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L’extinction des dinosaures

samedi 6 juin 2009, par Robert Paris

LES DINOSAURES, GRANDEUR ET DÉCADENCE

Philippe TAQUET

La réponse des organismes à la fin du Crétacé

La réponse de la biosphère à la limite Crétacé-Tertiaire a été extrêmement variable selon les groupes et toute hypothèse sur les événements qui surviennent à la fin du Crétacé ne peut faire l’économie des données fournies par les archives de la Terre, par les faunes et les flores fossiles.

Dans les océans, les ammonites et les bélemnites voient le nombre de leurs espèces se réduire au cours du Crétacé, particulièrement entre l’Albien et le Santonien, puis entre le Campanien et le Maastrichtien, de sorte que ces groupes sont proches de l’extinction bien avant la fin du Crétacé et les ammonites disparaissent plus de cent mille ans avant la fameuse limite Crétacé-­Tertiaire (fig. 9).

Le nombre des familles de bryozoaires croît du Cénomanien au Campanien, se stabilise au Maastrichtien et au Paléocène et reprend sa progression jusqu’à l’Oligocène. Par contre les foraminifères planctoniques subissent une réduction drastique : des trente-six espèces présentes à la fin du Crétacé ne subsiste qu’une espèce au début du Cénozoïque.

Sur les continents, les flores, en particulier les angiospermes, se développent tout au long du Crétacé. Un brusque déclin dans l’abondance des pollens à la limite Crétacé-Tertiaire a été observé mais les différentes familles de plantes ne semblent pas avoir souffert d’extinction en masse durant cette même période.

Le travail de Sullivan (1987) sur l’examen de la diversité des reptiles à la fin du Crétacé puis au début du Tertiaire (de quatre-vingt-sept millions d’années et demi à cinquante-quatre millions d’années) apporte des informations intéressantes dont il faut tenir compte (fig. 10). L’examen détaillé de toutes les espèces de reptiles existantes depuis le Sénonien supérieur jusqu’à l’Éocène et de leur position stratigraphique précise montre de manière convaincante un processus d’extinction graduelle des taxons au cours de la transition Crétacé-Tertiaire ; ce processus n’est pas compatible avec les hypothèses faisant appel à une extinction de masse isochrone. Au contraire une première vague d’extinctions commence à la fin du Campanien (moins soixante-quatorze millions d’années et demi) soit huit millions d’années avant la limite Crétacé-Tertiaire ; disparaissent ainsi conjointement : une des familles de tortues, les Protostegidae ; une famille de Lacertiliens, les Mosasauridae ; une famille de reptiles volants, les Pteranodontidae ; les demiers lchthyosaures : les Platypterygiidae ; les derniers Plésioaures : les Elasmosauridae. Puis au cours du Maastrichien, deux vagues d’extinctions se succèdent : cinq millions d’années puis trois millions d’années avant la fin du Crétacé disparaissent cinq familles de dinosaures. Ne subsistent plus que dix familles de dinosaures à la limite Crétacé-Tertiaire ; celles-ci ne représentent en réalité que douze à quatorze espèces qui constituent les derniers survivants, avant la disparition définitive du groupe. Ces faits ont été soulignés ironiquement par Benton : « La perte de quinze espèces de dinosaures en trois millions d’années constitue-t­elle une extinction catastrophique ? » — et il semble plus logique de supposer l’existence à la fin du Crétacé d’une série de « stress écologiques » qui conduiraient à la disparition progressive d’une partie, et d’une partie seulement des faunes marines et terrestres. Les approches catastrophiques doivent donc être singulièrement nuancées pour tenir compte de la diversité des réponses fournies par les organismes aux événements qui se sont produits à la fin du Crétacé.

De l’extinction : le continu et le discontinu dans les sciences de la Terre

L’interprétation des phénomènes d’extinction de masse permet de poser toute une série de questions épistémologiques. Il n’est pas inutile de porter un regard d’historien des sciences sur l’évolution des idées à l’égard du problème de l’extinction.

Les difficultés actuelles de l’interprétation correcte des discontinuités de l’histoire de la Terre et de celle de la vie sont inhérentes à la géologie, à la paléontologie et à la biologie ; elles ont été rencontrées par nos prédécesseurs dès la naissance de ces disciplines.

Pour expliquer les soubresauts observés dans le processus historique que représente l’évolution des espèces, chacun a voulu mesurer la part due aux contraintes externes physiques et la part due aux contraintes internes biologiques. Si l’évolution est le fruit d’une interaction entre les organismes et leur environnement, l’importance donnée à l’un ou l’autre des facteurs a varié au cours du temps.

Au début du XIXe siècle, en pleine période post-révolutionnaire française, Cuvier énonce que les organismes subissent les révolutions du globe : les êtres vivants sont anéantis, des êtres sans nombre périssent soudain. Son disciple, A. d’Orbigny, voit vingt-sept révolutions successives jalonner l’histoire de la Terre, chacune d’elles correspondant à une coupure bien nette dans la succession des archives de la Terre. Elie de Beaumont fait alors coïncider chaque extinction avec la surrection catastrophique d’une chaîne de montagne.

À l’époque de Cuvier, Constant Prévost en France, puis Charles Lyell (1843) dans une Grande-Bretagne croyant aux progrès de l’homme et de la société, proposent une approche actualiste, uniformitariste et gradualiste pour expliquer les changements à la surface du globe. Charles Darwin pourra alors avancer l’idée que dans la théorie de la sélection naturelle : « L’extinction des anciennes espèces et la production de nouvelles formes améliorées sont deux fois intimement connexes. La vieille notion de la destruction complète de tous les habitants du globe, à la suite de catastrophes périodiques est maintenant généralement abandonnée... ». « Il est difficile d’avoir présent à l’esprit que l’augmentation de chaque être est sans cesse réfrénée par une foule d’actions hostiles qui suffisent cependant pour causer la rareté, ensuite l’extinction ». Jusqu’au milieu du XIXe siècle, le monde vivant était envisagé comme un système à régulation externe. Avec Darwin et sa théorie de l’évolution, la forme des êtres, leurs propriétés, leurs caractères sont soumis à la régulation d’un vaste système qui comprend la Terre et tous les objets qui s’y trouvent. C’est ce modèle qui sera accepté et qui est suivi aujourd’hui par les héritiers de Darwin.

Avec les travaux sur l’iridium en 1980 par Alvarez et al. une nouvelle approche, néo-­catastrophiste, des extinctions va se développer et S.J. Gould, partisan d’une évolution saltatoire, tirera sans tarder les conclusions de ces hypothèses.

Si les extinctions dues à des événements extraterrestres sont plus fréquentes, plus rapides, plus importantes, si leurs effets sont sur le plan qualitatif plus subits que l’on ne le pensait, alors les processus de la micro-évolution sont inadéquats pour expliquer la composition de la biosphère. Avec de tels effets, l’adaptation des organismes à leur environnement local va perdre toute signification au profit d’une sélection imprévue à grande échelle et qui prendra une énorme importance. Dans ce cas, des mécanismes évolutifs différents sur le plan qualitatif pourraient dominer pendant les périodes d’extinction de masse (Jablonski, 1986). Les partisans de cette approche vont même jusqu’à envisager la construction d’une théorie générale de l’extinction en masse allant au-delà de la perspective néo-darwinienne sur l’évolution (Gould, 1989).

La distribution des êtres vivants à la surface du globe est-elle finalement le résultat de l’évolution biologique, du jeu des possibles, du résultat entre ce qui était et ce qui sera, entre le conservateur et le révolutionnaire, entre l’identité de la reproduction et la nouveauté de la variation (F. Jacob, 1981), ou est-elle au contraire le résultat des révolutions du globe, de la survivance du plus chanceux (et non pas celle du plus adapté), si des événements extraterrestres (comme les météorites) ou liés à la dynamique interne du manteau de la terre (comme les éruptions volcaniques) jouent un rôle finalement beaucoup plus important que l’on ne pensait en introduisant des règles différentes (Gould, 1989) ?

Les partisans du volcanisme fini-Crétacé ont d’ailleurs appliqué leur hypothèse à toutes les grandes crises de l’histoire de la vie : les principales périodes d’extinction coïncideraient avec les grandes phases d’éruptions volcaniques. Cette démarche (qui rappelle celle d’Elie de Beaumont) accentue ainsi l’effet de tirage au sort dans l’histoire de la vie.

à l’opposé, les partisans du néo-Darwinisme rétorquent à la suite de Hecht et Hoffmann (1986) que la haute fréquence et la périodicité des extinctions en masse peuvent être mises en doute. Ces extinctions ne sont fondées sur le plan statistique qu’en utilisant une définition inhabituelle et intuitive de l’extinction, laquelle ne fait pas appel à une large tranche de temps. Il n’y a pas de critère sûr et incontestable permettant de distinguer les extinctions en masse comme des classes de phénomènes distincts et il y a peu de raisons de croire qu’elles nécessitent un changement majeur de l’outil conceptuel du néo-Darwinisme. Plus que jamais, pour ces auteurs, le néo-Darwinisme demeure pour expliquer conve­nablement le destin des espèces. Rien ne permet d’affirmer que les processus observés lors des phases de large expansion de la vie et lors des phases d’extinctions en masse ne reflètent autre chose que te résultat des forces de la microévolution opérant sur un très grand nombre d’espèces biologiques et sous l’influence de conditions physiques et biologiques normales.

Les discontinuités, aubaine des géologues, des paléontologues.., et des historiens (car sans discontinuité pas de chronologie possible), sont évidemment des obstacles à une bonne analyse des processus continus que sont la genèse et l’histoire de la Terre, de la lithosphère et de la biosphère. Ce problème de fond n’est pas propre aux sciences de la Terre et a été traité avec élégance par R. Hoykaas (1970) dans son ouvrage « Continuité et discontinuité en géologie et biologie ». Ainsi Hoykaas montre qu’après 1840 « on se trouve en présence de trois conceptions différentes : uniformité rigoureuse en géologie et dans le monde animal (Lyell), catastrophisme en géologie et progressisme dans le monde animal (Sedgwick), uniformité en géologie et progression graduelle dans le domaine organique (Chambers, Darwin) ». On pourrait ajouter aujourd’hui : catastrophisme en géologie et ponctuationnisme dans l’évolution1 des espèces en biologie (Gould). Pour Hoykaas, il semble bien en outre que se soit exercée explicitement ou tacitement chez les savants du XIXe siècle, une influence mutuelle entre leur vision du monde et leurs théories et interprétations scientifiques. Il serait étonnant qu’il n’en soit plus de même pour les savants d’aujourd’hui !

Vers une théorie des crises biologiques

L’extinction des dinosaures à la fin du Crétacé constitue un événement fascinant qui ne peut être isolé de la disparition ou de la survivance de toutes les autres formes vivantes qui peuplaient la Terre à la même époque.

L’analyse des causes de cet événement est nécessaire pour bâtir une théorie des crises qui puisse rendre compte de tous les grands changements qui jalonnent l’histoire de la vie au cours de l’histoire de la Terre et dont le rôle vient tempérer, contrarier ou relancer les effets de l’ontogenèse et de la phylogenèse.

Les célèbres dinosaures disparaissent définitivement de la surface de notre planète il y a 66,4 millions d’années, non pas sous l’action d’une cause unique, soudaine et limitée dans le temps, mais plus probablement en raison de causes multiples, complexes et agissant pendant une période d’au moins cinq millions d’années.

NOTE

(1) Le ponctuationnisme (l’évolution se déroule avec des taux différents à des périodes de stase succèdent des accélérations) se distingue du saltationnisme (l’évotution se déroule grâce à des macromutations).

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