurs camarades de travail en se cachant derrière l’étiquette syndicale pour agir.

Ces groupes se disent toujours révolutionnaires mais, devant une action autonome des masses comme les gilets jaunes, ils n’ont vu qu’une action non pure, pas proprement ouvrière, avec des dérives racistes, machistes, homophobe, fasciste, violentes et on en passe…

Ils font partie de la frange intégrée du prolétariat et renient sa fraction la plus opprimée et exploitée qui se mobilise dans les gilets jaunes.

Ils ont par la suite choisi d’intervenir quand même dans les gilets jaunes mais c’est pour défendre l’entrée des syndicats bureaucratiques dans le mouvement alors que les gilets jaunes doivent une grande partie de leur capacité insurrectionnelle au fait d’avoir refusé les méthodes réformistes des appareils syndicaux.

Ils se sont écartés non seulement du trotskysme mais du communisme révolutionnaire à tel point que personne ne peut espérer que la radicalisation des masses puisse demain suffire à leur faire retrouver une voie prolétarienne.

Ils démontrent qu’il ne suffit pas de proclamer que l’on veut construire le parti révolutionnaire pour faire avancer l’organisation politique du prolétariat communiste.

Le récit d’Yvan Craipeau, l’ancien secrétaire général du groupe trotskyste de France à l’époque de Trotsky :

« Nous ne descendons pas de Jeanne d’Arc (dans les années trente, les staliniens français reconvertis au nationalisme bleu blanc rouge, après l’entente Laval-Staline, ont trouvé des accents vibrants pour se redonner des racines nationales dont Jeanne d’Arc et la Marseillaise !)

Commençons par un aveu. Notre Parti n’est pas le fils spirituel de Jeanne d’Arc ou de Louis XIV, de Vercingétorix ou de Monsieur Clemenceau. Ceux dont il se revendique dans le lointain passé, ce sont les esclaves de Spartacus insurgés contre leurs maîtres, les serfs du Moyen-Age brûlant les châteaux des seigneurs, les sans-culottes et les ménagères républicains de Jacques Roux, qui pendaient les accapareurs à la lanterne, les canuts de Lyon qui dressaient sur leurs barricades la fière devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ».

Ceux dont notre Parti se revendique, ce sont tous ceux qui ont lutté au service des exploités et des opprimés, quelle que soit leur nationalité ; le Français Blanqui dont l’exemple guidait les prolétaires sur les barricades de 1848 et de 1871, les Allemands Karl Marx et Frederic Engels qui, il y a un siècle, lançaient au monde le Manifeste Communiste : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » - les Russes Lénine et Trotsky qui, pendant la guerre de 1914, redressaient le drapeau rouge de l’internationalisme abandonné par les social-patriotes de tous les pays : les Vandervelde, les Mussolini, les Ebert et les Cachin qui se vautraient alors dans l’union sacrée avec leur bourgeoisie nationale.

Les rythmes de l’histoire

Car tel est le drame de notre époque, comme de toutes les périodes où la société change de peau. Si les classes antagonistes avaient clairement conscience de leurs intérêts et de leur devenir, la lutte ne durerait pas longtemps : les classes privilégiées aux effectifs restreints perdraient le pouvoir dès qu’elles se montreraient incapables de promouvoir l’humanité dans la nouvelle étape de son histoire.

Or il n’en est rien. La révolution bourgeoise n’a eu lieu en France par exemple, que deux siècles après la Hollande, plus d’un siècle après l’Angleterre, alors que la féodalité jouait depuis des siècles déjà un rôle parasitaire. C’est que les classes sociales sont loin d’être homogènes, et qu’elles ne prennent pas automatiquement conscience de leur intérêt général : l’histoire des sociétés se déroule dans le cadre des lois naturelles, économiques et sociologiques. Les lois la déterminent aussi rigoureusement qu’elles déterminent chacune de nos actions. Mais cela ne signifie pas fatalité. L’histoire est faite par les hommes, leurs groupements, leurs partis ; elle avance, piétine, recule en fonction de leurs luttes, de leurs défaites et de leurs victoires dans les diverses parties du monde.

Flux et reflux gigantesques qui font l’histoire du monde. Quoi d’étonnant s’ils durent des décennies ? L’individu veut ramener à son échelle les délais de l’histoire. Le révolutionnaire a tendance à s’impatienter et à se décourager parce que les progrès sont trop lents. Il lui arrive de verser dans le scepticisme parce que les événements prennent des chemins imprévus. C’est le moment de répéter une fois de plus avec le philosophe « ni rire, ni pleurer : comprendre ».

En fait, ce qui frappe celui qui réfléchit, ce n’est pas la lenteur de l’évolution ; c’est la rapidité tumultueuse des événements qui se succèdent depuis quelques décennies comme les grosses vagues aux jours de tempête. Ce n’est pas l’imprévu du cours de l’histoire, c’est au contraire le déterminisme de ses lois. Ce ne sont pas les retards qu’y apportent les agents de la bourgeoisie dans le camp ouvrier, c’est au contraire l’inexorable décadence de la bourgeoisie, malgré ses alliés, l’implacable marche au socialisme qui se fraye laborieusement la voie malgré eux.

Le réformisme

De tout temps la bourgeoisie s’est efforcée de chloroformer le prolétariat en utilisant sa presse, sa littérature, son église, sa morale. Devant la montée de la force prolétarienne elle a été amenée à utiliser les organismes de défense du prolétariat : les syndicats et les partis ouvriers qui se donnent comme but le renversement du régime capitaliste. Mais la nécessité même de la lutte entraîne la formation d’états-majors permanents. Or, à de rares exceptions près – où l’histoire fait un bond en avant – qui dit lutte dit compromis. Dans cette lutte dont l’issue fatale apparaît lointaine à l’échelle d’une génération, les dirigeants ouvriers ont tendance à s’installer dans le compromis et à en vivre. Ils en vivent d’autant plus que la bourgeoisie des pays avancés peut faire des concessions à son prolétariat, lui abandonner des bribes de ses profits, particulièrement des surprofits réalisés par l’exploitation des peuples coloniaux.

De là, depuis un siècle, les tendances corporatistes du syndicalisme, qui tendent à tirer quelques miettes du patronat pour une couche privilégiée de travailleurs en échange de sa neutralité dans la lutte générale des prolétaires contre les exploiteurs. De là, la puissance des dirigeants réformistes des syndicats qui, en échange de quelques avantages partiels, s’entendent avec la bourgeoisie pour lui assurer les plus gros bénéfices, lancent aux ouvriers les mot d’ordre « produire d’abord », opposent les catégories entre elles, et interviennent en jaunes au cours des grèves. roupant tous les travailleurs pour la défense de leurs revendications, le syndicat est, par nature, l’organisme des luttes partielles en même temps que la conscience de classe contre le patronat. Il engendre le réformisme.

Les partis ouvriers, au contraire groupent une avant-garde, consciente de la nécessité de lutter systématiquement pour abattre le régime. Est-ce à dire qu’ils soient à l’abri du réformisme ? Bien loin de là. Ils sont amenés à lutter sur les terrains où les barrières des classes apparaissent moins nettement, où la bourgeoisie est la plus forte, où la corruption est la plus facile : telles sont les municipalités et les parlements.

Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, enrichie par l’exploitation des colonies et le développement de la production, la bourgeoisie en plein essor peut se permettre des réformes sociales. La plupart de ces réformes, du reste, la servent au premier chef : par exemple en lui permettant l’utilisation la plus rationnelle d’une main d’œuvre mieux logée, mieux nourrie, plus instruite, plus cultivée et mieux disposée.

Rien d’étonnant à ce que se constitue dans les partis ouvriers une aile réformiste qui fait de ces réformes l’objectif essentiel. Tels sont les Fabiens en Angleterre, les possibilistes en France. Partout se dessine une aile électoraliste, parlementariste. Partout les « révisionnistes » s’efforcent, comme Bernstein en Allemagne, de contester la rigueur de la lutte des classes ou la nécessité d’une révolution prolétarienne…

C’est ainsi que, minée par le réformisme, la IIe Internationale se disloque lamentablement dès les premiers jours d’août 1914. Chacun des partis « socialistes » se retrouve aux côtés de sa bourgeoisie nationale, prêchant la guerre contre les prolétaires des autres pays ; même Jules Guesde entre dans le gouvernement bourgeois. Jouhaux prêche la production des ouvriers. Hervé embrasse le drapeau tricolore qu’il avait naguère planté dans le fumier. Chargé de mission par le gouvernement français et avec les fonds secrets, Cachin aide Mussolini à monter, en faveur de l’intervention, le journal « Popolo d’Italia » qui devait devenir l’organe central du fascisme italien.

La IIIe Internationale et la révolution russe

La guerre impérialiste avait exacerbé les contradictions du régime. En Russie elles étaient plus fortes que partout ailleurs, en fonction même du retard économique du pays, de la faiblesse de sa bourgeoisie et de sa soumission au capital étranger, de la concentration relative de son prolétariat, du caractère féodal de la société qui dressait la paysannerie contre les propriétaires terriens, des oppositions nationales qui ajoutaient un nouveau facteur centrifuge à tous les autres. Ainsi minée par ses contradictions, la Russie formait le « chaînon le plus faible » du monde capitaliste. C’est là où la révolution prolétarienne pouvait vaincre plus facilement.

Telle était la thèse développée par Trotsky, dès avant la révolution russe de 1905. Dans le parti socialiste russe Trotsky occupait alors une place à part des deux fractions principales – mencheviste et bolcheviste.

Les mencheviks pensaient que l’étape à venir de la révolution serait bourgeoise, que les socialistes devaient favoriser cette révolution bourgeoise et devenir l’opposition démocratique d’un parlement bourgeois, comme en Occident.

Les bolcheviks pensaient que la Russie connaîtrait une étape intermédiaire ni ouvrière n bourgeoise, où les partis ouvriers et paysans exerceraient ensemble le pouvoir contre la bourgeoisie.

A ces deux schémas Trotsky opposait la théorie de la révolution permanente, affirmant le caractère continu du bouleversement qui se préparait. Cette théorie peut se résumer ainsi : la Russie, état arriéré, n’est pas encore passée par la révolution bourgeoise qu’ont accomplie depuis longtemps les pays avancés d’Occident. Le déséquilibre entre les vieilles formes de la société féodale et les formes capitalistes montantes posera rapidement le problème de cette révolution bourgeoise. Mais celle-ci se produisant tard, à une époque où le prolétariat a suffisamment de force et de cohésion, la bourgeoisie faible et veule sera impuissante à promouvoir ses propres tâches historiques. Ces tâches historiques progressives ne pourront être accomplies que par le prolétariat entraînant derrière lui son alliée, la masse des paysans travailleurs ; l’étape bourgeoise sera presque immédiatement dépassée et la révolution prolétarienne triomphera.

Cependant, ajoutait Trotsky, cette révolution, dans un pays arriéré comme la Russie, ne pourra définitivement vaincre si elle demeure isolée, si elle n’est pas rapidement aidée par la révolution internationale.

Critiqué à l’époque par les mencheviks et les bolcheviks, ce schéma devait s’avérer juste d’un bout à l’autre.

En 1905, l’autocratie réussit à se maintenir au pouvoir. Mais en 1917 la révolution prolétarienne d’octobre suivit de près la révolution bourgeoise de février. A ce moment, contre les mencheviks qui niaient la possibilité d’instaurer la dictature du prolétariat dans un pays arriéré comme la Russie, Lénine, et après bien des hésitations, l’ensemble des bolcheviks, s’orientèrent vers la prise du pouvoir, en plein accord avec Trotsky dont l’organisation restée jusque là dissidente, entra alors dans le parti bolchevik.

L’accord entre Lénine et Trotsky était alors total. L’un et l’autre considéraient la révolution russe triomphante comme la première étape de la révolution mondiale.

Aucun bolchevik d’ailleurs, aucun révolutionnaire, ne pensait alors différemment. En mars 1918, Lénine écrivait :

« La vérité absolue, c’est qu’à moins d’une révolution allemande, nous sommes perdus… Mais en tout cas, quelles que soient les vicissitudes possibles et imaginables, si la révolution allemande ne vient pas, nous périrons. »

Et le 23 avril de la même année il ajoutait :

« Notre état arriéré nous a poussés en avant et nous périrons si nous n’arrivons pas à tenir jusqu’au jour où nous rencontrerons un puissant appui du côté des ouvriers insurgés des autres pays. »

La IIIe Internationale

Aussi l’une des premières préoccupations des révolutionnaires victorieux fut-elle d’aider les prolétaires du monde entier à renverser leur bourgeoisie. Tel était le sens de leur premier appel par radio aux peuples en guerre, au lendemain de la prise du pouvoir. C’est aux travailleurs de tous les pays que s’adressaient Trotsky et les parlementaires soviétiques à Brest-Litovsk, par-dessus la tête des parlementaires allemands.

Les soviets fraternisaient avec les soldats des armées qu’envoyaient contre eux les états impérialistes et désorganisaient ces armées plus par la propagande que par la force.

Dès 1919, alors que la révolution russe était attaquée de tous les côtés par les blancs et leur alliés impérialistes, les délégués des partis révolutionnaires franchissaient le blocus et jetaient les bases de l’Internationale Communiste : la IIIe Internationale n’était pas une vague fédération de partis nationaux, comme la IIe, mais l’état-major centralisé de la révolution mondiale…

Irrésistible, la poussée des masses prolétariennes donnait la majorité aux communistes dans la plupart des partis socialistes d’Europe.

En France en 1920, lamajorité du parti socialiste passait aux « comités pour la IIIe Internationale ». Frossard et Cachin, après un voyage à Moscou, s’étaient prononcés par pour la IIIe. L’Internationale Communiste les avait acceptés comme « une planche pourrie vers les ouvriers français », mais elle avait posé des conditions précises à l’adhésion du parti socialiste français - notamment la rupture avec les social-patriotes et les pacifistes…

Contrairement à l’espoir des bolcheviks la vague révolutionnaire des années 1918 à 1921 – qui avait culminé en 1919 – fut brisée par la bourgeoisie et ses laquais social-démocrates. Battus, les Spartakistes, massacrés à Berlin, et dispersés les soviets allemands. Battues les républiques soviétiques de Bavière et de Hongrie ; battue, l’armée rouge en Pologne et en Finlande. Le Russie révolutionnaire seule restait debout, grâceà l’armée rouge forgée par Trotsky et au soutien des travailleurs des autres pays.

La révolution russe isolée

La Russie soviétique, isolée, était obligée de se replier sur elle-même, pour reprendre des forces en attendant une nouvelle crise révolutionnaire dans le monde.

Après six années de guerre et de guerre civile, après les années de famine, tandis que grondait l’hostilité paysanne aux réquisitions, l’économie soviétique était ruinée. Lénine et Trotsky durent opérer le tournant stratégique de la N.E.P. (Nouvelle Economie Politique), rétablissant le commerce privé. Le résultat fut une amélioration sensible du niveau de vie des masses russes, sous-alimentées de façon effroyable depuis la révolution. Mais en même temps se formaient de nouvelles couches sociales hostiles au communisme : nepmen (commerçant privés), koulaks (paysans riches), bureaucrates de l’ancien régime – que le bas niveau de culture du prolétariat russe n’avait pas permis de remplacer dans les divers rouages administratifs. Sans compter les bureaucrates du nouveau régime qui, les meilleurs combattants étant tombés le plus souvent dans la guerre civile, s’installaient dans les rouages du Parti, des coopératives ou des syndicats et de l’Etat, convaincus que la révolution était à son terme puisqu’ils étaient aux postes de commande et affirmant qu’il fallait renoncer aux « utopies » de la révolution mondiale.

Du danger contre-révolutionnaire que constituaient l’existence et le développement de ces nouvelles couches sociales, Lénine se rendit compte avant sa fin. L’échec d’une nouvelle tentative révolutionnaire allemande, en 1923 vint renforcer ces tendances nouvelles. Lénine se demanda alors : « Le gouvernement ne nous échappe-t-il pas ? » et de son lit de malade, il tenta de mener la lutte contre l’encrassement bureaucratique de la société soviétique.

Il entrevoyait déjà que les divergences d’intérêts des couches sociales dans la société soviétique pouvaient entraîner une scission dans le parti bolchevik. Il sentait déjà que les deux partis se regrouperaient autour de Staline et Trotsky et, dans son testament politique, il préconisait de remplacer Staline au poste de secrétaire général du Parti.

Mais, le 21 janvier 1924, terrassé depuis de longs mois par la maladie, Lénine mourait.

Après la mort de Lénine

A partir de cette date, la dégénérescence de la révolution russe isolée va en s’accélérant. Nous allons voir se dérouler une lutte inégale et bientôt sanglante. D’un côté l’appareil bureaucratique qui s’efforcera de maintenir et d’accroître ses privilèges en s’appuyant sur les éléments conservateurs du pays. De l’autre l’avant-garde révolutionnaire, les plus valeureux combattants de la guerre civile, luttant pour conserver la révolution aux prolétaires et pour garder à la révolution russe son caractère internationaliste.

D’un côté un appareil bureaucratique qui réussira à stabiliser son pouvoir en utilisant les paysans riches et les ouvriers les plus arriérés contre les ouvriers révolutionnaires, puis les ouvriers révolutionnaires contre les paysans et les nepmen devenus menaçants ; une bureaucratie qui supprimera toute démocratie dans le parti communiste, éliminera les travailleurs du pouvoir et accroîtra ses privilèges de manière démesurée. De l’autre une opposition de gauche de plus en plus écrasée, qui sera éliminée, puis exclue, puis massacrée, mais maintiendra les principes révolutionnaires et internationalistes sur lesquels s’était bâtie la IIIe Internationale.

D’un côté, les bureaucrates des partis communistes du monde entier qui abandonneront la politique léniniste de la révolution prolétarienne internationale pour la théorie stalinienne du « socialisme dans un seul pays » et qui mèneront la classe ouvrière de défaite en défaite ; de l’autre, une opposition internationale très faible qui s’organisera peu à peu sous la direction de Trotsky, au milieu des pires difficultés, avec l’objectif de redresser l’Internationale communiste – une opposition qui devra un jour rompre avec l’espoir d’un tel redressement et constituer la IVe Internationale…

Désormais, les « thermidoriens » de la Révolution Russe triomphent. Si la base économique de la société soviétique reste celle de la Révolution, tout est changé au point de vue politique. A la tête de l’Internationale Communiste, au lieu des révolutionnaires éprouvés de la veille, on voit apparaître les hommes des défaites, ceux dont la politique aventuriste ou opportuniste a causé l’écrasement des révolutions : Bela Kun, le vaincu du Hongrie, Kuusinen, le vaincu de Finlande, Koralov et Dimitrof, les vaincus de Bulgarie, l’Allemand Neumann, l’homme du putsch de Canton. En même temps se lèvent sur la scène politique d’anciens contre-révolutionnaires ralliés depuis peu au bolchevisme : Zasslavsky, qui avait traité Lénine d’agent de l’Allemagne, s’installe à la Pravda. Vychinsky, ancien menchevik de droite, saboteur du ravitaillement en Ukraine, joue un rôle de premier plan dans l’appareil. En Géorgie, des mencheviks ralliés persécutent les vieux bolcheviks.

Pourtant le prestige de Trotsky reste considérable en URSS où s’annonce une nouvelle crise. La bureaucratie n’est pas tranquille, même quand Trotsky est exilé aux confins de la Chine, Staline décide de l’exiler. Trotsky proteste de sa volonté inébranlable de rester en Union Soviétique. Il est traîné de force sur un navire qui le conduit en Turquie : le seul pays qui ait consenti à donner asile au grand révolutionnaire, au compagnon de Lénine.

Faiblesse numérique des oppositions communistes

L’exil de Trotsky en Turquie marquait une nouvelle étape. Jusqu’alors, il n’avait pas existé d’opposition internationale. Seuls avaient vu le jour des groupes oppositionnels hétérogènes et sans liaison. Trotsky exilé allait leur donner une cohésion politique et une organisation internationale. De tous les pays, des révolutionnaires vinrent à Prinkipo pour discuter avec lui.

A l’étranger, les ouvriers communistes étaient assez peu au courant des questions en discussion – qui leur apparaissaient des querelles d’état-major, théoriques et loin de leurs luttes immédiates. Dans l’ensemble, ils admirent assez facilement ce que leur dirent les grands journaux communistes : que Trotsky, Zinoviev et les autres leaders de l’opposition s’étaient écartés de la ligne bolchevique, niant les possibilités révolutionnaires de l’URSS.

C’est seulement dans les milieux dirigeants que la discussion était vive. En Belgique, c’était van Overstraten, jusqu’alors secrétaire général du Parti Communiste, qui passait à l’opposition de gauche. En Grèce, c’était Pouliopoulos, un des fondateurs du communisme dans ce pays. En France, c’était d’abord Souvarine, ancien secrétaire du Parti ; ensuite ses adversaires : Treint, qui lui avait succédé au secrétariat du Parti, Barré et momentanément Suzanne Girault. En Espagne, c’était Nin, ancien secrétaire de l’Internationale Syndicale Rouge. En Chine, c’était Chen Dou-siou, fondateur et secrétaire du Parti Communiste. Aux Etats-Unis et au Canada, c’étaient Cannon et Spector, dirigeants du Parti de ces pays. Tous furent exclus.

Nulle part pourtant ces exclusions n’entraînaient une scission importante. Seuls quelques fidèles suivaient les leaders exclus. Le plus souvent les opposants étaient des intellectuels, plus portés à s’intéresser au débat théorique. Même hésitant, l’ouvrier révolutionnaire voulait à tout prix rester dans le Parti, malgré ses erreurs, parce qu’il en sentait l’impérieuse nécessité quotidienne sur le lieu du travail. Il préférait abdiquer son esprit critique et faire confiance à la majorité, à l’Internationale. Ceux-là même qui approuvaient Trotsky ne voyaient guère ce qu’ils pourraient faire dans un groupement de propagande fractionnelle dont l’activité consistait à mener campagne contre le bloc des quatre classes en Chine ou contre le comité anglo-russe (alliance de la bureaucratie russe et de celle des syndicats anglais).

C’est seulement en Belgique et en Grèce qu’une fraction importante du Parti avait suivi l’opposition russe. Encore s’agissait-il de partis très faibles – surtout en Belgique.

Faiblesse politique des oppositions communistes

Les oppositions n’étaient pas seulement faibles numériquement. Formées dans des partis légaux, elles étaient loin d’être forgées du même métal que l’opposition russe. Elles étaient loin aussi d’être homogènes. En France par exemple, trois oppositions principales s’étaient succédées, se réclamant toutes de l’opposition russe : Souvarine et son groupe « Bulletin communiste », qui publiaient les articles de l’opposition russe mais s’étaient surtout dressés contre la « bolchevisation » du Parti et se réclamaient d’un communisme « démocratique » ; Paz et son groupe de « Contre le courant » qui écrivaient des articles dithyrambiques sur Trotsky, mais s’orientaient vers la social-démocratie et le syndicalisme pur ; Treint et « l’Unité Léniniste », formés à l’école manœuvrière de Zinoviev.

Van Overstreaten en Belgique, en Allemagne Urbahns et le « Drapeau du Communisme » penchaient vers l’ultra-gauchisme, tandis que les « bordiguistes » italiens repoussaient la politique de front unique et l’unité syndicale qu’ils avaient refusé d’admettre déjà lors du troisième congrès de l’Internationale Communiste…

C’est seulement en 1933 que l’Opposition de Gauche internationale définit sa plate-forme fondamentale en un document élaboré par elle et régulièrement adopté.

Pourquoi ne pas avoir construit de nouveaux partis révolutionnaires ?

Certains peuvent aujourd’hui reprocher aux « trotskystes » de ne pas avoir opposé dès ce moment aux partis communistes, des organisations révolutionnaires indépendantes. Mais il ne faut pas oublier deux choses. D’abord les divergences avec les communistes « staliniens » apparaissaient alors comme des divergences de stratégie qui, dans la plupart des pays, ne se traduisaient pas en divergences de classes dans la rue ou dans l’usine et dont l’importance de principe n’était sensible que pour des militants éduqués politiquement.

Ensuite, même si l’on avait pu déterminer théoriquement l’impossibilité du redressement révolutionnaire des partis communistes, il n’aurait pas été possible de rallier les ouvriers révolutionnaires sous le drapeau d’un nouveau parti. Ce n’était envisageable que dans certains pays en fonction de leur histoire particulière, comme en Grèce et en Hollande. Encore ces partis indépendants se différenciaient-ils des partis communistes, moins par leur programme communiste internationaliste que pour des raisons particulières au développement national du mouvement ouvrier : en Grèce par exemple, les Archéo-Marxistes avaient connu une existence indépendante avant le parti communiste. En Hollande le parti révolutionnaire indépendant était lié à la plus ancienne des organisations syndicales néerlandaises : le NAS.

A l’échelle internationale, c’était dans les partis communistes que se trouvait l’avant-garde de la classe ouvrière. Rompre avec cette avant-garde dévouée et combative, c’était prendre une très lourde responsabilité. Les « trotskystes » ne s’y résignèrent que plus tard quand il fut absolument prouvé que l’Internationale Communiste était devenue un organisme sclérosé, incapable de réagir même aux leçons les plus tragiques de l’histoire et quand il fut clair qu’elle servait irrémédiablement de courroie de transmission pour la politique anti-ouvrière et anti-révolutionnaire d’une bureaucratie soviétique solidement installée au pouvoir…

« La Vérité » et la Ligue Communiste

Jusqu’en 1929, les oppositionnels n’avaient constitué en France que des petites chapelles, groupant pour une bonne partie d’anciens dirigeants du PC, exclus pour leur lutte contre la direction ou pour leur soutien de l’opposition russe.

Dès 1925, Souvarine, ancien secrétaire du Parti, publiait dans le « Bulletin Communiste » les articles et déclarations de l’opposition russe, Rosmer et Monatte, deux militants des luttes syndicales, lancèrent « la Révolution prolétarienne » sous l’étiquette « syndicaliste-révolutionnaire »…

En 1929, la situation de l’opposition de gauche française n’était guère brillante. Plus exactement, il existait non une opposition, mais une poussière de petits groupes : la « Révolution Prolétarienne » de Monatte, le « Cercle Marx-Léniniste » de Souvarine, l’ « Unité Léniniste » de Treint (devenu « Redressement Communiste »), « Contre le Courant » de Paz ; la revue « la Lutte de Classe » de P. Naville et Gérard Rosenthal ; des groupes autonomes de Lyon et Limoges, un « groupe du vxe rayon », des groupes italiens. Ces groupes passaient leur temps en discussions intérieures, en polémiques et en pourparlers interminables, complètement coupés des travailleurs et du Parti Communiste – lui-même de plus en plus coupé des masses.

Comment en sortir ? Par des palabres nouvelles pour élaborer un programme commun ? Trotsky conseilla à l’opposition française de rompre avec cette stérilité. « Marx a jadis observé qu’un seul pas en avant réel du mouvement est plus important qu’une douzaine de programmes. »

Aller de l’avant, cela signifie agir. Et d’abord publier un organe régulier : « Vous êtes obligés de commencer avec un hebdomadaire. C’est déjà un pas en avant ; à condition, bien entendu, que vous ne vous arrêtiez pas là, que vous continuiez obstinément votre effort vers un quotidien ». Rassembler autour de cet hebdomadaire « tous les éléments sains, virils et vraiment révolutionnaires de l’opposition de gauche » rejetant « l’esprit de cercle, les intérêts et les ambitions médiocres ».

C’est ainsi qu’autour de « la Vérité », hebdomadaire de l’opposition communiste, s’opéra le regroupement de tous les oppositionnels décidés à l’action. Les autres groupes s’y rallièrent, ou bien s’effritèrent et disparurent. Paz s’efforça de lancer un hebdomadaire concurrent (« le Libérateur »), qui ne dura que quelques semaines. Seule « la Révolution Prolétarienne » continua à paraître, mais s’orienta plus délibérément dans le sens du syndicalisme pur…

Le journal n’avait de sens que comme arme d’une organisation. Or cette organisation n’existait pas. Le groupe qui s’était formé autour de « la Vérité » s’était quelque peu développé dans les premiers mois d’existence du journal. Le groupe de « la Lutte de Classe » avec P. Naville et G. Rosenthal, avait fusionné avec son noyau initial. Sa revue était devenue l’organe théorique de l’opposition… En avril 1930 fut constituée la Ligue Communiste (opposition de gauche)…

Ce n’était pas facile. D’abord parce que l’organisation était très faible : une centaine de camarades au plus dans tout le pays lors de la conférence de formation. La Ligue possédait très peu d’attaches en province. Même en comptant ceux qui se constituèrent peu après, elle ne comptait des groupes qu’à Lyon, dans l’Est (à Chaligny avec les camarades Paget et Florence, ouvriers communistes connus pour leur dévouement), dans le Nord – à Lille, à Halluin (avec Cornette, ancien responsable des Jeunesses Communistes du Nord), plus tard, à Montigny-en-Gohelle – ensuite à Tours (avec Bernard, ancien secrétaire du PC), à Dijon, puis à Marseille. Généralement, il s’agissait de quelques ouvriers communistes ayant joui d’une forte autorité mais désormais isolés…

Les effectifs les plus importants étaient ceux de la région parisienne. C’est elle qui dirigeait en fait la Ligue. Or, précisément, c’est là que les faiblesses de la Ligue étaient les plus apparentes. La région parisienne comprenait une forte proportion d’intellectuels, d’anciens responsables communistes désormais coupés de leur base… De plus, presque tous les ouvriers de la région parisienne se trouvaient être des militants immigrés. Non par hasard. Chassés de leur pays par la réaction, ils constituaient une avant-garde particulièrement combative ; ils ne bornaient pas leurs préoccupations à leurs problèmes nationaux. Ils étaient portés vers une vue plus large, plus internationaliste des problèmes ; ils avaient davantage tendance à approfondir les questions.

Cette forte proportion d’étrangers comportait ses avantages : elle garantissait le caractère profondément internationaliste de la Ligue, la portée internationale de ses préoccupations. C’est ainsi que la Ligue fut toujours au premier rang dans la lutte anticoloniale ; une de ses premières manifestations publiques fut la démonstration d’une centaine de manifestants indochinois et français devant l’Elysée, pour protester contre l’assassinat des révoltés de Yen-Bay. Parmi les manifestants indochinois, certains allaient être renvoyés dans leur pays et allaient y jouer un rôle de premier plan dans le réveil des masses populaires : au premier rang, Ta Thu-thau.

Mais cette forte proportion des étrangers dans la Ligue constituait aussi un lourd handicap. Non seulement ces camarades, sous la menace permanente d’une expulsion, étaient dans l’incapacité de participer à l’action politique (ventes, collages…) mais leurs préoccupations, leurs réactions, n’étaient pas celles des grandes masses.

Avec son noyau dirigeant formé surtout d’intellectuels et d’ouvriers étrangers, la Ligue était d’autant plus isolée des masses et de leurs préoccupations. Elle ressemblait à une organisation d’émigrés… La Ligue se ressentait de la faiblesse de ses antennes dans la classe ouvrière et de son absence de responsabilité dans ses luttes…

Les sympathisants mêmes hésitaient à quitter le Parti Communiste – « le Parti ». Etre exclu était un déchirement.

Ceux qui voulaient continuer la lutte se trouvaient isolés de leurs camarades, en butte aux attaques les plus violentes, aux calomnies personnelles les plus incroyables.

La plupart du temps, il s’agissait d’individus qui venaient à l’opposition un par un.

Parfois, il s’agissait d’un petit groupe. A Paris, c’étaient généralement des émigrés qui rompaient avec leur groupe de langue stalinien. Ils se trouvaient seulement un peu plus isolés, comme émigrés au deuxième degré. Tel fut le cas du groupe juif (qui réussit du reste à éditer son propre organe en yiddish : « Clarté »), d’un petit groupe hongrois, puis d’un petit groupe polonais. Ce fut le cas enfin des militants de l’opposition italienne – membres du comité central et du bureau politique du PC italien, qui passèrent à l’opposition : parmi eux Blasco et sa compagne Lucienne (avec Fosco, qui fonda, à la chute de Mussolini, la section italienne de la IVe Internationale)…

La bureaucratie stalinienne supprimait la démocratie non seulement dans le Parti, mais aussi dans les syndicats qu’elle contrôlait. Elle y était amenée par l’opposition croissante qu’elle rencontrait dans l’application de sa politique. Les syndicats révolutionnaires de plus en plus désertés, se trouvèrent bientôt assujettis étroitement à la bureaucratie du Parti Communiste. Le jour devait venir, bientôt, où ce parti allait cesser son opposition irréductible à la bourgeoisie et pactiser avec elle. ce jour-là, le mouvement syndical, contrôlé par lui bureaucratiquement, allait le suivre dans son évolution et s »intégrer de plus en plus dans l’appareil d’Etat bourgeois. On comprend par là toute l’importance de la lutte menée par une poignée de militants trotskystes et révolutionnaires pour la démocratie syndicale et la sauvegarde du syndicalisme révolutionnaire…

Le plenum de l’Opposition Internationale se réunit du 19 au 21 août 1933 avec les représentants des six principales sections (russe, allemande, française, grecque, américaine).

Il décida de rompre avec la IIIe Internationale et de cesser son rôle d’opposition. En conséquence, l’organisation internationale prit le nom de Ligue Communiste Internationaliste (bolchevik-léniniste)…

Le SAP allemand, le RSP et l’OSP de Hollande se déclarèrent d’accord avec la Ligue Communiste Internationaliste sur la nécessité de créer une internationale révolutionnaire. Ils signèrent la « Déclaration des quatre » qui reprenait à son compte le programme essentiel de l’opposition communiste…

Les sectaires ont vu avec indignation Trotsky s’efforcer d’opérer un regroupement vac des formations « centristes » dont certaines – horreur ! – venaient de la social-démocratie. Le sang de ces « puristes » ne fit qu’un tour. En dehors de la ligne droite et des abstractions virginales, ils ne connaissaient que la trahison…

Il est du reste savoureux de constater que cette opposition sectaire dans la Ligue Communiste Internationaliste était animée par l’organisation archéo-marxiste grecque. Celle-ci avait rallié l’opposition en 1930 et constituait une organisation forte de 2000 membres. Mais elle tenait avant tout à ce que le secrétariat international n’intervienne pas dans sa politique intérieure, notamment dans sa politique nationaliste à l’égard de la Macédoine…

Une opposition sectaire, à l’initiative des archéo-marxistes grecs se dessina dans la Ligue Communiste (France)… Les opposants démissionnèrent en bloc. Eux aussi montrèrent où menaient leurs conceptions d’organisation. Ils entraînaient la moitié des militants de la région parisienne, c’est-à-dire la moitié des forces vives de la Ligue. Appuyés par l’organisation archéo-marxiste, ils avaient fondé l’ « Union Communiste » et lancé le journal « l’Internationale ». Mais leur activité se borna à critiquer dans leur journal et leurs publications intérieures l’action de la Ligue et du secrétariat international…

Chez les militants, après l’effort intense et l’excitation qui dure depuis février 1934, apparaît une sérieuse fatigue. C’est un fait que, malgré la justesse de ses mots d’ordre (de front unique de la classe ouvrière), soulignée par la volte-face du Parti Communiste, malgré la publicité beaucoup plus grande que naguère donnée à ses idées, la Ligue Communiste ne s’est guère développée. Seules les Jeunesses Léninistes ont vu croître leurs effectifs en quelques mois. La réalisation du front unique barre la route à un développement indépendant. Un instant, la crise dans le Parti Communiste avait fait naître dans la Ligue de grands espoirs. Ceux-ci sont désormais anéantis. Depuis juillet, Doriot a choisi la voie de l’opportunisme et de l’affairisme municipal avant de s’engager dans celle de la bourgeoisie et du fascisme. Le tournant du Parti Communiste vers le front unique lui a rendu la confiance de sa base. Personne ne pense non plus que le Parti Communiste révolutionnaire puisse naître de pourparlers avec le Parti d’Unité Prolétarienne squelettique et composé pour les 9/10 d’affairistes municipaux avec leur clientèle : le comité central de la Ligue n’a accepté de nouer des pourparlers avec sa direction que pour éclairer les quelques véritables militants ouvriers qu’il compte dans ses rangs.

Trotsky écrit alors :

« La IVe Internationale peut naître… d’un regroupement des éléments révolutionnaires, de l’épuration et de la trempe de leurs rangs dans le feu de lutte. Elle peut aussi se former à travers la radicalisation du noyau prolétarien du parti socialiste et de la décomposition de l’organisation stalinienne. » (…)

Trotsky s’appuyait sur une réévaluation des partis qui se réclamaient de la classe ouvrière. Déjà, en juillet 1933, il avait souligné l’évolution à gauche des partis socialistes. Il avait rappelé que la IIIe Internationale s’était constituée « pour les 9/10e d’éléments centristes évoluant vers la gauche », y compris leurs dirigeants…

Trotsky, considérant l’évolution de la SFIO, estimait qu’elle avait cessé d’être un parti traditionnel, stable et homogène, pour devenir un conglomérat de type centriste, hétérogène, instable, composé d’éléments contradictoires : des bonzes réformistes ossifiés et des militants qui s’efforçaient de trouver la voie de la révolution…

« La Ligue peut et doit montrer l’exemple à ces milliers et à ces dizaines de milliers de militants révolutionnaires, d’instituteurs, etc., qui risquent de rester, dans les conditions actuelles, en dehors du courant de la lutte. En rentrant dans le Parti Socialiste, ils renforceront extraordinairement l’aile gauche, féconderont toute l’évolution du Parti, constitueront un centre d’attraction puissant pour les éléments révolutionnaires du Parti « Communiste » et faciliteront ainsi incommensurablement le débouché du prolétariat sur la voie de la révolution. » (…)

Tel était donc le tournant radical qu’il proposait aux militants de la Ligue pour empêcher leur isolement.

L’opposition dans la Ligue

Quand le bureau politique de la Ligue prit connaissance du texte de Trotsky (signé « Gourov ») presque tous furent atterrés et d’abord Pierre Frank. La majorité s’y rallia pourtant vite devant la pression des faits. Mais de nombreux militants restaient violemment hostiles.

Certains pensaient qu’il s’agissait d’un abandon de la politique léniniste. Ils croyaient à l’existence d’un principe métaphysique (semblable aux autres principes métaphysiques dont est peuplée la mythologie sectaire) – qui interdit aux communistes de se trouver avec des socialistes dans le même parti. Ils brandissaient avec indignation la charte fondamentale des communistes internationalistes qui proclamaient la le nécessité de maintenir « l’indépendance du Parti Révolutionnaire ». Comme si la Ligue pouvait prétendre à être le Parti Révolutionnaire ! Comme si, avant même de veiller à son indépendance, la tâche du moment n’était pas précisément de construire un tel parti !

Les plus intransigeants dénonçaient les « entristes » comme des capitulards. De même que les groupes sectaires, « bordiguistes » ou « Union communiste », ils vitupéraient « Trotsky-Kautsky ». Leu chef de file était Lhuilier qui devait, l’année suivante, adhérer au Parti Socialiste… et y rester…

D’autres, comme Pierre Naville, sans considérer les « entristes » comme des traîtres, estimaient qu’il n’y avait rien à tirer du Parti Socialiste, que c’était un parti social-démocrate et nullement centriste, et que la Ligue pourrait seulement s’y corrompre et s’y dissoudre…

Au congrès de la Ligue, 66 mandats contre 41 se prononcèrent pour l’entrée dans le Parti Socialiste ; tandis que la conférence régionale des Jeunesses Léninistes qui leur tint lieu de congrès se prononçait dans le même sens.

Les adversaires « de principe » devaient bientôt fusionner avec « l’Union Communiste » puis la quitter et rejoindre le Parti Socialiste.

Quant au groupe Naville, après avoir fait passer dans la presse un communiqué déclarant que la Ligue Communiste continuait son existence indépendante, lui aussi adhérait au Parti Socialiste… et en même temps que la majorité de la Ligue. Mais pendant plusieurs mois, il forma un petit groupe séparé.

La majorité de la Ligue s’organisait pour la nouvelle étape. Elle annonçait sa décision d’adhérer à la SFIO – dans un numéro spécial de « la Vérité » en septembre 1934.

La déclaration précisait :

« Dans les conditions présentes, continuer comme un petit groupe indépendant ne permettrait pas de jouer un rôle avec l’efficacité que réclame la gravité de la situation. C’est pourquoi nous avons décidé d’entrer, tels que nous sommes, avec notre programme et nos idées, dans le Parti Socialiste. Dans les rangs des sections du Parti Socialiste, côte à côte avec ses travailleurs révolutionnaires, avec la classe ouvrière de France, nous voulons, dans le combat commun contre la bourgeoisie, élaborer avec eux les meilleurs moyens, la meilleure méthode pour se libérer des chaînes du capitalisme…

Sans renoncer à notre passé et à nos idées, mais aussi sans arrière-pensée quelconque de cercle, en disant ce qui est, il faut entrer dans le Parti Socialiste : nullement pour des exhibitions, nullement pour des expériences, mais pour un sérieux travail révolutionnaire sous le drapeau du marxisme. »

(…)

La majorité des trotskystes (Craipeau, Rigal, Rousset) estimait que la présence des trotskystes dans le Parti Socialiste serait très courte, que leur tâche était de convaincre l’aile révolutionnaire et de construire avec elle le parti marxiste nécessaire pour aborder la crise révolutionnaire. Ils en tiraient la nécessité d’entrer « drapeau déployé », en utilisant d’emblée toutes les possibilités offertes par le libéralisme de la social-démocratie avant qu’elle se soit prémunie contre les révolutionnaires.

Les « entristes » adultes, au contraire (Molinier, Frank) pensaient qu’il fallait entrer dans le Parti Socialiste sans éclat, au besoin individuellement, chacun dans sa section de base. Leur perspective était longue. Ils considéraient du reste comme probable l’unité organique des deux partis ouvriers, désormais aussi réformistes l’un que l’autre, et envisageaient la construction du parti à travers une semblable expérience…

Les Bolcheviks-léninistes qui voulaient construire le parti révolutionnaire avaient dû entrer dans la social-démocratie afin d’en retrouver l’avant-garde. Or ils savaient qu’une autre avant-garde, autrement prolétarienne et importante, se trouvait dans les rangs du Parti Communiste.

De là cette idée, déjà exprimée par Trotsky, que la construction du parti révolutionnaire pourrait éventuellement s’opérer par un regroupement des éléments révolutionnaires de l’un et de l’autre parti…

Sur un point important, le groupe Bolchevik-léniniste força le barrage : la milice du peuple. C’était là un point essentiel de sa propagande…

Les Croix de feu s’attaquèrent au Parti Socialiste et mirent à sac la permanence de la Seine, rue Feydeau.

Cette fois, l’émotion fut profonde dans le PS et Marceau Pivert accepta le font unique proposé par les Bolcheviks-léninistes pour organiser la milice…

La progression de l’influence des Bolcheviks-léninistes dans le PS se manifestait lors des votes politiques dans le Parti : par exemple, dans la Seine, à la première session (mai) les B.L. obtenaient 805 mandats sur 5400. A la deuxième session (juin) le nombre de leurs mandats s’élevait à 1037 contre 2370 à la Bataille (Pivert-Zyromski) et 1570 à Paul Faure…

Au congrès de Mulhouse (juin 1935), les B.L. apparaissaient déjà avec un certain poids… Ils apportaient un programme cohérent de lutte de classes, d’action directe, de front unique révolutionnaire…

En mai 1935, le président du gouvernement français, Pierre Laval avait fait le voyage de Moscou et vu Staline et ils avaient publié un communiqué commun : « Mr Staline comprend et approuve pleinement la politique faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité… »

La bureaucratie réformiste du PS se sentait tout à fait proche d’eux…

Les B.L. se trouvaient devant une haine conjuguée de deux bureaucraties…

Les réformistes étaient prêts à tout pour se débarrasser des révolutionnaires – même à détruire leurs propres organisations…

Au congrès de Lille du PS (juillet 1935), les BL étaient exclus par une majorité de 2/3, la minorité – près du tiers du congrès – quitta la salle…

Mais le plus grave était la confusion au sein même des BL…

Confusion politique d’abord. C’est ainsi que le rapport de Zeller pour le congrès de novembre 1935 soutenait toujours le mot d’ordre de « Front Populaire de Combat ». Comme si les révolutionnaires pouvaient réclamer au Front Populaire (avec Herriot et Daladier !) de passer « à l’action »… Confusion d’autant plus dangereuse que le rapport avait été établi en accord avec les dirigeants du GBL, Molinier et Rous.

Ce rapport semait encore des illusions sur les possibilités de réintégration…

Quand les BL étaient menacées d’exclusion, Marceau Pivert organisa une nouvelle tendance : la Gauche Révolutionnaire. Cela représentait un certain progrès politique. Marceau Pivert rompait avec Zyromski, de plus en plus ouvertement social-patriote. Il reprenait le programme d’action du GBL, les mots d’ordre que les BL avaient popularisés dans le Parti Socialiste… Marceau Pivert disait en somme aux travailleurs socialistes : « Vous pouvez tenir le même langage que les trotskystes, tout en restant dans le giron socialiste. »

Plus tard, Léon Blum le récompensera par u strapontin dans le gouvernement de Front Populaire.

La situation des BL était difficile. Elle nécessitait une offensive politique vigoureuse. Au contraire, la direction du GBL n’avait cessé de tergiverser depuis le congrès de Lille. Au lendemain de Lille, Trotsky avait télégraphié de Norvège son avis : « Scission définitive fonction de l’accord Laval-Staline : préparer le nouveau parti »…

Une crise profonde traversa le GBL… R. Molinier et P. Franck arrivèrent avec non seulement le projet de leur journal « La Commune », mais jusqu’aux affiches imprimées en deux couleurs. La majorité du comité central refusa de s’incliner… En dépit d’un compromis conclu, Frank et Molinier continuèrent leur campagne publique pour leur nouvel organe et, malgré l’ordre formel de la direction du GBL, ils le publièrent.

Dès lors les derniers ponts étaient rompus. Déjà Trotsky s’était violemment prononcé contre « l’entreprise centriste de La Commune ». Il avait protesté contre les atermoiements et réclamé l’exclusion de R. Molinier. Celle-ci fut décidée d’abord par le secrétariat international…

Le groupe La Commune entrainait la moitié des GBL et avec eux les militants adultes les plus influents… Par contre, derrière la majorité du comité central et Trotsky se trouvaient les Jeunesses, qui constituaient une force déterminante.

Ainsi, au moment le plus critique de la rupture avec les réformistes, pendant que les révolutionnaires de la phrase jouaient les sirènes pour empêcher les ouvriers de rompre avec la SFIO, les BL se trouvaient divisés en deux tronçons hostiles qui gaspillaient leurs forces à éditer deux hebdomadaires concurrents et usaient leur crédit par des polémiques de la dernière violence les uns contre les autres…

L’approche d’une crise sociale d’envergure mettait à l’ordre du jour la formation du parti révolutionnaire. L’exclusion des révolutionnaires par les bonzes socialistes rendait cette formation plus urgente que jamais… La crise de La Commune retarda l’application de cette politique…

A la fin du mois de février, une conférence était convoquée pour les 7 et 8 mars en vue de construire le parti… Le secrétariat international fait distribuer à cette conférence une déclaration qui dit notamment :

« Le Secrétariat International de la Ligue Communiste Internationale a été informé tout à fait en dernière heure que le groupe Molinier organisait en huit jours ce qu’il appelait le Congrès pour le nouveau Parti en France. »
(…)
« Nous demandons à tous les militants honnêtes de condamner l’entreprise de division et de confusion du groupe Molinier… »

Voilà le climat dans lequel allait se trouver le nouveau parti trotskyste naissant le POI et son journal Lutte ouvrière alors que commençaient les grandes grèves de juin 1936 !!!

Les dirigeants Frank et Molinier étaient les principaux responsables des divisions, de la confusion politique et finalement de l’échec !!!

N’oublions pas qu’ils sont les fondateurs des deux principaux courants du trotskysme français actuel : LCR et POI !!!

Messages

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.